Le jour le plus chaud de tous les temps - Victor Jager - E-Book

Le jour le plus chaud de tous les temps E-Book

Victor Jager

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Beschreibung

Le 22 juillet, sur la route 95 dans le Nevada, alors que l’État est en proie à la panique à la suite de neuf disparitions d’enfants en onze mois, une annonce glaçante retentit : cette journée sera la plus chaude de l’année. Maddie, chauffeur de taxi, accepte à contrecœur une course particulièrement mystérieuse dans cette atmosphère chargée de paranoïa et de sentiment d’oppression. Au volant de sa voiture, elle file vers le sud, mais la chaleur brûlante et l’aridité du désert la font rapidement douter de tout, y compris des intentions de l’homme assis à l’arrière. Le suspense monte alors qu’elle se demande ce qui l’attend au bout de cette route.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Créer un thriller dans le huis clos d’une voiture où la chaleur suffocante est un personnage central à part entière de l’histoire, c’est le socle sur lequel est né Le jour le plus chaud de tous les temps, le deuxième livre publié de Victor Jager.


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Victor Jager

Le jour le plus chaud

de tous les temps

Roman

© Lys Bleu Éditions – Victor Jager

ISBN : 979-10-422-1344-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,

Ce beau matin d’été si doux :

Au détour d’un sentier une charogne infâme

Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,

Brûlante et suant les poisons,

Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique

Son ventre plein d’exhalaisons.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,

Comme afin de la cuire à point,

Et de rendre au centuple à la grande Nature

Tout ce qu’ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe

Comme une fleur, s’épanouir.

La puanteur était si forte, que sur l’herbe

Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,

D’où sortaient de noirs bataillons

De larves, qui coulaient comme un épais liquide

Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague,

Ou s’élançait en pétillant ;

On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,

Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,

Comme l’eau courante et le vent,

Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique

Agite et tourne dans son van.

Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,

Une ébauche lente à venir,

Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève

Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète

Nous regardait d’un œil fâché,

Épiant le moment de reprendre au squelette

Le morceau qu’elle avait lâché.

— Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,

À cette horrible infection,

Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,

Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,

Après les derniers sacrements,

Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,

Moisir parmi les ossements.

Alors, ô, ma beauté ! dites à la vermine

Qui vous mangera de baisers,

Que j’ai gardé la forme et l’essence divine

De mes amours décomposés !

Charles Baudelaire, Une Charogne

1

La chaleur est insupportable, déjà tellement lourde. L’air est moite, mais elle sait que l’humidité ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir, chassée par l’aridité du désert. La femme vient tout juste de sortir de la douche, mais, déjà, elle sent sa peau humidifiée non pas par l’eau et la vapeur en suspension, mais bien par la chaleur environnante.

Sa tête la cogne doucement ; mais elle a déjà connu pire. Les restes de l’alcool de la veille. Elle sait qu’elle a encore bu plus qu’elle n’aurait dû, car elle n’a pas le souvenir de s’être couchée. En fait, elle ne se souvient de rien après le troisième verre de tequila pure. Celui juste avant de prendre la route.

Et, à nouveau, elle pense à cette chaleur qui englobe tout.

La chaleur, le mal de tête, et les relents des effluves d’alcool qui semblent s’évaporer des pores de sa peau. Tout cela à la fois.

Elle a enfilé une chemise vert kaki, mais elle sait qu’elle ne la gardera pas toute la journée sur le dos ; c’est pour ça qu’elle a mis un débardeur noir en dessous. En bas, elle porte un jean. Elle aurait aimé pouvoir mettre un short, mais elle sait que son patron ne le tolère pas. Il craint pour sa sécurité : « On ne sait jamais sur quel taré on va tomber. Il y a des fous à chaque coin de rue, de nos jours ! » répète-t-il sans cesse à Maddie. Il n’a pas tort, pense-t-elle. Pourtant, parfois, dans ses moments les plus sombres – lorsqu’elle est enfouie sous la couette, dans le noir, refusant catégoriquement de sortir – elle espère sincèrement qu’un de ces fous furieux dont parle Jeff à longueur de journée finira par l’emmener loin, très loin, dans un lieu où jamais on ne la retrouvera.

Elle imagine sa carcasse pourrissant sous les rayons du soleil quelque part dans le désert. Puis elle chasse aussitôt cette sordide idée de son esprit. Mais l’image reste là, quelque part, comme imprimée sur les murs métaphoriques de son esprit. Les paroles de Jeff semblent flotter dans l’air tout autour d’elle, se mêlant à la chaleur et aux effluves d’alcool qui continuent de danser dans l’appartement tels des feux-follets.

Peut-être aujourd’hui ? pense-t-elle parfois avant de se lever. Mais jusqu’à présent, elle n’a pas encore transporté le moindre fou. Elle a eu des gens bizarres, des gens paumés, des gens ivres, et probablement même des gens atteints du cerveau, mais jamais aucun d’eux ne lui a fait de mal. Aucun n’a même osé lever la voix sur elle. Peut-être est-ce parce que c’est une femme et qu’ils savent ce que la société fait aux machos et aux misogynes à l’heure des réseaux sociaux. Ou peut-être est-ce parce qu’ils voient le désespoir dans ses yeux sombres et parfois vides de toute trace de vie.

C’est justement dans l’éventualité qu’un malade s’en prenne un jour à elle qu’elle a caché un petit revolver dans la boîte à gant de son véhicule. Rien de bien terrible : un 6,35 mm qu’elle garde en permanence tout près d’elle. Sans doute n’aura-t-elle jamais à s’en servir, mais toujours est-il que cela la rassure.

On ne sait jamais sur quel taré on va tomber, pense-t-elle en entendant la voix âgée, mais grave de Jeff dans son esprit.

Ce n’est, certes, pas le boulot de ses rêves, mais c’est tout ce qu’elle a pu trouver à l’époque. C’est en 2019, à la suite de son divorce avec Brian qu’elle a trouvé ce petit boulot. Chauffeur de taxi. Elle travaille six jours sur sept, de dix heures à vingt-trois heures, arpentant les rues désertiques du Nevada en quête de clients à transporter. Non, ce n’est vraiment pas le boulot de ses rêves, mais elle s’en contente. Jeff est un connard de Républicain, mais il n’est pas méchant. Bourru, têtu et bordé, tout au plus. Il est l’archétype même de l’américain moyen, chef d’entreprise. À soixante-cinq ans, l’homme chauve à la longue barbe blanche ne semble pas disposé à vouloir prendre sa retraite ; à quoi bon ? Que ferait-il de tout son temps ? Maddie, elle, s’en cogne royalement qu’il parte ou qu’il reste. Tant qu’elle peut continuer à conduire et être payée, tout lui va. Payer son loyer, et garder sa tête occupée. Voilà bien tout ce qui compte à ses yeux.

Elle repense à la première fois qu’elle a rencontré Jeff, dit Papy. Il ne ressemblait pas du tout à ce qu’elle s’était imaginé en entendant sa voix au téléphone. Elle avait trouvé l’annonce dans le journal, avait pris son courage à deux mains, puis avait composé le numéro inscrit sur le quotidien. La voix rauque au bout du fil lui avait d’abord fait peur l’espace d’un instant, puis l’homme, quoique bourru, lui avait ensuite paru l’air sympathique. Il lui avait proposé de se rencontrer dans un café dans le nord de l’État, ce qu’elle avait accepté sans rechigner. Lorsqu’elle arriva sur les lieux après deux heures de route, Jeff – vêtu d’un gilet affreux et d’une casquette de randonnée – était déjà attablé, son gros postérieur assis sur la banquette mauve en cuir tanné. Maddie sut tout de suite que l’homme assis était celui qu’elle venait rencontrer puisque l’établissement était complètement vide. Inspirant un grand coup, elle s’avança vers la table et tendit sa main à l’homme. Il la dévisagea un instant, puis se leva – ce qui fit trembler la table lorsque son gros ventre heurta cette dernière – puis serra la main de la femme. Sa poignée de main était ferme, pourtant, sentant sa propre petite main emprisonnée dans la grosse paluche de l’homme, Maddie se sentit étrangement en sécurité. Comme si, à ses côtés, elle savait que rien ne pourrait jamais lui arriver. Ce jour-là, Jeff paya l’addition, et engagea Maddie. Pas une si mauvaise rencontre après tout.

Maddie chasse de nouveau le passé de son esprit et termine d’enfiler son jean. Là, elle sort de la chambre et passe dans le séjour, où le gros ventilateur au plafond continue de brasser l’air chaud. Ça ne vaut pas une clim, mais c’est tout ce qu’elle possède pour rafraîchir ne serait-ce qu’un petit peu l’air de la pièce. Il fait déjà si lourd alors qu’il n’est que neuf heures du matin. Elle sait qu’aujourd’hui sera de ces journées dont on a hâte qu’elle se termine alors qu’elle n’a même pas encore commencé. Il faut dire qu’aujourd’hui n’est pas n’importe quel jour. C’est le 22 juillet. C’est le dernier jour avant ses vacances. Ses deux seules semaines de congés de l’année. Le moment qu’elle attend le plus, mais aussi celui qu’elle redoute le plus : Dieu seul sait quels genres d’idées noires traversent son esprit lorsqu’elle n’est pas derrière le volant de sa Ford.

Cette année, elle a prévu d’aller rendre visite à ses parents dans l’Ohio. Ruth et Nolan Parker vivent encore dans leur État natal, là où Maddie a grandi. Ils possèdent une grande maison – bien trop grande pour eux – dont Maddie héritera un jour. Mais elle sait au plus profond d’elle-même que jamais elle ne retournera vivre dans l’Ohio. Trop de mauvais souvenirs. Le Nevada et son désert de sable sont bien mieux pour elle. Son âme damnée est à sa place ici : en Enfer.

Elle rentre dans la cuisine où l’air est encore plus chaud que dans le couloir et se sert une tasse de café froid de la veille. L’air moite a déjà commencé son travail : sur ses avant-bras, une fine pellicule de sueur commence à se former. Sous les reflets de la lumière, elle luit.

Dans son ventre, son estomac gronde. Dans sa tête, c’est encore un petit peu le brouillard. La bière et la tequila sont probablement ses plus grands péchés.

Foutue gueule de bois.

Le goût du café froid n’est pas vraiment bon, mais elle se refuse à mettre du sucre dedans pour faire passer le goût : le sucre est le fléau de l’Amérique. Combien d’obèses transporte-t-elle à longueur de journée ? Elle estime à environ un tiers, le pourcentage de clients qu’elle prend étant en surpoids.

Foutu pays.

En allant s’asseoir, elle passe devant la fenêtre entrouverte. Elle laisse généralement ouvert la nuit pour faire rentrer l’air frais. Elle s’arrête un instant et contemple le paysage au-dehors. Tout n’est que béton et ciment. Elle sent l’odeur nauséabonde de la pollution chauffée par le soleil. Elle entend les bruits de la circulation et du mouvement permanent. Elle voit la foule des gens qui commence à s’empresser pour aller au travail, au casino, aux putes – parfois même les trois à la fois pour certains d’entre eux. Souvent, elle se dit que la vraie ville des péchés, c’est ici. Sortant de sa torpeur, elle referme la fenêtre et le bruit de la ville s’arrête aussitôt. Mieux vaut ne pas laisser entrer la chaleur une fois passées neuf heures du matin ; elle le sait. Après, il lui est impossible de rafraîchir l’appartement avant que ne tombe la nuit.

Elle vit dans un petit trois pièces situé en plein cœur de Reno. Le bâtiment est un vieux motel qui a été racheté au début du vingt et unième siècle par un promoteur immobilier qui en a fait toute une série de petits logements. Six appartements au rez-de-chaussée et six appartements au premier étage. Rien que ça. Le bien se dégrade de jour en jour, puisque rien n’a été rénové depuis le réaménagement du bâtiment. Plus de vingt ans que l’appartement n’a pas été repeint, et le propriétaire refuse de payer pour quoi que ce soit. Çà et là, des taches d’humidité et de saleté ont commencé à apparaître sur les murs et au plafond, mais Maddie ne les voit déjà plus. L’habitude.

Au moins, le loyer n’est pas cher, songe-t-elle, lasse. De toute façon, elle n’aurait pas les moyens de s’offrir quoi que ce soit d’un standing supérieur.

Accrochée au mur dont la couleur jaune délavée lui rappelle le sable du désert de Mojave, une grosse pendule ronde. Le tic-tac de l’horloge bat au rythme des secondes, inlassablement. Tout le reste n’est que silence dans le petit appartement vide. Plus que trente minutes avant qu’elle ne prenne son service. Alors, elle se sert une nouvelle tasse de café froid, et avale rapidement un bagel qu’elle mange nature. Maddie n’a jamais eu un gros appétit, mais elle mange encore moins l’été. La chaleur lui coupe toute envie d’avaler quoi que ce soit. Cette fois, manger fait du bien à son estomac encore ankylosé par la tequila de la veille.

En même temps qu’elle colle les dernières miettes du bagel avec ses doigts humides pour les lécher, elle allume le petit poste de télévision de la cuisine. C’est un appareil qui a au moins vingt ans, lui aussi : un cube cathodique qui repose sur le dessus du frigo. Elle se demande parfois comment l’appareil peut encore fonctionner après toutes ces années. N’était-ce pas son père qui lui avait trouvé l’appareil dans une brocante ? Elle ne s’en souvient plus vraiment. Sa mémoire lui joue des tours récemment. Depuis quand, exactement ? Elle n’en est pas certaine. Un an peut-être. Même si cela a tendance à devenir pire avec le temps.

Sûrement à cause de la chaleur, se dit-elle pour se rassurer.

Probablement à cause de l’alcool, répond une voix.

Ou du chagrin, conclut un autre.

L’image de la télé est grésillante, et on est loin de la haute définition des écrans plats modernes, mais Maddie s’en moque. Tant que l’image et le son fonctionnent encore, elle n’a aucune raison d’aller dépenser de l’argent. Elle zappe les chaînes à l’aide de la télécommande, dont l’arrière a été rafistolé de nombreuses fois avec du scotch, jusqu’à tomber sur la chaîne des informations locales.

Le présentateur est un homme d’une soixantaine d’années vêtu d’un costard et d’une cravate rouge. Maddie sait que le plateau de télévision est probablement équipé d’un climatiseur, mais cela n’empêche pas l’homme dans l’écran de luire du front et de la moustache. Elle voit que les cheveux gris sur ses tempes collent à sa peau à cause de la transpiration.

Il sue, pense Maddie. Il sue tellement que sa chemise doit être imprégnée de sueur, juste sous sa veste.

Elle imagine la chemise de l’homme collée à son dos et à ses aisselles. Elle imagine l’odeur aigre et amère de la transpiration qui doit s’en dégager.

Foutue chaleur.

Là l’homme à l’écran reprend son discours comme si Maddie ne l’avait jamais interrompu, puis fait le tour des gros titres : le gouverneur du Nevada doit rencontrer le maire de Las Vegas aujourd’hui, le Président Biden – actuellement en visite diplomatique en Europe – doit rencontrer le Président français, et la série de disparition d’enfants alerte jusqu’aux plus hautes sphères de l’État alors qu’une nouvelle fillette est portée disparue.

Maddie monte le son, car c’est justement ce dernier sujet qui l’intéresse particulièrement ; la politique, ce n’est pas vraiment son truc.

Le présentateur reprend :

« C’est en fin de journée ce jeudi 21 que la petite Laurie, huit ans, a été signalée disparue. La ville de Fallon, dans le comté de Churchill, a été placée sous quarantaine : plus personne ne peut sortir de la ville sans passer par un contrôle des forces de l’ordre. Les démocrates, représentés par Aaron Ford, crient à l’injustice, à l’heure où les contrôles de police sur les populations noires et hispaniques sont encore au cœur du débat national, un mois après le décès d’un Afro-Américain dans la ville de Portland pendant une intervention musclée des forces de l’ordre. »

Fallon n’est qu’à une petite heure de route, bordel. C’est juste à côté. Qui sait où sera enlevé le prochain gamin ?

« C’est déjà la neuvième enfant portée disparue dans le Nevada en un petit peu moins d’un an, reprend le reporter. Alors qu’on espérait que la reprise du dossier par le FBI accélérerait les choses, l’enquête est toujours au point mort. Les autorités appellent au calme, alors qu’une manifestation est prévue ce jour dans les plus grandes villes de l’État pour manifester contre l’inaction des forces de l’ordre. À Fallon, une marche blanche a d’ores et déjà été prévue ce week-end en guise de soutien à la famille de la petite Laurie, et plus de deux mille personnes sont déjà attendues d’après l’évènement créé sur Facebook par des proches de la famille. »

Putain de psychopathe. S’en prendre à des enfants. C’est peut-être Jeff qui a raison, après tout. On vit peut-être bien dans un monde de fous.

Comme le journaliste a fini de faire le tour de l’actualité, il passe le relais au présentateur météo. C’est un homme d’une quarantaine d’années dont la calvitie lui fait paraître plus que son âge. Maddie croit qu’elle est allée à l’école avec lui, mais elle n’en est pas sûre. Peut-être juste qu’il ressemble à son ancien camarade de classe. Ou peut-être qu’elle a tellement l’habitude de voir la tête de l’homme tous les matins qu’elle a fini par croire qu’ils se connaissent. Elle n’est plus sûre de rien quand elle est en gueule de bois.

L’homme à l’écran confirme ce qui a été annoncé la veille : les températures atteindront le pic de la saison : il devrait faire entre 37 et 47 degrés sur le territoire du Nevada, mais les températures ressenties devraient être bien plus chaudes. Les autorités appellent les citoyens à rester chez eux autant que possible, à beaucoup s’hydrater, et à prendre soin de leurs proches les plus âgés. Dans la ville de Reno, les températures devraient avoisiner les 39 degrés en fin d’après-midi.

Quelle horreur, songe Maddie. 39 degrés. Comme s’il ne faisait déjà pas assez chaud comme ça.

Elle avale les dernières gorgées de café, et consulte de nouveau l’horloge dont le tic-tac n’a pas failli une seule fois au cours des dix dernières années. Il est dix heures moins dix. L’heure de se mettre en route.

Elle dépose sa tasse dans l’évier – elle fera la vaisselle ce soir –, enfile ses sneakers autrefois blancs, mais désormais légèrement jaunis par le désert, et quitte le petit appartement. À l’instant même où elle sort, elle est happée par la chaleur. Elle est habituée aux fortes températures, mais il lui semble que jamais il n’a fait si chaud à l’heure de prendre son service.

À nouveau, elle repense à ce qu’a dit le présentateur météo. 39 degrés à Reno. 47 à Las Vegas. Pas loin des records de températures jamais enregistrés.

Cette journée va être un enfer, songe-t-elle alors qu’elle descend le petit escalier de béton qui donne sur le parking.

Elle saisit la clé de la vieille Ford Escape blanche garée juste devant son escalier et passe derrière le volant. Sur le capot, le logo de l’entreprise de Jeff est à peine visible sous l’épaisse couche de poussière du désert. L’autocollant qui indique habituellement J.J. Nevadians Cabs ressemble désormais à une fresque d’art abstrait. Dans l’habitacle, la chaleur est tout aussi intense que dans l’appartement, et elle remercie le ciel de ne pas avoir acheté une voiture noire. La chaleur est toujours mille fois plus forte dans les voitures noires.

Elle regarde son reflet dans le miroir du pare-soleil, et commence à s’attacher les cheveux comme elle le fait tous les matins avant de partir. De sa chevelure blonde et tombante, elle fait un chignon, ce qui fait à nouveau respirer la peau de sa nuque. Elle passe ses doigts sur l’arrière de son cou, et constate qu’elle est déjà moite.

Cette chaleur… Quelle horreur !

Certains petits cheveux fous collent encore à sa peau pâle et humide ici et là.

Dans le ciel, le soleil brille de mille feux. Il n’y a pas un seul nuage à l’horizon et le ciel est d’un bleu limpide.

Elle met le contact, allume sa petite radio portable au cas où Jeff tenterait de la contacter, mais ne démarre pas tout de suite. Un instant, son regard se fixe sur le bâtiment en face d’elle. Ses yeux sont encore légèrement injectés de sang.

Ce qu’elle fixe la rend lasse. Le crépi du mur de l’immeuble commence à tomber. Les plantes en contrebas, autrefois verdoyantes, sont aujourd’hui ternes et ont commencé à prendre une teinte marron. Les poubelles de la résidence, sur sa droite, sont éventrées, laissant leur contenu rôtir aux yeux du monde entier. L’odeur y est probablement nauséabonde, amplifiée par la chaleur du désert. Quelques mouches volent tout autour, pullulant dans la décomposition morbide des restes plastiques et organiques. Garée à sa gauche, une carcasse de voiture brûlée depuis longtemps déjà. Personne ne l’a fait enlever. À cet instant, Maddie n’est plus sûre de savoir ce qui a causé l’incendie du véhicule : l’Homme ou bien la chaleur. Comme si cela avait de toute façon une importance quelconque. Tout autour d’elle lui rappelle le souffle chaud du désert, la pauvreté, et la mort.

Elle ressent, tout à coup, une douleur vive dans l’épaule droite, qui la tire de ses pensées lugubres. Elle se masse quelques secondes le muscle endolori, puis oublie la blessure. Ce n’est rien d’important.

Finalement, elle se décide à sortir du parking. Dès qu’elle est sur la voie publique, elle allume le dispositif lumineux sur le toit du véhicule pour indiquer qu’elle est en service, prête à accepter une course. De là, il ne reste plus qu’à attendre de croiser quelqu’un, ou de recevoir un appel de Jeff.

Maddie conduit habituellement dans la région du Bassin central, c’est-à-dire dans la région entre les trois lacs situés à l’ouest du Nevada, à la limite de la frontière californienne : le Pyramid Lake, le lac Tahoe, et le lac Walker. Elle travaille habituellement entre les villes de Reno et de Carson City, mais il lui arrive parfois d’aller jusqu’à Fernley. Un jour, Jeff l’a même envoyée jusqu’à Fallon, et elle a cru qu’elle allait le traiter de connard ce jour-là. Conduire loin n’est pas vraiment le souci pour elle ; le souci est plutôt de rouler à vide sur le chemin du retour : dans ces cas-là, les frais d’essence sont pour sa gueule. En fait, la plupart des frais sont toujours pour sa poire. Jeff n’est bon qu’à prendre son énorme commission sur chacune des courses de Maddie. Foutu capitalisme.

Penser à Fallon lui fait de nouveau penser à la petite Laurie portée disparue et aux huit autres gamins qui ont été enlevés au cours des onze derniers mois. Et penser aux enfants disparus lui fait ensuite inévitablement penser à Billie. Elle voit son petit visage blond d’ange dans son esprit, mais elle fait de son mieux pour chasser l’image.

Quelque chose en elle se déchire et elle sent cette douleur sourde qui part de son cœur et s’étend silencieusement jusque dans ses tripes.

Ce n’est pas le moment de penser à sa fille. Sinon, elle va se mettre à pleurer.

Elle observe son reflet dans le rétroviseur et constate que ses yeux sombres sont bordés de cernes. Elle n’a pas beaucoup dormi la nuit dernière. En fait, ça fait cinq ans qu’elle ne dort plus beaucoup. Ses nuits sont habituellement envahies de cauchemars où un monstre vient lui enlever sa petite Billie chérie. Et dans ses cauchemars, le monstre a un nom qui lui retourne l’estomac : cancer.

Elle se reconcentre sur la route, et voit qu’un homme lui fait des signes de la main depuis déjà dix bonnes secondes. Elle vérifie dans son rétroviseur, met son clignotant puis change de file. Une fois garée sur le bas-côté, elle met ses feux de détresse et déverrouille les portes du véhicule.

L’homme qui rentre doit avoir dans les quarante ans. Il porte un bermuda et un t-shirt gris sur lequel elle peut lire « Make America Great Again ».

Encore un connard de Trumpiste. Mais elle ne dit rien. Ce n’est pas son boulot de juger. Elle n’est là que pour les emmener d’un point A à un point B, ni plus, ni moins.

Chaque fois qu’elle a un nouveau client, elle joue à un jeu. Elle essaye de deviner où la personne demandera à se rendre. Si à la fin de la journée elle possède plus de victoires que de défaites, elle s’autorise à boire une bière. Généralement, elle boit dans tous les cas.

Il va me demander de le déposer devant un Casino, se dit Maddie, observant l’homme dans son rétroviseur.

« Je dois me rendre à Carson City », dit finalement l’inconnu.

Perdu.

Elle enlève ses feux de détresse, remet son clignotant, puis se réengage sur la voie principale.

Le tableau de bord du véhicule indique qu’il fait déjà presque 30 degrés alors qu’il n’est même pas encore dix heures trente.

Comme la chaleur dans l’habitacle devient vite insupportable, Maddie se décide enfin à allumer la clim. Elle fait toujours de son mieux pour repousser au maximum l’utilisation de l’air conditionné, qui consomme beaucoup trop à son goût. Mais cette fois, elle ne peut pas tenir plus longtemps.

Dans le rétroviseur, elle peut voir que l’homme assis sur la banquette arrière est complètement rougeot ; il suinte.

Elle a toujours trouvé cela étrange de voir que même les locaux habitués à la chaleur ont du mal à supporter les hautes températures. Et de nouveau, elle pense à ce qu’a annoncé le présentateur météo : 39 degrés sont attendus cet après-midi à Reno. Cette fois, le tableau de bord grimpe à 31 degrés. Et immédiatement, elle comprend qu’il fera peut-être encore plus chaud que ce qui a été annoncé. Elle connaît le climat du Nevada par cœur, désormais.

Alors, elle augmente encore un peu plus la puissance de la climatisation. Elle sent que la voiture tire un petit peu, mais elle n’y fait pas attention. Elle ne fait pas non plus attention au ronflement qui provient de sous le capot.

La seule chose à laquelle elle pense désormais, c’est la chaleur. Et plus elle y pense, plus elle a chaud.

Elle repense aux mouches volant autour des poubelles de son immeuble. Ces mouches se complaisant dans la chaleur, la moiteur et la puanteur. Elle pense au désert, et aux insectes qui se nourrissent de la mort, puisque la vie se nourrit de la mort.

Quelqu’un viendra-t-il vider les poubelles et nous débarrasser de ces bestioles qui rôdent comme la Mort ?

Mais la question n’a pas vraiment d’importance. Elle sait très bien qu’avec ou sans déchets, les mouches resteront là pour toujours. Car c’est ce que font toujours les mouches. Impossible de s’en débarrasser.

Elle ne saurait dire si c’est la sueur ou bien ses pensées macabres, mais elle a la sensation que sa peau la gratte. Non, sa peau la démange. Comme si un million de petits insectes parcouraient son corps afin de la consommer.

C’est dans ta tête, Maddie !

Et tandis qu’elle continue d’imaginer les insectes du désert se nourrissant de sa chair, dans le ciel le soleil continue de chauffer le désert comme pour le faire cuire à point.

 

 

 

 

 

2

 

 

 

À midi moins le quart, elle est de retour à Reno. Si sa première course l’a amenée jusqu’à Carson City, la seconde l’a ramenée jusqu’à son point de départ. La beauté des coïncidences.

Alors qu’elle pénètre dans la ville, elle lit pour la dix millième fois de son existence le panneau de bienvenue :

RENO – The biggest little city in the world1.

Elle dépose son passager au niveau de l’Université du Nevada. L’homme a des allures d’intellectuel, et elle ne serait pas étonnée d’apprendre qu’il enseigne ici.

Généralement, Maddie ne parle pas à ses passagers, à moins que ce ne soit eux qui engagent la conversation. Elle ne voudrait surtout pas les importuner. Et surtout, elle ne veut pas qu’on lui pose des questions sur sa vie personnelle. Elle n’aime pas trop parler de ces sujets-là.

Une fois que le passager a réglé sa course et quitté le véhicule, elle rallume le voyant lumineux et reprend la direction du centre-ville. Elle sait que c’est là-bas qu’elle a le plus de chance de se faire héler par un passant.

À midi et demi, il fait déjà 33 degrés. Petit à petit, les gens commencent à éviter de sortir, ou bien font de leur mieux pour rester à l’ombre. Comme si le soleil allait leur brûler la peau. Comme si les Hommes s’étaient tout à coup transformés en vampires.

Comme elle n’a toujours aucun passager, elle décide de couper la climatisation pour laisser le moteur refroidir. En deux minutes seulement, l’air sec devient insupportable et la force à rallumer l’air conditionné.

Tant pis.

À midi dix, elle décide d’allumer le poste de radio pour faire passer le temps. Elle arrive pile pendant le bulletin météo. La voix – celle d’une femme – annonce qu’il ne fera non pas 39, mais bien 41 degrés cet après-midi. Les températures pourraient atteindre 50 degrés dans le sud de l’État.

« Nous pouvons affirmer qu’il s’agira d’ores et déjà du jour le plus chaud de l’année, reprend la journaliste. Le record de température de 2007, avec son pic à 52 degrés, ne devrait cependant pas être égalé, mais il pourrait bien s’agir là de l’un des jours les plus chauds de l’Histoire. »

Le jour le plus chaud de l’Histoire, se répète mentalement Maddie, à moitié amusée.

Bien sûr, elle n’était pas là en 2007. À cette époque-là, elle vivait encore dans l’Ohio aux côtés de Brian. Un bref instant, elle se demande quelles sont les températures maximales de son État natal en plein été.

34 degrés ? 35 degrés ?

Bien loin des 41 annoncés pour la journée.

Là, elle se demande si elle sera capable de tenir jusqu’à la fin de la journée sans tomber dans les pommes. Elle pense que oui, mais plus la journée avance, et plus elle se demande quand s’arrêtera de grimper le thermomètre. Alors, pour se donner du courage, elle boit à nouveau deux longues gorgées dans sa bouteille dont l’eau est désormais tiède. Il est à peine midi et demi, et sa bouteille est déjà presque vide. Elle sait qu’elle ne tiendra pas le reste de la journée avec le fond d’eau restant. Tôt ou tard, il lui faudra s’arrêter quelque part pour en racheter une. Habituellement, elle évite de trop boire, car qui dit beaucoup d’eau avalée, dit beaucoup d’eau à uriner. Et elle ne peut pas vraiment se permettre de prendre des pauses-pipi toutes les heures. Mais elle sait qu’aujourd’hui ne sera pas une journée comme les autres.