Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Des meurtres sanglants plongent une ville dans l’effroi et la consternation. Le commissaire en charge de l’enquête est confronté à un tueur en série, atypique par ses méthodes et son intelligence. Aidé de son équipe, l’enquêteur devra résoudre différentes énigmes afin de stopper ce psychopathe organisé, dénué d’empathie et extrêmement inventif, mais tout ne se passera pas comme prévu…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Lecteur assidu, Lionel Argenson aime tout autant les thrillers que les œuvres plus anciennes comme celles de Conan Doyle, Mary Shelley ou Edgar Poe. Inspiré par ses lectures, il signe, avec ce polar, son premier roman.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 297
Veröffentlichungsjahr: 2023
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Lionel Argenson
Le jour où j’ai tué M. Marron
Roman
© Lys Bleu Éditions – Lionel Argenson
ISBN : 979-10-422-0498-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
« Il en faut peu pour être heureux, vraiment très peu pour être heureux, disait une chanson dans un célèbre dessin animé. Il faut se satisfaire du nécessaire… »
Mais pourquoi se contenter du nécessaire, de peu, alors que nous est donnée la possibilité de nous élever, de sublimer une création et de l’emmener au paroxysme de la beauté, au summum de l’art ?
D’aller dans un lieu mystique, spirituel, situé entre l’originalité de l’œuvre elle-même, déroutante, gênante, presque effrayante et l’aura puissante qu’elle dégage une fois achevée et exposée enfin aux regards de tous. Une œuvre pouvant être choquante, certes, mais tout autant fascinante et dont la singularité ne laisserait personne indifférent ?
Pourquoi se contenter d’un ersatz d’audace, se limitant aux banalités maintes fois répétées par le passé, alors que l’on a le pouvoir d’inscrire son nom dans la mémoire collective pour l’éternité et devenir en quelque sorte… immortel ?
Pourquoi se contenter d’être un homme fondu dans cette masse de gens robotisés qui peuplent nos villes, en restant invisibles, sans reconnaissance et sans réelle identité, piégés dans cette société créatrice de moutons abrutis par quelques puissances virtuelles aux slogans lobotomisant, alors que l’on peut s’élever et devenir un symbole, un guide réel, reconnu de tous ?
N’est-il pas légitime de vouloir exploiter un talent, un don, pour prendre l’ordinaire à bras le corps et l’emmener vers l’extraordinaire ?
N’est-il pas naturel de vouloir laisser une trace indélébile de notre passage sur terre ?
Et si l’on a la chance d’avoir des facultés, des prédispositions, du talent, n’est-il pas tout simplement obligatoire de les mettre au service des autres ?
Vous voyez, commissaire, je ne fais que répéter un concept vieux comme le monde. Mais je ne suis pas l’un de ces assassins sans relief qui croupissent dans les cellules surpeuplées de vos prisons. Je n’éprouve aucun plaisir particulier à tuer ces pauvres gens. Ce qui m’intéresse, qui me passionne, c’est de transformer ces actes délictueux, souvent violents et sanglants, je dois l’admettre, en une œuvre d’art unique, une œuvre personnelle et identitaire, mon œuvre.
J’ai l’intention de transformer le meurtre classique, banal, sans envergure commis depuis des lustres par des malades ignorants, sans classe ni élégance, en sculptures, en toiles de maître, dignes d’être exposées dans les plus grands musées du monde. Michel-Ange, dont le talent fascine encore et toujours aujourd’hui, choisissait un bloc de marbre brut, sans réelle particularité aux yeux des profanes qui ne voyaient là qu’une roche sans attrait et le travaillait jusqu’à obtenir une merveille parfaite, capable d’éblouir et d’émouvoir, de transcender les gens de son époque, tout comme, à travers les siècles, ceux qui ont eu la chance d’admirer son œuvre.
Mais ce talent hors normes peut laisser, vous en conviendrez, un léger doute à l’esprit : cet homme était-il un humain ou était-il un ange dont Dieu lui-même guidait les mains pendant son travail de création ?
Et que dire de ces Maîtres qui ont jalonné l’histoire en nous laissant des œuvres immortelles dont nous nous délectons toujours aujourd’hui dans quelques galeries de musées célèbres ?
De Vinci nous a prouvé que le talent n’a pas de limite et que nous devons le mettre au service des moins chanceux qui pourront ainsi s’échapper quelques instants de leur immuable routine en laissant leur esprit voyager dans un nouveau monde, imaginaire, créé par l’auteur lui-même et dont il est le seul à connaître les composants.
Je n’ai bien sûr aucunement l’intention de me comparer à ces dieux de l’art qui resteront à jamais présents dans nos livres d’histoire, mais dans ma discipline, plutôt novatrice et singulière, je pense être un talentueux, voire, sans fausse modestie, un virtuose. Certes, il me faudra malheureusement d’autres corps et donc d’autres cadavres pour poursuivre et achever mon œuvre et je suis pleinement conscient que vous ne me laisserez pas travailler en paix. Mais songez, commissaire, à ces milliers de gens morts dans l’anonymat pour permettre aux pyramides d’Égypte de sortir de terre ; ou bien pour édifier le Colisée de Rome ou encore la grande muraille de Chine et bien d’autres créations au fil du temps dont la liste serait bien trop longue à énumérer. Il est naturel de trouver odieux, voire scandaleux, que ces humains aient été sacrifiés pour que de tels projets puissent aboutir. Pourtant, ne sommes-nous pas des millions à admirer ces éblouissantes réalisations aujourd’hui ? Nous avons oublié l’horreur de ces siècles d’esclavage et de morts emplis de souffrance, pour ne conserver que la beauté des œuvres achevées. Qui de nos jours se soucie encore de ces travailleurs forcés qui ont donné leur vie pour la réalisation de ces merveilles ? Seul le résultat compte au final, nous en sommes tous conscients et je vais avoir besoin de quelques sacrifiés supplémentaires pour achever mon dessein. Aussi, même si je ne m’attends pas à une résilience favorable de votre part, je me permets de vous demander de comprendre mon but, mon projet ultime et de me laisser travailler tranquillement jusqu’à la finition complète de mon œuvre. Je n’ai que peu de temps et je n’ai vraiment aucune envie de le perdre à jouer au chat et à la souris avec vous.
Tout sera bientôt terminé, dévoilé, au grand jour et mon art deviendra sans conteste une référence, un exemple, un chemin suivi, je l’espère, par bien d’autres.
Je serai enfin reconnu comme un Maître dans ce style novateur et mon nom traversera les siècles comme l’ont fait avant moi ceux de mes illustres et géniaux prédécesseurs, si révolutionnaires… à leur manière.
Ne vous arrêtez pas aux simples crimes, commissaire, voyez plus loin, plus grand, plus beau.
Les quelques sacrifiés d’aujourd’hui seront vite oubliés, nous le savons tous les deux, mais mon œuvre elle, croyez-moi, deviendra éternelle…
L.
Dans son bureau au commissariat de Montpellier Est, Douglas Brown relisait pour la énième fois la missive laissée sur les restes du corps de la jeune Lucie Verant, retrouvés sommairement cachés dans l’une des bennes à ordures d’un vieil immeuble du Nord de la ville.
Lucie était la troisième victime de celui que les médias appelaient désormais « le dépeceur » tant les corps, ou plus précisément ce qu’il en restait, étaient mutilés et disloqués.
Cette lettre, sur laquelle aucune trace ou empreinte n’avait été retrouvée, lui était adressée directement et le commissaire, pourtant bien expérimenté, sentait monter en lui une frustration indescriptible, une sorte d’attaque personnelle, les visant lui et son équipe, qui le contrariait de plus en plus. Aucun indice n’avait été découvert sur les premiers cadavres. Aucun témoin, aucun début de piste, rien.
Pourtant l’assassin semblait lui demander de le laisser tranquille, comme si sans le savoir il s’était rapproché de la vérité, au point de gêner cet abominable individu dans l’accomplissement de son projet.
L’agent Stéphanie Cornet entra et lui tendit les comptes-rendus de l’autopsie de la dernière victime que venait de terminer Jérôme Diaz, le responsable de l’unité médico-légale de la ville.
— C’est complètement fou ! lança Stéphanie en remettant le dossier à son supérieur.
— Il manque quoi cette fois-ci ? questionna le commissaire en soupirant.
— D’après Jérôme, les deux mains, les deux radius, la mâchoire inférieure et la totalité des orteils. Il semblerait également que la colonne vertébrale ait été réduite, annonça l’agent Cornet bouleversée.
— Réduite ? Comment ça ? demanda le commissaire surpris.
— Le meurtrier a enlevé le bloc complet des 5 vertèbres lombaires en le découpant en haut juste en dessous les vertèbres dorsales et en bas juste au-dessus du sacrum !
— Tu es en train de me dire que ce malade a scié et emporté un morceau de la colonne vertébrale de cette jeune femme ?
— Oui, Doug, répondit la policière au bord des larmes.
— Appelle Jérôme au labo et demande-lui de venir au plus vite. J’ai besoin d’avoir son avis sur cette pratique et sur sa réalisation. Je vais ajouter les parties de corps prélevées sur cette fille à la liste de celles dérobées sur les deux premières victimes, peut-être comprendrons-nous mieux ce que ce taré a dans la tête et ce qu’il compte faire.
— J’appelle Jérôme immédiatement, lâcha l’agent Cornet en sortant du bureau.
Souvent dans sa carrière, le commissaire Brown avait été confronté à l’horreur et à la folie humaine. À tout juste quarante-huit ans, il avait déjà à son palmarès professionnel nombre d’arrestations dont certaines, tristement célèbres, avaient fait la une des journaux. Mais cette fois-ci quelque chose était différent, plus réfléchi, presque… spirituel.
Jamais il n’avait vu pareilles mutilations sur des victimes de meurtre, mais en même temps il ne pouvait s’empêcher de penser que la précision avec laquelle ce tueur prélevait des parties bien précises sur chaque corps et la minutie dont il faisait preuve pour ne pas les endommager, le rendait presque talentueux, presque… admirable. En tous cas, il savait ce qu’il voulait, ce qui laissait penser que tout était préparé, prévu, calculé.
Il était sans nul doute extrêmement intelligent, et habile.
Chacune des trois victimes s’était vue retirer plusieurs éléments de son corps, essentiellement des os ou des dents. Les cadavres plus ou moins décharnés avaient à chaque fois été abandonnés sans ménagement, sans respect, un peu comme on jetterait un simple et inutile emballage après avoir récupéré ce qu’il contenait, ce qui était vraiment important et qui représentait l’essentiel du colis. Le carton, lui, finalement, ne sert qu’au transport et Douglas était persuadé que pour cet assassin, l’enveloppe charnelle de ces jeunes femmes n’était rien d’autre que l’emballage de biens autrement plus précieux. L’attention et la précision dont il faisait preuve pour opérer contrastaient fortement avec le sort qu’il réservait aux restes inutiles de ses victimes.
Tout ce qu’il réalisait était calculé, maîtrisé et accompli avec un évident discernement, sans précipitation. Il n’était pas l’un de ces tueurs sanguinaires et violents répondant à leurs plus bas instincts primitifs, sans réfléchir, n’obéissant qu’aux pulsions envoyées par leurs cerveaux malades, traquant leurs proies comme des bêtes et accomplissant leurs actes odieux sous l’emprise de quelques hormones incontrôlables.
Lui était différent.
D’ailleurs, les autopsies avaient révélé qu’aucune des trois jeunes femmes n’avait visiblement souffert…
Dans les trois cas, la mort avait été causée par une exsanguination totale après injection d’une forte dose de tranquillisant. En résumé, selon le légiste, il endormait rapidement ses victimes avant de les vider de leur sang jusqu’à ce que le cœur cesse de battre, entraînant ainsi une mort plutôt douce, sans panique ni douleur. Il ne cherchait pas à créer de la détresse dans les yeux de ses proies ni de la soumission. Il ne souhaitait manifestement pas non plus leur infliger quelques sévices ou tortures en vengeance d’un passé troublé qu’il aurait pu connaître. Non.
Il voulait juste des morceaux de corps.
La mise à mort de ses victimes n’était qu’un dommage collatéral indispensable, mais en aucun cas le but de ses agissements. Aucune demande de rançon, aucune mise en scène macabre autour des cadavres, aucun signe de torture ante-mortem, rien. Juste des opérations quasi chirurgicales effectuées sur des jeunes filles qu’il avait pris soin de tuer en douceur, comme pour leur épargner d’inutiles souffrances.
Dans la lettre laissée sur le dernier cadavre et adressée directement au commissaire, l’assassin parlait de son chef d’œuvre, de la beauté de sa création et de son entrée dans le cercle très fermé des immortels de l’art, celui des hommes d’exception.
— C’est un créateur, une sorte d’artiste, pensa Douglas en ajoutant à sa liste de bouts de corps dérobés sur les premières victimes ceux de Lucie. Il est en train de créer une œuvre et ces morceaux d’humains sont en quelque sorte sa matière première, comme le marbre, le bronze ou la peinture. Mais comment savoir ce qu’il prévoit de réaliser ?
Et dans quel lieu ?
Combien de personnes devra-t-il encore tuer pour finir son travail ?
Et surtout, comment le stopper dans cette course macabre ?
Doug attrapa le dossier de la première victime et recommença à le lire, cherchant des indices, des pistes, qui seraient passés inaperçus au premier abord.
Elle s’appelait Jessica Nory. Elle venait d’avoir dix-neuf ans et elle était étudiante à la faculté de médecine de Montpellier. Elle vivait chez ses parents dans une petite maison située dans la banlieue est et elle n’avait pas de petit ami connu.
« Pourquoi elle ? s’interrogea le commissaire. L’as-tu attaqué par hasard ? Avait-elle quelque chose de particulier ? La connaissais-tu ? Comment as-tu réussi à l’enlever sans que personne ne s’aperçoive de rien ? Pourquoi elle, bon sang ? … »
Dix-huit mars
Comme tous les vendredis soir, Jessica quitta le campus de la FAC, où elle étudiait depuis maintenant deux années, pour rejoindre sa petite bande d’amis qui l’attendait au café du centre commercial situé à quelques encablures de la prestigieuse école. C’était leur rituel, leur façon à eux de marquer la fin de la semaine et de se détendre un peu avant le retour à la maison. Jessica ambitionnait de devenir chirurgienne, sans doute en orthopédie ou en neurologie, elle ne savait pas encore et le chemin qu’elle avait choisi de suivre serait sans le moindre doute long et difficile, mais elle était plutôt bonne élève et son ambition était fortement aidée par une motivation sans faille et une volonté qui impressionnaient autant ses amis que ses professeurs.
Et elle était belle, très belle.
Elle affichait une silhouette fine et élancée, de longues jambes parfaitement galbées et une sublime chevelure rousse qu’elle coiffait en chignon quand elle était en cours mais qui, une fois libérée, flirtait délicatement avec le bas de son dos.
Ce soir-là, l’air était agréable. L’hiver qui se terminait n’avait pas été particulièrement froid et déjà la douceur des températures annonçait l’arrivée prochaine du printemps et du réveil de la nature.
Tous les membres de sa bande étaient là, assis autour d’une large table ronde devenue au fil du temps « leur table ».
Le petit groupe était composé de trois garçons et de quatre filles, dont Jessica. Tous étaient dans le même cursus scolaire et ils se suivaient depuis leur première année d’étude. Comme à chaque fois, Daniel avait raconté quelques blagues plus ou moins salaces qui avaient fait rire l’ensemble de la petite tablée. Suzanne avait pris d’innombrables photos qu’elle rajouterait le soir même à son album « les amis de la FAC » sur ses réseaux sociaux, tandis que Florence avait réajusté son maquillage pour la énième fois en mirant son reflet dans le grand miroir accroché au mur derrière elle.
Jessica était heureuse avec eux.
Ils étaient sa tribu, son cercle privé, ses vrais amis.
Aux alentours de 18 heures, après deux tournées de chocolat chaud, Dylan avait proposé de raccompagner ceux qui le souhaitaient dans sa voiture. Seul Daniel avait accepté l’offre et ils étaient partis tous deux en saluant le reste de la petite assemblée à travers la baie vitrée du café. Un peu plus tard, les filles avaient quitté l’établissement à leur tour et s’étaient dirigées vers la station de tramway, ravies de pouvoir profiter de ces deux jours de repos à venir.
Toutes, sauf une.
Ennuyée d’avoir laissé un important classeur de cours dans son casier, Jessica était repartie vers l’établissement scolaire en courant et en promettant à ses copines de les appeler durant le week-end.
Florence regarda son amie s’éloigner à vive allure sur le trottoir bordé de grands platanes sans se douter un instant que c’était la dernière fois qu’elle la voyait vivante.
Le cadavre de la jeune femme fut découvert deux jours plus tard dans un fossé sur la route de la mer entre les villes de Lunel et de la Grande-Motte.
Il avait été abandonné là, sans ménagement, sans fioritures, sans aucune considération.
Un couple de cyclistes qui profitait de ce magnifique dimanche de printemps pour faire une balade sportive avait découvert le corps en remarquant un étrange attroupement d’oiseaux.
« Sans doute des corneilles » ! avait commenté monsieur, se disputant sûrement quelques nourritures providentielles.
Par curiosité, ils s’étaient approchés, pensant trouver là la carcasse en putréfaction d’un quelconque animal, mais en découvrant l’objet de convoitise des volatiles, ils n’avaient pas pu se retenir de hurler. L’homme avait dû faire preuve d’efforts surhumains pour ne pas rendre son petit déjeuner, alors que la dame, plus sensible, avait vomi l’intégralité des œufs bio, de la banane et du jus de grenade qu’elle avait avalés une heure avant.
L’autopsie avait révélé que l’assassin avait sectionné proprement le bras gauche, à hauteur de l’articulation de l’épaule, le bas de la jambe droite, au niveau du genou ainsi que la totalité des côtes du côté droit.
Le docteur Diaz avait stipulé dans ses conclusions d’analyses :
– Chaque coupe a été réalisée avec une grande précision et une grande maîtrise ;
– L’outil utilisé devait certainement être du genre scie chirurgicale de précision, circulaire ou à oscillation, ce qui laisse à penser que le meurtrier possède de sérieuses connaissances médicales et de parfaites techniques d’opération ;
– Les parties découpées n’ont pas été retrouvées ;
– Tous les organes internes sont présents et entiers ;
– Le corps ne contient pratiquement plus de sang ;
– Aucun signe d’hématomes sur la main restante ou sur l’avant-bras, il semblerait que la victime ne se soit pas défendue.
Brown attrapa une feuille blanche du stock de sa photocopieuse et dessina à main levée les parties du corps de Jessica que l’assassin avait sans doute emportées. Un bras gauche entier, la moitié inférieure d’une jambe droite et les douze côtes situées sur la droite de la cage thoracique.
Le commissaire observa son croquis quelques instants et repensa aux photos prises sur les lieux par ses collègues. Il se souvint du cliché montrant le visage de la jeune femme. Malgré l’état de dégradation de son corps, elle semblait arborer une expression de sérénité, d’apaisement. Sa magnifique chevelure rousse répartie anarchiquement autour de sa tête et ses jolis yeux verts encore ouverts donnaient réellement l’impression qu’elle était en train de profiter d’un simple et agréable moment de quiétude. Comme si, étendue dans l’herbe, elle regardait tranquillement passer les nuages dans ce beau ciel de printemps, en étant totalement calme et détendue, alors que le reste de son corps n’était que plaies ouvertes, déchirures et lambeaux de chair en décomposition.
« Comment peut-on faire cela à une si jolie jeune femme ? » lâcha Douglas tout seul en serrant le poing.
La porte du bureau s’entrouvrit et sans entrer, l’agent Cornet annonça au commissaire que Jérôme Diaz viendrait en fin d’après-midi.
— Entre ! lança Douglas à l’intention de sa collègue. Tu vas m’aider à décortiquer ces dossiers. Nous irons plus vite à deux et j’aurais bien besoin d’un regard extérieur. J’avoue que cette enquête est vraiment atypique et toutes les suggestions seront les bienvenues.
— OK, chef, répondit Stéphanie en s’avançant. Dis-moi ce que tu veux que je fasse.
— J’ai commencé ce dessin, dit-il en tendant son croquis. L’idée est de réunir toutes les parties de corps que le tueur a enlevées à chacune de ses victimes et de voir si cela nous apporte quelque chose.
— Tu penses que l’assassin pourrait s’amuser à créer un corps avec des éléments provenant de plusieurs personnes différentes ? Une sorte de patchwork humain ? Comme cet horrible Frankenstein ?
— Attention, Stéph, Frankenstein n’est pas le monstre ! Frankenstein est le docteur qui a créé la créature, pas la créature elle-même ! corrigea Douglas en souriant. Beaucoup de gens font l’erreur et je pense que la pauvre Mary Shelley doit se retourner dans sa tombe en entendant de pareilles bêtises !
— Mary qui ? questionna la jeune policière.
— Laisse tomber ! répondit Doug, un peu dépité, et reprenons les dossiers, s’il te plaît.
— La deuxième victime s’appelle Samira Larian, enchaîna Stéphanie. Elle avait vingt et un ans et travaillait comme vendeuse dans une boutique de prêt-à-porter située au troisième étage du centre commercial « le polygone ». Elle habitait un petit appartement du centre-ville qu’elle partageait avec une autre jeune femme. Son cadavre a été découvert à la lisière d’un champ de pommiers entre Montpellier et Mauguio.
— Redis-moi quelles parties de son corps ont été prélevées, demanda le commissaire en préparant son crayon.
— Alors, d’après le légiste il manquait le bras droit entier, la jambe gauche entière et plusieurs côtes à gauche également, six pour être exacte, énonça la policière.
— D’accord, dit Doug en dessinant sommairement les nouveaux éléments. Prends le dossier de la dernière victime et fais pareil.
— Donc elle s’appelle Lucie Verant, elle avait vingt-deux ans et elle travaillait comme conseillère dans le rayon animalerie du magasin Truffaut de la zone commerciale de Mauguio. Elle venait tout juste d’obtenir son diplôme et c’était son premier job. Son cadavre a été retrouvé dans une benne à ordures en bas d’un immeuble des quartiers nord. C’est un agent d’entretien qui l’a découverte en nettoyant le local poubelle. Putain, c’est dégueulasse ! lâcha Stéphanie en colère. Il l’a balancée comme un vulgaire sac de détritus dans un container puant au fond d’un local à moitié pourri ! Ça me révolte !
— Nous savons qu’il n’a aucune considération pour les restes de ses victimes, ajouta Douglas. Il prend ce qui l’intéresse et ensuite il jette leur corps comme il le ferait d’un simple emballage.
— Il est complètement cinglé ! cria l’agent Cornet remontée.
— C’est évident, acquiesça le commissaire, mais son mode opératoire est vraiment intrigant.
— Intrigant ? répéta Stéphanie, surprise par cette définition.
— Oui.
— Je ne comprends pas, avoua la policière. Il enlève de jeunes femmes, prélève des parties de leur corps et balance les restes comme des merdes où bon lui semble ! Je ne vois pas ce qu’il y a d’intrigant !
— La méthodologie ! expliqua Doug. Pourquoi se donner autant de mal pour leur éviter d’inutiles souffrances quand il les tue si c’est pour abandonner ensuite leurs cadavres avec si peu de considération ?
Il pourrait sans peine les assassiner de façon violente, en leur tranchant la gorge ou en les étranglant, mais non, d’après ce que nous savons, il les endort gentiment et il provoque un arrêt cardiaque durant leur sommeil ! Pourquoi autant de compassion et d’attention au départ si c’est pour ensuite les considérer comme des résidus inutiles ?
— Oui, c’est vrai que ce n’est pas très logique, avoua Stéphanie.
— De plus, nous savons aussi qu’aucune d’entre elles n’a subi de violences sexuelles ou de tortures ante-mortem, ce qui laisse à penser qu’il ne les voit pas comme des proies ou comme des figures lui rappelant d’anciennes psychoses, comme c’est souvent le cas chez les criminels ayant subi des maltraitances parentales ou un quelconque abandon. La plupart des tueurs en série suivent des pulsions qu’ils ne parviennent pas à contrôler.
Ils cherchent en général à faire souffrir leurs victimes, à les humilier ou bien encore à les dominer. Certains conservent même des souvenirs de leur méfait, une mèche de cheveux, une photographie, un vêtement, dans le but de pouvoir revivre mentalement ce moment où ils ont accompli leurs actes odieux. Souvent, quand ils sont arrêtés, ils expliquent leur geste par des phrases du genre : « je ne sais pas ce qui m’a pris », « j’entendais des voix qui m’ordonnaient d’agir » ou bien encore « je n’ai pas pu me contrôler ».
Mais de mémoire, je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu parler d’un tueur en série qui mettrait tout en œuvre pour que ses victimes ne souffrent ni physiquement ni psychologiquement pendant qu’il les maintient prisonnières et qui surtout, une fois son travail achevé, finit par les considérer comme de simples déchets bons à être jetés aux ordures ! En général la victime est déshumanisée dans l’esprit d’un tueur. Il ne la voit pas comme une personne mais plutôt comme un objet. Le violeur ne considère pas la femme qu’il agresse comme un être vivant et sensible mais comme un simple objet de plaisir. Il en va souvent de même avec les tueurs en série. Leurs proies sont choisies parce qu’elles correspondent à certains critères qui déclenchent une réaction en eux. Il les voit comme des représentations d’autres choses, leur rappelant certainement un ancien traumatisme. Mais pas comme des êtres humains réels et vivants. Dans de nombreux cas, le meurtrier réalise l’horreur de son acte quand les pulsions s’estompent et qu’il retrouve un peu de self-contrôle. Certains vont même jusqu’à tenter de redonner une allure humaine à leurs victimes en les coiffant ou en réajustant leurs habits par exemple. On peut donc dire que le chemin classique est composé de trois phases distinctes et immuables :
1. Déshumanisation de la cible choisie ;
2. Passage à l’acte, souvent violent et douloureux pour la victime ;
3. Prise de conscience de l’acte et parfois apparition de remords chez le tueur.
Or, dans notre cas, le cheminement est totalement inversé !
— Ça y est, j’ai compris ! annonça soudain Stéphanie tout heureuse. Effectivement, c’est plutôt intrigant. Et tu as une idée de ce qu’il recherche réellement ?
— D’après la lettre qu’il nous a laissée, je dirais qu’il court après une certaine reconnaissance, une forme de célébrité, avança le commissaire en s’allumant une cigarette.
— La célébrité ? En dépeçant des femmes ? C’est n’importe quoi ! lança l’agent Cornet offusquée.
— Pas en dépeçant des femmes, corrigea Douglas, cela a malheureusement été déjà fait à maintes reprises par d’autres ; mais plutôt en créant quelque chose d’unique, une sorte d’œuvre originale.
— Une œuvre ? Mais comment ça ? interrogea Stéphanie un peu perdue.
— C’est ce qu’il nous faut découvrir si nous voulons réussir à l’arrêter, répondit Doug en avalant une large bouffée de fumée ».
Comme tous les mardis matin, Ludovic Loti, un employé du centre de thalassothérapie de la Grande Motte de 47 ans, faisait son jogging le long de la plage du grand travers située entre la célèbre station balnéaire et Carnon, la ville voisine. L’air était frais en ce début de printemps et visiblement peu de volontaires avaient eu le courage de venir courir sur ce parcours partagé entre la mer et sa vaste plage d’un côté et un bois de pins parasols de l’autre. Ses écouteurs enfoncés dans les oreilles, Ludovic courait à un bon rythme, recrachant des nuages de vapeur à chacune de ses expirations. Il aimait courir en profitant de ce calme que seules quelques pies turbulentes venaient perturber de leurs cris rauques. Il avait toujours plus ou moins été sportif durant sa vie et la cinquantaine qui approchait à grands pas ne le contrariait absolument pas. Non-fumeur et très regardant sur son alimentation, il arborait un physique sec et musclé que lui enviait bon nombre de ses copains plus jeunes de la salle de sport où il se rendait trois fois par semaine.
Le parcours changea soudain de décor, passant du sable frais de la plage au sous-bois sombre et à une terre sèche, couverte partiellement d’épines de pins que sa foulée écrasait en produisant un petit bruit sec.
Ludovic passa par-dessus un grand talus de terre sur lequel trônait une magnifique herbe de Pampa dont les plumeaux majestueux se balançaient au rythme de la brise matinale, quand il tomba soudain nez à nez avec un homme qui gémissait assis sur un rocher, les mains posées sur sa cheville gauche.
Sans réfléchir, il stoppa sa course et s’approcha de l’infortuné. L’homme semblait souffrir le martyre. Il se retenait de pleurer, certainement par pudeur ou par fierté, et Ludovic comprit immédiatement que sa blessure était sérieuse.
— Je peux vous aider, monsieur ? Vous vous êtes fait mal ?
— Oui, grommela l’homme en serrant les lèvres. J’ai dérapé sur une roche humide et je crois que je me suis brisé la cheville.
— Laissez-moi regarder, proposa Ludovic.
— Non ! Ça fait trop mal ! cria le blessé en éloignant soudainement sa jambe meurtrie. En plus, je crois bien que je saigne et que mon bas de survêtement s’est collé à la plaie ! C’est horrible ! J’ai tellement mal.
— Vous faisiez un footing vous aussi ? questionna Ludovic qui tentait d’engager une discussion pour orienter l’attention du pauvre homme sur autre chose que sur sa cheville brisée.
— Oui. J’aime bien venir courir ici, c’est calme et tellement beau en cette période, expliqua-t-il en se détendant un peu. Il faut en profiter avant l’arrivée des touristes !
— Vous êtes du coin ? demanda Ludovic en essayant de relever la victime.
— Oui. De Montpellier. D’ailleurs, ma voiture est juste à la lisière du bois à une cinquantaine de mètres, si vous pouviez m’aider à y retourner, je pourrais contacter mon épouse et attendre qu’elle vienne me chercher.
— Bien sûr. Appuyez-vous sur moi, je vais vous accompagner, vous serez effectivement mieux installé dans votre véhicule.
— Vous êtes vraiment sympa, balbutia l’homme en s’agrippant au cou de Ludovic.
— C’est naturel, il faut s’entraider. Et vous avez eu de la chance que je tombe sur vous, car je crois que nous sommes les deux seuls à avoir eu le courage de venir courir ce matin !
— C’est pour cette raison que je viens en semaine, ajouta l’individu en grimaçant de douleur. Hors saison estivale, c’est vraiment tranquille comme coin. Ah, nous approchons, je vois ma voiture, c’est l’utilitaire blanc garé juste-là.
— Vous ne voulez vraiment pas que j’appelle les secours ? interrogea Ludovic en arrivant devant l’auto.
— Non ce ne sera pas nécessaire, je vous remercie, j’ai mon portable et je vais appeler ma femme, ça ira. Par contre, si avant de partir vous pouviez m’aider à attraper mon sac à dos à l’arrière, j’ai de l’eau fraîche dedans et je crois que j’en ai bien besoin.
— Bien sûr, répondit Ludovic en s’engouffrant à quatre pattes dans l’immense coffre du véhicule.
Il ressemble à quoi votre sac ? Je dois avouer qu’il y a un sacré bazar dans votre fourgonnette ! C’est pour votre boulot tous ces outils ?
— C’est exactement ça, lança l’homme d’une voix grave et totalement différente en s’approchant de l’arrière de l’utilitaire. Étrangement, les pies avaient disparu, laissant la place à un silence inquiétant.
Lui ne boitait plus.
Ludovic sentit une petite douleur dans sa fesse gauche, un peu comme une piqûre d’abeille, mais en légèrement moins douloureux. Par réflexe, il tapa dessus et se mit à jurer.
— Putain de bestiole ! Je crois que je me suis fait piquer par quelque chose ! hurla-t-il en reculant.
— Ne vous inquiétez pas, dans quelques secondes tout sera terminé, annonça l’individu en rangeant une petite seringue hypodermique dans un étui de cuir noir.
— Mais… pourquoi ? Mon Dieu, j’ai la tête qui tourne… que m’avez-vous fait… Je ne peux plus bouger… je m’évanouis… mais qu’est-ce qu’il…
— Je vous ai juste endormi, répondit l’homme en refermant la double porte arrière du véhicule. Grâce à votre sacrifice, je vais pouvoir poursuivre mon œuvre. Merci pour votre aide, mon gars. Merci pour votre involontaire participation. Merci pour votre don si précieux…
Dans son bureau de Saint-Jean de Védas, Daniel Béranger relisait une dernière fois son article avant de le remettre au chef de la rédaction. Ce troisième corps retrouvé dans une benne à ordures allait faire exploser les ventes du journal et il le savait. Journaliste au Midi libre depuis bientôt dix ans, Daniel sentait quand une affaire allait passionner ses lecteurs. Les cadavres étrangement mutilés qui avaient été découverts aux alentours de Montpellier commençaient à sérieusement intéresser la population locale et chaque « une » du journal concernant le dépeceur avait pour effet immédiat une importante augmentation des tirages qui remplissait de joie Robert Ivans le nouveau rédacteur en chef de la célèbre maison d’édition.
— Il me faut votre article avant 17 heures ! lança Ivans en entrant dans le bureau sans frapper. Et essayez de me trouver des photos bon sang ! Une « une » sans une photo accrocheuse n’est pas une bonne « une », c’est bien compris ?
Daniel acquiesça d’un geste de la tête sans dire un mot. Il s’était habitué à la pression permanente que son nouveau chef mettait à toute l’équipe et il n’en avait cure. Pour lui, une bonne « une » devait avant tout contenir un titre attirant. Quelques mots simples mais suffisamment agressifs pour donner l’envie aux gens d’acheter le journal. Pour qu’ils aient hâte de connaître le contenu complet de l’article.
Les photos étaient souvent secondaires dans sa méthode de travail et de toute façon il n’en avait aucune de réellement spectaculaire pour illustrer une première page dédiée à son sujet.
— Je dois me rendre au poste de police pour tenter d’en savoir un peu plus, lâcha Daniel sans regarder son supérieur. Vous aurez mon article en milieu d’après-midi.
— Je compte sur vous, Daniel ! grommela Ivans en claquant la porte.
Le reporter attrapa sa veste et sortit à son tour du bureau. Il se dirigea vers le parking du personnel d’un pas rapide et entra dans son auto. Il réfléchit un moment, le regard dans le vide, puis alluma le contact et fila vers le commissariat du nord-est où il espérait obtenir quelques précieux renseignements sur cette sordide affaire.
Un énorme bouchon à la sortie de la voie express l’obligea à s’arrêter un moment et il en profita pour s’allumer un petit cigarillo.
Plusieurs véhicules de gendarmerie et de pompiers remontèrent la file de voitures en empruntant la bande d’urgence sur sa droite. Le vacarme des sirènes fut assourdissant au moment où le convoi passa à sa hauteur, puis il s’estompa rapidement quand les automobiles atteignirent la bretelle de sortie qui menait aux plages et aux stations balnéaires du littoral. Sans se poser de questions, Béranger passa la première et s’engouffra sur la voie d’urgence à son tour, dans le sillage des fourgons de police dont on ne voyait plus à présent que les lumières saccadées des gyrophares au loin. Quelques usagers râlèrent en le voyant passer. Certains klaxonnèrent de rage. Un autre lui adressa même un doigt d’honneur. Mais Daniel n’y prêta pas attention. Il remonta la ligne de voitures et emprunta la même sortie que les forces de l’ordre. La bretelle était fermée par plusieurs policiers à moto qui tentaient de contenir le flux d’automobiles tout en dégageant un accès pour leurs confrères pressés. En le voyant arriver, l’un d’eux souffla vigoureusement dans son sifflet et lui ordonna de se garer sur le bas-côté. Daniel, déçu, regarda disparaître les véhicules de la gendarmerie au loin en direction de la mer.
L’agent assermenté s’approcha de lui et lui demanda sèchement ses papiers.
— Vous croyez qu’on s’amuse à libérer une voie d’accès pour votre petit confort personnel peut-être ? beugla-t-il en attrapant les documents que lui tendait Béranger.
— Que s’est-il passé ? demanda Daniel d’une voix calme.