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Lucas Chanceux vous présente dans son journal un an de sa vie à Bordeaux avec ses trois colocataires : Yoko, Jamel et Victoria. Au fil des mois et des saisons, vous découvrirez, entre autres, son travail dans une librairie, ses amours, ses poèmes et sa passion pour les faits divers. En résumé, vous allez suivre ses aventures extraordinaires du quotidien
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Seitenzahl: 264
Veröffentlichungsjahr: 2019
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Du même auteur
C'est pas la taille du texte qui compte
Books on Demand, 2016
Merci Céline, Marie, Anouchka et Frédéric pour votre aide précieuse !
JANVIER
FÉVRIER
MARS
AVRIL
MAI
JUIN
JUILLET
AOÛT
SEPTEMBRE
OCTOBRE
NOVEMBRE
DECEMBRE
Dimanche 1er janvier
« Cinq ! Quatre ! Trois ! Deux ! Un ! Bonne année ! »
Le passage à la nouvelle année est mon moment préféré, ce moment où concrètement rien ne change mais symboliquement tout est possible. Trois cent soixante-cinq pages blanches à remplir. L’encre indélébile n’a pas encore été apposée sur les vierges feuilles du nouveau tome de notre vie, alors tout est encore envisageable. Et puis, c’est certain, cette année sera mon année, je le sens. Je me trompe rarement sur ce genre de choses ! Bon ok, j’avais dit la même chose l’année dernière, mais cette fois j’en suis sûr... Et puis même si elle n’a pas été à la hauteur de mes espérances, l’année précédente n’a pas été si mauvaise pour moi.
Peut-être que je suis trop exigeant, qu’il faut que j’apprenne à profiter de ce que j’ai, au lieu d’espérer avoir autre chose. À moins que les deux soient possibles : profiter de ce qu’on a et tout faire pour obtenir ce que l’on souhaite... À méditer tout au long de l’année...
Il y a tout de même une chose que je ne changerai pas pour tout l’or du monde, ma vie dans un grand appartement dans le quartier des Chartrons à Bordeaux avec mes trois colocs : Yoko, Jamel et Victoria. Originaires respectivement du Japon, du Maroc et d’Argentine, nous sommes souvent surnommés par nos amis « Les quatre continents » ou « les Benetton ».
Parfois, pour les taquiner, je les appelle « Mes Petits Colonisés du Tiers-Monde », et en représailles ils m’appellent « Le Vieux Con (Tinent) ». Alors, je fais semblant d’être vexé, ils font semblant de m’en vouloir, puis on ne fait pas semblant de s’aimer devant une bonne bière.
On vit ensemble depuis cinq ans, on a créé la colocation et elle n’a pas bougé depuis. Chacun de nous a eu envie plusieurs fois d’indépendance mais non, on n’arrive pas à se quitter, ou plutôt on n’a pas envie de se quitter.
Depuis quelques mois quand l’envie d’être seul apparaît pour quelques heures on va chez notre pote Olivier les jours où il est absent, comme il est stewart longs courriers c’est assez fréquent. Bien plus que notre envie de solitude.
Lundi 2 janvier
Au fait, j’ai complètement oublié, moi c’est Lucas. Lucas Chanceux, Lucky pour les intimes. Je vous propose de découvrir dans ce journal pendant toute l’année, au jour le jour, ma vie, mes pensées, mes écrits, ma passion pour les faits divers... J’ai 29 ans, je suis célibataire, je suis du groupe sanguin A+, je suis poisson pour l’astrologie occidentale, lièvre pour les Chinois et Osiris pour les Égyptiens. J’ai une petite cicatrice sur la jambe droite, je travaille dans une petite librairie de la ville et je suis originaire de Lyon.
J’aime les yaourts à la fraise, les films suédois, le fromage fondu, les feuilles rouges en automne, l’odeur des marqueurs noirs pour tableaux blancs, mettre ma chaussure gauche avant ma chaussure droite, les cornets rhum-raisins, le bip des caisses au supermarché, éclater le papier bulle, marcher dans le sable, faire croire que je suis nazi, prendre la documentation des témoins de Jéhovah pour la mettre immédiatement à la poubelle, les pizzas quatre fromages, les faits divers glauques, courir après le tram, répondre non avec un grand sourire aux bénévoles des associations dans la rue, répondre oui avec un grand sourire quand on me dit que je suis beau, appuyer sur le bouton de l’ascenseur mais finalement prendre les escaliers, regarder une télé-réalité idiote puis une émission culturelle, la catégorie MILF de Youporn, et surtout les inventaires à la Prévert.
Mardi 3 janvier
Aujourd’hui, c’est jour de reprise après une semaine de repos. La période de Noël est vraiment épuisante quand on travaille dans une librairie, alors dès que le Père Noël a fini de livrer tous ses paquets, je prends congé en même temps que ce dernier, parfois loin de Bordeaux. J’étais très bien en vacances, mais comme j’aime beaucoup mon travail je n’ai pas le blues de la rentrée.
Je travaille à la librairie « Book quai de mots », appelée plus simplement par les Bordelais « La librairie des quais ». Située sur les quais de la Garonne, elle a été créée par mon patron, Monsieur Dumoulin, il y a plus de vingt ans. Il est très exigeant mais sympathique et juste. Il me demande de le tutoyer mais je continue de le vouvoyer malgré les années.
Il y a une autre salariée depuis un an, Sarah. On s’entend très bien, parfois on a même d’énormes fous rires ensemble, mais on ne s’est jamais vus en dehors du travail. Je n'ai jamais osé lui proposer de boire un verre tous les deux, pourtant j’en ai énormément envie...
Je travaille dans des conditions plutôt agréables, avec un juste dosage de sérieux, de légèreté et d’ humour.
Humour des clients surtout, comiques d’un jour bien malgré eux : parmi les perles « Je cherche Le tartouffe de Monlière », « c’est un livre mais j’ai oublié le titre et l’auteur, la couverture est bleue, je crois », « Vous avez Le sexe pour les nuls ?... Euh... c’est pas pour moi ! c’est pour un ami... », ou encore l’adorable papy René, un de nos plus fidèles clients, à l’humour… Je vous laisse juger avec la blague de sa dernière visite : « Quelle est la différence entre le 51 et le 69 ? Le 51 : on a la tête dans l’anis. Le 69 : on a la tête dans l’anus. »
Parfois c’est le titre des livres qui nous amuse beaucoup « Comment coucher avec sa belle-mère en toute discrétion ? », « Le bébé a des cheveux rouges » ou encore « Je suis pas raciste, j’ai un ami communiste ».
Mercredi 4 janvier
Ce soir c’est très calme à la colocation, Jamel et Victoria sont sortis, alors avec Yoko on se fait une petite soirée plateau télé série. Yoko est arrivée en France il y a dix ans. Elle a toujours été passionnée par la culture française : enfant elle écoutait en boucle les disques de Mireille Mathieu et Claude François, à l’âge de douze ans elle a appris le français en autodidacte avec une méthode empruntée à la bibliothèque de sa ville, à quinze ans elle s’est inscrite tout logiquement dans un lycée français à plusieurs centaines de kilomètres de chez ses parents. A vingt ans, elle prend la décision de venir pour la première fois en France. Plus précisément de vivre en France. Pendant quelques mois elle vit à Paris mais visite week-end après week-end toutes les régions de France. Elle s’installe à Bordeaux par amour du canelé. Mais je crois qu’elle se moque de moi quand elle m’explique cela ! Je finirai pas savoir la vérité ! Journaliste et traductrice, elle jongle entre la culture japonaise et française, et prends plaisir à faire découvrir la culture de l’un à l’autre. Et inversement. Elle m’impressionne par son talent, sa culture et son français bien plus correct que le mien. Et en plus c’est quelqu’un de bien.
Jeudi 5 janvier
Ce soir, sur proposition de Victoria, c’est fête à la coloc, « los Reyes Magos», l’épiphanie version Espagne et Amérique du sud. Avec Yoko et Jamel on a fait une petite surprise à Victoria, nous avons organisé «una cabalgata de Reyes Magos », une chevauchée des Rois Mages : nous avons mis chacun une couronne sur la tête (que nous avions récupérée lors de notre dernière visite au Burger King), puis fait le tour du salon en mimant des cavaliers à la manière des Monty Python dans Sacré Graal ! Tout ça en lançant des bonbons sur elle ! On s’est bien amusés ! Je crois que ça lui a fait plaisir. Elle nous a dit de ne pas oublier de mettre nos chaussures devant nos portes de chambre pour que les vrais Rois Mages apportent nos cadeaux. On a fait semblant de se vexer, genre nous on est des faux Rois Mages ??!! C’est nous les vrais Rois Mages !! Elle a vraiment cru qu’on était vexés. Ah ! Ah ! On était trop contents de nous !
Nous avons aussi mangé la traditionnelle couronne des rois «la rosca de reyes », une brioche décorée de fruits confits. En Argentine, contrairement en Espagne ou en France, il n’y a pas la tradition de la fève... Pas grave on se rattrapera dimanche avec la galette des rois de chez nous !
Vendredi 6 janvier
C’était vraiment bien la soirée d’hier ! Nous avons fêté les rois dignement ! Bon, pour être honnête je ne suis pas sûr que le mot digne soit adapté à nos comportements de fin de soirée car nous avons tous légèrement abusé du vin argentin ! Le réveil est difficile ce matin, et je vais être en retard pour le travail ! Si ce mal de tête ne disparaît pas rapidement la journée va être interminable ! En attendant il faut que je speede un peu ! Quelle surprise au moment d’ouvrir la porte de ma chambre : les Rois Mages sont passés ! J’avais complètement oublié !
En retard pour en retard, je prends le temps d’ouvrir le petit paquet emballé dans un papier cadeau à fleurs style papier peint des années soixante-dix. Ils ne sont vraiment pas à la pointe de la mode les Rois Mages ! Ou alors ils le sont beaucoup plus que moi et ceci est revenu à la mode sans que je le sache... Être rattrapé par les Rois Mages sur la mode, c’est quand même une sacrée honte ! Surtout qu’il ne me semble pas qu’il soit précisé dans la Bible qu’ils s’intéressent à ce genre de choses... Cela dit plus de deux mille ans se sont écoulés depuis alors ils ont eu le temps de changer de passions. Hey, mais ça veut dire qu’ils sont copains depuis plus de deux mille ans ! Waouh ! Bravo à eux trois ! Ils sont bien copains ? J’espère qu’ils le sont car s’ils sont juste collègues et qu’ils ne s’aiment pas les deux mille ans ont sûrement été longs ! Je finis d’ouvrir mon paquet cadeau ! Oh ! C’est une petite statuette de la reine Elisabeth II qui fait coucou de la main avec l’énergie solaire ! Les Rois Mages me connaissent bien, j’adore ! J’écris un petit mot pour Victoria au verso du papier cadeau et le laisse devant sa porte de chambre « merci pour le cadeau ! C’est gentil de m’offrir une statuette à ton effigie mais c’est un peu narcissique ! Ah non ! Pardon ! Ce n’est pas toi, c’est la reine Elisabeth II ! C’est fou comme vous vous ressemblez ! :) bises ! ». Le soir je retrouve une réponse sur le même papier devant ma chambre « Et ton physique à la Prince Charles, on en parle ? ».
Jamel et Yoko ont aussi eu leurs cadeaux : la reproduction d’un tableau de Picasso pour l’un, un tee-shirt « I love les canelés » pour l’autre.
Samedi 7 janvier
Je travaille certains samedis mais aujourd’hui c’est repos. Avec Jamel, bien qu’il fasse un peu froid, on profite du soleil pour se balader un peu dans la ville. Pendant la promenade, il m’explique les conditions de son arrivée en France, je connaissais déjà les grandes lignes mais cette fois il explique tout dans les moindres détails comme s’il avait besoin de se libérer de quelque chose. Il a grandi au Maroc et est venu en France, directement à Bordeaux, quand il avait quinze ans. Ses parents ont voulu suivre l’exemple d’une partie de la famille qui s’était installée ici avec succès quelques années auparavant. Si l’adaptation à cette nouvelle vie s’est faite sans problème pour ses parents, sans doute parce que c’était leur choix, les premiers mois en France ont été difficiles pour Jamel. Peu de kilomètres séparent le Maroc de l’Europe, mais les différences culturelles sont importantes. Un peu plus jeune ou un peu plus âgé l’adaptation aurait sans doute été plus simple, mais à quinze ans, forcément, un tel Big Bang est mal vécu. Aujourd’hui adulte, alors que les parents sont rentrés au pays profiter de leur retraite, il a préféré rester en France, à Bordeaux, parce que sa vie est désormais ici. « De toute façon », dit-il, « je ne suis nulle part vraiment chez moi, je ne suis plus vraiment marocain et je ne suis pas vraiment français ». Pourtant il est bel et bien français. Il a demandé la naturalisation à l’âge de vingt ans, à l’époque essentiellement pour voter. À sa façon de parler de cette histoire, j’imagine l’adolescent qu’il était. Il perd toute la force et la confiance en lui qui le caractérisent habituellement dès qu’il parle de son arrivée en France. Il est très touchant dans ces moments-là. Comme Yoko il a gardé un lien avec son pays dans son métier, il est commercial chez un grossiste de produits orientaux. Pour chacun d’entre nous, si le futur est toujours à construire avec liberté, le passé ne se fait pas longtemps oublier.
Dimanche 8 janvier
Le dimanche midi est un moment particulier à la coloc, c’est le seul repas de la semaine obligatoirement en commun. Pour tous les autres repas, chacun s’organise selon son emploi du temps et ses envies, même si en pratique on improvise souvent des déjeuners ou dîners à deux, trois ou quatre. Le dimanche, par contre, c’est du sérieux : c’est prévu et organisé. Souvent un brunch, parce qu’on est tous plus ou moins lève-tard. C’est aussi l’occasion de partager les spécialités de nos pays respectifs. Rien d’exotique aujourd’hui, mais un vrai menu du dimanche : un poulet rôti et ses pommes de terre, et en dessert, évidemment, une galette des rois. De quoi bien finir les festivités des trois mecs qui suivent l’Étoile du Berger pour apporter leurs cadeaux en robe de chambre. La galette est évidemment à la frangipane, pas de pommes ou chocolat, pas de ça chez nous, je suis intransigeant sur les traditions ! Heureusement qu’il n’ y a pas de Bordelais de naissance à la coloc, on s’évite ainsi la brioche des rois !
La plus âgée d’entre nous, c’est-à-dire Victoria, a découpé la galette, tandis que le plus jeune, Jamel, assis sous la table, a indiqué à qui est destinée chaque part.
Yoko a trouvé la fève, nous avons alors procédé à un cérémonial digne du couronnement d’Elisabeth II « Yoko, nous vous faisons reine de la colocation, au nom du Dieu des festivités, du vin et la gastronomie, nous vous remettons cette couronne, symbole de votre pouvoir souverain ». Après avoir pris une petite photo souvenir, nous avons bu un peu de cidre. Vive la reine !
Lundi 9 janvier
Du café dans mon bol
La moitié qui se renverse sur le sol
Et un peu sur mon col
Cette journée qui commence est vraiment folle
Je préférerais faire une farandole
Ou au moins avoir une demi-molle
L’idéal serait d’être un rossignol
Un tournesol
Ou une girandole.
Bon, je crois que je vais plutôt m’ouvrir une bouteille de Pomerol.
Mardi 10 janvier
Quand je rentre du travail, Victoria est en train de réparer le grille-pain. L’éjection automatique ne fonctionne plus depuis quelques jours et, si j’ose dire, l’éjection faciale du matin nous manque tous ! Victoria, c’est la manuelle du groupe, et c’est bien utile pour la qualité de vie de la colocation ! Elle sait tout réparer, bricoler, améliorer avec ses dix petits doigts ! Elle m’impressionne ! Elle est venue en France pour suivre son copain français qu’elle a rencontré en Argentine. Si la relation a duré de longs mois en Argentine, elle n’a pas résisté au changement de continent. Quelques jours sur le sol aux mille fromages ont suffi pour que l’amour ensoleillé sud-américain se transforme en orage d’été.
Toute une relation détruite en quelques jours comme une violente averse de grêle saccagerait complètement un jardin en quelques minutes. Elle aurait pu rentrer en Argentine, mais pour elle c’était un aveu d’échec. Elle est donc restée à Bordeaux et a créé la coloc avec nous.
Victoria a un caractère... On va dire fort. On l’entend parfois de loin jurer comme le Capitaine Haddock « Hijoputa cabrón bastardo de mierda ». Mais en vrai, derrière ce tempérament de feu, il y a une personne adorable et surtout généreuse. D’ailleurs ses colères sont rarement adressées à une personne, mais à elle-même ou à une situation. Elle travaille pour une société de dépannage en tous genres : électricité, chauffage, plomberie... Elle envisage de créer sa propre entreprise. On l’encourage tous, mais elle préfère prendre son temps. Malgré son dynamisme, elle n’aime pas prendre des décisions trop rapidement.
Mercredi 11 janvier
Allongé sur mon lit, je ferme les yeux et je rêve de voyage dans l’espace, de prendre de la hauteur, de me libérer de la pesanteur.
Je m’imagine là-haut, flottant dans la Station Internationale, drapeau tricolore sur la poitrine et énorme casque de verre sur la tête. Je me déplace dans la station, libre, léger, serein.
Je rouvre les yeux, et si mon corps s’enfonce dans le lit, mon esprit s’est libéré, flottant dans une station de bien-être.
Jeudi 12 janvier
Si hier j’avais la tête dans les étoiles, ce soir c’est nettement plus terre à terre avec Jamel : on fait tous les trucs administratifs qu’on a entassés dans un coin depuis des semaines parce que c’est chiant et qu’il y a toujours plus intéressant à faire.
On essaye de se motiver mutuellement, mais je ne comprends rien à tous ces documents administratifs et ça me saoule au bout de cinq minutes à peine. Je pète direct un câble et sans prévenir je fais une imitation de Zézette dans Le Père Noel est une ordure « Et bah voilà, et bah voilà, eh bah ça c’est tout la Sécu ça ! Ils vous donnent un numéro, ça rentre même pas dans les cases ».
Jamel qui ne connaît pas le film me regarde sans comprendre, mi-amusé, mi-inquiet. J’éclate de rire en voyant sa tête.
Comme quoi, faire ses papiers, ça peut être amusant !
Vendredi 13 janvier
Vendredi treize
Je suis chaud comme la braise
Mais j’ai peur du malheur
Que ça me déchire le cœur
Vendredi treize
Je suis pas assez balèze
J’ai peur aussi du bonheur
Que ça me déchire encore plus le cœur
Vendredi treize
Bonheur ou malheur
Peu importe : j’ai peur
Samedi 14 janvier
Aujourd’hui à la librairie, notre petit habitué Papy René est passé nous dire bonjour. Il passe souvent nous voir, sans forcément acheter quelque chose, juste pour discuter un peu. Ce sont des moments qu’on aime bien, mais aujourd’hui comme tous les samedis on a du monde alors on est obligé de gentiment le virer et de lui expliquer que c’est mieux de passer lundi ou mardi. Mais comme d’habitude, il fait semblant de ne pas entendre et nous fait le résumé de ce qu’il a entendu aujourd’hui sur France Inter ou France Culture, les deux radios qu’il écoute en alternance toute la journée. Avant de partir il raconte sa blague, comme à chaque visite « Deux lesbiennes vampires discutent : - Allez, à dans 28 jours ! »
Dimanche 15 janvier
Cet après-midi à la coloc, après le brunch, on s’installe tous dans le salon avec nos boissons chaudes. À défaut de refaire le monde, on refait nos vies... « Et si... »
On a lancé ce petit jeu d’imagination il y a quelques semaines « Et si j’étais riche... », « Et si je vivais au XVIIIe siècle »...
Depuis on le refait souvent, généralement après le brunch du dimanche. Aujourd’hui le thème c’est « Et si je ne devais manger qu’un seul plat jusqu’à la fin de ma vie ».
Yoko commence et sans surprise elle choisit un plat traditionnel français, le coq au vin. Un tacle amical de Victoria ne se fait pas attendre, « Du coq... ! Avoue ! C’est juste le vin que tu aimes ! ». Yoko la dévisage quelques secondes, on ne plaisante pas avec la cuisine française !
Jamel poursuit, « Et si je devais manger qu’un seul plat jusqu’à la fin de ma vie, ça serait un plat de mon papa... Et oui c’est mon papa qui cuisine à la maison... Des lasagnes ! Oui, il cuisine les meilleures lasagnes au monde ! Par contre il ne sait pas très bien faire le couscous et le tajine. Les clichés ont la vie dure à la maison ».
Victoria enchaîne directement « Un seul plat ? Pour toute la vie ? La mejor carne del mundo ! Un énorme morceau de bœuf argentin ! Et puis ça me rappelle le pays qui me manque parfois... »
Je termine, ce tour de table basse « j’aime bien tous les plats que vous avez dits, mais moi le plat que je pourrais manger tous les jours jusqu’à la fin de ma vie serait la pizza quatre fromages ! Mais je choisirais uniquement des fromages français », je fais un petit clin d’oeil à Yoko, qui me le rend discrètement.
Lundi 16 janvier
Il paraît qu’aujourd’hui c’est la journée la plus déprimante de l’année, « le blue monday » : c’est l’hiver, les fêtes sont passées, le compte bancaire est vide, les résolutions de nouvelle année sont loin...
Et c’est vrai que... Ouais... J’ai envie de rester au lit, de ne rien faire...
Bon... J’apprends que la formule mathématique qui permet de trouver la date de ce jour est une pure invention de publicitaires d’une agence de voyages pour vendre des séjours au soleil...
Zut... Je n’ai plus de bonnes raisons d’être légèrement déprimé... Pourtant ça me plaisait bien cette journée déprime ! C’est trop injuste !
Mardi 17 janvier
J'ai pas envie de sortir mes rames
Pour trouver des rimes
En plus j’ai un gros rhume
Alors je vais boire un rhum
Et après j’irai à Rome
Dans des soirées backrooms
Mercredi 18 janvier
Une fois n'est pas coutume, je vais parler météo... J'en ai psychologiquement besoin ! Vraiment ! Je n’en peux plus de ce froid ! Je peux vous dire qu’on supporte son slip !
Jeudi 19 janvier
Un type est venu chercher Sarah, ma collègue, à la fermeture de la librairie. C’est la première fois que quelqu’un vient la chercher... C’est qui lui ? Elle ne parle jamais de sa vie perso... Franchement, il a une gueule de con. Ça se voit tout de suite que ce n’est pas quelqu’un de bien. Mais oui vas-y, fait le malin avec ta moto ! Ça ne te rendra pas plus beau ! Ça ne te rendra pas moins con ! Tu sais, je vais te surveiller de près, tu n’as pas intérêt à la rendre malheureuse. J’aurais dû l’inviter à boire un verre il y a longtemps. Et si c’était sérieux cette histoire ? Je fais comment moi ? Putain, mais c’est pas compliqué de proposer de boire un verre ! Pourquoi je bloque comme ça ?... Ça signifie peut-être que ce n’est pas ça la solution... Mais oui c’est ça ! Il faut que je trouve quelque chose de plus original où je serai plus à l’aise.
Quelques idées en vrac : offrir une rose par jour, lui écrire une chanson, remplir son sac de post-it cœur, lui envoyer une lettre d’amour en recommandé avec avis de réception...
Après un an, je ne sais presque rien de toi Sarah... Comment te séduire ?
Vendredi 20 janvier
Je regarde un reportage sur Trump à la télé. Je ne devrais peut-être pas dire ça mais je le trouve plutôt rigolo. Franchement, quand on a des cheveux comme ça, on ne peut pas être complètement mauvais, c’est signe d’une grande humanité intérieure. C’est obligé. Et puis la couleur blé c’est quand même un beau symbole de richesse et de culture. J’aime bien aussi ses mimiques, sa façon de bouger les lèvres, d’ouvrir les yeux. On dirait un personnage d’une comédie anglaise. Avec la finesse de l’humour anglais en moins, certes, mais l’humour gros lourd américain, c’est bien aussi. C’est quand même source d’inspiration des créateurs des Simpsons depuis trente ans. Et puis la polémique avant son élection « attraper les femmes par la chatte » n’a pas de sens, ou alors il faut faire le même procès à Yves Duteil pour « prendre un enfant par la main » !
Bon en vrai il me fait peur, alors je préfère en rire.
Samedi 21 janvier
« Yoko, oh no ! », est sans doute la blague que je fais le plus souvent. A la moindre déception ou échec exprimé par Yoko, je sors cette petite phrase. Pour être honnête ça ne fait rire que moi ! Généralement Yoko me regarde sans rien dire, en souriant poliment, et attend sagement que je passe à autre chose.
Pour ne pas faire de jaloux, j’ai trouvé une petite phrase pour tout le monde : « Jamel toi de ce qui te regarde » et « Victor y a qu’à faire ça ». Leurs réactions sont un peu différentes, tandis que le premier rit avec moi par gentillesse, la deuxième me répond généralement avec un ton légèrement condescendant, comme par exemple, « Lucky, ça n’était pas drôle la première fois, ça ne peut pas le devenir la dixième fois... » puis me tapote sur l’épaule pour exprimer une complicité.
Ce soir, les rôles ont été inversés : Jamel m’a demandé « Monsieur et Madame Sting on un fils... », je donne ma langue au chat et il donne la réponse « Lucas » ; Yoko enchaîne « Quand tu réponds non, on peut dire que Lucky nie ».
C’est alors que Victoria me dit d’une voix basse, ce qui est inhabituel chez elle, et avec un air désolé « J’ai cherché, j’ai rien trouvé... ».
Je me demande bien de quoi ils ont parlé pendant mon absence pour avoir eu cette idée. Mais c’était bien sympa !
Dimanche 22 janvier
Je m’intéresse beaucoup aux faits divers. Sans doute en raison d’un voyeurisme que je n’assume pas vraiment, mais aussi parce que ces horribles histoires montrent une inhumanité paradoxalement tellement humaine : jalousie, pulsions, mensonges, folie… Le pire de l’humain concentré sur un acte. Ça me passionne.
Aujourd’hui est annoncée dans les journaux une de ces histoires dont on entend parler pendant longtemps, l’enquête sera sans doute très longue. Peut-être même jamais résolue. Toute une famille mexicaine, les deux parents et les deux enfants, assassinée dans leur chambre d’hôtel parisien. On raconte que même l’ourson en peluche du plus jeune enfant a été retrouvé décapité.
Lundi 23 janvier
Quand j’étais aDo
Je suis allé un été à L’île de RÉ
Avec mes parents et un aMI
Que j’ai rencontré au baFA
On allait à la plage avec un ballon, une raquette, un paraSOL
Et une grande bouteille fraîche de CoLA
La vie est si belle ainSI
Mardi 24 janvier
Olivier, notre pote stewart, est à la coloc ce soir pour l’apéro. Souvent en vadrouille aux quatre coins du ciel, on ne le voit pas souvent, alors c’est toujours un évènement quand il passe un moment avec nous. On l’aime bien notre Olivier. Il a un charme fou. Et comme une femme l’attend à chaque aéroport, il semble que toute la planète soit d’accord avec nous. Si les femmes de tous les continents doivent partager son amour, il en est de même concernant son amitié. Je n’ai jamais vu quelqu’un connaître autant de monde ! Mais quand il est avec nous, il est vraiment avec nous. Le portable est éteint et il nous écoute avec une exceptionnelle attention. Mais ce que j’aime le plus, c’est l’écouter nous raconter ses aventures dans le ciel et sur la terre des cinq continents. J’adore ses anecdotes, je ne sais pas si c’est à cause du manque d’air mais les passagers dévoilent leurs grains de folie pendant les longs trajets en altitude ! Du passager coquin « je suis ravi de m’envoyer en l’air avec vous », au dépucelé du voyage en avion très heureux de sa première expérience qui prend tout en photo et pose mille questions au personnel de bord « vous travaillez pour cette compagnie depuis longtemps ? », « Vous faites quoi derrière là-bas ? », « On peut voir le pilote utiliser son manche ? », en passant par le parano qui s’inquiète du moindre détail et part complètement en vrille « C’est quoi ce bruit ? Il y a un problème ? Vous pouvez pas le dire ? C’est ça ? On va s’écraser ? Pourquoi vous mentez ? » puis qui prend à partie tous ses voisins de siège « ils mentent ! C’est pas normal ce bruit ! On va s’écraser ! On va s’écraser ! ».
Encore une fois, telle une tornade, Olivier est reparti aussi vite qu’il est arrivé, mais pas de dégât à constater, juste la conscience qu’on a passé un bon moment.
Mercredi 25 janvier
Ah ! Papy René est passé à la librairie aujourd’hui ! Et comme il a eu la bonne idée de passer au moment où c’était plutôt calme on a pu discuter tranquillement. Pour une fois on n’a pas eu droit au résumé de ce qu’il a entendu à la radio. « J’étais à Paris avec le club du troisième âge hier ! Ah là là ! Qu’est-ce que c’est beau ! La Tour Eiffel ! Première fois que je la voyais en vrai ! Je voulais aller voir les petites femmes de Pigalle, vous connaissez ma passion pour Serge Lama, évidemment, mais les organisateurs ont refusé. Du coup je me suis rabattu sur la mère Polignac que j’ai draguée pendant le trajet en car. Elle m’a évité toute la journée mais je crois que je vais conclure ».
Papy René nous raconte ça avec un grand sourire, cela nous amuse beaucoup mais on se demande comment la pauvre Madame Polignac va faire pour supporter son nouvel ami bien trop collant.
Quand on lui demande des précisions sur la journée à Paris, il répond « On a vu plein de tableaux dans les musées ! J’ai adoré ! Bon, les paysages ça m’a vite lassé, quand on en a vu un, on les a tous vus... Mais les nus ! Ça c’est de l’art ! Ça c’est de la culture ! On a même vu l’origine du monde ! Des vieilles peaux étaient choquées... Moi, ça m’a bien plu ! ».
Il s’arrête d’un coup, le regard dans le vide pendant quelques secondes, puis nous dit qu’il doit partir, sort, rentre à nouveau cinq secondes après, « J’ai oublié la blague ! Quelle différence y a-t-il entre une vierge et Paris? », il attend à peine notre réponse et continue rapidement, « Paris sera toujours Paris. Bonne soirée ».
Jeudi 26 janvier
L’autre débile continue de venir chercher Sarah à la débauche. Toujours en moto, toujours avec sa gueule de connard, toujours avec mon petit cœur qui saigne. Dans la journée, quand on réceptionnait les livraisons du jour, j’ai failli lui poser des questions sur cette relation, mais comme elle ne parle jamais de sa vie je ne sais pas comment amener cela dans la conversation. On parle de tout, de rien, de Papy René, de moi... mais jamais d’elle.
Putain mais je suis con ! De nos jours la meilleure façon de connaître quelqu’un est d’aller voir son profil Facebook ! Elle est peut-être moins discrète sur les réseaux sociaux que « IRL, In Real life ». Ah ! Je l’ai trouvé ! Bon, tout est protégé mais j’ai tout de même accès aux photos de profil. Elle est toujours toute seule dessus, pas de Monsieur Gueule de Connard en vue. Je regarde la liste des amis, une cinquantaine, pas d’ami en commun et pas de Monsieur Gueule de Connard ici non plus... Ah si, c’est le dernier de la liste ! Oh ! Mais ? Ils ont le même nom... Mais c’est son frère ! Oh ! Je t’aime Monsieur Gueule de Connard ! Je t’adore ! Je te kiffe !
Vendredi 27 janvier
Quand je rentre du travail, je trouve Yoko dans le salon, visiblement pas très en forme. Elle n’est pas la personne la plus expansive mais il n’a pas fallu longtemps pour qu’elle m’explique ce qui ne va pas. « J’ai le mal du pays Lucky, j’adore ma vie ici, la culture française est ma culture, mais pour la première fois en plus de dix ans mon pays natal me manque. Et je ne sais pas pourquoi. »
Je lui demande alors si c’est sa famille qui lui manque ou sa vie au Japon.
« Je ne sais pas… Par mon métier j’ai gardé un lien assez fort avec la culture japonaise, donc c’est peut-être ma famille qui me manque... Oui c’est peut-être ça… Je ne sais pas... »
Je lui réponds alors « Ça fait super longtemps que tu n’es pas rentré au Japon, même pour quelques jours pour des vacances. Il est peut-être temps de prévoir un petit séjour là bas. Et tu verras après ce que tu souhaites à plus long terme »