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À l’aube de son baccalauréat, Sandrine, jeune fille de la banlieue foyalaise, se retrouve à un tournant crucial de sa vie. Dans la Martinique des années soixante, marquée par les migrations et les attentes sociales, elle oscille entre ses rêves personnels et les pressions de son entourage. À travers ce récit, le lecteur est invité à suivre le cheminement intérieur d’une jeune femme en quête de sens, où chaque décision, lourde de conséquences, pourrait bouleverser son avenir. Ce roman dévoile des destins incertains, ouvrant une réflexion sur la force du choix et le courage de tracer sa propre voie. Un voyage initiatique poignant, qui promet de marquer durablement les esprits.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Emmanuel Mélisse, originaire de Fort-de-France, retrouve son île pour se consacrer à l’écriture après une carrière marquée par des réflexions profondes sur la vie et la société. Désormais, il exprime ses pensées et ses expériences à travers la littérature.
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Seitenzahl: 278
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Emmanuel Mélisse
Le kayali sous un clair de lune
Roman
© Lys Bleu Éditions – Emmanuel Mélisse
ISBN : 979-10-422-5067-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mes petits-enfants
La brise du soir berçait les rameaux frêles du glycéria. Le rythme harmonieux éveillait, dans ce milieu à la végétation vivace, la grâce des artistes de ballet. La danse servie accompagnait la lente approche du crépuscule. Pourtant, l’astre du jour, sentant venir son agonie, ne hissait point le drapeau blanc de la reddition. Ses rayons lapaient encore la canopée, son rougeoiement, symbolisant le trépas certain, n’affectait aucunement les efforts du disque brûlant.
Assise sur un siège de fortune, en l’occurrence un lot de briques recouvert d’un sac de ciment vidé durant la journée par les manœuvres du chantier, Sandrine humait au milieu de la future véranda, cette odeur piquante du mortier frais, spécifique des maisons en construction. De son point d’observation, le souffle du jour en déclin ramenait sur ses membres, de fines particules de sable. Cette poudre, alliée aux escadrilles de moustiques impatients de se sustenter de sève fraîche, produisait une sensation incommodante. Pour s’en dépêtrer, la jeune fille agitait par moments, de gauche à droite, un chasse-mouches improvisé, dans ce décor de théâtre nu. L’épisode terminé, elle reprenait sa rêverie.
Un appel provenant du fond de la parcelle familiale et Sandrine se levait en prêtant l’oreille. En effet, à propos des tâches ménagères, la mère sollicitait fréquemment la participation de ses rejetons. Toutefois, celle-ci ne tolérait aucun atermoiement de la part de sa progéniture. Fausse alerte, la maisonnée demeurait calme, nul écho ne troublait la quiétude installée. La lycéenne regagna son trône, puis revint à sa méditation. De temps à autre, un personnage singulier interrompait son recueillement. De fait, un fin lézard vert s’arrogeait le droit de monter sur scène en grimpant sur les murs imparfaits.
Effarouché, l’anoli fit du sur-place. Au basculement du jour, la personnalité silencieuse dans cet antre inconstant décontenançait le reptile miniaturisé. Sa crainte évaporée, ce lointain cousin du crocodile se laissa approcher par la maîtresse de céans. Cette dernière l’invitait à se rassasier des restes de son goûter.
— Ce sont quelques miettes ! Cependant, tu peux t’en repaître, ne fais pas le difficile !
En compagnie de son nouveau complice, l’absorbée sauta une fois de plus dans son voilier, puis vogua loin du monde réel.
Des pierres s’entrechoquaient, un marcheur, revenant de la place centrale du quartier, regagnait ses pénates. Le bruissement inquiéta Sandrine, la voie s’animait. Simultanément, la luminosité s’épuisait, les chauves-souris assombrissaient le ciel et la ruelle ressuscitait sous les pas des résidents pressés de retrouver leur logis après une journée de labeur. Les écoliers étaient rentrés et certains enfilaient leurs vêtements de nuit. Un bruit distinct émit par le pot d’échappement du camion de son père, alerta Sandrine. Assurément, entre mille autres pétarades, la fille restait de taille à reconnaître celle provenant du véhicule paternel. Alors, elle abandonna sa position et emprunta un escalier dépourvu de rambarde en usant d’infinies précautions. Parvenue à destination, dans la cour, la fille déverrouilla la barrière, facilitant de la sorte l’entrée du camion de son géniteur.
L’odeur empoisonnée, émanant du pot d’échappement, suivait la dispersion de la fumée noire au fond du garage. La demoiselle toussota, puis fit demi-tour afin de rejoindre son père. Celui-ci, en abandonnant l’habitacle, poussa un soupir de soulagement. L’usure du temps se vérifiait sur son véhicule. L’étanchéité de la cabine allait en se dégradant, une chaleur lourde régentait le compartiment du chauffeur.
— Bonjour, papa ! Comment fut la journée ?
— Nous ne sommes pas loin de dix-huit heures, pourtant, tu me souhaites bonjour, mon enfant ?
— Pardon, papa ! La confusion n’est pas bien grave !
— Tu as peut-être raison ! Après tout, c’est la même journée qui se prolonge. Si elle fut bonne ? Ah ! La clientèle se raréfie, ma fille. Le demandeur se montre peu pressé de satisfaire le désir que nous avons de le voir.
— La conjoncture, serait-elle défavorable ?
— L’état des choses ? Petite, tu utilises des termes que ma courte fréquentation de l’école ne me permet point d’assimiler.
— Ah, ah, ah ! Je demeure convaincue que mon père a tout à fait saisi ma question !
L’homme sourit et appliqua un baiser sur le front de son rejeton.
— Remets ce sachet à ta mère ! En s’emparant d’un sac dont le contenu ne faisait aucun doute, tant l’odeur du poisson se montrait tenace. Amène-moi, s’il te plaît, un peu de savon liquide ! Le sang de la daurade pue et se maintient longtemps, hélas !
Quelques minutes, plus tard, Sandrine, loin de sa contemplation de tantôt, écaillait le prochain dîner fraîchement apporté par le maître de maison.
— Comment préparerons-nous ce poisson, maman ? En friture, blaff ou court-bouillon ?
— À mon avis, la salade de crudités imposera la friture, ce soir.
— Que faisais-tu, toute seule, là-bas ?
— Oh ! Je perçais un peu la voûte afin d’apercevoir dans le lointain, ces lendemains inévitables. En d’autres termes, quelle tournure prendra ma vie après le lycée ?
— Comme tout un chacun, tu partiras pour réaliser ton avenir. En somme, poursuivre tes études et exercer un emploi à la mesure de tes compétences !
Sandrine prolongea sa besogne sans lever la tête ni acquiescer aux souhaits de sa génitrice.
— Hum ?
— Je n’ai rien dit, maman !
— En effet, ce silence me déroute !
— Ta prédiction se révélera certainement exacte !
— Supprime, le certainement !
— D’accord, mère ! Présentement, aucun fait ne s’oppose à cela.
— Un projet inverse, se logerait-il, dans un coin de ta tête ?
— Nullement, maman ! Cependant, faire une place au doute demeure signe de sagesse !
— Sandrine, nous ne mettons pas en pratique un cours de philosophie, garde les pieds sur terre !
Une odeur d’huile en ébullition emplit la cuisine. Toutefois, ce relent céda sa position au fumet délicieux répandu par la chair cuite du poisson.
— Sors la bouteille de vinaigre et hache un peu d’oignon, ton père apprécie ce condiment mariné !
En silence, l’obscurité triompha et les bêtes à feu trouèrent l’assombrissement ambiant. Les cris des cabris-bois et le tintamarre des grillons, ces musiciens infatigables, s’unirent dans un tempo dépourvu de fausse note.
« Comment ces concertistes parviennent à lire leur partition dans cette intense opacité ? »
Se questionnait Sandrine en refermant la fenêtre de sa chambre.
Une ondée chatouilla la tôle ondulée. Puis la voûte, emportée par ce préliminaire, martela la toiture. Un saisissement douillet s’empara du dormeur recroquevillé dans sa posture fœtale. Depuis cinq minutes, la mère de famille, lassée d’œuvrer en solitaire à la cuisine, réclamait du renfort. La préparation du petit-déjeuner la poussa hors de sa chambre dès potron-minet. Les carillons de l’église de redoute sonnaient. Au sixième coup, Sandrine remonta son drap.
— Aujourd’hui, la corvée de cuisine repose sur Michel, le lourdaud doit sûrement ronfler, d’où les cris de maman !
Les appels insistants, en provenance de la cuisine, incitèrent l’aînée de la fratrie à intervenir, décidée à apprendre les bonnes manières à son endormi de cadet. Trois coups affirmés sur la porte de Michel retentirent, cependant, nul écho n’émanait de la pièce. Fort de son droit d’aînesse, la jeune fille renouvela son branle-bas.
— Enfin ! Est-il interdit de rester dans les bras de Morphée, dans cette demeure ?
— Naturellement, on peut ! Te concernant, la nuit s’achève ! C’est ton jour de corvée, lève-toi, maman t’attend !
De mauvaise humeur, le cadet abandonna sa couche et Sandrine regagna sa chambre. Excédée, la mère de famille ouvrit d’un bon la porte de son aînée, tandis que celle-ci survenait dans son dos.
— Michel rapplique, maman, c’est son tour aujourd’hui !
Sandrine retrouva son abri, puis s’assit quelques instants sur son lit, comme pour recouvrer son souffle. Un petit bureau sur lequel reposait une lampe, en prévision de travaux scolaires nocturnes, un amas de livres et d’autres effets, confirmaient sa vie de lycéenne. Une armoire à la mesure de ses besoins s’appropriait un coin de la pièce et une descente de lit se dépliait au centre de l’espace. L’occupante se leva afin d’ouvrir sa fenêtre quand trois coups se répercutèrent à sa porte.
— Oui !
— Sandrine, c’est moi !
— Eh bien, entre !
Lucette, la benjamine de la famille, apparut. Sa grande sœur sourit.
— Assurément, tu souhaites un coup de main pour un exercice de mathématiques !
Sans réagir, Lucette présenta son manuel de maths et son cahier, l’air confus.
— Pourquoi viens-tu maintenant ? Durant la soirée, cette affaire eut été réglée !
— Je n’ai pas voulu t’ennuyer hier !
— Bien ! Allons-y, car je suis pressée, petite fille !
Le petit-déjeuner englouti, Michel et Lucette s’en allèrent pour le collège à peu de distance de la maison familiale. Sandrine, de son côté, ne regagnera point le lycée. L’établissement vaquera ce jour en raison d’un mouvement de protestation suite à l’agression d’un enseignant par une personne étrangère à la communauté scolaire.
— À propos de la fermeture du lycée, comment utiliseras-tu cette journée, ma fille ?
— En préparant un exposé avant de clore une note de synthèse liée aux deux guerres mondiales.
— Ton après-midi t’appartiendra, donc ?
— Je souhaiterais le mettre à profit pour rendre visite à mon amie Martine de Ravine-vilaine. Elle rencontre quelques difficultés en donnant corps à son exposé de position.
— Hum ! J’achèverai en solitaire ma lessive !
— Désolée, maman !
L’astre du jour prenait de grands airs au milieu de la voûte céleste, quand le poids lourd paternel cala son moteur dans la cour.
— Papa, ton agenda souffrirait à l’idée de m’amener chez mon amie Martine après le repas ?
— C’est à Ravine-vilaine, il me semble ? À première vue, le cas demeure possible, puisque deux de mes clients, en attente de livraison, résident dans le secteur.
Installée sur le siège passager, Sandrine s’acharnait à débloquer le mécanisme permettant de baisser la vitre attenante.
— Papa, comment résistes-tu à une telle chaleur ?
Sans répondre à l’interrogation de son enfant, l’homme immobilisa son véhicule afin de procéder à la manœuvre bienfaitrice appelée de tous ses vœux par Sandrine.
— Oh ! Merci, père !
Le camion bifurqua à droite de l’intersection formée par les routes de Coridon et de l’Entraide, puis dévala la départementale jusqu’à la fourche. À ce point, le chauffeur vira à gauche pour s’engager sur le ruban noir conduisant aux fontaines de Moutte.
L’affaissement du terrain, ayant entraîné la disparition du temple et l’effacement de la luxuriante végétation, débouchait dès lors sur un panorama grandiose à ce palier de la voie. Au pied du contrefort naturel, célèbre sous l’appellation de morne calebasse, la plaine de Dillon, balafrée par le liseré autoroutier, se perdait dans les verts confins du morne cabri. Au-delà, la mer coinçait la mangrove entre ses eaux bleues et les reliefs modérés du sud. Plus loin, une vue perçante distinguait les contours de notre voisine Sainte-Lucienne. Le camion filait sur le bitume surchauffé et sinueux par endroit. Tout à sa contemplation, Sandrine ne se rendit point compte des manœuvres de son père pour garer son engin.
— Heu ! Nous sommes arrivés, père ?
— Aurais-tu perdu de vue mes prestations de Moutte ?
— Le quartier à la fontaine renommée ? Je n’ai pas aperçu le stade !
— Selon toi, à quoi servent ces remparts ?
— Ah, bon ?
Le véhicule s’arrêta et le rejeton abandonna son siège afin de porter assistance à son père dans la réalisation de sa besogne. La tâche achevée, le convoi se lança sur la route de la batterie en gravissant la pente pénible avant de retrouver la nationale menant à Saint-Joseph.
— Au gré de mes souvenances, la demeure de ton amie se situe, après la descente jouxtant l’école primaire ?
— Aucunement, papa ! Au carrefour terminant la rocade du bel horizon, vire à gauche et poursuis jusqu’à la croisée de Desbrosses.
— Parfait ! La mémoire rapplique ! Tu y resteras jusqu’à, quelle heure ? Car au dix-septième coup de l’église, je reviens dans le secteur !
— Je t’attendrai, papa !
À l’accomplissement de la note de synthèse, Martine relégua table et chaises dans un coin de la véranda, puis convia sa camarade à tirer parti du feuillage resserré de la flore environnante. Lézards verts inquiets, iguanes médusés et volatiles exaltés suivaient à distance l’intrigue se déroulant sous leurs yeux. Sur un sol pelé, au pied d’un caïmitier malmené par le poids des ans, une table ronde et basse accueillait quelques gâteries. Deux sodas, une carafe d’eau, un paquet de biscuits et des raisins secs agrémentaient le guéridon au moment où la mère de Martine y abandonna un pot contenant des pruneaux d’Agen.
Un piaillement surprenant attira l’attention vers la frondaison, puis dans une rotation contraire, le regard du duo se glaça en distinguant le verre de Martine sous une couche malodorante de fiente. Une petite buse, alias oiseau Malfini, irritée et soupçonnant une prolongation de l’entretien en cours sous sa branche, prit le parti d’y mettre un terme.
— Vise-le, celui-là ! Sur ses ergots comme un coq ! Aucune marque de respect !
— Retrouvons notre abri du départ ! Autrement, son courroux allant crescendo, ce dur réitérera certainement son coup !
— Ah, ah, ah ! Tu partages ta propriété avec de drôles de phénomènes !
Sur ce, une détonation familière prévint la fille de Coridon.
— Ah ! Mon père arrive ! Ponctuel, une fois de plus !
— Serait-ce un héritage commun ?
La grande bleue émettait ses réverbérations argentées à l’instar d’une peinture à l’huile étalant sa brillance, puis d’un coup d’épée pénétra le canal. Au-delà du pont, près de l’ancien abattoir, la route de la corniche s’élevait pour disparaître brutalement à la suite du virage présentant le promontoire de la vierge. Jouxtant l’escarpement, au plus haut niveau de la voie, le lycée s’accrochait au Morne Abélard. En posture de sentinelle juchée sur le relief, l’établissement scolaire, ayant accueilli certains noms du pays, ne quittait pas des yeux le centre-ville languissant, aux toits usés par le temps. De la rive banlieusarde du cours d’eau, en réalité la rivière Grosse-roche rebaptisée, les grondements refluaient vers la colline studieuse les soubresauts de ce quartier interlope. Les murs de l’institution subissaient les assauts étouffés des ans, l’humidité corrodait la peinture dénaturée depuis des lustres.
— Bonjour Sandrine !
— Salut, ma grande, je te cherchais !
Martine étreignit son amie.
En compagnie de ses amies, Sandrine descendait la corniche. Sous le pont, le flux soulevait la vase, libérant de cette façon une odeur fétide. Les sillons offerts par les embarcations de pêcheurs remontant la rivière jusqu’à la halle aux poissons fouettaient les remparts d’endiguement en projetant des gerbes d’écume. Sur les rives, les allamandas bercées par la brise recueillaient la lourde tâche d’escamoter les relents corrompus d’urine croupie répandus aux pieds des bacs à fleurs.
Une précipitation de faible ampleur s’abattait sur la végétation abondante du hameau, puis se renouvela en un bruissement apaisant. Sandrine ouvrit sa fenêtre, close une heure plus tôt, en raison d’une poussée des éléments ! À travers les grains prodigués par la voûte, à mi-chemin entre le fond de la vallée et la crête, un magnifique fromager en fleur paonnait. Ses boules cotonneuses, dans la perspective, lui conféraient l’allure d’un bâtiment enguirlandé à Noël. Tapis, invisibles sous la frondaison, les aras, inlassablement, donnaient de la voix. Pluie et pépiement, dans un pot-pourri divin, instauraient une ambiance de commencement des temps. Assurément, nulle résonance humaine ne troublait cette atmosphère de forêt vierge. La jeune fille s’accouda à l’embrasure en humant profondément l’air bienfaisant. Le ciel, gris et bas, affectant la visibilité, ramena la contemplative à des considérations plus prosaïques. La vision d’un camarade de classe, disparu, se profila.
« Bien sûr, mercredi prochain, la dirigeante de la coopérative nous conviera à un échange de vues reposant sur l’organisation de la future tombola. Évidemment, cette festivité, annonçant la fin de l’année scolaire, fut retirée du calendrier à cause du trépas de Gérard lors du dernier exercice. »
À l’évocation de ce regret, la lycéenne secoua la tête de dépit. Un beuglement né sur le versant opposé du relief éteignit ce souvenir attristant.
« Ce temps humide devrait plaire à cet herbivore, aurait-il aperçu une mangouste maraudant dans le coin ? »
Cependant, le rappel du défunt piquait sa mémoire, en dégageant une cascade d’images pénibles. Sandrine déglutit ! Une musique captivante vint à la rescousse de la fille en détresse, balayant du coup, cette avalanche de souvenirs indésirables. « A change is gonna come » d’Otis Redding repoussait les visions funestes. Pour une fois, elle faisait une exception, en ne condamnant point ce voisin, habitué à partager ses goûts musicaux avec les riverains.
Toutefois, le récital prit fin, la voûte s’assombrit et une certaine morosité envahit la jeune fille. Les images refoulées triomphèrent sans tenir compte de sa volonté.
Sandrine revivait ces instants, le départ de son camarade. Brusquement, la porte de sa chambre s’ouvrit.
— Ma sœur, Martine te demande au téléphone !
— Merci, j’arrive !
— Salut mon amie, as-tu pensé à l’entretien de mercredi prochain ?
— Martine, les préparations de l’examen ne te semblent pas plus importantes ?
— Certainement, Sandrine ! Mes devoirs sont terminés, je profite de l’occasion pour évoquer cet éventuel sujet !
— Qu’est-ce qui te préoccupe ?
— Ben ! Aucune idée, nulle proposition à formuler ne trotte dans ma tête !
— Triture tes méninges là-dessus ! En fin d’après-midi je te contacterai.
— Mais Sandrine…
Un léger ronflement traversait le silence oppressant la pièce. Sur le bureau, un exemplaire du discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire resté ouvert renseignait sur les derniers gestes de l’occupante avant son assoupissement. Dehors, le beau temps retrouvait son emprise. Un faible rayon s’infiltrait, en léchant peu à peu le visage de l’endormie. À l’embrasure de la fenêtre demeurée béante, un anoli indiscret dévisageait l’alitée. Tranquillisé, le lézard se convertit en gardien des lieux pour mieux accompagner la lente descente du disque solaire vers le couchant. Un craquement parti du lit et le reptile se pencha vers l’intérieur. Sandrine revenait du pays de Morphée. En guise de bonsoir, le saurien hocha à deux reprises la tête en direction de sa protégée. La revenante sourit, le visiteur écopait d’un clin d’œil.
« J’aimerais terminer ma lecture ! Passionnante, cette analyse de la question coloniale du maire de Foyal ! Bah ! Nous l’achèverons plus tard ! Martine ! Elle doit être sur des charbons ardents ! Laissons-la mariner encore un peu ! »
La lycéenne s’avança vers la fenêtre et s’y accouda. Son familier, le lézard, grimpait sur un montant, puis se retourna. La jeune fille tendit la main comme pour l’atteindre, l’animal accéléra son allure.
— Souhaiterais-tu jouer un brin ?
« Bien ! Mettons un terme au calvaire de Martine ! »
— Bonsoir, ma grande ! L’envie de prendre connaissance des fruits de tes réflexions me remue !
— Ne te moque pas ! Je suis toujours en panne !
— Dans ce cas, préparons-nous à dialoguer !
— Excellent ! Je suis prête à t’écouter attentivement !
— Pas tout à fait ! Notre conversation ne se déroulera point sous l’angle d’un monologue. De nos efforts communs, fusera la réponse ! Hi, hi, hi ! Ne fais pas la moue ! À l’instar de tout pensionnaire de l’éducation, le laboureur et ses enfants creusèrent des sillons dans ta mémoire. Eh bien, retrousse tes manches et empoigne un trident !
— Tu adores faire de belles phrases, Sandrine ; toutefois, ton éloquence n’est point tapageuse, l’entreprise s’ouvre toujours sur du positif !
— Après coup, analysons le contenu des dernières manifestations de clôture.
— L’attraction principale demeure la tombola posée au milieu de sa garniture, en d’autres termes, les jeux et concours.
— En tenant compte de ce constat, quelle opération créerait la nouveauté dans cet espace ? Retenons cette instruction : susciter l’intérêt en mettant en relief l’évolution de la société martiniquaise et attiser l’engouement du public !
— Hum ! Un concours, reposant sur l’écriture d’un texte à partir d’un sujet de son choix, par exemple ?
— Voilà une proposition susceptible d’être retenue ! Reste à définir les modalités d’organisation de l’épreuve, c’est-à-dire : le jury, délimiter la liste des candidats, le fond et la forme de l’exercice, nombre de pages, etc. Ceci dit, le choix du sujet ne devrait pas dépendre du participant, deux sujets imposés relèveront la compétition. Qu’en penses-tu ?
— Pour l’instant, je recueille les suggestions. À la prochaine étape, les jours prochains, nous tâcherons de parfaire le plan. Comme tu ne l’ignores point, nous avons d’autres préoccupations. Cela étant, quel jeu trottine dans ta tête ?
Envisagerais-tu une pièce de théâtre ? De quel auteur ?
— Nous serons les auteurs de la représentation !
— Heu !
— Éclaircis cette marque d’embarras, Martine ! Tu suis, apparemment des cours de littérature ?
— Le projet réclamera un thème et l’élaboration d’un texte au premier abord, dans un deuxième temps, des acteurs, un local de répétition et la nomination d’un superviseur ! Avons-nous suffisamment de moyens pour affronter tout cela ?
— Martine, le but n’est pas de monter une pièce de théâtre pour subjuguer New York ou Paris, mais une saynète à même de servir de tremplin aux élèves désireux d’embrasser la carrière artistique. Du monde, nous en trouverons, le propos du divertissement demeurera un travail d’équipe, bien qu’une vague d’idées trotte dans ma tête.
— Précise davantage, Sandrine ! Car le thème reste important ! Puisera-t-on dans les faits de société ? Mettrons-nous en avant les problèmes inhérents à la culture léguée par un passé troublé ? Ou un sujet général dépassant le cadre du pays pour toucher l’universel ?
— Ah ! Tu commences à explorer les sphères !
— Merveilleux ! En somme, deux propositions à mettre sur la table !
— Pourtant, tu te disais en panne d’idée !
L’alizé du soir léchait le feuillage. L’œil du soleil, en rougissant la partie supérieure du bois, camouflait la verdure. Les goyaviers, tels des arbres ornés pour la fête de la nativité, exposaient le jaune de leurs boules. Sandrine tournait en rond dans sa chambre. La journée se révéla délicate et l’approche des examens ravivait une angoisse éparpillée dans l’air. Un tourment dissimulé se saisissait des êtres. Isolée dans son antre à la venue du crépuscule, la jeune fille n’échappait point à l’anxiété répandue dans le monde estudiantin à l’arrivée des derniers jours. Dressée face à la fenêtre aux battants repliés vers l’intérieur, la lycéenne appréciait le point de vue. La perspective lui ramenait du réconfort. Éprouvait-elle le besoin d’engranger ce fortifiant ? Quelle faiblesse la taquinait en ce moment ? Les révisions, galop d’essai des prochaines joutes, achevées, l’instant incitait au repos.
« Demain, c’est déjà mercredi, cependant, mon texte ne noircit point mon cahier. Si je jetais l’éponge ? Cette conduite ne reflète aucunement ma personnalité. Mon amie, respire profondément, l’apaisement aidant, la solution du problème qui se pose, viendra. »
Après cette clarification, la demoiselle s’assit et le questionnement d’un chercheur congolais repéré dans un hebdomadaire quelque temps auparavant, lui vint. L’étudiante s’en réjouit et un passage du texte de jadis la remua.
« Qu’est-ce que l’intelligence ? Si la nécessité de traverser un fleuve avec votre famille et vos affaires se révélait indispensable, comment aborderiez-vous la tâche ? »
La perplexité plissa la figure de Sandrine. Où se situait l’intérêt de cette allusion ?
« En utilisant nos méninges, la clef de nos tourments scintille comme le tilapia luit dans l’onde claire de la ravine au Zénith. »
Sur ce, elle crut entendre l’intonation de sa mère, hélant depuis le séjour, où celle-ci goûtait à quelque repos, en visionnant un film.
— Tu m’as appelé, maman ?
— Entendrais-tu des voix, mon enfant ?
— Oh ! Pardon !
En regagnant sa chambre, Sandrine emprunta sa posture de prédilection, lorsqu’une préoccupation la titillait.
« Nous ne baisserons pas les bras face à l’adversité ! Sans me mettre martel en tête, une ébauche apparaîtra tôt ou tard, même si je dois consacrer une partie de la nuit pour y parvenir. »
En s’accoudant à l’embrasure de la fenêtre, son discret compagnon se manifesta. L’anoli, attaché à son rituel, hocha deux fois la tête.
— « Bonjour, mon ami ! Comment se déroula ta journée ? Combien de mouches et de ravets ont péri sous tes coups ? Je sais, le bavardage n’est pas ton point fort ! »
— Merci, papa ! émit Sandrine en rabattant la portière du camion paternel.
Dans un crissement réveillant la détresse d’un porc dans l’aube frémissante de Noël, le véhicule glissa lentement sur l’asphalte fraîchement réparé de la corniche. L’ex-passagère jeta un coup d’œil par-dessus l’épaule. L’auto de son père s’incluait dans l’embouteillage causé par le goulot d’étranglement entretenu grâce à l’étroitesse du pont. La lycéenne gravit hâtivement les marches donnant sur la cour intérieure, puis aperçut Martine.
— Où étais-tu passé ces derniers temps ? Je désirais t’entretenir de certains faits avant la séance !
— Figure-toi qu’à l’approche du dernier crépuscule, mon intrigue ne germait pas encore !
— Quand ta version a-t-elle éclos ?
— Le projet attendu, peu importe de quoi il retourne, reste un travail en commun ! Pour cette raison, l’essentiel réside dans l’esquisse proposée ! L’équipe enrichira le schéma énoncé le moment venu ! À propos de ton projet, le gros, demeure sous contrôle !
Martine respira, le duo pénétra la salle des débats.
— Bonjour, chers membres ! Allons à ce dont il est question, les suggestions, sans doute à l’origine d’un désordre inaccoutumé dans votre esprit ! Cela étant, le temps presse, vous avez la parole !
— Notre équipe aligne deux propositions. La première, fruit des quêtes de Martine, s’ouvre en un projet littéraire. Un texte dont le lauréat s’attirera les faveurs du jury. Bien entendu, les modalités s’éclairciront au cours de nos prochains travaux. La seconde suggestion, l’objet de mes observations, entrevoit une pièce de théâtre modérée dans sa durée et soulignant les aspects négatifs hérités de la période sombre de notre histoire. Cela s’entend, le couronnement de la composition dépendra de la synergie développée par les parties prenantes !
— Dresse-nous un synopsis de la saynète !
À la fin de l’illustration :
— Qu’en pensez-vous mes amies ? Comment t’est venue cette idée, Sandrine ? Un thème et une charpente tout à fait à mon goût ! Merveilleux ! Martine, ton projet accompagnera la représentation de ton amie ! Voilà de quoi, redorer le blason de nos activités tout en servant de tremplin à nos éventuels écrivains et gens du théâtre, en herbe ! Bien ! Afin de peaufiner tout cela, nous nous retrouverons mercredi prochain.
La réunion levée, un sourire éclairait le visage de Martine.
L’embouchure du canal près de l’abattoir dépassé, Sandrine et son amie de Ravine-vilaine dévièrent sur la gauche, puis longèrent la rive domestiquée du cours d’eau. Escortant leur randonnée, les allamandas, aux racines enfoncées dans les bacs ornant les contreforts, s’inclinaient continuellement sous l’action du vent descendu des pitons.
— Que projettes-tu de bon, concernant cet après-midi ?
— Les examens approchent, Martine ! Réviser encore et toujours reste ma rengaine !
— Je souhaitais revoir certains aspects de la dissertation, mon père pourrait me déposer à Coridon vers dix-sept heures, hum ?
— L’horaire mentionné ne te semble pas un peu tardif ?
— Ben ! Nous mettrons la main à la pâte deux heures durant, puis le paternel rappliquera !
— Pourquoi pas !
Une crevaison ayant retardé le papa de Martine, cette dernière partageait le repas familial lorsqu’un léger coup de klaxon sortit la ruelle de sa léthargie.
— Souhaite, une bonne soirée à tes parents, Martine ! lança la mère de son amie.
Sandrine accompagna son amie au portail, puis lui adressa un signe de la main, quand celle-ci refermait la portière du véhicule de son paternel. Pensive, la jeune fille gravit l’escalier dépourvu de rambarde avant de rallier son observatoire, la véranda en devenir. Sa jeune existence oscillait entre deux mondes.
Un bruit de pas différa son recueillement. Prudemment, l’occupante se dissimula derrière un pan de mur en élévation. Un voisin, sur ses jambes titubantes, bégayait de temps à autre un juron en se cognant contre les obstacles de la voie. Sandrine sourit !
« Monsieur Julien ! Ah, celui-là ne changera point ! »
L’épisode refermé, la lycéenne retrouva sa posture pour revenir à ses méditations.
« Assurément, une page se tourne ! Quelle emprise acquerrai-je sur ces faits à venir ? Comment défaire les nœuds qui se présenteront sur notre cheminement ? Serait-ce un futur prometteur ? Cependant, la clef des énigmes se cache dans notre poche ! »
Une odeur montait de l’asphalte ramolli. Avec générosité, Phébus projetait ses faisceaux sur la cité alanguie sous la chaleur lourde du mois de juin. L’astre du jour, ayant parcouru les deux tiers de la voûte céleste, semblait revigoré à l’approche de l’horizon, malgré la présence de la faucheuse à l’affût derrière la ligne de front. Assoupie sous cette chape de plomb, la grande bleue paraissait figée. Nulle vague, aucune manifestation ne troublait l’étendue. À l’intérieur de l’établissement, les candidats à l’examen du baccalauréat, penchés sur leur copie, guettaient le moindre souffle d’air jaillissant des lucarnes. En se servant d’un éventail improvisé, les feuilles remises par les examinateurs, Sandrine s’éventait.
Depuis le début de la semaine, tels des chevaliers fraîchement adoubés pour les joutes du roi, les élèves de terminale guerroyaient dans ce tournoi final. Le soleil disparu, les portes du lycée se refermant, Sandrine attendait son amie de Ravine-vilaine. Martine vint et le duo partit en direction du canal.
— De grâce, Martine ! N’évoque point les péripéties de la journée ! De toute façon, les jeux sont faits ! Me détendre, tel est mon souhait du moment !
— Aurais-tu un plan concernant la soirée ?
— Se délasser signifie m’allonger un peu mon amie ! Je suis fourbue, la semaine fut longue.
— Tu as raison, après la douche, je m’installerai dans mon lit également.
Les deux filles ne bifurquèrent point cette fois à gauche, pour longer le canal jusqu’au marché aux poissons, comme d’habitude.
Les deux lycéennes portèrent leurs pas vers le boulevard maritime, avant de jeter leur dévolu sur la rue accueillant la cathédrale de la cité. Sur le parvis du lieu sacré, les six coups des vêpres retentissaient.
— Pour qui sonne le glas ?
— Tu lis Hemingway ?
— Ah, ah, ah ! s’esclaffa Martine. En dépoussiérant la bibliothèque élevée par mon père, ce titre, lecture de sa jeunesse parisienne, attira mon attention.
— En cas de succès, quels sont tes projets concernant l’an prochain ?
— Comment cela ? Pour le moment, les prévisions s’effacent, attendons les résultats !
Préoccupée, la fille de Ravine-vilaine se tut. Sandrine décela son embarras.
— Tu sembles anxieuse, Martine !
— Pour parler honnêtement, mes parents ont décidé mon départ vers la France. À les entendre, la Martinique ne peut me réserver un avenir radieux !
— De ton côté, qu’en penses-tu ?
— Hum ! Envisager une rupture brutale et violente me paraît déraisonnable ! Faire l’autruche ? Le temps ne jouera pas en ma faveur !
Cette fois, Sandrine garda le silence, puis leva la tête. Au loin, la rue du Pavé baissait pavillon au pied de la colline du Calvaire. Là-haut, sur le plateau, un spectacle magnifique captivait le visiteur. Le centre-ville et son esplanade verdoyante, la baie de Foyal et les rives du sud sous le ciel bleu ajoutaient un reflet particulier à ce tableau unique.
— As-tu le cœur à réaliser une petite pointe jusqu’au Calvaire ? Le décor requinque, paraît-il ?
— Nous risquerions d’arriver tardivement chez nos parents, Sandrine !
— Durant l’existence, les risques à prendre ne se feront pas rares, ma petite Martine ! On y va ?
Appuyée contre le garde-fou bornant l’esplanade de la chapelle, point de départ du renouvellement immémorial de la passion du Christ, Martine s’époumonait.
— L’ascension du morne, quel tour de force ! Cela étant, le résultat demeure à la hauteur de l’effort accompli. À l’évidence, la vue s’enferme dans sa magnificence et demeure insoupçonnée. Ce plateau m’offre l’hospitalité pour la première fois.
— Ainsi, ta ville demeure, à t’entendre, une inconnue ! Ton pays également, si je ne m’abuse ? Pourtant, l’envie de découvrir l’ailleurs te subjugue !
— Sincèrement, ce n’est point mon souhait ! Toutefois, comment contrecarrer les plans de mes parents ? Le départ, élu à la majorité écrasante, paraît à coup sûr un passage obligé.
Sandrine sourit à la fin de l’énoncé de son amie.
— Contemple avec un intérêt intense la vue d’ensemble se déployant sous tes yeux ! Restes-tu convaincue de l’endurcissement de l’auteur de l’univers, au point de priver un tel joyau de la ressource nécessaire pour sustenter ses naturels ? Même au cœur du désert, les gens trouvent leurs subsistances ! Sur la banquise, les Esquimaux bâtissent leur avenir ! Au nom de quelle damnation cette terre, abreuvée de pluie, inondée de soleil et à la végétation exubérante, ne saurait être apte à la vie, au sens pratique du terme ?
— Question profonde, dont seules les âmes bien nées, sont en état d’affronter !
— Âmes bien nées ! Tu sembles en veine ce soir, mon amie ! Nous aborderons une autre fois ce champ. En effet, l’avancée de la nuit alerterait nos parents.
Le duo dévala la pente pour se retrouver à la gare routière de la place de l’Asile.
« Ah ! Cette station porterait à merveille son nom, si on y ajoutait : des échappés des Petites-Maisons ! Néanmoins, la dénomination acquise conviendrait, à ravir, à l’ensemble de l’île ! »
Considéra Sandrine en s’engouffrant dans le bus.
Une pluie diluvienne noyait la section. Le vert, profond sous l’œil de l’astre du jour, palissait derrière les particules d’eau. Cependant, le chuintement des précipitations n’affadissait point les cris des oiseaux, fuyant le déluge. Opportunistes et musiciens auxiliaires avérés, les grenouilles profitaient de l’aubaine pour affiner leur art. Un regain, Sandrine recula d’un pas. Pensive, la jeune fille fixait le décor. Les résultats de l’examen seront connus, tôt, le matin.
Le camion du père de Sandrine s’immobilisa, le conducteur ayant trouvé une place convenable à son engin.
— Tu ne poursuis pas, père ?
— Ce jour emprunte une apparence particulière, ma fille ! Je patienterai ici !
— Oh ! Papa !
Une foule se groupait devant les tableaux d’affichage, des jeunes et des parents s’efforçant d’oublier leur angoisse. Martine jubilait ! En pivotant, elle remarqua son amie. Radieuse, la fille de Ravine-vilaine s’avança :
— Tu l’as eu avec mention bien ! Enfin, nous l’avons eu !
Prévenu, le père abandonna son véhicule. Ses yeux impatients balayaient le tableau d’affichage. Un sourire de contentement améliorait son visage ovale. Égal à une abeille s’égrenant de la ruche mère, l’homme se dégagea de l’essaim, posa un baiser sur le front de sa progéniture et retrouva son camion. Dans la cour, Martine et d’autres élèves grisées par l’émotion semblaient faire voile sur les flots du pays de l’allégresse.
« Personne n’a la tête sur les épaules en ce moment. La date de la manifestation approche, cependant ! Profitons de l’instant pour rendre visite à la responsable de l’association ! »
Les félicitations d’usage échangées, la visiteuse aborda la raison de sa venue.
— Assurément, Sandrine ! Les jours gagnent de vitesse ! Le scénario, est-il disponible ?
— Le dépeindre en présence des autres eut été préférable.