Le maître du jeu - Gilles Buisson - E-Book

Le maître du jeu E-Book

Gilles Buisson

0,0

Beschreibung

Deux amis de longue date se retrouvent sur la Côte d’Azur pour une escapade estivale empreinte d’estime et de débats virulents. Cependant, leur tranquillité vole en éclats lorsqu’un événement troublant survient : les banques ferment, les retraits d’argent sont bloqués, et l’économie s’arrête net. Ce qui devait être des vacances devient alors une course à la survie. Isolés, sans informations fiables, les deux hommes cherchent à comprendre ce qui se trame. Entre tension sociale, chaos ambiant et silence médiatique, une inquiétante vérité se dessine. Le séjour bascule en un thriller politique où l’intime croise le destin collectif.

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Gilles Buisson est un humaniste contemplatif, amateur de fiction politique, de littérature et de cinéma. Il commence par écrire des textes courts et des billets d’humeur avant de se tourner vers le roman. "Le maître du jeu "est son deuxième ouvrage, où se mêlent imaginaire, critique sociale et tension narrative.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 272

Veröffentlichungsjahr: 2025

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Gilles Buisson

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le maître du jeu

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Gilles Buisson

ISBN : 979-10-422-7499-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partie I

C’est arrivé près de chez nous !

 

 

 

 

 

 

Monologue de sourd

 

 

 

5 h du matin, je suis réveillé par la douce et délicate mélodie électronique de mon smartphone. Désormais, plus besoin de remonter ou de caler la sonnerie d’un réveil avec une clé. Et terminés les tic-tacs rassurants. Maintenant, on possède presque tous le sacro-saint tout en un, regroupé dans le fameux boîtier technologique chinois plat de 15 x 8 cm environ. Objet devenu incontournable au XXIe siècle. Il faut décidément vivre avec son temps !

— Quoi, t’as pas de smartphone ? Pff ! Cette remarque désobligeante vous envoie au terminus des has been d’une époque révolue, évoquant le moyen âge par ceux qui la prononcent et qui te regardent étrangement.

Je file direct sous ma douche en prenant bien garde de ne réveiller personne dans l’appartement. Quinze minutes plus tard, me voilà frais, dispo et habillé.

Puis armé de mon fidèle sac de voyage souple (le seul toléré en cabine sans surtaxe), je sors de l’appart et me dirige d’un bon pas dans la nuit tiède en direction de la station de Tram qui se trouve à 10 minutes de là.

50 minutes de transport environ m’attendent pour rejoindre l’aéroport. L’atmosphère est déjà moite, presque collante. Je perçois que la journée va être encore chaude et lourde ; de ces journées d’été qui pèsent sur les organismes, où l’on cherche sans cesse les endroits frais, les zones abritées, l’ombre des arbres, les terrasses réconfortantes, une bonne bière fraîche.

 

Le Tram est à l’heure. Les freins crissent légèrement à son arrêt. Je monte dans la première voiture proche de la cabine du conducteur, je suis seul. Le train urbain s’ébranle délicatement en direction du premier arrêt et des stations prochaines. Je serai en avance à l’aéroport et je pourrai prendre un café croissant avant de m’envoler vers la capitale phocéenne, Marseille, retrouver mon seul et vieil ami de toujours, qui vit non loin de la cité phocéenne, dans une petite ville portuaire de la Côte d’Azur pour une semaine de break ou plus. Rien n’est arrêté et nous avons le temps.

J’enfile mes écouteurs pour écouter les infos de la nuit et la sombre litanie quotidienne défile, se répandant dans mes oreilles au rythme du balancement lancinant des voitures. À chaque station endormie, çà et là montent silencieusement des personnes qui vont travailler de bonne heure ; la journée appartient donc toujours à ceux qui se lèvent tôt. Chacun s’assoit rapidement en silence. À cette heure encore nocturne, il n’y a que l’embarras du choix, pas de bousculade, pas de poussette encombrante, pas de vélo qui vous agrafe un bras ou une jambe ni de trottinette ou de sacro-saints sacs à dos énormes, le fidèle et obligatoire accessoire des urbains actifs d’aujourd’hui.

Je flotte soudainement dans une atmosphère mêlée de l’odeur significative du Tram, des parfums d’après-rasage, des déodorants poudrés et des eaux de toilette bon marché recouvrant la crasse et la transpiration des jours précédents. On se lève chaque matin, on se lave ou pas, et on se parfume afin de ressembler à quelque chose de civilisé en donnant l’air de…

Somme toute, les courtisans poudrés qui chiaient, pissaient et baisaient dans les bosquets de Versailles sous Louis XIV et ne se lavaient jamais le cul ni le reste, ont changé d’aspect et de tenue. Restent les odeurs fétides qui vous obstruent et vous saturent le nez.

Enfin, sans ambages, mon transport arrive au terminus face au hall de l’aéroport.

Je descends libéré et d’emblée, je consulte les panneaux qui annoncent les horaires de départs et d’arrivées ainsi que les zones dédiées. Malaga, Majorque, Minorque : que des destinations et des rêves de vacances pour retraités et jeunes couples en ce début de septembre.

Ah, je découvre mon vol : Marseille, décollage 7 h 25. « On time. » C’est toujours écrit en anglais (à l’heure heureusement) ! Terminal 2, porte 60. Une vague pensée chagrine me traverse à l’intention des voyageurs qui n’ont jamais étudié, même à l’école, quelques mots d’anglais rudimentaires.

J’emprunte le premier escalator qui monte vers les portes d’enregistrement et me voilà au cœur de la petite fourmilière qui s’éveille et se disperse déjà en tous sens, l’air déjà affolé. Vu l’heure très matinale, il y a assez peu de monde dans le hall. Seuls sont ceux qui cherchent fiévreusement déjà la bonne porte en s’agglutinant comme troupeau allant et venant le regard perdu au ciel vers leur quête définitive. Là, encore et toujours, les sacs à dos bondés s’amassent et s’entrechoquent, les mines déjà rougies de stress s’échauffent, les corps s’agitent ; la sueur perle déjà sur les fronts cintrés de casquettes ridicules, souvenirs des escapades précédentes, que l’on souhaite fièrement exhiber au public : Bali, Disneyland, Marbella, le Puy du Fou, et j’en passe. Que de bons souvenirs touristiques passés.

Amusé et calme devant ce spectacle agité et déjà malodorant, évitant la meute, je cherche mon chemin et celui d’une cafétéria où je pourrai me poser tranquillement devant un café, forcément mauvais, et tremper un croissant industriel dans le jus noir en rêvassant dans ma douce léthargie.

Rasséréné et quelque peu nourri, j’avais hélas raison sur la piètre qualité des produits servis. En revanche, le prix imposé me conforte sur le fait que voyager et ses à-côtés coûtent une blinde. Après les multiples contrôles et les portiques où je dois retirer ceinture, chaussures, montre et autres objets métalliques, je m’engouffre enfin dans les coursives successives pour parvenir enfin à l’entrée de ce fameux Boeing 737 de la compagnie « low cost » que j’ai choisie pour son prix attractif.

Mon siège, si je peux le nommer ainsi, est situé aléatoirement (j’ai refusé de payer le supplément place choisie) près du hublot au niveau d’une porte de secours. Tant mieux pour mes jambes, et tant pis pour mon cul, car le séant semble construit sans ressort et rembourré de noyaux de pêches, enveloppé d’un cuir douteux bas de gamme sur lequel colle mon crâne chauve. Bah, une heure de voyage ça ira, j’ai un bon roman de Philip José Farmer : le dernier volume du fleuve de l’éternité, ainsi que de la musique triée dans mon smartphone, et j’éviterai de poser mon crâne sur l’appui-tête.

Les consignes de bord sont annoncées en anglais, ainsi que les informations diverses de consommation à bord, toutes payantes elles, et dans plusieurs langues européennes approximatives et incompréhensibles bien sûr.

Le personnel navigant fait ensuite ses checks sans ménagement, à grands coups de hanches et de fesses généreuses contre mes voisins du couloir. Puis la voix d’un mec improbable nous informe (sans doute le pilote) que nous allons décoller. Tant mieux. Que le temps de vol dure un peu plus d’une heure, que la température à Marseille est étouffante, et que personne ne comprend… En anglais, mâchouillé de pilote !

À ce moment précis, je me souviens des bulles des bandes dessinées de Buck Danny que je dévorais étant môme, et j’éclate de rire, ce qui amuse mon voisin : « Roger, go. »

Décollage « on time ! » sans histoire. Le jour est enfin levé et le soleil darde ses rayons déjà brûlants à travers le hublot. Je m’assoupis déjà. C’est dingue chez moi l’effet soporifique que provoquent les voyages aériens. Jadis, à chaque fois que je voyageais de très bonne heure pour le travail, il suffisait que je m’asseye et vlan, dans les 5 minutes, je piquais du nez afin de rattraper un peu de ma nuit avortée. Ainsi je n’entendais rien des consignes et je me passais également du café infect servi gratuitement à l’époque.

Quelques minutes plus tard, je suis sorti de ma léthargie par un coup de coude malencontreux de mon voisin qui s’excuse benoîtement.

Il a sorti L’alchimiste de Coelho et dévore déjà page après page le célèbre roman. Éveillé, je décide de commencer la lecture du quatrième volume de Farmer, Le fleuve de l’éternité IV – Le labyrinthe magique. La fin épique des aventures d’humains qui renaissent sur une planète imaginaire, ce qui questionne sur le rôle et l’attitude que nous aurions en cas d’un retour ailleurs après la vie terrestre, et qui place la croyance ou non en l’être suprême au centre des réflexions. Un programme alléchant, mixant fiction et transposition spirituelle.

L’avion stabilisé emprunte déjà son couloir aérien en vitesse de croisière. Je regarde par le hublot, le ciel est clair, pas de nuage, une visibilité parfaite. Je distingue tous les détails terriens infiniment petits, peuple de jouets. La relativité de la distance évoque chez moi un sentiment curieux où l’humain semble si discret d’où je me trouve, alors qu’en réalité ce monde grouille en permanence, piétinant inlassablement et voulant imposer sa supériorité et sa maîtrise sur les éléments qui, de plus en plus fréquemment, lui renvoient des beignes ultra violentes via des manifestations climatiques jusque-là incroyables. Juste retour des choses ou évolutions ?

Constatant que je m’embarque en philosophie de petit étage, je me replonge dans mon ouvrage. Luttes de pouvoirs, tentatives de soumissions, envahissement et contrôle ; tout y est pour nous montrer que même dans un au-delà fictif, l’humain conserve ses tendances à la domination sur les autres et sur la nature. La science-fiction n’est qu’un reflet de ce que nous sommes depuis la nuit des temps, de ce que l’Homme crée, et détruit au gré des civilisations qui se succèdent. Fâcheuse tendance confirmée par l’histoire du monde depuis le début des premiers hommes.

— Ladies and gentlemen, we are going to land in fifteen minutes on Marseille airport.

Annonce le chef de bord en ajoutant au passage les consignes de sécurité et les dernières recommandations d’usage. Que de mots pour si peu de choses. Bientôt la délivrance de cet espace de promiscuité réduit et inconfortable. Une boîte de conserve géante remplie de chair humaine où il ne fait pas bon vivre au-delà de ce genre de voyage.

Enfin je vais pouvoir marcher, sortir à l’extérieur, fumer et avaler un café, un vrai.

Je n’ai pour bagage que mon vieux sac en cuir pratique et extra souple que je porte en bandoulière. Tant mieux. Je vais pouvoir m’extirper rapidement de ce magma humain chaud et mou qui téléphone déjà, piétine et se dandine nonchalamment dans les coursives étroites qui mènent vers la sortie. Je double, m’excuse, zigzague et accélère le pas vers la sortie en prenant garde de ne heurter personne (le touriste est rétif, toujours agressif, et donneur de leçons envers qui ose le dépasser malencontreusement…)

Enfin l’issue salvatrice. Sauvé !

Enfin dehors. Le choc thermique entre le bâtiment et l’extérieur est terrible. Je pénètre dans un four à l’air libre, je cuis. Tant pis. Au moins je respire un air naturel et pollué, mélange des émanations de kérosène des avions, du gasoil des taxis, des pets et des rots et de la mauvaise haleine du monde qui vit ici (on est à Marseille) ! Ça hurle, ça klaxonne, ça s’engueule, ça s’insulte. Le vrai monde, les vraies gens, l’incivilité, l’agressivité, l’obscénité quotidienne ; j’ai l’impression d’être parti de chez moi depuis un siècle environ et retrouver cette gauloiserie si franchouillarde me rassure. Je suis en France, bordel.

 

Mon pote est en retard. Tant mieux. J’ai le temps d’en griller une dans un espace aménagé exprès. Maintenant, même en terrasse, le droit de fumer n’est pas évident, mieux vaut demander sinon… Je pose enfin le bord de mon cul sur un banc crade et tagué, mon café tasse en carton brûlant en main et de l’autre ma clope, récompenses futiles après ce transport infernal. J’aperçois en approche la voiture de mon ami qui cherche nerveusement l’entrée du parking express. Un vrai Méditerranéen qui joue de la voix et du geste. Cela me rassure. En quelques mois, il n’a pas changé, toujours aussi nerveux l’asticot.

Enfin, il me rejoint et l’on s’embrasse chaleureusement :

— Je ne supporte pas les Marseillais, dit-il ! Avec son accent de toulousain.

— Je prends un café, je fume une clope et on se tire de là, je suis déjà au bout du rouleau.

Mon ami possède une mini voiture de sport, genre pot de Petit-Suisse, aussi nerveuse que lui. La sortie de la zone aéroportuaire se déroule bien, pas trop de circulation, puis nous arrivons rapidement sur l’autoroute en direction de sa petite ville côtière. Environ 50 bornes à tailler : une formalité pour ce fieffé pilote agacé. La délivrance arrive enfin quand j’aperçois la Méditerranée et son bleu marine incomparable. Nous y sommes presque. La Seyne sur mer, La Ciotat, Saint-Cyr, etc. Toutes ces villes synonymes de vacances, d’industries maritimes lourdes, d’extrémisme et de tourisme sur fond de grande bleue.

Arrivés à l’entrée de sa ville, se trouve un drôle de caviste qui vend un excellent Bandol, où nous avons l’habitude de nous ravitailler. Hélas, quand le diable d’homme a décidé d’ouvrir son bouclard ! Car personne ne connaît les horaires personnels et fouillis de la bête. En effet, ce matin-là, la grille métallique est encore baissée, il est 11 heures. Tant pis, nous irons ailleurs.

 

 

 

 

 

Mon ami Armand

 

 

 

Ce Toulousain expatrié sur la Côte d’Azur pour des raisons professionnelles, il y a longtemps déjà, vit confortablement seul dans un bel appartement au milieu d’une petite résidence cossue.

— Les femmes, ce n’est plus pour moi, dit-il.

Il faut préciser qu’il a généreusement et abondamment profité du mariage et de la cohabitation en couple pendant sa vie professionnelle. Maintenant, il partage son temps entre la lecture, énormément de lecture et la culture du ne rien faire, à condition de bien le faire, parce qu’il y a un temps pour tout, précise-t-il en souriant.

Homme heureux, joyeux, épicurien, aimant le bandol et le whisky, ce mec sociable à première vue s’énerve très vite après n’importe qui et quoi, et comme il est construit comme une biscotte, on imagine aisément le petit bonhomme alliant le verbe et les gestes quand la moutarde lui monte au nez, ce qui provoque parfois des situations compliquées lorsqu’il lui s’agit de s’expliquer avec des personnages taillés comme des rugbymen. Rien ni personne ne l’effraye, d’où parfois l’embrouille à la limite, parce qu’en plus il a une gueule de matamore et un toupet digne des plus inconscients…

Ainsi, lorsque nous constatons que le caviste, « ce fainéant », est encore fermé, les gros mots fusent allègrement :

— On va aller en ville, il y en a un autre qui, lui, est ouvert tous les jours et respecte les horaires et les clients ! Fais chier ce con !

Sitôt dit, sitôt fait. Nous voici dans l’autre magasin ouvert et bien achalandé, genre cave et épicerie fine aux tarifs de luxe également. Deux bouteilles d’excellents Whisky Single malt goûtées, appréciées et sélectionnées, trois Bandol rosés, un blanc et deux rouges, deux tablettes de chocolat noir ultra fin, et une belle tome de montagne : de quoi tenir quelques jours et arroser nos légers repas du soir.

Le midi, plutôt 13 h 30, nous déjeunons dans une des nombreuses brasseries du port où nous avons nos habitudes et nos quartiers hors saison. La patronne et le personnel nous connaissent, et nous sommes bien reçus même si la qualité laisse parfois un peu à désirer. Repas avalé, l’après-midi sera consacré à un premier approvisionnement basique en attendant le marché de demain matin sur le port.

Ici et maintenant, il est nécessaire de préciser une chose essentielle pour la compréhension de la suite du récit : mon pote vit à flux tendu, c’est-à-dire que mis à part un peu de sel, de poivre, de café et de müesli, ses placards et son réfrigérateur sont désertiques. Il se couche tard, lit longtemps, et par conséquent se lève tard le lendemain, se douche, avale un café et un bol de céréales jusqu’au soir, et le tour est joué. Le reste de son alimentation du soir provient du traiteur du coin, réchauffée au micro-ondes. Voilà également pourquoi aucune femme n’a sa place ici. Pas d’espace à la création, à la décoration, au ménage, ni à l’improvisation culinaire, encore moins pour stocker et étaler du maquillage, des vêtements et des sous-vêtements nombreux.

Tu veux manger chez lui : tu apportes le nécessaire, et tu cuisines comme tu l’entends. D’ailleurs, il ne sait pas cuisiner, même un œuf ! En revanche, la cuisine est équipée comme dans un appartement témoin, rien ne dépasse et tout y est, comme le frigo vide comme la Sibérie. Donc tu peux stocker aisément.

Passons donc sur ces détails ménagers pour revenir à notre histoire débutante, car il est grand temps de passer à l’apéro puis de consommer un repas léger, vu l’heure avancée de la journée, et sachant que j’ai mis pied au sol à cinq heures, pour ceux qui l’auraient oublié.

Plus tard, vers 17 heures, nourris et un peu gais de nos retrouvailles et du Bandol, nous nous dirigeons vers le distributeur de monnaie le plus proche pour refaire nos poches d’un peu de fraîche avant d’aller faire quelques emplettes solides cette fois :

— Merde, ce p… d’appareil est vide, et l’agence est évidemment fermée, bande de faignants, me dit mon ami fort agacé. J’essaye à mon tour, pareil.

Deuxième DAB, vide également ! Nous renonçons à faire le tour de la ville.

— Tu sais quoi, on commandera une pizza ce soir, et on fera les courses demain, dit-il. Parfait. De toute façon, après notre traditionnel premier apéro nocturne de retrouvailles agrémenté de cacahuètes salées, qui sait si nous aurons faim ?

Ainsi nous rentrons directement. Il me reste environ une trentaine d’euros en poche, quant à lui, la monnaie de ses cigarettes payées avec vingt euros. Pas de quoi paniquer, d’autant que « ces cons auront rechargé le distributeur d’ici demain midi ».

Il fait une vingtaine de degrés. Nous passons une soirée délicieuse sur la terrasse abritée d’énormes pins parasols qui nous embaument de leurs essences typiques, entre discussions animées et verres de whisky. Aucun de nous ne pense à commander quoi que ce soit de solide tant les calories du précieux breuvage nous suffisent, et le temps passe très vite entre deux vieux complices qui ne se sont pas vus depuis plusieurs longs mois.

Comme à notre habitude lors de la première soirée, nous abordons les sujets les plus variés émanant de notre passé commun, du présent tumultueux, de nos enfants, de nos ex, de nos souvenirs professionnels bigarrés et de ceux, malfaisants, qui doivent avoir les oreilles en feu, car nous médisons allègrement sur nos ennemis du passé qui nous ont fait chier, ou qui nous ont trahis. Que celui ou celle qui n’a jamais balancé sur autrui nous jette sa première culotte. Puis, le temps, l’heure, la fatigue et l’ivresse ayant raison de nos âges, nous décidons vers deux heures du matin de mettre un terme à ce premier round, direction nos plumards sans détour. Bisous et à demain amigo.

 

 

 

 

 

Premier jour – Ce n’est qu’un début

 

 

 

J’ouvre un œil vers dix heures. L’appartement est silencieux, mon ami pionce comme un loir. J’ouvre les volets pour constater l’étendue des dégâts encore présents sur la table extérieure de la terrasse, faire un peu de ménage pour me dégager un espace propre, puis un bon café au son de cigales en lisant les informations de la nuit sur un des médias numériques de mon smartphone. Toujours les mêmes informations inutiles qui tournent en boucle, aucun intérêt notable, pas de fait majeur, sinon les caprices de la météo et les résultats du loto.

Mon ami émerge, la mèche de cheveux en bataille, la tronche en biais, sans desserrer les dents. Le café lui délit un peu la langue :

— Putain on a fait fort, hier soir, me dit-il.

— Oui, comme dab, je réponds encore dans ma brume matinale.

— On va faire les courses, parce qu’on n’a rien à béqueter. Quelle heure est-il ?

— Bientôt 11 h, faut se grouiller si on veut aller au marché.

— T’as raison, je fume ma clope, je vais me doucher, puis on y va.

— Vas-y, j’irai après toi.

Dialogue matinal de haute volée entre deux vieux poivrots à peine réveillés. Nous avons la matinée pour émerger et rien de prévu au programme de particulier, donc du calme, pas de nervosité, et tout va bien se passer…

Nous voici enfin prêts, il est 11 h 45. Direction le premier distributeur de billets : vide !

En route vers le deuxième, également vide. Pas de panique, il y en a d’autres, assez nombreux dans le centre-ville.

Au total, nous essayons cinq appareils. Tous vides, et les agences bancaires closes. Résignés et avec peu de cash, nous payerons nos emplettes avec nos cartes de crédit, direction le marché du port.

Sur la place, bon nombre de clients discutent entre eux. Le ton semble assez vif avec les commerçants locaux. Nous tentons de nous approcher quand un maraîcher nous interpelle sèchement :

— Messieurs, si vous n’avez pas de liquide, je dois vous informer que mon TPE ne fonctionne pas depuis ce matin et que je ne peux donc pas prendre la carte bleue.

Diable. Que se passe-t-il donc ? Nous vidons nos poches et achetons pour une trentaine d’euros de légumes et de fruits, et puis voilà tout, nous sommes à sec.

J’ai acheté de quoi faire une généreuse caponata maison, qui constituera un bel apport de légumes frais et variés et pourra accompagner n’importe quelle protéine, d’autant que j’ai acheté aussi un beau morceau de lard fumé pour enrichir le goût de la mixture sicilienne réputée.

Nos achats sommaires étant terminés, mon ami décide de se rendre à son agence bancaire située en plein centre. Fermée. Sans le moindre mot explicatif sur la porte ! En pleine semaine, au-delà d’un jour férié, c’est incompréhensible. Évidemment, il n’y a pas d’agence de mon réseau bancaire dans ce pays touristique à la con.

— Je t’invite à aller boire un verre au bistrot du port, là au moins ils prennent la CB, me propose-t-il.

Arrivés sur place, même triste constat, le barman sympa nous annonce la nouvelle brutale :

— Messieurs, pas de CB aujourd’hui, nous sommes en panne depuis l’ouverture ce matin.

Pas si grave. Nous décidons alors de rentrer, d’allumer la télé sur une chaîne info pour en savoir plus.

Les réseaux d’informations parlent de tout sauf de ce qui se passe en ce moment ici. Le phénomène doit être local, sans doute un problème avec les transporteurs de fonds qui ont dû se mettre en grève au dernier moment, les fainéants.

On allume la radio sur les grands médias à l’heure du journal de la mi-journée pour constater que rien ne concerne la situation que nous vivons. Conservant notre optimisme, nous relativisons, car nos stocks de survie sont désormais corrects et suffisants.

— Écoute, pour aujourd’hui, on a de quoi tenir. En revanche, demain je dois faire le plein de ma caisse, si on veut bouger, et ça ne va pas durer, me dit-il sans inquiétude.

Néanmoins, nous passons une partie de la journée à tenter d’obtenir des nouvelles via tous les médias possibles. Nous téléphonons à nos proches et amis, vivant dans d’autres villes et d’autres départements, pour enfin obtenir les mêmes réponses : plus de pognon aux distributeurs, toutes les agences bancaires fermées et aucune info concernant le problème. Maintenant, on passe de l’incident localisé au problème généralisé, et ces bons-dieux de journalistes qui ne pipent mot sur l’incident. Que se passe-t-il donc, nom de Dieu ?

La télé reste allumée toute la journée, des fois qu’enfin un chroniqueur étale et développe l’info, les causes, les raisons, les tenants et aboutissants… Rien.

 

Alors viennent nos discussions, nos analyses et nos projections :

— Bon, faisons le point : On a de quoi boire et manger pour le moment. Seulement pas question de restau ni de bistrot, ni de courses au supermarché, ni d’essence. Remarque, on s’en fout, on ne bosse pas et tu as ton billet de retour sans date précise. On a le temps de voir.

— Avoue que c’est quand même curieux que tous les échanges de pognon soient bloqués. On n’a même pas pensé aux virements sur internet. Mais, si les banques sont fermées, on ne peut pas récupérer le moindre centime.

Puis, nous allons sur le net pour vérifier l’état de nos comptes respectifs. Bonne surprise, nos situations sont fixes telles que nous les avions laissées, il y a encore deux jours. En revanche aucun mouvement n’est possible en interne et en externe. Et là aussi aucun message, seulement des blocages automatiques : « Opération impossible ».

— À ton avis, que va-t-il se passer ? me dit-il.

— Sais pas, si ça dure, ça risque de chier.

— T’as raison, faut penser aux gens qui bossent et qui ont besoin de leur bagnole, et je te parle même pas des « VRP », et des vieux qui vivent avec leurs pensions en cash, aux mamans isolées, et j’en passe. Putain…

— Demain on ira en ville prendre la température et discuter avec les commerçants. Tu les connais bien, si on a besoin de bricoles, ils te feront sans doute crédit.

— T’es fou toi. On est dans le Sud-Est, une région où personne ne fait confiance à personne, je ne crois pas une seule seconde à la mansuétude du moindre commerçant.

— Arrête, si ça se prolonge, il faudra de la solidarité, sinon il y aura des émeutes, des pillages, des cassages de gueule, et de la rébellion. Les gens ne vont pas rester sans bouffer et sans rouler.

— Ouais, t’as peut-être raison. Il va être intéressant de constater combien de temps les gens vont se serrer la ceinture en la fermant.

— Tu avoueras que ce qui est le plus bizarre tout de même, c’est l’absence totale d’info. On sait maintenant que ce blocus est national, et je ne peux imaginer un instant qu’aucun journaliste n’ait envie de faire un papier là-dessus. La presse est muselée, sans doute possible, encore à la botte du pouvoir.

Dans la soirée, je contacte un vieil ami journaliste en retraite – ancien syndicaliste actif – pour tenter d’en savoir un peu plus. Voilà le fruit de nos échanges :

— Salut, Henri, comment vas-tu ?

— Pas mal et toi, dis donc ça fait un bail !

— En effet, le temps passe trop vite, mais bon, je ne t’appelle pas pour badiner, tu as des infos sur ce qui se passe avec les banques en ce moment ?

Un silence se fait interminable…

— Écoute, je peux pas te parler, là.

— Comment ça, tu ne peux pas ?

— Non. Écoute, c’est complexe, et on m’a fait signer une clause de silence, sinon…

— Oh là, dis donc, tu me la joues espionnage ou quoi ?

— Déconne pas avec ça, c’est grave et ils sont prêts à tout. Comprends-moi, si je te parle encore, je vais avoir des emmerdes, les syndicats sont sur les dents, ça vient de très loin… Et j’en ai déjà trop dit.

— Merde. Ben dis donc, si je m’attendais.

— Sois patient, et si tu as du liquide avec toi, sois prudent. On ne doit faire confiance à personne. Je te laisse, je dois y aller, salut.

Je reste interdit après cette non-conversation, je suis atterré, abattu. Armand qui écoutait, car j’avais déclenché le haut-parleur, est sans voix lui aussi ; ce qui est rare malgré tout.

— Merde. Bordel, c’est plus compliqué que ce qu’on avait imaginé, dit-il.

— Ouais, je connais le vieux Henri, au ton de sa voix, je sais qu’il doit être surveillé, qui sait, sur écoute. De plus, en tant qu’ancien de Sud, il doit avoir accès aux racines de l’affaire. Ces mecs ont des réseaux bien renseignés et proches des flics, je veux dire les RG. Donc c’est véritablement grave. Maintenant, ils savent que je viens de l’appeler et ils vont se renseigner sur moi. Donc à partir de maintenant, profil bas, mon pote.

— OK, tu me fais flipper. Bon fais pas cette gueule, je te propose qu’on boive un whisky, ça va nous remonter, et puis tu as raison, on ira voir demain en ville et on avisera ensuite.

Ce soir, la télé est éteinte. Je diffuse de la musique sur mon enceinte satellite pour nous distraire, mais nous n’y sommes plus ni l’un ni l’autre. Nos échanges sont plats et sans envergure. Comme si nous étions éteints par ce qui se passe autour de nous et malgré nous. Le fait de ne pas savoir et de ne pas comprendre nous enveloppe d’une morosité totale. Nous les causeurs, les dialogueurs invétérés, nous sommes devenus cois ? Pas une blague qui fuse, pas une connerie de deuxième degré, pas une moquerie, rien. Même pas un gros mot, c’est dire.

— Et si on regardait un film ? me propose Armand.

— Bonne idée. Il y a quoi sur ton VOD ?

— Sais pas, on va bien trouver une connerie pour nous détendre, et après on ira lire.

— Tu parles d’un programme de fête. Écoute, on ne va pas se morfondre. Personne, surtout pas nous, ne sait quoi dire ou faire ni ne peut intervenir. Le mieux semble d’attendre et on agira selon ce qui nous paraîtra le mieux pour nous, non ?

— T’as raison mec, je suis déjà en train de m’énerver pour rien. Et tant qu’ils ne vident pas nos comptes…

— Ouais, il ne manquerait plus que ça !

Là-dessus, la soirée s’écoule tranquillement sans propos particulier, sans polémique et sans plan sur la moindre comète. D’ailleurs le ciel bleu marine, la lune pleine et les étoiles nous enjoignent à la sérénité du moment. Nous terminons la première bouteille de « single malt ».

 

 

 

 

 

Jour 2, le fond de l’air est frais

 

 

 

7 h 30. Je me réveille en sursaut. Bon Dieu l’animal est déjà debout. En effet, je sors de ma chambre en queue de chemise et je trouve le Armand tout excité qui range, nettoie, remplit le lave-vaisselle, passe l’éponge et me tance abondamment parce qu’il est tard et que nous devons aller à la banque, faire des courses, et chercher de l’essence…

J’avais même oublié que nous avions prévu d’aller aux renseignements auprès de la population active du patelin, ce que je lui rappelle, augmentant sa mauvaise humeur.

— Dis donc, tu vas te calmer, je ne suis responsable de rien dans ce bordel, et as-tu écouté les infos ? lui dis-je.

— Bien sûr, je n’ai quasiment pas dormi de la nuit pendant que monsieur ronflait, et depuis cinq heures du mat, je zappe sur les chaînes infos et rien. Personne n’en parle, c’est une coalition, un coup d’État, ils sont en train de nous préparer, je ne sais quoi, mais je ne vais pas me laisser faire, tu me connais.

Le bougre est déjà au taquet, il virevolte dans tous les sens, fume cigarette sur cigarette et s’énerve encore plus, car il vient d’allumer la dernière du paquet et qu’il n’a pas de quoi en racheter d’autres.

— Tu en as toi, parce que moi, je suis à sec ?

— J’ai une cartouche dans mon sac, quand je viens chez toi je prévois large, car je te connais.

— Tant mieux, je t’achète un paquet.

— Oui, avec quoi ? Tu as des Louis d’or planqués, parce qu’au cours où vont les choses, il va falloir dorénavant penser à monnayer du matos, des tableaux, de l’argenterie, des Louis…

— Merde, c’est vrai. Et moi qui suis équipé tout « IKEA », personne n’en voudra.

— Sûr. Tiens, d’ailleurs, je vais t’ouvrir une petite ardoise. Je note donc un paquet de clopes ce jour. Tu me dois 100 balles.

— Fumier !

— Reste poli, ou je te colle 20 balles d’amende.

Sur ces joyeuses entrefaites, nous décidons de descendre en ville à pied pour économiser l’essence, et ça nous fera le plus grand bien de marcher. Il nous reste à peine 10 euros de monnaie, de quoi se payer deux cafés sur le port, afin de commencer notre enquête.

 

Arrivés sur le port, nous assistons à une scène hors du commun :