Le Mal dominant - Sandrine Charron - E-Book

Le Mal dominant E-Book

Sandrine Charron

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Beschreibung

Le Mal dominant [Thriller] Août 2018 : Arthur, 10 ans, et Simon, 5 ans disparaissent sans laisser de traces. Les circonstances troubles de cette affaire mettent les nerfs du major Martin Bellamy et de l'adjudant-chef, Jo Maurici, à rude épreuve. Trois mois plus tard, alors que les investigations sont dans l'impasse et que les enfants restent introuvables, les enquêteurs de la SR de Lyon reçoivent deux informations macabres en provenance de Haute-Loire. La dépouille d'une jeune femme, en partie dévorée par des animaux, a été découverte en forêt. Cette affaire en fait ressurgir une autre survenue dans cette même région, durant l'été, et passée inaperçue : le corps d'un très jeune garçon a été retrouvé sur les berges isolées d'un étang, victime lui aussi d'un mystérieux animal sanguinaire. L'enfant n'est autre que Simon, le plus jeune des deux frères disparus. Les enquêteurs prennent la direction de la Haute-Loire où la traque commence. La mort rôde de plus belle, féroce et indomptable, escortée d'une inquiétante silhouette anachronique. Dans ce scénario funeste, Arthur sera-t-il retrouvé avant qu'il ne soit trop tard ?

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Seitenzahl: 275

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Sommaire

Titre

Citations

Prologue

1 - Étang Chevalier, août

2 - La rentrée, septembre

3 - Le monstre, octobre

4 - Randonnée périlleuse, octobre

5 - Retour sur un drame familial

6 - Nouvelle recrue

7 - La famille Sade

8 - Quand les morts parlent

9 - Noémie Blanchard

10 - Dimitri Sirkis

11 - Haute-Loire

12 - Martin et Anthéa

13 - On avance

14 - Boîtes à musique

15 - Au château de Domeyrat

16 - Le fantôme de la Fontaine Saint-Julien

17 - Maxime Chenal

18 - Le quincaillier

19 - Confession intime

20 - À la dérive

21 - Dramatique anniversaire

22 - Urgence absolue

23 - D’indices en révélations

24 - Le pire reste à découvrir

25 - Adieu Clovis

Il restera de toi

26 - Le jeu de la vérité

27 - On ne sait pas de quoi demain sera fait

28 - C’est lui

29 - Un récit effroyable

30 - Et après…

Épilogue

Remerciements

Du même auteur

Copyright - crédits

Sandrine CHARRON

Le Mal dominant

Thriller

© Sandrine Charron, 2022

Édition : BoD – Books on Demand, [email protected]

ISBN : 9782322462308

***

Avertissement :

Ce livre est une œuvre de fiction. En conséquence, toute homonymie, toute ressemblance ou similitude avec des personnages et des faits existants ou ayant existé, ne saurait être que coïncidence fortuite et ne pourrait en aucun cas engager la responsabilité de l’auteure.

Certaines pages de ce livre sont enrichies de QR codes, pour une plus grande immersion du lecteur dans l’univers musical du roman. N’hésitez pas à découvrir les musiques qui se cachent derrière ces QR codes !Si vous le souhaitez, vous pouvez également cliquer sur le QR code pour vous rendre directement sur la page.

On arrête de vérifier s'il y a des monstres sous notre lit,lorsqu'on réalise qu'ils sont en nous.

Joker

Prologue

Il est trois heures du matin. Cette nuit, la lune disproportionnée est blanche et pleine dans le ciel de Brioude. Son reflet recouvre entièrement l’étang Chevalier. Lisse et immobile, le plan d’eau aux berges irrégulières et sombres prend soudain l’apparence d’un miroir gothique dans lequel le diable en personne pourrait se noyer dans sa propre contemplation narcissique. La nuit est étrangement calme. Aucune brise, aucun souffle qui habituellement fait vaciller les feuillages avec une certaine élégance. Il y règne un tel silence de mort qu’il en devient sinistre, comme jamais il ne l’a été jusqu’à ce soir de pleine lune d’août 2018.

Subitement, une silhouette humaine glisse et obscurcit le bord de la psyché. Des battements d’ailes se font entendre sur son passage, suivis d’une envolée d’une nuée d’oiseaux apeurés. Sa corpulence évoque celle d’un homme. Il est curieusement vêtu d’une cape noire à l’allure moyenâgeuse ; une capuche dissimule complètement sa tête et de surcroît son visage. Après avoir observé les lieux durant quelques minutes, il fait demi-tour et rejoint d’un pas décidé un singulier véhicule qui jure avec son accoutrement et sur lequel est attelée une petite remorque. L’homme se penche au-dessus et soulève de ses deux bras un paquet volumineux. Il avance maintenant de manière plus lente. Presque solennelle. Son fardeau ne paraît pourtant pas très écrasant. Plutôt fluet, même. Encore quelques mètres parcourus, puis il s’agenouille. Il dépose délicatement à ses pieds la charge qu’il tenait tout contre lui. D’une main, il libère le fardeau du sac poubelle qui le recouvre.

Un corps inerte gît devant lui. Du moins ce qu’il en reste. Une carcasse partiellement rongée, dévorée jusqu’aux os. De sa seconde main recouverte d’un gant de cuir peu commun, il caresse la dépouille. Il commence par effleurer les cheveux crasseux. Souillés par de la terre et du sang. Probablement celui du cadavre. Puis, le gant de cuir se dirige vers l’unique œil grand ouvert et s’apprête à le fermer pour l’éternité. Celui-ci résiste et reste fixé sur l’homme à la cape. Cette vision horrifique ne lui fait pas perdre pour autant ses moyens. Toutefois, sa main protégée de cuir tremble légèrement en se promenant sur l’autre partie du visage qui n’existe plus. Il laisse glisser ses doigts sur le bord des trous béants et passe son index sur l’os sphénoïde saillant et progresse jusqu’à la base de l’os zygomatique bien apparent. Enfin, il promène ses doigts hésitants jusqu’à ce qui était l’abdomen du macchabée. À la place, une profonde cavité éviscérée à ciel ouvert, que la lune essaie de pénétrer à son tour. Il ôte sa paluche de cuir en sursaut et se relève en faisant un pas en arrière.

Il saisit le sac poubelle à la hâte et le pose sur cette immondice qu’il ne veut plus voir à présent. L’homme à la cape se surprend à essuyer une larme du revers de son poignet, avant de tourner les talons et d’enfourcher son véhicule. Il démarre et s’engouffre dans le chemin tous feux éteints, pour disparaître dans l’obscurité, comme un mirage.

La lune boit pour oublier qu’elle vient d’être le témoin d’une atrocité sans nom. Les nuages noirs s’étirent et l’étreignent de plus belle, comme pour la réconforter, la protéger. Elle agonise jusqu’à devenir invisible. Un rideau de noirceur tombe sur le miroir gothique. Les oiseaux effrayés, jusqu’à présent, sont dès lors de mauvais augure. Inapparents, ils regagnent les arbres dans un bruissement étouffé.

1Étang Chevalier, août

Cédric aime la pêche. C’est son défunt père qui lui a transmis cette passion alors qu’il était un tout jeune enfant. Originaire des Dombes aux innombrables étangs, autant dire qu’il n’a jamais manqué de terrains de jeux. C’est le dernier jour de pêche avant le retour à la maison. Il a profité de trois semaines de vacances dans un chalet confortable au camping de la Bageasse avec sa petite famille.

Il s’est levé très tôt, ce matin. Il espère sortir un brochet. Il fait encore nuit quand il charge son matériel dans sa voiture. Il vérifie une dernière fois sa canne à moulinet, ses leurres de toutes tailles d’un réalisme surprenant et autres hameçons de toutes les couleurs, l’épuisette indispensable en cas de prise, ainsi que le thermos de café fumant et sa boîte de biscuits. Cette année, pour la pêche aux carnassiers, Cédric a investi dans l’achat d’un float tube, un siège gonflable permettant de se rendre au milieu des étendues d’eau en gardant les jambes immergées. Pour parfaire la panoplie, il s’est également offert des waders en néoprène qui le protègent de l’eau et du froid jusqu’à la poitrine. La température extérieure matinale doit avoisiner les 2° en cette dernière semaine du mois d’août. Ce climat atypique ne surprend pas les habitués du département. Bien emmitouflé dans sa parka, il prend la route de Brioude. L’étang Chevalier est réputé pour abriter de beaux spécimens. Le soleil est maintenant sur le point de se lever. C’est le moment idéal pour la pêche au brochet. Il roule au pas sur le chemin qui borde l’étendue d’eau et les centaines de mètres qui le séparent de l’emplacement no ٧ qu’il convoite ce matin. Il gare sa voiture, s’en extirpe, marche avec nonchalance sur le fameux lopin de terre qui avance sur l’étang. Son regard est attiré par une masse sombre jonchant le sol herbeux. Il plisse les yeux. Il fulmine intérieurement contre les gens qui ne respectent plus rien et laissent traîner leur sac poubelle çà et là, sans scrupules. Il passe à côté sans s’attarder. Dans l’immédiat, il a d’autres chats à fouetter ou plus précisément, d’autres poissons à taquiner ! Le calme revient vite quand il prépare ses lignes. Il est sur le point de les lancer au milieu du plan d’eau quand le soleil dévoile ses timides premiers rayons. Une bourrasque vient perturber l’attention de Cédric. Le sac poubelle derrière lui s’envole, tourbillonne et lui frôle le visage. Une odeur pestilentielle envahit alors ses narines. Interloqué, il se retourne et se fige d’effroi. Une vision d’horreur lui fait écarquiller les yeux qui sortent presque de leurs orbites. Une masse informe en état de putréfaction avancée le fait tressaillir. Il lâche sa canne et reste pétrifié. Il voudrait agir, mais tout son corps est tétanisé à la vue de ce qui ressemble à un cadavre. Comment avoir une réaction pragmatique face à l’innommable ? Le quadragénaire, malgré sa corpulence imposante, reste prostré quelques minutes, le cerveau en mode sécurité. L’absence de clignement des yeux et le vent qui assèche ses globes oculaires lui font soudain reprendre conscience. Il ne sait pas vraiment à quoi il a affaire. Un animal ? Possible, la silhouette est de petite taille. En balayant la « chose » du regard, son cœur s’emballe et frappe sa poitrine à tel point qu’il craint d’être victime d’un infarctus. Il reconnaît d’abord des doigts. De petits doigts. Puis, ce qui ressemble à une tête. Sans visage. Juste un unique œil qui le fixe. Cédric vomit. Sa poitrine le serre de plus belle. Il entend des pas de course qui viennent dans sa direction. Il faut qu’il réagisse. Il avance jusqu’au chemin, plié en deux, dégobillant sur chaque mètre parcouru lamentablement. Il manque de renverser le coureur en surgissant devant lui, tel un zombie. Le pêcheur s’écroule aux pieds du joggeur qui perçoit un mot sortir de sa bouche maculée de dégueulis : « Secours ! »

Le regard du sportif tombe sur la « chose », mais il n’a pas vraiment le temps de l’identifier. Porter secours à l’homme qui vient de tomber devant lui est sa priorité. Cédric mis en PLS,1 le coureur s’avance pour mieux distinguer ce qu’il a d’abord pris pour le cadavre d’un chien. Épouvanté à son tour par cette abominable découverte, il regagne le sentier en reculant sans quitter des yeux la dépouille. Des soubresauts s’emparent de sa musculature d’athlète. Il a du mal à contrôler ses gestes devenus convulsifs et s’y reprend à plusieurs fois pour taper sur le clavier de son portable, les deux petits chiffres qui composent le 17.

Rapidement, les sirènes des véhicules de secours arrivent en hurlant sur le site de l’étang Chevalier. En état de choc, Cédric est vite pris en charge.

Le joggeur, lui, est de nouveau en communication :

— Oui, un cadavre ! Non, putain j’en sais rien ! Il est en décomposition avec d’énormes plaies sur tout le corps. Il n’a pas de visage et une caverne à la place du ventre ! Je suis pas médecin, merde ! Je me suis pas attardé dessus non plus, c’est dégueulasse putain ! On dirait juste que… que… que c’est un gosse !

Les nerfs du sportif sont mis à rude épreuve. Il craque et se met à pleurer. Il sanglote et renifle en écoutant les recommandations de son interlocuteur auquel il répond avant de raccrocher :

— Dépêchez-vous s’il vous plaît, j’veux pas être ici plus longtemps, c’est l’enfer j’vous dis et ça pue la mort !

Le même soir, en écoutant les informations régionales, les habitants du département et les derniers vacanciers sont horrifiés. Toute la région est en émoi. Le juge d’instruction en charge de cette terrible affaire apparaît sur les écrans des téléspectateurs. Ils ont les yeux rivés sur leur poste de télévision. Le magistrat s’exprime avec un ton courroucé qui n’échappe à personne. L’annonce auprès des médias est brève et concise. Le corps découvert dans la journée est bien celui d’un enfant d’environ cinq ans de type caucasien, selon les premières constatations du médecin légiste dépêché sur place. Il indique que, dans l’immédiat, rien ne lui permet d’être plus précis sur les circonstances du décès du jeune garçon. Le rapport d’autopsie est attendu dans un délai de vingt-quatre heures. Le juge d’instruction termine sa compendieuse allocution en signifiant sa détermination à donner la priorité à cette épouvantable tragédie et en précisant que tous les moyens nécessaires seront mis en œuvre pour lever le voile sur cette sombre affaire.

Accident ? Meurtre ? Rien n’a été dévoilé ni même supposé sur les conditions ayant provoqué la mort de l’enfant, laissant la population dans la stupeur et l’expectative, en proie aux spéculations les plus ignominieuses.

1 PLS : position latérale de sécurité.

2La rentrée, septembre

Constance vient de souffler sa troisième bougie. Jo Maurici, son parrain, et Clovis, le fils adoptif du gendarme étaient bien évidemment de la partie. Pour l’occasion, tout ce petit monde s’est retrouvé chez les parents de Martin Bellamy, au restaurant Beau Manoir, dans les Alpilles. Les parents d’Anthéa et son frère Alex sont descendus de Normandie pour profiter de la famille, en cette dernière semaine d’août, très festive pour l’occasion.

Anthéa a bouclé les valises et Martin rangé tant bien que mal, dans la voiture, toutes les affaires nécessaires à un enfant de trois ans, laissant le soin à Jo et Clovis de rapatrier la montagne de cadeaux de sa fille. Les bagages rangés, les embrassades peuvent commencer, mais sans trop s’éterniser.

Cette rentrée 2018 est particulière. L’excitation des préparatifs est palpable chez Martin et Anthéa. Constance va faire son entrée à l’école maternelle. Elle traîne partout son tout nouveau sac à dos rose et violet. Orné d’une magnifique licorne et de paillettes, elle l’a déjà rempli de son « doudou » et d’un tas de babioles qu’elle aime trimballer à longueur de journée.

Trois ans plus tôt, Anthéa a décidé de prendre du temps pour elle et l’enfant qu’elle portait. Elle a pris un réel plaisir à contribuer à l’éducation de sa fille, ce qui l’a énormément aidé à oublier la dramatique expérience vécue dans les forêts jurassiennes, juste avant qu’elle apprenne sa grossesse. La rentrée de sa fille a bouleversé ses plans. Elle savait pertinemment que le travail sur le terrain allait lui manquer. Elle a donc anticipé ce moment.

Durant son congé, elle s’est remise aux études pour passer un DIU1 en Sciences criminelles, avec l’infime espoir qu’un poste de criminologue serait créé au sein de la SR2 de Lyon. Une année riche en informations et un enseignement passionnant apporté par de grands professionnels dont la réputation n’est plus à faire. Anthéa a donc suivi ses cours avec beaucoup d’assiduité, entre l’Institut Universitaire de médecine légale de Lyon 1er et l’Université Jean Moulin dans le 3e arrondissement de la Ville Lumière. Une reprise en douceur et en toute sérénité. Enfin, si l’on peut s’exprimer ainsi, vu le contenu du programme pédagogique ! Au terme de cette formation, Anthéa a obtenu son diplôme avec succès.

Après ces quelques années passées à la SR de Lyon, le colonel Patrie, lui, avait d’autres ambitions. Il a donc tout naturellement fait une demande de mutation au grand désespoir de l’ensemble de la caserne Delfosse, qui voyait en lui un homme d’une droiture exemplaire. Il s’était beaucoup attaché, trop peut-être, au binôme formé par l’adjudant-chef Martin Bellamy et l’adjudant Jo Maurici, sans compter l’amitié qu’il portait à Anthéa et Constance. Cet attachement n’était plus conciliable avec leur travail d’enquêteur et pouvait nuire au bon fonctionnement de la Section de recherches, leur unité d’élite. Le temps était venu pour le colonel de tirer sa révérence et de céder sa place. Souhaitant laisser une trace de son passage à Lyon et sachant qu’Anthéa suivait une formation en sciences criminelles, il a agi dans le plus grand secret en manœuvrant les bonnes ficelles. Dès l’obtention de son diplôme universitaire, Anthéa a été convoquée dans le bureau du colonel. Tout le monde se souvient encore du cri de joie qui a traversé les murs de la SR, Patrie ayant tenu à informer très solennellement l’adjudante Anthéa Batistin qu’un « poste-test » avait été créé pour la nouvelle promue. Le nécessaire a aussi été fait pour une grande majorité des enquêteurs de la SR. À l’heure des notations annuelles, le colonel n’a pas été avare de commentaires élogieux. Ses observations positives et dithyrambiques, à l’attention des hommes et femmes de son unité, ont permis des changements de grade et des promotions en interne. Quelques départs en retraite et autres demandes de mutation ont participé à la mise en œuvre des évolutions que Patrie souhaitait pour ses militaires, tout en les gardant unis encore quelques années. Parmi eux, Martin Bellamy a pris le grade de major et par conséquent, Jo Maurici celui d’adjudant-chef.

Le colonel Patrie et son épouse laissent un grand vide depuis leur départ en juillet. Un départ que le gradé n’a pas voulu faste et pompeux. La soixantaine de militaires que compte la SR ont rendu hommage à l’officier qui a su diriger sa section avec cohérence. Une main de fer dans un gant de velours.

Pour Anthéa, c’est aussi une rentrée atypique. Un poste récemment créé pour elle, mais dont elle ne maîtrise pas grand-chose, c’est l’inconnu et très excitant à la fois. Bien qu’ayant conscience que celui-ci est testé pour un an, elle se demande si elle sera à la hauteur et c’est bien légitime. Cette opportunité ne se présentera pas une seconde fois. Anthéa est fermement décidée à mettre tous les atouts de son côté pour réussir. Depuis ces trois dernières années, elle cherche à comprendre ce qui se passe dans la tête des tueurs. Qu’est-ce qui pousse un être humain à devenir un redoutable psychopathe ? Un prédateur. De plus, reprendre du service dans la même unité que Martin, c’est la cerise sur le gâteau. Une chance inespérée que sa hiérarchie a bien voulu lui accorder. Elle ne boude pas son plaisir. Toutefois, elle se sent redevable de cette décision et investie d’une mission dans laquelle elle ne doit pas échouer.

Du côté de l’adjudant-chef Jo Maurici et de son fils adoptif Clovis, le temps est passé à toute vitesse. Après son bac, Clovis s’est inscrit au concours d’entrée à l’école des sous-officiers. Depuis le décès de ses parents dans les attentats de Madrid, il souhaite intégrer le RAID ou le GIGN. Clovis est très ambitieux et ne recule devant rien pour réaliser ses projets. Il est jeune, beau et désormais sportif. Maurici, sensible à sa situation et au regret de n’avoir jamais eu la chance de connaître la paternité, lui a permis d’accéder à ses rêves en lui accordant sa confiance. L’unique condition à cette adoption était l’obtention du bac avec mention « très bien ». Ni plus ni moins. C’était le seul moyen pour Jo d’observer et d’analyser les réelles intentions de ce jeune homme déraciné, à l’équilibre fragilisé par tous les vents. Clovis a rempli le contrat haut la main. Jo l’initie au sport. Cette mission-là s’avère essentielle, son physique d’ado chétif ne correspondant pas vraiment à celui des hommes du GIGN. Clovis est un cérébral et il l’a bien démontré. En revanche, le sport est loin d’être une passion ! Il a dû se faire violence pour accepter les séances imposées par Jo à toute heure du jour et de la nuit. Encore une façon de tester sa volonté et sa résistance mentale et physique. Les débuts ont été laborieux. Martin a mis son grain de sel pour refréner les conditions d’entraînement infligées par Jo. Celui-ci a bien reconnu son erreur. La toute première de sa nouvelle vocation de parent. Avoir un enfant est une expérimentation énigmatique, avoir un ado déterminé n’est pas une sinécure. Rares sont ceux qui ont osé. Mais oser, c’est encore le meilleur moyen de réussir ! Le travail sur soi et la patience ont payé. Clovis a été admis au concours d’entrée à l’école des Sous-officiers de Montluçon. Sorti de son année de formation major de promotion, il a intégré la brigade territoriale de Brignais. Il attend désormais les quatre ans minimum requis pour accéder aux tests de sélection du GIGN.

La fin de cette journée dominicale sonne le glas des vacances. Martin et Constance préparent les vêtements et le sac à dos « licorne et paillettes ». L’arrivée de la chienne avec un jouet détourne vite l’attention de la fillette qui en oublie les breloques qu’elle vient de rassembler pour les fourrer à l’intérieur du sac. À croire que Perdy possède un sixième sens et qu’elle a voulu éviter le conflit.

Martin s’adresse à la chienne avec un clin d’œil :

— Tu sais que tu viens de me sauver la soirée, toi ?

Pour toute réponse, Perdy s’éclipse la tête haute et fière, le jouet coincé entre ses crocs, Constance à ses trousses. Anthéa a le nez dans ses bouquins et dans ses cours, heureuse mais un tantinet anxieuse. Jo accompagne Clovis jusqu’à sa voiture. Les vacances se terminent pour lui aussi. Il regagne son appartement. Une tendre accolade paternelle à son fiston et le véhicule s’éloigne de la caserne Delfosse.

Demain, c’est la rentrée.

1 DIU : diplôme interuniversitaire.

2 SR : Section de recherches.

3Le monstre, octobre

Lorsqu’elle jette un coup d’œil à sa montre connectée, il est exactement dix heures quinze. Elle n’a pas vu le temps passer durant cette randonnée matinale. Elle apprécie ces moments de plénitude, seule sur les sentiers, à observer le lever du soleil. La forêt auvergnate a revêtu son manteau automnal. Les rayons de l’astre caressent les branches des arbres aux couleurs chatoyantes et mordorées. En cette saison, les feuillus se parent d’un camaïeu de nuances chaudes, pour le plus grand plaisir des yeux. Chaque semaine, une nouvelle palette rend la forêt encore plus étincelante. Des tons chamarrés qui n’en finissent pas de se mélanger et de se fondre, sans faute de goût.

Elle savoure ces instants éphémères qu’elle aime immortaliser, comme un tableau inachevé. Elle dégaine son Smartphone autant de fois que nécessaire pour ne pas en perdre une miette. Elle prend son temps à chaque cliché. Qu’importe, du temps elle en a.

Les animaux sauvages les plus curieux et les plus intrépides s’aventurent à la suivre, tout en entamant une partie de cache-cache avec la curieuse visiteuse. Un écureuil roux saute joyeusement d’arbre en arbre, juste au-dessus de sa tête. Trois kilomètres plus tôt, c’est une biche qui l’a observée du haut d’un talus. La jeune femme avait remarqué le magnifique animal, mais elle a pour principe de contempler sans jamais déranger. Elle se doit de respecter cet univers fascinant, ainsi que les êtres qui y vivent et lui accordent le franchissement de leur territoire. Cependant, elle se méfie de certaines espèces. Elle reste sur ses gardes en tendant l’oreille, en écoutant les bruits. Les sons de la nature, elle a appris à les distinguer. Elle identifie de nombreux animaux sans hésitation. Les craquements, les bruissements divers et variés, elle les connaît parfaitement. Elle regarde autour d’elle. Un feuillage qui tremble, un buisson qui remue, autant de signes qui peuvent l’avertir d’un éventuel danger. Une traversée de sangliers n’est pas rare et mieux vaut la voir venir.

Le soleil l’éblouit. Elle s’apprête à sortir du taillis pour retrouver l’asphalte, avant la prochaine bifurcation de sentiers forestiers. Munie de ses deux bâtons de marche, elle accélère la cadence. Le goudron, ce n’est pas ce qu’elle préfère. Le vent feule. Il est glacial. Elle remonte la capuche de son coupe-vent. Sous les arbres du versant opposé de la colline, elle était à l’abri de cette bise rigoureuse. Bientôt à hauteur d’un monument historique qui n’a plus de secret pour elle, pour l’avoir visité et photographié sous tous les angles, elle ne s’autorise même pas un regard. Les pierres illuminées par les rayons du soleil lui donnent pourtant un air féerique, comme s’il était sorti d’une légende moyenâgeuse, à l’épopée chevaleresque. Elle veut juste rejoindre le prochain sentier et s’engouffrer de nouveau au cœur de la forêt. Encapuchonnée, elle n’entend que ses pas, ses bâtons qui frappent le sol, le vent qui mugit et sa propre respiration. Rien d’autre. Elle est à mille lieues du danger qui la guette insidieusement ; un monstrueux animal gris, tapi derrière les genêts, grogne en montrant des crocs disproportionnés. Les poils de son épine dorsale sont hérissés. Ses yeux noirs se plissent. Ses babines se retroussent encore. Il marque l’arrêt. Ses pattes fléchissent légèrement. Sa queue est immobile, en parfaite continuité de sa croupe. Ses oreilles se plaquent sur l’arrière de son crâne. L’animal est de très grande taille et d’une morphologie peu banale. Même pour les plus aguerris en matière de races canines, sa classification ferait débat, sans aucun doute. Il est dans le dos de la randonneuse. Il avance à pas de loup. Soudain silencieux, il s’aplatit. Puis, il se remet sur ses pattes démesurées. Il avance encore. Il exécute son manège à la perfection à trois reprises. La jeune femme poursuit son chemin avec de bonnes enjambées. Elle n’est plus qu’à quelques pas de l’entrée de la forêt. C’est ce moment précis que choisit l’animal pour s’élancer. La promeneuse sursaute. Lorsqu’elle se retourne pour faire face à la menace, elle ne voit qu’une masse grise debout devant elle. Elle hurle. Le molosse la plaque au sol. Les bâtons volent durant la chute. La tête de la jeune femme heurte lourdement une souche. Sonnée et sur le dos, elle subit la pression de la puissante musculature. Les pattes arrière sont plaquées sur les deux cuisses de la jeune femme. Celles de devant maintiennent ses bras de chaque côté de son corps qui ne fait pas le poids. Le souffle court, elle tente de se contenir. Si elle crie, il va mordre ou pire encore. Elle ne soutient pas son regard non plus. Une action interprétée comme une agression chez certains mammifères, elle le sait bien. Le visage sur le côté, les yeux clos, elle respire la buée fétide qui sort de la gueule du monstre.

Dans un ultime espoir, la voix tremblante, elle tente alors de chuchoter :

— Laisse-moi.

L’animal grogne et lui attrape l’épaule droite, juste en dessous de son visage. Comme un avertissement. Il serre en refermant sa mâchoire. Les os craquent sous la pression des crocs. C’est la fracture. La douleur est insupportable et un cri presque inhumain s’échappe de la gorge de la promeneuse. Un hurlement qui ne manque pas d’exciter le molosse. Il lâche prise pour entamer une autre zone. Plus souple, plus tendre et plus fragile. La zone que ce genre de prédateur attaque pour achever sa proie à coup sûr et qui fera d’elle une dépouille qu’il traînera dans son repaire. Il ouvre son immense gueule. Il est sur le point d’égorger la jeune femme.

Un braillement rauque retentit, accompagné d’un bruit de grosses chaussures martelant le sol :

— Arrête, espèce de bâtard ! Lâche-la !

Dérangé, l’animal s’est finalement attaqué à la joue de la randonneuse. Elle hurle de terreur et de douleur. Un homme venu lui porter secours attrape une des deux cannes restées au sol. Il la serre de ses deux mains, et lève les bras au-dessus de sa tête. Le molosse, sentant la correction magistrale et imminente, ne demande pas son reste. D’un bond, il abandonne sa victime et s’enfuit, un morceau de son butin coincé entre ses mâchoires : une partie du visage de la jeune femme. Quelques foulées plus loin, il disparaît.

La vision de la randonneuse se trouble. Elle devine la chaleur de son sang suinter le long de sa gorge. Un large filet rouge carmin s’insinue dans sa bouche. Le goût métallique lui provoque un haut-le-cœur. Elle ne distingue plus qu’une silhouette statique penchée au-dessus de son corps. Certainement celle de l’homme qui vient de la sauver des crocs de cette immonde créature.

Puis, plus rien. Le noir absolu. Les ténèbres.

4Randonnée périlleuse, octobre

Rien ne pourrait arrêter les membres du club de VTT du mont Pilat, du département de la Loire. Non, quand cette bande de fous furieux de la pédale organise une sortie vélo, rien ne peut saboter l’excursion. Il faudrait vraiment que quelque chose de grave arrive à l’un d’eux pour les faire changer d’avis. Une météo parfois exécrable n’a jamais eu raison de leur détermination à parcourir les chemins de toutes les régions de France. Le groupe est composé de sept gaillards de bonne constitution physique, entre trente et cinquante ans. Chaque année en été, ils se réservent une semaine pour sillonner les itinéraires de randonnées dédiés au VTT. Le reste de l’année, un week-end par mois est consacré à dévaler les descentes frénétiques et caillouteuses ou à se torturer le corps dans des côtes aussi raides qu’interminables. Ils peuvent aisément assouvir leur passion sans contrainte, puisque tous sont célibataires. Tous ont d’excellentes situations professionnelles. Du cadre de la fonction publique au chef d’entreprise, en passant par le notaire ou le cador de la chirurgie cardiaque, ils savourent sincèrement ces rassemblements durant lesquels ils tentent de refaire le monde. Leur côté macho atteint alors des sommets dans ces moments-là ! Mais leur passion commune pour le vélo revient très vite au centre des discussions. Depuis peu de temps, un nouveau membre, le huitième, a intégré le groupe. Jérôme, trente-cinq ans, est agent immobilier et en léger surpoids. Il souhaite retrouver une silhouette parfaite qui pourrait attirer l’attention de l’homme idéal avec lequel il partagerait sa vie. Une situation qui n’a pas manqué de provoquer, dès qu’il avait le dos tourné, quelques réflexions sur son homosexualité et le monde de la pédale au sens propre, comme au figuré. Une fois le stock de bêtises sur le sujet épuisé, et le taux de testostérone redescendu à un niveau acceptable, les sept larrons se sont calmés et ont repris leurs esprits pour faire un accueil amical au nouveau venu. Un jour peut-être avoueront-ils à Jérôme les railleries qu’ils ont eues à son égard. Rien n’est moins sûr ! Jérôme possède un bon niveau de cyclisme tout terrain, mais n’a pas pratiqué depuis longtemps. C’est seulement sa seconde sortie avec le groupe. Afin de mieux se rendre compte de ses compétences et de son endurance, l’équipe a jeté son dévolu dans le département voisin. La Haute-Bigue, dénomination de la Haute-Loire dans un patois encore parlé par les plus anciens de la région.

C’est sur la commune de Venteuges qu’ils ont décidé de s’installer dès le vendredi soir. Le matériel et les affaires de voyage déchargés, il est l’heure de déplier la carte et de repérer le circuit du lendemain. Un apéro puis un repas frugal avalé, la bande de copains regagne les chambres pour y passer une bonne nuit de sommeil. Les alarmes des téléphones portables sont programmées pour retentir tôt, le samedi matin. Le groupe convient de démarrer à neuf heures précises.

Le lendemain, Pascal le plus excité des huit hommes est le premier levé. Il lance la cafetière, fouille dans le réfrigérateur et en sort des fruits frais, des yaourts et du beurre. Puis, il se dirige vers le placard où est stockée la réserve alimentaire et en revient les bras chargés. La table du petit déjeuner est dressée. Il ne manque rien. De quoi emmagasiner de l’énergie pour affronter les vingt-neuf kilomètres que les cyclistes ont prévu de parcourir dans la journée. L’odeur du café s’insinue à l’étage, émoustillant les papilles des colocataires. Un à un, ils descendent l’escalier la faim au ventre.

Un dernier coup d’œil à la carte, neuf heures sonnent déjà. Le groupe sort du chalet. Chaque homme est vêtu d’une tenue de vététiste moulante et colorée, d’un sac à dos sur les épaules, d’un casque et de lunettes de soleil. Le beau temps est au rendez-vous, plutôt rare dans le coin, en cette fin octobre. Les téléphones sont accrochés au bras et les gourdes pleines d’eau fraîche bien en place sur les cadres des vélos, pour certains de grande valeur.

Pascal, toujours très énergique, demande à ses acolytes :

— Quelqu’un voit-il un inconvénient à ce que je passe devant dans les grimpettes ?

L’un d’eux répond pour tout le groupe :

— Arrête de te la péter, on sait que tu grimpes plus vite que nous ! Pour les descentes, on verra comment on est en arrivant au sommet ! Jérôme, tu as ton mot à dire, c’est le moment, exprime-toi maintenant ou tais-toi à tout jamais !

Après un éclat de rire général, Jérôme donne son avis :

— Vu le dénivelé et la distance, je préfère jouer la sécurité. Je reste derrière dans les côtes et les descentes, de façon à ne gêner personne ! On verra demain mais aujourd’hui je ferme la course, si vous êtes OK !