Le malentendu - Gérard Pasquet - E-Book

Le malentendu E-Book

Gérard Pasquet

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Beschreibung

Augustin, enfant gâté par la vie, s’ennuie sur les bancs des amphis. Il rêve de découvrir le monde et de se connaître lui-même. Idéaliste et patriote, il résilie son sursis et souhaite devenir instituteur en Algérie. Ballotté durant plus de deux ans, de petite Kabylie jusqu’au fond du Sahara, par une armée qui se méfie de son dilettantisme et de son indiscipline, Augustin vivra, à travers les drames, une évolution personnelle qu’il n’avait pas envisagée. Apprécions ses mésaventures dans ce roman autobiographique à la saveur psychologique.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Auteur de plusieurs ouvrages, Gérard Pasquet écrit Le malentendu à la suite de discussions familiales houleuses qui ont fait ressurgir des souvenirs enfouis depuis 60 ans. 

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Gérard Pasquet

Le malentendu

Roman

© Lys Bleu Éditions – Gérard Pasquet

ISBN : 979-10-377-8103-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Carnets de voyages

– De Toulouse à Jérusalem :

– Ma Route de la Soie ;

– Une balade en Mongolie.

Romans

– Le cinquième Codex Maya ;

– Le Talisman de Darius.

Essai

– Pourquoi je ne crains pas les Religions.

À mes petits-enfants, Dimitri, Nino, Oscar et Lou

Première partie

La Kabylie

Chapitre 1

Il ne l’avait jamais vue pleurer. Stupéfait, il regarda sa mère cacher sa lassitude dans le fond des casseroles posées sur sa cuisinière. Elle lui offrait la vue de son dos inhabituellement voûté, comme accablé.

C’était une grande femme mince de quarante-cinq ans environ, visage agréable au sourire rare, regard droit et insondable, menton haut sans arrogance, assurée de la légitimité de la multitude de principes auxquels elle se soumettait. Ceux-ci n’étaient pas un fardeau mais un devoir. Chez elle, on ne critiquait pas, on disait la norme.

« Pourquoi tu nous fais ça, après tout ce que nous avons fait pour te donner éducation et situation ? »

« Ne t’inquiète pas, maman, je reprendrai mes études après, pour le moment je m’ennuie et je ne sais pas encore vers quelle branche m’orienter. »

Elle se moucha et, relevant le menton :

« Nous verrons ça avec ton père. »

Le fossé sera plus compliqué à franchir, pensa Augustin.

Il était désolé de faire de la peine à sa mère. L’émotion le gagna à son tour. Pleurait-elle sur elle en voyant s’effondrer ses efforts pour que son fils fasse des études, si possible brillantes, ou parce qu’elle avait peur de le perdre ? Jamais, elle ne lui avait montré de signes d’affection. Au contraire, des cris, des claques, des coups, parfois des brosses en métal frottées sur les genoux, lorsque la bêtise était jugée honteuse. Elle soupirait souvent de traîner son fils de collège en collège, de plaider sa volonté de faire changer ce garçon indigne d’être son fils. Comment pouvait-il être si indiscipliné, si réfractaire à l’autorité ? Ses résultats scolaires moyens ne le sauvaient pas de sa propension à semer le désordre en classe, à sauter les cours, à faire le mur. Tout ce qu’à l’époque, les Jésuites ne toléraient pas. Car pour ses parents catholiques fervents, les études passaient par des collèges religieux enseignant le latin et le grec. C’était une évidence.

Aux alentours des années 1950, l’éducation passait beaucoup par l’exemple et la répression. On ne parlait pas beaucoup, on dressait. C’était ainsi dans tout le quartier de cette petite ville du Sud-ouest, la télévision n’avait pas encore fait son apparition, encore moins les tablettes et les téléphones portables. Après l’école, il restait la rue pour se distraire. Là se faisaient les amitiés, les jeux, les bagarres et les bêtises envers les adultes trop sérieux. Pas vu pas pris. Pris, il fallait payer. Bien souvent pour les enfants, la monnaie se matérialisait en une raclée. Augustin n’en voulait pas à sa mère. C’était comme ça ! Est-ce qu’il aimait sa mère ? Non, il ne l’aimait pas, il la vénérait. Quelque chose, quelque part où le sentiment affectueux n’existe pas. Peut-être les Jésuites avaient-ils réussi à le persuader qu’existaient deux femmes vénérables, la Sainte Vierge et sa mère. Il fallait se méfier des autres femmes, tentatrices et sournoises. (Ils oubliaient les femmes canonisées).

Une fois cependant, la mère et le fils auraient pu devenir complices. Redevenu externe au collège de sa ville, Augustin, copain sympa, organisa tout un réseau de services et commissions pour les internes. Avec le montant de leurs achats, il faisait acheter par sa mère chocolat, friandises, gâteaux. Elle-même arrondissait souvent la somme globale lorsque les élèves rêvaient trop haut. La droiture de Marie Marzat, déjà assez préoccupée par l’agitation imprévisible de son fils, la privait dans ses codes moraux, de suspicion envers un règlement interdisant ce genre de négoce. Elle postait des lettres qu’elle affranchissait elle-même. Elle avait fait des colis pendant la guerre et organisé des collectes pour les prisonniers. Il lui paraissait évident de contribuer au mieux-être de ces pensionnaires privés de leurs parents. Quant aux cigarettes, Augustin s’en chargeait. Il piochait dans le stock de cartouches de son père qui fumait plus de deux paquets de « gauloises » par jour. Ni vu ni connu. Nulle commission prélevée, le jeu et le service seulement.

Augustin se levait deux fois par semaine une demi-heure plus tôt, se chargeait de ses livres et de ses paquets, montait la côte le long du collège, escaladait un muret, se griffait au vieux grillage qu’il avait écarté, descendait enfin par un chemin herbeux jusqu’au local des sports. Il déposait là ses paquets que les élèves venaient chercher lors des récréations.

Après avoir cheminé en sens inverse, il se présentait à l’entrée principale du collège et sous le regard d’un surveillant, se rendait docilement à la chapelle pour la messe quotidienne. Les deux préposés aux sports, élèves de terminale, profitaient du système, tout heureux de pouvoir envoyer des lettres à leur amourette de l’époque sans risquer la censure du courrier officiel, souvent lu avant le dépôt à la poste.

Hélas ! Dans chaque organisation secrète, une fuite peut tout compromettre. Mouchardage, imprudence verbale ? On ne le sut trop, toujours est-il que la suspicion tomba naturellement sur Augustin qui se vit fouiller chaque matin par le surveillant général, procédure qui l’amusa, mais pas du tout la famille. La mère, le père et le frère aîné s’indignèrent lorsqu’ils apprirent que la fouille se faufilait jusque dans le slip, à la recherche d’une lettre éventuelle.

Élève brillant de terminale, Pierre qui ne soutenait pas fréquemment son frère, car fort bien inséré dans le conformisme familial, insulta le surveillant général dans un couloir menant à l’étude. Celui-ci d’abord stupéfait, voulut frapper l’agresseur, ce qui à l’époque était courant et dans l’ordre des choses. Ce qui l’était moins, c’est que l’élève réponde par un coup de poing dans la figure du représentant de l’autorité. Quel scandale !

Le Préfet des études, alerté, prit la décision de mettre Pierre à la porte immédiatement et convoqua les parents. Le Père Santrot, jésuite réputé pour sa sévérité, reçut froidement Marie, justifiant sa décision par un sermon sur le respect de l’autorité et l’éducation laxiste des parents. Ce fut le moment où la mère outragée dégaina son accusation de pédérastie, menaçant de porter plainte. On s’affronta, discuta, négocia et après une semaine de mise à l’écart, Pierre présenta ses excuses et réintégra le collège. Nous étions au mois de juin, la fin d’année approchait, Pierre décrocha son bac avec mention, ce qui enjoliva les statistiques du collège, et partit faire ses études de médecine à Bordeaux.

Quant à Augustin, ses notes, anormalement basses, justifièrent son éviction du collège. Cette humiliante vengeance des « jèses » lui fit perdre la Foi. Pour les parents, cet aveu se révéla plus dramatique que le renvoi du collège de leur fils.

Le Père d’Augustin, Étienne Marzat, médecin de campagne, dévoué à ses malades jusque tard dans la nuit, chaque jour de la semaine, trouva enfin quelques heures pour négocier avec un curé du nord de la Dordogne, réputé pour accueillir de fortes têtes en les rendant plus souples. Trois élèves vivaient au presbytère tout en poursuivant leurs études. Vie frugale, basée sur la discipline, le dialogue, le travail intellectuel et physique. Le trop-plein d’énergie se déversait dans l’entretien d’un grand jardin et de la basse-cour. Pas de cris ni de sévices. Avec l’aide de sa sœur, ancienne prof de sciences, le curé surveillait les devoirs, et les décortiquait lorsqu’ils revenaient, corrigés par des professeurs extérieurs. Le couple expliquait, sans se décourager. Le plus ludique résidait dans la culture des fleurs. Le sens esthétique des trois élèves s’épanouit dans la composition de grands vases de couleurs devant orner l’autel pour la messe du dimanche.

L’abbé Large, sorte de Don Camillo, à la stature imposante, au charisme autoritaire mais charmeur, ennemi du maire socialiste le jour, très complices après la tombée de la nuit, remplissait intégralement son église à chacun des offices.

Chaque matin à six heures, il réveillait Augustin, frigorifié dans sa petite chambre où l’hiver, il cassait la glace dans sa cuvette. Le prêtre le priait de venir lui servir la messe. Devant la réponse négative, celui-ci repartait sans un mot. Durant deux ans, Augustin, tout en assumant sa classe de troisième et sa seconde, s’initia aux travaux de la campagne après les cours, sillonnant les chemins bordant les champs, courant les bois et les vallées. Il connut son premier amour avec la fille de fermiers, savoura sa première ébriété avec le vin de messe, s’initia à la poésie et finit sa deuxième année en servant la messe quotidienne et les trois offices du dimanche. La Foi resurgissait dans son âme d’adolescent. Le Curé triomphait.

Rassurés, les parents dirigèrent leur fils vers le collège du Caouzou à Toulouse où il passa son premier bac, mais on ne le garda pas. Les contraintes du pensionnat et la rigueur religieuse étaient trop antinomiques avec le paradis perdu du grand air de la campagne et du sentiment de liberté… même étroitement surveillée.

La philo se passa donc à Bétharam où on l’accueillit fraîchement ; à la surprise de beaucoup, il réussit facilement son examen, fit une année universitaire à Bordeaux et malgré son encourageant succès, se retrouva devant le tribunal de son père au début de l’été 1959.

Chapitre 2

Ils ne s’étaient jamais beaucoup parlé. Des banalités, la plupart du temps. Le père jouissait de l’autorité du chef de famille sans l’exercer vraiment, laissant sa femme tout organiser, tout régenter, ne s’occupant que de ses malades qui adoraient ce médecin de famille. Toujours de bonne humeur, il ne s’agaçait que lorsqu’un membre de sa famille proche manifestait une faiblesse physique, comme un rhume ou une grippe.

Reçu dans le bureau de son cabinet médical où il n’entrait jamais, Augustin restait debout. Il surplombait son père d’une bonne tête et voulait ainsi lui faire comprendre que le petit n’était plus un enfant et que dorénavant, il prendrait ses décisions tout seul. Mais c’était l’époque où la médecine de campagne se partageait entre 70 % de psychologie et 30 % de science médicale.

« Assieds-toi et parlons entre hommes… bien que tu n’aies pas vingt et un ans, donc pas encore majeur et que tu dépendes encore de notreautorité. »

Les choses s’annonçaient mal.

« Ta mère me dit que tu as résilié ton sursis, sans nous en parler et que tu t’es porté volontaire pour partir directement en Algérie. Qu’est-ce encore que cette lubie ? Pourquoi ne pas finir tes études puisque tu peux bénéficier de ton sursis, comme tous tes camarades étudiants ? Dans ton entourage, tu connais des étudiants qui partent là-bas ? »

« Je sais tout ça, papa, mais je m’ennuie ; j’étouffe ! Oui, ces années, toujours les mêmes, les mêmes trimestres enchaînés, les mêmes rituels, j’explose ! J’ai soif de liberté, d’apprendre le monde, d’être utile à moi-même et aux autres. J’en ai marre du grec, du latin, de l’église… je viens de faire une année universitaire et je me suis ennuyé.

« Si tu veux être utile, fais médecine… » Nous y voilà pensa Augustin.

« C’est sûrement un métier formidable, mais ce n’est pas fait pour moi. »

« Explique-moi ! »

« Non sum dignus. Je n’en suis pas digne. Je réussirais peut-être les études, peut-être, mais je ne serais pas un bon médecin. »

Le bon docteur Étienne, comme on l’appelait, réajusta sa cravate, ouvrit grand les yeux tout en fixant son fils, avança son buste et demanda :

« Qu’est-ce qui peut bien te faire dire ça ? Tu es né dans un milieu privilégié, nous sommes prêts à financer tes études et toi, tu rêves d’aventures, de parcourir le monde sans but ; nous avons tous une mission sur terre, on doit agir en fonction de ses capacités tant intellectuelles que financières. Dieu ne t’a pas mis sur terre simplement pour faire du tourisme ou une guerre douteuse. »

Augustin avait tellement de choses à dire mais on ne coupait pas la parole à son père. Il tenta de se dégager de ce sentiment de culpabilité qu’il sentait monter dans son esprit en s’imaginant missionnaire, envoyé par Dieu prêcher la bonne parole sur les bords du Jourdain ou ailleurs ! Pas de blague, ça a mal fini la première fois, pourquoi, mon Dieu, penser que les hommes sont devenus meilleurs en 2000 ans, malgré tous vos efforts certes louables. Pitié, il ne faut pas s’entêter, ils vont me crucifier ! Cette pensée humoristique le revigora et il répondit à son père qui lui semblait avoir posé une question.

« Pourquoi je ne ferais pas un bon médecin ? Parce que je ne suis pas fait pour mener la vie que tu mènes, sillonner les routes et chemins de village en village jusqu’à deux heures du matin, même le dimanche, manger midi et soir à toute allure, ne pas voir sa famille, inviter de temps en temps des amis pour les abandonner au bout d’une heure, laissant à maman le soin de les recevoir et surtout de finir la soirée… Pendant mes vacances, je t’ai suivi. Rentrés à deux ou trois heures, tu me réveillais à quatre heures, repartant à trente kilomètres parce qu’un père affolé venait de sonner pour que tu viennes diagnostiquer la cause d’un saignement de nez nocturne de son fils…

« Avec un gamin, on ne sait jamais… » ne put s’empêcher de relever le médecin. « Tu pourrais faire une spécialité… »

« Non merci. Passer dix ans sur les bancs des amphis et dans les hôpitaux ! À presque trente ans, j’aurai fait trois fois le tour du monde, j’en saurai des choses de la vie et des peuples, peut-être je m’installerai à l’étranger. Grâce à vous, je parle anglais presque couramment… »

« Et comment vivrais-tu ? »

« Je n’ai jamais manqué de rien mais il est temps d’apprendre la vie. Je me suis bien débrouillé l’an passé avec mes petits boulots auprès des petits vieux. Rassure-toi, je reprendrai probablement mes études après mon séjour en Algérie. Je saurai peut-être où j’en suis. Pour le moment, toutes les choses de la vie m’intéressent mais je ne veux pas louper la direction que ma personnalité doit prendre. Donc, en attendant je m’occuperai modestement des affaires de ma patrie. Je sens que je vais apprendre beaucoup de choses. »

Le père sourit d’un air triste. « Tu nous reproches de ne pas t’avoir compris ? ». Probablement réalisait-il que jamais il ne fit de concession à la famille qu’il avait bâtie. Cette dévotion aux autres n’était-elle pas que l’assouvissement d’une passion exclusive ? Aucun sacrifice car il aimait cette vie avec ses malades. Valorisante pour lui et ses convictions chrétiennes. Mais sa famille ? Aimait-il sa famille ?

« Au contraire, vous avez été formidables » répondit Augustin attristé d’avoir contrarié son père qui semblait ne pas comprendre

« il est probable que sans votre acharnement, je n’aurais même pas eu le bac. J’ai reçu une bonne éducation… mais je ne vous connais pas. Ma mère ne parle pas beaucoup et mon père est absent. Pas de reproches, c’est comme ça. » Il évita de lui dire que sa femme, qui certes ne manquait de rien, s’ennuyait, traînant à travers son autorité, une tristesse que l’on devinait dans ses yeux.

Après un silence pesant, le père se ressaisit : « Tu ferais l’école d’officiers au moins ? » Il pensait ainsi que son fils resterait en France, peut-être définitivement. Et socialement, c’était quand même plus valorisant.

« Sûrement pas. Aller commander des bidasses comme moi et vivre dans un mess où je serais coupé des types de classes sociales différentes. Non, j’ai postulé pour être instituteur. » Etienne Marzat s’inquiéta :

« Ce sont les postes les plus exposés… Le F.L.N. n’aime pas que l’on inculque aux jeunes Algériens une culture de style occidental. Et puis, je pense qu’un jour ou l’autre, les Algériens auront leur indépendance. C’est inéluctable. »

« Je ne le crois pas. Il nous faut garder l’Algérie française. Ce sont maintenant des départements français ; nous devons continuer d’investir là-bas et aider les Algériens à s’émanciper, de les impliquer davantage dans l’administration et la gestion de leur région. Tous ces rebelles qui refusent la France sont des ingrats. Il nous faut les mâter. Avec tout ce qu’on leur offre ! »

Le père regarda son fils avec une affection tintée de tristesse. Il était à la fois fier de lui avoir inculqué l’amour de son pays, et navré que son rejeton épousât une cause à laquelle lui-même ne croyait pas. Il se tut, inquiet de la prise de risques de son fils, mais rassuré de le sentir prêt à se bousculer enfin pour une cause, une Idée. Même s’il en eut préféré une autre.

Gêné du silence de son père, Augustin enchaîna : « Et on ne va pas laisser tomber le million d’Européens qui ont contribué à bâtir ce pays. De Gaulle ne laissera pas faire ça… ! Moi j’ai eu beaucoup de chance d’être né en métropole et dans une famille qui m’a permis de me cultiver, je vais modestement donner ma part de culture. »

« Tu es sûr qu’ils en veulent de ta culture occidentale ? Ils ont la leur. Tu es un idéaliste. On croirait entendre Jules Ferry ».

« Beaucoup d’enfants ne savent ni lire ni écrire… »

Tout à coup, la discussion s’arrêta. Une nouvelle fois, le silence se fit arbitre et laissa planer la conviction que les débateurs n’évolueraient pas. Augustin avait pourtant tellement de choses à ajouter. Le risque, est-ce qu’on y pensait à dix-neuf ans ? L’expérience en valait la peine… Il attendit le verdict de son père.

Celui-ci réfléchit puis, les yeux fermés, secouant la tête, laissa tomber d’une voix solennelle :

« Je ne te donne pas mon assentiment, sachant que tu passeras outre, mais je te donne ma bénédiction ».

Après avoir eu envie de pleurer, Augustin explosa de joie et se précipita vers son père pour l’embrasser. Il le serra dans ses bras malgré la retenue du père qui ne put se priver de doucher l’enthousiasme de son fils : « Sois prudent, tu sais que le petit Martial du quartier de l’Endrevie, que j’ai mis au monde, a été tué le mois dernier… ».

Chapitre 3

Augustin ne tarda pas à se créer des soucis avec l’autorité. Il était pourtant joyeux, lorsqu’en gare de Poitiers, il descendit de l’autorail en provenance de Limoges, en ce 2 janvier 1960. De cette dernière semaine, il gardait de belles images plein la tête et le cœur. Une nouvelle vie commençait. Il ne savait pas encore s’il agissait ainsi pour des raisons politiques, l’Algérie devait rester française, ou s’il entrevoyait simplement une nouvelle aventure, enfin débarrassé de ses contraintes bourgeoises. Pour son entourage, il passait pour un original courageux. Impression qui le faisait sourire intérieurement. Il trompait bien son monde.

Une autre raison essentielle le rendait joyeux. Après avoir embrassé ses parents dans une ambiance de dignité réciproque, il avait pris le train pour Paris, changé de gare, et s’était précipité à la gare de l’Est pour saisir au vol une correspondance pour Düsseldorf en Allemagne. Il rejoignait son premier grand amour, rencontré sur les plages du Pays basque, une jolie blonde aux yeux bleus et au nez mutin qui dégageait un charme rayonnant et discret. Les vacances passées, les parents d’Helga accueillirent volontiers « le petit français sympathique »… d’1 mètre 84, respectueux mais un peu fou. Fou de leur fille assurément. Il n’avait jamais connu un tel sentiment d’envahissement de son être, physique lorsqu’ils étaient ensemble, profond et léger quand la géographie les séparait.

Une autre idole à vénérer avec la Vierge et sa mère. Helga aussi était vierge. Elle avait bien eu un petit ami, Gernot, rencontré au collège, mais ce n’avait été qu’un flirt. Elle l’était toujours, car malgré les rares rencontres à Düsseldorf ou à Paris (la moitié du chemin pour chacun), Augustin avait décidé de ne pas tenter de déflorer Helga… pour l’instant. C’eut été différent si elle avait déjà connu l’amour physique. Ils s’étaient juré fidélité bien sûr, voulaient vivre ensemble le plus tôt possible, mais l’épreuve du temps sera-t-elle traversée sans affaiblissement de leur passion réciproque. Lui avait bien connu quelques expériences amoureuses, certes intenses, en vérité moins que la rumeur lui en avait attribué. Mais pourquoi un matin se réveille-t-on « sans amour et sans haine », avec un cœur envahi par la peine ?

Avec Helga, ce ne serait pas la même chose. C’était tellement intense, comme leurs flirts. Il leur faudrait cependant patienter plus de deux ans, vingt-huit mois exactement. À ce moment-là, elle aurait presque terminé ses études de droit et se préparerait à devenir avocate. Serait-il encore vivant ? Elle appréciait le respect symbolique qu’il lui témoignait en se privant du plaisir charnel qu’elle était disposée, ô combien, à lui offrir ; son enthousiasme se tempérait cependant avec l’angoisse de la mort qui pouvait survenir, là-bas, dans les sables d’Algérie.

Ils avaient longtemps pique-niqué sur les bords du Rhin, baigné de soleil, et s’attardaient maintenant sur la Köenigsallee, dans le quartier des vitrines de luxe et des cafés. Ils s’attardèrent sur un pont enjambant la Kô, ce canal bordé de grands platanes ombrageant les terrasses bondées, qui découpait l’artère dans toute sa longueur ; puis ils entrèrent enfin au café « Heinrich Heine » où ils étaient attendus.

Au fond de la salle, attablés devant des pintes de bière, trois garçons, trois filles, la vingtaine d’années, et Bernard, venu spécialement de Paris, les accueillirent avec une joie bruyante… Augustin les connaissait tous ; tous, sauf un qui ne se leva pas et regarda le couple en souriant. Un bel homme assurément, large d’épaules et athlétique. Le type même du germanique aryen. Helga présenta son ex à son amoureux, mais au premier regard, Augustin devina qu’il se prénommait Gernot. Étudiant en médecine, il avait été séduit par l’idée du français de fonder une association franco-allemande d’étudiants. En effet, lors de ses venues à Düsseldorf, Helga lui avait présenté quelques amis avec lesquels il sympathisa et un soir, au fond d’une cave à bières, tout en parlant politique, Augustin avait lancé : « Nos parents ont fait les cons, notre génération, forte de ce constat, devrait bâtir un monde sans guerre, un monde plus fraternel. Et ça commencerait par des liens désormais indéfectibles entre nos deux pays. Nos politiques sont sur le chemin, de Gaulle et Adenauer font du bon boulot, mais ils sont vieux et on sait ce que valent leurs traités. À nous de jouer ! »

Kurt, étudiant en physique, visage carré à lunettes rondes, cheveux bruns bouclés, paraissait le plus enthousiaste. Il est vrai qu’il semblait avoir pris beaucoup d’avance sur les pintes de bière. Il comptabilisa le nombre de vingt-cinq adhérents déjà inscrits, recrutés parmi des amis de différentes facultés. Bernard de son côté, apportait de Bordeaux et de Paris une trentaine de promesses d’inscriptions en fonction des projets proposés. Il avait rencontré Augustin sur le terrain, puis dans les vestiaires du Stade Français, après une partie de rugby où la réserve du B.E.C. avait battu l’équipe parisienne. Demi de mêlée râblé, à la « passe de maçon », néanmoins talentueux, Bernard s’avérait un véritable meneur d’hommes. Lors de la troisième mi-temps, des discussions variées firent naître entre les deux adversaires, une amitié consolidée lors des passages d’Augustin sur la route de Düsseldorf. Bientôt professeur de Maths, politiquement très engagé derrière De Gaulle, le parisien rayonnait dans la nouvelle organisation et arrivait en Allemagne avec des projets de statuts, un carnet d’adresses d’entreprises intéressées, des projets de conférences et d’échanges culturels entre les deux peuples. Les Allemands saluèrent son implication et annoncèrent des projets similaires. L’enthousiasme grimpa encore dans la gaieté et le sérieux. Seul Gernot, véritable cliché d’Aryen blond aux yeux bleus, collé à l’épaule de sa voisine, ne disait mot. Il souriait et approuvait d’un mouvement de tête tous les propos des intervenants. Un type sympathique pensa Augustin. Mais après trois heures de discussion, celui-ci en avait assez de la fumée de cigarette et des pintes de bière. Comment ces filles surtout pouvaient-elles en ingurgiter autant et rester sveltes ? On vota enfin pour élire un bureau.

Puisqu’il en avait eu l’idée, Augustin fut sollicité pour prendre la présidence. Il déclina pour raisons personnelles. Tous se tournèrent vers Helga qui baissa la tête, son sourire habituel disparut. Bernard dissipa rapidement le malaise en proposant la candidature de Kurt.

« Non, répondit-il, au départ, il vaut mieux que ce soit un Français ».

Augustin reprit la main à son tour. « Vous nous emmerdez, la guerre est finie depuis bientôt quinze ans, vous les jeunes Allemands, vous n’allez pas porter le fardeau de la responsabilité jusqu’au siècle prochain. Moi aussi, je suis pour la candidature de Kurt. Ou alors une fille ». Seules les quatre blondes éclatèrent de rire. « Ça viendra peut-être un jour, méfiez-vous les garçons », lança Greta avec un sourire malicieux.

Kurt fut élu président, Bernard vice-président, et les autres se partagèrent les responsabilités. Augustin n’en pouvait plus de ces palabres administratives, prétexta de raccompagner Bernard à la gare. Ils se congratulèrent chaleureusement et se dispersèrent convaincus d’être à l’origine d’une grande aventure civilisationnelle. Serrant la main d’Augustin, Gernot lui glissa : « Je suis heureux d’avoir fait ta connaissance, je sais où tu vas, je veillerai sur Helga en attendant ton retour. » Le jeune homme parut sincère. Augustin le lut dans ses yeux. Les deux Français prirent à pied le chemin de la gare. Bernard était ravi de la soirée. Néanmoins, plusieurs choses le contrariaient en particulier que leurs correspondants parlent français couramment alors qu’eux-mêmes étaient incapables de faire une phrase complète en allemand.

« Qu’est-ce que tu penses de Gernot ? Tu sais qui il est ? » demanda Bernard, après avoir éludé sa première préoccupation.

« L’ex d’Helga ? Ou peut-être le futur ? Je n’y crois pas. Elle résistera au temps. »

« Le temps ! Tu es toujours décidé ? Tu es bien sûr de toi ! »

« Je le suis ! Quant au temps, je ne l’ai plus. Mon incorporation est après-demain. »

« Je ne te comprends pas. Tu es très con ! Tu as un sursis, tu passes en deuxième année de lettres, tu es beau gosse, une fiancée de rêve te tend les bras, peut-être une carrière dans le rugby, des amis, des projets avec notre association dont tu es à l’origine. Ça fait beaucoup d’atouts. Mais, c’est vrai, tu as un gros inconvénient : tu es très con ! »

Augustin sourit.

« Tu as quelque chose à expier ? Tu fuis quoi, qui ? »

« Pas moi… je pars avec moi. »

Chapitre 4

En montant dans le camion G.M.C. qui les conduisait à la caserne, il revivait les moments forts de ces derniers jours. Depuis le départ du train ce matin les pensées d’Augustin naviguaient entre ses parents qui pour la première fois en 19 ans avaient entrouvert la porte de leur affection et cette semaine de rêve passée en Allemagne. Il avait conscience de clôturer la première partie de sa vie, faite de contraintes censées lui offrir une formation d’homme responsable, une éducation morale au travers d’un cadre rigide. Dans ce cadre, il s’était beaucoup agité dessinant un gribouillis de couleurs ressemblant à un mauvais tableau peint par de Kooning. L’image le fit sourire. Il pensa à son prof de dessin, Monsieur Inizan, qui l’avait initié à la peinture et beaucoup encouragé à travailler son sens de l’observation. Augustin ne sentit pas de rapides progrès dans son art ; il s’avoua n’être pas doué et donc abandonna. D’ailleurs, il n’était doué en rien décréta-t-il un jour, sans amertume aucune. Si, un don immense, le seul peut-être, imprégnait sa personnalité : l’admiration, l’émerveillement pour le monde, les paysages, les filles…

Une ornière profonde, que le chauffeur n’avait pas pu ou voulu éviter, le ramena à la vision de ces futurs bidasses, encore en civil, alignés silencieusement les uns en face des autres. Ils paraissaient bien tristes, regard inquiet et perdu, favorisé par la diffusion de la musique de Greenfields, que le chauffeur pour se faire pardonner, avait allumé. « Et moi je rêve de toi, ô, mon amie : la ville chante mais je ne l’entends pas… » Quel con ce chauffeur, ils avaient tous les larmes à l’œil en arrivant à la caserne en ce 2 janvier 1960, ciel gris, bas, froid et pluvieux… Ils venaient tous de la quitter, le lendemain du réveillon, leur « mie ».

Rêveur, Augustin descendit le dernier du camion, lentement, trop lentement au gré du gradé.

« Allez, dépêche-toi, on ne va pas te ramener chez toi, mon gars », dit celui-ci d’un ton agressif. Le gars sauta, prit sa valise et regarda ces grands bâtiments gris en forme de boîtes à chaussures cernant une immense cour au milieu de laquelle s’élevait un drapeau français.

« Tu vas te dépêcher, je vais te faire avancer, moi », aboya l’adjudant en poussant Augustin dans le dos. Certes une petite poussette, mais qui réveilla le nouveau bidasse, très agacé que quelqu’un se permette de s’introduire dans ses pensées lumineuses. Il se retourna en lançant :

« Ça va pas, non ? » Quatre mots, quatre petits mots anodins, qui juxtaposés et prononcés avec agacement, le premier jour, à la première heure allaient conditionner son séjour de 28 mois sous les drapeaux.

Pourtant armé de fermes résolutions, il savait que la discipline et le respect de la hiérarchie étaient les principes essentiels de l’Armée. Il était là pour observer, rencontrer, acquérir de l’expérience, se connaître et servir son pays. Pas de vagues. Raté !

Le gradé ouvrit grands ses yeux emplis de colère, se rapprocha d’Augustin et le menaça : « Je vais m’occuper de toi, grand con ; tu la ramèneras moins bientôt, allez, avance ». Augustin rejoignit les autres, curieux de l’incident et déjà conscients de ce qui risquait de leur arriver s’ils déviaient de l’ordonnancement redouté dans leur imaginaire.

L’adjudant leur attribua un bâtiment, une chambrée d’une cinquantaine de paillasses superposées au milieu de laquelle trônait un gros poêle éteint. On les conduisit ensuite chez le fourrier qui les vêtit en soldat, treillis, ceinturon, rangers (plutôt des godasses). Augustin demanda du 44. Il n’y en avait plus cette semaine. « Tiens voilà du 45, ça ira bien. Tu reviendras la semaine prochaine, si elles ne te vont pas. » Revenus à la chambrée, chacun défit sa valise, classa dans un petit meuble ses effets personnels. Augustin, jamais pressé, s’était attribué un des rares lits qui restaient libres. Celui du dessous évidemment.

« Salut, je suis Jean-Marie », dit le locataire du dessus. « Tu viens d’où ? ».

« Augustin, je suis du Périgord, le Noir évidemment. »

« Moi, de Périgueux, Périgord Blanc évidemment. »

« Personne n’est parfait », répondit Augustin en souriant. Querelle ancestrale de clocher et d’évêché, distants d’à peine 70 kilomètres, reliés exclusivement par une route sinueuse et malaisée.

« Ça va être l’enfer entre nous deux. » Ils éclatèrent de rire en se regardant. Un regard, une vibration, une attirance, une envie de se connaître, une amitié spontanée.

Jean-Marie Latour, 23 ans, visage taillé à la serpe, pommettes saillantes, sans harmonie mais beau comme un chef indien, corps d’athlète, larges épaules, regard déterminé comme un trois quart aile qu’il était, scrutant la ligne d’essai. Tous ses gestes déliés offraient une impression de souplesse et de vitalité qui impressionnait. Ils attendaient maintenant le coiffeur chargé de leur passer la boule à zéro ; il paraît que pour cette opération, il n’était pas nécessaire de suivre une formation très poussée ! Ceux qui revenaient de ce supplice, arboraient un sourire triste et fataliste, caressant leur crâne déplumé.

« Vous qui ne faites rien, allez chercher du bois et allumez le poêle. » Surgissant dans la chambrée, l’adjudant était dirigé tout droit vers Augustin.

« J’adore allumer un feu… Où est le bois Monsieur ? » s’enthousiasma le bidasse, sautant de sa paillasse avec entrain. Le sous-officier se braqua aussitôt, soupçonnant une tonalité ironique dans les propos d’Augustin.

« Vous avez fait la préparation militaire, vous devez connaître les grades. Vous m’appellerez mon adjudant à chaque fois que vous vous adresserez à moi. Et arrêtez de vous foutre de ma gueule. Vous aimez le feu, je vais vous le mettre moi, le feu au cul… »

L’adjudant se mit à gesticuler, embrassant la chambrée d’un regard menaçant, vantant les lois de la discipline devant un auditoire soumis.

Bientôt, le poêle rougit et le pyromane accepta les félicitations de ceux qui avaient eu le flair de s’installer près du vieux tas de fonte dont un gros tuyau s’échappait à travers le plafond. Tandis qu’il rejoignait son coin près de la porte, un grand rachitique le rejoignit, fronçant les sourcils :

« Je m’appelle Danzelle, je suis brigadier-chef et responsable de la chambrée. À trois mois de la quille, je ne veux pas être emmerdé. Il me tarde de retrouver ma menuiserie et ma copine. Tu te tiens à carreau et tout ira bien. »

Le ton n’était ni amical ni agressif. Danzelle était là depuis deux ans, sur les hauteurs de Poitiers, bien discipliné, ayant échappé à son incorporation en Algérie. Son bon comportement l’avait propulsé d’abord 1re classe, puis Brigadier, enfin Brigadier-chef, son bâton de Maréchal. En effet, tous les appelés ne partaient pas pour l’Algérie. Nombreux restaient en métropole pour effectuer des tâches administratives, pour raisons médicales, les chargés de famille, les mariés, les pistonnés, d’autres tout simplement chanceux d’être mutés en Allemagne dans le secteur français de Baden-Baden dans la Ruhr. Plus de la moitié du contingent échappait ainsi au voyage au soleil.

Le 33e régiment d’artillerie de Poitiers était un corps de troupe placé sous la direction d’un colonel. (600 soldats environ). Après quelques jours, dans la chambrée d’Augustin, les quarante-huit bidasses faisaient connaissance, au réfectoire ou à la veillée, se groupant par affinités. Déjà, on pouvait déceler les bons marcheurs, les sportifs, les timides, ceux qui prétendaient savoir tout faire, et ceux qui ne comprenaient pas les rudiments à apprendre par cœur, mais qui se rattraperaient par la pratique, les ronfleurs, les lèche-bottes, les inquiets, les discrets et les hâbleurs.