Le Maure m'a tuer - Tome 3 - Marcel Audiard - E-Book

Le Maure m'a tuer - Tome 3 E-Book

Marcel Audiard

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Beschreibung

Puce et sa clique d'ados sont en passe de perdre l'innocence de l'enfance. Avi Panszer et son épouse Kathy sont sur les traces de leur nièce Emma. Le vieux briscard de la politique israélienne a-t-il toujours le nez pour diriger sa barque ? Le Mossad serait triste de le perdre en mission.

Une série d’enlèvements met familles et policiers du 18ème arrondissement à cran. Quand une étudiante venue de Jérusalem disparait à son tour des écrans radars, la panique monte jusqu’au Quai d’Orsay. Cinq histoires policières s’entrelacent en une chorégraphie de situations tendues et de dialogues cinglants. Qui des inspecteurs, d’une bande d’adolescents bravaches, d’huiles israéliennes, des ravisseurs va s’en sortir le moins cabossé ?
Entre polar et roman initiatique Le Maure m’a tuer boucle la Crilogie commencée par Le Cri du corps mourant et Le Cri du mort courant. Mais cette fois-ci on ne crie plus, on mord !
Remarqué par la critique à la sortie de son premier opus du Cri, Marcel Audiard revient avec son style taillé à la serpe, sa galerie de portraits hauts en couleur et sa touche néo-vintage. Une 205 GTI, des camarguaises, des femmes blessées par la vie qui tiennent la dragée haute à des loosers de tout poil, des ados goûtant à l’interdit…., Le Maure m’a tuer est aussi la radiographie d’un monde qui vit ses derniers soubresauts.

Découvrez un polar noir qui vous fera voyager de Paris à Wengen, en passant par Béjaia !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

« Dans la famille Audiard, je demande le petit-fils. Marcel Audiard s’inscrit dans l’héritage familial […] Comme un roman policier moderne, avec des saveurs de films en noir et blanc. A lire, donc ! » - lecranalapage.fr

« Des ados de maintenant, qui sèchent les cours, boulottent des Pépito, ponctuent leurs phrases de « putain » dans un Paris nostalgique où barbouzes et flics anachroniques se donnent encore la réplique. Il y a des romans qui sentent la mayonnaise en tube, et puis il y a celui-là. » - Le Point

« Le Club des cinq en thriller. » - le JDD

« On en redemande ! » - Femme actuelle

« Marcel Audiard dégaine sévère avec sa plume inspirée, drôle et caustique. Une vraie galerie de portraits façon puzzle. » - l’Echo républicain

À PROPOS DE L'AUTEUR

Pédopsychiatre à la ville, Marcel Audiard est né en 1970. Il sort son premier roman en 2017. Quand il n’a pas les mains dans le cambouis, il fignole ses prochains opus entre deux patients.

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Veröffentlichungsjahr: 2020

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Marcel Audiard

Le Maure m’a tuer

De l’auteur aux Editions du Cherche-Midi

–Le Cri du corps mourant, 2017

–Le Cri du mort courant, 2018

« Au sortir de l’enfance, l’âme prend déjà l’odeur de la mort. »

Maurice Maeterlinck, Avant le grand silence

La galerie des Cris

Puce et ses proches

Puce Volponi : de son vrai prénom Marie Violette ; 14 ans, anorexique, fille d’Odile, sans père, mais élevée par son beau-père Raoul. Demi-frère : François Guibertin.

François Guilbertin : 10 ans, demi-frère de Puce et fils de Raoul. Enlevé par son père à la sortie de l’école.

Camarades de ٣e de Puce :

Mourad : meneur du groupe ; son frère aîné Moustafa, dit Mous, est en prison pour trafic de stupéfiants.

Louis :fils de restaurateur. Mange pour deux

Castille : bombasse. Sort avec Mourad.

Blanche : sportive et insouciante ; malgache.

Odile Volponi : mère de Puce et de François. La quarantaine, corse, DRH chez Coconest Island.

Raoul Guilbertin : père de François et beau-père de Puce. Ex d’Odile. Alcoolique. A intégré le gang de kidnappeurs dirigé par Herbert de Visenchy avec Ruby, ancien camarade de conservatoire.

La galaxie Stolzberger

Emma Stolzberger : 20 ans, israélienne. Enlevée par le gang alors qu’elle est en Licence à Paris.

Judith Stolzberger : mère d’Emma. Vit entre Jérusalem et Paris où la famille possède un pied à terre à Montmartre.

Daniel Stolzberger : père d’Emma. Grand Rabbin libéral de Jérusalem.

Dora Holkacher : dame de compagnie de la famille Stolzberger ; s’occupe d’Emma à Paris.

Shony Breitental : condamné pour pédophilie, vient de sortir de prison. Dénoncé par Judith Stolzberger, la Police le soupçonne d’être lié à l’enlèvement d’Emma.

Les méchants

Karol von Zuberalès, dit Ruby : ami de conservatoire de Raoul. Pianiste raté, devenu l’homme de main du gang de Visenchy. Tente de maintenir Raoul loin de la bouteille.

Le gang franco-suisse

Herbert de Visenchy : le boss du gang. Ancien médecin militaire. Après les cliniques, il investit le business d’enlèvements.

Florian de Visenchy : fils d’Herbert. Souhaite appliquer les méthodes managériales modernes à l’entreprise familiale.

Klaus et Rosa : frère et sœur. Klaus, ancien tenancier du bordel La Lanterne. Rosa, ancienne pensionnaire de ladite maison. Ont suivi Herbert dans son business d’enlèvements.

Otto et Ernst Horstaper : jumeaux homozygotes. Hommes des sales besognes d’Herbert.

Chloé : ancienne pensionnaire de La Lanterne. En fauteuil après un incident avec un client jaloux. Gérait la clinique du Vésinet jusqu’à sa rencontre fatale avec Mourad.

Gertrud : ancienne pensionnaire de La Lanterne. Compagne siliconée de Klaus.

Linda Feucke-Booty: ancienne pensionnaire de la Lanterne. Mariée à un magna africain des mines et attachée de communication à la clinique de Brienz.

Laurène Kaplier : infirmière de bloc au Val-de-Grâce, ex d’Herbert de Visenchy.

Les flics

Camille Dubley, dite « La Baronne » : commissaire divisionnaire.Dirige les forces de police du 18e arrondissement.

Joël Barsky et Franck Maarek : enquêtent sur la disparition d’Emma Stolzberger.

Rémi Clostarec et Jules Rambert : enquêtent sur le vol de la mallette d’Évariste Kwasap, attaché culturel du Tchad. S’intéressent aux agissements de Marie-Paule Bonnefoy, rabatteuse pour le compte de l’attaché.

Réza Hamdani : enquête sur l’implication des ados dans le raid pour libérer François Guilbertin de la clinique du Vésinet.

Éric Rivalin : assistant administratif de la Commissaire Dubley.

Les troisièmes couteaux

Baron Archibald d’Hauptin : otage acariâtre du gang.

Helmut Köln : otage du gang.

Évariste Kwasap : Attaché culturel de l’ambassade du Tchad. Se sert de Marie-Paule Bonnefoy pour rabattre les filles nécessaires à l’assouvissement de ses turpitudes. Veut punir celui qui lui a dérobé l’argent de la mallette.

Marie-Paule Bonnefoy : ivoirienne et mère maquerelle. A dérobé l’argent de Kwasap pour se venger des hommes et faire vivre sa famille en Côte d’Ivoire.

Moustafa, dit Mous : grand frère de Mourad. Il purge une peine de prison pour trafic de drogue.

Mordom :Chef du réseau de trafic de drogue. Il a pris Moustafa sous son aile et cherche à faire payer ceux qui ont fait plonger son poulain.

Benradis et La Mouche : tueurs au service de Mordom. Ils planquent en face de chez Moustafa en attendant de cravater ceux qui l’ont envoyé en prison.

Les nouveaux protagonistes du Cri ٣

Herr Rakles : Groom de la clinique de Brienz et homme de main de Linda Feucke-Booty

Boris Karachansky : Policier du 13ème arrondissement de Paris, pris dans les filets du deuil.

Elie Hübschmeinsohn : Geek, fils à maman travaillant pour le Mossad.

Benjamin Malerovitch : Commissaire de police, dirige le SRPJ de Besançon. Ancien compagnon de Camille Dubley

Capitaines Tiburce, Laroubi, Lechameau : Peloton motocycliste autoroutier.

Gary et Kooper : Nettoyeurs du Mossad.

Prologue

Un après-midi nébuleux de novembre, François est enlevé à la sortie de l’école primaire par son père, Raoul, qui profite d’un juteux business de rapt organisé par un ancien médecin militaire, Herbert de Visenchy. Raoul est un alcoolique impénitent recruté dans le gang par son vieux camarade de conservatoire, Ruby, pianiste raté devenu homme de main. Raoul a kidnappé son fils pour pourrir la vie de son ex, Odile et s’en servir de monnaie d’échange dans un projet qu’il caresse avec Ruby de palper l’argent d’un tripot clandestin dont elle a récemment hérité.

Puce, sœur de François et ses camarades de troisième Blanche, Castille, Mourad et Louis mènent leur propre enquête et récupèrent une arme en pénétrant l’appartement de Moustafa, dit Mous, le grand frère de Mourad, tombé pour trafic de stups. Ils réussissent à récupérer François séquestré dans une ancienne clinique au Vésinet.

Emma, otage d’origine israélienne, est activement recherchée par la police et son oncle Avi Panszer, ancien ambassadeur d’Israël à Paris. Les criminels ont trouvé refuge dans leur quartier général à Wengen, en Suisse. Gravement blessé par Puce, Herbert est soustrait du service de réanimation du Val-de-Grâce par un commando dirigé par son fils Florian. Mourad déclenche à son insu le réveil d’une cellule de tueurs chargés de retrouver les responsables de l’arrestation de son frère et de les punir. Mordom est l’homme fort qui se cache derrière le réseau de came pour lequel travaillait Mous avant son incarcération.

Fragilisée par une anorexie sévère, Puce est réhospitalisée à Cochin et risque la greffe au vu de son état physique précaire. Folle de colère, sa mère Odile, demande à tonton Ricco de punir Raoul pour sa forfaiture et la rechute de sa fille.

De leur côté, les inspecteurs Maarek et Barsky, chargés de retrouver la jeune israélienne, sont aiguillés par sa mère vers Shony Breitental fraichement libéré après avoir purgé une lourde peine pour viol sur mineur. L’interpellation le trouble au point de le faire dérailler. Il va mener ses propres investigations pour savoir qui l’a dénoncé. Une autre piste prometteuse mène le duo de flic aux basques de Raoul et Ruby alors qu’ils fuient le Vésinet à Vespa. Ricco est aussi sur leur piste qui le conduit jusqu’à la péniche échouée à Thoraise. Le vieux Corse est bien décidé à faire valoir les lois de la vendetta.

1

L’ouverture de l’œilleton annonçait celle de la porte. Le couinement métallique qui suivit confirma la misère générale qui présidait à la destinée de l’institution pénitentiaire.

Un peu plus de deux ans que ça durait. Deux ans qu’il devait faire avec l’infinie promiscuité imposée par les médiocres et les esclaves de la pulsion homicide. La vie en centre de détention lui rappelait le collège et son univers de domesticité soumise au bon vouloir de celui qui parlait du haut de l’estrade. Ici, le maître possédait les clés. La matraque avait aussi son petit effet sur le choix des mots à employer pour s’adresser à Maton Premier. Depuis son transfert à Melun, Moustafa était seul dans sa piaule après avoir connu la maison d’arrêt et la joie des chambrées à trois paires d’aisselles qui bastonnaient sévère passé dix heures. On pouvait gagner la guerre du Lebensraum en économisant sur le déo. La bienséance et les fariboles de chochottes s’évanouissaient au premier lâcher d’étron au milieu de la foule des grands jours.

C’était Byzance depuis son arrivée. La prison était construite dans les murs d’une ancienne abbaye à la pointe de l’île Saint-Étienne. Un Alcatraz pour petits bras avec ses ponts qui la reliaient à la terre ferme et la Seine autour qui n’avait rien d’un vivarium à requins. La cellule gardait le charme discret de l’Ancien Régime au service d’une République décidée à enfin faire des économies d’échelle. Tout dans ce cagibi de 9 m2 respirait la vétusté et la volonté d’oppresser le détenu laissé seul face au délabrement des peintures et du mobilier chiche comme un kebab. Mous, malgré tout, ne pouvait pas se plaindre après avoir connu l’enfer de Villepinte. Les frictions permanentes qui régissaient les relations entre taulards étaient épuisantes et laissaient en friche le peu d’humanité qui pouvait encore subsister chez ces prédateurs.

Son regard se tourna vers la porte qui s’ouvrit sur la tenue bleue du gardien de base. Dans la jungle qui l’environnait, le kit treillis-machette lui aurait été nettement plus utile.

« Mitallah, au parloir.

Mous ne fut pas surpris. Il attendait la visite de son avocat qui deux fois par mois lui apportait les nouvelles de la capitale. Son père n’était jamais passé le voir ; seule Karima, sa mère, venait régulièrement lui montrer les factures et le petit bordel à la française de papiers à signer. Il était au courant des affaires familiales et de l’évolution de son jeune frère Mourad, maintenu sous le contrôle attentif de ses darons. Leur crainte était grande de le voir basculer du côté de la facilité que lui procurait son intelligence opportuniste. Mous avait eu la même passion pour le refus du labeur scribouillard qui ne stimulait en rien ses synapses ni ses gonades. Il se leva et passa devant Bleu en marmonnant un vague bonjour.

–Tu t’es pas rasé aujourd’hui, Mitallah ?

–Nan, c’est fini tout ça. Je vais mon chemin.

–Assure-toi qu’il ne croise celui de mon pied au cul.

Le gardien semblait contrarié. Depuis plusieurs mois la direction de l’établissement faisait face à une véritable épidémie de conversion au Simal. Ça grinçait des dents en haut lieu à l’idée d’affronter une forme de sédition organisée par les barbus dégueulasses. Se refaire une virginité n’était pas qu’une question d’hymen. Il suffisait d’être le plus repoussant possible avec un rostre de poils qui apportait du poids dans le concours de l’étrave la plus hostile.

–Fais attention à toi Mitallah, ne te laisse pas gagner par l’ivresse des nouveaux abstinents.

–C’est mon problème, chef. Vous ne pouvez pas me dicter ma façon de rester fier.

Mous connaissait par cœur les mots faisant flipper les planqués de l’œilleton. Comme par exemple suggérer l’idée qu’il était sur le point de rejoindre la longue cohorte des nouveaux illuminés. Une sorte d’intouchable, tant la direction redoutait l’embrasement à la moindre contrariété. Il passa devant le gardien sans le regarder et commença le long décompte des pas qui le mèneraient jusqu’à la première des huit grilles à ouvrir avant d’arriver au parloir. Le rituel était immuable depuis l’invention de la serrure. Le maître des clés tenait du bout des doigts le peu d’espoir qui restait au taulard de s’imaginer libre dans l’espace compris entre deux rangées de barreaux. On avait les rêves qu’autorisaient les contraintes de son milieu.

Une brutale flambée de mots d’oiseaux prit son envol sur la droite. Une discussion poisseuse entre un Arabe et le garde-chiourme venait d’exploser en pleine paix postprandiale. Pour une fois le blanc-bec semblait avoir l’ascendant. On pouvait légitimement imputer cette anomalie à la présence du tonfa à la ceinture de Bleu bis.

–OK, Mitallah. Je te rappelle les règles. Si tu cantines, pas d’armes, de téléphone ni de H. Et 50 euros max en liquide. Joue pas au con avec moi, OK ? Bonne visite, mon vieux.

–Merci, chef. Comme d’hab, quoi ! »

Il entra dans une pièce où étaient alignés une dizaine de box séparés du voisin par une cloison pas bien épaisse. Le visiteur avait droit à un verre Securit pouvant supporter la relation passionnelle avec un 33 tonnes. Du sérieux et du moche. Même les téléphones sentaient la benne à ordures des années 80. En remontant l’alignement, il passa en revue ce qu’il comptait demander à Maître Kouchthar. Il était sorti inquiet de son dernier entretien quinze jours plus tôt. Mordom, le big boss, lui avait transmis son intention de punir ceux qui l’avaient fait plonger. « Il avait des pistes » avait rapporté l’avocat véreux. Mous en avait profité pour lui glisser deux trois hypothèses de concurrents avec les reins assez solides pour le balancer et récupérer une partie de l’approvisionnement du nord de Paris. Kouchthar avait transmis la liste des opportuns à sa Seigneurie et deux têtes avaient valdingué sans que Mous soit sûr de leur niveau d’implication dans sa condamnation à cinq ans ferme. Son avocat lui avait permis d’échapper à une peine beaucoup plus lourde en arguant qu’il n’était qu’un modeste petit dealer attrapé dans les filets à la place d’un plus gros. Son refus de balancer la hiérarchie malgré une remise de peine lui avait permis de se faire une réputation de dur dans le milieu. Il avait grand max un an et demi encore à tirer avec les remises pour bonne conduite. S’il jouait la carte du barbudo, c’était à la demande expresse de Mordom. Il ne savait pas bien pourquoi et espérait en apprendre un peu plus au cours de la rencontre.

Sa surprise fut grande de voir assise dans le 5e espace, non pas Kouchthar et son attaché-case, mais madame mère avec son sac Lancel.

Il s’assit et prit le téléphone tout en scrutant ce qu’il imaginait être une énième contrariété qui s’affichait aux plis des yeux de Karima Mitallah.

« Qu’est-ce que tu fous là ? C’est pas ton jour d’habitude.

–C’est bien de se sentir accueillie par la famille. Tu peux pas faire un effort, putain ?

Mous connaissait par cœur son impulsivité. Il s’était barré en courant de la maison sous la pression des engueulades et des coups qui pleuvaient même par temps sec. Il savait maintenant comment la faire redescendre sans que l’entretien ne finisse en un crescendo d’insultes.

–Excuse-moi, j’attendais mon avocat.

–J’l’aime pas, ton avocat. Il a une sale gueule et je suis pas sûre qu’il t’ait beaucoup aidé jusqu’à maintenant. Cinq ans que cet enculé de juge t’a filés.

Karima faisait ses gammes en charriant des pelletées de grossièretés sur tous ceux qu’elle ne maîtrisait pas. Un avocat juif, c’était un monde ! Pourquoi son fils n’avait-il pas trouvé un avocat kabyle pour défendre sa cause ? Il n’y avait pas que des cafetiers ou des couvreurs chez ceux de sa race.

–Maitre Kouchthar est très bien. Et je me fous comme de mes premières Nike qu’il soit feuj. Faut drôlement se frotter les yeux pour le voir. Pourquoi tu viens, aujourd’hui ?

Karima ne prêta pas attention à la nature passablement phobique des propos de son fils et préféra en venir aux faits.

–Deux trois trucs dont il fallait que je te parle.

–J’imagine bien que tu m’apportes pas des oranges.

–D’abord une question. Ton père n’est pas venu ce week-end ?

–C’est pas son genre. Il a disparu de ma vie depuis le jugement. Pourquoi tu me demandes ça ?

–Comme ça. Il a toujours été imprévisible. En ce moment, il a ses petites manies de persécution.

–Il est à bonne école…

–Fais gaffe à ce que tu dis, je ne suis pas d’humeur !

Karima garda pour elle que son père n’était pas rentré depuis samedi, se contentant d’ajouter :

–On a un gros problème avec Mourad. »

2

Mous prit son temps avant de poser la question suivante. Son jeune frère, tiens, tiens… Un vrai faux-cul, celui-là. Jamais un mot, un coup de fil passé à son aîné. À croire qu’il ne faisait plus partie de la même tribu.

« Qu’est-ce qui lui arrive ? Il s’est fait virer du collège ? Il est en quelle classe d’ailleurs, ce petit con ?

–En 3ème et c’est pas ça qui merde. T’as la télé, si je me souviens bien ?

–Ouaip. Pourquoi ?

–T’as vu la photo du gamin enlevé la semaine dernière ?

–Pas fait très attention. C’était pas moi, je peux te le jurer.

Mous afficha son sourire d’idiot qu’il avait travaillé dès les bancs de la maternelle. Karima le connaissait par cœur.

–Joue pas au con, je suis immunisée. Je sais bien que c’est pas toi. C’est le jeune frère d’une copine de Mourad. Une anorexique un peu hautaine. Je peux pas la blairer.

Mous passa en revue les personnes « blairables » selon les critères de sa mère et revint vite fait à la discussion.

–Et donc ?

–Ton frère et sa bande ont réussi à libérer le gamin des griffes de ses ravisseurs juste avant la police. Ça a fait le tour de l’actualité hier.

–Ah ouais, ça j’ai vu. J’aurais jamais pensé que mon frangin soit capable de faire un truc bien.

–T’inquiète, il a fait n’importe quoi et il est même soupçonné d’avoir buté une handicapée.

Moustafa prit quelques secondes pour imaginer ce que ce monstre avait pu faire par sadisme. Il le connaissait presque de l’intérieur. Un enfant déjà sournois tout gamin, toujours prêt à lui balancer une peau de banane à la moindre occasion. Karima reprit :

–Un flic est venu à la maison vendredi dernier. Façon fourbe, en tournant autour du pot. Un Arabe, quoi.

–Maman, c’est mal !

–Vendre ta came aux petits bourgeois c’est sûrement mieux, c’est ça ?

–À chacun ses étrangers.

Mous ne voyait pas bien où sa mère voulait en venir. Il la savait tourmentée en régime de croisière et complètement cinglée quand elle montait les rapports, mais là... Mourad était devenu un héros méconnu pourchassé par les flics ; qu’est-ce que Mous en avait à foutre ? Il reprit :

–T’es quand même pas venue ici juste pour me foutre la pression avec ton nouveau poulain ?

–Non, évidemment. Il faut que tu saches que Mourad a trouvé où tu habitais et qu’il est entré dans ton appartement.

Elle le regarda droit dans les yeux à travers la vitre qui avait servi de piste d’atterrissage à un nombre incalculable de langues. Son aîné ne cilla pas. Pas une veine ne battit à la surface de son cou. Soit il avait pris des cours du soir pour contrôler son système végétatif, soit il savait déjà ce qu’elle allait lui dire.

–Avec sa clique, ils ont trouvé dans le frigo deux têtes en état de décomposition avancée.

–Tiens donc. Si je comprends bien, Mourad entre chez moi et on y trouve deux cadavres. C’est bien ça ? Tu m’as dit qu’on le suspectait d’un meurtre, pas d’un carnage.

–Ton frère les a découverts, il dit qu’il y est pour rien. Et je le crois volontiers. On a retrouvé deux corps dans le canal. T’as pas vu ça non plus, à la télé ?

–La télé ? Ça me rappelle que je suis seul comme un con dans trois mètres sur trois. Alors, je préfère lire. Là, j’m’évade. Je suis dans Papillon. C’est un peu autre chose que tes histoires de têtes de mort et de cadavres à la con.

Ce que disait son fils ne l’intéressait pas. Karima embraya direct.

–Déjà que tu nages le crawl comme une merde, ça promet… Mais il y a autre chose. C’est qui Mordom ?

Mous brancha les circuits de secours pour alimenter le peu de jus de tête qui lui restait. Curieux que Kouchthar n’ait pas encore pointé son nez de fouine pour lui parler de tout ça. Mordom était en train de passer l’ennemi à la chaux vive et se servait de son appartement comme d’une succursale de la morgue. Pas bien, ça. C’était pas au programme. Quelque chose ne tournait pas rond dans ce maelström de nouvelles invraisemblables. Il préféra botter en touche plutôt que d’alimenter la polémique.

–C’est bien que tu me poses la question. J’apprécie, si si. Et Mourad, t’en as fait quoi ?

Karima sourit.

–Un aller simple au soleil à coup de pompes dans le train !

Elle regarda sa montre et ajouta :

–À l’heure qu’il est, tes grands-parents doivent méchamment lui serrer les boulons. »

La chambre de Puce faisait l’angle avec la rue de la Santé et était isolée de toutes les autres qui alignaient leur monotonie le long du couloir principal. Elle en avait rêvé lors de sa précédente hospitalisation. L’espace y était moins contenu et sa position stratégique près des ascenseurs et des toilettes lui permettait de surveiller les allées et venues de la nomenklatura pas toujours bienveillante. Rue de la Santé ? Ça la faisait presque marrer, vu son état de sac d’os ambulant. En regardant son avant-bras décharné lui revint en mémoire un reportage sur les dernières exécutions capitales censé commémorer l’abolition de la peine de mort. Le prof d’histoire-géo avait insisté pour que la classe le regarde. Elle en gardait l’image noir et blanc fascinante de l’exécution publique de Weidmann et du commentaire lugubre accompagnant le basculement du corps dans la panière. Avec l’affaire des têtes qui traînaient dans le congélo du frère de Mourad, elle imagina pouvoir perdre la sienne un matin cafardeux à l’angle du boulevard Arago. Elle ouvrit les yeux brusquement à la sensation du bois enserrant son cou.

Puce s’était pourtant réveillée une première fois un peu tôt et avait fini par replonger au bout d’un temps pénible de lutte. Ce deuxième sommeil avait la caractéristique de ramener tout un tas de pensées violentes et redoutablement réalistes. Elle avait sué à se débattre sur l’alèse en plastique digne d’un service de gériatrie. Le jour pointait maintenant à travers les persiennes. Les premiers mouvements sonores du personnel qui prenait son service de jour couvraient les gargouillis de son ventre. Puce avait faim et elle craignait de lâcher trop vite les freins sur la bouffe après son séjour en réa.

Elle n’eut pas la force de se lever. Son arrivée précipitée la veille directement du service voisin de réanimation médicale ne pouvait masquer ses faiblesses dramatiques. Elle tenait à peine debout, mais elle était contente d’avoir forcé son passage en moins de deux jours vers le royaume des vivants.

Il n’y avait aucune pendule au mur et sa montre avait rejoint les objets de valeur au coffre. Pas de portable non plus. Mme Volponi mère ne voulait pas que sa fille ressemble à une de ces greluches, le mobile perpétuellement à la main. Autant ressortir les vieux rosaires et balancer du Je vous salue Marie, pleine de graisse... Elle sourit à cette pensée et saisit la sonnette. Il était temps de purger sa vessie après 24 heures sans la moindre fuite. Record battu. Le souvenir de l’infirmière butch de la veille l’avait durablement asséchée.

On frappa délicatement à la porte.

« Oui, entrez.

Louise glissa son joli museau dans l’entrebâillement.

–Bonjour, bien dormi ?

–On peut dire ça. Merci. J’ai très envie de faire pipi, mais je ne suis pas sûre de pouvoir tenir debout et d’y arriver avec les perfs.

Louise sourit. Elle connaissait Puce et venait d’échanger en staff sur l’extrême vigilance à appliquer à cette patiente jusqu’au-boutiste.

–Je t’apporte le haricot. Pour l’instant, t’es absolument pas en état de te lever. »

L’infirmière disparut dans la salle de bain et revint armée de l’instrument de cauchemar de tout alité pas encore végétalisé.

Puce marmonna entre ses dents un : « Putain, c’est reparti ! »

Le samedi matin, dans les rues désertées de la capitale, la bagnole était un petit confetti de paradis glissant tel un hovercraft de feux rouges en longs boulevards grisâtres. La pierre parisienne était belle aux premières lueurs incertaines de l’aurore. Anegmar était content et conduisait le cœur beaucoup plus léger que la veille au soir. Son cadet était dans le train et l’aller simple au bled programmé avec la minutie cruelle de ses lointains aïeux lui enlevait un oursin de la poche. Pourtant la situation avait été critique au réveil. Mourad s’était monté la tête pendant la nuit et avait déboulé dans la cuisine la mine assassine. Se cloquer un ado en hypoglycémie et ronchon dès sept heures du mat donnait envie de le balancer par la fenêtre. Heureusement, il était couard et laissait d’habitude Karima gérer les viles besognes. Sitôt les tartines englouties, Anegmar avait senti la Glasnost se répandre sur la lande en feu. S’il ne pouvait remporter la guerre, il pouvait acheter la paix. Moyennant quelques talbins posés devant le bol de chocolat, Anegmar avait assisté à la transformation du monstre aux sourcils en barre en un enfant à la limite de la domesticité.

« C’est quoi, ça ? Y z’ont une drôle de gueule, tes billets.

–Une surprise pour ton séjour chez papy. Ce sont des dinars algériens.

Mourad en prit un et l’ausculta en le frottant d’un geste connaisseur.

–C’est des vrais ? On dirait des trucs du Monopoly. La tête de zébu, ça fait vraiment pas sérieux. Ça vaut quoi ?

–Un merci et un petit mot aimable à ta mère avant de calter. »

3

À 650 kilomètres de là, Linda Feucke-Booty ne s’amusait plus du tout à tirer les rapports de son Z4. Elle connaissait par cœur les derniers lacets que faisait le Stocki avant d’enjamber la ligne du Wengernalpbahn et devait monter dare-dare au chalet sans perdre son temps à provoquer les gras du bide en 4X4. Le coup de fil de Rosa avait mis le feu aux poudres. Deux pensionnaires venaient de se faire la belle. Encore un énième coup de tonnerre annonçant l’orage. L’appel tombait mal. Elle croulait sous le taf dans son bureau de la clinique de Brienz à ratisser tout ce que la région comptait de cadres bancaires et d’entrepreneurs friqués. Vendre du bien-être médical n’était pas une sinécure, même pour une ancienne pute. Linda se remémora ces derniers instants qualifiables de « normaux » dans la vie d’une commerciale. L’ascenseur, puis le portier bodybuildé débauché à coup de biffetons pour prêter main forte. Le démarrage en trombe, la bagnole qu’elle avait failli emplafonner en sortant de la clinique et enfin la route. De nouveau maîtresse du volant, elle se remémora l’entretien avec Rosa :

« Ouais, c’est Rosa. L’Israélienne et le Français viennent de se barrer.

–Comment c’est possible ? Ils sont censés être bouclés dans la cave. Et c’est quoi ce bordel que j’entends ?

–L’alarme.

–Tu peux pas la couper ?

–Klaus s’en occupe. Il est comme un dingue. Il court partout.

–Un canard sans tête, oui.

–Qu’est-ce qui s’est passé ?

–Klaus et Gertrud ont profité d’un petit quart d’heure de boue sexuelle et voilà…

–Debout sexuel ? Je comprends rien. Parfois, je me demande si t’es pas aussi barrée que ton frère. Te fatigue pas à m’expliquer, j’arrive. »

Linda raccrocha, agacée. Elle n’aimait pas ces gens qui parlaient bizarrement. Toujours à utiliser des expressions alambiquées. Debout sexuel ? Ça sentait le truc politico-porno dont elle avait horreur. Après le pont, elle prit prudemment le chemin enneigé sans prêter attention aux traces de pas.

Klaus était sous l’auvent, un fusil à la main. Il s’adressa à Herr Rakles, boudiné dans sa livrée de groom.

« Alors mon bon, vous avez repris la salle de sport ? Faites gaffe, il paraît qu’on y laisse ses bijoux de famille quand le cuissot déborde.

Le Golgoth ne broncha pas. Sa peau ressemblait à un HLM à comédons déserté par les services de propreté. La force du laid résidait dans le risque contagieux que faisait courir toute rencontre avec ses traits. Herr Rakles était un condensé de ce que Klaus détestait. Une phrase ésotérique du patron lui revint en mémoire : « Mon bon Klaus, sache que le culturisme est à la lecture ce que le paquet de merde est au jeu de cartes ! » Ce Herr Rakles ne savait probablement pas lire…

Linda attaqua, suprêmement agacée par l’attitude brouillonne de son complice.

–Comment c’est possible ? Ces cons n’étaient pas enfermés à double tour ? 

Elle le dévisagea, prête à mordre.

–Mais qu’est-ce qui t’arrive ? T’es complètement trempé. Tu viens de te prendre une douche ? T’as vraiment que ça à foutre, alors que c’est le chalet des courants d’air, ici ?

Klaus n’avait pas très envie de s’étendre sur les causes de sa suée. Parler de Gertrud avec Linda, c’était comme de parler économie avec un bave-aux-lèvres : impossible d’en placer une.

–Figure-toi que je n’ai pas attendu que tu débarques avec ton gorille pour leur courir au cul. J’ai fouillé toute la baraque et les alentours.

–Tu crois qu’ils sont assez cons pour être restés ici ?

Linda fit la moue. Être « debout sexuel » n’empêchait visiblement pas de faire carpette côté intelligence. Plus le temps passait, moins elle aimait les hommes. Trop primitifs et prévisibles.

Klaus n’était pas d’humeur à plaisanter. Il faisait partie de ces animaux aux états post-coïtaux abyssaux. Sitôt soulagé, les idées arachnoïdes maintenues au-delà de la frontière du désir revenaient gratter de leurs pattes velues.

–Viens pas me prendre la tête. Je te rappelle que le petit François nous a feintés en restant planqué dans les étages à la clinique du Vésinet. On l’a cherché comme des cons partout dehors alors qu’il se foutait de notre gueule confortablement installé au second. 

Linda encaissa. Elle avait l’air d’une idiote, maintenant. L’humilité lui enjoignait de remballer le bidon d’acide et le sécateur.

–OK, faut s’y mettre tous ensemble. Elle est où, Gertrud ? Faut qu’elle sorte de sa grotte. Ça urge, là.

–Elle arrive. Elle a eu une dure matinée.

–Tu veux dire, à rien branler comme d’habitude ?

–On peut voir ça comme ça… »

Klaus esquissa un sourire de Joconde et appela sa compagne sans ménagement.

Le Baron d’Hauptin balança Emma dans le fossé en entendant monter le Sporster. Elle planta les ongles dans le bras de son complice d’évasion pour ne pas hurler de douleur au contact de la surface endurcie par le gel. La route était une échappatoire dangereuse. Leur cavale croisait la voie ferrée qui passait sous le pont du Stocki. D’Hauptin y vit une opportunité d’égarer leurs poursuivants.

« Pfff, c’était chaud. Comment va votre patte ?

–Je ne vais pas pouvoir continuer longtemps. Ma cheville me lance terriblement. Elle accompagna ses paroles d’un rictus douloureux.

–Le train, ça vous dit ? C’est assez romantique, non, pour filer à l’anglaise ? »

Emma imagina, goguenarde, filer à la palestinienne dans un tunnel creusé par des mains d’enfants. Elle garda pour elle l’enseignement de son éducateur, le Segen Ziehl, pendant son service militaire et acquiesça d’un raisonnable

« Bonne idée ».

Il la prit sur son dos et descendit prudemment le talus.

À quelques centaines de mètres de là, Klaus contemplait le désagréable spectacle qu’offraient les empreintes de pas dans la neige. Se tournant vers Linda :

« Ils se sont barrés par le sentier. Vous ne les avez pas vus en arrivant ?

–Non, personne.

Klaus réfléchit à la stratégie à tenir.

–On va chacun prendre le Stocki dans un sens. Avec l’enneigement, ils ne peuvent pas couper à travers champs. Ils sont forcément quelque part sur la route.

Klaus était inquiet. Tout son plan semblait bancal.

Gertrud apparut sur le perron, lasse. Sans regarder sa rivale, elle balança une louche de fiel.

–J’avais demandé à ce qu’elle se taille.

–Recommence pas. On a besoin de Linda. Moi, je suis pour les compromis.

–J’aurai tout entendu dans cette vie. Je comprends mieux pourquoi t’as jamais voulu m’épouser.

Suprêmement agacée, Gertrud, tourna les talons et disparut par où elle était arrivée.

Linda ajouta sarcastique :

–Elle est barrée, quand même…

–Elle a ses jours sans.

–La folie, c’est toujours avec ! »

D’Hauptin regarda les deux rails qui encadraient une crémaillère centrale. Méchant de nature, il présentait une intelligence vive.

« Ça me rappelle quelque chose. Un souvenir de gamin. Une sorte de train des cimes. On n’est plus en France.

–Oui, ce matin je suis tombée sur des chaînes suisses à la télé. On a été déplacé.

–En suivant la voie on doit pouvoir rejoindre la prochaine gare. Vous vous en sentez capable ? »

Emma replongea dans l’enseignement du Segen Ziehl :

« Jeunes gens, sachez que la souffrance trouve son chemin dans l’esprit et la chair des faibles et des soumis. Je suis sûr que la plupart d’entre vous font régulièrement le choix de garder en vous certaines blessures... 

Il les avait regardées une à une, sachant pertinemment qu’il avait raison.

–Eh bien, sortez-les vite de votre tête avant qu’elles ne vous bouffent de l’intérieur comme une colonie d’asticots ! »

Ziehl aurait eu vingt ans de moins, elle aurait pu tomber amoureuse. Son visage travaillé au burin solaire lui donnait un petit air de Charlton Heston, en plus râblé. D’Hauptin était tout le contraire du Segen. Un grand type sec et dégingandé qui aurait pu servir de doublure à un train d’atterrissage. Elle lui répondit, gonflée d’une bravoure de contrebande :

« Même pas peur ! » 

4

La détonation se réverbéra sur les parois rocheuses ceignant le bassin où gîtait la péniche. Thoraise n’avait pas connu pareille déflagration depuis la Libération. Majestueuse, la statue de la Vierge veillait toujours au-dessus de la percée et ne moufta pas. Seuls des ramiers, égarés après les premiers frimas, prirent leur envol vers des contrées plus clémentes.

Barsky passa en revue les hypothèses qui les avaient amenés jusqu’à la péniche. Elles tenaient surtout de l’intuition. En pénétrant jeudi soir dans la clinique fantomatique, lui et Maarek n’avaient trouvé que papiers jonchant le sol et meubles vidés. La seule présence humaine gisait en fauteuil roulant, la tête ventilée aux quatre coins de la pièce. La chance leur avait souri à la sortie du Vésinet quand ils étaient tombés sur les suspects à dos de Vespa. L’improbable équipage n’était jamais sorti de leur faisceau radar et les avait menés jusqu’à Thoraise. Tout les poussait à penser qu’Emma Stolzberger, la fille du rabbin, était là aussi.

Barsky n’attendit pas le renfort hypothétique de son camarade de galère. Demander à un ancien poly-tox d’être ponctuel était aussi vain qu’implorer la clémence du fisc. Le Manurhin à deux mains, il galopa jusqu’à la passerelle et monta à bord.

Son téléphone sonna au moment où il saisit le loquet. Il maudit l’importun.

« Putain, c’est le moment ! T’es où ?

–Pas loin, j’ai fini par trouver une vieille mob dans la grange. Faut que je prenne quoi en sortant de Boussière ?

Barsky n’avait pas la tête à faire la blonde à binocles de l’office de tourisme.

–J’en sais rien. Tu longes le Doubs. Tu finiras bien par tomber sur l’entrée du canal. Magne-toi, ça tire et ça crie.

–Y tournent un porno avec la gamine ? C’est pour ça que t’es tout silencieux ?

Maarek se marra tout seul, n’ayant pas perçu le drame qui se nouait quelques mètres sous les pieds de son ami.

–T’es vraiment con ! »

Barsky lui raccrocha au pif. Un mec qui roulait en 103 SP et ne pensait qu’au cul d’abattoir finirait par préférer le camping à l’hôtel. Il n’en pouvait plus. De sa main libre, il déverrouilla la porte et descendit les premières marches.

Dans la cale transformée en salle de jeu, les discussions prirent un tour tragique comme un soir de bal. Il ne restait quasiment rien de la jambe de P’tit Pierre. Raoul ne reconnut pas immédiatement la silhouette qui tenait l’arme et l’appelait par son nom. Le visage au revolver sortit de la pénombre et avança, menaçant. Tonton Ricco. Il l’avait rarement croisé dans les réunions de famille entre deux incarcérations. L’homme était un habitué des parloirs et de la belote. Il détailla les traits du malandrin, comme ravinés par la fonte des glaces. Il avait forci aussi. Il se garda bien de le lui faire remarquer vu sa propre déchéance physique. Raoul avait quinze ans de moins mais en paraissait à peu près autant que Ricco. Il devait jouer la partie avec tact. Le Corse avait un léger problème de susceptibilité et de gestion du conflit. D’ici à ce qu’il soit venu avec ses cousins qui militaient au même syndicat du carnage, il y avait une poignée de mots tabous à ne surtout pas lâcher. Le chemin de la négociation s’avérait étroit comme la cordelette d’un string. Raoul attaqua :

« Tonton Ricco, ça c’est une surprise. Qu’est-ce qui t’amène sur le continent ?

–Je viens te punir. Te couper les oreilles et les balancer aux cochons.

–Rien que ça ?

–T’as pourri la vie d’Odile et celle de tes enfants. Ça te suffit pas ?

–Odile a cafté ? Je ne te pensais pas assez vieux pour gober les fadaises d’une femme qui a passé sa vie à licencier la moitié de sa boîte.

–Discute pas, je suis chaud, là, putain.

Ricco pointa le 38 dans la direction de P’tit Pierre qui geignait.

–Et fais-le taire, bordel ! 

Raoul aurait bien pris un peu de médecine alors qu’il était sans arme et traîné dans la merde. Cette double contrainte lui pesait plus qu’il ne le laissait paraître. Trente ans de dissimulation ne lui permettaient plus de tout encaisser. Et Ruby n’était pas là. Il avait forcément entendu la détonation. Toujours à disparaître dès que l’obscurité tombait. Raoul se pencha sur P’tit Pierre tout pâle et pas loin de calancher.

C’est moche sa jambe, faut la montrer à un toubib. 

La mare de sang continuait à se répandre autour de P’tit Pierre. Ricco aboya :

–Il n’avait qu’à garder les doigts pour son nez ! »

Maarek était une calamité. Jamais synchrone, toujours à se faire désirer. Ce type commençait sérieusement à lui taper sur le système. Barsky le prit à part :

« Pendant que tu zonais sur ta mob, deux mecs patibulaires se sont pointés par le tunnel creusé dans la roche, là-bas.

Il montra la percée de Thoraise.

–On fait quoi ? On appelle du renfort ?

Maarek mata le revolver au canon impressionnant que brandissait Barsky. Il avait la réponse. Un petit round de diplomatie ne pouvait nuire à l’enquête ni à leur prestige.

–P’tain, t’as sorti le canon de la Baronne !

Barsky sourit. Ce type avait les pieds pris dans la glaise, mais ses circuits à conneries fonctionnaient encore admirablement.

–T’as le tien ? répondit-il.

–Ouaip, j’ai toujours peur à la campagne. »

Maarek contourna le gaillard arrière afin de prendre le gibier de potence à revers. Un escalier en bois menait à l’intérieur de la dunette. Il chambra le Sig Sauer tout en pensant qu’il devait éviter de blesser la fille du rabbin. La patronne la voulait libre et vivante. Avec sa gueule à errer dans les cimetières, la tâche s’annonçait difficile.

Barsky descendit l’escalier principal. La tension était maximum dans la cale. Ça gueulait sévère. Sans attendre, il embrassa le canon de son Manurhin et fit voler la lourde sur ses gonds.

5

« Les pognes en l’air ! Toi le grand con avec l’accent vulgaire, tu lâches ton flingue.

Ricco leva les sourcils avant les bras. Vulgaire, le Corse ? Ce mec était totalement taré. Il se tourna et regarda le blasphémateur.

–Qui t’es toi ? Qu’est-ce que tu viens insulter la nation Corse, là ? T’es maboule, ma parole.

Barsky pointa son Manurhin droit vers la tête du géant.

–Police. Arrête de jacter ; ça me fatigue. Tu poses ton arme et on discutera des charmes discutables de ton île de merde après.

–Ah, un flic ? Mon Dieu, pardonne-lui, il ne sait pas ce qu’il dit ! se signa Ricco.

Le mec allait les lui casser. Un vieux qui s’écoutait causer, c’était jamais bon pour la reddition. Il pointa son arme un peu au-dessus de sa ligne de calvitie et dit :

–Je compte jusqu’à trois. Un... Allez, magne-toi, je vais perdre patience.

Ricco ne moufta pas. Barsky ajouta :

–Tu sais ce que je tiens en main ?

–Un flingue…

–Non, Ze flingue. C’est un Manurhin chargé à la 3-57 Magtech. T’es vieux et t’as sûrement autre chose à faire que de finir avec un deuxième trou du cul à la place de la tête. 

–Merde, moi aussi c’est de la Magtech. 

Ricco se foutait des productions nationales. À cette distance, son 38 valait largement la puissance de feu du MH73. Pourtant, il afficha sa contrariété. Le type devant lui avait tout du dégénéré, le soin du détail en plus. Une voix se fit entendre :

–Ça va ? On vous dérange pas ? Je vous préviens que P’tit Pierre est en train de se vider. Il lui faut des secours, et vite. 

–Tu ferais mieux de fermer ta gueule, Raoul, grogna Ricco.

–C’est toi, le père du gamin enlevé ? demanda Barsky, dubitatif.

–Pour votre plus grand plaisir, messire. Mais juste une précision avant que vous me sortiez votre baratin culpabilisant : je ne l’ai pas enlevé ; je l’ai récupéré. Nuance. 

Ne prêtant pas attention au cabotinage de Raoul, Ricco ajouta :

–On dirait que t’as gagné, ce coup-ci. C’est rare, les flics qui savent ce qu’ils ont en magasin. Et je m’en méfie.

Ricco s’agenouilla et posa devant lui son révolver avec délicatesse.

Barsky réfléchit à la situation plus vite encore qu’il avait fui l’épreuve de philo du bac.

–Tu fais bien.

Puis s’adressant à Raoul :

–Je suis pas d’humeur à écouter les confidences d’un alcoolo. Occupe-toi du blessé et ferme ta gueule. 

Il regarda vers la porte de communication et hurla :

–Maarek, bordel, qu’est-ce que tu fous ? Tu te radines, oui ? »

Sans réponse de son collègue, Barsky composa le 15.

Dans le compartiment moteur, Ruby se libéra de Bernardo d’un violent coup de genou dans les lombes. La bouche dégoulinante de sang, il rampa sur le dos tant bien que mal et chopa le marteau qui lui avait échappé lors de l’assaut. Mordre les couilles, il l’avait lu dans un guide de défense à l’usage des culs-de-jatte.

Ruby immobilisa Bernardo d’une clé de jambe et de sa main valide fila un coup sec sur l’occiput. Il hésita à lui exploser complètement la tête. Un visage aussi mignon au service d’un cercueil, ça le chagrinait. Il n’avait pas purgé sa crampe depuis des mois et Raoul n’était jamais disponible, empêtré dans ses petites phobies ridicules d’hétéro. Bernardo cessa de gémir et se décontracta. Le sang pissait toujours sous la ceinture, mais le haut du corps était présentable. La tentation était trop forte. Ruby déboutonna sa braguette et ne prêta nulle attention aux pas au-dessus de sa tête.

Maarek resta tétanisé par le spectacle. La luminosité faiblarde gommait les arrière-plans, ne pouvant toutefois estomper les petits mouvements obscènes qui animaient le bassin du mec debout. Il filait des petits coups de quelque chose à quelqu’un. Une envie de vomir vint le submerger. Il frémit à l’idée qu’il pourrait être à la place du type à genoux, la bouche élargie à la Morteau de compétition. Ça confirmait ce qu’il avait pensé d’eux sur le parking quand lui et Barsky les filaient. Des cinglés bons à tourner autour de la pierre noire dans un HP. Maarek siffla la fin de partie.

« T’arrêtes immédiatement ton petit cirque dégueulasse et tu remballes la marchandise...

–Je peux finir ?

–T’es sourd ? Tu lâches ce pauvre type, espèce de gros maniaque.

À contrecœur, Ruby lâcha la tête de l’infortuné. Il fallait qu’il sache.

–T’es qui toi, d’abord ?

–Police.

–C’est tout ?