Le mensonge du libre-échange - Thilo Bode - E-Book

Le mensonge du libre-échange E-Book

Thilo Bode

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Beschreibung

Il faut s’opposer non seulement au TAFTA, mais aussi au traité de libre-échange entre le Canada et l’UE. Car le CETA, c’est le TAFTA qui rentre par la petite porte ! Avec l’adoption de ces deux traités, des réglementations servant principalement les intérêts des multinationales et nuisant à la majorité des populations nord-américaines et européennes entreraient en vigueur. Thilo Bode en montre clairement les conséquences sur la protection des consommateurs, de l’environnement et des travailleurs. Il expose comment les deux accords saperaient la souveraineté des États et compromettraient les processus démocratiques permettant de définir les lois. C’est tout cela qu’il convient de dénoncer. Car le libre-échange est aussi possible sans CETA ni TAFTA.

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Le livre:

Il faut s’opposer non seulement au TAFTA, mais aussi au traité de libre-échange entre le Canada et l’UE. Car le CETA, c’est le TAFTA qui rentre par la petite porte! Avec l’adoption de ces deux traités, des réglementations servant principalement les intérêts des multinationales et nuisant à la majorité des populations nord-américaines et européennes entreraient en vigueur. Thilo Bode en montre clairement les conséquences sur la protection des consommateurs, de l’environnement et des travailleurs. Il expose comment les deux accords saperaient la souveraineté des États et compromettraient les processus démocratiques permettant de définir les lois. C’est tout cela qu’il convient de dénoncer. Car le libre-échange est aussi possible sans CETA ni TAFTA.

Première édition française d’un ouvrage classé bestseller par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel.

L’auteur:

Thilo Bode, né en 1947, a étudié la sociologie et les sciences économiques. Il devient secrétaire général de Greenpeace Allemagne en 1989, puis de Greenpeace International en 1995. En 2002, il fonde l’organisation de protection de consommateurs foodwatch.

Thilo Bode

Avec la participation de Stefan Scheytt

Le mensonge du libre-échange

Pourquoi il faut s’opposer au TAFTA et au CETA

Traduit de l’allemand par Clémence Delmas

Deutsche Verlags-Anstalt

La validité et le contenu des hyperliens mentionnés dans le présent manuscrit n’ont pu être vérifiés que jusqu’à la date de parution du livre. L’éditeur ne garantit pas leur validité ultérieure et dégage toute responsabilité quant à d’éventuelles modifications.

Première édition française, traduction de l’édition allemande révisée et complétée de 2016 sur la base de la première édition allemande parue en 2015

Copyright © 2015 Deutsche Verlags-Anstalt, Munich,

groupe Random House GmbH

Tous droits réservés

Typographie et composition: DVA / Andrea Mogwitz

Graphique de l’annexe: © Peter Palm, Berlin

ISBN 978-3-641-19150-4V001

www.dva.de

Inhalt

Préface de l’édition française

Préface

Partie I

TAFTA et CETA: Quand la politique se soumet aux intérêts des multinationales

Entre belles paroles et alarmisme

L’accord secret

Le conte de fées de la croissance

Quand les intérêts des multinationales font la loi ou L’attaque contre la démocratie

Le gel des normes

L’intronisation des lobbyistes

Une justice parallèle pour les investisseurs

La « cour » des investissements: un étiquetage mensonger

Partie II

Comment le TAFTA empiète sur notre quotidie

Le démantèlement du principe de précaution

La remise en cause de la protection contre les substances toxiques

La lutte contre la malbouffe menacée

Consolidation du statu quo: le désastre de l’agriculture

Brussels, USA

Bruxelles, Europe

Quand étable rime avec hôpital

Le libre-échange du bétail

Le nivellement par le bas: le nouveau monde du travail

Conclusion: Faisons barrage au TAFTA et au CETA!

Remerciements

Annexe

Chronologie: Le long parcours des négociations sur le TAFTA et le CETA

Négociations sur le TAFTA et processus décisionnels pour le TAFTA et le CETA

Liste des sources

Préface de l’édition française

L’appel de ce livre est on ne peut plus clair: il nous faut nous emparer de la politique commerciale de l’Union européenne. Et particulièrement du TAFTA et du CETA. Cela peut paraître étrange, rébarbatif, ou tout simplement hors de portée. C’est en fait très accessible, et surtout tout-à-fait essentiel. Nous, c’est nous tous: citoyens, lanceurs d’alerte, organisations de la société civile, dirigeants d’entreprises, élus … C’est notre mobilisation, et elle seule, qui pourra contenir la déferlante anti-démocratique qui se masque sous l’appellation trompeuse de « négociations commerciales ».

Si l’on vous disait que l’Union européenne a demandé à la Commission de négocier des accords de commerce, avec le Canada d’une part (CETA) et les Etats-Unis d’autre part (TAFTA), mais que c’est en fait l’ensemble de nos règles économiques, sociales et environnementales qui sont en jeu? Qu’en guise de négociations commerciales, le CETA et le TAFTA vont bouleverser de nombreux aspects de notre vie quotidienne: santé, alimentation, produits chimiques, environnement et climat, droits des travailleurs …? Un peu comme si on donnait les clés de la maison au plombier pour qu’il refasse la tuyauterie, et qu’il changeait du même coup la taille des pièces, la toiture et le mobilier sans consultation …

C’est précisément ce qu’on ne vous dit pas, et que ce livre révèle. Des informations d’utilité publique, tant il parait inconcevable que les citoyens – et les élus – soient plus longtemps tenus à l’écart de ces discussions et de leurs implications. Thilo Bode, fondateur de foodwatch, dévoile les dessous de ces négociations opaques et les contre-vérités mises en avant par leurs défenseurs. Il nous explique les dangers de ces traités dits de nouvelle génération.

Sous couvert de discussions techniques, les multinationales et leurs lobbies cherchent à éliminer autant que possible toutes les barrières au commerce: plus seulement les droits de douane ou les normes techniques, mais aussi les normes sanitaires, sociales etc. Le CETA et le TAFTA s’apprêtent à donner à ces multinationales le pouvoir ET les outils pour le faire, réduisant considérablement le champ de manœuvre des représentants élus, tant au niveau national qu’européen. Une véritable menace pour nos principes démocratiques, et la protection des citoyens et des consommateurs. Résultat? Sur notre alimentation par exemple, le principe de précaution n’est pas du tout garanti, et il sera beaucoup plus compliqué de réglementer sur des sujets sensibles comme les OGM, les pesticides ou les perturbateurs endocriniens.

Il ne faut surtout pas laisser les discussions sur le CETA et le TAFTA entre les seules mains de soi-disant experts du commerce. C’est pourquoi ce livre nous concerne tous.

Cette version française sera utile à l’heure où la mobilisation grandit en France. D’après un sondage publié par Harris Interactive et Sum of Us fin juin 2016, 62 % des Français rejettent les accords transatlantiques et 81 % des personnes interrogées estiment que le CETA et le TAFTA remettraient en question les lois ou « normes » françaises protégeant la santé, la qualité de l’alimentation, l’environnement, et le climat. Il y a urgence: le CETA pourrait entrer en application provisoire dans les prochains mois, avant toute consultation des parlements nationaux dans l’Union européenne. Emparons-nous de ces sujets et mobilisons-nous.

Karine Jacquemart, juillet 2016

Préface

Expliquer plutôt que passer sous silence, proposer une véritable analyse au lieu de se contenter d’arguments à dormir debout – tel était l’objectif de la première édition allemande de ce livre parue au printemps 2015. Il a été atteint. Les partisans du TAFTA et du CETA, qui s’appuient sur des prévisions de croissance truquées et passent sous silence les dangers que ces traités font peser sur notre démocratie, sont de plus en plus sur la défensive. Un quart de million de personnes sont descendues dans la rue à Berlin en octobre 2015. Quel succès! A posteriori, le titre « Die Freihandelslüge » (« Le mensonge du libre-échange ») semble justifié à plusieurs égards. Car dans le traité transatlantique de libre-échange (TAFTA) et le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA), le terme « libre-échange » est seulement un prétexte pour imposer des intérêts économiques.

Mon premier contact direct avec le libre-échange remonte à la fin des années 1970 au Maghreb. Jeune homme, je travaillais alors dans des projets de développement en Tunisie et défendais le libre-échange contre ses détracteurs, qui étaient déjà nombreux à l’époque. Pour eux, le commerce international était synonyme d’« exploitation par les impérialistes ». Pendant mes études d’économie, il y a maintenant 40 ans, je m’étais spécialisé dans le commerce international et les politiques de développement. Ce genre de jugements à l’emporte-pièce m’énervaient déjà à l’époque et m’énervent toujours autant aujourd’hui: comme si tous les pays pouvaient produire eux-mêmes tous les biens et services dont ils ont besoin, comme s’il n’était pas plus judicieux qu’ils exploitent leurs forces et leurs spécificités dans le cadre d’une économie mondiale basée sur le partage du travail. Sans commerce international, on ne pourrait pas nourrir la population mondiale.

La Tunisie connaît de faibles précipitations, mais il y pousse d’excellentes olives dont on pourrait tirer de l’huile à exporter vers l’Europe. Cela apporterait des devises au pays pour importer du blé dont la production nécessite beaucoup d’eau. Ce serait un partenariat commercial intéressant, même en termes écologiques. C’était là la théorie dominante à l’époque où je voulais contribuer à promouvoir le développement économique des pays pauvres de l’Afrique du Nord.

Dans la pratique, j’ai observé comment cette belle théorie a été remise en cause par le jeu du pouvoir et la défense d’intérêts particuliers. L’huile d’olive tunisienne a été très peu exportée vers l’Europe et, aujourd’hui encore, sa libre exportation est freinée par des tracasseries commerciales et des droits de douane, parce qu’elle concurrence la production oléicole des pays méditerranéens appartenant à l’Union européenne. Au lieu de permettre aux oléiculteurs africains de gagner leur vie avec de bons produits et de favoriser ainsi le développement économique de régions rurales pauvres, l’aide au développement a financé des projets d’irrigation coûteux pour y cultiver du blé. Ces politiciens qui prônent le libre-échange et pratiquent en fait le protectionnisme – pour ensuite faire grâce de l’aide au développement – trahissent le principe du libre-échange.

Pourtant, aujourd’hui encore, je défends l’idée d’un libre-échange équitable offrant des avantages à toutes les parties prenantes. Quand les médias ont commencé à parler de plus en plus du traité transatlantique de libre-échange (Transatlantic Trade and Investment Partnership, TTIP ou Trans-Atlantic Free Trade Agreement, TAFTA) en préparation entre les États-Unis et l’Union européenne, et du traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA), je n’étais donc pas a priori contre. Car enfin, il ne s’agissait pas de relations commerciales entre un pays industriel et un pays du tiers-monde, mais d’un accord entre deux blocs économiques très développés et déjà profondément liés l’un à l’autre. J’ai pourtant commencé à examiner la question de plus près, notamment sous l’impulsion de sympathisants et de soutiens de foodwatch qui nous ont posé des questions sur le sujet et encouragés à nous y intéresser davantage.

Ce livre est le résultat de cette recherche. La première partie tente d’expliquer de manière intelligible ce qu’est le TAFTA, ses fondements et ses probables effets économiques. Elle analyse le vif débat dont le traité fait l’objet, l’avancement des négociations ainsi que les implications du TAFTA pour notre démocratie. La deuxième partie se penche sur les futures retombées du traité dans notre vie quotidienne. Il faut garder à l’esprit que le TAFTA a une immense portée puisqu’il concerne presque tous les domaines de l’économie et de l’industrie. J’ai dû me limiter à ceux qui ont une importance politique considérable et qui touchent directement à notre quotidien: les produits chimiques, les produits alimentaires, l’agriculture, la protection des animaux, le droit du travail.

Les évolutions intervenues depuis la première édition du livre au printemps 2015 ont confirmé mes hypothèses et mes craintes. Le texte du CETA dont on dispose aujourd’hui montre que ce traité risque de remettre irrémédiablement en question le principe de précaution inscrit dans les traités européens, et que croissance et création d’emplois étaient des promesses purement politiques qui ne pourront pas être tenues. La menace selon laquelle, si l’UE ne signait pas ce traité, d’autres (« les Asiatiques ») définiraient les normes techniques et socio-économiques à appliquer et isoleraient l’Europe des marchés mondiaux, était seulement destinée à semer la panique. Par ailleurs, le système de justice parallèle antidémocratique des tribunaux arbitraux réservés aux seuls investisseurs étrangers devrait être maintenu, malgré les vives critiques dont elle a fait l’objet. Enfin, il est de plus en plus évident que le droit le plus fondamental des citoyens européens, celui de rester maîtres de leur destinée en votant aux élections, se voit affaibli à plusieurs titres et à un niveau insoupçonné.

Les quelques mois que notre équipe a consacrés à cette recherche m’ont rappelé mon expérience en Tunisie il y a 40 ans. Mais s’agissant du TAFTA et du CETA, l’écart entre la théorie et la pratique est encore bien plus important. Ces traités de libre-échange ne profitent ni aux pays signataires, ni à la majorité de leurs citoyens, ni encore à la majorité de leurs entreprises et encore moins aux pays les plus pauvres. Ils profitent presqu’exclusivement aux multinationales, dont ils sécurisent et consolident les parts de marché et l’influence. Une phrase tirée du mandat de négociation du TAFTA donné à la Commission européenne explique en partie comment j’en suis venu à cette conclusion. Elle stipule que le TAFTA vise à « garantir le niveau de protection et de sécurité juridique le plus élevé possible pour les investisseurs ». Un objectif aussi ambitieux (« le plus élevé possible ») n’est prévu pour aucun autre sujet ni aucun autre groupe dans le mandat.

Cette phrase résume bien le TAFTA. Ne vous laissez pas distraire par le sujet récurrent du « poulet au chlore » ou la question de savoir si les saucisses du Kentucky pourraient bientôt atterrir sur les barbecues européens. Le TAFTA ne s’y intéresse que très marginalement. Dans le fond, il s’agit d’inscrire les intérêts des multinationales dans des lois, ce qui aboutira à terme à les faire primer sur nos droits démocratiques. Le sentiment d’impuissance face au pouvoir politique, déjà largement répandu, va s’accentuer et le fossé entre citoyens et représentants politiques se creuser encore davantage. Aucun traité de libre-échange au monde ne mérite que l’on porte ainsi atteinte à l’une des plus grandes conquêtes de notre civilisation: la démocratie.

Ce constat commence seulement à faire lentement son chemin dans la tête de nos députés nationaux et européens. Outre ceux pour lesquels les intérêts économiques priment tout simplement sur les risques pesant sur la démocratie, trop d’élus ignorent encore tout des vrais dangers présentés par le TAFTA et le CETA. Car les partisans de ces deux traités, qu’ils soient politiciens ou lobbyistes du secteur privé, cherchent à tout prix à éviter que n’éclate un vif débat sur « le TAFTA et la démocratie ». C’est ce qui m’a poussé à publier une nouvelle édition mise à jour de « Die Freihandelslüge » et sa traduction française. Je souhaite fournir aux lecteurs des arguments qui leur permettent de participer au débat, mais aussi d’en montrer les enjeux à leurs représentants politiques.

Cela vaut la peine de se mobiliser. C’est nous qui avons les bons arguments – j’en suis encore plus convaincu qu’au début de notre campagne contre ces traités de libre-échange. Nous pouvons faire barrage au TAFTA et au CETA.

Thilo Bode

Partie I

TAFTA et CETA: Quand la politique se soumet aux intérêts des multinationales

1

Entre belles paroles et alarmisme

En ce jour de mai 2014, l’arrogance du pouvoir se manifeste de plusieurs manières. À Berlin, des activistes de l’organisation Campact souhaitent remettre 47000 signatures contre le traité transatlantique de libre-échange entre l’UE et les États-Unis au ministre de l’Economie allemand Sigmar Gabriel. Ils ont choisi une réunion publique que M. Gabriel a organisée avec le Commissaire européen au Commerce de l’époque, Karel De Gucht, pour répondre aux critiques dont le TAFTA fait l’objet. De nombreux participants se souviendront de l’arrogance affichée par les deux politiciens. Karel De Gucht, alors négociateur en chef du TAFTA, a réagi aux 47000 signatures de l’appel anti-TAFTA en précisant que lui représentait 500 millions de personnes. Quant à Sigmar Gabriel, il n’a même pas pris le temps de réceptionner les signatures. Quand on est Vice-chancelier et chef d’un grand parti comme le SPD, on a le droit de ne pas avoir le temps. Ce dont on n’a pas le droit, c’est de prendre 47000 personnes pour des imbéciles. C’est pourtant ce que fait M. Gabriel en déclarant: « Récolter 47000 signatures contre quelque chose qui n’existe pas encore, il faut quand même le faire ». Parler du TAFTA comme d’un mirage – ça aussi, il faut quand même le faire.

Pour « quelque chose qui n’existe pas encore », le TAFTA est déjà relativement bien avancé. On entretient cependant le secret. L’Union européenne et les États-Unis parlent depuis 2011 d’un possible traité de libre-échange. Un groupe de travail constitué par des experts du gouvernement américain et de la Commission européenne, le « High Level Working Group on Jobs and Growth », a tout d’abord évalué les possibilités d’approfondir la collaboration transatlantique. En juin 2013, le Conseil des Affaires étrangères a ensuite donné à la Commission européenne le mandat – tenu tout d’abord secret – de négocier un traité de libre-échange avec les États-Unis, le « Transatlantic Trade and Investment Partnership » (TTIP ou TAFTA). Pourtant, ni le Parlement allemand ou français ni le Parlement européen n’ont jamais formellement statué sur la question. C’est peut-être cela qui fait dire à Sigmar Gabriel que le TAFTA n’existe pas encore.

Quelques semaines seulement après ces propos de M. Gabriel, son partenaire de coalition en Allemagne, la CDU, publie une brochure sur ce « quelque chose qui n’existe pas encore ». Désormais, on prête des avantages bien réels au prétendu mirage du TAFTA. « Comment le TAFTA peut profiter à l’économie allemande », peut-on lire en titre. À côté trône un logo constitué d’un cercle orange dans lequel on peut voir la silhouette d’un pont qui fait penser au Golden Gate Bridge de San Francisco ainsi que le slogan « TAFTA – une passerelle vers l’avenir ». Les concepteurs de la brochure ont peut-être espéré que le lecteur, en empruntant le Golden Gate Bridge grâce au TAFTA, se verrait transporter vers un avenir orange et or.

Comme si elle était le haut inspecteur des exportations allemandes, la CDU se perd ici dans des détails techniques. La brochure explique notamment que: « Les airbags doivent être calibrés complètement différemment pour les marchés européen et américain parce que la réglementation européenne part de l’hypothèse d’un conducteur attaché alors que la réglementation américaine part de l’hypothèse d’un conducteur non attaché » ou encore que: « L’existence de clignotants arrière rouges (aux États-Unis) et jaunes (dans l’UE) augmente les coûts de fabrication, tout comme celle de rétroviseurs extérieurs non rabattables (aux États-Unis) et rabattables (dans l’UE) ou les règles différentes concernant l’utilisation de mannequins lors des crash tests ».

Le parti conservateur allemand voit également un fort potentiel d’économie dans la construction mécanique: en raison de règlementations différentes, des produits techniques tels que les robinets à gaz, les tuyaux à gaz, les faisceaux électriques ou les soupapes de sécurité de marque allemande ne pourraient être vendus aux États-Unis qu’avec des composants supplémentaires, malgré un niveau de protection comparable. « Cela augmente inutilement les coûts de production et donc le prix pour le consommateur final ». Tout comme l’Union européenne aurait dans le passé harmonisé ses normes, « de la prise téléphonique à la tension de secteur, de la sécurité de nos véhicules jusqu’à la qualité de nos produits alimentaires », le TAFTA pourrait à l’avenir faciliter l’échange de biens et de services avec les États-Unis. Des droits de douane plus faibles, moins de bureaucratie, les mêmes normes pour les voitures, les machines, les produits cosmétiques, les textiles, les produits alimentaires et bien plus encore – voilà comment on pourrait créer des débouchés et de l’emploi, disposer d’une gamme de produits plus vaste à des prix plus faibles, et finalement faire en sorte que tout le monde ait plus d’argent dans son porte-monnaie. « Le TAFTA nous offre à tous des avantages, que l’on soit consommateur ou employé, vendeur ou employeur, bénéficiaire ou prestataire de services ». C’est ce que l’on peut lire à côté de la silhouette du Golden Gate Bridge dans la douce lumière du soleil couchant, la « passerelle vers l’avenir ».

Les propos des représentants du gouvernement allemand et des autres défenseurs du TAFTA relèvent souvent d’un pathos pour le moins dérangeant. Car il y a un écart énorme entre ce qui est annoncé – réduction des droits de douane, harmonisation des normes techniques – et leur portée réelle. La chancelière allemande Angela Merkel, habituellement si peu portée sur la rhétorique, a prévenu d’un ton martial que son parti « imposerait le TAFTA en dépit de toutes les oppositions » et que l’Union européenne devait se vouer « corps et âme » à la négociation du traité. Le vice-chancelier et chef du SPD Sigmar Gabriel a quant à lui donné une dimension morale au débat: « Si nous nous trompons aujourd’hui, nos enfants nous maudiront ». Si le TAFTA et le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA), qui n’était à l’époque pas encore complètement négocié, n’aboutissaient pas, « plusieurs centaines de milliers de personnes » pourraient perdre leur emploi outre-Rhin, et le pays exportateur qu’est l’Allemagne serait « proche de la catastrophe ». Le PDG de Daimler, Dieter Zetsche, s’est inquiété que l’Allemagne et l’Union européenne passent à côté d’une « chance historique », alors que le porte-parole sur les questions économiques du groupe parlementaire de la CDU au Bundestag – le parlement allemand –, Joachim Pfeiffer, a parlé d’une « chance du siècle ». Nos enfants nous en voudront-ils vraiment si nous n’harmonisons pas les couleurs des clignotants arrière? Le TAFTA est-il vraiment la « chance du siècle »? Qui dit mieux? Parlera-t-on bientôt de « péché » quand les gens souhaiteront malgré tout poser des questions?

Mme Merkel, M. Gabriel et compagnie entretiennent des peurs diffuses en affirmant que, sans traité, l’Allemagne et l’Europe risquent de se laisser « devancer par les pays asiatiques » et même de « s’isoler des marchés mondiaux ». Au-delà de la croissance et de la création d’emplois, des « raisons géostratégiques » justifieraient le TAFTA aux yeux de l’ambassadeur des États-Unis auprès de l’Union européenne, Anthony Gardner: compte tenu de la situation au Moyen-Orient et de la politique russe en Ukraine, le TAFTA pourrait renforcer l’alliance transatlantique au niveau économique au même titre que l’OTAN la renforcerait au niveau militaire. « Nous devons définir les règles du commerce international avant que d’autres ne le fassent », a-t-il déclaré; « pour de multiples raisons, le TAFTA est non seulement important, mais indispensable ». Dans ces propos, on retrouve l’idée d’absence d’alternative si chère à Angela Merkel: le TAFTA s’impose, nous n’avons pas le choix. Et si nous prenions tout de même la mauvaise décision, nous le paierions cher.

Berlin, juillet 2014: George Miller de San Francisco est assis sur l’estrade d’une salle de conférence de la Fondation Friedrich Ebert et participe à une table ronde sur les traités de libre-échange et en particulier le TAFTA. Il ne s’agit pas de n’importe quel politicien américain. Fort de 40 ans d’expérience au Congrès, il est l’un de ses doyens. Aux États-Unis, il a la réputation de monter volontiers au créneau. Ce démocrate californien n’est pas opposé au libre-échange. Il ne lui viendrait jamais à l’idée d’argumenter contre un traité comme le TAFTA s’il s’agissait seulement d’éviter les doubles contrôles, d’harmoniser les normes techniques et de supprimer des droits de douane d’un autre âge.

Fin 2013, George Miller a pourtant été à l’initiative d’une lettre adressée à son président et camarade de parti Barack Obama, que plus d’un tiers des 435 membres du Congrès ont signée. Cette lettre s’opposait à l’adoption de la loi sur le « fast track », une sorte de procédure express qui s’est depuis imposée et qui a considérablement renforcé les compétences du gouvernement américain en matière de négociation des traités de libre-échange, en restreignant par là même les compétences du Congrès. Désormais, les députés ne peuvent plus amender certaines dispositions d’un projet de traité et doivent se contenter de voter « oui » ou « non » sur le traité dans son ensemble, que ce soit pour le TAFTA ou pour tout autre traité de libre-échange. Concrètement, ils n’ont plus la possibilité d’approuver l’idée des clignotants arrière de même couleur tout en votant contre l’assouplissement de la réglementation bancaire au niveau transatlantique.

À la fin de sa longue carrière politique, en ce jour de l’été 2014, George Miller est revenu à Berlin pour conforter ses auditeurs allemands dans leur résistance contre le TAFTA. Des centaines de milliers voire des millions de nouveaux emplois créés grâce au traité transatlantique? « Un conte de fées », répond-il. Plus de croissance et de prospérité pour tous grâce à l’intégration des espaces économiques américain et européen dans la plus vaste zone de libre-échange du monde? « Il faut servir les intérêts des citoyens, pas ceux des multinationales », rétorque l’homme de San Francisco. « Le TAFTA fonctionne comme une loterie: peu de gagnants, beaucoup de perdants ». George Miller et les autres signataires de la lettre au président Obama ressentent surtout une « profonde inquiétude » quant à la portée des traités de libre-échange actuels – un élément que le camp des défenseurs du TAFTA passe complètement sous silence. Car ces traités ne se contentent pas d’harmoniser les normes techniques applicables aux voitures et aux machines ni de réduire ou de supprimer les droits de douane sur les importations. Des traités comme le TAFTA touchent à presque tous les domaines politiques, de la protection de l’environnement à l’agriculture en passant par le droit du travail et la santé. Ils s’intéressent à la protection des brevets et des données, aux normes applicables aux produits alimentaires et aux produits chimiques ou encore à la production d’énergie comme dans le cas de la fracturation hydraulique (fracking). Ils peuvent aussi assouplir la réglementation bancaire et renforcer la protection des investisseurs étrangers. Mais ce qui est le plus inquiétant, c’est que le TAFTA affecte aussi les législations nationales et européenne, qu’il empiète sur les droits des parlements nationaux et européen et qu’il risque par conséquent d’affaiblir la justice nationale et européenne en créant une justice parallèle.

Lors d’une conférence donnée en mars 2015, le Français Pascal Lamy, Commissaire européen au Commerce jusqu’en 2004 puis Directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) jusqu’en 2013, qui connait donc le sujet sur le bout des doigts, a parlé d’un « ancien » et d’un « nouveau monde » en matière de commerce international. Dans l’« ancien » monde, il s’agissait avant tout de « comptabiliser » les droits de sauvegarde applicables à différents produits et de les réduire en faveur des deux parties, l’idéal étant d’obtenir une somme nulle. Or, dans le « nouveau » monde commercial qu’incarnent le TAFTA et le CETA, il ne serait plus question de problèmes douaniers idéologiquement neutres mais de normes applicables à des domaines sensibles tels que la protection des consommateurs, la protection des animaux, la protection des données ou le respect de l’environnement, qui reflètent des particularités régionales marquées par la culture, l’histoire ou la religion. Selon M. Lamy, ce serait là un « jeu politique complètement différent »: les exigences de sécurité applicables par exemple aux jouets ou aux briquets ne pourraient pas être comparées à celles applicables aux OGM ou au bien-être animal.

Cette analyse pertinente de Pascal Lamy montre que les sociétés concernées ont droit à un débat approfondi, honnête et parfaitement transparent sur ce « nouveau » monde du commerce afin d’assurer la nécessaire légitimité démocratique des décisions en la matière. Mais les partisans du TAFTA font fi des objections et érigent le traité comme un instrument « géostratégique », comme un « OTAN économique », comme si nous étions encore à l’époque de la guerre froide. Ils dissimulent sa portée réelle dans le nouveau monde du commerce décrit par M. Lamy.

Tous les citoyens doivent s’inquiéter et s’indigner de cette situation puisque c’est eux qui auraient à supporter les conséquences du TAFTA. Mais des parlementaires tels que George Miller, d’ordinaire très placide, s’en indignent encore plus. Le public venu assister à la table-ronde de Berlin sent bien son énervement quand il déclare que: « Compte tenu de l’immense importance des accords commerciaux actuels, la manière dont nous sommes traités en tant que membres du Congrès est tout simplement indigne. On nous livre des documents incomplets et nous n’avons accès à aucun autre document. Dans de telles circonstances, nous ne pouvons pas exercer notre mandat constitutionnel et pratiquer une politique responsable vis-à-vis de nos citoyens. C’est nous qui avons été élus, pas les personnes qui négocient aujourd’hui de tels traités en notre nom. C’est une injure à un parlement élu et à la démocratie ».

Ce que George Miller explique sur le mépris du Congrès américain s’applique tout autant à l’Europe et à ses Etats membres: ni le Parlement européen ni le Bundestag n’ont été invités à statuer formellement sur les mandats – tenus longtemps secrets – que les gouvernements européens ont donnés à la Commission pour négocier le TAFTA avec les États-Unis et le CETA avec le Canada. Et tout comme M. Miller se sent méprisé en tant que parlementaire, les députés européens et des Etats membres voient leurs droits bafoués par la politique de confidentialité insupportable qui est actuellement pratiquée dans les négociations du TAFTA. Au lieu de fournir des informations dignes de ce nom aux députés et aux citoyens, les défenseurs du TAFTA attisent les peurs et arguent que les critiques ne seront recevables que lorsque le traité sera déjà négocié. Pourtant, le fait est que lorsque les négociations seront terminées, le droit de participation des parlements se limitera à un simple « oui » ou « non ». Pire encore: contrairement à ce que suggère le ministre de l’Économie allemand Sigmar Gabriel, il n’est même pas encore sûr que les parlements nationaux doivent ratifier le traité à l’issue des négociations.

Les déclarations de plus en plus virulentes des défenseurs de l’accord donnent parfois l’impression que seule une poignée d’écolos bornés, d’utopistes de l’État social ou d’éternels altermondialistes et leurs organisations non-gouvernementales s’opposeraient au TAFTA, animés par un mélange d’antiaméricanisme et de théories du complot. Il n’en est rien. Car des millions de personnes – des Américains et des Européens, des personnalités et des inconnus, des parlementaires américains et des maires de grandes villes allemandes, des syndicalistes de Philadelphie et des associations de défense des consommateurs de Marseille, des entrepreneurs espagnols et des scientifiques autrichiens – considèrent aujourd’hui le TAFTA comme dangereux.

Le multimilliardaire et ancien maire de New York Michael Bloomberg est un fervent défenseur du libre marché, mais il est fortement opposé à ce que « l’industrie du tabac utilise les accords de libre-échange et d’investissement pour attaquer des lois nationales visant à réduire la consommation de tabac ». Cela reviendrait à brader la souveraineté nationale en causant potentiellement des millions de morts. M. Bloomberg est largement soutenu par Margaret Chan, directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS): « Le commerce international a des conséquences tant positives que négatives sur la santé. Une tendance est particulièrement inquiétante: les traités d’investissement servent à menotter les gouvernements et à réduire leur marge de manœuvre politique (…) Quand ces traités favorisent le commerce mais limitent l’accès à des médicaments abordables, nous devons nous demander: est-ce un réel progrès, surtout si on prend en compte l’envolée généralisée des frais des soins médicaux? »

Alain Caparros, dirigeant de Rewe, la deuxième plus grande chaîne de supermarchés allemande, ne s’indigne pas seulement du fait que le TAFTA soit négocié « à huis clos ». Dans une lettre adressée aux membres allemands du Parlement européen, il exprime sa « profonde inquiétude quant au possible revirement de la politique de protection des consommateurs en faveur des produits d’importation américains ». Il veut notamment parler du traitement hormonal des vaches et des porcs, qui est permis aux États-Unis, ainsi que des bains chlorés pour les poulets passés à l’abattoir et de la manipulation génétique des plantes destinées à la consommation. Alain Caparros a appelé les députés à être les « vigoureux gardiens » des normes sociales et alimentaires appliquées en Europe.

Dans le New York Times, le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz juge que les traités de libre-échange sont l’expression d’une « gestion calamiteuse de la mondialisation ». Il dit en substance que la théorie du libre-échange suppose qu’il y a toujours des gagnants et des perdants, mais aussi que les gagnants compensent les perdants de sorte qu’à la fin, tout le monde y trouve son compte. Selon lui, cette affirmation s’appuie sur des hypothèses erronées. Le risque serait que « seule la couche la plus aisée de l’élite mondiale et américaine en profite aux dépens de tous les autres ». Le risque d’une augmentation du chômage mériterait également considération. Les ministères du Commerce du monde entier seraient « prisonniers des intérêts commerciaux et financiers ». Il serait donc dangereux de les laisser négocier en secret, car il n’y aurait alors plus de mécanismes de contrôle démocratique pour réduire les effets négatifs des traités.

Christoph Scherrer, directeur du programme « Mondialisation et politique » à l’Université de Cassel ainsi que de l’International Center for Development and Decent Work (ICDD), a déclaré dans une interview accordée à la Deutsche Welle: « Il me semble que le TAFTA sert surtout les intérêts des grands groupes. Le catalogue des exigences reflète pour l’essentiel les revendications des grandes associations économiques. Je ne connais aucun traité qui ait renforcé les normes. Ils visent toujours davantage à les réduire pour que la concurrence internationale ait accès aux marchés ».

Les quatre directeurs de l’Association des villes allemandes (DST), de l’Association des arrondissements allemands (DLT), de l’Association des villes et des communes allemandes (DSGB) ainsi que de la Fédération des entreprises communales (VKU) soulignent dans une prise de position commune les « risques considérables » associés au TAFTA: « Le traité de libre-échange ne doit pas (…) porter atteinte aux services de base des communes ». Ils font valoir que les obligations d’accès au marché prévues dans le TAFTA pourraient « affaiblir l’autonomie de l’administration communale »; les services communaux tels que la distribution d’eau, les transports publics locaux, les services sociaux et les hôpitaux ne devraient pas être affectés par le traité.

Après le changement de gouvernement canadien intervenu à l’automne 2015, Hassan Yussuff, président du Congrès du travail du Canada (CTC), et Reiner Hoffmann, président de la Confédération allemande des syndicats (DGB), ont demandé dans une déclaration commune de ne pas ratifier le CETA dans sa forme actuelle et de reprendre les négociations entre le Canada et l’UE. Le traité actuel, qui servirait également de modèle au TAFTA, ne satisferait pas aux exigences d’un accord commercial équitable. Les syndicalistes regrettent notamment que le CETA ne prévoit pas de règles efficaces et exécutoires pour protéger et renforcer les droits des salariés, ni de règles soumettant la passation des marchés publics au-delà des frontières nationales au respect des conventions collectives.

Dans le magazine Focus, le cardinal Reinhard Marx, président de la Conférence épiscopale allemande, invite à ce que le traité ne serve pas uniquement les intérêts économiques: « Alors que les avantages dans le domaine technique sont évidents, la situation s’avère problématique concernant les normes existantes relatives par exemple à la politique sociale ou à la protection de l’environnement. D’un point de vue éthique, le TAFTA ne peut être approuvé que s’il ouvre aussi des perspectives aux pauvres et aux faibles ». Dans la perspective de la doctrine sociale catholique, le cardinal se demande donc: « Le traité prévu répond-t-il à l’ambition de servir l’intérêt général voire l’intérêt général mondial? »

Le commissaire européen Günther Oettinger (CDU) se contente de railler ces objections, pourtant fondées et exprimées de manière neutre: « L’agitation des évêques, des organisations non-gouvernementales et des vieux groupes antiaméricains est funeste », a-t-il déclaré. Il se moque ainsi des millions de personnes qui sont descendues dans la rue dans toute l’Europe, mais aussi de plus de trois millions d’Européens qui ont signé une pétition contre les traités en préparation. Lors d’un débat au Bundestag, le porte-parole du groupe parlementaire de la CDU/CSU chargé de la politique économique, Joachim Pfeiffer, opte également – manifestement par manque d’arguments – pour l’attaque verbale. Il accuse les critiques du TAFTA de mener une « campagne de la peur » et affirme que foodwatch et les autres organisations de cette « industrie de l’indignation » n’ont aucune légitimité démocratique pour s’exprimer sur le sujet. L’hebdomadaire Die Zeit offre une tribune à l’auteur américain Eric T. Hansen pour affirmer que, sans traité, l’Europe, dont la mentalité économique serait restée bloquée au XIXe siècle, se condamnerait tout simplement à disparaître. Le directeur de publication du même journal, Josef Joffe, peste quant à lui contre les « TAFTA phobiques » du secteur culturel qui pensent que le TAFTA menace le prix unique du livre et le paysage culturel allemand: ces « pans du cartel de la culture, aussi gloutons que mollassons, » auraient besoin du « TAFTA comme fouet », écrit-il en leur souhaitant « la sélection impitoyable sur le marché mondial » et en évoquant avec mépris les « modestes talents de ces troupes de variétés sous perfusion de l’État ». Ce qu’il écrit est révélateur: « Les véritables ennemis du libre-échange sont les décrets et les lois qui protègent le commerce des denrées alimentaires et du livre contre la concurrence mondiale au nom de la santé, de l’environnement ou de coutumes nationales sacrées ».

De tels emportements sont peu convaincants et suggèrent que, face au malaise grandissant au sein de la population, les partisans du TAFTA sont tout simplement à court d’arguments. Car la résistance augmente: après la grande manifestation organisée en octobre 2015 à Berlin, le soutien en faveur du TAFTA est tombé au plus bas. Selon un sondage représentatif réalisé à cette période par l’institut Emnid pour foodwatch et Campact, 46 % des personnes interrogées étaient d’avis que le TAFTA était une « mauvaise chose » et seulement 34 % d’entre elles pensaient qu’il était une « bonne chose » – c’était le pourcentage le plus bas relevé jusqu’alors dans les six sondages identiques réalisés depuis début 2014 auprès de la population allemande. Le soutien de l’opinion au TAFTA faiblit encore au printemps 2016 après une grande manifestation organisée à Hanovre et suite à la publication par Greenpeace de documents confidentiels relatifs aux négociations. Depuis, seuls 17 % des Allemands estiment que le TAFTA présenterait « plutôt des avantages ».

La grande opacité des négociations et la culture du secret, qui rappelle davantage les traités sur le désarmement, ont rendu les gens méfiants – alors que le TAFTA ne présenterait soi-disant que des avantages pour tout le monde. Les gens s’indignent de voir que les négociateurs du traité entretiennent des contacts unilatéraux avec les lobbyistes de l’économie en ne donnant que des bribes d’informations à la société civile, voire en la trompant délibérément. Il est totalement malhonnête de parler de la croissance économique et de la création d’emploi que le TAFTA est censé permettre sans jamais évoquer les risques qui lui sont associés. Il convient aussi de rejeter l’idée selon laquelle les normes existantes en matière sociale, environnementale et de protection des consommateurs correspondraient déjà à un « gold standard » inégalable. Qu’adviendra-t-il de ces soi-disant « gold standards » une fois que le TAFTA les soumettra à une concurrence encore plus forte? Les citoyens américains et européens refusent que ce traité commercial instaure une justice parallèle et protège ainsi davantage, par exemple, les investisseurs français aux États-Unis ou les investisseurs américains au Danemark que les entreprises nationales. Ils pressentent que le traité encouragera un échange certes libre mais pas équitable et qu’il creusera encore l’écart entre les pauvres et les riches. Il est également à craindre que les parlementaires des pays concernés – si tant est qu’on leur demande leur avis – se voient obligés d’approuver la signature d’un contrat dont ils ne connaissent pas encore le prix réel puisqu’il ne se révélera que progressivement au fil des années.

Plus les citoyens européens, en Allemagne et ailleurs, en apprennent sur le TAFTA et le CETA, moins ils croient aux contes de fées de leurs gouvernements sur la croissance, la prospérité et la protection de leurs droits. Ils saisissent de plus en plus que ces accords de libre-échange n’ont qu’accessoirement à voir avec les normes sur les faisceaux électriques. Car il s’agit avant tout d’inscrire dans le droit les intérêts des multinationales, ce qui risque de saper progressivement les acquis sociaux et de suspendre les normes relatives au droit du travail, à la protection de l’environnement et à la protection des consommateurs. Il limite le droit de l’Union européenne et de ses États membres d’introduire des lois servant davantage l’intérêt général que les intérêts des multinationales. À l’avenir, l’évolution nécessaire et démocratiquement légitimée des droits applicables aux États-Unis ou au Canada et en Europe dépendrait de l’accord du partenaire commercial. Dans leur forme actuelle, le TAFTA et le CETA représentent par conséquent une menace pour notre démocratie.

Il faut bien l’admettre, les opposants à un traité de libre-échange propagent aussi quelques craintes exagérées et raccourcis inadmissibles. Mais cela n’autorise pas les défenseurs du TAFTA à ignorer les objections, les questions et les critiques, à minimiser leur importance et à attiser la peur d’un avenir sans TAFTA. L’article de blog de Jens Spahn, membre du Bundestag et de la présidence de la CDU, et récemment promu secrétaire d’État au ministère des Finances, fait ici figure d’exemple en se focalisant sur le symbole du poulet au chlore. La « soupe de poulet au chlore et à la peur », tel est le titre de ce « plaidoyer pour le TAFTA » dans lequel M. Spahn fait presque passer les critiques et les sceptiques pour des froussards, des râleurs et des anti-Américains: « Le poulet au chlore, le manque de transparence, des normes apparemment inférieures aux États-Unis – ce méli-mélo de peurs et de craintes influence les discussions sur les négociations du TAFTA. Cette nouvelle soupe des antis est assaisonnée d’une bonne pincée de scepticisme à l’égard de l’Amérique … ». Dans son argumentaire en faveur du TAFTA, Jens Spahn ne manque pas de reprendre à son compte la comparaison insensée avec l’OTAN (« Ensemble, nous restons forts »), comme si l’Europe et l’Amérique menaient une guerre économique contre des pays ennemis. Il émet également un jugement singulier pour un parlementaire: pour lui, il serait « absurde » de demander des négociations transparentes. Ce qui est absurde, c’est plutôt qu’un élu plie visiblement l’échine devant des fonctionnaires européens et des lobbyistes qui négocient un accord de droit international de grande ampleur sans que des députés comme lui n’aient de droit de regard.