Le murmure de l'Oiseleur - David Pottier - E-Book

Le murmure de l'Oiseleur E-Book

David Pottier

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Beschreibung

Antoine Rollin poursuit son enquête sur Robert Doisneau, l'ambitieux politicien qui s'est offert comme possédé à l'âme maudite d'un ancien officier S.S. Ce second tome raconte l'évolution de cette étrange affaire en parallèle du chemin initiatique qu'il a parcouru dans sa jeunesse, de sa vie de sorcier moderne et de son amour pour la belle Aurora. Un crime étrange, un calame sans âme et un mystérieux oiseleur... Voilà qui risque de donner du fil à retordre à Antoine et son ami Martial !

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Ähnliche


Sommaire

Le Grand Paradiste

Drantbugel

Maîtresse Legault

Martial

La pierre maudite

Les quatre chemins

Le fil brûlant de la lame

Le calame

Sacrum Fragmentorum

La coupe de sang

Lannguidek

Un retour inattendu

Primus inter pares

Geneviève

Le voyage

Hintersteiner See

Le sceptre d’autorité

Les sept deniers

Disciple

Jól

Rappel des personnages

Alvaro : chaman sud-américain au service de Robert Doisneau.

Antoine Rollin : personnage principal, sorcier de campagne.

Aurora : nouvelle compagne d’Antoine

Claude : fille aînée d’Antoine, dix-huit ans.

Drissaïel : premier démon ayant appartenu à Antoine, cadeau de Maître Duchêne.

Elianor, : seconde fille d’Antoine, seize ans.

Hekméfère : démon gardien au service d’Antoine.

Jacques Duchêne : premier maître sorcier ayant formé Antoine.

Juliette : ex compagne d’Antoine, mère de ses quatre enfants.

Martial : sorcier ami d’Antoine, son partenaire dans l’enquête contre Robert Doisneau

Robert Doisneau : homme politique sans scrupule, dorénavant possédé par l’âme du défunt SS Himmler.

Romain : seul fils d’Antoine, quatorze ans.

Simon-Jacques de Verneuille : premier Sénéchal, maître des Veilleurs au sein de l'Ordre et Maître de la branche secrète des Frères de la Vengeance.

Ysaline, : dernière fille d’Antoine, huit ans.

Le Grand Paradiste

Ceux d'Avva firent Nybbas etTharthak; ceux de Sepharvaïm brûlaient leurs enfants par le feu en l'honneur d'Adrammélec et d'Anammélec, dieux de Sepharvaïm.

(Second livre des rois – 17 : 31)

Juillet est passé trop vite, dans un tourbillon de rires, de visites et de jeux. Les vacances en famille sont l'un des rares moments où je ne suis plus sorcier, Chasseur ou guérisseur. Je ne suis plus qu'un papa, et ça fait du bien. Mais les meilleures choses ont toujours une fin et après trois semaines de repos bien mérité j'ai repris le chemin de ma petite cabane en bois. Je me suis efforcé de ne pas écouter les informations et de rester à l'écart de l'actualité, mais au hasard des émissions de radio j'ai remarqué que Doisneau, le parlementaire qui s'est autrefois offert comme support à l'âme déchue du S.S. Himmler, n'a pas diminué ses attaques. Petites phrases assassines dans les émissions de radio, articles dans les journaux de presse nationale et billets rageurs sur le blog qu'il s'est récemment offert : rien n'est négligé. La haine suinte toujours de ses discours tandis qu'il se drape de plus en plus souvent des attributs de l'homme d'État parfait : écharpe tricolore, médaille de la Légion d'honneur et visage grave au regard sévère.

Les rendez-vous du mois d’août sont toujours un peu particuliers : les gens viennent avec moins de stress, posent des questions sur des sujets plus légers : « est-ce que je vais revoir ce beau jeune homme que j'ai rencontré à Nice ? Je ne connais pas son prénom, mais il était blond avec de très beaux yeux...

— Euh... Vous avez une photo ? Quelque chose qui puisse me permettre de le capter ?

— Ah ben non ! Vous savez on a juste dansé et puis j'avais un peu bu... »

Ce genre de question est monnaie courante, mais cela me donne des migraines, car je dois pousser mes dons de voyance au maximum pour obtenir une réponse !

Malgré ces petits désagréments, la journée s'est bien passée et je retrouve avec bonheur mes quatre enfants pour le dîner. Claude a mis la table sur la terrasse, et Ysaline finit d'apporter les salades composées qui vont constituer le repas. Je félicite ma fille « Ça a l'air délicieux ! »

Le dîner se déroule dans une bonne ambiance et quand les enfants partent jouer, je m'installe tranquillement dans l'herbe pour savourer un café fort.Malgré la douceur de la soirée et la journée paisible, je ressens un profond sentiment de malaise. Romain, mon fils, s'assoit brusquement à côté de moi. « Ça ne va pas ? Tu as l'air triste ?

— Non, mon garçon. Je me sens juste... Bizarre ! Étrange !

— Tu veux dire... encore plus étrange que d'habitude ?», répond mon fils en souriant. Je lui frotte les cheveux en riant. «C'est malin ! Non, je me sens oppressé comme si... comme si on m'observait!»

Le regard de mon fils est devenu sérieux. Il passe la main sur mon front, comme sur un enfant malade. « Tu n'as pas l'air malade, pourtant. Tu veux appeler le médecin ?

— Non... Ne t'en fais pas fiston. Je crois que ce sont toutes ces fichues histoires avec Doisneau, l'Ordre et tout... Tu sais je crois que ça commence à m'obséder ! Depuis que mon ami Martial est parti en maison de repos, je me sens plus vulnérable.

— Ça fait quinze jours maintenant, c'est ça ? Pendant qu'on était en vacances.

— Oui, je l'ai eu au téléphone hier et il va mieux. Il a réduit considérablement les médicaments, et le médecin addictologue est confiant. Si tout va bien il pourra sortir mi-septembre...

— Et envers l'alcool ?

— C'est plus compliqué Il est très difficile de ‘décrocher' de l'alcool quand tu es tombé dedans. ça devient un véritable poison et vingt ans après tu peux encore rechuter. C'est pire que la cocaïne d'une certaine façon !

— Ah oui, justement papa ! J'ai vu des vidéos sur internet qui en parlent. C'est bizarre pourtant, c'est juste du vin ou de la bière. Même le whisky, on peut s'en passer !

— Oui, mais on te propose rarement un rail de coke ou un joint de cannabis quand tu rends visite à des amis, alors que l'apéro ou un verre de vin...

— C'est vrai. Ce n'est pas très bon en fait !

— Ouais... C'est rien de le dire ! Un petit verre de vin c'est bon, mais au-delà c'est du poison. » Je jette un coup d’œil à ma montre. «Bon, gamin ! Au lit ! Vingt-et-une heure précises. Hop !»

Une fois les enfants couchés, je savoure seul une tasse de café fort. Le soleil est bas sur l'horizon, et un petit vent frais annonce l'automne qui approche lentement. Je regarde les premières étoiles piqueter le ciel : Mars la rouge (qui n'est pas une étoile, mais une planète) brille dans le Scorpion, tandis que le Cygne déploie ses ailes auprès de Pégase. Je rêvasse à ma vie, mes rendez-vous de demain, quand la sonnerie de mon portable me fait sursauter. Je regarde... [GARDE] s'affiche en clignotant.

Je décroche aussitôt. « Antoine Rollin, j'écoute !

— Salutations mon Frère. Bernard Marceau au fil !

— Bonsoir cher Frère. Que se passe-t-il ?

— Peux-tu passer ce soir à la maison de l'Ordre ? L'un d'entre nous aurait besoin de t'entretenir sur d'honorables sujets philosophiques. » Mon cœur se glace immédiatement. ‘D'honorables sujets philosophiques’... La phrase codée pour indiquer qu'un membre des Frères de la Vengeance a besoin de moi.Ainsi Bernard Marceau en fait partie, lui aussi. Depuis mon intronisation toute récente dans ce groupuscule, je n'avais plus eu de nouvelles d'eux.

Je déglutis, légèrement angoissé. « OK ! Je préviens ma petite voisine pour qu'elle vienne faire la baby-sitter et j'arrive. »

Vingt minutes plus tard, je me gare devant le palais des Archevêques, dans le centre de Tours. La ville est calme, et seuls quelques fumeurs discutent devant l'un des nombreux cafés du centre-ville.

J'empoigne le vieux heurtoir en forme de tête de lion et frappe trois coups lents, puis trois coups rapides et un coup plus fort à la porte de la petite maison. Marguerite, la Dame Hôtesse en charge de la maison m'ouvre aussitôt. Son chignon étroitement serré maintient fermement ses longs cheveux blancs et elle s'essuie rapidement les mains sur son tablier à fleurs. « Bonsoir Antoine ! Excusez-moi, je finissais d'éplucher des oignons pour la collation d'une heure. » Je lui fais la bise, et rentre aussitôt. La maison sent bon les oignons et l'ail. Dans une petite marmite en fonte mijote déjà une sorte de ratatouille parfumée, tandis que deux beaux poulets et un rôti de porc finissent de dorer sur une broche en grésillant doucement. Sœur Alexandra Villard et Frère Thomas Dhuynes jouent aux échecs sur un coin de table, ils me saluent rapidement : leur partie semble serrée... J'aperçois les cartes posées sur la table. Ils jouent en employant le jeu Tempête sur l’Échiquier... Forcément, tout devient beaucoup plus instable et complexe lors d'une partie. Je leur souris et aperçois alors le troisième occupant de la salle.

Confortablement assis dans un large fauteuil de cuir, Simon-Jacques de Verneuille m'observe en souriant, le menton posé sur ses doigts en cloche. Le chef des Chasseurs de démon a le regard pénétrant, son sourire n'atteint pas ses yeux, froids et calculateurs. Il me salue de la tête. « Bienvenue cher Frère Antoine. Un plaisir de te revoir...

— Bonsoir, maître de Verneuille. Plaisir partagé» Je me sens très hypocrite en répondant cela. Le voir ne me fait pas réellement plaisir, je me méfie plutôt de ce qu'il va me demander... Depuis l'interrogatoire de mon kidnappeur, je fais souvent des cauchemars dans lesquels je revois son visage aux yeux exorbités par la terreur, le front ruisselant de sueur et un épais filet de salive ruisselant de ses lèvres. J'ai beau savoir quel monstre c'était, je me sens coupable. J'inspire profondément... Pas question de laisser mon supérieur percevoir mon trouble. Il se lève et me fait signe de le suivre.

Nous pénétrons dans une petite chambre inoccupée. Il s'assoit sur un coin du lit, et je prends place en face de lui, sur l'oreiller. De la pièce d'à côté nous entendons les mantras chantonnés par le sorcier en transe de veille. Maître de Verneuille se racle la gorge. « Bon, Frère Antoine... Nous allons donc converser sur d'honorables sujets philosophiques.Vous savez ce que cela signifie ?

— Bien sûr, maître. Secret absolu sur ce qui sera abordé se méfier de toute personne ne faisant pas parti des Frères de la Vengeance, même l'un des membres de l'Ordre du Pélican.

— Exact ! J'ai confiance en nos Soeurs et nos Frères, toutefois nos méthodes radicales peuvent choquer beaucoup d'entre eux.

— Je les comprends. Moi-même...

— Vous êtes toujours tourmenté par l'interrogatoire auquel vous avez participé ?

— Oui, maître. Est-ce que cela veut dire que je suis faible ?» maître de Verneuille sourit doucement. «Non, mon Frère. Cela veut juste dire que vous êtes encore sain d'esprit. Ce que nous sommes amenés à commettre est perçu comme un crime par la société dans laquelle nous vivons. Pour beaucoup de gens, nous ne valons pas mieux que des bouchers nazis ou des bourreaux de dictature. Toutefois, c'est malheureusement indispensable. Nos ennemis...

— ...ne sont pas des gens avec lesquels nous pouvons gentiment discuter et argumenter.

— Exact ! Ceux que nous sommes amenés à interroger '’vigoureusement’, voire à neutraliser, sont irrécupérables. La plupart d'entre eux sont possédés par des démons, au-delà de toute capacité d'exorcisme, ou totalement corrompus.

— Et la corruption doit être purgée !»maître de Verneuille sourit de nouveau en hochant la tête. « Je vois que vous avez bien retenu nos enseignements.

— En effet, maître. Le mal doit être purgé par le fer...

— Par le feu...

— Et par le sang» répondis-je en murmurant. Il acquiesce. Puis il sort d'une poche intérieure une enveloppe kraft format A5 et me la tend. Je souris intérieurement...» On se croirait dans 'Mission Impossible'. Il ne manque plus que le morceau de jazz de Lalo Schifrin pour donner le ton... Je déchire le rabat. L'enveloppe contient un petit paquet, lui aussi enveloppé dans du papier kraft maintenu étroitement serré par trois fils métalliques dorés, formant un treillage autour du paquet. Les trois nœuds maintenant les fils sont scellés par de larges sceaux de cire rouge. Je regarde les motifs... Le premier est celui du crâne entouré de neuf tibias : le sceau des Frères de la Vengeance. Le second est celui du Pélican alchimique, l’emblème de notre Ordre. Et le dernier représente le même pélican, surmonté d'une couronne à sept pointes... Le sceau personnel de Madeleine Poliaski, Grand maître de l'Ordre. C'est du sérieux... Sans hésitation, je brise les trois sceaux et je libère le paquet. Va-t-il contenir un magnétophone s'autodétruisant après avoir délivré son message?

Hélas non. Il contient un morceau de labradorite de la taille de la paume de ma main (je suis un peu déçu, malgré tout...) Je l'examine de près. Il est gravé de fins glyphes et de pentagrammes aux lignes composées de symboles entrelacés, répétant inlassablement les mêmes formules de confinement et d'isolement psychique, croisées et mêlées à l'infini. Je regarde le maître des Veilleurs. « Je sais ce que c'est. Un confinement pour entité. Une prison d'âme. Et une particulièrement puissante ! Je n'avais jamais vu un réseau d'hexagrammes anti-psychiques aussi compliqué !

— C'est exact, cher Frère. Cette prison d'âme a été conçue par feu Jean-Philippe Garnier, le précédent Grand maître de notre Ordre. » À la mention de celui qui fut l'un de mes amis, je me souviens aussitôt de l'attentat d'Orléans dans lequel il trouva la mort et je faillis me retrouver en prison... Un très mauvais souvenir ! Maître de Verneuille reprend. «Lorsque maître Garnier est décédé, ses pierres-esprits et ses objets spéciaux ont été récupérés par notre Ordre, comme le veut notre Règle. Lors de l'inventaire réalisé, notre actuel Grand maître a décidé que cette belle labradorite vous serait confiée comme cadeau de réception dans les Frères de la Vengeance.

— Elle en fait donc partie ?

— Oui, bien entendu. Lorsque l'un ou l'une d'entre-nous atteint cette haute fonction, il est automatiquement intronisé dans notre fraternité et dans beaucoup d'autres... Elle a choisi de vous faire attribuer cette entité En fait elle voulait vous la remettre personnellement, mais en ce moment elle manque de temps et m'a demandé de m'en occuper.

— C'est un démon, je suppose ?

— Oh oui... Un seigneur démon en fait. Il est particulièrement puissant... Vous allez devoir l'apprivoiser et le contrôler. Il est déjà lié grâce à sa prison d’âme. Mais il est rebelle et extrêmement rusé.Ce sera pour vous autant une récompense qu'une épreuve. Il vous rendra puissant, une fois que vous en serez venu à bout !

— Et quel est son nom ?

— Il s'agit de Nybbas. Le Grand Paradiste...

— J'ai déjà entendu parler de lui... Ce n'est pas un haut dignitaire infernal ?

— C'est tout à fait cela. Il règne sur un domaine infernal basé sur le commerce et la possession d'informations. Il accorde de nombreux plaisirs interdits, et l'art de savoir s'enrichir sans état d'âme !

— Et je dois dominer ce machin-là ?

— Oui, très cher Frère. » maître de Verneuille se lève délicatement, en époussetant son veston. «Pourquoi ne feriez-vous pas connaissance dès maintenant ?

— C'est une blague ? Je ne me sens pas prêt du tout !»

L'Officier des Frères de la Vengeance me toise avec sévérité «Mon cher Frère, face à ce genre de créature, vous ne serez jamais prêt ! Vous aurez très prochainement besoin d’entités puissantes à vos côtés et nous n'avons pas le temps de tergiverser. J'ai choisi de vous faire confiance en vous accueillant dans notre fraternité Ai-je eu tort ?

— Non. Non, maître. très bien, je le ferai.

— À la bonne heure !» Il me salue et sort de la pièce en claquant doucement la porte.

Je suis seul avec la pierre-esprit. Avec ça. J'examine la labradorite aux riches reflets verts et bleus. Elle parait si innocente, si inoffensive…

Je prends une profonde inspiration.

Je ferme les yeux.

Je récite lentement le mantra de transe que je connais par cœur.

Mon cœur bat une fois.

J'entends le sifflement du vent dans mes oreilles. Le grondement de la mer. Une odeur d'ossements desséchés et de sable brûlant. J'ouvre les yeux.

Je suis seul au milieu d'un immense désert de sable noir et or. Face à moi, le désert s'arrête au bord d'une vaste mer aux vagues argentées. Des piles de petits rochers, disposés en pyramide, émergent de l'eau. Je choisis de marcher vers eux.

Après un temps indéfinissable, j'arrive au bord de l'eau. Elle est épaisse et visqueuse, avec une texture d'huile minérale. Je regarde l'une des pyramides. Elle est constituée de centaines de crânes humains dont on a retiré le sommet de la calotte crânienne. Chacun d'eux est devenu une sorte de réceptacle creux dont les orbites vides me contemplent. Le vent chantonne en passant de crâne évidé en crâne creux.

Il murmure des secrets oubliés... Des souvenirs de pactes innommables proférés en échange de richesses matérielles et de trésors cachés. Au fond de mon âme, je sens que chacun de ces crânes fut autrefois un humain, assez fou pour vendre son âme à ce seigneur démon en échange de richesses terrestres. Je sais où je suis... Je suis dans la pierre-esprit. Dans la prison contenant le démon Nybbas. Au moment où ce nom maudit effleure ma conscience, je ressens un changement.

Mon cœur bat une fois.

Je sens que le vent change de direction, il souffle maintenant du fond du désert et charrie une odeur de métal chauffé à blanc. Le vent forcit en s'enroulant autour des crânes évidés, grinçant dans les orbites vides et les fosses nasales.

Quelque chose arrive.

Quelqu'un arrive.

Je le sens dans mon dos...

Je me retourne rapidement et me trouve nez à nez avec le plus bel homme que j'ai jamais vu. Sa peau est de l'or le plus pur et ses cheveux sont d'argent. Chacune de ses longues mèches descend jusqu'à son bassin et se termine par une boucle d'émeraude ou de rubis. Il a le nez long et fin, de grands yeux en forme d'amande et une bouche charnue, gourmande. Il est presque nu, simplement vêtu d'un pagne de plumes de paon flamboyantes. Sa main aux longs doigts effleure ma joue avec amour. Chacun de ses doigts est décoré d'une bague exquise au chaton décoré de rubis ou de saphirs. Sa beauté et son éclat sont insoutenables.

Inhumains.

Démoniaques.

Isolant mon œil intérieur d'un rapide mantra de protection, je lui fais face. Son visage prend une expression peinée... Sa voix est profonde et veloutée, elle me rappelle le chocolat chaud et le velours doublé de soie précieuse des palais royaux. « Oh mon cher Antoine. Nous faisons à peine connaissance et tu me fermes la porte au nez ? » Je renforce mon esprit de nouveaux mantras. « Comment connais-tu mon prénom, démon ?

— Démon ? C'est si réducteur. Si... plébéien, comme expression. Tu me connais si mal. Et je connais ton prénom, car tu es ici chez moi. Ceci est mon domaine. Il est bien petit, mais il faut savoir se contenter de ce que l'on a... Je te le dis, mon cher Antoine, mon ami... Tu me connais vraiment mal.

— Je te connais suffisamment pour me méfier de toi.

— Quel mal pourrais-je te faire, moi qui suis prisonnier de cette pierre-esprit ?

— Il suffit, petit démon ! On m'a demandé de faire ta connaissance, car je suis ton nouveau maître. Jean-Philippe Garnier a réussi à te capturer, mais je suis maintenant ton dépositaire.

— Tu fais erreur, mon cher Antoine. Jean-Philippe Garnier ne m'a jamais capturé C'est l'un de ses anciens ennemis qui m'a conjuré grâce à d'anciennes formules en grec ancien. J'étais pourtant certain d'avoir tué de la plus horrible des façons chacun de ceux qui les avaient recopiées, mais il faut croire que l'un des exemplaires m'avait échappé.Quoi qu'il en soit, je suis prisonnier d'un objet interdit. Comment dites-vous dans votre petite secte, déjà ? Un objet diabolique, c'est cela ?

— Oui, c'est cela. Au sens juridique du terme. Un objet diabolique. Dangereux. Dont la simple possession peut entraîner les sanctions les plus extrêmes.

— Eh oui... Je suis un vil corrupteur, n'est-ce pas ?

— Je ne te trouve pas si dangereux, moi.

— Et tu as raison. Je ne suis pas dangereux. Je suis utile et plein de ressources. » Autour de moi le vent a changé de ton. Il vient de nouveau de l'océan et le grincement qu'il fait en passant de crâne en crâne est devenu sifflement. Il fait plus froid.

Je regarde derrière moi. Les vagues d'argent ont grossi et un épais nuage doré se forme dans le ciel en tourbillonnant. Il approche à grande vitesse.

Mon cœur bat une fois.

Le nuage est assez proche maintenant pour que je le voie en détail. Il est composé d'oiseaux de proie, vautours et rapaces, d'or pur chatoyant. Les oiseaux métalliques volent à une vitesse étourdissante, formant un vaste tourbillon dans le ciel. Le tourbillon se déforme progressivement jusqu'à former un entonnoir qui rejoint la mer d'argent. L'eau épaisse s'élève à la rencontre des myriades d'oiseaux dorés, formant une colonne d'or et d'argent. C'est magnifique.

Et terrifiant.

« Sais-tu ce que c'est, mon ami ? » Je sursaute. Le démon s'est approché en silence, et ses lèvres d'or fin sont à quelques millimètres de mon oreille. Son menton délicat repose sur mon épaule, comme un amant attentionné. Je m'écarte d'une bourrade agressive. Il s'éloigne en flottant dans les airs avec grâce et s'assoit élégamment sur une pyramide de crânes décalottés. Avec sa posture détendue, la jambe gauche croisée sur la droite, la main gauche posée sur le genou, on dirait un dandy en train de savourer son thé.Dans mon dos, j'entends la colonne d'or et d'argent qui rugit du bruit de millions d'ailes métalliques. Le seigneur démon me sourit avec tendresse. « Je te le redemande, mon ami. Sais-tu ce que c'est ?

— Non, démon. Et je ne suis pas ton ami.

— Tu devrais, pourtant. Car ce qui arrive, mon tendre amour de petit sorcier, c'est... ta mort ! »

La tornade scintillante m'engloutit dans un rugissement de métal torturé. Je puise immédiatement dans mes réserves pour dresser un mur de force autour de moi. Mon bouclier se compose de runes nordiques se suivant inlassablement, comme une chaîne formant un dôme. Les innombrables oiseaux se jettent par milliers sur le mur psychique, pour le briser et déchirer mon âme. Déjà, les premières fissures apparaissent et mes runes ne se suivent plus aussi efficacement. Impossible de me concentrer sur le mantra qui me fera sortir de la pierre-esprit. Le crissement est insoutenable.

Je me concentre sur Loup Double, mais je n'arrive pas à sentir sa présence psychique.

Puis je songe au plus puissant de mes alliés.

Isolant une part infime de mon esprit, je récite les premiers mots...

Toi qui règnes sur les morts

Et qui accordes la victoire

Toi qui accordes le don de la ruse

Et donnes la langue déliée au scalde

Toi qui chemines masqué parmi les hommes

Et qui tutoies les rois comme s'ils n'étaient qu'enfants...

L'un des oiseaux d'or, un large vautour au bec courbe, perfore mon mur psychique et heurte violemment mon corps spirituel. Le choc me fait tomber à genoux.

Mon dôme de protection commence à s'effondrer. Je reste difficilement concentré...

Deux rapaces étincelants passent mes défenses faiblissantes et arrachent un peu de mon essence psychique. Je hurle de souffrance.

Dans un ultime effort, je termine la formule conjuratoire.

Toi qui donnes l'épée pour triompher et avoir la gloire

Et qui fait venir l'ennemi dans le dos pour reprendre la gloire et donner la mort

Odin, Père des Pères et roi des rois, je t'appelle.

Viens à moi, seigneur des neuf mondes !

Mon cœur bat une fois.

Je sens un vent glacé m'entourer et je vois de minces flocons blancs scintiller autour de moi.

Il neige.

Un épais mur de glace iridescent m'isole des oiseaux métalliques déchaînés. Le démon au visage superbe hausse les épaules, beau perdant. « Tu as gagné pour cette fois, Antoine mon ami. Mais il faudra bien que tu reviennes si tu veux devenir mon maître... Alors... À bientôt ! »

À ma droite, une porte aux couleurs du Bifröst apparaît dans un bruit de soie qui se déchire. Les trois couleurs du pont arc-en-ciel s'entremêlent rapidement, le rouge se mêlant au vert et le bleu s'unissant au rouge, dans un vortex de couleurs. Je n'hésite pas et je passe au travers.

J'ouvre les yeux. Je suis à genoux dans la petite chambre, à l'intérieur de la maison de l'Ordre.

Du sang coule légèrement de mes deux narines.

Mon cœur bat une fois.

Cinq battements de cœur. Cette expérience n'a duré que quelques secondes et m'a paru durer mille ans.

Je suis épuisé. J'adresse une rapide prière de remerciement au dieu Odin. J'ai eu chaud...

Je m'effondre sur le lit, et je m'endors.

La labradorite maudite palpite doucement dans ma main, chaude comme un cœur fraîchement arraché, sèche comme des os oubliés sous le vent.

La pensée du jour :

«Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir.»

Montesquieu

Drantbugel

J'étais occupé de toutes ces choses, lorsque je m'aperçus que les farfadets agissaient encore contre moi en me faisant sentir l'influence d'une planète qui soufflait un vent affreux, qui faisait tomber une pluie si considérable, qu'il était à craindre que les récoltes en fussent perdues , et que les malheureux habitants des campagnes , qui arrosent leurs travaux de leurs sueurs, ne fussent entièrement ruinés.

(Les Farfadets, ou tous les démons ne sont pas de l'autre monde)

Au petit matin, après m'être lavé et avoir effacé toutes traces de sang sur moi, je rentre à temps pour accueillir le réveil de mes enfants. Il fait frais pour un matin d'août, mais je savoure cette fraîcheur après les journées caniculaires précédentes. Aujourd'hui j'ai limité mes rendez-vous à deux le matin, ce soir les enfants partent chez leur mère et il faut que tout soit prêt.

Je déguste mon thé en échangeant quelques SMS avec Aurora, je réponds à des patients anxieux, tout en regardant mes petits se lever. Une routine comme tant d'autres, mais cela donne un cadre à la vie. Je ne peux pas non plus passer mon temps à jouer les enquêteurs spéciaux en pleine forêt !

Après avoir mis un poulet à rôtir, je rejoins ma cabane. J'allume le petit morceau de bougie qui trône au sommet de la montagne de cire formant ma bouteille à esprits et je récite les formules de réveil. Les entités prisonnières s'agitent et murmurent à la frontière de mon esprit. Chuchotements de promesses, gémissements d'angoisse, rires cristallins… J'écarte cela calmement, j'ai l'habitude.

J'allume ensuite une bougie sur ma table, un peu d'encens. Madame Dupuis, ma première patiente, arrive. La soixantaine pétillante, un peu plus petite que moi, elle est comme toujours tirée à quatre épingles : robe stricte ornée d'une broche, collier de perles, escarpins vernis et boucles d'oreilles assorties à ses chaussures et son sac à main. Son ton est sec, incisif, mais je la connais bien. Lunettes à écailles sur le nez, brushing gris argenté impeccable, elle me sourit avant de commencer, d'un trait… « Bonjour monsieur Rollin! C'est encore pour mon fils…» Elle dépose sur la table la photographie du fils, trentenaire aux cheveux rasés, petites lunettes rondes et nez camus encadré par de grands yeux verts.

Je souris... « Bonjour, bonjour ! Que lui arrive-t-il cette fois ?

— Depuis son divorce, il passe plus de temps à courir les femmes que les contrats.Mais la société qu'on a créée, mon mari et moi, a besoin de sous !

— Le nerf de la guerre, madame Dupuis.

— Exactement ! Alors voilà il a une nouvelle copine ! » Une photo mal cadrée, montrant une jeune femme blonde au nez pointu, vient rejoindre celle du fils. Je grimace en riant légèrement. « Une de plus !»

Elle rougit, fronce le nez, remonte ses lunettes. Puis elle sourit d'un air égrillard « c'est ça… une de plus !

— Examinons ça !», lui dis-je en saisissant mon tarot.

Le tirage laisse peu de place à l'interprétation : des épées et l'arcane majeure de la Lune. « Bon, ce n'est pas encore celle-là, la bonne. Je doute qu'elle fasse encore partie du paysage dimanche prochain.

— Oh, mais ça n'en finira jamais. Il ne peut pas se caser, une bonne fois pour toutes ?»

Nouveau tirage… Qui confirme ce que je lui ai déjà dit plusieurs fois : il n'y aura pas d'histoire sérieuse avant la mi-octobre. Ma consultante s'en va finalement, un peu déçue de devoir patienter encore un peu. Je sais qu'elle n'attendra sûrement pas le mois d'octobre pour revenir me voir.

Derrière la porte vitrée m'attend sagement Tia, ma seconde patiente, couvée du regard par mon terre-neuve ruisselant de bave sur ses sandales. Petite et brune, les cheveux longs et de beaux yeux bleus, elle rougit légèrement (j'ignore si c'est de gène envers l'amour baveux de mon chien ou parce qu'elle a un petit béguin pour moi) Quadragénaire joliment potelée, elle cache sous des vêtements trop larges ses rondeurs.

Et c'est bien dommage !

Je l'accueille d'un sourire. « Bonjour Tia !

— Bonjour monsieur Rollin.

— On y va?

— Oui.»

Elle a toujours autant de mal à se détendre. Timidité et manque de confiance en elle… Difficile de rayonner quand on a subi un mari méprisant et une belle-famille toxique !

Elle a cependant eu le bon réflexe : claquer la porte.Malgré les difficultés financières qui ont suivi, elle a su partir en emmenant ses enfants. Depuis, elle réapprend à vivre autrement que dans l'angoisse. Savoir quitter son monstre est un signe de courage et d'intelligence, mais c'est parfois compliqué à faire admettre.

Je l'installe dans le fauteuil et la fais respirer doucement. Mes mains posées sur sa tête, je projette une fraction de mon esprit dans le sien.

Angoisse…

Peur de ne jamais être aimée…

Peur que ses enfants ne l'aiment plus…

Sentiment d'être exploitée au travail...

Peur de vieillir seule…

Peur…peur…peur…

Je me racle la gorge et lui parle d'une voix volontairement plus grave et apaisante.« Eh bien, dame Tia… Ce n'est pas la grande forme ! Je ressens beaucoup de peur.

— Oui. ça ne va pas fort.

— Vous avez eu des soucis ?

— À mon travail, oui. Je fais des ménages mais la société n'arrête pas de changer les heures ! Des fois c'est le matin pour l'après-midi.

— Et… ils ont le droit?

— Pas vraiment, mais ils me disent qu'il faut que je sois souple, que c'est pour le bien des bénéficiaires !

— Il n'y aurait pas un peu d'abus ?

— Bah, ils savent bien qu'il faut que je travaille. Pas le choix ! Alors ils en profitent. C'est ça ou la porte.»

Ses larmes coulent doucement.

Peur du ridicule…

Peur d'être prise pour une idiote…

Peur de perdre son emploi…

J'appuie légèrement plus fort sur le sommet de son crâne pour renforcer le contact.

Inspiration… Je visualise l'énergie ambiante, blanche et vaporeuse.

Je bloque l'air dans mes poumons, et l'énergie dans mon corps.

Expiration…je propulse l'énergie en elle à travers mes bras en répétant dans son esprit « Tu es calme et tu es belle. Tu auras un homme pour toi, bon et respectueux. Tu es forte et intelligente. Tu oses dessiner sans craindre d'être jugée…»

Elle s'apaise et somnole doucement.

Je profite de ce moment pour stimuler légèrement son esprit… Plus d'orgueil, plus de confiance en soi… Chercher un homme bienveillant...

Lorsque le rendez-vous est terminé, je souffle profondément.

Je mouche la bougie qui se consume sur la bouteille à esprits. Je mouche ensuite la chandelle du bureau. Courte journée de travail, mais c'est pour la bonne cause.

Le déjeuner et l'après-midi passent vite, trop vite.

À dix-huit heures, Juliette arrive avec son nouveau compagnon. Grand, blond, les cheveux mi-longs, les yeux bleus, ce cadre de la SNCF ne manque pas de charme. Il est toujours un peu distant envers les enfants, mais je le sens bienveillant avec Juliette, et c'est le principal. Elle m'adresse un sourire aimable, auquel je réponds de bon cœur. Je les accueille avec quelques rafraîchissements. Ils évoquent leurs vacances à venir, avec les enfants, les travaux prévus chez eux. Une vie simple et bonne. Juliette porte au creux du cou la marque d'un beau suçon, cela me fait sourire intérieurement. Qu'elle s'amuse, elle a bien raison.

J'embrasse finalement mes enfants, je ne les reverrai plus avant la rentrée. Ce sera long, mais c'est ainsi. Leur départ me laisse un vide abyssal dans le cœur, comme à chaque fois. Je me console en grattouillant mon chien, aux côtés de Bach et son concerto brandebourgeois.

Le téléphone sonne. Je sursaute ! Il est vingt-deux heures, je me suis endormi. Je tâtonne mollement jusqu'à trouver mon téléphone. Un seul mot s'affiche sur l'écran...

[GARDE]

Je décroche… «Allô ? Rollin, à l'appareil !» La voix de sœur Jessica, récemment initiée et nommée à la Commanderie de Tours, résonne dans l'écouteur. «Bonsoir Maître !

— Bonsoir ma sœur. En quoi puis-je vous être utile ?

— L'un de nos membres, un magnétiseur de Château-Renault vient de recevoir un monsieur qui se plaint de présences dans sa maison. Notre Frère ne sait pas gérer ce genre de choses… Seriez-vous disponible pour y aller ?»

Je regarde rapidement mon agenda, ma fin d'après-midi du vendredi est libre. Je souris… Un peu d'animation ! « Bien entendu ma sœur. Mettez moi en relation avec notre frère castelrenaudin, et je vais voir cela.»

Après un court appel, je prends le temps de contacter l'homme victime de présences, afin de lui poser quelques questions, pour ne pas perdre mon temps avec un farfelu ! Sa voix est froide, méfiante. Je lui parle calmement afin de le rassurer : « Avez-vous eu des choses qui ont bougé toutes seules ?»

L’homme hésite, gêné…« Ben… euh... oui.

— C’est-à-dire dire ? Racontez-moi un peu…»

Nouvelle hésitation. « C’est que… Vous n'allez pas me prendre pour un dingo, hein ?»

Je souris devant mon téléphone : avec le métier que je fais, je ne m'étonne plus facilement. Je réponds d’une voix calme, pour l’apaiser : « Rassurez-vous, monsieur. Je vous écoute !

— Ben voilà La maison est grande et j'ai toujours eu des choses qui se perdaient, ce genre de trucs. Mais depuis quelques mois j'ai des petites choses qui disparaissent, et que je retrouve des fois dehors ou dans des pièces où je ne suis pas allé

— Je comprends, c'est perturbant. Et vous avez entendu des sons ? Des voix ?

— Pas vraiment non.

— Avez-vous des animaux ? Un chat peut transporter de petites choses, ou un furet domestique, par exemple…

— J'ai des chats, mais pourquoi un chat s'amuserait à me déplacer la photo de ma femme ?»

Et ainsi de suite… Après quelques minutes de conversation, j’en conclus qu’il y a peut-être une présence indésirable chez cet homme.

Le reste de la semaine s'écoule calmement, alternant entre rendez-vous et repas solitaires (à l'exception du mercredi soir où Aurora m'honore de sa présence et de sa tendresse). Bien qu'habitué au rythme des allées et venues des enfants, leur absence laisse toujours un grand vide.

Le vendredi, après avoir assuré mes rendez-vous au cabinet et bougonné après un démarcheur téléphonique obstiné, je me prépare enfin pour mon déplacement à Château-Renault. Je sélectionne plusieurs cristaux légèrement enchantés, afin de servir de réceptacle si je capture des entités. Mon anneau contenant Hekméfère, mon démon gardien, et mon lourd marteau de Thor en pendentif. Je sens ses enchantements vibrer lentement dans sa structure. Pour le moment il est inactif, mais si besoin il m'apportera une aide appréciable.

Et me voilà dans la fin de journée grisâtre en train de rouler vers Château-Renault. Il tombe une pluie fine et la musique insipide qui passe à la radio peine à me maintenir éveillé.

J'arrive finalement devant une longue ferme proche de la petite commune de Crotelles. Un long bâtiment de tuffeau blanc couvert d'ardoises moussues, entouré d'un large hangar de tôles grinçantes et rouillées, d'un côté, et de l'autre un vaste potager dont les rangs de haricots, pommes de terre et tomates s'alignent avec une précision militaire. La cour gravillonnée scintille sous la pluie fine. Au centre, un ovale net renferme quelques rosiers et un catalpa. Pas un brin d'herbe !

« Un homme très organisé mon maître !», murmure Hekméfère dans mon esprit. J'acquiesce silencieusement. Ce n'est pas la maison d'un farfelu, du moins en apparence.

Je descends de voiture tandis qu'un homme d'âge mûr apparaît sur le perron. Vêtu d'un jean et d'une chemise blanche, il se tient raide, comme indécis. Grand, les épaules larges, des cheveux bruns coupés en brosse, grisonnants sur les tempes, une fine moustache recourbée et une barbichette grise. Un héritier du sire d'Artagnan, peut-être ?

J'empoigne ma lourde sacoche de cuir et j'avance la main tendue pour le saluer. Sa poignée de main, d'abord hésitante, devient ferme lorsque je serre légèrement la main. De légers picotements dans ma paume me signalent qu'Hekméfère fait son travail. J'entends aussi sa voix aigrelette « Traces de magnétisme, mon maître. Il a eu un soin. Pas de protection. Pas de don particulier. Esprit rigide, mais en plein doute !»

Un cartésien qui remet ses certitudes en question, donc.

Nous échangeons quelques banalités, tandis qu'il m'invite à entrer dans une vaste cuisine rustique, en chêne sombre. La petite fenêtre rend la pièce un peu étouffante, toutefois de petites ampoules réparties au plafond atténuent l'effet en diffusant une chaude lumière jaune.

Mes premières impressions sont neutres… Pas de traces de magie ou d'entité. Le propriétaire, Jean-Baptiste, me fait visiter sa ferme transformée en jolie longère. Tout est propre, ordonné… et dépourvu de présences douteuses ! Je commence à me dire que je perds mon temps lorsqu'il m'emmène vers son hangar, à l'extérieur.

D'un geste large du bras, il me désigne sa propriété. « Vous savez, monsieur Rollin, tout ça, c'est nouveau pour moi. C'est un ami qui m'a fait rencontrer votre collègue, monsieur Martin.

— Vous n'aviez jamais rencontré de magnétiseur auparavant ?

— Non ! Pour moi tout ça c'est des sornettes.»

Il croise mon regard amusé, rougit avec gêne… «sans vouloir vous insulter, hein !

— Il n'y a pas de mal. J'ai entendu bien pire avec la chasse aux sorcières lancée par Doisneau ces derniers mois.

— Ah, lui. Un drôle de type. Un coup il hurle sur les marabouts et après on le voit faire des trucs louches en forêt.Après on dit que c'est peut-être un trucage !»

Je grommelle « On dit tellement de choses… En tout cas je ne l'aime pas.»

Nous pénétrons en silence dans le hangar. Un vieux tracteur finit de rouiller dans un coin, auprès d'un tas de foin sentant l'humidité.

Un établi maculé de taches, quelques placards dépareillés, et une vieille horloge comtoise sans vitre ni balancier.Mon regard est immédiatement attiré vers elle, tandis que Hekméfère chuchote « La vieille pendule, maître. Y a une présence dedans !»

Je me tourne vers Jean-Baptiste. «Cette horloge, d'où vient-elle ?

— De chez mon cousin. Il est décédé en juin et je l'ai récupérée en aidant à vider sa maison. Pourquoi ?

— Il y a une présence dedans.

— Sans blague ? Le fantôme de mon cousin ?»