Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Depuis la mort de sa mère survenue précocement, Sandrine mène une existence paisible avec son père qui met tout en œuvre pour combler ce vide. Cependant, une fois celui-ci remarié, le bonheur des premiers temps d’une famille recomposée vire très vite au cauchemar. Complètement perdue et sexuellement abusée par le fils de sa belle-mère, sa vie bascule dans les méandres de l’enfer où se mêlent mensonges, vengeance et violence. Elle s’invente alors un bel avenir, mais pourra-t-elle sortir de cet univers démoniaque et retrouver une vie normale et sereine ?
À PROPOS DE L'AUTEURE
Dès l’école primaire, Karine Bardou se découvre un penchant pour l’écriture et obtient son premier prix lors d’un concours de poèmes. Sa santé précaire ne lui permettant pas d’exercer pleinement ses activités professionnelles, elle se consacre alors entièrement à sa passion et tente, à travers ses romans, de dénoncer la position difficile de la femme dans la communauté. Dans Le paradis d’une prison, elle met en lumière la question de l’inceste, phénomène encore trop présent dans notre société.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 556
Veröffentlichungsjahr: 2023
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Karine Bardou
Le paradis d’une prison
Roman
© Lys Bleu Éditions – Karine Bardou
ISBN :979-10-377-7316-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mon père,
je n’ai pas compté autant pour lui qu’il a compté pour moi…
Je vous écris mon histoire de la prison où je vis depuis dix-sept ans… je suis bibliothécaire ; Bien sûr, je suis condamnée, mais une condamnée heureuse. Pour moi, la vie a commencé ici, loin des hommes et de leur terrible arrogance… Voici mon histoire :
Je m’appelle Sandrine Landuret, je vis à la prison de Rennes. Oui je dis vivre parce que c’est derrière ces barreaux que j’ai trouvé la plénitude essentielle à ma vie.
Moi tout ce que je voulais c’est qu’on m’aime ! Qu’on m’aime normalement, sincèrement avec pureté, ni trop peu ni pas assez…
La prison est la meilleure demeure que je pensais avoir eu, jusqu’à ma rencontre avec mon ange, ma moitié.
La malédiction m’aura poursuivie jusque dans les ténèbres de cette cage argentée. Je me croyais à l’abri, j’imaginais que plus rien ne pouvait m’arriver ici.
Mes démons n’auront pas voulu que je connaisse le calme et la monotonie de la vie. Et bien non, la vie ne passe pas paisiblement, calmement, sereinement !
J’ai eu si peur en rencontrant Marlène… Mais je vais commencer mon histoire par le début…
Avec des yeux d’enfant on ne voit que de belles choses…
« Papa ! Papa ! Il y a une dame dehors avec un petit garçon, elle dit qu’elle veut te voir ! », criais-je à mon père occupé au fond du jardin.
Nous avions un pavillon, qu’ils avaient acheté avec ma mère. Je fis entrer la femme et l’enfant dans le patio. Je traversais le couloir jusqu’à la salle-à-manger en L qui donnait aussi sur le salon et finissait sur le jardin derrière la maison. La cuisine était sur la droite à côté du garage. A gauche se trouvait la suite parentale avec salle de bain attenante. L’étage où se trouvait ma chambre en comptait deux de plus. A cela s’ajoutait une mezzanine. Papa avait transformé une des chambres en salle de jeu, l’autre ne servait à rien et entre il y avait une salle de bain. Il avait aussi installé une petite bibliothèque et deux fauteuils sur la mezzanine, mais nous n’y allions jamais. Ma chambre était située au-dessus du garage, elle était très spacieuse. Et même si j’avais une salle de jeu, toutes mes peluches jonchaient le sol de ma chambre.
Il courut jusqu’à moi, tout en sueur me demandant de les recevoir le temps qu’il se change, il n’avait pas vu l’heure passer. Mon père m’avait donné une bonne éducation et c’est avec grand plaisir que je les installais dans le salon et leur proposais à boire et même des gâteaux.
La dame était une belle métisse à la peau claire, grande et mince avec des yeux en amande marron clair. Elle s’appelait Marie-louise et affichait toujours un grand sourire, peut-être pour montrer ses belles dents blanches dont elle paraissait si fière… Quant à ce garçon qu’elle ne lâchait pas, c’était son fils David, lui était plutôt chabin, la peau très claire des cheveux châtains bouclés des yeux noisette, comme sa mère légèrement en amande. Il était déjà grand pour son âge mais réservé, un peu timide mais très gentil. C’était un beau garçon qui promettait d’être un bourreau des cœurs prochainement !
Quand Papa est revenu tout beau et sentant la cocotte à plein nez, il fut bien content de nous trouver tous les trois en bonne harmonie dans la salle à manger. Nous recevions si peu de monde depuis que Maman était partie… La famille passait au début pour soutenir mon père et puis les visites se sont espacées avec le temps. Mon père gérait, il ne semblait pas si affecté ou il ne le montrait pas… Mon éducation me promettait un bel avenir, j’étais heureuse avec mon Papa chéri.
Très vite David et moi nous nous sommes éclipsés. Je lui montrai ma chambre, puis ma salle de jeu remplie de jouets : il y avait de quoi faire !
Lorsque ce fut le moment de partir pour eux, il nous semblait que l’on venait à peine de commencer à jouer ! Sur le seuil de la porte, je lui fis promettre de revenir me voir. Il faut dire que je me sentais seule… Bien sûr, Papa était adorable, il jouait avec moi, et mes cousines venaient de temps en temps à la maison, mais je ne partageais rien de spécial avec quelqu’un, et puis dans la famille mes cousins et cousines étaient tous ou trop grands ou trop petits ! Il s’était passé quelque chose d’extraordinaire entre David et moi. Nous avions tout de suite senti que nous nous aimions beaucoup, peut-être qu’inconsciemment nous ressentions l’amour de nos parents respectifs.
Peu après, dans la soirée, alors que nous venions de dîner et que je m’activais à débarrasser, Papa m’a demandé ce que je pensais de David, puis de sa Maman. Du haut de mes dix ans je comprenais bien ce que cela voulait dire… Et bien que jusque-là je n’aie pu accepter aucune femme, c’est sans remord et avec joie même que je fis l’éloge de cette mère et de son fils.
Papa était radieux, nous nous fîmes un gros câlin et nous rejoignîmes nos lits le cœur heureux. Mes yeux se fermèrent aussitôt.
Papa n’était pas d’une grande beauté, mais avait du charisme, c’était plutôt un physique commun, grand juste au-dessus de la moyenne, une peau laiteuse de bon français, les cheveux blonds foncés les yeux verts sans éclat, bref pas de quoi en faire une star. Ma mère était d’une beauté exceptionnelle pour le peu de photos que j’avais vues et l’image que je gardais d’elle, je tenais plus de Papa mes boucles blondes, mais pour le reste j’avais la peau mate, une bouche pulpeuse mais pas vulgaire et un petit nez pointu, que je tenais de Maman. Je n’avais de mon père que ses yeux verts mais avec une petite touche d’éclat.
Ma mère était morte lorsque je n’avais que quatre ou cinq ans, j’avais presque effacé son souvenir de ma tête. Maman était une femme très belle mais aussi très fragile pour le souvenir que j’en gardais. Elle sortait peu… je crois que je l’avais toujours connue malade ou tout au plus alitée. Je ne sais pas si Papa l’aidait mais elle pleurait souvent. Je me disais qu’elle devait avoir mal à ses bobos… Je ne sais pas ce qu’elle avait, un jour Papa m’a dit qu’elle était partie, j’ai beaucoup pleuré, j’ai pensé qu’elle ne m’aimait plus, de toute façon nous ne faisions rien ensemble puisqu’elle n’avait que très rarement la force de se lever. Papa a su me faire oublier rapidement, puisque cela ne changeait pas beaucoup de choses pour moi, c’est toujours Papa qui s’est occupé de moi.
Je n’ai jamais su combien ma mère était une femme admirable avant de tomber amoureuse d’un homme qui n’avait pas encore trouvé le chemin de son cœur. C’était une artiste, elle peignait de très belles toiles, rien que pour son plaisir. Son boulot qui n’avait rien de lucratif lui tenait à cœur et le résultat s’en ressentait. Mon père était jeune et fier d’être avec une femme mûre, belle et courtisée à souhait. Je pense qu’il ne se rendait pas compte que sa fierté ne pouvait constituer les bases d’une relation sérieuse. Il l’épousa bien vite avant qu’un autre homme ne lui prenne son trésor. Ce n’est qu’une fois marié que le couple entra dans une routine monotone. Mon père avait eu ce qu’il voulait avec succès, il se tourna vers d’autres étoiles à décrocher.
Il n’avait plus rien à craindre, il connaissait les sentiments de ma mère… Un an après j’étais là, pour le bonheur de mon père ; Il avait pris de la maturité et se rendait compte que son mariage manquait de passion, ne voulant admettre l’échec, il s’appliquait à être un « frère » plus qu’un époux pour Maman – à son grand désespoir – et un vrai père pour moi.
Maman, elle, avait eu un vrai coup de foudre dès le début pour ce jeune romantique fougueux. Elle savait que sa vie lui appartenait désormais ; son cœur, et tout ce qu’elle possédait. Comme lui, elle se rendit bien vite compte de la légèreté de ses sentiments à son égard, mais elle se bâtit… Elle se mentait tous les jours pour lui trouver des excuses, trop de travail, l’ambition prend du temps… Et puis les inconvénients de la vie, les migraines, les mauvaises grippes, une mère malade, une famille accaparante. Elle préférait le partager plutôt que de penser qu’il ne l’aimerait jamais.
Après ma naissance ils surent tous les deux qu’il n’y aurait jamais de flamme de l’amour pour réchauffer leur foyer. Maman était malheureuse mais ne voulait pas faire de reproches, pas d’étincelles, pas d’occasion de le perdre. Elle avait arrêté de peindre, les loisirs n’avaient plus de place dans sa vie, peu à peu tous ces petits rayons de soleil qui entouraient son bien-être disparurent, laissant cette femme dans une brume noirâtre de plus en plus épaisse. Il était toute sa famille, son parcours chaotique l’avait attaché à mon père comme une moule à son rocher.
Ma mère s’appelait Shandara. Elle était issue d’une mère eurasienne et d’un père kabyle. Lors d’un déplacement professionnel, mon grand-père – homme d’affaire respectable et marié – travaillant dans l’import-export, était tombé amoureux d’elle. Un coup de foudre réciproque. Difficile pour la famille de ma grand-mère car cet homme, bien qu’il soit d’une grande classe, était un homme marié et de loin son ainé. Mon grand-père voulant faire les choses correctement avait transféré ses affaires en Thaïlande, pays d’origine de ma grand-mère, et avait laissé sa femme et ses quatre enfants déjà assez grands pour se passer d’un père qu’ils n’avaient somme toute pas vu très souvent. En moins de six mois il avait rejoint ma grand-mère et ils s’étaient mariés très vite. Après 8 ans de bonheur intense, d’une relation fusionnelle dans l’espoir d’un enfant, le miracle se produisit. Ils furent comblés de cette bonne nouvelle, et la famille commença à se rapprocher. Ils avaient eu tort de penser que mon grand-père ne pouvait pas apporter la seule chose qu’une femme désire. La grossesse fut difficile, tout le monde prenait soin de ma grand-mère. Malheureusement l’accouchement fut une terrible épreuve, compliquée et ma grand-mère est restée alitée deux mois avant de rendre son dernier souffle. Une infection impossible à soigner après son accouchement qui l’avait totalement affaiblie. Durant ses deux mois, mon grand-père n’a pas quitté son chevet. Il a confié ma mère à une de ses belles-sœurs qui a pris soin du bébé comme de sa propre fille, durant quatre ans. Mon grand-père, très affecté, est resté plongé dans un immense chagrin. Puis petit à petit, ne souhaitant pas s’occuper de sa fille, il se remit au travail afin que ma mère puisse avoir une vie confortable. Lorsque Shandara eut 6 ans mon grand-père décida de retourner dans son pays, auprès de sa première femme qui pourrait s’occuper de sa fille. C’est là qu’elle commença à peindre lorsqu’elle n’avait pas le nez dans les livres. Elle s’ennuyait et n’avait que ses pinceaux pour se sentir libre de s’exprimer. C’était une enfant très calme qui avait appris à se taire, qui avait appris la discrétion, la bienséance, avec une parfaite éducation. Personne n’avait jamais eu à se plaindre d’elle. Quand elle eut 10 ans ses parents pensèrent qu’il était temps qu’elle quitte le nid, ils étaient trop vieux pour satisfaire la curiosité d’une jeune fille en devenir. Ils convinrent donc de l’envoyer en pensionnat à Paris afin qu’elle puisse un jour intégrer les Beaux-Arts.
Après la disparition de ma mère, mon père reporta toute son affection sur moi, il se disait que Maman était folle et qu’il ne pouvait rien pour elle. Elle était possédée par le diable, elle pleurait sans cesse sans jamais rien dire, il finit par avoir peur d’elle… Voilà ce qu’il pensait.
Les rares conversations qu’ils avaient était stériles, ils ne se comprenaient pas. Cette relation dura un peu plus de quatre ans, Maman se laissait mourir dans son chagrin d’amour, Papa pensait qu’elle était folle et dangereuse et chacun partit avec son image.
Un matin, Maman ne se réveilla pas, les larmes s’étaient figées sur ses joues… Papa m’avait emmenée à l’école, serein, puis s’était occupé de tout dans la discrétion la plus totale. Pas de veillée et un modeste enterrement auquel je n’assistai évidemment pas.
Papa avait jeté tous ses tableaux pour ne pas me traumatiser… Pour moi, cette mère était quasi inexistante et pour éviter d’en parler un jour tout ce qui lui appartenait avait disparu. Comme le voulait Papa, j’avais fini par l’oublier. Seuls quelques flashs restaient, des souvenirs flous et sans émotion.
Un mois après notre première rencontre, Marie-Louise et David s’installèrent à la maison. Une joie presque immense y régnait, tout le monde était content de ce que l’autre pouvait lui apporter : nous formions une famille.
Marie-Louise aussi était veuve, son mari n’avait même pas eu le temps de connaitre David, il avait eu un terrible accident de voiture en se rendant à la maternité. Ils vivaient seuls depuis, Marie-Louise, comme Papa avec moi, s’était attelée à donner une bonne éducation à son fils, et n’avait pas l’intention de refaire sa vie. Et puis au détour d’un cocktail professionnel, ils avaient fait connaissance, ce fut une rencontre déterminante, ils s’étaient plus toute suite. Ils avaient voulu l’occulter, mais l’amour était le plus fort. Il était donc temps que les enfants fassent connaissance, avaient-ils pensé, quelques mois à peine après leur premier baiser.
David avait l’air aussi ravi d’avoir une sœur que moi un frère. Nous avions demandé à partager la même chambre parce que selon nous pour devenir frère et sœur il fallait se raconter nos vies, être proches. Même que David disait que le soir, dans le noir lorsque les parents étaient déjà passé nous dire bonsoir, il fallait se serrer fort l’un contre l’autre pour partager ce que nous pensions. Ils nous permettaient de « faire des soirées pyjamas », mais il fallait que nous ayons notre propre chambre chacun. Je l’aimais tellement, on n’avait jamais pris soin de moi comme il le faisait, mais c’est normal, je n’avais jamais eu de frère avant. Il hérita donc de la chambre du fond, celle qui ne servait à rien. Il eut droit de choisir sa décoration. Il était fan de foot – comme beaucoup de garçons de son âge – et de belles voitures.
Très vite, Marie-Louise était devenue « Maman » à la demande expresse de David. Je savais qu’il n’aimait pas que je dise non, il disait tout faire pour mon bonheur alors, si je refusais, il se mettait en colère et dès que je cédais, il pleurait en m’expliquant qu’il ne fallait pas lui faire du mal « comme ça ». Je m’en voulais aussitôt de l’avoir fait pleurer et je tâchais d’être toujours celle qu’il voulait que je sois. Il faisait de ma vie son royaume…
J’étais si jeune, il n’était guère plus âgé – deux ans et demi de plus – et ce qui m’arrivait ressemblait à un rêve. J’étais comme Cendrillon après avoir retrouvé son prince charmant, comme Ali Baba devant sa caverne, pour moi aussi la vie était devenue un conte de fées.
Un Papa, une vraie Maman et un frère attentionné. David était un garçon débrouillard et intelligent, il faisait la fierté de sa mère et Papa s’attachait chaque jour d’avantage à lui. Nous étions une famille heureuse en grande partie grâce à David.
Papa s ’était tellement senti obligé de s’occuper de moi pour compenser l’absence et le manque d’amour de ma mère que j’étais plutôt gâtée et peu débrouillarde. Il ne s’en plaignait pas parce que je n’étais pas une grande capricieuse, au contraire, il aimait à s’occuper de moi.
Mais lorsqu’il connut Marie-Louise et qu’il éprouva des sentiments forts, il se rendit compte qu’il ne s’était pas beaucoup occupé de lui durant ses dernières années et qu’il ne s’accordait que peu de moment de libertés. Au stade où nous en étions, il ne pouvait m’évincer, seule solution : m’impliquer. Et tout se passa mieux qu’il ne l’avait prévu ; Marie-Louise m’avait plu, je lui avais plu et depuis qu’elle vivait à la maison avec son fils, Papa était heureux, et moi j’avais une Maman présente. Comme je le disais, David était débrouillard et il permit ainsi à mon père de relâcher la bride de mon éducation. David s’occupait de moi comme un grand frère et nos parents pouvaient vivre leur histoire d’amour. On ne pouvait rêver d’une vie plus parfaite !
Durant deux ans, ma vie fut encore faite de bonheurs inespérés. David m’aidait à me préparer le matin, il aimait m’asperger le visage d’eau froide jusqu’à ce que j’ouvre grand les yeux, puis il choisissait mes habits, pour lui j’étais toujours la plus jolie. Nous petit-déjeunions en général tous ensemble. Puis il me prenait par la main et m’emmenait à l’école. Sur le chemin, il me disait toujours les mêmes choses, me faisait les mêmes recommandations. Je les entends encore aujourd’hui et je revois mon sourire d’admiration, mes yeux pétillants.
Papa était heureux et peu à peu laissa David s’occuper de moi pour s’occuper de lui. On parlait au début tous les deux quelquefois, il avait besoin de savoir que j’allais bien, que la situation ne me perturbait pas, puis le dialogue s’est estompé. Tout allait pour le mieux.
— « Ecoute, petite sœur, il faut être sage à l’école et bien écouter ta maîtresse pour passer en classe supérieure ; et puis si jamais quelqu’un t’embête, tu m’appelles et moi je lui casserai la figure, même si c’est une fille. Tu sais combien je t’aime et je ne veux pas qu’on te fasse de mal. » Il me faisait un gros câlin, un gros bisou sur le front et il me regardait m’éloigner avant de rejoindre sa classe…
Je ne pense pas qu’il se rendait compte à quel point lui-même il m’aimait, je ne saurais jamais à quel moment il perdit les pédales. J’étais trop jeune pour comprendre sur quel chemin nous nous étions engagés et je ne pouvais donc enrayer les choses… et lui non plus…
Comment peut-on qualifier cette descente aux enfers ?
Nous avions cru que nous étions une famille unie, mais nous étions deux groupes de deux, chacun enfermé dans sa bulle. Papa et Maman nous voyaient heureux comme frère et sœur et nous aussi, de notre bulle nous les voyions heureux. Aucun groupe ne voulant déranger l’autre, sans nous en rendre compte, nous coupions un lien essentiel de communication.
Oui, c’est un peu comme si David avait ma responsabilité, tout reposait sur ses épaules et, étant donné que cela portait ses fruits, je n’étais plus aux basques de mon père ; Comme David, je voulais apprendre à me débrouiller et lorsque j’avais un problème, je lui demandais toujours conseil à lui. Il était aussi mon confident et, quelque part, je n’avais plus besoin de Papa. Et quels parents ne rêvent pas de voir leurs enfants grandir dans une entente parfaite ? Du coup, nos parents vivaient leur histoire sans jamais se soucier vraiment de nous.
Bien que David ne soit pas le premier de sa classe, les parents ne lui en tenaient pas rigueur. Il ne s’intéressait peut-être pas à l’instruction mais à plein d’autres choses. Il était ambitieux et puis il prenait ses responsabilités comme un grand garçon, alors il était traité comme tel. Suivre l’éducation de sa petite sœur, s’en occuper de toutes les manières possibles n’était pas un travail de tout repos. A douze ans, David avait la carrure d’un adolescent de dix-huit ans, alors les parents lui faisaient entièrement confiance. Ils avaient l’intuition qu’ils ne seraient jamais déçus par lui. David représentait la fierté de la famille. Il tenait son rôle à merveille, dès que les parents en avaient l’occasion ils faisaient son éloge. Ils ne manquaient pas de le remercier pour qu’il sache le bonheur et la sérénité qu’il emmenait au sein de notre foyer. Il pouvait sortir tranquille, David n’avait jamais désobéi ou déçu. De toutes façons sa plus grande passion c’était moi. Il n’avait donc pas le même tempérament que les garçons de son âge. C’était un garçon mûr et responsable, nos parents l’imaginaient éducateur ou professeur. Ils avaient très vite remarqué que c’était un garçon très préoccupé par le bien-être des autres.
Pourquoi nos parents n’avaient-ils pas vu le côté malsain de la situation, je ne sais pas. Peut-être n’y en avait-il pas. Un frère qui adore sa petite sœur reste un cliché de bonheur, comment lui coller une autre image ? Comment déceler qu’un garçon de douze ans aimerait éveiller ses sens sur les lèvres de sa petite sœur ou, allongé chaque soir sur son petit corps ?
Comment aurait-il pu dire à sa mère qu’il avait envie de faire l’amour à sa petite sœur parce que seul lui pouvait lui apporter du bonheur. Un jour, peut-être dirait-il à sa mère que c’était lui l’homme de sa vie, aucun autre étranger ne saurait l’aimer comme il le faisait, seul lui pouvait faire son bonheur. Elle, elle le savait et un jour ils leur diraient, et les parents seraient heureux de leur amour.
Même lui ne devait pas comprendre, mais il aimait ce qu’il ressentait, comme un adulte.
Cette petite métisse aux yeux verts, cette petite perle aux belles boucles blondes et à la peau dorée, toute la gentillesse d’une petite fille qui le prenait dans ses bras comme s’il fût son super héros le remplissait de joie, gonflait son cœur, flattait son ego. Il sentait qu’il pouvait se surpasser pour elle, qu’il voulait aller toujours plus loin pour qu’elle soit fière de lui, qu’il voie dans ses petits yeux le héros qu’il était.
Je crois que sa perversité a commencé par de petits jeux comme de me faire peur pour que je me blottisse dans ses bras. Toutes les occasions étaient bonnes, lorsque je me lavais les mains avant de passer à table, il arrivait derrière moi et me faisait un grand « hou !! » je sautais dans ses bras à chaque fois, morte de trouille ; Et lorsque je faisais mes devoirs ou quand je me lavais les dents. Je crois qu’il n’a pas laissé passer une occasion.
Et puis il devint possessif. Au début, pour mes anniversaires, il jouait le garde du corps devant mes camarades, il aimait me voir jouer avec mes amies de mon âge, il sentait toute sa grandeur. La jalousie s’installa avec l’âge et il finissait par semer la zizanie avec une telle délicatesse qu’il était impossible de le démasquer.
Quelque part en moi je percevais et ressentais quelque chose de malsain s’installer entre nous, David me faisait peur, pas la peur qu’on a devant un film d’horreur, mais celle qui présage le pire. Et à d’autres moments je l’aimais plus que tout, il était là pour moi, il s’intéressait à moi, j’avais toute son attention. C’était mon pilier. Papa et Maman étaient heureux, nous étions une famille équilibrée. Une chose que je n’avais pas eue avec ma vraie mère pour le peu de souvenir que j’en gardais.
J’avais à peine douze ans lorsque David m’a embrassée pour la première fois, je veux dire un vrai baiser, c’était dégoûtant qu’il mette maladroitement sa langue dans ma bouche et il a ri lorsque je lui ai dit. Il m’avoua m’aimer d’une telle force que si je n’étais pas sa petite sœur adorée il me prendrait pour femme lorsque je serais grande. David avait des phrases qui me donnaient envie de pleurer tellement son amour me comblait et en même temps je trouvais cela bizarre, toujours cette espèce de frisson d’un mauvais présage.
Mais ses sens se développaient et il me mettait mal à l’aise. Il grandissait et ses envies, ses sentiments, ses émotions faisaient de même. Il disait qu’il était le seul à pouvoir faire mon bonheur, je crois qu’il préparait le terrain pour que je sois comme lui, que j’accepte le fait que lui et moi étions liés à vie.
Je me souviens du jour de mes treize ans comme si c’était hier ; je crois que la première fois ne s’oublie pas lorsque c’est un choix et que l’acte est sensé vous combler de bonheur. On en garde un souvenir agréable, on oublie peut-être les détails mais pas le garçon qui vous a donné ce plaisir. On se souvient du premier gémissement qui sort de sa bouche comme un son dissimulé ne demandant qu’à sortir, des draps mouillés, son regard après. On se souvient comme l’appréhension vous quitte très vite pour laisser place au plaisir, au désir. On se souvient comme son corps s’éveille à cet orgasme inconnu. On se souvient aussi qu’on a envie de recommencer pour retrouver ces sensations nouvelles, se sentir femme à nouveau. On se souvient de son corps qui bouge au rythme du corps de ce garçon qu’on aime ; celui-là même qu’on aime dix mille fois plus après l’amour. On se souvient de ses seins qui pointent et réclament le toucher de l’autre. On se souvient de ces baisers langoureux qui nous font saliver deux fois plus que d’habitude. On voudrait graver chaque instant pour ne jamais les oublier ! Et surtout on se souvient de ce garçon qu’on aimait tant à qui on a donné ce précieux et unique cadeau en se disant qu’on s’aimera toujours. On se souvient de son odeur, on se souvient de l’odeur de l’amour, de ces deux corps qui se mélangent, de l’odeur nouvelle de la semence. On se souvient des habits qu’il portait, on se souvient aussi de la jolie culotte et du joli soutien-gorge qu’il vous enlève délicatement après vous avoir mis à l’aise avec des milliers de caresses et de baisers. La première fois devrait toujours ressembler à cet instant magique de deux êtres qui s’aiment.
Le jour de mes 13 ans à moi ressembla plus à un cauchemar qu’autre chose.
Les parents avaient consenti à me laisser faire une boum entre 18 h et 22 h. Sachant que j’avais un grand frère extrêmement raisonnable pour veiller sur le bon déroulement de la soirée.
J’étais folle de joie, un peu de bon temps ne me ferait pas de mal, David prenait trop d’espace dans ma petite tête, j’avais besoin de me créer des moments à moi et j’arrivais facilement à me persuader que tout allait bien, qu’en ce jour tout se passerait très bien. Il y avait des matins comme celui-là où j’arrivais à me dire : « allez ma fille, arrête ta parano, ton frère t’aime comme tous les frères aiment leurs sœurs. Il n’y a pas de mal à voir son frère nu, et puis s’il me parle de sexe c’est peut-être parce que nous sommes complices et qu’il a envie de tout me confier. Il n’y a rien de mal à confier ses petites angoisses à sa sœur ! Il faut vraiment que j’arrête de me torturer l’esprit, je deviens réellement parano ! David est le meilleur frère qu’on puisse avoir. Je lui dois mon bonheur, si maladroit soit-il des fois ! C’est normal qu’il m’aime, je suis jolie et gentille ! Il y a beaucoup de garçons à qui je plais au collège ».
Ce matin-là je décidai de mettre tous mes petits soucis et toutes mes petites rancœurs de côté. Pour la première fois depuis longtemps mon réveil matinal me permit d’aller surprendre David encore lové dans les bras de Morphée. Je me glissai dans ses draps pour me coller contre lui – je savais que c’est ce qui lui faisait plaisir, puisqu’il le faisait tous les matins – et même s’il ne portait qu’un caleçon, je fis abstraction de tout ce que cela pouvait éveiller en lui. Je n’allais pas lui reprocher d’être un homme tout de même.
Je lui collai un gros smack sur la bouche, comme font les amoureux. Il ouvrit les yeux et m’enlaça avec une tendresse infinie. Il me refit des baisers que je lui rendais, il transpirait de bonheur, ses yeux étaient humides de joie. Il ne comprenait pas mais profitait pleinement de l’instant. Nous sommes peut-être restés trop longtemps collés à se frotter parce qu’il éjacula sur ma jambe. Pour la première fois je vis son air confus, et pour la première fois le rassurai en lui disant que ce n’étais pas grave.
J’avais peut-être mué cette nuit, ou pris de la maturité avec mes 13 ans, mais ce matin-là je voyais David différemment. Il me faisait de la peine et au fond de moi je me sentais agréablement flattée par cet amour unique. Je me mis à rire, il me dit qu’il m’aimait plus que tout et enfin après un dernier smack nous consentîmes à nous lâcher. J’avais le cœur gonflé, je me sentais plus que sereine, un jour merveilleux s’annonçait, mes 13 ans, ma première boum, pas de parents pour nous surveiller, juste mon grand frère.
Rien ne laissait présager le pire.
Mes parents étaient partis vers 19 h au restaurant, histoire de voir qui serait là et d’être plus ou moins rassurés et puis ils avaient dit qu’ils iraient danser après. Nous avions promis, David et moi, de ranger la maison après la fête.
J’avais invité cinq copines et quatre copains et pour une fois David restait à sa place, venant me faire un petit bisou dans le cou de temps à autre toujours très discrètement, il laissa même Arno me draguer et fut rassuré quand à un moment de la soirée, j’avouai à David dans l’intimité de notre cuisine qu’il ne me plaisait pas, mais que le jeu me séduisait !
David en profita pour me dire que j’étais sa princesse à lui et que lui seul pouvait m’aimer comme je le méritais ; j’étais euphorique et me pendit à son cou pour lui dire que je l’aimais aussi très fort.
En y réfléchissant, j’ai peut-être cherché ce qui allait se passer.
Des fois, du fond de ma cellule, je pense à Marie-Louise en pleurs qui m’avait traité d’allumeuse du bout des lèvres dans cette salle d’audience.
Pendant des années je me suis torturée l’esprit à me dire que j’avais sûrement cherché ce qui m’était arrivé, j’avais ma part de responsabilité.
Après une fête on n’a jamais envie de s’arrêter, j’étais bien, j’avais treize ans et je me sentais irrémédiablement grande ! Je me sentais prête à avoir un petit copain, et vu le comportement de David le matin même je pensais que tout était redevenu normal, finalement il ne s’était rien passé de catastrophique. Mon frère m’aimait, ses sens s’étaient éveillés et il en était perturbé, quoi de plus normal ?
Nous avons laissé la musique quand tout le monde fut parti, il ne devait pas être loin de 22 h 30, voire un peu plus ; Avec David, nous avons dansé cinq minutes comme des fous sur Nirvana, puis nous avons rangé la maison dans des éclats de rire. Quelques caresses volées, deux trois baisers anodins et des jeux de mots coquins. Une chose en entrainant une autre nous nous retrouvâmes en plein slow de Metallica, soudés l’un à l’autre s’embrassant langoureusement sur Nothing Else Matters. Je devais avoir perdu la tête parce que je crois qu’à ce moment-là il n’y avait plus rien dedans.
Mon cerveau a du se remettre en marche quand je pris conscience que la musique s’éloignait, que la porte de sa chambre n’était plus très loin et que d’un jeu on était passé à des choses plus sérieuses. Qu’avais-je laissé faire ? Comment pouvais-je enrayer les choses ?
Non ! David était mon frère il ne pouvait pas me faire cela c’était mal, il le savait ! Des baisers de gosses ne pouvaient pas emmener à cette terrible erreur !
NON !
A peine le temps de la réflexion et nous étions sur son lit. Et là, j’avais beau dire non, nous avions atteint le point de non-retour, enfin lui l’avait atteint, il ne m’entendait plus ; il ne pouvait plus se contrôler, juste me tenir et étouffer mes « NON » ou plutôt les supporter. J’avais beau pleurer et dire non, il était ailleurs, il devait entendre oui. Il était délicat, tendre mais ne lâchait pas prise, les choses s’enchainèrent et très vite je sentis son sexe entrer dans le mien. Pleins de sensations contradictoires m’envahir, le dégoût, le plaisir, le mal être. je me sentais fautive. Il était délicatesse et force. Je m’en souviens comme si c’était hier, un souvenir désagréable dont on n’oublie ni l’homme ni les détails.
Ce mélange de haine et d’amour, mes seins qui pointent vers quelque chose que je ne désire pas, cette étreinte que je refuse mais que mon corps apprécie ; Ces nouvelles odeurs qui me donnent envie de vomir, d’une sécrétion que j’ai eu sur les jambes plus d’une fois. Ses « je t’aime si fort » doux et délicats qui font mal et me laissent un goût de nausée. Il a fini, il me lâche et je n’ose bouger, je me sens sale, violée – et c’est le cas – mais tellement fautive. Nous restons là pendant trente minutes, peut-être plus, je n’ose pas bouger, je voudrais me réveiller dans mon lit et me dire que ce n’était qu’un affreux cauchemar.
Alors il recommence, me retourne sur le ventre et me pénètre à nouveau, j’ai si mal mais je le laisse cette fois aller et venir à sa guise, je n’ai même plus la force de me respecter, une partie de moi est déjà morte, l’autre a basculé dans un monde que je ne connais pas encore. Il me dit qu’il m’aime et qu’il est heureux, qu’il a attendu ce moment avec patience et que c’est le plus beau cadeau du monde. Je ne l’écoute même pas, je pleure et fais le deuil de ma virginité en silence.
J’attends qu’il s’endorme et je m’éclipse. Me lave, et me lave encore et me couche. Le lendemain et les autres jours sont des jours neutres. J’ai le sentiment de ne plus rien ressentir. J’existe mais mon esprit flotte au-dessus de mon corps.
Lorsque l’on subit un viol on meurt à l’intérieur.
J’ai changé du tout au tout, ce que pensent les autres ne m’intéresse plus, ce que disent les autres est très fade, je ne suis plus en phase avec mes amis, mais personne ne semble voir ma détresse, alors je me réfugie dans la nourriture – peu mais souvent –, j’entendais Maman qui disait à Papa : « les aléas de l’adolescence, Chéri ! » Et je cours vomir dans les toilettes en silence.
David ne semble pas retrouver tout de suite sa place vis-à-vis de moi et reste presque distant ; Il est gêné, triste et gentil mais je le déteste. Parfois il me manque, arrêter une drogue – même sachant qu’elle vous nuit – n’est pas chose facile.
J’ai été violée par mon demi-frère et je ne sais plus quoi faire, quoi dire, quoi penser. Je suis seule au monde. Je me sens fautive, sale, je m’en veux autant à moi qu’à lui, sinon plus.
Cette boule dans mon ventre me brûle, je ne me sens plus moi, mon corps est allé plus vite que mon esprit : il a fait mon corps aller plus vite que mon esprit. Je lui faisais confiance et il m’a trahi. Si j’avais eu le moindre soupçon de ce qui allait se passer le soir de mes treize ans je n’aurais même pas osé faire une boum pour ne jamais me retrouver seule avec lui.
David s’occupait toujours de moi, bien que je sois assez grande pour ne plus avoir à le supporter constamment. Aux yeux de mes parents et des gens que nous fréquentions, rien n’avait changé. A quel moment aurais-je dû parler, hurler ? A qui ?
Le mal était fait je me sentais coupable. Peut-être aurais-je pu… ? Peut-être aurais-je dû… ? Trop de questions dévastaient mon esprit, telle une tornade qui ravageait mon intérieur de part en part.
J’avais peur qu’on ne me croie pas, peur de détruire le bonheur de cette famille si soudée, peur d’être la condamnable à rejeter.
David avait fini par parler, une semaine après, avec toute la désinvolture qu’il avait pu puiser au fond de lui-même.
« Tu es ma princesse, avait-il dit, nous sommes unis maintenant. Tu es mienne pour toujours, c’était si bon de nous unir, mais il va falloir attendre pour le dire à tout le monde, nous sommes jeunes, les autres ne comprendraient pas. »
David disait encore et toujours qu’il était le seul à pouvoir faire mon bonheur. Il m’acceptait avec mes défauts et mes qualités. Comment pouvait-il me le faire comprendre autrement qu’en me l’imposant ?
Il ne voyait rien de malsain à notre amour, les autres, les gens autour finiraient par s’y faire.
Il me disait : « laisse-moi être ton prince, celui dont tu rêves en silence toutes les nuits. Je suis là pour toi, ne le vois-tu pas ? » il ne comprenait pas ou ne voulait pas comprendre que moi ce n’est pas ce que je voulais. Je n’osais le froisser et donc je n’ai sûrement pas été assez claire. Aujourd’hui je m’en veux. David prétendait me connaitre mieux que moi-même. il disait souvent que tout ce qu’il faisait, il le faisait pour nous deux et qu’un jour je lui en serais reconnaissante. Ce jour-là je laisserais libre cours à notre amour et nous nous aimerions comme des fous. Il pensait que j’avais peur de mes sentiments – et il avait raison – parce que je n’étais encore qu’une jeune fille, une pré-adolescente.
Peu de temps après cette mésaventure – quelques semaines même – je pensais qu’il fallait en parler à Papa ; à chaque fois que je croisais David j’avais la nausée. A chaque fois qu’il posait son regard plein d’amour sur moi un filet glacial me parcourait le dos, et dès qu’il me touchait je sentais comme un profond dégoût qui me faisait presque perdre connaissance.
Papa et Maman avaient des amis et recevaient souvent, sortaient aussi souvent, ils vivaient dans leur bulle amoureuse, n’ayant rien à craindre dans leur foyer. C’est à ce moment que j’ai ressenti une certaine forme d’abandon de mon père. Il avait avec Marie-Louise ce qu’il n’avait jamais eu avec Maman et encore moins avec une petite fille à charge : une vie amoureuse et une vie sociale épanouie.
Un soir j’attendis que Papa rentre de son travail, et le peu de temps qu’il nous restait à nous deux avant que Maman ne rentre devait être le moment de parler. Mon cœur cognait si fort dans ma poitrine que j’ai cru que j’allais m’évanouir. J’étais toute pâle mais Papa ne semblait pas s’en rendre compte. Papa était heureux jour après jour, heure après heure ; il avait trouvé son âme sœur et à la maison il n’y avait ni tension ni dispute.
« Papa, je voudrais te parler de David. mon père posa un regard profondément attendri sur moi.
— Oui, tu as de la chance d’avoir un frère aussi aimant pout toi ! Je suis fière de toi ma fille, tu vois nous formons une belle famille !
— Oui Papa, mais…
— Cette maison respire le bonheur, et dire qu’il y a des gens qui n’y croient pas ! Tu te rends compte ? Cette famille est unie par l’amour et je suis sûr que les gens nous envient.
— Papa, David m’aime trop justement et… Il me coupe encore la parole
— Oh oui, je vois bien, tu aimerais qu’il soit moins protecteur ? Mais, est-ce parce que tu as un petit copain ?
— Mais non Papa, je… Comme je rougissais il éclata de rire puis repris son sérieux devant mon air dubitatif. Il me déposa un baiser sur le front, sa chaleur me fit du bien, je me rendis compte alors que nos câlins me manquaient et je repensais avec nostalgie à notre vie à deux.
— Tu veux sûrement que Maman et moi nous lui parlions ? On y fera allusion au dîner. Au fait qu’est-ce qu’on mange ce soir ? Mais j’y pense Maman a dit qu’elle rentrerait plus tôt ce soir ? ah, ben la voilà ! Chérie ! »
Il me redéposa un bisou sur le front et rejoignit sa chère et tendre dans l’entrée. Je l’entendais dire à Maman que j’avais un petit copain, et Maman répondre que c’était les aléas de l’adolescence, et heureusement que David veillait sur moi, ils n’avaient rien à craindre !
Je montai vomir.
Quatre mois avait passé depuis le jour de mes treize printemps et je n’avais pas eu mes règles depuis. J’avais vite senti quelque chose d’inhabituel dans mon corps et dès les premiers mois je m’étais infligé des tortures physiques. Peut-être alors cet enfant sortirait tout seul de mon ventre avant même de devenir un enfant. Je frappais mon ventre de toutes mes forces, contre le lavabo, sur le bord de la baignoire. Mais rien ne le fit descendre avant l’heure. Je bandais mon ventre pour l’empêcher de grossir, pour empêcher cet enfant d’évoluer. Je refusais l’image de ce monstre grandissant dans mes entrailles, et pourtant il était bien là. J’étais bien trop jeune pour avoir un enfant. Trop fautive pour en parler aux parents ou à qui que ce soit d’autre ; Tout le monde dirait que c’était de ma faute. Parce qu’aux yeux de tous David était un garçon respectable, gentil, attentionné et bien mûr pour son âge. Tout le monde voyait l’amour que me portait David, et que je lui avais rendu toutes ces années. Et moi j’étais qui pour briser ce bonheur familial et détruire la belle image que David donnait de lui ?
J’étais paumée, désarçonnée et je ne sais pas comment j’arrivais à donner le change. Je haïssais tout le monde de ce qui m’arrivait, je leur en voulais à tous, de ne rien voir, de ne rien demander, de ne rien dire.
David était revenu un soir alors que la maison dormait profondément et avait remis cela. Je ne me permettais même pas de crier, résolue à ne pas briser le bonheur de mes parents. J’essayai de me débattre mais David était vigoureux et l’amour le rendait fort, ma faiblesse n’en était que plus grande. J’étais bien enceinte et d’une tristesse sans égal. David avait commencé à sortir. Le fait d’avoir gouté au péché défendu l’avait rendu encore plus homme et il savait désormais au plus profond de lui qu’il ne devait pas abuser de moi parce que c’était mal. Sans pouvoir y résister.
Peut-être se droguait-il, je ne sais pas ; Les soirs où il venait dans ma chambre pour me violer il n’était plus lui-même. J’avais pris du poids mais mon ventre ne poussait pas. Pourtant je sentais ce petit être grandir en moi et je savais déjà que je le détestais. Il était le fruit de ma destruction, la preuve de mon agression, il était l’erreur. C’était mon Quasimodo qu’il faudrait cacher dans le clocher de l’église. Je crois que je déraillais complètement.
Une soirée « boule de neige » un flocon qui était devenu une boule géante et meurtrière.
Les parents avaient tenu promesse et avait demandé à David de me laisser vivre un peu mon adolescence. Il l’avait charrié en lui disant de se trouver plutôt une petite copine ; Et c’est ce qu’il fit. Une certaine Mélanie ne cessait de l’appeler et nous fîmes donc sa connaissance un samedi après-midi.
Toujours cette opposition dans ma tête du bien et du mal comme je définissais maintenant tout ce que je ressentais pour David. Je me sentais soulagée d’un côté et si seule d’un autre !
Ce jour-là fut bien particulier et bien déstabilisant pour moi. Moi déjà si perdue !
Mélanie était une belle blonde avec une bouche pulpeuse, maquillée comme un camion neuf et brillant ! Avec de faux airs de fille à Papa pour cacher la pétasse qu’elle était en fait ! Une belle Marie-couche-toi-là ! Entre filles on reconnait ce genre de filles qui veulent donner l’image du contraire de ce qu’elles sont !
Enfin bref, je fis comme si c’était encore une belle étoile accrochée à notre merveilleux bonheur familial que ce cher David nous amenait !
Je jouai tellement bien le jeu de la belle-sœur comblée que nous ne la revîmes jamais !
S’en suivirent des Rebecca, Lou-Ane, Violetta, Sandrine, Alexia, Laura, Fany et j’en passe, toutes plus belles les unes que les autres mais pas une seule avec un semblant de cerveau !
Les parents fiers au début finirent par oser quelques mots sur le fait de chercher mieux ses compagnes afin de ne pas ramener à la maison toutes ses conquêtes sans lendemain, il donnait le mauvais exemple à sa petite sœur !
Entre David et moi s’installait un petit jeu malsain du « qui fait le plus de mal à l’autre ! ».
Mais David était toujours le plus intelligent, je ne pouvais pas le nier. Arriva dans notre jolie famille Laurine. Petite brune, pas une beauté extraordinaire mais charmante pas très bavarde mais pas bête et pas maquillée comme une pute !
Elle me perturbait, contrecarrait mes plans. Je l’aimais bien et elle semblait réellement s’intéresser à notre famille. J’aurais voulu lui dire de fuir cette idylle mirage, que David n’était pas quelqu’un de bien qu’il finirait par lui faire du mal, mais comment ?
Je ressentais comme un trait de jalousie lorsqu’elle venait à la maison. David ne semblait avoir d’yeux que pour elle ! Alors pourquoi m’avoir fait autant souffrir si c’était pour en aimer une autre ?
En contrepartie il ne venait plus dans ma chambre, ne me violait plus, je remerciais Laurine d’exister !
Mais j’étais toujours sur le qui-vive.
Je devais être à 7 mois de grossesse et m’habillais comme une baudruche pour ne pas me faire repérer. Un coup de bol – ou pas – les salopettes et le XXL très large était à la mode ! Ce samedi-là, David était rentré tard dans la nuit, je guettais le moindre de ses gestes pour essayer de devancer ses réactions et son comportement vis-à-vis de moi. Il m’empêchait de dormir sur mes deux oreilles tant qu’il n’était pas dans son lit. J’entendis la porte de ma chambre s’ouvrir, comme si je l’attendais, il se déshabilla et se coucha, nu, contre moi. La chaleur de son corps me fit du bien, je me sentis moins seule. Je l’entendais me murmurer qu’il n’aimait que moi, que j’étais la plus belle, que je serais toujours sa princesse et qu’il attendrait que je sois prête pour l’annoncer à tout le monde ; Je faisais semblant de dormir nauséeuse de ces mots, comme d’habitude, attendant patiemment qu’il me prenne qu’on en finisse, mais il n’en fit rien. Lorsque j’ouvris les yeux au matin j’étais seule dans mon lit.
J’étais sans doute la fille la plus malheureuse du monde, et personne ne le voyait. David avait pris du recul, les copains, les copines et Laurine aidant. Et Papa et Maman mettaient tout ce qui se passait dans cette maison sur le compte de l’adolescence. Ils trouvaient normal que je cache mon corps, j’étais en plein développement hormonal ! C’était pire que ce qu’ils pensaient !
La nuit où j’accouchai fut terrible, cela vous coupe l’envie d’avoir des enfants pour toujours. Jamais je n’ai connu telle souffrance.
J’avais été réveillée par des douleurs horribles, vers le milieu de la nuit, et les contractions se sont vite fait sentir de plus en plus douloureuses. La sensation que tous mes organes voulaient sortir par la plus petite issue de mon corps. Ce mal indescriptible de mon bassin qui s’ouvre pour laisser passer ce petit corps qui prend tout son temps. Et cette envie furieuse de sombrer dans le noir, fermer les yeux et me laisser aller vers la mort, seule fenêtre vers la libération et l’apaisement. Dans un effort surhumain je m’étais trainée jusqu’au garage et avait mis seule cet enfant au monde dans des souffrances atroces. Une fois sa tête sortie je n’ai eu qu’à la saisir pour l’aider à sortir le reste de son corps du mien. L’utilité de la télévision prend alors tout son sens. Je savais tout ce que je devais faire. Mais seule après avoir subi ce traumatisme douloureux c’est compliqué. C’est épuisant à tous les niveaux. Dire que les heures qui suivirent furent une torture incommensurable est un doux euphémisme.
J’aurais voulu mourir, je ne comprenais même pas comment on pouvait survivre à cette épreuve ! J’eus vite fait de l’emmailloter dans une couverture et calmer ses pleurs. Il ne fallait réveiller personne. C’était une petite fille, une débrouillarde déjà qui cherchait à téter, ses petites lèvres remuaient toutes seules. Je compris qu’elle voulait mon sein et lui donnait instinctivement. Je restai plus d’une heure allongée ainsi, souffrant de tout mon être. Mais le matin allait bientôt arriver et il fallait me débarrasser de cette petite vie. Je mis une tenue de sport, cachai mon nouveau-né dans un sac à dos et partie à petits pas de la maison. Il y avait une chapelle à quelques kilomètres d’ici, c’est là que je la laissai dans un petit panier en osier que je trouvai sur le bord de la route dans une poubelle ; elle dormait paisiblement comme si rien ne pouvait lui arriver. De retour à la maison j’étais si épuisée que je pensais que si je m’allongeais je ne me réveillerais plus jamais. La douche parut apaiser un peu mes souffrances. Je restai sans bouger, allongée dans la baignoire pataugeant dans mon sang, laissant l’eau mi chaude, mi froide couler sur mon corps meurtri.
Anéantie par les évènements je me laissai aller dans mes draps. David était venu vers 11 h comme à son habitude, il s’était glissé sous mes draps et s’était collé à moi, m’embrassa derrière l’oreille et me dit qu’il m’aimait. J’ouvris les yeux et la douleur qui m’envahit me sauta toute la nuit au visage comme si le cauchemar reprenait vie dès que je ne dormais plus. Je me retournai – avec beaucoup de difficulté – lui fit face et lui dit enfin avec toute ma haine que je ne l’aimais pas et que dorénavant il ne devait plus entrer dans ma chambre sans mon autorisation.
« Enfin ma princesse, que t’arrive-t-il ? C’est moi, David !
— Je sais qui tu es, tu es mon pire cauchemar, et tout cela est terminé, je ne suis pas ta princesse, tu n’es pas mon prince et je ne veux plus que tu me touches, ni aujourd’hui ni jamais. »
David parut si triste en partant qu’une légère brise de pitié passa devant mes yeux ; ce fut de courte durée, ma haine et ma douleur reprirent vite le dessus. Ce jour-là, je n’avais pas envie de me lever, ni la force d’ailleurs, envie de voir personne. Maman était passée me dire que le déjeuner était prêt et m’avait trouvé fiévreuse. Après un bon lait chaud et des médicaments j’eus enfin la possibilité de me réfugier dans un profond sommeil.
Trois jours durant j’étais restée au lit, c’était les vacances de Pâques ; heureusement que tout le monde était cool à la maison, j’en profitais donc pour dormir ; Les parents passaient leur temps à s’aimer et ne se préoccupaient pas de grand-chose d’autre. Je n’avais pas revu David, juste aperçu.
Je me remis peu à peu de mes émotions, chassant le souvenir de ce petit bébé qui me hantait quotidiennement. J’avais soigneusement évité de la contempler pour pouvoir effacer son visage de ma tête rapidement. Encore ce mélange bouleversant entre la haine pour ce fruit d’un viol et l’amour dans mon cœur de mère pour ce petit être que j’avais expulsé de mon corps.
Quelqu’un avait dû le trouver et l’emmener aux services sociaux ; A cette époque, il n’y avait pas de scandale autour de ce genre d’évènements, pas de police scientifique pour relever des empreintes et trouver de l’ADN compatible. Non, mon bébé aurait une vie toute simple d’enfant abandonné et c’est tout, il serait orphelin et adopté. Il fallait que j’oublie tout.
Papa et Maman finirent par s’inquiéter des changements intervenus ces dernières semaines, mais pas au point de soupçonner leur cher fils du pire ! David et moi n’étions plus les mêmes ; J’étais beaucoup moins fragile, il était beaucoup plus absent. Je sais qu’ils mettaient tout sur le compte de l’adolescence, c’était plus facile pour eux ! Les premières amours, les menstruations, le corps qui change.
David essayait parfois après de longs silences, de retrouver notre complicité, de me parler avec des mots que j’avais trop entendus et qui m’écœuraient plus que jamais. Je restais de marbre, lui infligeant un regard dédaigneux. Nous ne parlions pas le même langage. Je ne l’aimais pas et lui m’aimait plus que tout. Dans mon avenir il n’avait aucune place. Il était dans une bulle à des années-lumière de la mienne.
Il était obsédé par mon être, sa seule grande passion et préoccupation était de penser à moi. Je remplissais sa vie et il pensait réellement qu’un jour il remplirait la mienne, ce n’était qu’une question de temps. Comment pouvait-il même y penser alors que je ne lui portais pas la moindre attention ; les mois passaient et ne se ressemblaient pas.
Laurine avait fini par quitter David, contrairement aux apparences qu’il donnait il n’avait pas assez d’attentions à son égard. Au cours d’une conversation elle m’avait confié que David était difficile à cerner. Autant très adorable en société autant distant lorsqu’ils étaient tous les deux. Ils n’étaient pas si proches qu’il semblait vouloir le faire paraitre.
J’aurais voulu à ce moment-là me confier à elle, lui dire que David était un monstre mais elle semblait si détachée et nous n’avions que de brefs échanges toutes les deux. David veillait toujours à ne laisser personne de son entourage m’approcher très longtemps.
Nous n’avons revu aucune de ses conquêtes après elle. David avait déjà seize ans passés et moi je venais d’avoir quatorze ans.
La famille parfaite s’était un peu disloquée. Les parents passaient de plus en plus de temps dehors, comme si les tensions pesantes de la maison les contraignaient à s’exiler, tout comme David. Il n’y avait que moi ici, errante, seule avec tous mes souvenirs, essayant de combattre mes démons.
Arno était devenu mon meilleur ami, il était dans la même classe que moi depuis 4 ans, forcément cela tisse des liens ! Et même si je ne lui confiais pas mes secrets les plus noirs il me faisait du bien. Son amitié me faisait chaud au cœur. J’avais toujours mes copines mais elles étaient toutes amoureuses de ce frère que je détestais, sans raisons à leurs yeux. Il n’y avait qu’Arno qui ne l’aimait pas plus que cela, je pense que son aversion à son égard m’a aidé à me rapprocher de lui. Arno le sentait sournois, ses gestes et regards lui paraissaient déplacés ; et même si je passais mon temps à lui dire que je ne comprenais ce qu’il insinuait, au contraire, je le comprenais bien plus que je n’aurais pu le dire !
Je n’arrivais tout de même pas à critiquer mon frère, et même si je prenais sa défense lorsque Arno en parlait, au fond une petite étoile brillait et me faisait du bien de l’entendre le juger mal ! Il n’en restait pas moins mon frère et mes instincts me contraignaient à ne pas laisser aller Arno trop loin dans ses dires.
David devenait sournois, hypocrite, ses regards étaient malsains.
Il m’attendait parfois à la sortie du collège, prétextant que les parents le lui avaient demandé. Le soir venu, je pétais un câble à table. Ce n’était plus possible qu’ils me collent encore David, j’étais assez grande pour me débrouiller et puis j’argumentais en disant que David avait d’autres choses à faire que de s’occuper d’une petite sœur devenue grande ! J’avais presque quatorze ans et demi quand même ! Les parents étaient consternés par mon attitude, j’avais changé et Papa ne me reconnaissait pas. Peut-être se disait-il que les gènes névrosés de ma mère remontaient à la surface ; comme d’habitude, la situation leur échappait, ils m’obligèrent donc à voir un psychologue.
Il est vrai que depuis quelque temps j’avais un comportement agressif ou renfermé et j’avais surpris une conversation dans laquelle mon père disait s’inquiéter à mon sujet. Pour moi, cela ne signifiait rien et tout ceci me passait au-dessus de la tête ! Tant qu’on me laissait vivre ma vie. Papa n’avait pas voulu m’écouter, il était trop tard pour discuter. Vu mon comportement, personne ne me croirait à côté du fils parfait.
Jean-Claude était un psychologue apaisant, dégageant de la sureté, mais, à mes yeux, c’était un homme et il était hors de question que je lui fasse confiance et que je lui raconte ma vie. Alors je jouais les rebelles, sans être trop désagréable. J’entrais dans un cercle vicieux parce que les séances allaient durer un bon moment.
Au fil du temps, j’avais fini par apprécier Jean-Claude, comme un père et je ne voulais pas le décevoir. Bien que son travail ne changeât rien à mon point de vue ni à ma chute, il était présent comme mon père ne l’était pas, il voyait en moi la fille fragile que j’étais et même s’il n’a pas décelé le problème avant qu’il ne se présente, il savait que quelque chose n’allait pas. Il m’avait tendu la main, accepté mes bêtises, comme mes silences. Le voir me faisait du bien, il n’arrêtait pas le feu qui brûlait en moi mais l’atténuait.
Il pensait comme tout bon psychologue que le problème venait de l’absence d’une mère morte bien trop tôt. Il disait que mon père aurait dû me parler d’elle et non étouffer son souvenir et moi de lui répondre à quoi bon se faire souffrir, Papa avait pris la bonne décision ! Jean-Claude me disait que je protégeais beaucoup mon père !
Je ne pensais jamais à ma mère, j’en avais une autre bien plus solide et présente, et je l’aimais plus que la mienne qui n’avait pas tenu le coup pour m’élever.
C’était la faute de David si je n’aimais plus ma famille. Si je n’avais plus de famille pour m’aider à affronter ce calvaire. Je ne pouvais pas non plus le dire à Jean-Claude, sinon il aurait fallu que je raconte de quelle manière j’ai laissé David me traiter comme sa princesse pour maintenant lui reprocher cet amour. Et quoi encore, je devrais lui dire que je supporte cela depuis si longtemps, c’est peut-être moi la cause de tous mes malheurs ? Je les attire sûrement ?
Peut-être au fond de moi étais-je jalouse du bonheur de mon père, peut-être lui reprochais-je le fait d’avoir trouvé le bonheur dans les bras d’une autre femme que ma mère, qu’il n’avait pas su la protéger d’elle-même. Jean-Claude soulevait parfois des problèmes ou des choses auxquelles je n’avais jamais pensé et c’était encore plus perturbant. Mais c’était ma faute, si je lui avais dit où était le problème, il n’aurait pas eu à fouiller ainsi dans l’intimité de ma vie pour en faire remonter toute la boue.
Papa et Maman s’étaient connus en France, Maman était aux Beaux-Arts. Ils étaient très vite tombés amoureux. Papa avait consenti à venir vivre aux Antilles, près de la famille de Maman. En l’espace d’un an, ils s’étaient mariés et repartis en France, mon père ne trouvant pas sur cette ile sa place professionnelle ni sociale. Et voilà, l’amour s’était éteint et Maman avec.
J’en savais peu sur ma mère, Jean-Claude ne comprenait pas mon manque de curiosité. Je ne le savais pas non plus. Papa m’avait donné cette éducation. Et maintenant j’avais trop de choses dans la tête pour m’infliger le souvenir de cette femme qui, quelque part, m’avait abandonnée. Peut-être qu’à travers elle c’était moi que je détestais d’avoir abandonné mon bébé. Avais-je eu le choix alors ?
La tempête était passée, laissant beaucoup de traces de son ravage mais le calme revenait peu à peu, ainsi va la vie ! On ne peut pas éternellement vivre dans la colère sinon on devient dingue.
Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort.
Je n’avais plus rien à dire à cette famille qui se pensait à l’abri de tout ; la différence s’installait et nous éloignait les uns des autres. Si Papa ne s’était pas enfermé dans son amour avec Marie-Louise peut-être aurait-il lu la détresse dans mes yeux ; Peut-être même que Marie-Louise aurait pu détecter le rapprochement anormal de son fils vis-à vis de moi.
Tant de « peut-être » complètement inutiles maintenant !
Au plus profond de moi, j’aspirais à une vie normale cherchant désespérément la bonne porte de sortie pour trouver le bon chemin.