Le parapluie - Marlène Duchamp - E-Book

Le parapluie E-Book

Marlène Duchamp

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Beschreibung

 Il y a un peu plus de dix ans, un ami m’apprend que, pour Noël, son père lui a offert un parapluie. Ce cadeau m’a semblé très saugrenu. Puis j’ai réalisé que la seule chose que j’avais gardée de mon ex petit ami, c’était le parapluie qu’il m’avait donné… Pourquoi ? Et si, sous son apparence anodine, cet objet contribuait à améliorer nos vies ? Et s’il était doté de pouvoirs ? Allons plus loin, et s’il était investi de missions ?

De là est née l’idée d’un recueil de nouvelles liées par ce parapluie qui déambule d’un personnage à l’autre, témoin d’un moment clé de leur existence. Sous son oeil bienveillant, ils souffrent, s’aiment, vivent, et parfois meurent.

Le recueil se découpe en 8 nouvelles, chacune dans un style narratif différent. Elles prêtent à sourire, à réfléchir, à s’émouvoir.

J’ai pensé ce melting-pot littéraire comme une invitation à profiter pleinement du temps qui nous est offert.

À PROPOS DE L'AUTRICE  

Marlene Duchamp écrit depuis l’enfance, inventant et illustrant des histoires dès le CP. À 10 ans, elle rédige son premier roman sur une machine à écrire, puis tient un journal intime à 13 ans. Au lycée, elle rêve d’écrire avec sa meilleure amie, mais la vie la détourne de l’écriture. Des années plus tard, une idée la pousse à reprendre la plume. Après dix ans de travail, son roman "Le parapluie" voit enfin le jour, touchant profondément ses proches.

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Seitenzahl: 229

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Ähnliche


Couverture

Titre

Le parapluie

de Marlène Duchamp

Le temps d’un roman

Editeur

Collection «Roman»

Aux femmes formidables que le ciel

a placées sur ma route.

Et à mes hommes.

Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas les faire. C’est parce que nous n’osons pas les faire qu’elles sont difficiles.

Sénèque

Le cadeau

Comment se fait-il que les petits enfants étant si intelligents, la plupart des hommes soient si bêtes ? Cela doit tenir à l’éducation.

Alexandre Dumas

Ce n’est pas parce qu’il est bon que je l’aime, c’est parce que c’est mon enfant.

Rabindranath Tagore

J-30 :

Mon cher J, cette année, je m’y prends assez tôt. Tu n’es pas sans savoir que dans un mois maintenant, c’est l’anniversaire de Jules. Il va avoir 40 ans… 40 ans, tu te rends compte ? 40 ans que j’ai mis ce petit bébé au monde !

Oui, je sais, ce n’est plus un bébé, ni un garçon, c’est un homme maintenant, il me le répète assez souvent… Il faut absolument que je trouve LE cadeau parfait.

J-29 :

Je vais aller flâner sur le net pour trouver un cadeau sympa, original et personnalisé. Oui, tu vois, je veux que ce soit son cadeau, à lui, pour lui et pour personne d’autre. Je me suis rendu compte que ces dernières années, je lui avais offert un cadeau de couple : un plateau petit-déjeuner pour deux avec mugs, café et thé (« Merci mais on en a plein des tasses… »), une box pour un week-end en amoureux (« Et qui va garder les enfants ? » Moi, j’aurais pu.), un duo de pyjama pour se blottir l’un contre l’autre (« Bonjour la séduction !! ») Et la liste n’est pas exhaustive… Bref, à chaque fois, j’ai cru tenir la bonne idée, et à chaque fois, je suis tombée à côté. Alors cette année, je pense à mon fils un point c’est tout.

J-28 :

On pense gagner du temps grâce à Internet, tu parles ! Au bout de 3 heures de recherches intensives je n’ai rien trouvé. Enfin si, des tabliers de cuisine à son nom avec des slogans ringards (Ici, le chef, c’est moi !), des serviettes avec de gros biscotos imprimés, même du papier toilette personnalisé (Toujours avec toi…) Ce n’est pas vraiment le message que j’ai envie de lui faire passer. Je n’arrive pas à croire que les gens achètent ces bêtises, ou alors ils ne doivent pas beaucoup aimer ceux à qui ils les offrent !!!

J-27 :

Je l’ai appelé aujourd’hui, pour prendre des nouvelles…La conversation a dû durer… une bonne minute et demie : « Oui, ça va, je vais bien, oui Mélanie aussi, oui les enfants aussi, oui le travail est fatigant, oui l’école aussi, oui il nous reste des bocaux… Maman je dois te laisser, je vais voir ce qu’ils font pour hurler comme ça… oui à très vite. »

J’ai raccroché plus déprimée qu’auparavant. Il est où le temps où l’on pouvait discuter des heures ensemble ? Où il n’attendait pas que je lui pose des questions pour me raconter sa journée ? Où lui aussi s’intéressait à moi ? Que s’est-il passé ? A quel moment a-t-on basculé ?

Je me souviens de lui petit garçon, il devait avoir tout juste 2 ans. Au petit matin, on entendait tip tap tip dans le couloir, il ouvrait la porte de la cuisine à toute volée et lançait un MAMAN enthousiaste en m’apercevant. J’avais alors tout juste le temps de m’accroupir et il se jetait dans mes bras, sans aucune retenue. Il me serrait très fort, tellement heureux de me retrouver après une longue nuit de séparation… Et moi, moi, je souriais en le berçant, lui caressais les cheveux, le respirais, sous le regard attendri de son père… Je savais déjà que ces moments-là étaient précieux.

Lui, il ne s’en souvient pas, mais moi …

On dit que vos enfants restent vos enfants même quand ils sont vieux. C’est faux. Une maman sera toujours une maman mais ses enfants grandissent et finissent par devenir adultes.

J-26

Voilà, c’est ça le message que je veux lui faire passer : « Je serai toujours là pour toi, pour te protéger, te soutenir, et te guider, chaque fois que tu en auras besoin. Comme quand tu étais petit. »

Je me souviens des journées à la plage. Ce que je préférais, c’était le retour, quand tout le monde somnolait dans la voiture. Je me sentais investie d'une grande mission, celle de les ramener à bon port. Il faisait bon dans l’habitacle, la radio chantonnait doucement, et eux, ils dormaient paisiblement, me confiant leur vie sans aucune peur ni retenue. J’étais exactement à ma place. Combien de fois ai-je rallongé le trajet, juste pour profiter un peu plus de ce moment…

Bien sûr, tout n’a pas toujours été toujours facile. Jules n’a pas fait ses nuits avant 18 mois par exemple. Mais ça ne me dérangeait pas de me lever. Je lui chantais une berceuse et le rassurais : « Chut, je suis là ». Et il se rendormait. J’avais accompli ce pour quoi j’étais faite.

C’est fou l’impact qu’une parole ou une caresse peut avoir sur un bébé. C’est magique. C’est ça, il m’a rendue magique.

J-25

Allez, assez de nostalgie, il faut prendre les choses en main : le cadeau, trouver le cadeau qui lui exprimera mes sentiments. Je sais !! Je vais appeler Caroline à l’aide. Elle est toujours de bon conseil.

J-25 bis :

Caroline est injoignable : en vacances avec ses petits-enfants à la montagne. Elle rentre dans 3 semaines… 3 semaines avec ses petits-enfants…

J-20 :

Oui, je sais, mon cher J, je n’ai pas écrit depuis quelques jours, mais j’étais en prospection. J’y étais presque ! J’ai songé à un téléphone portable. Pour le coup, il aurait pu me joindre quand il voulait, et vice versa. Et s’il avait un souci quelconque, il pouvait appeler les secours de n’importe où ! Du coup, je me suis lancée à la recherche d’un téléphone, mais je n’y comprenais rien : 3G, 4G, MMS, SMS, 4 gigas, abonnement, forfait… On ne parlait pas le même langage avec le vendeur. Je voulais juste un téléphone pour téléphoner. J’ai fini par appeler mes petits-fils à l’aide. Ils ont bien essayé de m’expliquer, mais quand ils ont compris que c’était pour leur père : « Oh, laisse tomber mamie, maman vient de lui offrir le tout dernier smart phone ! »

C’est quoi un smartphone ?

J-18 :

Caroline est la meilleure : elle m’a rappelée. D’après elle, si je veux lui faire un cadeau vraiment personnalisé, il faut que je le fasse moi-même ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? C’est vrai que Jules adorait ça enfant : les tee-shirts sur lesquels je dessinais des petites voitures ou des soleils, les gâteaux d’anniversaire en forme de bateau pirate pour épater ses copains, et même les pulls avec ses initiales brodées pour que personne ne lui « emprunte » à l’école. Oui, voilà ! Un pull !! Je dois bien avoir assez de laine avec toutes mes pelotes dépareillées pour lui faire un joli pull bigarré comme avant, mais taille 42 !! Je suis très enthousiaste !!! Par contre, il ne va pas falloir perdre de temps, moins de 3 semaines, ça va être court ! Alors, désolée mon cher J, mais je te laisse !!! Youpi !

J-17 :

Bon, il faut que je me rende à l’évidence, je n’ai plus la dextérité ni les yeux d’autrefois. Je n’ai réussi à tricoter qu’une dizaine de centimètres en une journée… Je te le dis, ce n’est pas beau de vieillir…

Mes yeux se fatiguent plus vite, j’ai besoin de lunettes pour voir de près, d’autres pour voir de loin. Je ne peux plus coudre (enfiler le fil dans le chat de l’aiguille relève de l’exploit). Rappelle-toi mon cher J, quand je passais des nuits entières, suspendue aux basques de Fitz Chevalerie ou de Jamie Fraser, me disant, « Allez un chapitre et j’éteins. » tout en sachant que oui, j’éteindrai, mais à la fin du livre !! Et aujourd’hui, au bout d’un quart d’heure à peine ma vue se brouille. Bientôt je vais devoir passer aux livres audio... Quelle horreur ! Et je ne te parle même pas d’aller à la piscine…. Tout ce qui me plaisait m’est insidieusement retiré petit à petit.

Mais je ne m’avoue pas vaincue, je vais transformer ce pull en bonnet ! Deux semaines pour un bonnet, c’est largement faisable !! Et je pourrai même rajouter une écharpe qui sait !

J-13 :

Mon cher J, tu peux être fier de moi : ça y est, j’ai fini le bonnet !!! Si tu pouvais le voir, tu t’extasierais !! Il est magnifique, avec des rayures multicolores chatoyantes. Et le détail qui fait toute la différence : 40 ANS en lettres noires sur le devant !!!! Bon, je reconnais que ça a été plus difficile que je ne le pensais. Je n’ai presque pas dormi depuis 3 jours. J’ai dû le défaire une bonne vingtaine de fois (une maille qui saute et c’est tout un rang qui est fichu). Mais non, rien de rien, non, je ne regrette rien !

Encore une dizaine de jours à attendre avant de pouvoir l’offrir à mon Jules…

J-12 :

J’ai ressorti l’album photo hier soir. Je le feuilletais distraitement en laissant les souvenirs remonter … J’ai marqué un temps d’arrêt devant sa photo de classe de 4ème. C’est l’année où il a fait partie d’une « bande de copains ». Je n’arrêtais pas de me demander : Que font-ils en ce moment ? Où sont-ils ? Est-ce que ce sont des garçons bien ? Ne vont-ils pas forcer Jules à faire des bêtises ? Fumer, boire, se droguer, pire : se tatouer ? En particulier le fils du boucher, avec son blouson en cuir et son piercing à l’oreille… Et je retournais la situation dans ma tête. Que pouvais-je faire ? Que devais-je faire ? Valait-il mieux lui interdire de les fréquenter, au risque qu’il continue de les voir en cachette ? Ou bien les inviter à la maison, histoire de les avoir sous les yeux ? Mais cela équivaudrait à une approbation de ma part, alors que ça non, je n’approuvais pas du tout ses « amis » !

Quel dilemme… On veut toujours le meilleur pour ses enfants, mais il n’y a pas de mode d’emploi, et ce qui est le meilleur pour nous est-il le meilleur pour eux ?

J-11 :

Comme tous les premiers dimanches du mois, Jules et sa famille sont venus déjeuner, et comme les premiers dimanches du mois, ils sont repartis immédiatement après le repas… Un jour par mois à consacrer à sa maman, ce n’est pas trop demander si ? ! Après tous ces après-midis à l’accompagner à ses matchs de foot, toutes ces nuits blanches à attendre qu’il rentre entier, tous ces matins où je l’amenais à pied à l’école malgré le vent et la pluie, pour faire plaisir à monsieur… Et aujourd’hui… une visite par mois, de quelques heures et « On ne va pas tarder, faut qu’on rentre parce que blabla bla » Je n’écoute même plus ses excuses. Tous les enfants sont-ils aussi ingrats ?

Ai-je été aussi ingrate ?

J-11 un peu plus tard… 

Mon cher J, je reviens vers toi pour m’excuser. J’ai été injuste envers Jules et je te dois la vérité…enfin je me dois la vérité, parce que se mentir, c’est le début de la fin…

Si je suis si déçue par cette journée, c’est parce qu’à la fin du repas, les loustics ont voulu regarder l’album photo que j’avais laissé sur le buffet. On y voit Jules à chaque moment important de sa vie : anniversaires, Noëls, première dent de lait qui pousse puis qui tombe, première balade à vélo, première virée à moto… Les enfants se moquaient gentiment des coupes de cheveux de leur père quand Mélanie a dit : « Et on ne parle même pas de tes goûts vestimentaires, non mais regarde ce pull !!! » Ce à quoi Jules répond : « Je reconnais, que là, j’ai fait fort ! Mais à ma décharge, je ne choisissais pas mes habits, je les subissais ! ». Voilà que tout le monde éclate de rire, moi y compris, jusqu’à ce que je m’aperçoive que ce fameux pull, c’était moi qui l’avais tricoté…

J’ai rangé l’album photo au fond du placard, avec le bonnet…

J-10 :

Retour à la case départ. Il me reste moins de 2 semaines à présent…

Réfléchissons… un cadeau personnalisé d’une mère pour son fils et dont il n’aura pas à avoir honte dans une vingtaine d’année…Réfléchis, allez, réfléchis… Pff ! C’est plus fort que moi, je n’arrive pas à me concentrer, je pense toujours à l’album …

Mais oui, les photos, c’est ça l’idée !!!

Voilà : ma photo préférée : Jules, 5 ans, assis sur le fauteuil en osier dans la véranda et moi debout derrière lui, les mains sur ses épaules, souriants à l’objectif. Un instantané de bonheur…Je vais le pousser à reprendre la même pose pour une même photo, 35 ans plus tard ! Je pourrai rajouter une légende du style « Mère et fils unis pour la vie » ou « Les années qui passent n’entament pas notre amour ».

Je vais faire retirer et agrandir l’ancienne photo pour lui offrir les deux !

Il ne reste plus qu’à trouver un prétexte pour le faire venir avant le mois prochain.

J-9 :

Ça y est, je suis passée chez le photographe. J’aurai l’agrandissement dans cinq jours ! Juste à temps ! Et il m’a affirmé qu’avec les technologies actuelles, le résultat devrait me surprendre, j’ai hâte !

En parallèle j’ai prétexté un problème avec mon appareil : Jules doit venir cet après-midi pour y jeter un œil, j’en profiterai pour le photographier à ce moment-là ! Je suis diabolique  😊

J-8 :

Jules et Mélanie sont passés hier. J’avais volontairement basculé le curseur sur « macro » au lieu d’ « automatique ». Du coup, toutes les photos étaient floues… Il n’a pas fallu longtemps à mon Jules pour comprendre d’où venait le souci… Je l’ai fait asseoir dans le fauteuil en osier pour « m’entraîner à prendre des photos » et pour « avoir une photo récente de lui » J’ai demandé à Mélanie de nous prendre en photo lui et moi. J’ai posé mes mains sur ses épaules, lui les siennes sur les miennes… J’ai cru un instant retrouver mon petit garçon… Et nous voici partis pour une séance photo ratée : il gesticulait, grimaçait, ne regardait pas l’objectif… Impossible d’avoir un beau portrait. Il commençait à s’agacer et moi, j’avais les larmes aux yeux. Je suis allée me moucher. Mélanie s’en est rendue compte, elle est allée se placer derrière Jules, l’a pris dans ses bras et a murmuré : Allez, tu peux bien faire un effort pour ta mère. Alors ils ont pris la même position que nous deux plus de 30 ans auparavant. Jules avait un sourire radieux en serrant les mains de sa femme et moi…moi, j’ai appuyé sur le déclencheur.

J-7-6 :

Rien…

J-5 :

Le photographe m’a appelée. Je suis allée chercher l’agrandissement ce matin. Il avait raison : la photo est magnifique.

Je l’ai accrochée dans le placard de ma chambre.

J-4 :

A peine rentrée, Caroline m’a appelée pour savoir où j’en étais de mes recherches. On a bien failli se disputer au téléphone. Elle avait du mal à comprendre l’importance que cet anniversaire revêt à mes yeux. Pour elle, il s’agit juste de marquer le coup. Un parfum ou une nouvelle chemise ferait très bien l’affaire. Pourquoi est-ce que je me prends autant la tête m’a-t-elle reproché ! Je n’ai qu’à rajouter une carte avec Je t’aime écrit en gros en rose et le tour est joué !

Tout est facile pour Caroline, je l’envie.

Mais c’est vrai, pourquoi cet anniversaire est-il si important ? Peut-être parce que c’est peut-être le dernier ? Si je venais à mourir, je ne peux pas laisser à mon fils un simple parfum comme souvenir… Je veux lui témoigner mes sentiments, une fois encore, au travers d’un objet qui me survivra…

Je crois que Caroline a fini par comprendre. Elle m’a proposé de la retrouver au centre commercial demain matin vers 10heures pour une ultime chasse aux trésors.

J-3:

Hip hip hip hourra!!! On peut dire que ça n’aura pas été facile mais nous avons réussi ! Il était près de 17 heures quand, fourbues d’avoir arpenté les allées toute la journée sans succès, nous nous apprêtions à rentrer. Et là, le ciel nous a fait un signe, un vrai signe ! A travers la verrière nous avons aperçu quelques gouttes de pluie qui crépitaient gentiment. Comme si la pluie frappait à la fenêtre pour nous dire : hou hou, je suis venue pour toi. Caroline et moi nous sommes arrêtées. Le temps s’était figé. Autour de nous les passants continuaient leurs achats mais ils se déplaçaient au ralenti. Nous nous sommes retournées l’une vers l’autre et avons murmuré : un parapluie !

Et là, c’était comme dans les films, nous nous sommes mises à parler en même temps, à finir les phrases commencées par l’autre : un parapluie bien sûr, toujours là quand on en a besoin, il nous met à l’abri, il nous protège, il prend soin de nous comme notre maman autrefois… le cadeau parfait. J’avais envie de rire et de pleurer en même temps !

Je dois reconnaître que le bijoutier a fait une drôle de tête quand je lui ai demandé de graver les initiales de Jules Duprès sur le manche. Mais ce sera SON parapluie à lui et à personne d’autre !

Jour J :

Ce soir, c’est le grand soir, l’anniversaire de mon Jules. Promis, je vais essayer de ne pas raconter une énième fois mon accouchement, les longues heures de souffrance, la délivrance quand la sage-femme l’a enfin sorti, la peur quand on a vu le cordon autour de son cou, le soulagement quand son petit doigt bleu s’est teinté en rose et le sentiment de plénitude quand, posé sur ma poitrine, j’ai vu pour la première fois le grain de beauté sur son crâne, luisant tel un poinçon, témoignage de sa valeur inestimable. Mon fils, à moi.

Promis, ce soir, je ne serai pas nostalgique. Je vais profiter du moment présent. Je suis tellement impatiente de lui offrir son cadeau !

J+1 :

Réaction de Jules : Franchement maman, pour une fois, tu aurais pu faire un effort…

Jules

Respire, tu es vivant !

Thich Nhat Hanh

Jules Duprès sifflotait en se rendant au salon de coiffure. Le bilan de sa quarantaine était plutôt positif. Une femme qu(i)’il (l’) aimait, deux garçons attachants, une maison à moitié payée, un CDI et encore de belles années devant lui. Que demander de plus ?

Ce matin, son épouse avait oublié son parapluie chez « Tif’heure ». Et même si Jules n’y était pas particulièrement attaché, il savait que sa mère serait extrêmement peinée s’il le perdait. Elle avait même fait graver ses initiales sur le manche…

Mélanie devait le récupérer dans la soirée mais aujourd’hui, c’était leur anniversaire de mariage. Jules imaginait déjà le sourire de sa femme lorsqu’il lui annoncerait qu’au lieu de traverser la ville à la recherche du parapluie perdu, ils iraient dîner au restaurant sans les enfants…

En ouvrant la porte, il fut assailli par diverses effluves. Il n’avait jamais su discerner l’âpreté des permanentes du sucré des laques ou du piquant des décolorations oxygénées. Le parfum même des clientes s’ajoutait à ces fragrances qui s’amalgamaient jusqu’à former un nuage à la senteur unique, annonciateur d’un moment agréable à passer. Enfant, il accompagnait sa mère lors de son rendez-vous mensuel. Il s’asseyait alors dans un coin et feuilletait le dernier journal de Mickey. La coiffeuse lui proposait un verre de chocolat au lait pour le faire patienter. Il lui arrivait parfois de s’endormir, roulé en boule sur le sol, bercé par le ronronnement des sèche-cheveux, les discussions légères, le bruissement des pages des magazines et le léger frottement du balai. Lorsque arrivait LE moment, celui tant attendu, on venait le réveiller, une couverture moelleuse sur le dos : sa mère allait ôter le casque chauffant. Elle passait alors du statut de cosmonaute à celui de la plus belle femme du monde. A cet instant, dans l’atmosphère sécurisante du salon, il éprouvait toujours une agréable sensation de satiété : odorat, goût, ouïe, toucher, vue, tous ses sens étaient comblés. Le petit garçon qu’il était ne pouvait analyser ce sentiment, il savait juste que là, maintenant, il était bien.

Jules ferma les yeux, essayant de retrouver les plaisirs d’antan. Les odeurs, les parfums, les bruits de fond, tout était là, mais lui n’était plus un enfant à présent.

Le parapluie attendait près de la fenêtre mais Jules n’était pas pressé. Il se cala dans un fauteuil, se cacha derrière un magazine et épia les conversations tout en sirotant une tasse de thé chaud, piètre substitut du chocolat d’autrefois. Il aimait ce lieu où les gens se rencontraient et se racontaient dans « l’intimité ». Les hommes allaient au bar, les femmes chez le coiffeur. Rien de tel pour se tenir au courant des dernières histoires d’argent, de pouvoir, de sexe. Les trois choses qui font tourner le monde.

Madame X détaillait les ronflements de son mari, responsables de sa mauvaise mine…d’où ses visites régulières au salon pour retrouver forme humaine. Madame Y, elle, se vantait d’avoir gagné aux courses mais continuait à mener une vie simple pour ne pas éveiller les soupçons. Madame Z se plaignait de l’institutrice de son petit dernier. Elle était obligée de tout reprendre à la maison.

Jules sourit en entendant les coiffeuses compatir … Mais rien de tout cela n’était suffisamment distrayant. Il espérait entendre quelque chose de plus savoureux qu’il aurait pu raconter au dîner, en ne mentionnant pas les véritables noms bien sûr, à moins que son épouse ne se montra particulièrement gentille.

Il s’apprêtait à renoncer lorsqu’un éclat de voix attira son attention. C’était la patronne en personne. Pour qu’un potin la mette dans cet état, ce devait vraiment être croustillant. Jules tendit l’oreille mais ne perçut que des bribes de conversation dans le brouhaha ambiant :

Vous êtes sûre ? … Et depuis longtemps ? …Un bel homme, étranger apparemment… Une femme si bien sous tout rapport… Oui, dans un couple, on ne sait jamais…Et qui d’autre est au courant ? … plus jeune qu’elle en tout cas…Depuis 5 mois environ… Tous les mercredis je vous dis…

Discrètement, Jules changea de fauteuil pour se rapprocher des deux commères. Lorsqu’il se rassit, son téléphone claironna joyeusement. Il se releva en souriant et s’apprêtait à s’excuser quand le silence tomba sur le salon. Même les sèche-cheveux se turent. La patronne rougit violemment. Les clients gênés détournèrent le regard, alors que les curieux le dévisagèrent : alors c’était lui, le cocu…

Jules sortit du salon, abattu, et oublia le parapluie.

Juliette

Vivre est ce qu’il y a de plus rare au monde.

La plupart des gens existent, c’est tout.

Oscar Wilde

Destin s’ennuyait ferme devant ses écrans de contrôle. A une époque pas si lointaine, les gens croyaient encore en lui, il était tout puissant : « On ne peut rien contre le Destin / Ce n’est pas ta faute, c’est le Destin / Un coup de pouce du Destin, ça ne serait pas de refus… » Mais aujourd’hui, il était réduit à regarder les êtres humains se démener sans lui. Ils voulaient tout contrôler, tout maîtriser. Ils ne laissaient plus aucune part au hasard, à la chance ou au Destin.

Son attention fut attirée par une femme d’âge moyen qui l’invoquait sans même sans rendre compte…

Juliette rongeait son frein pendant que la visagiste s’extasiait devant cette nouvelle coiffure qui semblait faite pour elle. Ce soir, elle avait prévu une soirée entre filles et avait décidé de changer de tête pour se mettre dans l’ambiance. Mais franchement, avec cette coupe, c’était ambiance film d’horreur garantie. De toute façon, elle n’était jamais satisfaite du résultat. Pourquoi s’obstinait-elle à aller chez le coiffeur ? Au moment de sortir du salon, une averse s’abattit sur la ville. Il ne manquait plus que ça. Non seulement elle avait une tête affreuse, mais bientôt elle aurait une tête affreuse et mouillée ! Quand le Destin s’acharne, on ne peut pas lutter.

Comment ? Cette effrontée croyait vraiment que le Destin en personne s’intéressait à elle ? Il s’abaisserait à déclencher une averse juste pour l’empêcher d’aller à sa soirée ? Ah ! Mais puisqu’elle l’avait invoqué, elle allait voir ce dont il était réellement capable. Une simple averse, pff ! il pouvait faire tellement mieux… Il repéra la voiture de Juliette et décida de s’amuser un peu…

Juliette se mit à courir sous la pluie. Elle déverrouilla sa portière et se jeta dans l’habitacle. Si elle se dépêchait, elle avait encore le temps de prendre une douche, chaude cette fois-ci, et un thé revigorant avant de sortir. Elle tourna la clé, mais rien ne se passa. Elle réessaya…rien. Sa batterie l’avait encore lâchée. Pourtant, elle l’avait changée le mois dernier… Sa coupe était fichue, sa soirée était fichue, d’ailleurs, c’était toute sa vie qui était fichue. Qu’avait-elle fait pour mériter ça ? Ses nerfs lâchèrent et Juliette s’effondra en pleurs sur le volant.

Destin rigolait doucement en la regardant s’acharner sur la clé. Mais l’amusement ne dura guère. En fait, ce n’était pas si distrayant d’empoisonner la vie des autres… Après tout, comme elle se le demandait, qu’avait-elle fait pour subir cela ? Il rembobina la vie de Juliette et se la passa en accéléré : une enfance sereine, des études sérieuses, un métier qu’elle avait choisi, un compagnon, une maison, un chat et deux poissons rouges…Bref, rien ne détonait dans sa vie. Il coupa l’enregistrement et revint au présent. Juliette sanglotait à présent dans sa voiture. Il eut pitié d’elle et honte de lui. Rien ne détonnait… justement. Elle l’avait invoqué, et bien soit, il allait l’aider. Un coup de pouce du Destin, ça ne se refuse pas ! Il claqua des doigts et…

Quelqu’un frappait à la vitre. Juliette s’essuya les yeux et ouvrit la portière. S’étant aperçue que sa cliente n’avait pas encore démarré, la coiffeuse venait s’assurer que tout allait bien. Juliette la remercia de sa sollicitude et la rassura. Juste un problème de batterie, elle n’avait plus qu’à marcher pour rentrer chez elle. La patronne lui tendit alors son parapluie. Il avait été oublié par une cliente. Juliette n’eut pas le temps de répondre que déjà cette bonne âme repartait en courant vers son salon. Bon, un parapluie, c’était déjà ça.



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