Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Marie, veuve, fait la connaissance d’Édouard sur un site de rencontres. Après quelques hésitations, ils se mettent ensemble et leur relation s’épanouit jusqu’à ce que l’ex-épouse d’Édouard réapparaisse dans la vie de ce dernier. Comment écarter cette menace pour sauver leur bonheur tout neuf ? Quel sera le choix d’Édouard ?
À PROPOS DE L'AUTEURE
Ysa Belaenden est passionnée de littérature anglaise et française. Professeur d’anglais en lycée depuis plus de 30 ans, ce premier roman lui a permis de renouer avec la langue française et fut une véritable thérapie face à la morosité générale due à la Covid et aux confinements qui ont suivi.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 252
Veröffentlichungsjahr: 2023
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Ysa Belaenden
Le pardon
Roman
© Lys Bleu Éditions – Ysa Belaenden
ISBN :979-10-377-8547-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mes filles chéries,
à Joseph, mon bel amour portugais
Marie se regarda dans le miroir de la salle de bains. L’image que celui-ci lui renvoya lui plut. Elle avait dépassé le cap des cinquante ans, mais son visage reflétait sa quiétude intérieure, ce qui la rajeunissait considérablement. Elle s’efforçait de respecter son corps grâce à une hygiène de vie naturelle. Une alimentation équilibrée, beaucoup de sport, des nuits d’un sommeil réparateur, peu d’alcool, pas de cigarette et surtout rire et faire la fête dès que l’occasion se présentait. C’était là son secret de jeunesse. Elle sourit à son reflet puis commença à faire des grimaces pour tester l’élasticité de sa peau. Un peu de crème hydratante l’aiderait à l’assouplir, desséchée par le soleil des Alpes. Très brune à vingt ans, elle avait eu des cheveux blancs assez tôt qu’elle avait essayé de masquer pendant des années. Mais elle avait fini par tirer un trait sur ses cheveux bruns au profit d’une coupe blonde très courte. Celle-ci lui donnait un air dynamique qu’elle aimait beaucoup. Elle gardait les sourcils bruns, ce qui soulignait ses yeux rieurs couleur noisette. Des hommes se retournaient encore dans la rue. Ceci la rassurait là où d’autres auraient désapprouvé, se sentant insultées ou salies. Marie était née sous une bonne étoile, prenait la vie comme elle se présentait et choisissait toujours de voir le bon côté des choses. Elle fit quelques étirements avec précaution. La veille, elle s’était coincé le dos en retirant ses chaussures de ski. Résultat, ce matin, elle n’avait pas pu accompagner Léa et Max sur les pistes malgré ce beau soleil prometteur. Elle avait fait une grasse matinée à la place, chose infiniment rare. Sa toilette terminée, elle alla s’asseoir sur le balcon, face aux pistes. Il y avait beaucoup de monde en cette période de vacances de Noël. Ce n’était pas encore l’affluence des vacances de février, mais la file d’attente en bas des télésièges s’allongeait de minute en minute.
Léa avait fini par la convaincre de se joindre à eux pour cette semaine de vacances à la neige. L’appartement qu’ils louaient était simple, mais lumineux et chaleureux, équipé de deux chambres, la cuisine et le salon donnaient sur le balcon, face aux pistes. Ils étaient à Avoriaz depuis le samedi précédent et avaient pu profiter du beau temps pour skier tous les jours jusqu’à ce qu’elle se fasse mal au dos. Bah, elle avait sans doute abusé du ski : elle n’avait plus l’âge de Léa et de Max, skier 5 ou 6 heures par jour devenait difficile… Un jour de repos ne lui ferait pas de mal. Elle ouvrit son portable et lut quelques messages. Ses amis lui souhaitaient leurs meilleurs vœux pour cette nouvelle année. Elle allait leur répondre. Déjà une année, songea-t-elle. C’est fou comme le temps passe vite ! Cela fera bientôt 3 ans que Claude n’est plus là… Pouvait-elle dire qu’elle avait retrouvé un semblant de bonheur ? Ils s’étaient aimés jusqu’au bout. Elle était restée auprès de lui jusqu’à ses derniers instants de lucidité. Puis, il s’était endormi pour ne plus jamais se réveiller. Marie avait simplement poursuivi son chemin, remplie de souvenirs heureux, avec le sentiment d’avoir pleinement aimé, refusant de pleurer ce qui n’était plus. Elle avait recréé un équilibre, entre ses trois filles, ses trois princesses adorées, son travail qu’elle aimait toujours autant et sa mère qui lui demandait de plus en plus de temps et d’écoute. Son père était parti en quelques jours, prenant sa femme au dépourvu. Elle avait beaucoup de mal à vivre seule à présent, dans cette maison qui avait vu naître ses deux filles, Marie et Jeanne.
Cette semaine à la neige lui faisait du bien. Elle avait rompu avec ses habitudes, suspendue entre ciel et terre, à plus de 2000 m d’altitude. C’était le moment béni de la parenthèse où on s’autorise à prendre le temps de souffler, de faire le point tout en se faisant plaisir… Marie étouffa un bâillement et s’étira à nouveau sur le balcon. Mon dos semble se remettre, songea-t-elle. Je vais pouvoir aller marcher un peu ce midi et profiter de ce beau soleil. Elle enfila son blouson, prit un sac à dos et chaussa ses après-skis avec précaution. Pas la peine de te refaire mal, hein, Mamie, se moqua-t-elle tout haut. L’humour lui avait toujours permis d’affronter bien des obstacles et elle comptait s’en servir encore. Elle sortit de l’appartement, ferma à clé et se mit en marche d’un pas lent et posé. Après une trentaine de minutes de marche dans la neige, elle sentit un craquement indolore dans le bas du dos : la vertèbre avait retrouvé sa place, enfin ! Soulagée, Marie prit un rythme plus rapide et attaqua la montée près des télésièges. Elle se souvenait que là-haut se trouvait un bar qui proposait également une restauration le midi. Un air de musique la guida jusqu’à la terrasse. Un violoniste jouait devant des clients installés dans des chaises longues, au soleil. Marie sourit, s’imaginant dans l’une d’entre elles. Ah ! Que la vie peut être belle, quand on le veut ! se dit-elle, quelques minutes plus tard, affalée dans sa chaise longue. Le violon était électrique et jouait des airs plutôt planants. Bercée par la musique et caressée par une brise rafraîchissante, elle laissa son esprit vagabonder. Elle pensa au dernier Noël qu’elle venait de vivre. Elle avait reçu ses trois princesses et leur compagnon, ainsi que sa petite Lilou, qui aurait bientôt deux ans. Le jour de Noël, elle s’était rendue à l’hôpital pour manger avec sa mère. Elle a pu passer Noël en famille quand même, pensa-t-elle, et ses petits-enfants sont quasiment tous passés dans l’après-midi.
Ah, sa mère ! Marie esquissa un sourire mi-amusé, mi-agacé. Quelle force ! Quel caractère ! Âgée de plus de 88 ans, c’était encore elle qui dirigeait tout son petit monde autour d’elle. Hospitalisée pour faiblesse cardiaque, elle s’était très bien intégrée dans le monde hospitalier. Elle s’y était vite fait des amis parmi les malades ou le personnel soignant. Elle s’y trouvait si bien qu’elle avait tout bonnement refusé de quitter l’hôpital pour passer les fêtes chez elle. Elle avait préféré rester dans sa chambre d’hôpital au grand désespoir de quelques infirmières et d’aide-soignants qui tentèrent de lui expliquer en vain qu’elle prenait peut-être la place de quelqu’un d’autre peut-être plus handicapé qu’elle. Appuyée sur sa canne, elle passait ses après-midi à arpenter les couloirs encombrés et rendait visite à ceux qui ne pouvaient pas quitter leur lit. Elle avait même réussi à convaincre le cardiologue qui la suivait qu’elle serait mieux à l’hôpital pour passer les fêtes que chez elle, seule maintenant que son mari n’était plus là. « Soixante-deux ans qu’on a vécu ensemble ! Comment voulez-vous que je vive seule maintenant ? » disait-elle à qui voulait bien l’écouter. Ici, on s’occupait bien d’elle et elle se sentait rassurée. Elle est pourtant loin d’être seule, pensa Marie. Ses petits-enfants prennent soin de l’appeler et ils viennent régulièrement. Elle est bien entourée, les voisins sont là en cas de besoin… Je me demande si elle se rend compte de la chance qu’elle a. Bien sûr, toutes ces marques d’affection ne remplacent pas un mari. Je suis certaine qu’il veille sur elle, de là-haut, avec mon Claude… Marie s’enfonça davantage dans sa chaise longue et sentit la chaleur bienfaisante du soleil sur son visage. Ah, les vacances ! Je peux souffler un peu et profiter de la vue splendide, se dit-elle en admirant les cimes bien dégagées en face d’elle. Et puis, poursuivit-elle involontairement, Jeanne a pris le relais… Elle s’est installée chez Maman pour les vacances. Elle sera plus près de l’hôpital…
Sa sœur ! Jeanne, si différente et pourtant ayant reçu la même éducation. C’est fou comme on peut vivre ensemble pendant ses premières années puis se forger des chemins si différents, pensa Marie tristement. J’espère seulement qu’un jour elle trouvera enfin le bonheur sur sa route.
Après un divorce douloureux, Jeanne s’était relevée, pensant trouver le bonheur auprès de ses trois enfants. Peu à peu, cependant, elle s’était rendu compte qu’ils avaient leur propre vie à construire et qu’elle devait trouver une autre raison de vivre. Le départ prématuré de leur père avait joué un rôle déclencheur : elle s’occuperait de sa mère jusqu’au bout. Elle voulait être son bâton de vieillesse, leur mère pourrait se reposer sur elle. Elle avait enfin retrouvé un but dans sa vie devenue si vide avec le départ de ses enfants. Elle voulait devenir un modèle pour les autres, pour ses enfants et aussi pour Marie peut-être, sa sœur qu’elle trouvait si différente, si dérangeante parfois… Mais elles étaient issues de la même famille et Marie avait choisi de l’aimer telle qu’elle était.
Marie se ressaisit et jeta un coup d’œil à sa montre. Bientôt 15 h ! Elle s’était assoupie, bercée par le violon et caressée par les rayons du soleil. Elle régla sa consommation et entreprit la descente. Il fallait compter une bonne heure d’un pas tranquille avant de retrouver le cœur de la station où se trouvait leur appartement. Elle avait quelques courses à effectuer pour compléter le dîner et prévoir le pique-nique du lendemain.
Elle croisa Léa et Max en bas des pistes qui lui firent signe. Les télésièges n’allaient pas tarder à fermer pour la nuit et ils voulaient encore faire une dernière descente.
À peine rentrée à l’appartement, elle entendit la porte s’ouvrir. Les enfants étaient de retour.
— Coucou Maman ! On est rentrés. C’était trop cool cet après-midi. Et toi ? Tu t’es baladée ?
— Oui. J’ai trouvé un sentier près des télésièges. Il monte jusqu’au plateau où se trouvent les chiens de traîneau. Tu vois où ? C’est super beau et si calme ! J’ai même déjeuné en terrasse avec ce beau soleil !
— Cool ! répondit Léa en l’embrassant gaiement. Et tu feras encore la grasse mat’ demain matin ?
— Ça va mieux ton dos ? demanda Max gentiment.
— Oui, mais je préfère jouer la prudence, répondit Marie en lui faisant un clin d’œil. Je crois que je pourrai skier avec vous demain après-midi. Demain matin, je préfère monter au glacier. La vue doit être fantastique là-haut !
Léa a bronzé sur son nez et ses yeux pétillent… songea-t-elle en la regardant tendrement. Je suis contente pour elle… Elle aussi a eu ses galères et mérite d’être heureuse. Léa terminait sa deuxième année de BTS. Elle avait choisi de le faire en alternance. Elle n’avait jamais aimé les études et pouvoir travailler tout en étudiant lui allait à ravir. Sa fille était épanouie, heureuse d’avoir rejoint le monde des adultes et d’être considérée comme telle.
— Maman, tu as pensé à Claire ? C’est son anniversaire aujourd’hui. On lui a envoyé un snap !
— Oui, oui. J’ai appelé ta sœur tout à l’heure. Ça avait l’air d’aller. Toujours ses angoisses pourtant… Ça allait mieux, j’ai du mal à comprendre…
— Mais non, c’est simple. Elle a vécu en couple presque quatre ans et depuis qu’ils se sont séparés, elle se retrouve toute seule dans cet appart qu’ils avaient choisi à deux ! elle n’y est plus bien. C’est normal, non ?
— Oui, tu dois avoir raison… Mais il y a ce Julien maintenant, non ?
Claire travaillait depuis septembre dans un grand hôtel où elle excellait à la réception. Elle avait trouvé sa voie : travailler dans l’hôtellerie. Gérer les clients, s’occuper des petits-déjeuners, organiser la tournée des femmes de chambre, Claire adorait son nouveau métier et s’imaginait à la tête d’un petit hôtel familial plus tard, ce serait son hôtel… Et puis elle avait rencontré Julien, le gars de la réception de l’autre hôtel, juste à côté… Gentil, plutôt beau gosse, elle avait le sentiment qu’une nouvelle vie s’offrait à elle et que ce qu’elle avait vécu avec son bel Argentin était bel et bien terminé.
— Ah oui, Julien… Elle ne nous l’a pas encore présenté en tout cas, répondit-elle d’un air entendu. Maman, on va boire un verre, Max et moi. On sera de retour vers 20 h. Ça te va ?
— OK ma chérie. Profitez bien ! demain, c’est déjà la dernière journée. Je vais préparer le repas pendant ce temps.
Demain, déjà le dernier jour ! songea Marie alors que la porte se refermait sur les enfants… Le retour est prévu samedi matin. J’espère qu’Edouard ne va pas m’oublier à la descente du bus ! Heureusement qu’il est là, mon Edouard… Je l’ai rencontré juste quand Papa était sur le départ. Il m’a beaucoup aidée moralement. Il s’occupe super bien de la maison pendant mon absence et de Doggy surtout… Je vais l’élire sex-friend de l’année ! Sex-friend, c’est déjà bien… On se voit quand on en a envie, c’est si facile. De toute façon, personne ne pourra réellement remplacer Claude… Oui… Mais… est-ce vraiment ce que tu veux, Marie ? Toute cette année avec lui, c’était bien, mais tu ne le voyais pas si souvent que cela… Il y a eu bien des soirs où tu aurais aimé qu’il soit là, près de toi, présence réconfortante dans ton lit, contre laquelle tu peux te pelotonner, t’endormir en sécurité. Ah… On verra ce que cette nouvelle année apportera… Lâche prise, fais confiance en la vie, ma belle… Rappelle-toi ton guide, le yoga ! Elle relut le message qu’elle lui avait envoyé à la nouvelle année : « Happy New Year, my sex-friend. Prête pour renouveler cette aventure en cette nouvelle année, et toi ? »
*
Les enfants sont partis skier de leur côté et je vais les rejoindre cet après-midi. Du temps pour moi, seule, c’est bien aussi, j’en ai vraiment besoin, pensa Marie en se faisant une place dans la queue qui se formait devant les œufs. Ceux-ci montaient au glacier à plus de 3000 mètres d’altitude. Le soleil s’était levé derrière les montagnes et à 10 heures du matin, il resplendissait déjà, gage d’une magnifique dernière journée de montagne. Le paysage qu’elle découvrit à travers les vitres était époustouflant. Toute cette blancheur étincelante au soleil à 360 degrés autour d’elle, le Mont blanc en face, entouré d’autres sommets tout aussi enneigés. Arrivée là-haut, elle s’éloigna des skieurs qui empruntaient les deux pistes noires plus bas menant à la vallée et suivit un chemin tracé dans la neige. Il menait d’abord à un point de vue puis à une table d’orientation. Le froid était piquant à cette altitude et le vent s’engouffrait entre les roches de la paroi verticale à sa droite. C’est là qu’elle reçut le message d’Edouard :
« Bonne année à toi aussi. Je ne crois pas que sex-friend soit possible pour cette nouvelle année. Doggy va bien, les chats aussi. » Marie chancela sous le choc.
« Bjr. Que veux-tu dire ? » Quelques instants, une éternité avant de recevoir sa réponse.
« Je ne suis pas amoureux. Je suis malheureux. Je ne te conviens pas. »
Que lui répondre ? Mais moi, je l’aime !
« Tu es sûr ? Je t’aime et j’aimerais vraiment te garder… Comme sex-friend si cette façon de se voir te plaît »
Elle sentit tout son corps se refroidir et reprit sa marche le long du sentier menant aux œufs.
Le temps de finir la boucle, dans un état second, elle s’engouffra dans un œuf, heureusement vide, personne ne verrait ses larmes…
« Je ne suis pas l’homme qu’il te faut. Tu as déjà cherché dans les sites de rencontre, continue, tu trouveras. Bonne chance. »
« Bon… répondit Marie, je respecte tes choix. Si c’est ce que tu souhaites… »
Il disait vrai. Marie s’était baladée de profil en profil, s’amusant de l’un ou de l’autre, envoyant un like ici ou un cœur là. Façon comme une autre de passer le temps les soirs où son petit ami n’était pas disponible et de toute façon, elle le lui avait dit. Elle le taquinait avec cela, un peu comme une menace qu’elle faisait planer au-dessus de sa tête. Il ne voulait pas s’engager davantage, ce n’était plus ce qu’elle désirait, à présent que son deuil était terminé, elle avait besoin d’un homme fidèle, quelqu’un avec qui construire un bout de chemin stable et rassurant. Jusqu’à présent, cela ne l’avait pas fait changer d’un iota… Pire, maintenant, voilà qu’il la quittait… Nouvelle année, nouveau départ, pensa Marie… Que faire ? Elle lui envoya un autre message, comme une adolescente éplorée, dans une dernière tentative. Ma pauvre ! se moqua-t-elle d’elle-même. Te voilà descendue bien bas ! Et ton humour, alors ?
« On reste amis ? »
Quelques heures plus tard :
« Oui, cela est envisageable. »
Elle poussa un soupir de soulagement. Elle ne l’avait pas complètement perdu ! Elle l’aimait bien, son Edouard… Peut-être qu’avec le temps et beaucoup d’efforts… Pleine d’espoir à nouveau, elle redescendit et rejoignit les enfants plus bas dans la station.
Les messages d’Edouard l’avaient fortement troublée, mais elle s’appliqua à profiter au maximum des dernières heures de ski avec ses enfants chéris. Elle retrouva sa fille et son ami et termina cette belle semaine de ski et de soleil du mieux qu’elle le put. Après tout, c’était sa vie, son choix et si elle l’aimait, elle devait respecter ce choix qui était aux antipodes du sien. Au moins, elle ne le perdrait pas tout à fait puisqu’il acceptait de garder leur précieuse amitié, cette complicité qu’ils avaient développée tout au long de ces 14 derniers mois.
Dans le bus qui les ramenait à leur destination, elle lut et relut les derniers messages d’Edouard. Soudain, elle se retrouva d’un clic sur la page de son site de rencontres… La tentation était trop grande. De plus, elle était de nouveau complètement libre… Tant pis, je fais le tour des profils qui m’ont likée… Tiens… Patrick, 58 ans… Visage ouvert, franc. Il a l’air sympa… On dirait un rugbyman ! Ils sont gentils en général, les rugbymen… Ouah ! Il est prof ! Comme moi ! voyons, quelle matière enseigne-t-il ? Le sport ! génial ! Je lui envoie un cœur et un petit mot, on verra bien.
« Bonsoir. Nous sommes collègues et votre profil me plaît. Si le mien vous parle, pourquoi ne pas me répondre ? Je ne suis plus abonnée, mais peut-être que si vous me répondez, je me réabonnerai… À bientôt. »
Et voilà ! C’est reparti ! Sourire aux lèvres, Marie s’endormit tandis que Léa de son siège arrière avait tout vu et donnait un coup de coude à Max déjà assoupi.
Encore un 31 décembre de passé… Bof ! Le frère n’était pas à son top, comme d’habitude, pensa Edouard. Où étais-je l’an dernier, déjà ? Ah oui, petit réveillon en tête-à-tête avec la fille… Ah, la Christelle, c’est une sacrée celle-là. La voilà avec ce nouveau copain… Comment déjà son nom ? Félicien ? Ah non, Adrien, c’est vrai. Bon, un bon bougre quand même et pas vilain… Juste trop jeune pour la fille quand même ! À quoi pense-t-elle à fréquenter avec un plus jeune qu’elle ? Vingt-trois ans et elle déjà vingt-cinq. Voyons, elle en aura vingt-six cet été ! Que le temps passe vite. Et de quoi vivront-ils, ces deux-là ? D’amour et d’eau fraîche !? Heureusement que le papa est là, hein, ma fille ? Parce que ce n’est pas sur ta mère que tu peux compter… Soyez Père, tiens… Bon, elle a trouvé le courage de reprendre ses études et de les terminer… Un bon point, la fille ! Va savoir si ça va déboucher sur un bon travail après… Au moins, elle fait quelque chose qui lui plaît… L’informatique… Un peu comme moi finalement… Non, en fait, pas du tout comme moi…
Edouard se tourna dans le lit et chercha une position agréable pour terminer sa nuit. Ces temps-ci, le sommeil lui faussait souvent compagnie… Doggy se frotta contre la porte comme pour l’inviter à se lever. Edouard réprima un bâillement… Quelle heure est-il ? Déjà 8 h quand même… Avec cette persienne, l’obscurité dans la chambre était trompeuse.
Qu’est-ce que je fais ici ? pensa-t-il. Je ne suis pas dans mon lit, ce n’est pas ma chambre et ce n’est pas mon chien. C’est plutôt moi le bon chien qui garde la propriété de Madame pendant qu’elle s’amuse à la neige… Quel con, quand même ! Bon, c’est vrai que je me plais bien ici, ça change de ma maison, enfin du bureau où je loge… Et puis Marie m’avait proposé de les accompagner à la montagne, ce n’est pas une égoïste. Avec mon vertige, je ne me voyais pas les suivre sur des skis… Et puis, j’ai du travail qui m’attend ici. Je lui ai promis de décoller le papier peint de la chambre pendant son absence.
Edouard, encore en mode « laissez-moi me réveiller », se leva péniblement et releva la persienne. Quel temps, ce matin ? Plutôt sec on dirait, mais bien froid. Marie a-t-elle le même temps là-haut ? Il fit le tour du lit et s’arrêta en l’observant. Ce lit, il en a déjà vu avec nous ! sourit Edouard. L’espace d’un instant, il eut une vision. Marie, nue, offerte, la pointe de ses seins dressée, ses désirs de femme inscrits dans ses yeux qui le fixaient et lui, qui sentait la fièvre monter en lui. Le câlin du matin, ah sacrée Marie… Elle allait bientôt rentrer, il irait la chercher et leurs corps se retrouveraient au creux de ce lit… Bientôt.
Un frottement à la fenêtre, le temps de voir deux masses noires atterrir à ses pieds… Les chats de Madame maintenant ! Oui, oui ! j’arrive. J’ai compris, vous avez faim, allez Patou ! Allez Tinette !
Edouard traversa le long couloir qui menait à la grande pièce où se trouvait la cuisine, son espace à lui. Il adorait cuisiner, confectionner des plats de sa composition, y ajouter des épices ou des aromates, réinventer une sauce qui se marierait avec ses légumes du jour ou son poisson soigneusement choisi le matin même.
Tout ici me fait penser à Marie, songea Edouard. Elle aime bien quand je cuisine ou que je lui fais la vaisselle… Ah, le piano… J’aimerais tant savoir en jouer… Il souleva le tapis qui protégeait le clavier et s’essaya à quelques notes… Celles-ci retentirent dans la pièce et s’éteignirent les unes après les autres. Et Edouard la revit, assise, bien droite sur le tabouret, les mains sur le clavier, les yeux sur la partition et il ressentit de nouveau cette fascination pour ce petit bout de femme à la voix aiguë et à la peau si douce, la cambrure de sa nuque, l’endroit où il aimait poser ses lèvres… Et pourtant, elle pouvait se montrer dure et inflexible aussi… Il se remémora le début de leur relation. Un soir, il ne savait plus comment c’était arrivé, ce qu’il avait pu dire ou faire qui lui avait autant déplu, mais elle s’était fâchée et lui avait dit qu’ils n’avaient aucun avenir à deux… Il avait remis son manteau et ses chaussures et était rentré chez lui, en pleine nuit… Et le lendemain, elle l’appelait, en larmes, son chien bien-aimé était mort sous ses yeux et c’était trop injuste, après son compagnon, son père, voilà que son chien aussi la quittait ! Et lui, il était revenu et avait creusé un énorme trou pour y enterrer son chien et peut-être bien aussi sa colère de la veille…
Et depuis ? Quelle relation avec elle ? Elle appelle cela être des sex-friends… Se voir de temps en temps, mais surtout rester libres, chacun chez soi… A priori, c’est une nouvelle mode… Pas facile tout ça… Que veut-elle de moi ? Et moi ? Marie voudrait que je sois présent plus souvent, mais comment faire ? Mon travail est si prenant, je dois rester au bureau, et mes machines ? J’en ai besoin pour imprimer à la bonne saison… Il n’y a pas la place ici. Et je ne me vois pas arriver ici avec mes classeurs ! Cent vingt-huit qu’il y en a ! Elle ne se rend pas compte ! Toutes mes références… J’ai bien compris, ce qu’elle veut, je ne suis pas si bête, sex-friend… mon œil ! Mais, non, je ne peux pas, je ne suis pas prêt. Et puis, j’ai trop souffert. D’abord avec Angélique, la mère de Christelle. Je n’étais pas heureux. Je n’ai aucune envie que ça recommence… Je la vois encore dans cette si belle maison, j’y ai tellement travaillé, et tout ça pour rien : elle a à se tuer au travail et à trouver le réconfort dans son verre… Un divorce, voilà à quoi ça a mené… Et la fille qui ne veut plus voir sa mère en plus. Et puis, il y a eu Martine… À cette pensée, il se regarda un instant dans la glace, le bas du visage couvert de mousse à raser… Ah, Martine… huit ans que ça a duré entre nous… Je l’aimais tellement… Malgré toutes ses bêtises et l’argent qu’elle ne savait pas gérer… Et finalement, ce jour maudit où je lui ai proposé le mariage… Elle s’est enfuie et je n’ai plus jamais entendu parler d’elle. Jamais il ne pourrait oublier…
Tiens ! Marie m’a envoyé un message :
« Happy New Year my sex-friend ! Prête pour renouveler cette nouvelle année et toi ? »
Ah, cette Marie alors ! Elle n’en a pas assez de moi finalement…
Edouard contemplait son téléphone, songeur, quand soudain l’ordinateur de Marie attira son attention. Il s’en saisit, l’alluma et sans hésiter alla voir la boîte mail de Marie… Beaucoup de messages pour l’école, des publicités, tiens, tiens… des messages du site de rencontres dont elle me parlait. Ce n’est donc pas une blague ! Elle continue d’aller surfer là-dedans… Il en ouvrit au hasard et vit que Marie ne faisait pas que skier cette semaine-là, elle continuait à envoyer des likes et des messages brefs à de gentils messieurs. Incroyable ! Alors que je suis ici, chez elle, que je m’occupe de ses bêtes, que je détapisse sa chambre… J’ai même taillé ses rosiers ! Edouard sentit comme un gouffre sous ses pieds. Elle avait dit vrai, elle cherchait VRAIMENT quelqu’un d’autre que lui. Il ne répondait pas à ses souhaits et elle s’était lassée d’attendre… Il était vrai aussi qu’il ne l’avait pas appelée de la semaine, se contentant de lui envoyer un message, oui, Doggy, Patou et Tinette allaient bien, elle pouvait profiter de sa semaine en toute tranquillité. Il referma l’ordinateur et alla dans la chambre où il se mit à détapisser machinalement. Si telle était sa volonté, il allait la quitter, lui rendre toute sa liberté. Après tout, il n’était pas parfait même si physiquement il avait beaucoup changé ces derniers temps. Grâce au bodybuilding qu’il pratiquait 2 h par jour et auquel il associait un régime hyper protéiné, il se sentait devenir un autre Edouard, plus fort, plus imposant, mais aussi plus ancré, plus sûr de lui. Physiquement, oui, il assistait à une nouvelle naissance, mais mentalement, il avait encore beaucoup de chemin à parcourir, il le savait… Marie, avec son éducation, ses talents artistiques, sa curiosité incessante à propos de tout et de rien et surtout son amour inconditionnel de tout le genre humain… Cette Marie-là n’était pas pour lui… pas encore… plus pour lui si c’était ce qu’elle voulait.
Edouard arrêta de détapisser le mur un instant et considéra la pièce. Il n’arrivait pas à faire taire cette angoisse au fond de lui. Il décida d’aller courir. Ça irait mieux ensuite sans doute…
De retour à la maison, ce soir-là, après être passé chez ses parents, il se fit un dîner léger. Sa mère était en pleine forme aujourd’hui. Tant mieux, elle s’était assez bien remise de son opération de la hanche quelques mois auparavant. Perdre un jour sa mère… Chose horrible à laquelle il ne pouvait pas penser sans ressentir un immense chagrin. Elle avait toujours été là pour lui, pour Christelle. Aujourd’hui encore, elle était sa confidente. Elle voyait à son regard si quelque chose n’allait pas chez son fils aimé ; elle savait attendre le moment pour accueillir ses doutes et écouter toutes ses souffrances… Elle l’avait toujours soutenu. C’est sûr, elle sent que quelque chose cloche chez son Edouard, pensa-t-il. Et puis zut, je répondrai demain matin à Marie.
La nuit fut longue pour Edouard, entrecoupée de rêves étranges où Marie se transformait tour à tour en Martine puis en Angélique…
*
Ça y est, c’est fait. Je lui ai répondu. Tant pis si c’est fini. Je pourrais peut-être me réinscrire sur ce site aussi après tout… Je suis un nouvel Edouard ! Je pourrais plaire à de belles mannequins ! pensa Edouard à son réveil. À 52 ans, il était toujours aussi séduisant et savait jouer de sa silhouette sportive. Il savait que les femmes adoraient son sourire désarmant, ses yeux bleus comme l’océan ainsi que ses cheveux bruns bouclés. Oh, elle me répond déjà !
« Bjr. Que veux-tu dire ? »
Elle a du toupet quand même ! Elle surfe sur ce fichu site, elle répond à des inconnus et elle voudrait que je reste !
« Je ne suis pas l’homme qu’il te faut. Tu as déjà cherché dans les sites de rencontre, continue, tu trouveras. Bonne chance. »
Et toc ! Bien envoyé !
« Bon… Je respecte tes choix. Si c’est ce que tu veux. »
Ah, elle a compris, on dirait… Un nouveau message… Elle veut qu’on reste amis…
Edouard parcourut la pièce du regard, s’arrêta un instant sur Doggy et le caressa longuement. Lui au moins était fidèle. Ça lui ferait mal de perdre ce chien, ne plus jamais revenir ici, ne plus jamais la revoir… Non, cela était impossible :