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Emma part seule, au printemps, se ressourcer en pleine nature dans le parc du Mercantour. La jeune niçoise d’adoption projette de découvrir le site sauvage de la vallée des Merveilles. Elle dort à flanc de montagne dans un refuge prêté par un berger. Au petit matin, un inconnu s’introduit dans le chalet. Ben, en quête, lui aussi, de grands espaces et de solitude, est porteur d’un lourd secret. De cette rencontre va naître un amour qu’ils vont vivre intensément, jusqu’au jour où… Leurs vies et leurs destins en seront bouleversés. Une histoire touchante, chargée de tendresse et d’émotion.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Sandrine Maviglio écrit avant tout par plaisir, mais aussi pour partager sa vision du monde. En 2005, elle a publié un récit de voyage intitulé Mon premier tour du monde.
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Seitenzahl: 250
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Sandrine Maviglio
Le refuge du destin
Roman
© Lys Bleu Éditions – Sandrine Maviglio
ISBN : 979-10-422-5809-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Je te dédie ces quelques lignes, Ben, en souvenir de notre amour et en hommage à ton courage.
Ainsi que pour tenir ma promesse…
Emma
Jeudi 28 avril 1994
Une météo au beau fixe s’était installée dans le Midi depuis plusieurs semaines déjà, quand Emma, une jeune normande de 28 ans, réussit à trouver le temps de s’absenter de son agence pour prendre des congés.
Chaque printemps, avant la période estivale sur la Côte d’Azur, elle fuit l’agitation. Elle part explorer un site de sa nouvelle région d’adoption, les Alpes-Maritimes, et s’adonne à son loisir préféré : la randonnée pédestre en montagne.
D’après les informations recueillies, les endroits à sillonner abondent dans cette partie du pays et les possibilités d’excursions sont multiples.
Cette année, la jeune femme n’avait pas eu à réfléchir pour faire son choix. Elle avait envie de visiter depuis longtemps la vallée des Merveilles, située dans le parc National du Mercantour, sur les hauteurs de Nice.
Elle souhaitait découvrir les grands espaces, les zones montagneuses immenses et isolées. Elle allait pouvoir admirer de ses propres yeux la faune et la flore qui, d’après les nombreux livres consacrés à cette région, lui promettaient un panorama riche et varié.
Dès sa plus tendre enfance, Emma est amoureuse de la nature, raffole des pâturages verdoyants, est passionnée par la végétation naissante. Elle affectionne tout particulièrement les fleurs ainsi que les arbustes aux boutons fraîchement éclos.
Pour elle, en plus d’être agréables, ces sorties en montagne sont notamment une manière de s’oxygéner et l’occasion d’évacuer le stress emmagasiné pendant l’hiver. C’est aussi une efficace et délicieuse façon de se ressourcer rapidement, tant sur le plan physique que moral.
Cependant, chaque période avant le départ, c’est le même refrain : la journaliste court dans tous les sens et travaille comme une forcenée pour boucler son objectif professionnel. Afin que le magazine soit livré en temps et en heure, les maquettistes et l’imprimeur n’attendent pas.
Comme l’an dernier, la jeune fille a seulement planifié le lieu de ses vacances. Sur place, elle improvisera ! Elle aime l’aventure, les surprises et les imprévus.
Elle a repéré les sites à découvrir, les chemins de grandes randonnées à sillonner, mais ne sait jamais à l’avance où elle va passer la nuit ! Cela ne l’inquiète pas : les gîtes et les refuges sont nombreux et peu fréquentés dans ce secteur.
Emma s’arracha à sa rêverie, replongea ses yeux sur l’écran de son ordinateur et termina la phrase qu’elle avait en cours. La rédaction de son article sur la pénurie de logements dans le sud achevée, elle le relut une dernière fois pour vérifier si tout lui convenait. Satisfaite, elle l’apporta à sa Directrice en chef, en pleine discussion téléphonique avec un fournisseur.
La porte entrouverte la dispensa de frapper. Elle la poussa doucement, déposa la feuille sur le bureau en souriant, puis salua sa responsable d’un signe de la main pour l’avertir qu’elle partait. Le combiné collé à l’oreille, celle-ci pointa un pouce vers la jeune femme pour la remercier de sa ponctualité, en lui adressant le même sourire.
Emma lui répondit d’un léger hochement de tête en clignant des yeux et s’esquiva en fermant la porte derrière elle, heureuse et soulagée : sa tâche était achevée !
Son bureau regagné, elle s’empressa d’y mettre de l’ordre pour éviter d’y retrouver un capharnaüm à son retour, et enfila sa veste en jean et empoigna son sac à main.
Avant de sortir, elle balaya la pièce du regard. Tout était rangé. Pourtant, le doigt sur l’interrupteur, elle eut la sensation d’oublier quelque chose et suspendit son geste.
Elle jeta un coup d’œil rapide aux objets et aux dossiers restés sur son bureau et se repassa en mémoire le contenu de ses tiroirs. Rien ne lui vint à l’esprit. Elle haussa les épaules : ce ne devait pas être important !
Sans perdre plus de temps, elle éteignit la lumière et se dirigea d’un pas léger vers l’ascenseur. Elle était enfin en vacances et c’était désormais primordial à ses yeux.
Elle s’étira en souriant.
— Alors, c’était le dernier ? l’interrogea un de ses collègues qui passait dans le couloir.
— Oui, c’était le dernier ! répliqua Emma toute contente.
— Ton pèlerinage est prévu où cette année ?
— Dans la vallée des Merveilles !
— Dans ce cas, tu salueras les marmottes pour moi ! pouffa-t-il en continuant son chemin.
— D’accord ! rétorqua-t-elle sans se formaliser de sa raillerie.
La plaisanterie déclencha un éclat de rire incongru dans le lieu feutré de l’étage. Elle appréciait l’humour de certains de ses confrères, celui de Charles en particulier. Il avait toujours le mot pour rire dans n’importe quelle situation, même la plus délicate et compliquée.
Si, parfois, l’ambiance était tendue et le contexte inquiétant, Charles ne se laissait jamais submerger par la pression ou l’agacement. Il trouvait en toute circonstance les termes appropriés pour détendre l’atmosphère. Tout le personnel l’avait d’ailleurs qualifié et surnommé « le boute-en-train de la maison ».
Elle resta un long moment figée dans l’allée à attendre le maudit ascenseur qui devait être bloqué au 5e, comme d’habitude ! Elle regarda Charles disparaître dans les interminables couloirs silencieux et déserts. Ses collègues étant déjà partis après lui avoir, tous, gentiment souhaité de bonnes vacances, une bonne excursion, un bon dépaysement ou encore un bon repos, elle ne mit donc pas longtemps à sortir de l’agence.
Le nez dehors, elle s’immobilisa sur le trottoir, laissant la porte de l’immeuble se fermer automatiquement dans son dos. Cette fois-ci, elle prit conscience que le bruit métallique qui sonnait la fin de chaque journée ne résonnerait plus dans ses oreilles avant plusieurs semaines.
Elle se sentit d’un seul coup plus détendue. Elle se laissa envahir par l’excitation de son départ imminent. Fini le stress et les embouteillages. Bonjour la liberté, le calme, la verdure et les animaux. Depuis le temps qu’elle en rêvait !
***
La porte de son appartement franchie, Emma alluma la radio et commença par vérifier les bagages qu’elle avait préparés la veille. Elle compara le contenu de son sac à dos par rapport à sa liste préétablie. À peine était-il bouclé qu’un vague sentiment d’incertitude l’immobilisa. Elle soupira : qu’avait-elle encore oublié ?
Les deux mains posées sur les fermoirs, elle marqua une pause, prenant le temps de réfléchir.
— Mon poncho ! s’exclama-t-elle soudain. Décidément, j’ai failli l’oublier à nouveau, celui-là ! dit-elle tout haut en se remémorant une randonnée l’année précédente : surprise par la pluie, elle avait été contrainte de s’affubler d’un emballage de supermarché en plastique sur la tête et de sacs poubelle sur ses vêtements. Par malheur, le temps de s’équiper, les gouttes avaient traversé ses habits ainsi que son sac à dos, et en fin de compte, tout avait été littéralement trempé. Elle s’était retrouvée dans une petite auberge de montagne, frigorifiée, sans tenue de rechange, obligée de s’emmitoufler dans les draps du lit en guise de pyjama pour se vêtir et se réchauffer.
La jeune fille sourit au souvenir de cette mésaventure qu’elle n’espérait pas revivre une seconde fois. Elle enfouit sans attendre la cape protectrice dans sa besace, et ajouta le mot poncho sur sa liste de matériel à emporter. De ce fait, elle ne l’oubliera pas à la prochaine excursion.
Son sac fin prêt, elle imperméabilisa ses chaussures de montagne et prépara le nécessaire de randonnée : cartes, guide touristique, boussole, trousse de secours, ustensiles de couture, couteau suisse, lampe de poche, etc. Elle jeta ensuite un œil à la pendule : 20 h h 15. Il était temps de manger et de passer un dernier coup de fil à ses parents.
Ayant étudié les guides et les prospectus une dizaine de fois, elle put leur développer son programme en détail. Elle termina sa conversation en leur promettant de les rappeler dès son retour.
En raccrochant, l’aventurière – comme la surnommait son père – se sentait déjà loin. Elle ferma les yeux et prit une profonde inspiration : elle s’imaginait au milieu des prés, entourée de moutons et de fleurs multicolores, bercée par le chant des oiseaux, en respirant l’air pur à pleins poumons. Il fallut plusieurs minutes à la jeune femme pour sortir de son rêve et revenir à la réalité.
Dans un soupir, Emma regarda autour d’elle. Au vu des tâches restantes, elle pensa que la soirée n’était pas terminée ! Loin de se décourager, elle se leva du canapé d’un bond, avala ce qu’elle trouva dans le réfrigérateur et rangea son appartement avant de se glisser dans son lit.
Étendue de tout son long sur le matelas, les yeux rivés au plafond, elle laissa la magie de la détente l’envahir peu à peu en songeant que, le lendemain, elle serait loin.
Et dans un endroit merveilleux.
Vendredi 29 avril 1994
Levée de bon matin, Emma ne mit pas longtemps à se préparer et à charger sa voiture. La ceinture de sécurité bouclée, elle alluma l’autoradio et inséra un CD de Buddha Bar, puis, les yeux fermés, souriante et détendue, se laissa emporter par les premières notes de musique. Quelques instants plus tard, elle tourna la clé de contact : les vacances commençaient vraiment. C’était parti pour deux heures de trajet, dont trente minutes d’autoroute et le restant, de chemins de montagne tortueux qui serpentaient à travers la vallée de la Vésubie.
Sur l’autoroute du Sud, elle pouvait d’ores et déjà apercevoir, sur sa gauche, les cimes toujours enneigées de la vallée alpine. Elles lui rappelaient que l’hiver n’avait pas encore totalement disparu.
La jeune femme tourna la tête à l’opposé. Un franc soleil rayonnait à perte de vue sur la Méditerranée. Le bleu profond de la mer étincelait, exaltant la blancheur des immeubles alignés le long de la côte.
Ce stupéfiant panorama l’enchanta. Elle sentit aussitôt son cœur s’emballer, son corps frissonner et se laissa submerger par la vague de son émotion.
La Niçoise d’adoption avait pourtant emprunté cette route à de multiples reprises. Cependant, à chaque passage, le paysage surnaturel la captivait, l’envoûtait, comme s’il s’agissait de la première fois. Elle ressentait invariablement un appel de la montagne, une invitation personnelle à venir lui rendre visite. Elle éprouvait aussi, dans ces moments-là, une grande frustration liée au fait de ne pas avoir le temps d’y répondre.
Mais aujourd’hui, c’était différent ! Sans regret, elle pouvait admirer ce magnifique décor vu que, dans ce cas présent, elle venait à sa rencontre pour parcourir, traverser, et se balader dans ce bel écrin de verdure.
Emma stationna sa voiture sur un parking aux abords du hameau de Saint-Grat en Haute-Vésubie, enfila ses chaussures de randonnée, attacha sa longue chevelure blonde et prit son sac à dos. Elle se sentait d’humeur joyeuse, fin prête à goûter des vacances paisibles dans un endroit connu parmi les plus réputés de la région.
Dès les premiers pas, la jeune fille fut captivée par le lieu. La beauté des énormes rochers mêlés aux pins, la couleur de la végétation, l’effluve de l’air pur et le calme du site lui procuraient déjà une sensation de bien-être et de sérénité. Elle en était désormais certaine : cet endroit lui conviendrait parfaitement !
Durant les premiers jours de marche, elle prit un réel plaisir à s’aventurer dans les forêts, parcourir les plateaux verdoyants, gravir les mamelons entrecoupés de vallons fertiles, sillonner les plaines jonchées de milliers de fleurs, accompagnée par le son strident et aigu des grillons.
Il était facile ici de perdre la notion du temps, tellement le paysage était bouleversant et enchanteur.
Par choix personnel, Emma séjournait rarement plus d’un jour au même endroit, afin de rejoindre rapidement la zone centrale de la vallée des Merveilles et avoir le temps de visiter au mieux ce territoire. Tous les soirs, elle dormait dans un endroit différent et découvrait de nouveaux sentiers dans la vallée de la Gordolasque.
Le premier soir, elle passa la nuit dans un gîte d’étape, le suivant, dans un refuge collectif et la veille, dans un relais. La voyageuse atteignit Saint-Grat en fin d’après-midi. Elle poussa la porte d’une fromagerie-charcuterie. C’est ainsi qu’elle fit la connaissance d’André. Le producteur, également berger, proposa de lui louer un chalet à flanc de montagne moyennant une somme modique.
Séduite, la jeune femme écouta André lui expliquer brièvement le chemin à suivre en lui dessinant un plan sommaire sur un vieux morceau de carton taché de lait, avant de lui donner la clé du refuge.
La baroudeuse remplit son sac d’une bonne quantité de fromage, de beurre artisanal, de charcuterie du terroir, d’œufs fermiers et de pain traditionnel, en vue de ses futures balades. En réglant ses achats, elle le remercia longuement pour son hospitalité. Elle effectua par la suite quelques courses supplémentaires à l’épicerie du coin, et prit la route de son nouveau logis, l’esprit tranquille.
Conquise d’emblée par cette proposition inattendue et par l’opportunité de séjourner dans un refuge montagnard individuel, la jeune fille était ravie. La perspective d’être seule et le fait de pouvoir goûter son indépendance ou, tout simplement, se lever à l’heure qu’elle souhaitait, lui avait aussitôt plu.
Emma s’arrêta à une intersection pour étudier l’itinéraire, histoire d’être sûre de ne pas se tromper et de suivre les consignes d’André à la lettre. Elle traversa le joli village médiéval, admirant au passage les maisons serrées les unes contre les autres et contempla les arcades, les voûtes et les lavoirs. Elle ne tarda pas à trouver entre deux vieilles habitations décrépites le raidillon en lacet qui menait au refuge, et à apercevoir la pente que le fromager lui avait si bien décrite.
D’un pas régulier et décidé, elle emprunta le sentier sinueux jalonné de roches et gravit la colline à un rythme soutenu. Le sac, alourdi par le ravitaillement, lui meurtrissait le dos et elle sentit les muscles de ses cuisses durcir petit à petit. Ses chevilles risquaient de se tordre dans les ornières souvent profondes et ses pieds avaient tendance à glisser sur les pierres. La pente se révélait plus abrupte que prévu. Bientôt, le souffle lui manqua et la fatigue la terrassa.
Malgré une pratique régulière de la randonnée, la jeune femme fut contrainte de faire une halte. Elle se débarrassa avec précaution de son sac pour préserver ses épaules, et y puisa une bouteille d’eau qu’elle but à satiété. Elle enchaîna ensuite des mouvements d’assouplissement et des étirements pour atténuer ses douleurs.
Elle distingua vaguement, à quelques centaines de mètres, une maisonnette en bois à la lisière d’un bosquet. Le rude hiver et les intempéries ne l’avaient pas épargnée. Elle sortit le croquis de la poche de son blouson et vérifia : il s’agissait bien du chalet loué par le berger.
Elle l’espérait ardemment au fond d’elle-même, car ces quelques kilomètres depuis le village l’avaient exténuée et son corps n’en pouvait plus.
Emma profita alors de cet arrêt pour mieux observer le refuge et ses alentours. Son isolement ravit la jeune fille. C’était exactement ce qu’elle recherchait ! Elle nourrissait une véritable prédilection pour la solitude et les grands espaces. C’est d’ailleurs pourquoi elle privilégiait la montagne pour se ressourcer.
À première vue, l’aspect du chalet aux couleurs ternes n’avait rien d’engageant. Mais il émanait de sa toiture pointue et de ses petits volets clos, une atmosphère chaleureuse. En hauteur, une belle forêt dense mettait en valeur la structure de la maisonnette, et un arbre gigantesque en bourgeon devant l’entrée, semblait veiller sur le logis.
Son souffle retrouvé, Emma parcourut des yeux le site environnant et l’immense vallée d’Authion visible en contrebas du sentier, avant de reprendre sa dure montée.
Le soleil tapait encore fort malgré l’heure tardive. La jeune femme éprouva beaucoup de difficultés à franchir les derniers mètres du chemin et y parvint non sans mal. Devant la bâtisse, fière d’avoir réussi le défi de la rejoindre, elle marqua une pause le temps de respirer plus normalement.
Sur la porte d’entrée, elle déchiffra une pancarte en bois fixée au-dessus du linteau, « Le refuge d’André ». C’était donc bien le logement escompté, pour son plus grand bonheur.
Sans plus attendre, Emma ouvrit la porte et s’assit dans la cuisine sur la première chaise qu’elle trouva. Elle laissa tomber son sac à dos au sol, sans avoir la force ni le courage de freiner sa chute. Elle avait très soif et ses cuisses continuaient à la faire souffrir. Elle allongea les jambes en grimaçant de douleur, puis tenta de se décontracter.
Les bras ballants et les yeux fermés, la jeune fille reprit lentement sa respiration et en peu de temps, sa fréquence cardiaque retrouva un rythme normal.
Une fois ressaisie, elle se dirigea vers le compteur électrique pour mettre le courant, alluma et ferma la porte entrebâillée du frigidaire dans la cuisine. Tout semblait fonctionner !
Assoiffée, elle tourna le robinet pour laisser l’eau couler, se remplit plusieurs verres qu’elle avala d’un trait, et commença à visiter l’intérieur de son logement.
Celui-ci était sobre et rustique, et paraissait, à première vue, assez bien équipé. Précisément ce qui plaisait à Emma : la simplicité et le minimum de confort.
Elle ouvrit les volets de chaque pièce et remarqua que la fenêtre du séjour donnait directement sur la forêt de conifères, celle des chambres sur une prairie fleurie. La cuisine couvrait une vue imprenable sur la vallée.
Elle parcourut d’un pas lent la pièce principale, composée d’un salon et d’une cuisine, tout en regardant autour d’elle. Les meubles étaient vétustes mais en bon état, les murs étaient décorés de cornes d’animaux ainsi que d’objets artisanaux anciens. Face à deux fauteuils défraîchis par les années, un poêle à bois promettait une ambiance conviviale.
La jeune femme s’y sentit bien dès son arrivée et décida d’y rester quelques jours afin de se laisser le temps de visiter tranquillement les alentours. Son guide régional vantant sans réserve les mérites de cet endroit, il convenait de s’y attarder.
Après avoir pris ses marques et déposé son sac à dos dans la première chambre, elle mangea du jambon fumé et du fromage, accompagné d’un morceau de pain. Cette pénible ascension au grand air l’avait littéralement épuisée.
C’est pourquoi elle ne tarda pas à ranger ses provisions, nettoyer la table, refermer les volets, enfiler son pyjama et se coucher. En dépit de la dureté du matelas et la froide humidité de la literie, elle sombra rapidement dans un profond sommeil.
***
Un rêve ramena Emma sur le fabuleux site qu’elle venait de parcourir, seulement, ses pieds ne touchaient plus terre. Elle volait !
Planant comme un albatros au-dessus de la mer, elle survolait des champs aux innombrables couleurs, effleurait de ses mains les fleurs multicolores et humait les effluves de leur doux parfum qui embaumait les airs. Elle pouvait aussi librement s’approcher des bourdons en train de butiner, virevolter avec les abeilles et tourbillonner avec les papillons.
Une nuée d’oiseaux venus à sa rencontre se mirent à tournoyer autour d’elle, en signe de bienvenue. Leurs chants mélodieux charmèrent d’emblée la jeune fille et elle se surprit à imiter leurs cris.
À cette hauteur, la perspective et les sensations étaient exaltantes. Le paysage, vu du ciel, semblait encore plus somptueux. Pour la première fois, elle se sentit en parfaite harmonie avec son environnement et entièrement libre de ses mouvements.
Son initiation magique fut, hélas, interrompue par un bruit étranger à cette scène fantasmagorique. Un claquement familier la ramena brutalement à la réalité. Le son métallique d’une clé tournant dans la serrure acheva de la réveiller.
Paralysée par la peur, Emma sentit son sang se glacer. La respiration coupée, elle s’immobilisa sur son lit, cherchant à savoir si ce n’était pas le fruit de son imagination. Mais non ! Quelqu’un essayait bien de s’introduire dans le chalet.
Elle se redressa doucement en faisant attention de ne pas faire grincer le sommier. De nature plutôt courageuse, la jeune femme tremblait de tous ses membres.
Qui cela pouvait-il être ? Des randonneurs ? Sûrement pas ! Le berger lui avait assuré qu’elle serait seule. Des cambrioleurs ? Impensable ! Que viendraient-ils voler dans un refuge équipé du strict nécessaire ? Elle ne comprenait pas le but de cette effraction, pourtant le fait était là et il fallait agir.
Téméraire, elle empoigna son couteau de poche à sa portée sur la table de chevet, posa ses pieds au sol avec précaution, et sans hésiter, se dirigea à tâtons dans une maison presque inconnue. Ses yeux accommodés à l’obscurité, elle remarqua un rai de lumière aux contours des volets. Ce faible éclairage allait lui permettre de mieux progresser.
Emma passa la tête dans l’entrebâillement de la porte de sa chambre au moment où une silhouette s’engouffrait dans la cuisine. Elle la distingua à peine, suffisamment néanmoins pour y déceler celle d’un homme. Cette déduction ne la réconforta guère et elle sentit son pouls s’accélérer.
La jeune femme serra plus fort son couteau en tentant de se rassurer et de garder son sang-froid. Elle atteignit la cuisine sans bruit et identifia le grincement d’un placard que l’on ouvrait et refermait, et perçut l’écoulement de l’eau dans l’évier.
Elle était terrorisée à l’idée d’affronter cet inconnu. Mais seule et sans aide à espérer de l’extérieur, elle n’avait pas le choix !
Emma s’arma de courage et franchit le seuil de la porte. L’individu lui tournait le dos et ne l’entendit pas s’approcher. Elle alluma et se posta à distance raisonnable, le couteau pointé dans sa direction :
— Que faites-vous ici ? Il n’y a rien à voler ! cria-t-elle.
Visiblement surpris par sa présence, l’homme fit brusquement volte-face, posa les yeux sur l’arme braquée sur lui et lui répondit d’une voix morne qu’il le savait et pour cause, il habitait ici ! Il s’effondra ensuite en entraînant dans sa chute le verre d’eau qu’il tenait dans la main, ainsi qu’une boîte en plastique.
Déconcertée par la tournure des évènements, la jeune femme resta figée et baissa son bras en regardant l’inconnu affalé sur le sol.
Perturbée également par ce qu’il venait de lui dire, elle réfléchit. Pourquoi avait-il affirmé habiter ici ? Était-il un clandestin ? Non, c’était impossible, car le berger lui avait bien spécifié qu’il ne possédait qu’une clé et qu’elle devait par conséquent y faire très attention. À moins que l’individu ait crocheté la serrure avec un instrument quelconque ! pensa soudain Emma, perplexe.
Elle se mit à genoux près du corps étalé et approcha son oreille du visage du gaillard. Il respirait encore. Elle scruta le sol et jeta un coup d’œil sur ses mains, sans rien trouver de particulier. Puis, levant les yeux en direction de l’évier, elle aperçut une clé dont il s’était sûrement servi pour entrer.
La jeune fille attrapa fébrilement la clé et se dirigea vers la porte, son couteau toujours serré dans l’autre main, au cas où l’homme se réveillerait subitement.
Elle fut stupéfaite : la clé pénétrait sans difficulté dans la serrure et fonctionnait parfaitement. C’était bien la clé… ou plutôt une des clés du refuge.
Emma ne comprenait plus rien. Pourquoi le berger lui avait-il menti et pour quelle raison ?
Pourquoi cet individu prétendait-il être chez lui et de surcroît, s’était-il évanoui ?
L’absence de réponses à ses questions faisait frissonner la jeune femme.
Elle laissa la porte ouverte pour plus de luminosité et prit le temps de réfléchir à ce qu’elle devait faire. Elle réalisa à ce moment-là qu’elle ne disposait ni de téléphone ni de voiture et le premier habitant se trouvait à environ un kilomètre à pied. Elle était donc seule à pouvoir gérer la situation.
Et quelle situation !
Pleinement consciente de son isolement, Emma dut prendre sur elle pour se ressaisir avant de retourner près de l’inconnu, pour savoir s’il représentait une menace pour elle.
Elle s’agenouilla près de l’homme inerte, et remarqua d’abord qu’il n’avait sur lui ni équipements de randonnée ni sac à dos. Elle fouilla ses poches et en sortit un mouchoir, une seconde clé plus grosse que la précédente et une autre boîte de médicaments sans notice, dont le nom ne lui disait rien. Aucun danger de ce côté-là, estima-t-elle, soulagée.
La jeune femme observa l’individu plus en détail et fut frappée par son apparence. Trente ans maximum. Plutôt mince et de grande taille, il paraissait en bonne forme physique, malgré son teint très pâle. À le voir gisant ainsi inanimé, elle trouva qu’il n’avait rien d’agressif, bien au contraire : ses traits réguliers et son visage livide inspiraient la douceur et la fragilité.
Emma resta un instant immobile à côté du garçon, ne sachant que faire. « Je ne peux tout de même pas le laisser dans cet état ! » se dit-elle à voix haute.
Elle se remémora alors les gestes qu’un pompier avait utilisés sur une de ses camarades de classe au lycée, lors d’une démonstration de secourisme et décida d’essayer. Elle se pencha sur lui, baissa son écharpe pour prendre son pouls au niveau du cou et souleva ses paupières. Il battait faiblement et les pupilles se dilataient à la lumière. C’était plutôt bon signe !
Rassurée sur ce point, elle commença à lui taper le dos de la main, sans résultat. Elle accéléra le rythme de ses doigts sans obtenir plus d’effet. Elle se redressa un peu et se mit à tapoter ses joues.
Rien.
En désespoir de cause, Emma appela :
— Monsieur, réveillez-vous !
Aucune réaction.
— Monsieur… Monsieur… s’il vous plaît, réveillez-vous ! insista-t-elle en le secouant légèrement.
L’homme ne bougeait pas.
Elle balaya le sol des yeux et remarqua une boîte de comprimés qui était sans doute tombée en même temps que lui. Elle l’attrapa, espérant trouver une notice à l’intérieur, mais en vain.
— Aucun indice pour m’aider ! murmura-t-elle avant que d’autres questions envahissent son esprit : pourquoi être monté jusqu’ici s’il était malade ? Et en pleine nuit en plus !
Vouloir se soigner à la montagne était compréhensible, toutefois, entreprendre un tel trajet de nuit et dans cet état, paraissait inconcevable. Cela frôlait même l’inconscience ! À moins de connaître très bien les lieux ou d’y habiter, pensa-t-elle. À propos, n’avait-il pas dit qu’il logeait ici ? Peut-être était-ce vrai après tout !
Ne sachant quoi faire d’autre pour le réanimer, Emma choisit de le traîner jusqu’à la seconde chambre et de le laisser se réveiller. Vu la taille de l’individu, la tâche s’avéra difficile, bien qu’elle soit robuste et persévérante.
Elle parvint à l’allonger sur la descente de lit en peau de mouton et glissa un oreiller sous sa tête, avant de le recouvrir d’une couverture qui était pliée sur le lit.
La jeune fille ouvrit ensuite les volets. Une douce lumière pénétra dans la pièce et la fraîcheur matinale la fit frissonner. La fenêtre refermée, elle se retourna et remarqua que quelque chose dépassait de l’armoire. Elle regarda de plus près : c’était un bout de chemise en coton épais, dont l’extrémité de la manche était élimée.
Se rappelant d’un coup avoir trouvé une autre clé dans la poche du blouson du garçon, elle la prit et l’introduisit dans la serrure, qui s’ouvrit sans problème. La penderie s’avéra remplie d’habits masculins, les étagères de sous-vêtements et de chaussettes, et les tiroirs comportaient tout le nécessaire de toilette. Des chaussures, sacs de randonnée et accessoires de montagne complétaient le tout.
Cet homme disait donc vrai ! Il habitait bien là ! En ce cas, pourquoi le berger ne l’avait-il pas prévenue ? Le savait-il lui-même ? Il est tellement facile de nos jours de refaire un jeu de clés, songea la jeune femme.
Emma referma l’armoire sans retirer la clé dans la serrure, et observa une dernière fois le corps de l’individu toujours inconscient, étendu sur le sol.
De quoi souffrait-il ? Pourquoi venir jusqu’ici sans prévenir le propriétaire ? Le connaissait-il au moins ? Des questions dont elle espérait obtenir les réponses dès que le garçon se réveillerait.
Elle sortit de la chambre en laissant la porte entrouverte, et regagna la cuisine pour se préparer un petit-déjeuner bien mérité.
Samedi 30 avril 1994
Emma commença par ouvrir les volets de la cuisine et du salon. Un franc soleil perça la pénombre et une délicieuse odeur d’humus entra dans le refuge. Elle laissa volontairement la fenêtre de la cuisine entrouverte pour réchauffer la pièce et contempler, à sa guise, le paysage pittoresque des arbres recouverts de rosée.
Elle tourna le robinet de la bouteille de gaz et suivit à la lettre les instructions qu’André lui avait données, pour utiliser la gazinière.
Elle posa sur le feu une casserole remplie d’eau, puis, remarquant le désordre qui régnait près de l’évier, entreprit de tout ranger : elle rassembla les comprimés disséminés sur la paillasse, balaya les morceaux du verre tombé et essuya le parquet des quelques gouttes qu’il avait contenu au moment de se briser.
L’eau frémissait à peine quand elle termina ses tâches, et tout ce travail lui avait donné faim.
Elle posa sur la table la nourriture qu’elle avait achetée la veille, sortit un grilloir en fonte pour toaster des tranches de pain, et s’assit face à la fenêtre.