Le regard de Maupassant et autres récits - Clément Grimbert - E-Book

Le regard de Maupassant et autres récits E-Book

Clément Grimbert

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Beschreibung

Ce recueil constitue un hommage aux plus grands auteurs de l'imaginaire fantastique et de science-fiction, d'hier et d'aujourd'hui : Stephen King, H. P. Lovecraft, Edgar Poe, Guy de Maupassant, René Barjavel. Dans ces neuf nouvelles, l'extraordinaire se cache partout, derrière un arbre, derrière une cabane, dans le ciel, dans le passé...

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Arthur Maller

À ma famille et mes amis, éternels soutiens.

À toi ma Katia, qui nous supporte avec courage moi et mes histoires !

Merci à vous, Élo et Nono, pour les relectures !

Ce recueil est dédié aux auteurs qui ont nourri mon imaginaire et guidé ma plume :

STEPHEN KING

HOWARD PHILLIPS LOVECRAFT

GUY DE MAUPASSANT

EDGAR ALLAN POE

RENÉ BARJAVEL

« Après celui qui peut mourir tous les jours, à toutes les heures, à toutes les minutes, par tous les accidents, est venu celui qui ne doit mourir qu’à son jour, à son heure, à sa minute, parce qu’il a touché la limite de son existence ! »

Guy de Maupassant,Le Horla, 1887

« À mon sens, la plus grande faveur que le ciel nous ait accordée, c’est l’incapacité de l’esprit humain à mettre en corrélation tout ce qu’il renferme. »

Howard Phillips Lovecraft,L’appel de Cthulhu, 1926

TABLE DES MATIERES

L’AFFAIRE TIMOTHE BARDIN

LE REGARD DE MAUPASSANT

ABADDON

L’ALTERNATIVE

LA PORTE DANS LES FLAMMES

L’ESPRIT DE LA NEIGE

LE GLOBE

LE PROPHETE VENU DES ETOILES

FELIS SILVESTRIS

Illustation de couverture : Pierre Lengliné Illustrations intérieures : Clément Grimbert

L’AFFAIRE TIMOTHÉ BARDIN

Mon cœur bat la chamade avant même que mes doigts ne se posent sur le clavier. Il m’aura fallu des années – cinq longues années – avant que je me décide à tout raconter. Tout ce temps, j’ai cherché à refouler un souvenir. Un véritable cauchemar que je compte enfin extirper de mon esprit et ainsi me soulager d’un poids énorme. Bien sûr, j’imagine aisément vos réactions lorsque vous achèverez votre lecture. Après un bon rire, vous vous direz sans doute que je ne suis qu’un piètre menteur. Ou alors les plus sceptiques d’entre vous se poseront des questions sur l’état de ma santé mentale, et ils n’auraient pas tout à fait tort. Mais qu’importe, maintenant que je me suis lancé, je continue.

Je tiens à souligner que ce que je m’apprête à vous narrer est bel et bien un souvenir vécu. Ce n’est pas une histoire sortie tout droit de mon imagination. Tout ce que je suis sur le point d’écrire m’est vraiment arrivé. Mais ne perdons pas plus de temps. Qui sait si ma volonté de raconter cet épisode glaçant de ma vie durera encore longtemps ?

Commençons donc par le commencement : je m’appelle Étienne Blanchetière et les événements que vous allez lire dans ces pages se sont déroulés peu de temps après ma sortie de l’école de gendarmerie, en 2016.

I

Les températures plus qu’agréables de cette fin de juin laissaient présager que le soleil n’avait pas l’intention d’être clément. J’étais muté dans un petit village qui s’appelait Saint-Hilaire sur Dives, dans l’Orne, au cœur de la campagne normande. Il faut que je vous décrive cet endroit car pour moi, qui ai passé la quasi-totalité de mes vingt-trois premières années à Paris, ce fut un dépaysement total. Une fois sorti de l’autoroute à Alençon, les quarante-cinq dernières minutes de trajet m’offraient des paysages de champs, de collines et de forêts qui me semblaient irréels. C’était si vert, si jaune sous un ciel si bleu parsemé de nuages blancs qui projetaient leurs ombres sur les landes. Landes que je traversais en roulant sur une départementale s’étirant en ligne droite à perte de vue. Là, je pourrais presque anticiper les moqueries des lecteurs vivant dans ce genre de paradis et me traiter de « parigot ». Et ils auraient tout à fait raison. Avec le recul je pense effectivement avoir déjà eu un comportement de citadin convaincu rempli de préjugés sur le milieu rural, Dieu me pardonne.

Je passai par des villages tous aussi petits les uns que les autres, avec leurs maisons en pierres ou en briques, leurs jardins fleuris et leurs noms étranges. Puis enfin, j’arrivai à Saint-Hilaire sur Dives. Il s’agissait d’un village pareil à tous les autres que j’avais traversé, quoique celui-ci était un peu plus grand puisqu’il comptait une caserne de pompiers, plusieurs restaurants, une école maternelle et primaire, un collège, plusieurs banques différentes et entre tout cela, bien entendu, une gendarmerie.

Je me garai sur la place entourée par plusieurs commerces ainsi qu’un bar restaurant, Le Saint-Pierre. J’avais rendez-vous avec le propriétaire pour qu’il me fasse visiter un appartement situé à côté d’une boulangerie non loin de là. Le restaurant était vide, mais le comptoir du bar supportait les coudes d’une dizaine de personnes qui se retournèrent vers moi et me jaugèrent avec curiosité. Le propriétaire, Philippe Hareau, me fixa à son tour avant de me lancer sur un ton grave :

« Z’êtes M’sieur Blanch’tière ?

— Oui… »

Le quinquagénaire esquissa un sourire et se tourna vers son assemblée :

« Messieurs, je vous présente un nouveau flic venu de Paname juste pour nous ! clama-t-il avant de joindre son rire bruyant à ceux de ses clients. Quelle heure est-il ? Ha ! Vous êtes pile poil à l’heure. La rigueur de l’école de flics, je présume. Bah ! Tirez pas cette tronche M’sieur Blanch’tière ! Je plaisante ! Vous pouvez vous détendre ici vous savez, parce que vous n’allez pas avoir grand-chose à faire à Saint-Hilaire sur Dives. Sauf peut-être relever l’alcoolémie du gars Boudier ! Hein mon couillon ? »

Tout le monde rit de plus belle, à l’exception d’un homme corpulent au nez aussi rouge que son verre de vin. Puis le propriétaire appela une certaine Canelle qui sortit de quelque part au fond du bar :

« Je vais faire visiter l’appartement à Monsieur. Occupe-toi de ces poivrots en attendant, tu seras gentille ! Venez M’sieur Blanch’tière. »

La visite de l’appartement fut rapide. Un salon, une cuisine, une salle de bain et une chambre. Le tout dans un trente-trois mètres carrés très propre pour un loyer que je jugeais ridiculement bas comparé à celui des différents studios que j’avais habité sur Paris. Je n’en demandai pas plus et signai tous les papiers une heure plus tard. J’emménageai la semaine suivante, deux jours avant de commencer mon service, le 3 juillet.

Au cours du même mois, j’ai très vite compris pourquoi mon proprio m’avait dit qu’il n’y aurait pas grand-chose à faire à Saint-Hilaire sur Dives. En effet, mis à part quelques contrôles aux différents carrefours ou quelques bagarres de comptoir à calmer, je passais le plus clair de mon temps professionnel dans la paperasse administrative. Je m’étais suffisamment bien intégré pour fréquenter, après quelques jours, une bande de collègues inséparables dont la tête pensante s’appelait Florian. Il exerçait depuis sept ans et m’avait indiqué que les quelques grosses affaires qui s’étaient déroulées dans ce village et ses alentours remontaient à plus de quinze ans, bien avant qu’il ne rentre en service.

En dehors de mon métier, j’étais même devenu copain avec Philippe et je mangeais fréquemment chez lui où je découvris que Canelle n’était pas seulement sa collègue au bar, mais aussi sa fille. Enfin bref, tout commençait bien et je finis par me dire que, finalement, j’allais peut-être me plaire dans ce village.

Et puis est arrivé le mois d’août et avec lui l’affaire Timothé Bardin.

II

Le 3 août à neuf heures et quart, le téléphone du standard de la gendarmerie sonna. Ce fut Florian qui décrocha. À l’autre bout du fil, une femme hystérique et sanglotante croassait que son fils de onze ans avait disparu. Tout d’abord mon collègue, très calme, tenta de la rassurer. Puis, au fur et à mesure de la conversation, son visage s’est terni. Éloignant le téléphone de son oreille, il me lança un regard en désignant du doigt un véhicule sur le parking. Enfin, il prononça un « On arrive tout de suite ! » digne des plus grands films dramatiques avant de passer le combiné à une collègue. Sur la route, il m’expliqua donc de quoi il en retournait.

Léa Bardin, mère célibataire travaillant dans une banque comme conseillère, a voulu réveiller son fils Timothé en vue de le préparer pour aller au centre de loisirs. Mais lorsqu’elle avait ouvert la porte de sa chambre, le lit était vide. Elle a passé la maison et le jardin au peigne fin, mais aucune trace du garçon.

« Je la connais bien, me précisa Florian, son fils et le mien sont copains. Donc laisse-moi parler d’accord ? Elle est du genre à se braquer très vite face à des inconnus. »

Nous quittions le village pour nous engager sur une communale bordée uniquement par des champs et des prairies dont la beauté et la verdure me séduisaient toujours autant. Après avoir roulé cinq minutes dans ce paysage, Florian prit à droite et nous nous enfoncions dans une voie sans issue au bout de laquelle se trouvait une de ces anciennes maisons de pierres disséminées dans toute la campagne alentour.

À l’intérieur nous y trouvions Léa Bardin, une grande femme brune d’environ quarante ans, le visage raidi par le stress et l’angoisse. Assise dans son canapé vert, une cigarette entre les doigts, elle bondit sur ses pieds en nous voyant arriver dans l’entrée qu’elle avait laissée ouverte. Je pus constater dès les premiers échanges ce que Florian m’avait dit au volant : ils avaient effectivement l’air de bien se connaître. Mon collègue me présenta brièvement avant de demander à Mme Bardin de tout nous raconter dans les moindres détails.

Depuis deux semaines, Timothé partait tous les matins à vélo rejoindre le centre de loisirs et revenait en fin d’après-midi. Tout s’était très bien passé la première semaine. Mais le lundi suivant, en rentrant à la maison, le garçon était couvert de terre, son short troué et de multiples égratignures lui recouvraient les bras et les jambes. Sa mère l’avait examiné des pieds à la tête en lui appliquant des pansements et des compresses alcoolisées. Timothé expliqua qu’il avait dérapé dans une descente non loin de la maison. Sa chute l’aurait entraîné jusque dans un champ dans lequel s’élevait un grand arbre sans feuilles. L’enfant avait même précisé que la forme et l’orientation des branches lui avaient donné l’impression d’une monstrueuse main géante voulant l’attraper.

« Je ne voyais pas du tout de quel endroit il me parlait ! avait indiqué Mme Bardin. »

Mais le garçon n’avait pas terminé son récit. Pendant qu’il se relevait péniblement, une petite fille serait sortie de derrière l’arbre menaçant. Il l’avait décrite comme ayant probablement le même âge ou un tout petit peu plus, avec deux longues couettes noires qui pendaient de chaque côté de sa tête. Il ajouta qu’elle était habillée d’une robe d’été rouge et bleu. Là non plus, la pauvre femme ne voyait pas qui pouvait être cet enfant malgré son implication en tant que présidente de l’association de parents d’élèves.

Cette petite fille donc, se serait approchée de Timothé et lui aurait demandé s’il ne s’était rien cassé. Après l’avoir rassurée, le garçon lui demanda son prénom.

« Il a dit qu’elle s’appelait Anaïs, mais encore une fois, je ne vois absolument pas qui pourrait être cette enfant ! sanglotait Léa Bardin avant de poursuivre. »

Après avoir discuté un peu avec cette Anaïs, le garçon remonta sur son vélo et s’apprêtait à repartir quand la jeune fille lui demanda s’il reviendrait la voir. Timothé confessa à sa mère que la question l’avait fait rougir. Il accepta avant de s’interroger sur le lieu où ils se retrouveraient. Elle aurait désigné l’arbre du doigt. Le garçon lui demanda si elle ne le trouvait pas effrayant et à Anaïs de répondre que non seulement ce n’était pas le cas, mais qu’elle le considérait même comme son meilleur ami à qui elle racontait tout. Timothé, un peu étonné par cette réponse, lui promit qu’il repasserait le lendemain après sa journée au centre de loisirs. Anaïs aurait été très satisfaite de ce nouveau rendez-vous. Enfin Timothé rentra chez sa mère, en faisant davantage attention sur son vélo.

« Je n’étais pas rassurée de savoir que mon Timothé allait revoir cette étrange fille que je ne connais pas et qui plus est parlerait aux arbres. Mais il était tellement content d’avoir attiré l’attention d’une fille ! Il avait un large sourire tout le temps qu’il me parlait. Alors lorsqu’il m’a demandé mon autorisation, j’ai eu la faiblesse d’accepter… Peut-être que si j’avais refusé, il serait toujours là… »

Un nouveau sanglot s’empara d’elle. Florian et moi attendîmes qu’elle se reprenne, ce qui arriva au bout de quelques minutes. Mon collègue lui demanda si elle pensait que cette Anaïs aurait quelque chose à voir avec la disparition de son fils.

« J’en suis certaine ! avait-elle répondu avant de continuer de nous raconter. »

Le lendemain de cette mystérieuse rencontre, Timothé était rentré à la maison tout heureux. Après le centre, il était bien retourné dans ce champ où il aurait revu la petite fille. Selon lui, ils avaient discuté de plein de choses : du vélo, de l’école, des arbres, de leurs amis – même s’il avait surtout été question des amis de Timothé car Anaïs lui aurait confié qu’en dehors du grand arbre, elle n’en avait aucun – et de ce qu’ils aimaient faire les week-ends.

Ils jouèrent même à grimper le plus haut possible dans le vieux saule pleureur. Il avait prononcé le nom de l’arbre avec fierté car c’était Anaïs qui le lui aurait appris. Tout cela avait fini par rassurer quelque peu sa mère qui lui demanda si sa nouvelle amie lui avait parlé de ses parents ou de l’endroit où elle habitait. La réponse de son fils effaça d’un coup ses maigres réjouissances :

« Elle a dit qu’elle a eu des parents il y a très très longtemps, mais qu’ils sont partis ! lui avait répondu Timothé. Elle a aussi dit qu’elle habitait partout où elle avait envie et que pour l’instant elle se plaisait bien dans ce champ. »

Léa Bardin souligna que son fils avait prononcé ces mots d’un ton qui signifiait qu’il ne les avait pas mis en doute une seule seconde. Elle prit donc son courage à deux mains pour lui expliquer qu’elle n’aimait pas du tout qu’il fréquente ce genre de camarade et qu’elle avait peur de son éventuelle influence sur lui. Elle termina sa tirade en lui interdisant de la revoir. La réaction de Timothé fut prévisible bien sûr. Après avoir encaissé ce que sa mère venait de lui dire, il protesta vivement en répétant qu’Anaïs était très gentille et qu’il n’avait pas envie de la rendre triste. Mais il perdit vite son assurance devant l’air catégorique de sa mère et s’était mis à pleurer de colère. Il mangea son repas, mais ne prononça plus une parole de la soirée.

Cependant le mercredi soir, Timothé ne revint pas à l’heure non plus. Lorsqu’il rentra avec trente minutes de retard, sa mère exigea de savoir ce qu’il avait fabriqué. Le garçon, qui affichait une mine grave et triste, lui répondit qu’il était retourné voir Anaïs une dernière fois pour lui dire qu’ils ne se reverraient plus. Mme Bardin en fut à la fois surprise et soulagée. Mais comme la veille, son fils s’était renfermé dans un mutisme qu’il ne brisa qu’au jeudi matin.

Ce même jour, lorsque Timothé avait passé le seuil de la porte avec vingt de minutes de retard, elle s’apprêtait à le gronder avant de remarquer avec horreur l’expression de son visage.

« Il était en état de choc, le visage pâle, il ne réagissait pas quand je lui parlais, il tremblait de tout son corps ! »

La mère désespérée écrasa le mégot de sa cigarette dans un cendrier avant d’en rallumer une autre immédiatement après.

« J’ai appelé le Docteur Farault, il est arrivé dans les dix minutes. Il a confirmé mes inquiétudes. Il l’a ausculté sans avoir trouvé de blessures puis m’a vivement conseillé d’aller le mettre au lit et de poser un verre d’eau sur sa table de chevet. C’était horrible ! Son regard ! Mon bébé ! »

Mme Bardin s’effondra de nouveau. Florian et moi ne savions pas quoi dire, donc nous restâmes silencieux. Une éternité m’a semblé s’écouler avant qu’elle n’achève son histoire :

Timothé n’avait rien mangé ce soir-là. Allongé dans son lit, il avait fixé le vide tout en se maintenant dans son mutisme. Sa mère avait veillé auprès de lui jusqu’à ce qu’il finisse par s’endormir. À contre-cœur, elle avait fini par quitter la chambre après l’avoir embrassé sur le front. Elle n’y était retournée que le lendemain matin.

La suite nous la connaissions.

III

Florian et moi sommes restés muets encore quelques instants après cet étrange récit. J’avais remarqué que mon collègue tenait entre les mains un bloc-notes sur lequel il gribouillait quelques mots. Léa Bardin fixait son cendrier sans rien dire non plus, le visage grave et les yeux rouges. Ne supportant plus ce silence, je décidais d’ignorer le conseil de Florian :

« Mme Bardin, commençai-je, ce champ dans lequel votre fils aurait rencontré cette Anaïs, vous ne savez pas du tout où il se trouve ? »

Sans même me regarder, elle fit non de la tête. J’insistai :

« Ne connaîtriez-vous pas quelqu’un qui puisse nous aiguiller sur son emplacement ? Un agriculteur du coin ou… »

Ses yeux bruns et fatigués se levèrent enfin vers moi :

« Allez voir Jean Marguerite. C’est un vieux paysan grincheux et asocial, mais il fait partie des anciens du village. Il pourrait peut-être vous donner des infos utiles. Il habite dans le centre-bourg, mais vous aurez plus de chance de le trouver au Saint-Pierre. »

Florian venait à peine de terminer sa prise de notes que je la remerciai et me dirigeai vers l’entrée. Mon collègue assura son amie que nous ferions tout pour retrouver son fils puis me rejoignit. Nous étions remontés dans la voiture lorsque la mère de famille sortit de la maison en trottinant vers nous. Baissant la vitre, Florian demanda ce qu’il se passait.

« J’ai failli oublier, répondit-elle, en cherchant Timothé partout dans la maison, je suis passée par le garage et j’ai constaté qu’un des deux bidons d’essence avait disparu avec une boîte d’allumettes qui se trouvait au-dessus de la cheminée. Je vous en prie, retrouvez-le au plus vite ! »

Nous avons roulé très vite jusqu’à la place. Jean Marguerite n’était pas au Saint-Pierre. Philippe nous assura qu’on le trouverait chez lui.

Le centre-bourg de Saint-Hilaire sur Dives était un véritable témoignage de l’histoire. Ayant survécu aux siècles, aux guerres, aux révolutions, il était le dernier lieu authentique du village. La maison du vieux paysan se situait à l’extrémité ouest du bourg, construite tout en hauteur, avec un petit bout de jardin mal entretenu. Il nous a fallu frapper plusieurs fois chacun notre tour avec Florian pour qu’enfin Jean Marguerite nous ouvre la porte. C’était un petit homme courbé, mal rasé, aux cheveux blancs décoiffés et surtout dégageant une odeur de sueur, d’urine et d’alcool pestilentielle. Ce fut Florian qui amorça la conversation. Il nous présenta, expliqua que nous recherchions un certain champ dans lequel se trouverait un saule pleureur sans feuilles.

La réaction du paysan fut inattendue. Au lieu de nous indiquer un itinéraire ou même un bout de chemin, il se braqua complètement en criant des paroles incompréhensibles. Certainement un patois local. Mais dans ce flot de mots inconnus, nous distinguâmes tout de même une volonté du vieil homme de nous dissuader de chercher cet endroit.

Après avoir essayé de le calmer, nous lui redemandions une nouvelle fois s’il savait quelque chose sur ce champ. Voici ce qu’il nous répondit :

« J’vous dis d’pas y aller ! Ce champ est maudit ! Il l’était d’jà quand l’père de mon grand-père était bambin ! Y a des enfants qu’sont morts au pied d’cet arbre ! Des centaines d’enfants ! On n’a pas r’trouvé tous les corps ! J’sais pas pourquoi vous l’cherchez, mais si c’est pour un mioche, dites-vous qu’il est d’jà mort ! T’façon même si j’vous dis où le l’trouver, vous pourrez même pas y aller à cause des ronces ! Des haies entières d’ronces ! Maintenant foutez l’camp ou j’appelle les flics ! »

Florian et moi étions totalement abasourdis par les paroles du vieil homme. Il nous fallut quelques instants avant de reprendre nos esprits. Florian prit alors le célèbre ton du gendarme autoritaire et somma le vieux Marguerite de nous indiquer immédiatement l’emplacement de ce champ sous peine de l’emmener en cellule de dégrisement. Le paysan se calma quelque peu, mais paraissait toujours agité. Il nous expliqua donc comment y aller tout en tentant de nous dissuader de le faire. Après ces explications, nous le laissions tranquille et remontions dans la voiture. Florian mit le contact et nous quittâmes le bourg, mais nous n’allions pas vers la sortie du village. Je lui demandais où il nous emmenait.

« On retourne à la gendarmerie, répondit-il, on va se séparer là-bas. Tu prendras la voiture et tu iras inspecter ce champ, si tu le trouves.

— Ce n’est pas contraire au protocole ? Et toi qu’est-ce que tu vas faire ?

— Je vais faire des recherches sur ce que le vieux nous a dit à propos des enfants qui seraient morts là-bas. Je ne pense pas trouver grand-chose, mais sait-on jamais, des fois qu’on trouve un indice.

— Tu ne veux pas que quelqu’un d’autre s’en charge pour nous ?

— Non. C’est sûrement stupide de ma part, mais je veux m’occuper personnellement de cette affaire. Pour Léa. Je te rejoindrai dès que possible. Tu m’appelles au moindre truc suspect. »

Tout en parlant, Florian ne s’était pas rendu compte qu’il roulait à soixante-dix en plein centre du village. J’étais sur le point de le lui dire quand il tourna brusquement à droite pour débouler sur le parking de la gendarmerie. Il sortit de la voiture sans éteindre le contact, je fis de même et pris place derrière le volant. Florian se retourna une dernière fois vers moi :