Le royaume d’Elysia - Tome 1 - Alice Laurent - E-Book

Le royaume d’Elysia - Tome 1 E-Book

Alice Laurent

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Beschreibung

Les humains se sont transformés en vampyrs à la suite de deux guerres mondiales. La reine Elysia du royaume du Nord doit lutter contre de nouvelles menaces, non seulement pour sa propre survie, mais aussi pour la stabilité de sa nation en perpétuel conflit. Y parviendra-t-elle ?

À PROPOS DE L'AUTRICE


Alice Laurent explore des mondes peuplés de créatures imaginaires et de paysages inédits à travers ses écrits. "Le royaume d’Elysia – Tome I – Elysia, les devoirs d’une reine" en est la matérialisation.

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Alice Laurent

Le royaume d’Elysia

Tome I

Elysia, les devoirs d’une reine

Roman

© Lys Bleu Éditions – Alice Laurent

ISBN : 979-10-422-1824-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Prologue

Eros, Ville-Centre, an 4152

Elysia poussa un énième soupir. Aaron et Vladimov se battaient encore une fois, et toujours sur le même sujet. Fallait-il intervenir dans le conflit opposant les clans belliqueux ? Et si elle le voulait bien, qui fallait-il aider ? De jeunes vampyrs imbéciles, pensa-t-elle. Plutôt ironique, connaissant leur nature. Mais à son échelle, ils venaient juste de naître.

Elle leva les yeux au ciel et quitta la salle de réunion en claquant la porte, ce qui eut pour effet de stopper net la querelle de ses généraux. Elle erra quelques instants dans un dédale de couloirs, et croisa quelques personnes, ce qui lui valut des révérences, plus basses les unes que les autres, qui ne firent que l’énerver davantage. Elle accéléra le pas, et finit par prendre les escaliers de service. Elle rencontra des serviteurs, mais personne dans sa cape, capuchon rabattu, ne prêtait attention aux autres, et elle en était satisfaite. Sans vraiment savoir pourquoi, elle était irritable ces derniers temps. Une sorte de pressentiment ne la quittait pas, et amplifiait une sensation d’urgence. Elle ne voulait pas en parler, et encore moins à ses généraux. Dans le meilleur des cas, ils se disputeraient pour savoir lequel d’entre eux trouverait le problème le premier. Dans le pire, son intuition était juste et une catastrophe se profilait. De toute manière, elle savait qu’il lui incomberait d’y remédier. Après tout, c’était elle, la reine.

Elle descendit les trente étages, et se décida à sortir. Soudain, la tour, sa Tour, lui semblait trop petite. Elle avait besoin d’air et d’arrêter de trop penser. Elle glissa un pied dehors, mais s’arrêta un instant. Elle songea un instant à la foule qui allait la reconnaître et s’empresser autour d’elle. Voyant une femme de chambre rentrer, elle en prit la cape d’un rouge sang, rabattit le capuchon, et finit par être libre. Elle respira un grand coup, et commença sa contemplation. Bien qu’elle se soit installée dans une des tours de contrôle de la capitale depuis un peu plus d’une décennie, à chacune de ses sorties, l’effet restait le même. Souffle coupé. Regard brillant. Emballement de son cœur.

La capitale de la zone neutre, Éros. La ville principale du monde se situait au centre du dernier continent encore émergé. Les deux dernières guerres mondiales avaient été désastreuses. Seuls les livres les plus anciens en parlaient encore. Dans les années 2250, la moitié du continent asiatique et la quasi-totalité des pays européens étaient tombés bien bas, et se faisaient la guerre pour de futiles raisons, mais avec des armes qu’ils ne maîtrisaient pas. Les dernières attaques avaient détruit le continent américain et l’Océanie, à coup de bombes nucléaires qui avaient pollué l’air. Rares avaient été les survivants, et on ne pouvait pas dire qu’ils avaient eu de la chance. Les premiers changements biologiques ont eu lieu à cette époque. Une courte période de paix, prospère pour les pays qui restaient, s’était terminée dans un nouveau bain de sang, dont la raison resterait à jamais un mystère. Peu après le passage de l’an 2600, de nouvelles bombes avaient explosé, de grandes courses poursuites aériennes avaient fini par détruire les glaciers des pôles et immerger de nouvelles terres en Europe du Nord principalement. Et était apparue l’arme ultime. La substance R. À l’état solide, il s’agissait d’un des matériaux les plus solides qui puisse exister. À l’état liquide, en le faisant chauffer à des températures supérieures à 1000 °C, il se transformait en un des acides les plus corrosifs. À l’état de gaz, il était pire encore. Seules d’immenses cuves en alliage de cuivre et de carbone parvenaient à garder la substance R.

Jusqu’à ce qu’elle soit relâchée au-dessus de pays ennemis. L’Afrique avait entièrement été décimée. Il ne restait rien. Ni âme, ni plante, ni même des vestiges de civilisation. Le continent entier avait fini par couler. La substance était tellement nocive que ses inventeurs n’étaient pas parvenus à trouver un antidote, et leur création s’était retournée contre eux. L’Europe de l’Ouest avait disparu sous les gouttes de l’acide, et par un mauvais coup du hasard, les derniers avions qui transportaient les dangereuses émanations s’étaient crashés. Le gaz s’était entièrement répandu dans l’atmosphère. La race humaine s’était éteinte peu après.

Des vampyrs s’étaient alors manifestés. Ils se revendiquaient les premiers de leur race, ayant vécu pendant la Troisième guerre mondiale. Certains ne les ont pas crus. Comment avaient-ils supporté les nouveaux bombardements et la substance R ? Deux scientifiques devenus vampyrs ont fini par travailler sur la question. Il fallait reconnaître la résistance de ces premiers de la race, ceux qui se regroupèrent et formèrent le groupe des Résultants. Ceux qui sont restés, qui ont survécu. Leur métabolisme, leur résistance, leurs nouvelles capacités ont été étudiés dans les moindres détails. Jusqu’à leur ADN avait été transformé, certains chromosomes avaient muté, d’autres avaient disparu. Des mutations génétiques qui auraient dû mettre des centaines, voire des milliers d’années à apparaître, s’étaient manifestées pour la survie de l’espèce humaine. Enfin, plus ou moins.

Comme dans les anciennes légendes, ils avaient certaines particularités physiques exceptionnelles, communes à tous les vampyrs des mythes humains, mais plus exacerbées encore chez eux, comme la vitesse, la force, ou des sens plus développés. Leur tolérance à la douleur, ainsi que leur résistance physique dépassaient aussi les normes communément admises, même pour des vampyrs. Ils avaient alors voulu contrôler le monde, se sentant déjà supérieurs par leur survie pendant les dernières guerres, mais aussi par leurs capacités exceptionnelles, bien qu’ils ne représentaient qu’une minorité. Mais les nouveaux vampyrs n’avaient pas tardé à réclamer leur part, en développant eux-mêmes des capacités, assez différentes de leurs aînés. Ils développèrent des pouvoirs, de nature très diverse. Certains possédaient le don de se métamorphoser en un animal, de voler, de contrôler un élément, et d’autres encore, celui d’hypnotiser. Tant de facultés s’étaient déclarées qu’il était impossible de savoir combien de pouvoirs il existait. Certains poussaient leur talent à une telle perfection, devenant alors l’élite de leur clan, et se surnommant eux-mêmes les Ombres. Chaque clan voulait prouver qu’il était le meilleur. Une nouvelle guerre se déclara, un conflit d’un tout nouveau genre. Plus violent, plus sanglant, ne connaissant aucune limite à la cruauté dont ils pouvaient faire preuve. Des centaines d’espions, de chaque camp, furent capturés. On testa alors, sur eux, des méthodes plus qu’effroyables en matière de torture, allant bien plus loin que ce que l’espèce humaine aurait pu imaginer, même dans ses rêves les plus terribles.

Après de nouvelles décennies de guerre, certains n’aspiraient qu’à la paix. Ils avaient vu trop de conflits, trop de sang, trop de morts. Trop. Ils voulaient simplement vivre, éternellement s’il le fallait, mais dans la paix et le calme. Ce qui paraissait difficile quand on songeait qu’il ne restait que le centre du continent eurasien comme seul lieu de vie, légèrement plus épargné que le reste du monde. Ce dernier groupe, des pacifistes, réunissait des membres des deux clans, et quand ils durent entrer en guerre contre leur volonté, pour leur survie, ils eurent vite le dessus. Ils alliaient la robustesse des premiers, et les pouvoirs, parfois phénoménaux, des derniers vampyrs.

Ils auraient pu dicter leurs volontés aux deux clans. Mais ils préférèrent la diplomatie. Ils dirigèrent la totalité du territoire quelque temps, assez pour partager les terres de manière équitable. De ce qu’il restait du monde, ils l’appelèrent Horiole, un territoire circulaire, avec une ville au centre, sorte de capitale du monde, qu’ils baptisèrent Éros. Ce nouveau continent fut divisé en trois parts égales : Rixel à l’Est, pour les Ombres, Orion à l’Ouest, pour les Résultants et Élysée au Nord, pour ceux qu’on appellerait désormais les Pacifistes. Chaque région fut déclarée indépendante, n’ayant aucune obligation envers les autres, et la capitale centrale, se déclara neutre, épargnée des conflits, acceptant chacun des camps en son sein, à la fois pour garder la diversité, mais aussi pour les échanges entre pays, dans la mesure où chacun avait un climat très différent des autres.

La politique appliquée dans chaque région fut très différente, elle aussi, peut-être dans l’optique de vouloir se différencier les uns des autres. Les Pacifistes fondèrent une lignée de reines, nées de l’union d’un nouveau et d’un ancien vampyr, et donc dotées de pouvoirs et de compétences exceptionnelles. Les Ombres établirent un régime basé sur la force, où les coups d’État étaient fréquents, afin de prendre le contrôle de toute la région. Enfin, Orion fut érigée en tant que démocratie, où chacun pourrait faire valoir son avis.

I

Elysia mit quelques secondes à reprendre son souffle. Elle fit quelques pas, puis releva la tête pour regarder la tour. Sa Tour. Une sorte d’ambassade au centre de la capitale, qui atteignait les soixante-douze étages, et peinait à dépasser les cent soixante mètres de haut. Bien qu’elle soit ronde, à première vue, la tour était tellement grande qu’elle cachait ses formes, et se terminait en une pointe verdoyante, ses appartements avec terrasse. Cette tour était à la hauteur de son peuple. Elle mélangeait plusieurs architectures, soit pour représenter les deux races qui se mélangeaient dans la région dans un parfait accord, ou bien parce qu’après les guerres, les styles avaient été perdus, et il s’agissait alors de simplement faire en sorte que le bâtiment tienne debout. La tour était en forme de spirale, tournant sur elle-même, les fenêtres renvoyant tous les rayons du soleil dans des directions opposées, la rendant bien plus lumineuse qu’elle ne l’était réellement.

Elysia esquissa un sourire en regardant ses bras nus, tachés de gouttes de lumière, et repensa à ses vieux livres qu’elle avait lus, sauvegardés dans des bunkers avant les guerres, avec une vision étriquée propre aux humains. Ils se représentaient les vampires comme des créatures mythiques qui, bien que puissants, avaient beaucoup de faiblesses. La lumière était certainement leur plus grand talon d’Achille. Mais elle supposait que jamais, aucun humain n’aurait pu imaginer qu’ils existeraient vraiment, ni qu’ils n’auraient presque aucun défaut. Leur peau était certes pâle, pour la plupart d’entre eux, mais dure comme de la roche, si bien qu’il était presque impossible de leur planter une dague ou un pieu. Leurs os et leurs canines, notamment, étaient également d’une robustesse incroyable, bien qu’une morsure puisse aisément entailler la chair. Boire le sang d’un vampyr était assez commun, mais il s’agissait d’un acte intime, fait entre deux personnes très proches, et les précieuses gouttes rouges étaient aussi recherchées que raffinées.

En réalité, les moyens de les tuer se comptaient sur les doigts d’une main. Le feu leur était fatal, et encore pas pour tous, ainsi que la substance R. Si l’on possédait suffisamment de forces, la strangulation avec la nuque brisée était une méthode viable, bien que peu utilisée, étant donné la force naturelle des vampyrs, et certains pouvoirs régénérants. Sectionner des membres, ainsi que la tête était le moyen le plus sûr et le plus courant, si bien que dans les nombreuses batailles entre les Résultants et les Ombres, beaucoup d’entre eux utilisaient des haches ou des épées, créées par des maîtres forgerons qui savaient parfaitement allier la robustesse du métal, et le tranchant nécessaire pour pénétrer leur peau. Hélas, ces savoir-faire étaient de moins en moins transmis, et les rares qui utilisaient encore leurs talents ne le faisaient pas pour autrui, mais vendaient leurs armes au prix fort. Elysia soupira et tenta d’oublier les problèmes récurrents qui lui étaient rapportés, comme cet enrichissement et la hausse des crimes de rue, pour revenir sur ses premières réflexions, à savoir les mythes humains sur les vampires. Les histoires anciennes la fascinaient, et elle les étudiait assidûment.

Par le passé, il y avait eu de nombreuses idées reçues, d’abord sur les miroirs, l’ail, ou l’eau bénite (bien qu’elle ne sut ce qu’était la sacralité, ou son utilité), mais cela ne s’était pas avéré. Eh bien loin d’être une faiblesse, l’exposition au soleil leur était, en vérité, vitale. En tant que vampyrs, ils n’avaient pas réellement besoin de se nourrir, ce n’était pas un devoir pour survivre, mais plutôt une sorte de plaisir, de gourmandise. Certaines nouvelles espèces d’animaux étaient savoureuses, mais le meilleur restait de goûter au sang d’un autre vampyr, un apogée du délice.

Elysia jeta un dernier regard vers sa tour, tourna les talons et se faufila dans les premières rues de la capitale. Éros était une grande ville qui valait le coup d’œil. Les rues du centre comportaient presque exclusivement de grands bâtiments, tout comme la périphérie, dont la plupart des étages étaient pourtant désaffectés. La raison était assez simple, à part les Ombres qui savaient voler ou se métamorphoser en oiseau, la plupart des vampyrs avaient peur de la hauteur, ne fût-ce que le premier étage. Certains tentaient d’affronter cette phobie des hauteurs, mais cela leur était presque impossible, comme si c’était inscrit dans leurs nouveaux gènes. Les immeubles entourant les tours n’étaient pas complètement déserts. Les étages les plus bas étaient très prisés, réservés la plupart du temps par les vampyrs qui avaient le plus d’argent. Cela leur permettait d’être proche du centre de commande du monde, et c’était pour eux un réel honneur d’être si proche et de pouvoir apercevoir les dirigeants entrer ou sortir de leur tour. Privilège accordé véritablement à peu de vampyrs, étant donné le manque d’appartements disponibles dans cette zone. C’était une partie de la ville où résidait une sorte d’élite, une petite bourgeoisie vampyr. Pas suffisamment importante pour loger dans les tours d’ambassades, mais plus haute dans la hiérarchie pour avoir l’opportunité de côtoyer les dirigeants quand même.

La civilisation ressemblait vraiment à une pyramide. En haut se situaient les gouvernants et leurs suites, ensuite la royauté qui ne les suivait pas toujours dans leurs déplacements. Venaient après les aristocrates, ces nouveaux riches qui prenaient de plus en plus d’importance, la petite bourgeoisie de la Ville-Centre, et enfin, les autres vampyrs qui n’avaient aucun lien avec la direction du monde. Une hiérarchie où chacun savait sa place, une pyramide comprenant des dizaines de millions d’individus classés. Les vampyrs avaient proliféré pendant des siècles. Si l’espèce humaine s’était éteinte, avec très peu de survivants pour créer la nouvelle race, aujourd’hui, leur nombre était impressionnant, bien qu’aucun recensement mondial n’ait jamais été fait.

Elysia croisa les doigts pour passer inaperçue, et s’aventura dans les rues. Elle fronça les sourcils en les voyant désertes. Des bruits un peu plus loin lui firent relever la tête, et elle prit la première bifurcation sur sa droite, vers la place centrale de la capitale, où se regroupaient les commerces. Là, une personne encapuchonnée de vert se tenait au milieu d’une foule, qui lui semblait hostile. Elysia rabattit un peu plus la cape sur son visage et observa en silence. Elle crut comprendre que le capuchon vert, un homme, semblait-il, était accusé d’avoir volé une auberge et qu’il avait par la suite agressé plusieurs vampyrs.

La ville, même si son taux de crimes ne cessait d’augmenter, avait été érigée pour ceux qui ne voulaient pas se battre, de façon temporaire comme des vacances, ou plus permanente. Les attaques y étaient proscrites, et ceux qui se faisaient prendre recevaient un châtiment, la plupart du temps des plus humiliants, si leur crime n’impliquait pas la mort. En revanche, si un meurtre était commis, l’autorité présente ne connaissait pas le mot compassion. Cette autorité, elle en avait conscience, était soit laxiste, soit corrompue. Si cela n’avait tenu qu’à elle, elle aurait congédié cette milice internationale inutile, et aurait choisi elle-même des soldats compétents et sûrs. Mais bien évidemment, Orion et Rixel avaient donné leur opinion, et leurs avis divergents, sûrement plus pour la forme que sur le fond, avaient mené à un ramassis d’abrutis qui tentaient de diriger la Ville-Centre.

Une femme, dont le manteau noir portait plusieurs cercles dorés entrelacés, se mit devant lui et tenta de le défendre. Sa tenue parlait pour elle. Ce symbole était reconnaissable par tous. Celui de la Ligue des Assassins, un groupe d’Ombres ou d’hybrides, sans réelle autorité, qui accomplissait de grandes missions, monnayant un prix relativement élevé. Elle prit la parole d’une voix forte, en faisant face à une foule hostile. Elle parlait d’un duel proposé par d’autres vampyrs, en échange d’un repas et d’un lit, et qu’il avait gagné. Mais la foule qui s’excitait, n’entendait rien, et se rapprochait de lui. Le regard d’Elysia croisa celui de l’assassin. Un éclair de lucidité parcourut celle-ci, et elle la pointa du doigt. « C’est elle, c’est la reine ! »

Il n’y avait pas besoin de dire plus, chacun savait de quoi elle parlait. La reine des vampyrs du clan des Pacifistes, qui, avec l’union de deux vampyrs de clans différents, devait être dotée d’une puissance phénoménale. Elysia poussa un soupir et enleva sa capuche, laissant de grandes boucles noires descendre dans son dos. Jouant son rôle, elle releva la tête et commença à avancer. Rien qu’à sa démarche, on pouvait voir toute l’assurance dont elle faisait preuve, et la foule libéra un passage afin qu’elle puisse aller jusqu’à celle qui l’avait dénoncée. Elle lui jeta un regard dédaigneux et se tourna, s’arrêtant deux mètres devant l’accusé.

— Quel est ton nom ?

Seul le silence lui répondit.

— Qui a raison ? La foule ou l’assassin ?

— Personne.

— Bien, au moins, tu parles. Alors, raconte-moi ta version des faits.

— Je voulais manger et dormir. J’avais de l’argent. Mais il a été volé pendant la nuit. J’ai retrouvé le coupable à l’odeur, qui a avoué et m’a dit que je récupérerais la somme si je le battais. Il a menti.

— Qui était-ce ?

Le capuchon pointa un homme du doigt. Il était grand, fort, et extrêmement musclé. Un Résultant, à n’en pas douter. Elysia s’approcha de l’homme désigné.

— Comment t’appelles-tu et quel est ton travail ?

— Je suis Arlan Vertix, et je suis forgeron.

— Bien. Reconnais-tu ce capuchon vert ?

— Oui, il m’a attaqué à l’auberge.

— Lui as-tu volé sa bourse ?

— Non, ce n’est qu’un menteur !

— Voyons, regarde-moi dans les yeux et arrête de mentir. Plus que les idiots qui me défient, ce sont les menteurs que je déteste le plus.

Elysia plaça ses mains autour de la tête du forgeron qui eut un mouvement de recul. Elle le tenait fermement et elle sentit qu’autour d’elle, la foule retenait son souffle. Elle en fit abstraction, plongea son regard dans celui d’Arlan, et pénétra dans son esprit. Elle y vit son existence misérable, ses méfaits et toutes les personnes qu’il avait déjà attaquées. Les images qu’elle percevait se brouillaient par moment, signe qu’il était ivre. Si l’alcool des humains était néfaste en trop grande quantité, il n’avait aucun effet sur les vampyrs. Cependant, quelque chose d’autre remplaçait cette boisson, et offrait les mêmes effets. Le sang de vampyr. Cet homme s’était abreuvé de vampyrs, et du sang avait coulé à foison. En cherchant bien, elle trouva le moment. Des Ombres, attachés dans un entrepôt désaffecté. Leurs bras tranchés pour écouler leur liquide vital dans de grands récipients. Et des Résultants voraces qui n’en avaient jamais assez. Elle en avait vu suffisamment.

— L’accusé est innocent, annonça Elysia clairement. Cet homme est un imposteur. En temps normal, je l’aurais laissé à vos bons soins. Cependant, il s’est parjuré devant la reine et a commis de nombreux crimes répréhensibles, et dont il n’a aucun remords. Je ne peux laisser cela impuni. Je déclare par la présente que tu es dépossédé de tous tes biens, y compris ta forge, qui revient désormais à cet inconnu que tu as accusé. Tu restes ici, j’ai encore à te parler. Toi, l’innocenté, tu es libre. Mais j’ai encore quelques questions pour toi. Viens au palais ce soir. J’ai rendu le jugement, que la foule se disperse.

À ces simples mots, les habitants de la capitale se séparèrent, non sans laisser quelques commentaires surpris. Ils savaient que les commandements de la reine étaient suprêmes et personne n’osait se risquer à la contredire. Mais bien que l’assassin lui ait demandé d’agir, pourquoi avait-elle accepté ? Qu’est-ce que les affaires de simples citoyens pouvaient bien lui faire ?

Quand la place fut libre, Elysia resta un instant silencieuse, scrutant les environs d’un air suspicieux. Ne restaient avec elle que l’assassin, l’inconnu et Arlan. Celui-ci avait un air catatonique, il ne semblait pas encore conscient de la sentence, comme s’il ne s’était pas encore remis de l’intrusion dans ses souvenirs, ou bien peut-être avait-il peur d’offenser à nouveau la reine. L’assassin, quant à elle, affichait un air satisfait, comme si c’était elle qui avait résolu l’affaire. Elle se dirigea vers le capuchon vert.

— Alors, tu vois que je peux me rendre utile. Maintenant que tu es riche, tu pourrais me récompenser.

— Allons donc, ton geste n’était pas vraiment altruiste ? Enfin, rien de réellement inattendu pour un assassin, répondit-il.

— Eh bien, tu n’es pas très reconnaissant mon beau, j’en espérais un peu plus. Peut-être que tu peux faire de nouveaux fers pour mon cheval, et une dague ? Je pense que ce serait un juste dédommagement.

— Ce n’est pas toi qui as rendu la justice, assassin, intervint Elysia. D’ailleurs, quel est ton nom et que fais-tu à Éros ?

— Mais avant que Sa Majesté ne daigne se montrer, j’étais en bonne voie.

— Admettons. Réponds-moi.

— Je m’appelle Lexa Ter-Hil. Je suis là pour voir de la famille.

— C’est bien cela, tu me rappelais quelqu’un. Tu es donc la jeune sœur de mon conseiller. Qui ne veut plus vivre chez les Pacifistes, c’est ça ?

— C’est exact.

— C’est dans ton droit, mais pourquoi ce choix ? La paix ne t’intéresse pas ? Est-ce pour cela que tu vends tes services au plus offrant ?

— Je n’ai aucune obligation de vous répondre, mes capacités et comment les exploiter ne concernent que moi. Mon frère n’avait aucun droit de vous parler de ma vie.

— Tu sais quoi, tu as raison, Lexa. Et même si tu vas certainement ne pas tenir compte de ce que je vais te dire, tu es extrêmement jeune, et tu n’as vu de la guerre que ce que chaque camp veut bien te montrer. Des moyens pour détruire l’autre, des combats héroïques, qui ne durent qu’une seconde avant de devenir une boucherie où personne ne sait qui est dans son camp ou non. Va et découvre-le si cela te chante. Mais quand tu seras hantée par ce que tu as vu, surtout à un âge aussi jeune que le tien, ne viens pas te plaindre.

Elysia lui tourna le dos pour s’approcher de l’homme encapuchonné, tandis que Lexa disparaissait dans une ruelle, non sans montrer sa colère. La reine regarda autour d’elle avant d’oser dire le moindre mot. Même si elle ne voyait personne, ses sens lui hurlaient qu’on l’épiait. Elle pesta intérieurement. Elle rappela simplement au capuchon de venir au palais quand la nuit tomberait. Bien que l’odeur de l’étranger la troublait, elle ne pouvait rien dire devant témoins. Elle scruta un instant Arlan, mais les mots lui manquaient après avoir parlé avec l’étranger, elle en oublia les questions de routine. Dans un état végétatif, elle se demanda si elle allait le laisser ainsi quelque temps, pour l’exemple, mais elle se ravisa. Être admirée par le peuple était parfois plus productif que d’être crainte. Elle préféra s’éloigner de la grand place, et claqua des doigts en passant à côté d’Arlan, qui sembla se réveiller. Il s’excusa, fit une révérence de mauvaise grâce et s’en alla à bonne allure. En s’éloignant de la place, Elysia osa se retourner, mais il n’y avait déjà plus personne.

Elle rabattit la capuche de la cape rouge et passa dans les rues adjacentes, mais l’annonce de sa venue en ville avait dû parcourir toute la cité, car son déguisement ne trompait personne et elle fut vite découverte. La foule se précipita vers elle, comme si elle était une sorte d’idole, une personne à vénérer. En même temps, il s’agissait de la reine, à la tête de la plus grande armée du continent.

Bien que tous ceux de son peuple lui prêtaient allégeance, il n’était pas rare qu’une souveraine soit l’objet de complots. Elysia n’était pas une exception. Mais contrairement à ses prédécesseurs, elle avait pu éviter la mort, et avait même rallié certains groupes dissidents à sa cause. Bien que puissante, tous savaient qu’elle pouvait convaincre n’importe qui, rien qu’avec des mots. Beaucoup de rumeurs existaient à son sujet, allant du simple fait qu’elle était la beauté personnifiée, à des exploits militaires phénoménaux sur des armées entières qu’elle aurait décimées seule. Après plus de huit cents années à régner, elle avait bien entendu dû se battre, mais les rumeurs étaient largement amplifiées. Mais il s’agissait de ragots qui allaient à bon train et essayer de rétablir la vérité était une opération vaine. Elysia était certaine que l’incident aurait également droit à son lot de rumeurs. Et à mesure qu’elle continuait de marcher dans les rues, elle sentait qu’on la dévisageait.

Elle souffla et fit demi-tour pour retourner à la tour. Elle entra sous les regards admiratifs, parfois jaloux, des passants. Elle salua quelques curieux, et ouvrit les lourdes portes en bois de l’entrée. Pleine d’une gaieté feinte, elle leur sourit et ferma les portes derrière elle. Et s’adossa lourdement dessus et souffla enfin. Elle aurait voulu rester seule le reste de l’après-midi, mais des affaires urgentes l’attendaient.

Elle prit le premier couloir sur sa droite, et revint dans les escaliers de service qui, pour une fois, étaient vides. Elle monta quelques marches, mais l’idée d’en monter des centaines d’autres, l’en dissuada. Elle se félicita d’avoir demandé à créer des escaliers en colimaçon, elle regarda autour d’elle et commença à léviter, pour se tenir au-dessus du vide. Puis, une seconde plus tard, elle filait à grande vitesse vers le dernier étage, là où se trouvaient ses appartements et son bureau privé. Un nouveau couloir sur la gauche la mena jusque devant ses portes, où Aaron l’attendait. Il s’inclina et lui ouvrit la porte. Elle prit un siège, lui en indiqua un, même s’il préféra rester debout, et lui signala la présence de sa sœur en ville.

— J’ai vu ta sœur, elle a un caractère aussi déplorable que le tien. Mais elle est encore bien jeune pour vouloir voir notre guerre de si près. Tu devrais la retenir.

— Lexa est en ville ? Je ne le savais pas. Je vous adresse mes excuses si elle vous a importunée.

— Ce n’est rien. Es-tu le seul membre de ta famille à être ici ?

— C’est exact, mes parents sont restés à la capitale d’Élysée, et dans la mesure où mon frère est mort, ne restent que ma sœur et moi.

— Donc en toute logique, elle devrait te contacter prochainement. Très bien. As-tu des nouvelles du gouverneur Rem ? Il devait venir ici pour parler affaires.

— Le clan des Ombres a lancé de nouvelles attaques, le gouverneur a peur que quitter Orion ne soit pris comme un acte de lâcheté ou d’abandon. Il a prévenu qu’il allait lancer de nouvelles invasions pour déloger le tyran actuel. Il a mentionné une nouvelle date, dans trois semaines, à la nouvelle lune.

— Bien, merci. Tu peux disposer.

— Votre Majesté ?

— J’ai besoin de réfléchir. Je t’appellerai si j’ai besoin de quelque chose.

— Bien, Votre Majesté.

Après une révérence, le conseiller quitta les appartements, laissant Elysia seule à ses pensées. Elle réfléchissait sur les images qu’elle avait vues dans la mémoire d’Arlan. Des sortes de prises d’otages d’Ombres, pour obtenir leur sang. Et certainement une fin atroce quand ils n’en avaient plus à donner. Selon l’architecture des bâtiments, il y avait peu de chances qu’il s’agisse d’un bâtiment d’Éros. Un vieil entrepôt désaffecté faisait davantage penser au territoire d’Élysée, qui comptait certainement le plus de vieilles bâtisses abandonnées. Y voir des Ombres et des Résultants était donc plutôt logique. Mais elle ne semblait pas entièrement convaincue. Comme s’il lui manquait une information cruciale pour comprendre l’ensemble, la pièce principale d’un puzzle qui dévoilerait enfin tout le dessin.

Elle secoua la tête et pensa à autre chose. Comme à l’étranger, l’homme au capuchon vert. Elle aurait voulu lui parler tout de suite, mais si elle l’avait bien reconnu, ça aurait pu être dangereux pour lui. Elle tourna la scène encore et encore dans sa tête, sans pourtant trouver, une nouvelle fois, une explication logique. Tout, chez cet inconnu, allant de sa voix, à son allure, et même son odeur, lui rappelait Caïn. Mais il était impossible que ce soit lui. Il était mort bien des siècles avant, et elle avait mis des centaines d’années à s’en remettre. Non, ça ne pouvait pas être lui. Elle était absolument convaincue de sa mort. Pour la bonne raison que c’était elle qui l’avait tué.

De légers coups à la porte la sortirent de sa rêverie. Elle fit entrer celui qui la dérangeait.

— Votre Majesté, un étranger s’est présenté en disant qu’il avait rendez-vous avec vous ce soir.

— Ah oui, c’est vrai. Fais-le patienter dans le boudoir du soixantième étage. Non, plutôt le bureau au soixante et unième. Dis-lui que je suis occupée, mais que j’arrive vite.

— Très bien, Votre Majesté.

— Vlad ?

— Oui ?

— Penses-tu que des Ombres puissent avoir un pouvoir de réincarnation ou de résurrection ?

— Je n’en sais rien, Votre Majesté, je côtoie peu d’Ombres… Mais je sais que certains possèdent un pouvoir de guérison extrêmement puissant, si bien qu’ils peuvent résister au feu, ou à la décapitation, enfin, si on les y aide un minimum.

— D’accord, merci. Tu peux y aller, je descends.

Son conseiller venait de mettre le doigt sur quelque chose qu’elle n’avait pas encore pris en compte. Mais elle n’avait pas le temps d’y réfléchir davantage. Elle attendit quelques instants avant de se lever. Elle épousseta sa tenue, et retira la cape. Il faudra que je la rende à la domestique, pensa-t-elle. Elle descendit quelques marches pour atteindre sa chambre. Quand ses femmes de chambre entrèrent pour l’aider à se changer, elle les congédia fermement. Elle avait besoin d’être seule pour chercher la tenue parfaite pour se présenter devant l’inconnu. Une tenue qui montre son statut, sans trop en faire non plus. Au bout de quelques minutes, elle se décida sans trop de conviction, pour une robe noire à manches longues, avec un grand décolleté dans le dos, qui soulignait sa taille fine. Elle laissa ses cheveux libres, et y installa un léger cercle d’or. Elle défroissa distraitement sa robe et descendit les étages d’un pas qui se voulait détendu, pour arriver au bureau.

Il s’agissait d’une pièce utilisée uniquement pour les grandes occasions, magnifiquement décorée, bordée de rouge et d’or, ses couleurs de prédilection. Elle prit une grande inspiration et ouvrit les portes d’un air décidé.

L’inconnu avait pris place à une des extrémités d’une grande table de bois massif sculpté. Il n’avait, semblait-il, pas jugé bon de se changer, et gardait son capuchon rabattu, ne laissant voir que son menton carré. Il ne releva même pas la tête à l’entrée de la reine, ce qui lui déplut fortement. Aaron et Vlad se tenaient également debout dans la pièce, encadrant le trône, de l’autre côté de la table. Elle s’y dirigea d’un pas quelque peu énervé et s’assit sur la chaise que ses conseillers lui avancèrent.

— Tu es en lieu clos et devant la reine, étranger. Enlève ton capuchon.

— Bien, fit-il en s’exécutant.

Elysia en eut le souffle coupé, ce qui ne passa pas inaperçu aux yeux de ses deux conseillers. Même visage, mêmes yeux dorés, mêmes cheveux d’un rouge flamboyant. Mais si le physique était identique au Caïn qu’elle avait connu, son attitude était complètement différente. Elle songea à sortir de la pièce quelques instants pour reprendre une contenance, mais s’abstint. Qu’il s’agisse de son ancien général ou non, il fallait toujours faire bonne impression.

— Bien. Comment t’appelles-tu ?

— …

— La reine t’a posé une question, vous vous devez de répondre.

— Je m’appelle Crïs.

— Et ton nom de famille ?

— Je n’en ai pas. À la suite d’une bataille, je suppose, j’ai perdu tous mes souvenirs. J’ai seulement retrouvé un médaillon avec un nom à demi effacé, avec un C et un I. J’ai choisi un nouveau prénom. Mais personne n’avait l’air de me chercher. Je n’ai pas de famille, et donc, je n’ai pas besoin de nom de famille.

— Par hasard, aurais-tu ce problème depuis près de sept cent huit ans ?

— C’est exactement cela. Savez-vous…

— Ici, c’est la reine qui pose les questions, pas vous, l’interrompit Vlad.

— Laisse. Il se pourrait que je sache ce qu’il s’est passé. Mais te rendre la mémoire peut être néfaste pour toi, et ce ne sera pas gratuit.

— C’est une proposition généreuse, Votre Majesté, cependant, je la décline. J’ai vécu longtemps sans que personne ne me recherche, ce n’est pas retrouver la mémoire et m’apercevoir que j’ai une famille qui n’a pas voulu me retrouver, qui me rendra heureux. Et puis, même sans souvenir, j’ai dû créer moi-même ma vie, et me forger une nouvelle personnalité. Ne pas avoir de souvenirs ne m’empêche pas de savoir qui je suis.

— Très bien, comme tu veux. Sinon, que comptes-tu faire de ta nouvelle forge ? Je vois bien que tu es un itinérant, je ne pense pas que tu veuilles rester ici, je me trompe ?

— En effet, je pense la revendre et retourner à Rixel, peut-être devenir soldat.

— Bien sûr, tu ne t’es toujours pas habitué aux Résultants, tu ne les as jamais vraiment apprécié… Eh bien, je ne vais plus te retenir. J’espère que tu trouveras ta voie. Au revoir Caïn.

— Vous… Comment m’avez-vous appelé ?

— Désolée, je me suis trompée. Au revoir Crïs.

Elle vit aux yeux interrogateurs de l’étranger non seulement une lueur de curiosité, mais aussi un éclair étrange. Un regard entre l’incompréhension, la colère et la méfiance, et pourtant, elle crut apercevoir une pointe d’amusement. Des yeux qu’elle ne voulait plus voir pour le moment. Elle fit un léger signe de la main, et ses attachés le raccompagnèrent jusqu’à la sortie. Elle sentit longtemps l’aura de l’étranger épier la tour, comme s’il attendait qu’elle le rejoigne, mais elle n’en avait nullement l’intention. Cette rencontre, bien que brève, l’avait réellement épuisée. Elle retourna à ses appartements en congédiant son personnel. Elle se changea et partit dormir, en mentionnant bien qu’elle ne voulait être dérangée sous aucun prétexte. Évidemment, elle se doutait que son vœu ne serait pas réalisé. On la réveilla avant même le lever du soleil.

II

— Madame, votre conseiller demande audience. Il apporte de mauvaises nouvelles. Et un ambassadeur de Rixel a dit qu’il allait bientôt arriver.

— Renvoyez-les tous, j’ai dit que je ne voulais pas être dérangée.

— Je le sais bien, Madame, et j’ai bien essayé. Mais aucun des deux ne veut faire demi-tour sans vous avoir vu, ils disent qu’ils ont des informations capitales.

— Très bien. Je vais me lever. Mais préviens-les que si ces informations m’ennuient ne serait-ce qu’un peu, leur tête se balancera au bout d’une pique et que je me fiche des conséquences politiques et militaires que cela entraînera.

— Bien, Madame.

Elysia se leva à contrecœur. Elle appela ses femmes de chambre pour qu’elles l’apprêtent correctement pour la visite officielle de l’ambassadeur. Une fois terminée, elle se regarda dans le miroir et dut admettre qu’elles s’étaient surpassées. Elle était vêtue d’une robe dorée avec une petite cape, qui mettait parfaitement ses yeux de la même couleur en avant. Et une couronne majestueuse trônait sur sa tête, au-dessus de ses cheveux relevés en chignon. Elle sortit de sa suite et fut accueillie par Aaron et Vlad, qui eurent la même expression bouche bée, à la fois impressionnés et fiers. Le parfait mélange qu’elle recherchait.

— Votre Majesté, je suis désolé, mais Côl est revenu de sa mission et demande une audience rapidement pour vous prévenir de l’avancée des troupes. Et l’ambassadeur Ker de Rixel demande également une audience. Il est arrivé depuis une heure.

— Très bien. Fais venir Ker dans le bureau et fais attendre Côl dans le boudoir, donne-lui ce qu’il demande, sauf des femmes, je ne veux pas que l’incident de l’année dernière se reproduise. Demandez-lui également de faire comme d’habitude, et de me rendre son rapport avant que le soleil soit au zénith. Je vais d’abord voir l’ambassadeur.

— Bien, votre Majesté.

Elysia retourna quelques secondes dans sa chambre pour récupérer la cape de la servante et descendit par les escaliers de service, en espérant la trouver. Elle fit tout un détour, et finit par la trouver, un peu par hasard, en remontant pour retrouver l’ambassadeur.

— Tiens, je te remercie pour la cape d’hier.

— Ce n’est rien, Votre Majesté, si vous le voulez, vous pouvez la garder.

— Non, c’est bon. En revanche, j’aurais un service à te demander…

Elysia remonta une dizaine de minutes plus tard, le sourire aux lèvres. Elle laissa ses conseillers ouvrir les portes devant elle et, au regard médusé de l’ambassadeur, elle sut que sa tenue était la bonne, elle donnait exactement l’impression qu’elle voulait. Ils refermèrent derrière elle, la laissant seule pour un rendez-vous tenu dans le plus grand secret.

— Monsieur le conseiller, vous vouliez une audience pressante. Me voici donc.

— Majesté, vous n’êtes pas sans savoir que l’offensive du tyran Darius sur Orion a entraîné de nombreuses pertes, dans les deux camps.

— Oui, mais ce ne sont nullement mes affaires.

— Bien entendu. J’ai pris contact avec le gouverneur Rem. J’ai entendu dire que c’était également votre cas.

— Où voulez-vous en venir, exactement ?

— J’ai l’intention de mettre fin à la guerre, en renversant Darius. J’ai le soutien d’Orion.

— Et donc  ? Vous savez bien que je ne participe jamais à vos disputes.

— Et je voulais simplement m’en assurer. Je compte mettre un homme de confiance à la tête de Rixel, qui soit un minimum pacifiste, sans, évidemment, l’enlever à votre pays. Je voudrais simplement une confirmation que vous n’attaquerez pas ou ne soutiendrez pas Orion dans une possible offensive pour nous envahir, ou même Darius.

— Bien que je ne puis vous faire de serment, ou de contrat écrit, je ne ferai rien de cela. Je ne me mêle pas des affaires des autres, et n’interviendrai donc pas, à moins que mon pays ou ma paix soient mis à mal.

— Merci, Majesté.

— Était-ce tout ? M’avez-vous réellement dérangée pour quelque chose que vous deviez sûrement déjà savoir ?

— Pardon…

— Votre Majesté ! intervint Vlad en entrant dans le bureau. Nous avons surpris une espionne dans votre bureau et un autre dans votre suite !

Il tenait les deux coupables par le cou, sa force les empêchant de bouger. L’homme tomba à genoux.

— Pardon, Votre Majesté, mais j’y ai été forcé, par lui, implora-t-il en montrant le gouverneur du doigt. Il a dit que si je ne le faisais pas, toute ma famille allait mourir violemment et en souffrances, qu’ils avaient de grande quantité de substance R, je ne pouvais pas supporter l’idée que…

— Silence ! dit-elle d’une voix forte. Je ne veux pas de vos misérables excuses. Enlève le capuchon de l’autre voleur. Lexa ? Pourquoi cela ne m’étonne pas ? Laisse-moi deviner, tu veux prendre ma place ? Tu penses qu’en ayant Orion et Rixel dans ta poche, tu peux leur demander leur appui pour prendre le pouvoir par la force ? Vlad, lâche-les, et va chercher Aaron, on va voir ce qu’il en pense.

Il s’inclina et revint quelques secondes après avec le frère de l’accusée, qui avait le visage plus pâle encore que d’habitude. Il s’inclina en mettant un genou à terre.

— Pardonnez-moi, Votre Majesté, pour mon manque de vigilance. J’aurais dû la surveiller dès hier, comme vous me l’aviez demandé.

— Et que vas-tu faire pour réparer cette erreur ?

— Punir un vol est passible de la section des membres, mais il s’agit également d’un crime de trahison et de lèse-majesté. La punition est donc la mort. Je vous remettrai également ma démission après l’exécution.

— Prépare donc ce qu’il faut pour trois exécutions.

— Trois ? demanda l’ambassadeur, la peur se ressentant dans sa voix.

— Exact. Votre espion vous accuse.

— Mais ce n’est pas moi ! Je vous le jure ! Majesté, croyez-moi !

— Je ne peux évidemment rien faire sans preuve, mais vos souvenirs vous trahiront tous les deux.

— Mais faites ! Je n’ai rien fait, et encore moins contre vous !

Elysia plissa les yeux et s’approcha de Ker. Elle plaça ses mains sur lui et activa son pouvoir. Mais elle ne vit rien. Il n’y avait que deux cas où cela lui était impossible : soit quelqu’un l’avait devancée et avait placé un blocage sur ses souvenirs, soit il possédait une réelle résistance à ses pouvoirs, et cela était remarquable. Si elle essayait de forcer, elle allait briser sa volonté et il pouvait ne jamais s’en remettre. Et s’il était innocent, elle devrait entrer en guerre contre Rixel pour cet acte. Elle se pencha ensuite vers l’espion, fit de même, mais là également, son pouvoir était bloqué. Il en allait de même pour Lexa. Elle demanda à Aaron de les hypnotiser pour lire leurs pensées, mais bien qu’il y arrivât, chacun maintenait ses paroles, avec une conviction totale.

— Ambassadeur Ker, imaginons que vous vouliez commanditer ce genre d’actes, quelles seraient vos motivations ?

— Mais je vous assure, je n’ai rien fait !

— Mettons, mais imaginez quand même.

— Dans une hypothèse comme celle-ci, mais je maintiens que c’est de la pure fiction et que je n’ai rien fait, je dirais que ce serait pour faire un scandale et que le peuple réclame votre destitution. Il serait alors possible que quelqu’un, pas moi, veuille mettre une personne sous son contrôle, à votre place, et contrôle alors l’armée la plus puissante d’Horiole. Mais je vous jure, je ne sais pas qui sont ces personnes, et je ne suis à l’origine d’aucun complot ou espionnage contre vous ou votre pays. J’étais venu uniquement en paix, et vous informez de mes intentions.

— Donc, selon votre théorie, on voudrait que les citoyens se soulèvent ? Que ma destitution soit légitimée par le peuple ?

— Exactement  ! Enfin, je veux dire que si quelqu’un voulait vous mettre à la porte, et ce n’est pas mon cas, ce serait certainement la méthode la plus sûre. Vous êtes bien trop puissante pour que quelqu’un tente directement quelque chose contre vous… Mais moi, je n’en sais rien, hein, je ne fais que soumettre des hypothèses, mais je n’ai rien à voir avec un complot ! Je ne l’ai dit que parce que vous me l’avez demandé !

— J’ai bien compris.

— Alors vous savez que je n’ai rien fait ?

— Je vais étudier tout cela. Je me doutais de certaines failles, il faudra que je les comble. C’est bon, relâchez-les, ils n’ont rien fait.

— Merci, Majesté, vous êtes la sagesse incarnée ! s’inclina Ker.

— Vous n’avez pas à me remercier, surtout quand on sait que c’est moi qui vous ai mis dans cette position délicate. Je sais parfaitement que vous n’êtes derrière rien de cela, puisqu’il s’agit de mes propres gens.

— Majesté… ? interrogea-t-il.

— Ne parlez que si Sa Majesté vous y autorise !

— C’est bon, Vlad, je lui dois tout de même une explication. Je sentais sur vous un pouvoir, et voulais savoir de quoi il s’agissait, tout en étant dans mon droit, et le plus simple était de vous soupçonner, après de graves accusations. Vos pensées et souvenirs sont bloqués. Cela n’est pas de votre fait, et vous ne semblez pas au courant, ce qui rend la chose suspecte. On cherche à vous faire porter le chapeau pour une prochaine attaque. Quelqu’un de votre entourage, un de vos proches, qui étaient au courant de votre venue, a voulu vous évincer. Dans ce cas, aucune parole que j’ai pu prononcer jusqu’à maintenant n’est maintenue, à savoir ma retenue ou mon action quant à vos projets. Si votre investissement à renverser Darius est réel et que vous faites réellement la paix avec Orion, nous pourrons songer à un accord entre nos trois pays. Cependant, j’ai le sentiment que ce ne sera ni aussi facile que vous le pensez, ni aussi rapide, et encore moins sans danger. Je vous recommande de ne plus revenir ici avant d’avoir signé une paix, pour qu’aucun soupçon ne se porte sur vous ni sur moi. Et une dernière chose. Quand avez-vous vu le gouverneur Rem au sujet de ce renversement ?

— Je suis bien confus quant à ce blocage, Majesté, et n’ai aucune idée d’où il vient. Je comprends le besoin de tester des petites gens pour s’assurer de leur fidélité, mais tout de même, pour un ambassadeur… s’interrompit-il en voyant la reine s’impatienter. Pour vous répondre, j’ai rencontré le gouverneur il y a un peu plus d’une semaine, dans un rendez-vous tenu secret à la frontière.

— Je ne suis pas certaine qu’il soit resté secret… Mais bon.

— Si vous le souhaitez, Majesté, je peux vous tenir au courant de nos avancées…

— C’est généreux de votre part, cependant, je ne peux accepter. Si Darius l’apprenait, et que vous veniez à échouer, il se retournerait contre Élysée en nous tenant complice. Je vous verrai, si vous réussissez, à la nomination de votre prochain dirigeant.

Le ton d’Elysia semblait sans appel, et coupa la conversation net. Elle savait que son acte aurait certainement des répercussions, mais dans la mesure où il s’agissait d’un rendez-vous dont le contenu devait rester secret, elle se détendit sur ce point. Elle aurait le temps de voir venir les conséquences de la réunion. L’ambassadeur s’inclina, mal à l’aise et quelque peu mécontent, et sortit rapidement. Elysia poussa un soupir, qui laissa rapidement place à un sourire. Elle aimait jouer, et l’ambassadeur avait été un très bon divertissement.

III

Tous dans la pièce se détendirent. Vlad prit la parole.

— Votre Majesté, pourquoi avoir mis l’ambassadeur à l’épreuve ?

— D’après le message télépathique de Côl, beaucoup doutent de ma fermeté ou de mon investissement dans les affaires politiques d’Élysée. Simplement prôner la paix ne semble pas suffire, allez savoir pourquoi. Je me devais de lui mettre un coup de pression. Ceux qui complotent dans le dos de leur leader sont les plus faibles et perturbables et ils ont plus facilement tendance à donner leurs véritables intentions, par peur de la mort. Avec son blocage de souvenirs, je ne peux pas vérifier ses propos et c’est un problème.

— Vous pensez que l’ambassadeur cache quelque chose ?

— À vrai dire, je n’en sais rien. Mais fomenter un coup d’État, tout en prévenant un pays étranger, reste une pratique inhabituelle, pour ne pas dire suspecte. Quoi qu’il en soit, nous devons rester sur nos gardes, et ne pas prendre ses paroles comme s’il s’agissait de faits. Darius est toujours au pouvoir.

— Bien Majesté.

— Au fait, Lexa, je te remercie d’avoir accepté cette demande un peu spéciale. Je ne voulais pas t’impliquer autant, mais je dois avouer que tu as été la première personne à qui j’ai pensé pour cette mission. Ton statut d’assassin te donnait une crédibilité d’autant plus importante pour cette tâche. Je pense d’ailleurs que nous pourrions faire de grandes choses ensemble.

— Votre Majesté, si vous ne m’écartez pas des situations importantes, sous prétexte que je puis voir des choses horribles, je promets de vous servir jusqu’à ma mort.

Une parole tranchante qui coupa la conversation. Tout avait été dit et pour une fois, il n’y avait pas eu de conflit. Aaron souffla seulement quand la reine sortit du bureau. Même s’il s’agissait d’une enfant avec qui il avait peu d’affinité, la situation lui avait fait réellement peur. Avoir perdu son frère était déjà une épreuve, perdre également sa petite sœur aurait été un sacrifice trop important. Il accordait une confiance pleine et entière à la reine et il aurait exécuté n’importe quel ordre sans poser de question. Mais si la situation avait été réelle, il n’était pas certain qu’il aurait pu se regarder de nouveau dans un miroir.

Si lui avait été surpris et inquiet devant les événements, il s’étonna que sa sœur ait été missionnée par la reine pour jouer la comédie. Il était tout aussi inattendu que Lexa accepte et prête allégeance si docilement, d’autant plus connaissant son statut d’assassin. Il ne savait pas vraiment comment elle avait intégré le cercle ni la raison, mais cela l’intriguait. À moins que cela ne soit une mission, que d’infiltrer la Tour et d’obtenir les faveurs de la reine ? Mission étrange, surtout depuis qu’il avait appris l’esclandre de la veille. Il était convaincu que quelque chose se tramait dans son dos. Et même s’il s’agissait de sa sœur, il espérait qu’il n’aurait pas à l’arrêter pour protéger les intérêts de la reine. Il haussa les épaules et soupira à son tour. Il s’approcha d’elle et sortit de la pièce. Elle le suivit sans rien dire, chacun d’eux savait qu’ils avaient à parler.

Vlad sortit en dernier du bureau. Lui aussi s’étonnait du plan d’Elysia ; tout cela cachait autre chose, mais il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Elysia était une stratège née. Elle peaufinait des actions des semaines à l’avance, et tout se déroulait exactement selon ses plans. Jamais elle n’avait eu à faire des modifications de dernière minute, ou à improviser ; alors le fait qu’elle ait demandé à la servante de prévenir Côl de ses plans, puis d’aller voir Lexa et d’induire Aaron en erreur, tout cela juste avant la réunion, quelque chose ne collait pas. Il y avait une autre manigance derrière tout ça, et il devait savoir quoi. Il ne remettait pas en cause sa reine ni sa stratégie, mais celle-ci lui semblait particulièrement compliquée à comprendre. En résumé, un passe-temps parfait pour lui.

Elysia retourna dans ses appartements. Le soleil peinait à se montrer et elle regretta de ne pouvoir voir les autres tours de la cité en refléter les rayons. Elle s’installa à son bureau, une petite pièce près de la grande baie vitrée qui donnait sur la terrasse. Il était joliment décoré, toujours de rouge et d’or ; mais ne contenait pas grand-chose, excepté une table assez simple, une chaise en bois, une grande pile de papiers et plusieurs fauteuils confortables pour les réunions discrètes qui s’éternisaient. Elle soupira et s’y installa, déposant les premières réclamations devant elle. C’était certainement ce qu’elle aimait le moins dans la vie qu’elle menait ; la paperasse. Chaque jour, un de ses conseillers les lui remettait, par ordre de priorité, allant d’un jugement politique pour un espion ennemi, à une simple demande d’un habitant d’Élysée sur le prix du bétail. Elle déléguait les dossiers les moins importants à ses fidèles conseillers, mais parfois, il fallait qu’elle fixe elle-même les prix et les droits de chacun, car chacune des décisions qui ne lui incombait pas personnellement, était souvent remise en question.

Au bout de ce qui lui sembla une éternité, elle reposa son crayon. Elle prit une grande inspiration et se força à prendre une nouvelle feuille. Elle la lut. La posa. Puis elle fronça les sourcils et reprit les papiers. « Aaron  ! » dit-elle en élevant un peu la voix, et le conseiller arriva dans la minute.

— Votre Majesté ?

— Est-ce bien toi qui as trié ces papiers  ?

— Oui, Votre Majesté. Il restait deux réclamations d’hier, que j’ai mises au-dessus de la pile. Ensuite vingt-deux réclamations faites ou reçues dans la nuit, que j’ai triées par ordre de priorité. Je ne vous ai laissé que celles que je ne pouvais pas traiter moi-même.

— Les as-tu lues  ?

— Je dois avouer que non. Je regarde simplement quel est l’objet de la réclamation et je la classe.

— Eh bien, regarde ce que j’ai reçu.

Il prit le papier et écarquilla les yeux.

Ton conseiller aurait tout de même dû préparer une exécution, la tienne. Tu ne mérites pas ta place et tu ne mérites pas de gouverner qui que ce soit. Réalise tes rêves, petite reine, car bientôt tu n’auras plus de temps pour le faire.

La menace était claire, mais elle n’impressionnait nullement Elysia. Si son auteur croyait qu’il était le premier à essayer de lui faire peur, il se trompait, et lourdement. Et chaque fois, elle n’avait eu aucune peine à éviter les tentatives de meurtre. Mais peut-être que les rumeurs sur sa clémence avaient trop couru. Après tout, elle n’avait presque jamais voulu faire exécuter en public les coupables. Peut-être fallait-il vraiment qu’elle fasse un coup de force, en punissant de manière exemplaire celui qui proférait ces menaces ?

Des bruits de foule la firent sortir de ses pensées. Elle regarda par la fenêtre et vit qu’une foule compacte se tenait devant les portes de la tour. Elle ne semblait ni hostile ni haineuse, mais curieuse. Elysia sortit sur la terrasse et sauta, en faisant attention d’être à l’abri des regards. Elle atterrit gracieusement sur le sol. Elle se tourna vers la foule, puis regarda sa tour. Une nouvelle menace y était inscrite en lettres rouges.

Bientôt, petite reine, ce sera ton sang qui maculera ces portes !

Elysia s’en approcha et toucha les mots. Il s’agissait de sang frais. Elle le goûta et se mit à trembler. Il s’agissait d’un sang de vampyr. Qui plus est, c’était celui de Caïn, ou Crïs, comme il voulait qu’on l’appelle. Cela faisait peut-être des siècles qu’elle n’y avait pas goûté, mais elle aurait reconnu le goût entre mille.

Leur relation avait toujours été assez ambiguë, faite de non-dits ou d’allusions, faite de contacts et d’éloignements. Elle n’avait jamais su vraiment se contrôler quand il était là. C’était un militaire des plus expérimentés, qui l’avait énormément aidée quand elle était montée sur le trône. Une relation fusionnelle, seul lui savait ce qu’elle ressentait et était en mesure de la calmer quand rien n’allait. Et pourtant, c’était aussi une des rares personnes à pouvoir la faire sortir de ses gonds. Son air parfois suffisant et hautain l’avait excédé plus d’une fois, et pourtant, ses grands airs n’étaient qu’une façade. Elle connaissait le véritable Caïn et c’était tout ce qui lui importait. Depuis sa mort, rien n’était pareil, elle avait mis beaucoup de temps à s’ouvrir de nouveau, notamment avec les généraux qui s’étaient succédé. Avec l’arrivée d’Aaron et Vlad, cela avait été différent, mais jamais elle n’avait retrouvé ce type de relation.

C’était une sensation étrange qu’elle ressentait à présent. Cela faisait des siècles qu’elle le croyait mort, et là il revenait, pour se faire capturer dans la foulée. Mais il ne faisait aucun doute que le sang sur la grille était bien le sien. Maintenant, elle était en colère. C’était même plus que cela. Elle était enragée, une haine profonde et sans limite envers celui qui osait faire du mal à Caïn.