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Un thriller policier machiavélique à quatre mains aussi haletant qu’épouvantable.
Paris, 2018. Un tueur en série d’une extrême brutalité sévit dans les rues depuis plusieurs mois. Son modus operandi est toujours le même : il s’attaque à des jeunes femmes blondes, de la même tranche d’âge et il réitère cela tous les vingt et un jours, au terme desquels l'équipe du lieutenant Gilles Lacroix, retrouve invariablement un corps.
Durant le mois de février, Mérédith-Lina Oliver, une auteure reconnue, un peu plus âgée mais ressemblant physiquement aux autres victimes, disparaît.
Commence alors pour Antoine Baron, son éditeur, l’enquêteur et l’auteure une course contre la montre qui les mènera au-delà de l’imaginable…
À PROPOS DES AUTEURS
Chris Auguste est originaire de la province de Liège en Belgique où elle a effectué un cursus menant au diplôme d’institutrice primaire. Elle est arrivée en région parisienne en 2002. Elle a alors commencé à travailler dans des écoles, collèges et lycées, puis dans un centre social où elle partage son temps entre des adultes, des collégiens et des élèves du primaire.
Ses histoires touchent évidemment le thème du scolaire, mais pas toutes, car ses goûts littéraires sont variés, preuve en est dans ce thriller.
Jérémy Nézet vient de Moselle, dans l’Est de la France, où il a suivi des études d’infirmier et y exerce sa profession en tant qu’indépendant depuis 2011. C’est après avoir lu de grands classiques qu’il s’inscrit sur un forum d’écriture en 2015 afin de raconter ses propres histoires. Il s’intéresse à la psychologie humaine, les esprits torturés se retrouvent souvent dans ses écrits. Ne se cantonnant pas au genre du thriller, Jérémy explore d’autres horizons avec l’écriture d’une romance gay à quatre mains également et d’un témoignage romancé, sur des thèmes forts, encore au stade embryonnaire.
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Seitenzahl: 497
Veröffentlichungsjahr: 2023
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LE SCÉNOGRAPHE
Prologue
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Épilogue
Toute reproduction, adaptation et traduction, intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Ces représentations ou reproductions, par quelque procédé que ce soit, constitueraient donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Tous droits réservés.
© Les Éditions Panthère 2023 – CC asbl – Liège/Belgique
www.editions-panthere.com
Dépôt légal : D/2023/14.540/25
ISBN : 978-2-931212-11-0
Couverture : Philippe Sombreval
Chris AUGUSTE Jérémy NÉZET
ROMAN
Éditions Panthère
Prologue
Inconnu
Mardi 30 janvier 2018
Toujours aucun suspect appréhendé dans l’affaire du scénographe. Ce tueur en série sévit maintenant depuis plusieurs mois à Paris. L’enquête semble stagner, à la suite de la disparition de Tina Dupuis le 19 janvier dernier.
Cette jeune institutrice est âgée de vingt-cinq ans. Le samedi, elle devait participer à une journée portes ouvertes organisée dans son école. Son absence injustifiée a immédiatement alerté la directrice. Le lundi suivant, elle n’avait toujours donné aucun signe de vie. La police a pris cette affaire au sérieux à cause de la ressemblance de Tina avec les autres victimes.
On s’en souvient, cinq jeunes femmes ont été portées disparues et leurs corps ont été retrouvés dans différents lieux de la capitale, trois semaines exactement après leur enlèvement. Toutes avaient entre vingt et vingt-cinq ans. Elles possédaient des caractéristiques physiques communes : une silhouette fine et de longs cheveux blonds. La police demande à toutes celles qui correspondent à ces critères de ne pas rester seules.
Tout est mis en œuvre pour arrêter le responsable de ces crimes odieux. Les autorités invitent tout individu détenant des éléments susceptibles de faire avancer l’enquête à se présenter dans le commissariat de leur quartier.
Sans réfléchir, l’homme resserre les doigts sur la canette. La bière se répand sur le sol. Il se lève d’un bond, se retourne, puis, de rage, la lance en direction de la jeune femme qui se trouve derrière lui. L’objet passe à quelques centimètres de sa tête. Elle le fixe, ses yeux s’agrandissent alors qu’elle essaye vainement de reculer. Sa respiration devient sifflante. Assise sur une chaise, les poignets attachés aux accoudoirs et les chevilles aux pieds, elle ne peut pas bouger et encore moins s’enfuir.
Après onze jours de mauvais traitements, son tortionnaire l’a installée à ses côtés pendant qu’il regardait les informations. Elle l’a vu s’énerver durant le reportage sur les meurtres commis. À présent, la jeune femme craint les répercussions de sa colère. Les sévices reçus risquent de s’aggraver.
Il se précipite vers elle et lui attrape les cheveux pour lui tirer la tête vers l’arrière. Elle pousse un cri de douleur aussitôt étouffé par le bâillon. L’homme maintient la pression. Il retire le tissu de sa bouche et approche son visage masqué du sien.
– Tu as vu cette bande d’incapables ? Tu les crois suffisamment forts pour te retrouver à temps ? Sais-tu au moins ce qui t’attend ?
La jeune femme secoue la tête. Il la lâche et elle se redresse dans un gémissement avant de se mettre à pleurer.
– Les journalistes ne se débrouillent pas mieux que les policiers. Aucun d’eux n’a donné de détails.
Il se désintéresse de sa victime et se rapproche de l’ordinateur où les informations se poursuivent. Il le ferme brutalement avant de continuer :
– Comment pourrait-elle savoir s’ils ne disent rien ? Je vais devoir m’en mêler si je veux qu’elle comprenne…
Il se retourne et observe la femme. Elle tremble. À côté de la chaise, il aperçoit le casque qu’il lui a retiré pour qu’elle puisse entendre les nouvelles. Puis son regard part sur la gauche et rencontre la baignoire, remplie d’eau.
– Ils vont voir de quoi je suis capable.
Il se rue sur sa victime, la détache, la relève et l’emmène les bras maintenus dans le dos. Comprenant ses intentions, cette dernière se met à hurler et se débat de toutes ses forces. L’homme la plonge la tête la première dans le liquide glacé.
1.
L’auteure
Jeudi 1er février 2018
Tûûût ! Tûûût ! Tûûût ! Tûûût !
Encore somnolente, je tends la main pour attraper le téléphone dont la sonnerie m’a tirée du sommeil. J’appuie sur le bouton et place l’appareil sur mon oreille. Après les salutations d’usage, mon correspondant soupire et me réprimande :
– Je parie que tu t’es endormie et que tu n’as pas mis de réveil. Je t’attends depuis plus d’une heure.
Je me redresse vivement.
– Antoine ?
Je regarde mon téléphone portable : seize heures cinq. La panique m’envahit, j’ai dû m’assoupir en écoutant les informations. Comme d’habitude, mes recherches se sont prolongées une bonne partie de la nuit, ce qui a réduit mes heures de repos.
– Je suis désolée, j’arrive tout de suite.
– Ne traîne pas ! ajoute-t-il avant de raccrocher.
Je me lève aussitôt, passe dans la salle de bains pour me rafraîchir un peu et quitte mon appartement. La porte claque derrière moi. Moins de deux minutes plus tard, j’entre dans le café-restaurant. Dans le fond, à l’écart des autres, Antoine patiente en sirotant un café. Il n’aime pas attendre et son énervement est visible. Je me dépêche de le rejoindre et m’installe en face de lui.
– Excuse-moi, j’ai commencé à travailler sur un nouveau projet et je n’ai pas vu le temps passer.
– Comme d’habitude, maugrée-t-il.
Il lève les yeux et me regarde. Je baisse la tête, mais un sourire finit par s’élargir sur son visage.
– Allez ! C’est pour la bonne cause. Dis-moi tout sur ce roman.
Je lui explique alors mon idée. Je souhaite mettre en scène un jeune policier fraîchement promu à la brigade criminelle qui recevrait son premier dossier. Il m’écoute parler de mes recherches concernant cette fonction et la manière d’obtenir un poste dans cette section des forces de l’ordre.
– Je crois que tu peux écrire une bonne histoire, mais il faudrait que tu te renseignes auprès de véritables policiers.
– Je commence par regarder les informations. L’actualité du moment est riche d’enseignements.
Antoine ne répond pas. Depuis neuf ans qu’il est mon éditeur, j’ai appris à le connaître et les derniers événements l’angoissent. Il s’inquiète pour moi, car un tueur en série s’attaque à de jeunes femmes, ici, dans la ville. Il pense que je pourrais figurer parmi ses victimes, mais elles ont toutes entre vingt et vingt-cinq ans. J’ai dépassé ce stade il y a longtemps.
– Si nous nous mettions au travail ? Tu veux boire quelque chose ?
– Je vais prendre un thé.
Il appelle la serveuse et passe commande, puis il sort de son sac mon dernier manuscrit. Il s’agit d’un roman historique sur les Templiers. Ce thème m’a demandé énormément de recherches. Je suis partie du principe que le roi de France Philippe le Bel n’avait pas réussi à démanteler l’ordre.
– Bon, tu sais que ton livre doit paraître le 2 mars prochain. Ça va venir vite maintenant, il va falloir revoir un peu ton manuscrit avant l’impression.
– Très bien, allons-y.
Je lui souris, mais j’espère que les corrections ne prendront pas trop de temps, car j’aimerais me plonger dans mon nouveau projet. Je n’aperçois pas énormément de rouge sur le texte.
Son stylo a beaucoup servi avec moi. Je me rappelle encore la fois où il m’avait téléphoné pour ma première publication. Sans me donner sa réponse, il m’avait invitée à le rencontrer. Sa proposition comportait une réécriture de certains passages avec lui. J’avais sauté sur l’occasion.
Ses remarques n’étaient pas dénuées de logique ni de sens. Elles avaient grandement amélioré mon texte et mon style également. Leur nombre a diminué au fil des années. Elles ne concernent maintenant plus que la forme.
À l’époque, je commettais encore des erreurs de débutante. Je lui dois sans aucun doute ma réussite d’aujourd’hui. Il a vu mon potentiel et s’est évertué à l’aider à éclore. J’en suis actuellement à ma dixième publication et ma notoriété grandit de titre en titre. Lorsque j’ai quitté la maison de mes parents, à vingt et un ans, pour ne jamais y revenir, je n’imaginais pas que je rencontrerais un tel succès.
Cela m’encourage et m’effraie à la fois. Je crains de changer, malgré le mal que je me donne pour rester quelqu’un de simple. Je n’ai pas modifié mes habitudes depuis mon emménagement dans mon appartement, juste après avoir pris mon indépendance. Je vis avec peu et, même si je commence à bien gagner ma vie, je ne me livre pas à des achats compulsifs.
– Je te propose de retravailler quelques scènes qui me posent question, déclare Antoine pour me sortir de mes pensées.
J’acquiesce et m’intéresse au texte qu’il me montre. Selon lui, les émotions du personnage principal à divers endroits devaient encore être développées. Pendant près de deux heures, nous passons en revue les différents problèmes du roman. Antoine repère toujours les petits détails qui ne vont pas.
– C’est agréable de terminer un projet, reprend-il. Je te propose de fêter ça avec un bon repas, je t’invite.
Je regarde de nouveau mon téléphone portable. Près de dix-neuf heures.
– Merci, mais…
– Pas de mais, Lina !
« Lina », Antoine est le seul à utiliser ce surnom.
– Tu vas devoir manger, poursuit-il, et j’aimerais que tu te nourrisses correctement. Je sais que tu comptais avaler un petit en-cas devant ton PC. Tu auras tout le temps de bosser ton nouveau projet plus tard.
Je lui souris. Il appelle la serveuse qui me tend la carte.
– Commande ce que tu veux, je m’occupe de l’addition.
Je jette un œil aux nombreux plats. Certains me tentent, mais je cherche avant tout celui qui ne gonflera pas la note. Je décide donc de prendre celui du jour.
– As-tu choisi ?
Quand je lui annonce ma sélection, il fronce les sourcils.
– Je pensais que tu aurais préféré le hamburger du chef.
– Je voudrais changer ce soir.
Il m’observe et, après quelques secondes de silence, il appelle la serveuse et commande deux hamburgers avec deux grandes boissons.
– Mais…
– Quand je t’invite, je refuse que tu te limites.
Il me sourit. Il commence alors à m’interroger sur mes recherches et me propose son aide. Quand notre repas arrive, nous continuons sur ce sujet. Il me donne des idées de sites où je pourrais glaner les informations qu’il me manque sur l’organisation de la brigade criminelle. Puis, au moment du café, notre conversation bascule sur les actualités.
– Tu devrais faire ajouter une sécurité à ta porte d’entrée, je te rappelle que toutes les victimes ont été enlevées chez elle.
– Tu t’inquiètes trop, Antoine. Je n’ai rien de commun avec elles. Elles sont jeunes et belles.
– Ne dis pas de bêtises. Tes cheveux blonds et ta silhouette te mettent sur la liste de ce psychopathe.
– Je ne risque rien.
– Tu as été cambriolée ! Ça ne t’interpelle pas ?
– C’est arrivé en juillet dernier. En plus, ils n’ont volé que des vêtements et des bibelots. Rien de bien important.
– Justement, ça ne rend leurs actes que plus mystérieux et inquiétants.
– Antoine, c’est gentil de te soucier de moi, mais je suis adulte et capable de me défendre.
Cette conversation commence à m’agacer sérieusement. Antoine se comporte comme mon père. Je ne supporte pas d’être couvée de cette manière, j’ai déjà donné. Cependant, je ne peux pas lui révéler ce que je ressens sans le blesser. Je tiens trop à son amitié. De plus, il reste mon éditeur. Je me lève afin de mettre un terme à cette situation inconfortable pour moi.
– Je te remercie pour ton invitation, mais je voudrais me remettre au travail.
Il se redresse et s’excuse. Je me radoucis.
– Pardon, je sais que tu essayes juste de m’aider, mais je n’aime pas quand on tente de m’imposer certaines choses.
– Je comprends, mais reste prudente, s’il te plaît.
J’acquiesce et souris. Nous nous dirigeons vers le comptoir où il règle notre addition et propose de me raccompagner chez moi.
– J’habite à un pâté de maisons et la nuit vient à peine de tomber, je ne risque rien. Rentre !
Résigné, il cède. Je m’éloigne et me retourne. Évidemment, il n’a pas bougé et attend. Il ne partira pas avant de m’avoir vue passer la porte de l’immeuble. Incorrigible ! Je le salue d’un geste de la main, franchis le seuil et remonte aussitôt chez moi.
Au moment où j’enfonce ma clé dans la serrure, mon cœur rate un battement et un frisson me parcourt. Cette sensation s’évapore rapidement, mais je prends un certain temps avant de terminer mon geste. Les craintes d’Antoine me reviennent en mémoire, ainsi que ce fameux jour où j’avais découvert le cambriolage de mon appartement.
J’ouvre la porte et regarde à l’intérieur avec appréhension, mais rien n’a bougé. Mes meubles sont restés à la même place. J’entre et referme derrière moi. Je souffle de soulagement. Antoine a réussi à me contaminer avec sa peur. Je lance mon trousseau sur la table de la salle à manger et ma veste sur une chaise. L’horloge de la cuisine indique vingt-deux heures. Par quoi commencer ? Me reposer un peu devant la télévision ou continuer mes recherches ?
J’observe le canapé à ma gauche et l’envie de m’y lover avec une bonne couverture s’empare de moi, mais je dois avancer. Je décide néanmoins de me détendre sous la douche avant de m’y mettre. Je me dirige vers la salle de bains. Lorsque j’ai emménagé, j’ai réalisé des travaux afin d’agrandir cette pièce en l’unifiant avec les toilettes. Ainsi, je dispose de plus d’espace et de commodité. L’eau me relaxe et je profite du moment. Je me sèche et enfile un pyjama en pilou bleu turquoise pour écrire plus à l’aise et, surtout, au chaud.
Au moment où je pose un pied dans la chambre qui me sert aussi de bureau, une douleur fulgurante me vrille la tête. Je m’écroule et le noir envahit ma vision. Je ne vois ni n’entends plus rien de ce qu’il se passe autour de moi. Un bourdonnement résonne dans mes tympans.
Au bout d’un temps qui me semble durer une éternité, je parviens à ouvrir les yeux et à regarder autour de moi. Un homme va et vient dans la pièce et rassemble divers objets. Mon sang se fige dans mes veines. Qui est-il ? Je n’ai donné la clé qu’à Antoine. Pourtant, je ne reconnais pas sa silhouette.
Que m’arrive-t-il ? Pourquoi suis-je allongée sur le sol ? Que fait cet homme dans mon appartement et comment est-il entré ? Qu’il ne croie pas que je vais le laisser fouiller chez moi sans rien dire ! Je tente de me relever pour le mettre dehors, mais la pièce commence à tourner autour de moi et je perds rapidement l’équilibre.
Mes mouvements ont sûrement attiré son attention, car il se précipite sur moi, m’attrape par le col de mon vêtement et me soulève, avant de coller une arme contre ma bouche.
– Reste tranquille ! Ne me force pas à faire usage de ça !
Ma respiration se bloque. Il me lâche, me laisse retomber à ses pieds et s’éloigne. L’air passe à nouveau, mais la peur s’insinue dans mon esprit. Mon corps ne répond plus. Je ne peux plus bouger. Ma tête tourne. Je porte la main à mon front et mes doigts rencontrent un liquide visqueux. Je les observe. Du sang. Il a dû me frapper. Que me veut-il ? Il semble chercher quelque chose. Je décide d’attendre jusqu’à ce qu’il trouve ce qu’il désire. Peut-être quittera-t-il mon appartement.
Après tout, la dernière fois que quelqu’un s’est introduit chez moi, il s’est contenté de voler quelques vêtements et babioles. J’espère que cela n’ira pas plus loin, mais, cette fois, j’appellerai la police. Il ne s’en sortira pas comme ça.
Il revient rapidement vers moi, me relève brutalement et passe son bras autour de moi pour me maintenir debout. La violence de son geste accentue mon malaise et m’empêche de réagir.
– Maintenant, tu vas venir avec moi et ne t’avise pas d’émettre le moindre son. Tu le regretterais aussitôt.
Je le regarde, mais je ne vois qu’une forme sombre, ce qui intensifie ma peur. Que me veut-il ? N’a-t-il pas découvert ce qu’il cherchait ? Il me traîne à l’extérieur, car je peux à peine bouger les jambes. Mon corps ne répond toujours pas.
Avec quoi m’a-t-il frappée ? Probablement quelque chose de lourd pour me laisser dans cet état. M’a-t-il injecté quelque chose ? Cela expliquerait que je ne puisse pas me défendre. L’ascenseur se trouve juste en face de mon appartement et il est ouvert. Il m’y précipite et je m’affale contre le mur du fond. Je m’accroche à la main-courante pour essayer de me relever, sans succès.
Il se baisse, ramasse quelque chose, puis appuie sur le bouton pour rejoindre le parking. Lorsqu’il revient vers moi, je tire sur mes bras et parviens à me redresser, mais il m’attrape et me ramène vers les portes. J’ouvre la bouche pour hurler, mais il plaque sa main dessus et me soulève. Pourquoi n’ai-je pas crié avant ? Une fois sorti de l’ascenseur, il me traîne jusqu’à une camionnette. Ma peur se mue en terreur. Il s’agit d’un enlèvement et je ne peux pas m’enfuir. Il me pousse à l’intérieur et me suit.
Il m’a lâchée et, déséquilibrée, je me retrouve allongée sur le plancher du véhicule. Sans me laisser le temps de réagir ou d’émettre le moindre son, il me bâillonne avec un morceau de tissu, puis s’empare de mes poignets et les attache derrière moi. Pour terminer, il place une sorte de cagoule sur ma tête, à l’envers pour que je ne voie rien.
– Tiens-toi tranquille et tout se passera bien ! me prévient-il.
Il pèse sur moi. Une odeur de menthe s’insinue dans mes narines et provoque un début de nausée. Je veux me dégager, mais sa main gantée s’abat sur mon cou et se met à serrer.
– Je t’ai dit de te tenir tranquille ! s’énerve-t-il.
Prise de panique, je cesse de bouger.
– Voilà, comme ça ! ajoute-t-il en posant ses doigts sur mon visage.
Malgré le tissu qui nous sépare, mon corps se révulse. Il me frappe aussitôt.
– Tu te crois mieux que moi ? Regarde-toi ! Tu es entièrement à ma merci.
Il s’éloigne de moi et la portière claque. La panique continue de m’envahir. Où compte-t-il m’emmener ? Je ne peux pas bouger, ma respiration s’accélère. J’essaye de me contorsionner dans le but de me dégager, mais je ne réussis qu’à resserrer mes liens. Je suis coincée, prise au piège.
Le silence s’installe autour de moi. Est-il retourné dans mon appartement pour le fouiller tranquillement ? Tout se mélange dans ma tête. Quelles sont ses intentions à mon égard ? Compte-t-il me tuer ? Dans ce cas, pourquoi m’a-t-il mis cette cagoule ? Sa présence inciterait à croire qu’il ne m’ôtera pas la vie. Mais alors pourquoi m’a-t-il laissée dans ce véhicule ?
Un frisson me parcourt. Mon pyjama n’est pas adapté à des sorties nocturnes et le froid traverse le tissu pourtant douillet. Qui est-il et pourquoi moi ? Est-ce le fameux tueur en série dont on parle tant ? Mais non, je m’imagine n’importe quoi à cause d’Antoine. Je ne corresponds pas aux victimes et un enlèvement a eu lieu récemment. Qui alors ? Un fan désaxé ? Un ennemi de mon père ?
Au bout d’une longue période, la porte s’ouvre et claque, le vrombissement du moteur résonne. Il n’est pas revenu me voir. M’a-t-il oubliée ? A-t-il décidé de m’emmener ? Lorsque le véhicule bouge, je tente à nouveau de me libérer, sans succès. Les chances d’être secourue diminuent à chaque kilomètre parcouru.
Quand il s’arrête, le brouillard qui m’entourait a totalement disparu et je contrôle de nouveau mon corps. Au moment où il me relève, je me débats violemment et essaye de m’enfuir, mais le canon de son arme se faufile sous la cagoule et vient toucher la peau de ma joue. Je me pétrifie.
– Trop tard, ma belle ! Tu aurais dû réagir plus tôt.
Puis, sans rien ajouter, il me sort du véhicule et m’entraîne avec lui. J’ignore où nous nous trouvons, mais des sons me parviennent : le vent dans les feuilles des arbres, les hululements des oiseaux de nuit. Tous ces bruits ne font qu’accentuer ma peur.
Je dois me concentrer pour suivre sa cadence et ne surtout pas tomber. Très vite, je perds mes chaussons, mais il ne me laisse pas les ramasser. Je dois continuer à avancer sans même savoir où je vais. Mes pieds percutent tout ce qui traîne sur un chemin de terre : les branches, les pierres et autres petits obstacles.
Après un long moment, il s’arrête et ouvre une porte. La nature du sol change et je marche sur du béton froid. Je suis complètement désorientée. Il m’entraîne dans des escaliers et des couloirs qui semblent interminables. Soudain, il me colle contre une paroi et un cliquetis de serrure tinte à mes oreilles. Le même bruit résonne encore quelques pas plus loin. Ensuite, il me soulève et me lâche sur un matelas. Ses mains attrapent mes chevilles et les attachent ensemble.
Quelques secondes après, il remonte une de mes manches et la pointe d’une aiguille se pose sur ma peau. Je me débats et hurle à travers le bâillon, mais je ne peux pas l’empêcher de l’enfoncer dans mon bras. Il ne dit rien et s’éloigne. Je me tortille, mais je n’arrive pas à me dégager.
Autour de moi, des bruits s’élèvent, comme si quelqu’un allait et venait dans la pièce. Peu à peu, une torpeur m’envahit. Il m’a droguée. Mon corps se détend et les battements de mon cœur ralentissent. Les sons s’atténuent et je sombre dans l’inconscience.
2.
L’enquêteur
Vendredi 2 février 2018
Je sursaute au moment où la sonnerie de mon réveil retentit. Allongé sur mon lit, le regard rivé sur le plafond, je comprends qu’encore une fois, j’ai cherché le sommeil une bonne partie de la nuit. Je me suis battu avec mes pensées. Si cela continue, cette affaire va finir par me rendre dingue. Je m’extirpe de mon couchage avec difficulté, mon sang afflue au sommet de mon crâne embrumé, je pose les mains sur mes yeux. Je les frotte tout en me dirigeant vers la cuisine pour prendre mon petit déjeuner. Bon sang ! Il me faut un café, serré de préférence, avant d’attaquer cette journée.
J’allume la radio pendant que je me prépare afin de me tenir au courant des révélations faites par les journalistes. Ils ne semblent pas toujours conscients de l’impact de leurs divulgations sur le grand public, ce qui complique parfois notre travail. Encore une fois, ils relatent la disparition d’une nouvelle jeune femme. La peur va bientôt s’emparer de la population si nous n’arrêtons pas ce tueur en série au plus vite.
Ma tenue de ville et mes chaussures enfilées, je jette un dernier coup d’œil dans le miroir de l’entrée pour m’assurer de ma présentation. Je suis satisfait, mais les traits de mon visage paraissent fatigués. Tant pis. Je suppose qu’il me faudrait quarante-huit heures de sommeil d’affilée ou une opération de chirurgie esthétique, mais je n’ai pas le temps d’y remédier. J’ai un assassin à coffrer.
Je claque la porte de mon appartement et m’engouffre dans la station de métro située à proximité de mon domicile.
Les secousses de la rame me font vaciller. Je m’accroche à la barre et essaye de ne pas penser à toutes ces mains plus ou moins propres qui l’ont tenue avant moi. L’heure de pointe et l’affluence me donnent la sensation d’étouffer. L’odeur désagréable de certains usagers renforce cette impression de chaleur qui m’envahit. J’ai hâte d’arriver. Je tente de me concentrer sur mon affaire pour que le temps puisse s’accélérer. Très vite, je suis interrompu par les arrêts répétitifs, les montées et descentes des Parisiens. À la prochaine station, je pourrai m’extraire de cet environnement oppressant.
Lorsque je gravis les dernières marches qui me mènent à l’air libre, je reçois la lumière du soleil directement dans les yeux. Je les plisse un instant, ma vue demande quelques secondes pour s’adapter à l’éblouissement. Je prends conscience de la température. Il fait froid. Je rajuste mon écharpe pour me protéger et marche quelques minutes avant d’atteindre mon lieu de travail. La journée va pouvoir commencer.
La tête enfouie entre mes mains, je sens mes tempes cogner contre mes doigts. Mon cerveau bouillonne depuis quelques heures. Cette enquête me donne mal au crâne !
Voici plusieurs mois que ce tueur sévit dans Paris et nous sommes toujours dans l’incapacité de l’arrêter. Une sixième jeune femme a été enlevée, il me reste une semaine pour espérer la retrouver saine et sauve. Le temps est compté et je ne sais plus par où commencer pour identifier une piste.
Mon ordinateur est allumé et les dossiers des victimes se trouvent éparpillés sous mes yeux. Mon regard croise l’un des clichés, la mise en scène des cadavres me révulse.Le scénographe, comme l’appellent les journalistes, porte bien son nom.
Il possède un mode opératoire désormais bien établi. Toujours identique. La personne est enlevée chez elle environ trois semaines avant que l’on retrouve son corps dans un lieu qu’il choisit en rapport avec le métier qu’elle exerce. Le dix de chaque mois, un cadavre est découvert. Chacun d’eux donne une idée précise des sévices subis par les victimes et tous présentent une phrase gravée dans le dos, jamais la même et qui, mises bout à bout, ne révèlent rien d’exploitable. En revanche, toutes les filles portent les mêmes lettres sur leurs mains : un W à gauche et un L à droite. Que signifient-elles et dans quel ordre les lire ? LW ? WL ? Sans doute une sorte de signature, mais qui ne mène à rien jusqu’à présent. Peut-être qu’elles ne doivent pas être assemblées ? Je ne sais pas. En tout cas, les points communs des filles se résument à leur physique et leur tranche d’âge. Elles ne possèdent aucun autre lien. Elles ne se connaissaient pas, ne fréquentaient pas les mêmes lieux, ne vivaient pas dans les mêmes quartiers.
Comment m’y prendre pour retrouver Tina Dupuis en vie ?
Je me souviens encore du jour où le premier corps a été découvert. Celui d’Anaïs Simon. Une comptable de vingt-cinq ans, sans histoires. Une belle jeune femme décrite par ses proches comme gentille, serviable et toujours de bonne humeur. Elle a été trouvée, assise sur un banc, face à l’entrée d’une banque. Elle paraissait en état d’ébriété, affalée sur les planches de bois. Un passant avait tenté de la réveiller sans succès avant de donner l’alerte.
Je venais de débarquer de mon modeste commissariat de quartier de la Chapelle au siège de la police judiciaire parisienne, adresse mythique du 36, quai des Orfèvres. J’en avais rêvé presque toute ma vie ! Le début d’une nouvelle étape et d’une ascension vertigineuse pour ma carrière. Fini, les petites frappes des banlieues pauvres de Paris, à moi les criminels, les meurtriers, les tueurs en série. Je me sentais exalté, mais j’avais rapidement déchanté lorsque mon supérieur, le commissaire Serge Rochefort, m’avait confié le dossier de l’assassinat d’Anaïs Simon. J’étais loin de me douter, à ce moment-là, que nous aurions affaire à celui qui est en passe de devenir l’un des plus célèbres psychopathes de ces dernières décennies.
Très vite, j’avais compris que j’allais devoir faire mes preuves. Malgré l’horreur de cette scène de crime, j’étais resté professionnel et je m’étais empressé de mener mon enquête, sans trouver la moindre piste. La légiste avait conclu que les sévices et les lettres gravées de façon hésitante sur le dos de la victime indiquaient un manque de maturité dans la pratique du tueur. Ce dernier, qui était donc peu sûr de lui, n’avait pourtant laissé aucune autre trace de son passage. Aucune donnée exploitable, aucun ADN. De plus, l’aspect lisse et sans histoire de la jeune Simon ne m’avait pas permis d’établir un quelconque scénario. Si bien que, lorsqu’une deuxième femme avait disparu, Nathalie Saurel, je n’avais aucune piste. Au moment où son corps avait été retrouvé face à un pénitencier, trois semaines plus tard, nous avions compris que nous avions affaire à un meurtrier en série. Le même mode opératoire, le même style de fille. La brillante avocate avait été jetée en pâture devant la prison de la Santé, elle présentait des traces identiques à celles d’Anaïs Simon.
Depuis, chaque mois, nous déplorons la disparition d’une jeune femme blonde, svelte, aux yeux clairs, dans la vingtaine, suivie de la découverte de son cadavre vingt et un jours plus tard. La troisième victime, Inès Bonnet, fleuriste, retrouvée dans un cimetière, Léa Malare, archiviste, dans une bibliothèque et Héloïse Grégoire, assistante sociale, devant un foyer pour jeunes.
Je ne trouverai pas le repos tant que ce taré sera en liberté !
Je dors mal depuis des semaines, cette affaire n’avance pas. J’ai l’impression de me planter, de ne pas savoir m’y prendre. J’en viens, par moments, à douter de mes compétences. Moi, qui rêvais déjà enfant de devenir grand enquêteur, je me retrouve confronté à la dure réalité du métier. Cela dit, si je n’obtiens pas un minimum de résultats, je crains que mon supérieur ne me tombe dessus très vite.
Des bruits de pas résonnent et me sortent de ma réflexion. La porte vitrée de mon bureau s’ouvre sur le commissaire Rochefort. Il est accompagné d’un homme.
– Permettez-moi de vous présenter Antoine Baron, c’est un ami. Il est éditeur.
Je me lève. Il retire d’une main habile son chapeau feutré qui laisse entrevoir un début de calvitie et s’approche de moi. Il me paraît nerveux. Après les salutations de rigueur, Rochefort m’interroge :
– Alors, où en êtes-vous avec le scénographe ?
Je jette un œil à l’éditeur avant de reporter mon attention sur mon patron. Je me sens un peu mal à l’aise d’échanger sur une enquête en cours devant une personne non tenue au secret professionnel. Il remarque mon hésitation.
– Vous pouvez parler sans gêne, Gilles. Antoine est un ami. Il ne divulguera rien à personne.
– D’accord, très bien. Malheureusement, Monsieur le commissaire, on piétine toujours. Aucune piste valable. De plus, avec un tel malade en liberté et les médias qui incitent à la vigilance de la population, nous nous retrouvons avec de nombreux signalements d’individus suspects à gérer. Avec mes hommes, nous essayons de tous les prendre en compte, mais cela devient un vrai casse-tête.
– Il faut trouver quelque chose. Je vous rappelle qu’une nouvelle victime a été enlevée chez elle il y a plus de deux semaines. Les membres de sa famille sont extrêmement inquiets et on les comprend. Nous avons une vie entre nos mains, nous devons arrêter cet individu au plus vite. Je compte sur votre efficacité.
– Bien entendu, Monsieur le commissaire, j’y travaille, ainsi que toute mon équipe.
– Très bien. Par ailleurs, si je suis ici avec Antoine, c’est que nous avons potentiellement un autre problème sur les bras. Connaissez-vous Mélina Oliver ?
– Ce nom m’est familier, oui, mais je n’en sais pas plus, avoué-je à demi-mot, comme un élève pris en faute.
Je regarde, du coin de l’œil, l’éditeur qui s’agite de plus en plus.
– Il s’agit d’une auteure et amie d’Antoine et, voyez-vous, elle semble s’être volatilisée.
Baron ne parvient plus à se contenir et coupe la parole au commissaire.
– Lieutenant Lacroix, il faut absolument retrouver Mélina, Mérédith-Lina Oliver de son vrai nom. J’ai l’intime conviction qu’elle a été kidnappée par le scénographe. Je vous en supplie, recherchez-la tout de suite.
J’observe des perles de sueur mêlées à ses cheveux clairsemés. Il joue avec son chapeau d’une main et je remarque seulement le livre qu’il tient dans l’autre.
– Monsieur, calmez-vous. Déjà, asseyons-nous, commencé-je en m’exécutant et en invitant mes interlocuteurs à m’imiter. Nous allons parler tranquillement de tout cela, il doit y avoir confusion. Le meurtrier a kidnappé une jeune femme, ce n’est donc pas possible. Depuis des mois que je suis sur cette enquête, j’ai enfin compris sa manière de procéder.
Rochefort prend place et incite son ami à s’installer à son tour.
– Non, merci. Je préfère rester debout. Je n’ai pas de nouvelles, ce n’est pas normal. Je suis sûr qu’elle a été enlevée.
L’éditeur se met à effectuer les cent pas dans mon bureau. Sur le moment, je m’agace un peu de ne pas réussir à le calmer devant mon patron, mais je tente de me rassurer. Après tout, il n’y est pas parvenu mieux que moi. Je décide d’entrer dans son jeu et lui demande des informations complémentaires.
– Quand l’avez-vous vue ou eue au téléphone pour la dernière fois ?
– Nous avons dîné ensemble hier soir, nous nous sommes quittés à quelques pas de chez elle.
– Hier soir ?
Je jette un regard interrogatif à Rochefort qui ne semble pourtant pas réagir. J’ai besoin de preuves suffisantes pour enclencher la procédure. Je ne comprends rien, mais je continue tout de même.
– Très bien. Quel âge a Mérédith-Lina ?
– Trente-deux ans, pourquoi ? On s’en fiche, de son âge, s’agace Antoine.
Cette fois, je suis vraiment perdu. Je ne m’explique pas pourquoi Rochefort m’a amené cet individu. Je commence à perdre patience. Avec un tueur en liberté, j’ai bien autre chose à penser. Je me demande où tout cela va bien pouvoir me mener.
– Écoutez, monsieur Baron, toutes les victimes ont une petite vingtaine d’années. Cela ne colle pas, Mérédith-Lina est trop âgée pour correspondre au profil qu’il recherche. Elle est sûrement occupée, elle devrait vous contacter bientôt. Vous ne vous êtes pas disputés ?
L’éditeur s’arrête net. Il me dévisage. Le regard qu’il me lance me transperce. J’observe mon patron qui reste muet sur son siège. Je parviens difficilement à percevoir son ressenti. Je n’ai pas le temps de m’appesantir : Antoine s’approche de moi et balance le livre qu’il tenait à la main sur mon bureau. Je le rattrape de justesse avant que celui-ci ne finisse sa glissade au sol.
– Et là, elle correspond mieux ?
La gêne s’empare de moi. Je n’ose regarder le commissaire. Je contemple donc ce livre tendu si gentiment. Il s’agit d’un roman de Mélina Oliver. J’observe la photo de l’auteure au dos de l’ouvrage. Putain de merde ! Le portrait craché des victimes ! Toutes mes certitudes volent en éclats en un instant.
3.
L’auteure
Vendredi 2 février 2018
À mon réveil, la lumière du plafonnier m’éblouit. Pourquoi est-il allumé ? Je lève la main pour me cacher les yeux, mais la retire aussitôt. Une douleur vient de m’exploser dans la tête. Je baisse le bras et observe mon poignet. Un bandage le recouvre. En posant les doigts dessus, je remarque que l’autre est aussi protégé par un tissu. Que s’est-il passé ? Je dois me concentrer pour rassembler mes derniers souvenirs. Le rendez-vous avec Antoine pour la correction du roman, notre dîner en tête-à-tête… Puis plus rien.
Je me redresse dans mon lit et jette un œil au réveil qui se trouve sur la table de nuit. Treize heures et trente minutes. Je regarde autour de moi, je ne me rappelle pas m’être allongée. Je repousse la couette et marque un temps d’arrêt quand je m’aperçois que je porte un T-shirt avec un pantalon de jogging. Le genre de vêtements que je mets lorsque je travaille toute la journée sur un roman sans sortir. Cependant, je ne me souviens pas de m’être changée.
J’essaye de repenser à ma soirée d’hier. Ai-je écrit ? Je me perds dans mes réflexions. Comment me suis-je blessée et qui m’a soignée ? Dans ma tête, je déroule le film des derniers événements : mon retour chez moi, mon passage dans la salle de bains où j’ai enfilé un pyjama en pilou, puis…
Une douleur !
Je me suis retrouvée par terre. Le noir m’a enveloppée, je ne percevais plus que des formes. Un homme se trouvait dans mon appartement. Il allait et venait dans la pièce. Il m’a emmenée dehors, dans une camionnette. Pourquoi ne me suis-je pas mieux défendue ? Je l’ai laissé m’attacher, me bâillonner et m’enfiler une cagoule sur la tête. Nous avons roulé, puis marché. Ensuite, il m’a injecté quelque chose.
Affolée, je me lève et observe autour de moi, mais je me trouve encore dans mon appartement. Mes chaussons sont également posés près de mon lit, alors que je me souviens de les avoir perdus. Le soulagement m’envahit. J’ai dû rêver. Cauchemarder serait plus juste. Mais d’où viennent ces blessures ? Suis-je tombée en sortant de la douche ? Mais oui, voilà ce qui est arrivé.
J’imagine que j’ai dû saigner et tacher mon pyjama. Je devais être à moitié sonnée, ça explique que j’ai oublié cette partie, mais pas ces bandages sur mes poignets. Je les observe mieux, ils sont bien posés. Je n’aurais sûrement pas pu les placer si parfaitement, surtout avec la main gauche.
Puis l’évidence me saute aux yeux. Antoine ! Il n’a pas pu s’empêcher de s’inquiéter et de me suivre. Il a frappé et, devant l’absence de réponse, il est entré, m’a trouvée et m’a… Non, il ne m’aurait pas déshabillée. Je devais être à moitié consciente et il m’a aidée à me changer et à me mettre au lit. Mais où est-il à présent ? Dans le salon à attendre mon réveil ?
Je m’avance vers la porte séparant les deux pièces de mon appartement, mais au bout de quelques pas, je perds l’équilibre et me raccroche à la bibliothèque. Je suis obligée de me tenir pour marcher. J’attrape la poignée pour retrouver Antoine, l’homme qui m’a beaucoup apporté depuis ma fuite de la demeure familiale. Je me souviens de notre deuxième rencontre. Quelques jours avant, j’étais venue déposer un manuscrit dans sa maison d’édition. Il m’avait recontactée le lendemain pour me donner rendez-vous. Son appel m’avait surprise, je ne m’attendais pas à recevoir un avis avant plusieurs semaines.
À l’époque, je travaillais comme caissière dans un supermarché. Je n’avais rien trouvé de mieux, mais le salaire suffisait pour payer mon loyer, les charges et tout le nécessaire. J’avais aussi pu m’offrir un ordinateur sur lequel j’avais écrit les nouvelles rassemblées dans le recueil que j’avais proposé pour une édition.
Je n’en menais pas large quand je suis entrée dans le bureau d’Antoine. Il s’est levé et m’a invitée à prendre place en face de lui. Il portait un costume bleu marine avec une cravate de la même couleur. Il avait tenté de cacher une légère calvitie avec plusieurs mèches de cheveux bruns et il semblait encore plus mal à l’aise que moi. Ce jour-là, il a proposé de m’aider à améliorer mon style, car il croyait en moi et en mes écrits.
À partir de là, je revenais régulièrement le voir et nous travaillions sur mes textes, mais mes horaires changeaient chaque semaine, ce qui compliquait nos rencontres. Il m’a alors offert un poste au sein de son entreprise. Chaque soir, après la fermeture, nous restions un peu plus tard pour nous occuper du recueil de nouvelles. Il m’a ensuite proposé un contrat d’édition. Depuis, notre amitié s’est développée, même si j’ai cessé de travailler pour lui.
Au moment où je pose la main sur la poignée, je l’imagine de l’autre côté. Il doit s’être installé sur le canapé et se ronger les ongles en attendant mon réveil. Il s’inquiète souvent pour moi, mais la jeune femme fragile de l’époque n’existe plus. Je peux me débrouiller, seulement il ne semble pas s’en rendre compte. Même si son attitude me touche, je ne supporte plus ses peurs irrationnelles.
J’ouvre la porte et tombe sur une paroi de métal. Qu’est-ce que c’est ? Non, je dois encore être en train de rêver. Je pose les mains dessus et pousse, mais rien ne se passe. Je me retourne et observe la pièce. Je ne comprends rien, je me trouve pourtant chez moi, je reconnais mes meubles : le lit avec les barreaux à la tête et aux pieds, les deux bibliothèques qui séparent la chambre du bureau, la table sur laquelle j’écris…
À ce moment, une évidence me saute aux yeux : l’odeur. Elle a changé. Je me mets alors à chercher des différences. L’espace de rangement est légèrement décalé, un anneau est accroché au plafond. Mon cœur accélère sa cadence. Si je n’ai pas rêvé, où suis-je ? Cet endroit ressemble à mon appartement, mais ce n’est pas chez moi. Que se passe-t-il ? Je veux comprendre. J’avance d’un pas, mais je m’arrête d’un coup. Un homme est assis sur ma chaise. Un frisson me parcourt.
Je me plaque la main sur la bouche pour étouffer un cri, mais il ne m’a pas vue. Il pianote sur le clavier de l’ordinateur et me tourne le dos. Il ne m’a pas entendue non plus. Je l’observe de loin. Est-ce mon agresseur ou l’occupant des lieux ? À moins qu’il ne soit victime, comme moi. Non, si c’était le cas, il ne se comporterait pas de cette façon. Je dois profiter de ce moment pour m’enfuir rapidement. J’abandonne la porte pour me diriger vers la fenêtre de droite. Les rideaux sont tirés. Je les ouvre pour pouvoir m’échapper par là. L’escalier de secours me permettra de sortir et d’aller chercher de l’aide. Je tombe alors sur un mur. Derrière moi, un rire résonne et je me retourne.
L’homme se trouve à présent devant moi. Un masque en métal dissimule entièrement son visage du menton jusqu’au sommet du crâne. Il s’approche. Je veux reculer, mais je me retrouve rapidement contre la paroi. Il place alors ses mains de chaque côté de ma tête et avance la sienne. Puis, avec ses doigts, il caresse mon front. J’essaye d’esquiver son geste, mais il m’attrape par le cou et m’immobilise.
La peur m’envahit. Je n’avais donc pas rêvé. J’ai réellement laissé cet homme m’enlever. Pourquoi n’ai-je pas réagi plus tôt ? Je me souviens alors de ma blessure à la tête. Il m’a probablement frappée, ce qui m’a empêchée de me défendre. Que serait-il arrivé si j’avais hurlé ? Aurais-je pu lui échapper ?
– C’est comme ça que tu me remercies de t’avoir soignée ?
Sa voix ! Sa voix sonne bizarrement, comme s’il me parlait à travers quelque chose. Pourquoi ne l’ai-je pas remarqué avant ? Mes souvenirs sont flous, tout s’est passé si vite. Il resserre son étreinte autour de mon cou, me coupant la respiration. J’essaye de répondre, mais les mots ne sortent pas. Alors il relâche la pression.
– Je…
Il me prend la main et me la pose sur le front, je sens les fils sous la peau de mon doigt.
– J’ai dû suturer ta plaie. La blessure provoquée par le coup a causé plus de dégâts que je ne le pensais. Je comprends mieux pourquoi tu ne réagissais pas beaucoup. J’ai dû me laisser emporter par l’excitation du moment.
Je ne réponds pas. Il m’attrape l’avant-bras et le lève devant mon visage pour me montrer le bandage.
– Les cordes de tes liens avaient abîmé la peau de tes poignets. Je me suis aussi donné la peine de les protéger. J’ai même dû retourner sur mes pas pour retrouver tes chaussons. Tu les avais semés. Tu t’es prise pour le Petit Poucet ?
Je ne réponds pas et détourne le regard, mais il me redresse la tête avec sa main.
– Je te soigne et je n’ai même pas droit à un remerciement ? C’est tout ce que je te demandais en échange. Tu trouves ça si compliqué ?
Il me gifle violemment.
– Alors ?
Comme je ne n’ouvre toujours pas la bouche, il me frappe encore plusieurs fois. Je balbutie un merci, il me lâche. Je m’éloigne pour mettre le plus de distance possible entre lui et moi.
– Où crois-tu aller ? Où penses-tu te trouver ? Chez toi ?
Il s’esclaffe.
– Vois-tu, voilà des mois que je prépare mon coup. J’ai commencé par une visite de ton appartement pour me familiariser avec les lieux et pour emporter quelques-unes de tes affaires. Tout petit d’ailleurs ton chez-toi. Je suis déçu, je m’attendais à mieux de la part d’une « auteure reconnue ». J’ai pris beaucoup de photos pour reproduire ton cadre de vie à la perfection. Quand je suis venu te chercher, je n’ai eu qu’à noter les derniers changements. Heureusement pour moi, j’ai aussi une excellente mémoire visuelle.
Je le regarde et une idée germe dans mon esprit. Lorsque j’ai compris que quelqu’un se trouvait dans mon appartement, j’ai d’abord cru avoir affaire à un voleur, mais je n’ai jamais imaginé qu’il pouvait s’agir du même homme qu’en juillet. Sauf que, cette fois, il ne venait pas seulement pour des objets, mais également pour moi.
– C’était… C’était vous ! Le cambrioleur !
– Exact ! D’ailleurs, je suis reparti avec certains de tes vêtements. Sais-tu ce qu’ils sont devenus ?
Je secoue la tête tout en continuant à tenter de lui échapper.
– Je les ai utilisés pour habiller les femmes que j’ai tuées.
Tuées ? De quoi parle-t-il ? Je me souviens alors de la discussion que j’ai eue avec Antoine sur l’assassin qui sévit à Paris. Il s’inquiétait. Il craignait qu’il s’attaque à moi. Les journalistes ont mentionné son surnom : le scénographe… Est-ce que je me trouve face à ce monstre ? Tout mon corps est secoué de tremblements. Si seulement j’avais écouté Antoine…
– Vous… êtes… ?
– Ainsi, tu as entendu parler de moi ! C’est bien !
Soudain, mes jambes ne peuvent plus me porter et je m’affaisse sur le sol. Je relève la tête. Mon destin semble scellé. Je ne peux que me résigner à mon funeste sort.
– Vous… Vous allez me tuer ?
Il s’approche et s’accroupit devant moi. Il pose alors sa main gantée sur ma joue.
– Ça, ça va dépendre de toi et de ta coopération.
– Pourquoi ?
Il ne répond pas, mais se redresse.
– Viens avec moi !
Comme je ne bouge pas, il m’attrape le bras, me relève et m’emmène derrière les bibliothèques où il a reproduit mon coin bureau. Cet homme a perdu la raison ! Pourquoi s’est-il donné autant de mal ? Tout cela n’a aucun sens. Il m’assied de force sur la chaise et me montre l’ordinateur.
– Qu’est-ce que c’est ?
Je le regarde sans comprendre ce qu’il attend. Le noir de l’écran m’apprend que l’appareil s’est mis en veille.
– C’est… C’est un ordinateur…
Sa main explose de nouveau sur ma joue.
– Ne te fiche pas de moi ! Je veux savoir ce que tu avais en tête quand tu as écrit ça !
Son insistance m’énerve, je ne comprends pas ce qu’il attend de moi.
– Je ne vois pas pourquoi je devrais vous répondre. Ça ne vous concerne pas.
Une pluie de coups s’abat sur moi, je ne peux que lever les bras pour me protéger un minimum. Il se calme, tape sur un bouton et entre le code qui permet de déverrouiller le PC. Comment peut-il le connaître ? Il s’agit de celui de mon premier téléphone portable. Il me montre alors un document Word. Je m’approche pour mieux regarder, mais ne réponds pas.
– Qu’est-ce que c’est ?
Pour éviter d’autres douleurs, je me résigne à parler :
– Mon nouveau projet… Je suis auteure…
– Ça, je le sais ! Qu’est-ce que tu crois ? Tu penses que ce torchon pourrait plaire à quelqu’un ? En as-tu discuté avec ton éditeur ?
– Oui, mais seulement à lui ! Je souhaitais me lancer dans les romans policiers.
– Ton assassin n’a aucun charisme. Il ne m’arrive pas à la cheville. Je vais te donner l’occasion d’écrire un best-seller. Il te suffira de présenter mon œuvre.
Un frisson me parcourt.
– Votre œuvre ? Vous voulez dire…
Il se lève et se met à marcher de long en large en parlant. Il semble jubiler.
– Oui, je vais te confier tous mes petits secrets et tu raconteras l’histoire de ma vie.
– Je… Non !
Ma réponse doit le surprendre, car il ne bouge plus. Mais la seconde d’après, il fonce vers moi, m’attrape les poignets, les plaque violemment sur les accoudoirs de la chaise et avance son visage vers le mien.
– Qu’est-ce que tu as dit ?
Je ferme les yeux, m’attendant à un nouveau coup, mais rien ne vient. Je relève les paupières. Il se place derrière moi et rapproche le fauteuil du bureau.
– De toute façon, tu n’écriras plus rien d’autre. Tu vas commencer par effacer cette merde que tu appelles chapitre et toutes tes recherches…
– Non ! Pourquoi ?
– Je ne te demande pas ton avis. Obéis !
Je ne bouge pas et rassemble mon courage pour lui répondre. Quelle que soit ma réaction, il me tuera. Aucune de ses victimes ne s’en est sortie vivante jusque-là. Et j’imagine que la plupart d’entre elles ont coopéré. Et même si j’obtempère maintenant, il réclamera autre chose ensuite, comme mon père.
Je ne supportais plus les actions de mon géniteur ni le rôle qu’il m’obligeait à endosser et je ne regrette pas d’avoir quitté son monde qui place l’argent avant l’humain. Seulement, je ne risquais pas grand-chose de la part de celui qui avait mis tous ses espoirs en moi. Dans cette situation, j’ignore ce que cet individu peut m’infliger.
Je repense aux paroles du présentateur du journal télévisé. Cinq jeunes femmes retrouvées mortes après avoir disparu durant trois semaines. Qu’ont-elles enduré pendant leur captivité ? Je ne suis pas pressée de l’apprendre, mais il ne s’est probablement pas contenté de les garder enfermées. Et la sixième est actuellement entre ses mains.
Où se trouve-t-elle ? Est-elle emprisonnée comme moi dans une pièce qui ressemble à son appartement ? Non, c’est impossible. Cela demanderait trop de temps. Alors, pourquoi a-t-il agi de cette façon avec moi ? Qu’est-ce que je représente pour lui ? Apparemment, il veut que j’écrive son histoire, mais pourquoi se donner autant de mal ? Cela n’a pas de sens. Pensait-il que m’enfermer dans une copie conforme de mon appartement suffirait à me convaincre de lui obéir ? Pour qui me prend-il ?
– Je refuse ! Ça signifie des heures de travail et…
Je ne peux terminer ma phrase, car son poing vient me percuter la tête.
– Je t’interdis de me répondre de cette manière. Tu n’as pas l’air de comprendre dans quelle situation tu te trouves. Tu es à ma merci, je peux faire de toi ce que bon me semble. Alors tu ferais mieux de te montrer plus docile si tu ne veux pas qu’il t’arrive des bricoles.
– Vous n’avez qu’à me tuer tout de suite ! Je n’écrirai pas pour vous et je ne détruirai pas le fruit de mes recherches.
Il m’attrape le poignet et me le retourne dans le dos. La douleur est fulgurante. Un cri s’échappe de ma gorge.
– Tu veux que je te casse un os ?
Je secoue la tête avec énergie. Il atténue sa pression et me relâche. Je ramène tout doucement mon bras devant moi et le serre contre moi.
– Maintenant, efface-moi ces conneries !
Je pose la main sur la souris, mais je ne dois pas agir assez vite, car il l’attrape, l’écrase et met les fameux fichiers dans la corbeille de l’ordinateur. Je ne peux me soustraire à sa poigne. L’opération ne prend que quelques secondes et détruit de longues heures de travail. Je ne peux retenir un sanglot quand il efface tout de manière définitive.
Lorsqu’il me lâche, je me masse la peau, devenue rouge.
– Tu as mal ? Eh bien, sache que ce n’est rien comparé à ce qui t’attend si tu continues de me résister. Puisque tu ne sembles pas comprendre ce que tu risques, je vais devoir te l’expliquer.
– Pourquoi vous faites ça ?
– Si tu l’ignores, ça signifie que tu mérites pire encore !
Il m’attrape par les cheveux, me relève et me jette violemment sur le matelas. Pétrifiée par la peur, je n’esquisse aucun mouvement. Il ouvre le tiroir de la table de nuit et en sort des cordes. Il me réunit les poignets et les attache à la tête du lit. Ensuite, il s’empare de mes chevilles et tire dessus. Je ne peux réprimer un cri de douleur quand il serre les liens. Je me retrouve couchée sur le dos, les bras et les jambes étirées. Je ne peux plus bouger.
Il fouille encore dans le tiroir et en sort deux foulards, un casque audio et du ruban adhésif. Avec le premier morceau de tissu, il me bâillonne. Avec le second, il me bande les yeux. Ensuite, il s’approche de mon oreille.
– Je vais te briser ! Bientôt, tu obéiras à chacune de mes demandes, comme les autres !
Il me place alors l’accessoire sur la tête et le stabilise avec l’adhésif. Je n’entends plus rien, mais le silence ne dure pas. Un vacarme envahit mes tympans et m’emporte dans une chute interminable.
4.
L’enquêteur
Vendredi 2 février 2018
Je me remets tout juste du choc provoqué par cette vision. Les traits de son visage, ses yeux, ses cheveux. Je retrouve les mêmes caractéristiques que chez les victimes du scénographe. Dans ma tête règne un bordel sans nom ! Je ne dois pas perdre la face devant mon patron et son ami. Mes interrogations attendront.
– J’admets que la ressemblance est plutôt troublante, monsieur Baron.
– Merci de le reconnaître, lieutenant. Vous devez faire quelque chose. Je vous en prie !
Je me sens gêné, tiraillé entre mon envie d’aider cet homme en détresse et mon désir de l’envoyer promener. Une grande partie de moi estime qu’un bon millier d’autres raisons peuvent expliquer l’absence de cette femme. S’il s’avère qu’elle a effectivement disparu. Mais cet individu ne semble pas disposé à les entendre pour le moment. J’essaye de répondre, mais les mots se mélangent dans mon esprit. Rochefort remarque ma position et se permet d’intervenir.
– Écoute, Antoine, comme je te le disais, il est trop tôt pour entamer une véritable procédure avec tout ce que cela implique. Nous ne serions pas crédibles sans davantage d’indices, même pour une simple enquête administrative.
L’éditeur se montre de plus en plus nerveux. Les yeux humides, il recommence ses va-et-vient et triture son chapeau. Il semble beaucoup tenir à sa protégée. Le commissaire me fixe du regard. Je sens qu’il va m’arriver un truc pas clair ! Il rompt le silence.
– Nous allons t’aider, ne t’inquiète pas. Nous ne pouvons rien officialiser avant le délai légal, mais le lieutenant Lacroix va se charger personnellement de l’enquête préliminaire au plus vite, pour que tout le monde soit rassuré.
Et merde ! J’en étais sûr.
– Merci beaucoup, Serge. Je te revaudrai ça, mon ami.
– Je t’en prie.
Les deux hommes s’étreignent. De mon côté, je constate l’apaisement immédiat de l’éditeur et je me demande déjà comment je vais pouvoir gérer ce dossier, en plus de tout le travail que j’ai sur les bras. Désormais, je ne dois pas retrouver une, mais deux femmes, dont l’une d’elles est, à coup sûr, en danger de mort. Si je ne parviens pas à mes fins, d’ici quelques jours, son corps sera découvert. Le commissaire se retourne vers moi et reprend.
– Lieutenant, je compte sur vous pour effectuer cette enquête en priorité. Profitez de la présence d’Antoine, si vous avez encore des questions à lui poser. Il se fera un plaisir d’y répondre. Je vous abandonne tous les deux, j’ai du travail qui m’attend dans mon bureau.
Rochefort se sauve avant que je puisse émettre la moindre objection. Il me laisse seul avec l’éditeur. Il sait que je ne peux lui refuser cette faveur, étant le dernier arrivé. Je n’ai d’autre choix que de me pencher sur cette affaire et de la résoudre au plus vite.
– Très bien, monsieur Baron. Reprenons cette histoire. Hier soir, vous avez donc dîné avec Mérédith-Lina et vous l’avez raccompagnée jusque chez elle ensuite, c’est bien cela ?
L’homme prend place sur le siège en face de moi.
– Elle vit à proximité du restaurant où nous étions, elle a préféré rentrer seule. J’ai attendu qu’elle pénètre dans son immeuble pour partir. Je m’en veux tellement. J’aurais dû la ramener jusqu’à son appartement, finit-il avec des larmes aux coins des yeux.
– Êtes-vous passé à son domicile avant de venir nous voir ?
– Oui, bien entendu. Je lui ai envoyé plusieurs messages qui sont restés sans réponse. J’ai tenté de l’appeler aussi, au moins une dizaine de fois, en vain. Alors je me suis rendu chez elle dès que possible. J’ai tambouriné à sa porte longtemps. Comme elle n’ouvrait pas, je me suis permis d’utiliser ma clé pour entrer. Rien. Elle ne s’y trouvait pas, ce n’est pas normal. Je suis venu directement ici.
– Pas de dispute ou de malentendu qui expliquerait son absence et le fait qu’elle ne vous réponde pas au téléphone ?
– Non, en aucun cas. Nous avons passé un bon moment. Nous avons beaucoup évoqué son futur roman qui doit sortir le mois prochain et nous nous sommes longuement penchés sur quelques suggestions que je tenais à lui soumettre. À la fin de la soirée, nous avons même parlé de ce monstre et je lui ai conseillé de se méfier, sa ressemblance avec les victimes m’avait tout de suite alerté.
– Quelle a été sa réaction ?
– Elle m’a répondu que mon inquiétude n’était pas fondée, qu’elle ne risquait rien, car elle est plus âgée que ces pauvres jeunes femmes.
– Dans un sens, elle a raison. A-t-elle évoqué un projet de vacances qu’elle aurait précipité et qui justifierait son absence ?
– En fait, oui, Mérédith-Lina a l’habitude de s’isoler avant la sortie d’un nouveau roman. Elle aime se couper du monde pour se reposer et, la connaissant, travailler déjà un peu sur une autre histoire.
– Eh bien ! Voilà ! Elle doit être partie plus tôt que prévu, cela semble assez logique. Elle n’aura pas eu le temps de vous avertir, mais va sûrement le faire.
– Non, non, elle me l’aurait dit, lieutenant, j’en suis persuadé. Elle connaît mon caractère, elle sait que je vais m’inquiéter si elle ne me prévient pas. Ce n’est pas son genre de me laisser sans nouvelles.
Il marque un point, mais je reste convaincu que Mérédith-Lina a juste avancé son départ. Résigné et aussi par crainte qu’il ne se plaigne à mon sujet auprès de Rochefort, je décide d’aller dans son sens. Je souhaite n’offusquer personne et cela passe par quelques concessions.
– Très bien. Nous allons fouiller son appartement. Peut-être découvrirons-nous un indice qui pourra nous indiquer où elle se trouve.
– Merci beaucoup, sanglote presque l’éditeur.
Nous nous levons et nous rendons au domicile de Mérédith-Lina Oliver sans tarder.
Durant le trajet, Antoine Baron se montre nerveux. Il ne cesse de regarder son téléphone et réessaye, à plusieurs reprises, d’appeler son amie. En vain. Je tente de le rassurer, mais je pense que rien de ce que je dis ou fais ne trouvera grâce à ses yeux tant qu’il n’aura pas la conviction que Mérédith-Lina se porte bien. Je souhaite de tout cœur résoudre cette affaire officieuse au plus vite. Je ne veux pas qu’elle devienne officielle et me prenne davantage de temps. Il m’en manque déjà pour retrouver Tina Dupuis avant qu’il ne soit trop tard. Juste avant notre départ, j’ai prévenu mon supérieur et j’ai donné des ordres à mon équipe pour qu’elle puisse avancer durant ma courte absence. Mes collègues sont chargés d’interroger les proches de la jeune femme et d’établir un lien avec les autres victimes. Ils doivent également fouiller de nouveau son appartement, tenter de localiser son téléphone portable, sans compter les signalements d’individus suspects qui se multiplient. Nous n’avons aucune idée du physique du meurtrier. La population commence à se méfier de tous les hommes au comportement étrange. Je sors de mes réflexions et je remarque que l’éditeur ne dit plus rien. Il se contente de me guider à travers les rues de Paris.
– Ça va ?