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Une nuit de pleine lune bien différente de toutes les autres fait basculer la vie d’Aydan. Alors que son maître révèle un secret concernant son passé, cet orphelin, devenu apprenti druide, se volatilise avec les plus puissants. Leur disparition n’est que le début des ennuis. L’île entière est menacée ! Aydan parcourt donc Nolava afin de mener des investigations sur ses véritables origines. Toutefois, les enseignements reçus, son instinct et la force cachée en lui seront-ils suffisants pour lui apporter des réponses et sauver cette ville ?
À PROPOS DE L'AUTEURE
Issu d’une famille exerçant dans les domaines du transport et du tourisme,
Tom Giraud-Mauduit a trouvé en l’écriture son moyen d’évasion et de faire voyager les autres. Passionné de littérature fantastique et de la culture celtique, il s’est intéressé aux textes sur le druidisme. Ainsi, comme une évidence, ses lectures et son imagination ont donné naissance à ce roman.
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Seitenzahl: 347
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Tom Giraud-Mauduit
Le sceptre du Temps
Roman
© Lys Bleu Éditions – Tom Giraud-Mauduit
ISBN : 979-10-377-7733-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Les astres les plus brillants sont les sourires de ceux que l’on aime.
Tom Giraud-Mauduit
Il fit basculer sa capuche sur ses épaules, sentant l’air frais du matin lui caresser les joues. Il enleva ses longs gants, puis sa chemise à manche courte. Avoir cousu sa capuche sur cette chemise fut la meilleure idée qu’il ait eue. Non seulement il gagnait du temps à l’enlever et la remettre, mais, en plus, il se sentait beaucoup plus libre de ses mouvements qu’avec une cape. Il enleva ses bottes, puis desserra la corde autour de sa taille pour enlever son pantalon en toile. Il posa ses vêtements et le matériel qu’il avait apporté sur la pierre où il se trouvait.
Sans la moindre peur, Aydan plongea dans le lac réveillant tous les muscles de son corps par la fraîcheur de l’eau. À force de venir ici, il savait exactement de quel rocher sauter pour ne pas se fendre le crâne sur une pierre dissimulée dans l’eau.
Durant un bon moment, il nagea, plongea, explora de nouveau ce lac qu’il connaissait par cœur, jusqu’à se calmer totalement. L’esprit complètement vidé, il se laissa flotter à la surface plane de l’eau cristalline et observa la forêt tout autour de lui. Elle était en train de s’éveiller. Il en avait suffisamment appris à son sujet pour le voir, mais il n’en aurait pas eu besoin. Au plus profond de lui, il le sentait. Pourtant, ce spectacle ne cessait de le réjouir. La lumière qui s’élevait dans le ciel, perçant au travers des feuilles par endroit pour créer des chemins lumineux depuis le sol jusqu’au ciel. Les perles de rosée étincelantes qui tombaient comme une musique sur la terre. Les fleurs qui s’ouvraient. Toute cette beauté avait beau être cyclique, elle en restait agréable. Ce qu’Aydan préférait, en revanche, ce n’était pas la beauté visuelle, mais les mélodies qu’offrait cette nature. Le bruissement des feuilles dans le vent, les pas du sanglier qui s’en allait chercher des glands, l’écho du saut d’un saumon et, surtout, le chant des oiseaux. Il n’avait peut-être que dix-sept ans, mais les connaissait par cœur et pouvait dire à quel moment de la journée il se trouvait, rien que par leur douce musique.
Aydan savait aussi repérer et comprendre les messages de la nature en observant simplement le vol des oiseaux. Et le battement d’ailes pressé de ce geai des chênes, rayé de noir et blanc sur la tête, au plumage coloré plutôt rosé, déployant ses ailes tachetées d’un bleu azure lumineux, lui indiquait clairement qu’il s’était encore mis en retard.
Il sortit au plus vite de l’eau et, avec l’aide d’un morceau de tissus qu’il avait rapporté, essaya de se sécher. Il enfila ensuite ses vêtements sur sa peau encore humide et secoua ses cheveux auburn épais, dispersant une centaine de perles d’eau dans les airs. Il rabattit sa capuche sur sa chevelure avant de s’élancer dans la forêt. Il avait appris à rester discret et à respecter le silence de la forêt, alors Aydan essaya de trottiner le plus vite possible en restant vigilant au bruit qu’il produisait.
Au bout de quelques minutes, il trouva un fossé au bord d’une rivière et s’y laissa glisser. Aydan repéra la plante par son odeur apaisante et agréable, absolument discernable, même pour quelqu’un qui n’aurait pas été formé. Il n’avait pas le temps pour un rituel de cueillette et récupéra simplement les tiges de menthe aquatique dans le plus grand silence, humant chacune de ses feuilles ovales dentées en guise de respect. Il déposa toute sa récolte dans un tissu, qu’il enroula pour le ranger dans sa besace.
Un petit gazouillis lui fit lever la tête. Il ne lui fallut pas plus de deux secondes pour comprendre que l’heure de rentrer était venue. Le petit-déjeuner devait être prêt en temps et en heure, s’il ne voulait pas que son grand-père le réprimande encore une fois.
La porte en bois de la petite chaumière grinça en se refermant. Aydan enleva ses bottes, puis trempa ses pieds dans le récipient rempli d’eau qui se trouvait à l’entrée. Si se laver les pieds pour marcher sans chaussures dans la forêt lui semblait normal, par respect pour elle, il n’avait jamais compris pourquoi il se devait de le faire avant de marcher dans la maison.
Il enleva ses gants, les déposa sur la table et se dirigea ensuite vers la cuisinière. Un feu était déjà allumé, laissant frémir une casserole pleine d’eau. Aydan sortit les branches de menthe de sa besace et les déposa délicatement dans l’eau brûlante afin de les faire infuser. Heureusement que son grand-père préférait ne pas faire sécher les feuilles, pour que le pouvoir de ces plantes soit plus efficace, car Aydan n’avait pas le temps pour une telle manipulation. L’odeur en devint encore plus agréable, mais il devait se dépêcher de préparer la table. Il déposa trois bols en bois sur le plateau en chêne massif de la table, quand la porte d’entrée s’ouvrit sur une silhouette imposante. Aydan sourit à la masse de pierre vivante. Le golem faisait à peine une tête et demie de plus qu’Aydan, mais son buste de roche passait tout juste par l’ouverture de la porte. Sur son corps rond était posée une petite tête, qui n’était rien d’autre qu’un caillou percé de deux trous lumineux par lesquels il semblait voir. Il avait des jambes de roche fines, de gros rochers en guise de pieds lui donnant une démarche d’enfant, et de la mousse d’un vert éclatant recouvrant ses épaules, son dos et le dessus de son crâne. Aydan l’avait toujours trouvé plus attachant que sécurisant.
Au bout de son bras en racine souple, dans sa grosse main de pierre, qui était la partie de son corps ressemblant le plus à un être humain, le golem tenait un grand sceau qui semblait rempli d’eau. Aydan comprit que c’était lui qui avait allumé le feu. Les grands trous circulaires du golem fixèrent le garçon et un son semblant venir de nulle part se fit entendre. Pour la plupart des gens, le langage du golem ressemblerait à un bruit de roulement de pierre raisonnant, mais Aydan avait vécu toute sa vie avec lui et comprenait un « en retard ».
Le golem fit un « oui » maladroit de la tête et s’en alla ranger son sceau. Aydan reprit l’installation de la table, vérifia l’état de son infusion et la versa ensuite dans une théière lorsque les arômes et la couleur de l’eau lui semblèrent adéquats. Un petit rouge-gorge vint montrer son plumage coloré en se posant sur le rebord de la fenêtre ouverte. Il gonfla son abdomen rouge pour laisser s’échapper une douce mélodie.
Dans un bruit de pas irrégulier, le golem fit son apparition dans la cuisine, tel un enfant content de pouvoir enfin voir le retour de son père. Le vieil homme entra dans la maison, sa tunique blanche parfaitement propre et sa longue barbe rigoureusement brossée. Aydan avait, parfois, aperçu d’autres vieillards quand il avait eu le droit d’approcher un village, mais aucun d’eux n’avait une posture aussi élégante et pleine de vie que son grand-père.
Son grand-père s’assit sur l’un des bancs en bois et fit un signe de main à Aydan qui comprit sa demande. Il attrapa un saladier rempli de cerises et s’installa en face de son grand-père. Les pieds d’Aydan décollèrent de quelques centimètres du sol au moment où Creag vint s’asseoir à côté de lui. Alors qu’Aydan fut brièvement déconcentré par le pendentif en forme de rouge-gorge qui se balançait au cou de Creag, ils regardèrent tous les deux le vieil homme qui se mit à chanter un remerciement à la Déesse. Aydan avait très envie de devenir un aussi bon druide que lui, mais il n’avait pas hâte de passer ses journées à chanter des prières. Il préférait largement aller nager plutôt que de passer des heures à méditer, comme venait de le faire son grand-père. Il n’était pas non plus pressé de ne pas pouvoir manger quand il avait faim plutôt que de chanter alors que l’eau chaude refroidissait.
La prière finie, le grand-père d’Aydan huma l’eau chaude sous le regard inquiet de son petit-fils. Le voir reposer son bol pour prendre la parole n’était jamais bon signe.
Son grand-père haussa l’un de ses sourcils épais.
Guirec Gallagh n’était, en réalité, pas le véritable grand-père d’Aydan. Ce druide noble et bienveillant avait toujours été sincère avec lui. Même s’il n’avait jamais pu lui dire qui étaient ses parents, parce qu’il l’ignorait, il lui avait très vite expliqué ce qu’il savait de son passé. Alors qu’Aydan n’était qu’un nourrisson et Guirec un druide connu, dans la fleur de l’âge, il l’avait trouvé, seul et abandonné dans la forêt. Guirec était un druide capable d’invoquer le pouvoir des esprits, et sa magie lui avait permis de ressentir les vibrations d’Aydan. D’après lui, il avait tout de suite su qu’Aydan avait aussi des vibrations magiques proches des siennes. Guirec l’avait donc emmené chez lui, et, n’ayant jamais trouvé ses parents, avait décidé de l’élever. Il lui avait appris à vivre avec ce que les druides appelaient « le don », la magie qu’un être pouvait avoir en lui, permettant d’accéder au titre de druide, d’ovate ou de barde. Guirec avait élevé Aydan comme son propre petit-fils, mais aussi son apprenti, lui faisant suivre des cours pour devenir, un jour, un véritable druide. Aydan savait qu’en devenant un puissant druide, il pourrait avoir accès à des connaissances qui lui permettraient de retrouver ses parents et de savoir pourquoi il avait été abandonné.
Aydan était désolé d’avoir encore déçu son grand-père et baissa le regard. Comme pour lui remonter le moral, Creag fit pousser une racine de l’un de ses doigts, la trempa dans son bol d’infusion et en aspira le liquide. C’était sa façon à lui de se nourrir. Un golem n’est pas une véritable personne et devrait être désenchanté lorsqu’un druide n’en a pas besoin, mais Guirec ne l’avait jamais détruit. C’était la seule chose qu’il ait déjà faite enfreignant le règlement du Cercle. Aydan soupçonnait d’ailleurs son grand-père de ne jamais l’avoir caché aux autres membres du Cercle, tant sa réputation le lui permettait.
Guirec prit quelques cerises dans la paume de sa main. Il équeuta ses fruits, les avala puis, une fois qu’il eut disposé ses noyaux proprement sur la table dans un cercle parfait, sourit à Aydan.
Le grand-père d’Aydan engloutit son eau parfumée à la menthe puis fit signe à Aydan et Creag de se dépêcher. Le garçon et le golem se regardèrent comme deux enfants réalisant que l’école allait bientôt commencer.
Après avoir maladroitement chaussé ses bottes, Aydan pressa Creag pour ne pas être, encore, le dernier arrivé en classe. Les druides ne prenaient pas beaucoup d’élèves en même temps, et Aydan n’avait qu’une chance sur deux d’arriver en premier.
Il se précipita dehors, en direction du laboratoire de son grand-père situé dans une annexe de la maison. Il longea le mur, vit les tables de pierre installées à l’extérieur pour les heures d’instructions et, très vite, comprit que ce matin ne serait toujours pas le bon. Glenn, son visage angélique et sage affichant un air satisfait, était déjà là, offrant son hebdomadaire fromage de chèvre à Guirec.
Glenn venait d’un village non loin à l’orée de la forêt et élevait deux ou trois chèvres. Enfin, techniquement, c’était sa famille qui les élevait, même s’il s’en attribuait le mérite. Aydan aimait à penser que Glenn mentait en disant qu’il confectionnait le fromage lui-même, parce qu’il devait l’avouer, son fromage était excellent. Sous ses airs d’enfant sage, Glenn devait forcément cacher quelque chose. Il était très difficile d’impressionner Guirec, pourtant ce garçon y arrivait. Ce qui avait le don de mettre Aydan en colère, voyant qu’il n’avait jamais eu le droit à une telle fierté dans le regard de son grand-père.
Il alla s’asseoir devant le bureau de pierre qui lui était destinée. Glenn ne tarda pas à en faire de même. En voyant ces deux garçons, on ne pouvait que penser à deux miroirs reflétant des mondes parallèles et opposés en tout point. L’un, aux cheveux auburn rappelant presque le sang ; la peau écorchée par toutes ses sorties en douce ou ses cascades dans la forêt, et ses vêtements qui n’avaient rien de traditionnel. L’autre, aux cheveux d’un châtain boisé, rappelant l’écorce d’un vieil arbre centenaire, aux joues rosées sur un visage d’enfant calme, et portant une longue tunique ample d’une couleur aussi douce que le caramel.
Pour commencer le cours, Guirec donna deux paniers à Creag, que le golem déposa sur chacune des tables. En ouvrant son panier, Aydan comprit tout de suite que le cours allait porter sur un remède ou un quelconque élixir dont il ne se rappelait jamais les recettes. La première leçon d’un druide était de savoir que l’écriture gravait un évènement ou une connaissance, la rendant indestructible, alors que la vie ne peut être figée, car elle est rythmée par un perpétuel changement et une constante évolution. C’était pourquoi l’enseignement ne se faisait qu’à l’oral, et qu’Aydan n’avait jamais eu le droit d’apprendre à écrire. Parfois, il se disait qu’avoir un barde avec lui serait bien plus simple que d’essayer d’apprendre tout ce qui ne l’intéressait pas.
Peu de temps après le début de l’instruction, ce qu’il craignait se produisit. Une fois les ingrédients de ses élèves étalés sur leur bureau, Guirec posa des questions sur l’un des remèdes aux deux garçons. Sans surprise, Glenn connaissait toutes les réponses. « Les remèdes, c’est bon pour les ovates », pensa Aydan. Lui, il ne voulait pas devenir un guérisseur ou un ovate, mais un véritable druide. Si Guirec posait des questions sur les oiseaux, leur cri, leur plumage, leurs habitudes ou encore sur les esprits et leurs pouvoirs, Aydan pourrait répondre. Il n’avait jamais compris pourquoi son grand-père ne lui apprenait pas plus à se servir de sa magie. Glenn serait un très bon ovate, voire un bon guérisseur, mais Aydan avait ce petit plus, cette essence qui lui permettait de communiquer avec les esprits et d’invoquer leurs pouvoirs, tout comme Guirec. Mais à part connaître par cœur leur nom et leurs aptitudes, Aydan n’avait appris qu’à se servir des esprits comme des messagers pour communiquer avec son grand-père. Il n’avait jamais été un enfant patient et avait pris sur lui, mais, plus les jours avançaient, plus il voulait se servir des esprits pour savoir pourquoi ses parents l’avaient abandonné dans la forêt.
Il y avait tout de même un avantage aux jours où Glenn venait faire son apprentissage avec Aydan. Ne pouvant être là tous les jours, lorsque Glenn était présent, l’apprentissage se poursuivait toute la journée. Ce qui pouvait en rebuter certains. Mais tous les autres jours, les apprentissages d’Aydan duraient quelques heures le matin et autant l’après-midi, lui laissant le temps d’accomplir des tâches qu’il considérait comme des corvées.
En fin de journée, alors que Glenn rentrait chez lui, Aydan rejoignit Creag pour préparer le dîner. Aydan observait discrètement son grand-père, assis dans la salle à manger, en train de préparer une besace. Le Cercle se réunissait toutes les nuits de phases pures de la lune. La lune ronde, le croissant de l’est et le croissant de l’ouest ainsi que la lune noire. Ce soir, d’après Guirec, la lune serait plus ronde que jamais et certaines questions pourraient bien avoir des réponses, à ce jour complètement floues. Ces réponses, Aydan ne savait pas comment les druides les entendaient… ou bien les voyaient ? Les réunions du Cercle étaient tenues secrètes, tout comme leurs pratiques, même pour les apprentis.
Creag et Aydan mirent quelques morceaux de pommes cuites, un peu de mouton et un bout de fromage de chèvre dans une serviette que le golem ferma délicatement avec ses grandes mains potelées. Guirec les remercia avant de passer ses chaussures. Aydan avait trop attendu, mais, ne sachant jamais quand il avait le droit de poser ses questions, il s’y risquait toujours au mauvais moment.
Aydan ne savait pas trop si c’était le professeur ou le grand-père qui lui répondait, mais il préféra ne pas insister. Il avait appris que cela ne servait à rien, autant avec le Guirec qui l’instruisait, qu’avec le Guirec qui l’éduquait.
Aydan laissa partir son grand-père en silence, puis rejoint Creag à table. Le golem absorba une nouvelle soupe et Aydan mangea son repas en faisant la moue. Il aurait dû être heureux de pouvoir profiter d’une soirée tranquille, même si Creag le surveillait, étant facile à berner, il n’avait jamais été un problème, pourtant il n’y arrivait pas. Les longues journées où Glenn ne cessait de le faire se sentir stupide, alors qu’il n’avait déjà pas l’impression d’avancer dans son apprentissage, lui donnaient presque de l’urticaire.
En levant la tête, Aydan remarqua que Creag était en train de pencher la sienne sur le côté. Dans un son de roulement de pierre, il entendit : « Triste ? ».
Creag inclina sa tête dans un angle impossible pour un être humain.
Creag fit pousser une racine depuis son doigt qui serpenta sur la table, pour venir se poser sur le cœur d’Aydan.
« Esprit ? », comprit Aydan dans un nouveau roulement de pierre. Il lui fit un signe de la tête et le golem rétracta sa racine. Il se leva en bousculant maladroitement la table et disparut dans la pièce d’à côté. Il en revint aussitôt avec un carnet rempli de croquis d’animaux. Aydan ne savait pas pour quelle raison, et Guirec n’avait jamais su le lui expliquer, mais Creag s’était pris de passion pour le dessin. La physionomie de ses mains ne lui permettait pas d’être un grand artiste, mais, à force de pratique et d’analyse, Aydan arrivait à savoir ce que le golem représentait dans ses croquis. La plupart du temps, c’étaient des animaux et, lorsqu’ils se retrouvaient seuls, ils aimaient bien jouer à un jeu. Creag exposait ses dessins à Aydan, et, lui, devait deviner l’animal qu’il avait tenté de reproduire, puis la magie dont il pourrait se servir s’il invoquait l’esprit de cet animal. Creag était heureux de pouvoir montrer ses œuvres, plus proches du gribouillis que de l’art, et Aydan pouvait réviser ce que son grand-père ne voulait pas passer du temps à lui apprendre.
Aydan sourit en voyant l’enthousiasme de son ami, mais repéra, au travers de la fenêtre, la première étoile qui venait de se mettre à briller dans le ciel.
Aydan attrapa ses gants, puis chaussa ses bottes. Creag ne remua pas d’un pouce et serra simplement son carnet contre lui.
Il sortit et se dirigea vers l’arbre le plus proche. En voyant qu’une dizaine d’étoiles étaient apparues dans l’immense ciel, il sentit déjà les reproches de son grand-père avant même le contact. Il déposa les paumes de ses mains sur le tronc et, n’ayant même pas le temps de se concentrer, la voix de son grand-père raisonna dans son esprit.
C’était un stratagème dont peu de druides étaient capables. Guirec lui avait tout de même appris à se servir de l’esprit des arbres et de leur connexion énergétique créant un immense réseau de communication sous leurs pieds, pour que leurs propres esprits puissent entrer en contact. Même s’il aurait aimé connaître d’autres pouvoirs, Aydan pouvait quand même se vanter de ne pas être totalement incompétent en accomplissant cette prouesse, inaccessible à beaucoup, même à Glenn.
Aydan sentit son cœur s’emballer. Les seules questions qui avaient de l’importance auxquelles il n’avait pas de réponses concernaient ses parents.
Aydan sentit une vague de son silencieux, mais effrayant, dans son esprit.
La vague se referma.
Un sifflement traversa l’esprit d’Aydan, lui procurant une telle douleur que ses mains lâchèrent l’écorce pour se poser sur son crâne. Sa tête tourna et il manqua de perdre l’équilibre. La douleur mêlée au son lui donna des vertiges et la nausée. Il rêvait presque de se percer le crâne pour en extirper l’aiguille stridente qui lui poignardait l’esprit. Il tomba au sol. Puis, peu à peu, reprenant son souffle, il se releva, sentant la douleur s’estomper. Il posa à nouveau ses paumes encore tremblantes sur l’écorce.
Dans son esprit vibra un long silence.
Son esprit était encore confus, mais le corps d’Aydan avait agi presque de son propre chef, et il passait déjà la porte d’entrée. Les formes dansaient encore autour de lui et les sons ne lui parvenaient pas dans leur totalité. Il hésita à crier, mais, ne sachant pas s’il devait rester discret ou non, il préféra se taire. Aydan ignora la bassine d’eau posée à l’entrée et ne prit même pas la peine d’enlever ses bottes quand il pénétra dans le salon. Dans la petite salle brûlait une fine bougie embrumant la pièce d’une petite lumière tamisée. Alors que sa vue se faisait un peu plus claire, Aydan vit Creag assis sur l’un des canapés en peau rembourrée de feuilles. Il attendait bien sagement, son carnet de dessin sur les genoux. Sur la petite table faite avec un rondin de bois, il repéra des tasses de thé fumantes. Aydan sourit de soulagement en voyant que Creag était là, l’attendant pour commencer leur jeu. Toujours bien animé. Étant le golem de Guirec, il était son assurance pour savoir que son grand-père était bel et bien en vie.
Creag tourna la tête vers Aydan et, même s’il n’avait pas de bouche, il sentit qu’il lui faisait un sourire. Parfois, Aydan avait l’impression que Creag était son petit frère et il était désolé lorsqu’il devait le rendre triste ou l’inquiéter.
Avant même que Creag ne formule la moindre question, Aydan lui confirma que cela concernait bien Guirec. Le golem prit son pendentif en forme d’oiseau entre ses mains et le serra contre lui. C’était Guirec qui le lui avait offert comme pour les unir tous les deux, et il y tenait beaucoup. Désolé de l’avoir affolé, Aydan s’excusa de ne pas pouvoir jouer avec lui, puis s’empressa d’attraper une besace dans la cuisine. Il ne prit que l’essentiel. Soudain, il entendit un frottement provenant de Creag qui voulait savoir où il pouvait bien aller.
Un dernier bruit caverneux retentit dans lequel Aydan comprit que Creag voulait le suivre. Il pensa qu’avoir un golem avec lui pourrait être utile même s’il allait le ralentir. Et puis, il n’avait pas très envie de le laisser à la maison tout seul.
En temps normal, un golem est invoqué pour pouvoir protéger quelqu’un ou quelque chose, mais Aydan se sentait obligé d’être le protecteur quand il était avec Creag.
Ils sortirent de la maison et s’enfoncèrent dans l’obscurité de la nuit, au cœur de la forêt. Aydan choisit de prendre la même direction que suivait toujours son grand-père lorsqu’il allait rejoindre le Cercle, et se mit à courir, de plus en plus vite. Il essaya d’observer les alentours, mais, même s’il reconnaissait certaines parties de la forêt, il ne pouvait pas dire quelle direction il devait prendre. Le secret était trop bien gardé sur le lieu où se déroulaient les réunions du Cercle, et il n’avait jamais réussi à glaner un seul indice auprès de son grand-père. Il s’arrêta, essayant d’observer le moindre détail qui pourrait l’aider, quand il se rendit compte qu’il était seul. Creag ne savait pas bien marcher, alors courir était impensable.
Un bruissement de feuille retentit. Puis un deuxième. Il s’apprêta d’abord à s’excuser auprès de son ami, quand il se rendit compte que le bruit venait de la direction opposée de celle où lui et Creag arrivaient.
Surpris par la voix d’une femme, ou plutôt d’une jeune fille, Aydan resta figé sur place. Il vit une ombre sortir à toute vitesse de derrière un arbre, droit dans sa direction. C’était une personne échappant à quelque chose. Non ! Courant après quelque chose. Un nuage de poudre brune presque orange flottait dans les airs, essayant d’échapper à ce qui semblait être une jeune fille. C’était difficile à dire en quelques secondes alors qu’elle portait une capuche. La poussière brune vint s’écraser sur le visage d’Aydan qui agita ses mains pour la faire disparaître. Comme s’il n’avait jamais existé, le nuage de poussière disparut.
La jeune fille en fit de même. La capuche de sa cape bleutée tomba sur ses épaules découvrant de magnifiques cheveux lisses d’un blond presque argenté. Les cheveux et les yeux gris de la jeune fille brillaient à la lueur de la lune ronde dans un éclat d’une pureté incroyable.
Aydan se présenta à son tour, quand un bruit soudain les fit sursauter tous les deux. Il vit Oona attraper une longue branche au sol et en diriger le bout le plus pointu devant elle. Aydan se retourna vers l’origine du bruit qui se fit de plus en plus net. Des petits coups rapides et irréguliers.
Les feuilles qui leur bouchaient la vue s’écartèrent, laissant apparaître la masse de pierre mouvante. Creag essayait de courir tant bien que mal, rebondissant sur ses petites jambes aux grands pieds.
Le golem s’arrêta et pencha la tête sur le côté, ses deux trous lumineux braqués sur Oona, puis sur Aydan.
Aydan hésita à lui révéler cette vérité, mais, voyant qu’elle était plus confuse que menaçante, il décida de lui faire confiance.
Creag émit son habituel bruit de roulement rocheux pour pouvoir communiquer avec Aydan. Le garçon comprit un « qui ? ».
Dans un nouveau bruit, Creag demanda à Aydan pour quelle raison Oona parcourait la forêt en pleine nuit.
Oona le regarda un instant, puis glissa son regard sur Creag. Le visage de la jeune fille devint le même que celui de Guirec quand Aydan lui mentait. Elle fixa de nouveau Aydan en croisant les bras. Il regarda Creag et le vit agiter activement la tête de bas en haut, trahissant le mensonge d’Aydan.
Aydan s’arrêta de parler et laissa son regard se poser sur Oona, qui était devenue beaucoup plus douce, tout à coup.
Il attendit, mais Oona ne bougea pas. Elle le fixait comme si elle attendait quelque chose de lui. Il se sentit embarrassé. Non seulement Aydan n’avait pas de poudre de pommier, mais, en plus, il ne savait pas comment elle fonctionnait.
Aydan la regarda avec un visage probablement plus hébété qu’il ne le voulait. La jeune fille leva les yeux au ciel, puis s’approcha de lui en levant le bras. Par réflexe, Aydan voulut se protéger, mais Oona lui retint le poignet d’une main et ébouriffa ses cheveux de l’autre. Le corps d’Aydan se détendit en sentant l’odeur délicate de chèvrefeuille que dégageait Oona.
Comme s’il venait de se rouler dans la terre, de la poussière s’éleva de la chevelure d’Aydan. La même poussière presque orangée qui forma à nouveau un nuage. En quelques secondes, la poudre de pommier reprit sa course.
Oona courait bien plus vite que ce qu’Aydan aurait pu penser. Heureusement pour lui, car il devait, d’une part, ne pas perdre la poussière brune virevoltant à toute allure devant, et d’autre part, garder Creag dans son champ de vision à l’arrière.
Au bout de quelques minutes, la forêt se fit plus dense et plus étroite, si bien qu’Aydan dut attraper le bras d’Oona pour la stopper dans sa course. Les arbres devant eux étaient bien trop proches les uns des autres pour penser passer entre leurs troncs et bien trop lisses pour imaginer, une seule seconde, pouvoir y grimper. Pourtant, ils allaient devoir trouver une solution, car la poussière venait, elle, de traverser ce mur de bois en disparaissant de l’autre côté.
Alors que Creag arrivait à leur niveau, cessant ses petits pas bruyants, Aydan et Oona se regardèrent dans un grand silence, ne laissant place qu’à la mélodie de la nuit et au chant d’une hirondelle. C’était une hirondelle rustique et, bien qu’Aydan n’en ait vu qu’une fois, jamais il n’aurait pu oublier le chant ou l’aspect de cet oiseau. Alors qu’il n’était encore qu’un enfant, son grand-père l’avait accompagné dans une clairière pour y découvrir de nouvelles plantes. Au centre de cette clairière, sous les rayons du soleil, brillait l’eau d’un petit lac. Aydan avait vu le plumage bleuté d’un oiseau descendre vers la surface de l’eau et, tout en continuant de planer et d’avancer, s’y abreuver pour repartir aussitôt en chantant. Le grand-père d’Aydan lui avait expliqué qu’il était rare de voir une hirondelle en pleine forêt pour la plupart des gens, cet oiseau aimant les paysages ouverts. Mais, lui en avait l’habitude. Quand Aydan lui avait demandé pourquoi, son grand-père lui avait répondu que lors des phases pures de la lune, alors que le Cercle se réunissait dans un endroit secret, de nombreuses hirondelles venaient observer leur magie. Personne n’avait jamais su l’expliquer, mais les hirondelles semblaient sentir le moment venu, car elles étaient, apparemment, présentes chaque fois que les druides se réunissaient. Aydan ne pourrait jamais oublier ce souvenir, c’était en voyant l’oiseau majestueux si joyeux et libre qu’il avait demandé à Guirec de lui apprendre à nager.
Le chant de l’hirondelle parvint à nouveau aux oreilles d’Aydan.
Aydan longea le mur d’arbres, le regard tourné vers le ciel en observant minutieusement. Ce fut après quelques mètres qu’il l’aperçût. Une tête rouge et un plumage brillant d’un bleu sombre à la clarté des étoiles. Entendant leur bruit de pas, l’hirondelle s’envola et Aydan accéléra pour ne pas la perdre des yeux. Le vol de l’oiseau bleu prit de la vitesse et il plongea au travers du mur de bois. Lorsqu’il arriva là où l’oiseau avait disparu, Aydan y découvrit une ouverture dans le bois, ouvrant un couloir d’un mètre cinquante de large. Dans l’ouverture se trouvaient deux menhirs fins, arrivant au niveau de la poitrine d’Aydan, sur lesquels était posé un troisième à l’horizontale.
Il entreprit de se baisser pour passer sous l’arche de pierre quand Oona lui attrapa l’épaule pour le tirer en arrière.
Elle grimpa sur l’arche de pierre et observa de l’autre côté. Elle lui demanda de monter. Lorsqu’il l’eut fait, Aydan découvrit plusieurs arches de pierres, les unes derrière les autres, formant un immense couloir sombre. Le mur de bois qui semblait entourer le lieu était beaucoup plus épais qu’il ne pensait, de bien des mètres.
Sans dire le moindre mot, elle lui désigna ses pieds. Aydan comprit, et regarda l’écartement entre les deux roches, découvrant plusieurs espèces de plantes urticantes ainsi que des clochettes dorées. Elles devaient avoir été placées là, de manière à repousser les curieux, ou à prévenir les druides si quelqu’un s’infiltrait dans ce tunnel.
Aydan et Oona manquèrent tous les deux de perdre l’équilibre au moment où la pierre sur laquelle ils se trouvaient se mit à trembler. Aydan repéra la grosse main rocheuse de Creag qui venait de s’y poser.
Creag lâcha la pierre et un son raisonnant s’émana de lui.
En dessous ?
Aydan lui fit non de la tête. Même si le golem n’avait pas vraiment de visage pour exprimer ses émotions, Aydan les ressentait.
Protéger ?
Le golem repéra une souche et s’assit dessus. Aydan le regarda cueillir une fleur, lui confirmant que Creag ne les suivrait pas.
Aydan n’avait pas l’habitude de recevoir des compliments, en particulier, venant d’une inconnue. Il sentit le sang lui monter aux joues. Il espéra que la nuit atténuerait la couleur de son visage, puis se retourna. Il fit un bond pour se projeter sur la prochaine arche, après quoi il se retourna vers Oona.
Le couloir sombre que formaient les arbres commençait à s’éclaircir. Une fois arrivés sur la dernière arche, Aydan et Oona descendirent du menhir pour se retrouver sur une dalle de pierre. Le lieu était silencieux. Aucun chant d’oiseau, aucun bruissement de feuille, même le son du vent n’existait pas dans cet endroit. Entourée par le mur de bois circulaire, la clairière était recouverte d’une herbe pure. En son centre se trouvait un cercle de pierres plates servant de rebord à une source d’eau, elle aussi circulaire. Autour de ce bassin étaient disposés, à une distance égale les uns des autres, neuf sièges sculptés dans la pierre. Aydan leva les yeux, et remarqua que les arbres autour de lui, au fur et à mesure que la distance les séparait de la clairière, devenaient plus grands, donnant l’impression de se trouver dans un cratère de feuille, dans un entonnoir géant, prêt à être englouti par la forêt elle-même. Bien qu’en revanche, cette pente formée par la cime des arbres, constituait une ouverture splendide sur le ciel étoilé.
Aydan et Oona se regardèrent un instant. Chacun d’eux choisit de respecter le silence qui régnait dans la clairière. Ils marchèrent le long du chemin de pavé menant au bassin circulaire. L’eau y était translucide et lumineuse, reflétant entièrement la lune ronde et sa blancheur aveuglante. Sur le rebord plat se trouvaient des paires de chaussures, et Aydan pensa aussitôt à la bassine que son grand-père laissait à l’entrée de leur demeure.