Le Secours pour tous en émoi - Serge Desille - E-Book

Le Secours pour tous en émoi E-Book

Serge Desille

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Un lundi matin, Jojo découvre que le véhicule de l’association rennaise Secours pour tous, dédiée aux plus démunis – majoritairement des migrants –, a été saboté. Ce n’est pas une première, mais cette fois, les actes s’intensifient, accompagnés de menaces ciblées. Le commandant Durand, responsable de l’enquête, explore plusieurs pistes : un bénéficiaire frustré, l’extrême droite hostile à l’aide aux migrants, ou même une frange radicale de l’extrême gauche, opposée à toute forme de charité. Lorsque deux événements violents, dont un meurtre dans les locaux de l’association, viennent paralyser son action, les bénévoles s’indignent. Le commandant, touché par leur engagement, n’a plus qu’un seul objectif : faire toute la lumière sur cette affaire.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Serge Desille découvre l’écriture à travers ses engagements professionnels, syndicaux et associatifs, avant d’en faire une passion à part entière. Lecteur éclectique, il puise dans la richesse de ses expériences pour nourrir des récits ancrés dans le réel. À la retraite, il se consacre pleinement à l’écriture, d’abord autobiographique, puis romanesque. Ses œuvres, inspirées de son vécu à la SNCF et de son engagement bénévole au Secours populaire, interrogent les enjeux sociaux contemporains. Pour lui, le roman policier est un miroir modeste, mais sincère de notre société.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Serge Desille

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Secours pour tous en émoi

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Serge Desille

ISBN : 979-10-422-7233-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

Jojo ne comprend pas

 

 

 

Jojo se prépare comme tous les lundis matin pour aller faire le ramassage pour le « Secours pour tous ». Le « Secours pour tous » est une organisation caritative, comme les Restos du Cœur, le Secours Catholique, le Secours Populaire.

Le ramassage consiste à aller chercher des produits frais, des conserves des légumes dans des magasins et les ramener à l’entrepôt dans la ZI de Rennes Chantepie. Ils seront ensuite distribués à des gens dans le besoin.

Ces ramassages ont lieu tous les matins, sauf le dimanche. Cela permet d’assurer leur distribution l’après-midi.

Tous les après-midis et le samedi matin, environ 80 familles viennent, une fois par mois, remplir leurs sacs à provisions.

Ce ne sont pas des produits de luxe qui sont distribués, mais juste de quoi tenir quelques jours. En général, les familles font aussi appel à d’autres organisations caritatives déjà citées. Couplées aux aides de l’état, cela permet de survivre.

Évidemment, pour bénéficier de l’aide du « Secours pour tous », il faut prouver que vous êtes dans le besoin. Contrairement à ce que pensent beaucoup de personnes, les bénévoles chargés de contrôler les dossiers le font de manière sérieuse en respectant les critères fixés par l’Association.

Il y a toujours des gens qui ont vu des bénéficiaires venir chercher des provisions avec une grosse Mercedes rutilante. Cela peut arriver, mais cela tient plus de la légende urbaine qu’autre chose.

Sérieusement, si vous avez de quoi vous nourrir, vous ne venez pas au « Secours pour tous ». Cela reste une épreuve moralement difficile de venir s’inscrire pour bénéficier d’une aide. Pour beaucoup, c’est se rabaisser. Surtout quand dans une vie antérieure tout se passait bien.

Mais un matin, vous vous dites, je n’ai plus le choix, j’ai perdu mon boulot, je n’ai plus d’allocations chômage et ainsi de suite. C’est sûrement une des plus mauvaises journées de sa vie, une des plus humiliantes.

Jojo enfourche son vélo et vers 9 heures, il pénètre dans les locaux. Un petit bonjour à toutes et à tous. Il salue Roger, Michel, Catherine. Que des prénoms anciens. Les bénévoles sont presque tous des têtes blanches. À 64 ans, il est même dans les plus jeunes.

Il ne s’attarde pas trop, car la tournée est longue et le but est d’être de retour avant midi pour mettre la collecte à disposition.

Direction l’armoire à clés pour récupérer celles du master frigo. Il charge des caisses, 2 palettes et deux panières.

Lucien, son compagnon de route, ouvre le portail pendant que Jojo démarre le véhicule. La clé dans le barillet et vroom. Un coup d’œil sur le tableau de bord pour s’assurer qu’il y a bien du gas-oil. C’est un peu le souci de ces véhicules utilisés par beaucoup de monde. Les utilisateurs laissent souvent aux autres le soin de faire le plein de carburant. Mais cette fois-ci, c’est OK. Et tant mieux, car la station essence prévue pour le remplissage n’est certes pas loin, mais n’est pas sur le trajet du ramassage. Et le lundi à Rennes, ça bouchonne sévèrement. Les mauvaises langues diront « comme tous les jours d’ailleurs ».

Et pourtant, les transports en commun à Rennes ne manquent pas. Deux lignes de métro, des lignes de bus en nombre. Et si on n’est pas trop fainéant, le réseau de pistes cyclables s’améliore grandement. Mais les gens préfèrent leur bagnole. Cela énerve Jojo. Il est assez pour des mesures coercitives, du genre interdire les voitures en ville. C’est drastique et sans doute pas trop réaliste. Néanmoins, des efforts sont possibles et souhaitables si l’on veut que les métropoles restent vivables à terme.

Ce n’est pas le sujet du jour, il faut songer à nourrir un maximum de gens. Et le nombre ne baisse pas, bien au contraire. Il y a de plus en plus de bénéficiaires. Les guerres, les dictatures, le changement climatique, l’augmentation du coût de la vie et tout le reste contribuent au renforcement de la pauvreté. Paradoxalement, plus il y a de pauvres, plus il y a de riches. « Un grand classique », pense Jojo. Pourtant, la création de richesse, au sens capitalistique, n’a jamais été aussi grande, mais toujours aussi mal répartie.

Marche arrière et en avant toute, si l’on peut dire. La direction est dure, se dit Jojo. C’est bizarre. Clignotant à gauche, direction le premier magasin prévu. Il y a quelque chose qui cloche. Clignotant à droite. Jojo gare le camion sur le bas-côté. Lucien et lui descendent.

— Putain, c’est pas vrai, crevé de la roue avant droit. Voilà pourquoi la direction est si dure. Jojo, qui est du genre à jouer avec les mots, se dit que de toute façon toutes les directions sont dures et cherchent à crever… les gens ! Il va le replacer ce bon mot. Il aurait pu le tenter sur Lucien, mais l’autre est un peu congestionné de la cafetière, peu enclin aux jeux de mots, encore moins un lundi matin.

Jojo se rapproche et distingue nettement un coup de couteau dans le pneu.

Ça recommence, ce n’est pas la première fois. Mais qui peut bien en vouloir au « Secours pour tous » ?

Et le cinéma va recommencer. Le directeur va porter plainte. On verra les flics une fois et on n’entendra plus parler de rien. Pour la police, c’est du petit fait divers. Pas de blessé, pas de mort. La police a d’autres chats à fouetter, surtout à Rennes avec le trafic de drogue qui donne lieu à de nombreux homicides.

On peut considérer que c’est du vandalisme, mais pas pour Jojo. Pour lui, il y a autre chose. Le « Secours pour tous » est situé dans une ZI où il n’y a personne le WE. Il y aurait beaucoup d’autres entrepôts à vandaliser. Mais pour lui, ce n’est pas un hasard, l’association est une cible pour ce qu’elle représente.

Demi-tour et retour à petite vitesse dans l’entrepôt, cela sera plus pratique pour changer la roue et repartir accomplir la mission.

Évidemment, ce retour suscite l’étonnement, puis rapidement l’indignation, l’incompréhension et la colère.

Coup de fil au directeur qui rapplique au grand galop dix minutes plus tard. En effet, l’entrepôt et le siège ne sont pas au même endroit.

Le directeur n’est pas un bénévole, mais l’un des quatre salariés de l’association. Quand il voit la roue, il devient blême. Non pas que les dégâts soient importants, mais c’est le principe. S’attaquer à une organisation telle le « Secours pour tous » le dépasse.

Cette association ne cherche qu’à faire le bien. C’est un peu utopiste et naïf, mais lui, le directeur, il la voit aussi simple que cela, sa mission. Il demande d’ailleurs aux bénévoles qu’il rencontre de n’avoir que cela en tête. Aider et faire du bien.

Cette fois-ci, il va comme d’habitude porter plainte, mais il va faire marcher ses relations pour que le dossier ne soit pas enterré comme les fois précédentes. Cela ne peut plus continuer ainsi, car il y a 2 ans, le « Secours pour tous » avait subi quelques sabotages en règle sur ses véhicules. Puis tout s’était arrêté comme par enchantement et aucun coupable n’a pu être trouvé.

— Lui aussi ne croit plus à un simple acte de vandalisme. Il est sur la même ligne de pensée que Jojo.

La roue est changée, Jojo et Lucien repartent pour effectuer le ramassage. Lors de la tournée du lundi, ils visitent 4 magasins, avec lesquels le « Secours pour tous » a une convention. Le premier est un drive qui donne tous les jours, les trois autres sont des supermarchés courants. Jojo est bénévole au « Secours pour tous » depuis quatre ans, date de son départ à la retraite. Il a vu les ramassages évoluer, mais pas de façon positive. En effet, les magasins donnent de moins en moins. Les produits dont la date de limite de consommation se rapproche sont vendus en promotion. Les légumes sont souvent en mauvais état. Il faut néanmoins récupérer le maximum de choses, faire le tri le plus sérieusement possible et les mettre à disposition.

Jojo et Lucien mettent en général deux heures pour effectuer la tournée et souvent ils reviennent un peu déçus, car ils estiment que les magasins ne font pas assez d’effort.

Jojo, malgré ses 64 ans, est toujours très en colère contre la société et les injustices. Quand il était en activité, il était délégué syndical. Bien sûr, à la retraite, il ne pouvait plus avoir de mandat et s’engager pour le « Secours pour tous » allait de soi. C’est vital et naturel pour lui d’aider et se mettre à disposition.

Avec un peu de retard, c’est le retour à la base. Deux bénévoles ouvrent le master, le transpalette arrive et le camion est vidé en deux temps, trois mouvements.

Les légumes sont triés et mis en étal comme tout le reste. La distribution est prévue chaque jour à 14 heures. 80 familles sont invitées à venir chercher leurs provisions. Les rendez-vous sont fixés à des heures précises entre 14 h et 16 h. Tout est parfaitement réglé et organisé. Les bénéficiaires reçoivent des vivres en fonction du nombre de personnes dans la famille.

Il est midi et il est temps pour Jojo de rejoindre son appartement situé dans le quartier du Blosne. C’est l’un des quartiers populaires de Rennes. Jojo a toujours vécu dans cette ville. D’abord dans le quartier Clemenceau à deux kilomètres environ, puis ce fut le quartier sainte Thérèse et en fin le Blosne adjacent au quartier Sainte-Thérèse.

Il a vu la construction du Blosne au début des années 1970. Il se souvient d’un événement en particulier dont il a honte rétrospectivement. Tous les matins, Jojo traversait le quartier pour se rendre au collège des Hautes-Ourmes, un kilomètre plus loin. Déjà, les travailleurs immigrés œuvraient dans le BTP. Pour la première fois de sa vie, il a vu une personne de couleur noire et il a eu peur. L’homme a souvent peur de ce qu’il ne connaît pas et en particulier les enfants, qui aiment la régularité, les actions répétitives qui les rassurent. Il n’a jamais parlé de cela à quiconque, mais il estime que cela a guidé sa vie, et servi de détonateur, sans qu’il s’en rende vraiment compte. Il a vite compris que ce sont toujours les mêmes qui souffrent, et en particulier les personnes de couleur, comme on dit.

Depuis les années 1990, le Blosne, qu’on appelait ZUP Sud à l’époque a bien changé. Il y a plus d’immigrés que de Français. Ceux-ci ont déserté la ZUP, créant ainsi des ghettos, un certain repli communautaire. À partir des années 2000, c’est la religion qui a créé des scissions. Puis vers 2010 sont arrivés les gens de l’Europe de l’Est. Souvent poussés en occident par les guerres dans leurs pays.

À Rennes, globalement, cela ne se passe pas trop mal. Les différentes ethnies, religions, nations ne se fréquentent pas trop, mais au moins, elles ne se mettent pas sur la gueule.

Il y a de temps en temps des fêtes interculturelles, autour de la nourriture par exemple. Ce n’est pas si mal. Les gens se réunissent, mais cela ne dure que le temps d’une manifestation, pas sur le long terme.

Les Français qui vont bosser à l’étranger font pareil. Ils cherchent à retrouver des Français qui parlent la même langue qu’eux, ont une culture et une religion identique. En plus, ces expatriés vivent souvent dans de bonnes conditions, ce qui est rarement le cas des immigrés qui arrivent en France. D’ailleurs les Français de l’étranger, on les appelle expatriés, pas immigrés.

Quand il entend immigration choisie, Jojo est hors de lui. Il y aurait de bons et de mauvais immigrés. Ce qu’il voit, lui, c’est qu’ils ont faim, ont souvent peur. Nous les avons pillés pendant des années et maintenant nous nous étonnons de leur venue. Si nous ne voulons pas qu’ils viennent, il faut que leurs pays se développent. Aidons-les sur place, dans leur pays d’origine. Bien sûr, Jojo sait que c’est un vœu pieux. La concurrence, la compétition à l’échelle du monde empêcheront toujours un développement harmonieux de la planète.

Il ouvre la porte de l’appartement et sa femme voit de suite qu’il a sa tête des mauvais jours. Il lui explique ce qu’il s’est passé.

Elle aussi est écœurée et se pose la même question, mais qui peut en vouloir au « Secours pour tous » ?

Est-ce politique parce qu’on aide des migrants ? Est-ce parce qu’on dérange dans le quartier ? Il n’y a jamais eu de problème avec les bénéficiaires. Ils viennent chercher leurs moyens de subsistance et autres. Ils repartent en général par le bus qui passe à cent mètres. Aucune nuisance n’a jamais été signalée depuis l’installation dans la ZI. Est-ce un bénéficiaire mécontent ? Tout est imaginable.

Jojo ressent un profond malaise, il pressent une suite à cet événement. Il y a tellement de haine dans le pays en ce moment. En 2023, la réforme des retraites, la loi immigration ont profondément divisé le pays. La tolérance n’est plus de mise, tout est exagéré. Les réactions sont exacerbées à souhait, bien alimentées par les réseaux sociaux.

Thérèse, sa femme, essaie de le calmer. Elle aussi était déléguée syndicale. Elle est partie à la retraite il y a deux ans. Elle a soixante-deux ans. Ils ont eu deux enfants et ont essayé de leur transmettre leurs valeurs. Ils n’ont pour l’instant aucun petit enfant, mais c’est pour bientôt. Thérèse et Jojo attendent la naissance du bébé de sa fille avec impatience. Pour l’instant, elle s’investit à la SPA. Les bêtes, c’est tellement plus cool que les hommes. Vingt années de syndicalisme, cela use. Les rapports humains sont très compliqués. On est entre le marteau et l’enclume. Les patrons sont de plus en plus intransigeants et les employés pas toujours très compréhensifs et persuadés dans leur majorité que les syndicats ne font rien ou sont de mèche. S’ils savaient et voulaient enfin comprendre que notre seule force c’est l’union, pense-t-elle. Une déléguée seule ne peut rien.

Le déjeuner est prêt. Ils l’avalent sans traîner, car à 14 h, ils partent faire une randonnée à pied avec le club du quartier. Ça détendra Jojo et ce soir ils vont chez des potes faire un tarot.

 

 

 

 

 

Une deuxième intrusion

 

 

 

Pendant le ramassage de Jojo et Lucien, Manu le directeur a rempli en ligne sa déposition. Il commence malheureusement à en avoir l’habitude. Ensuite, il sera convoqué pour la signer. Il y a un côté pratique, car tu n’as plus besoin de faire la queue au commissariat. Quand tu vas signer, c’est sur rendez-vous, du coup tu as plus de temps pour discuter. Avant tu pouvais quelquefois attendre 2 heures, voire plus. Le commandant de police qui te recevait était à la bourre et bâclait l’entrevue.

Dans le même temps, il en profite pour téléphoner à la maire de Rennes pour lui exprimer son profond dégoût, mais surtout pour lui demander d’intervenir pour que l’enquête soit prise plus au sérieux que la dernière fois.

Pour l’instant, ce n’est qu’un pneu crevé, mais ensuite que peut-il encore se passer ? Il y a deux ans, des individus avaient bousillé les moteurs en mettant des produits dans le gas-oil. Les auteurs n’ont jamais été retrouvés. L’enquête s’est rapidement arrêtée.

Rennes n’est pas une ville calme, entre le trafic de drogue, les manifs qui voient fréquemment l’extrême droite et l’extrême gauche s’affronter physiquement, les soirées étudiantes du jeudi soir, il s’en passe des choses.

Manu pense tout haut et se demande si des personnes en veulent à l’activité de son association. Quelque temps après la loi immigration, il y voit une corrélation, mais n’a de toute évidence pas de preuves, juste une intime conviction, et pourquoi pas un peu de paranoïa.

La maire est bien consciente du désarroi des bénévoles du « Secours pour tous ». Elle promet de faire son possible et de contacter le directeur du commissariat central, boulevard de la Tour d’Auvergne, dans les plus brefs délais. Avec tous les événements qui se passent à Rennes, elle a des contacts fréquents avec lui. Elle voudrait plus d’hommes sur le terrain, mais ce n’est pas elle qui décide, c’est le préfet.

Dans un premier temps, elle propose à Manu d’installer un système d’alarme anti-intrusion et des caméras. Ce n’est pas qu’elle soit une grande défenseure de ce type de surveillance, mais cela a fait ses preuves.

Manu lui objecte que tout cela a un coût et que le « Secours pour tous » préfère mettre son argent au bénéfice direct des demandeurs.

La Maire comprend l’appel du pied et lui promet de financer au moins la moitié du prix de l’installation, sous réserve de lui faire remonter rapidement des devis.

Le directeur lui demande de faire en sorte que la police municipale soit discrète sur cette affaire. En effet, il sait bien qu’il y a toujours un phénomène de série et d’émulation quand il s’agit de faire des conneries.

On le voit bien avec les incendies sur les voitures la nuit du Nouvel An. Il s’agit de faire mieux, si l’on peut dire, que la ville d’à côté.

Il raccroche toujours aussi déboussolé. Il ne peut imaginer autre chose que du vandalisme militant. Il pense à l’extrême droite, très présente à Rennes. Il espère la venue de la police dans les locaux et particulièrement d’enquêteurs. Ce serait un signe qu’il est pris au sérieux, pas lui en tant que personne, mais l’association qu’il représente.

Il est déjà midi, un petit casse-croûte et en tout début d’après-midi il ira à la distribution de nourriture qui a lieu quotidiennement. Histoire de remonter le moral des bénévoles. Il veut aussi sentir le pouls des bénéficiaires, comprendre leur état d’esprit.

 

À treize heures trente, les premiers bénéficiaires arrivent. Six bénévoles sont présents, qui pour faire l’accueil, vérifier qu’ils ont bien rendez-vous aujourd’hui, qui pour distribuer les légumes et fruits, les produits d’hygiène, les couches pour bébés, différentes conserves, des steaks hachés, du poisson, du fromage, des yaourts, etc., etc. Parmi les bénévoles, il y a aussi des bénéficiaires. L’association encourage ceux qui reçoivent à s’engager. Pas pour bénéficier d’une main-d’œuvre bon marché, mais parce que cela favorise l’intégration. Cela n’est en aucun cas obligatoire ni forcé. Bien entendu, c’est une population difficile à fidéliser pour beaucoup de raisons.

Tout d’abord, s’ils ont des papiers, les bénéficiaires préfèrent chercher un travail. S’ils en trouvent un, dans la plupart des cas, ils quittent le « Secours pour tous ». D’autres fois, sans papier, ils sont obligés de se planquer. Ils craignent tellement d’être mis dans des centres de rétention et d’être reconduits chez eux.

Jojo a encore en tête, lors de son arrivée au « Secours pour tous » les discussions avec un jeune africain. C’était comme à la télé. Traversée de l’Afrique en camion à travers le désert du Sahara, enfermé en Lybie, des passeurs le battent et lui extorquent 3000 € pour traverser la méditerranée dans un rafiot pourri plein à ras bord. Arrivée à Lampedusa dans un camp qui n’a rien d’une colonie de vacances. Son espoir c’était la France, car il parle la langue. Après une longue errance, le voilà à Rennes. Il a laissé dans son pays, ses parents, sa fille de 15 ans, lui qui n’en a que 30. Et depuis, il se cache en attendant ses papiers qu’il n’aura peut-être jamais. Il a quitté son pays menacé, il ne peut y retourner, c’est impossible. « Quel monde de merde ! » pense Jojo.

Les bénéficiaires reçoivent des denrées en fonction de la composition de la famille. Ce travail de distribution est toujours précédé de différentes phases de tri.

C’est un suivi quotidien qui doit être fait sérieusement. La complexité vient du fait que l’on travaille avec des bénévoles qui, par essence, n’ont pas de lien de subordination avec un patron. On ne peut avoir les mêmes exigences qu’avec un employé. Néanmoins, la distribution d’aliments doit être sécurisée du mieux possible. Les dates de péremption doivent être bien identifiées. Si la date est dépassée, on met les produits dans le frigo bénévole. Pas question de les donner à des bénéficiaires. Du coup, comme dit Jojo, on préfère empoissonner des bénévoles que des allocataires. C’est couillon, car les bénévoles, on n’en a pas trop, contrairement aux demandeurs. En vérité, tout le monde sait bien qu’un yaourt, par exemple, on peut le manger un mois au-delà de la date limite de consommation.

Les allocataires de 14 h sont déjà là et la distribution commence. La population qui fréquente le « Secours pour tous » est majoritairement d’origine étrangère. Beaucoup de femmes noires, souvent avec leurs enfants, des Maghrébines, des femmes de l’est et bien sûr quelques Françaises.

Ce sont généralement les femmes qui viennent remplir les sacs, à quelques exceptions près.

Tout se passe de manière très ordonnée. Les bénéficiaires acceptent souvent sans mot dire quand il y a des pénuries. Cela étonne toujours Jojo qui fait aussi de la distribution, mais dans un site non permanent. Il aimerait plus de rébellion, dans le respect des bénévoles bien entendu. On sent de la résignation.

À Rennes, il y a deux sites permanents et trois sites non permanents qui sont desservis chaque semaine.

Pour cela, on utilise un camion utilitaire dans lequel on met toutes les besoins en nourriture nécessaires. Une salle de la ville de Rennes est mise à disposition. Des tables sont installées, les denrées mises en place et c’est parti pour deux heures de distribution. Quand c’est terminé on remballe tout et retour dans la ZI. La logistique est importante et doit être parfaitement organisée. Il ne peut y avoir d’à peu près. Mais les personnes qui s’engagent ont tout cela dans la tête et font de leur mieux.

C’est étonnant de constater comment les bénévoles ont du mal à s’absenter, ne serait-ce qu’une seule fois. Pour certains, cela tient du sacerdoce.

Le directeur rejoint son bureau après une heure de discussion. Il ressent une profonde amertume de la part de tous, bénévoles comme bénéficiaires.

Le lendemain matin, Jojo est de retour à l’entrepôt pour un nouveau ramassage. Il a la boule au ventre. Dans quel état va-t-il trouver le camion ? Il fait partie de ceux qui ont les clés du siège. En général, c’est lui qui ouvre 3 jours par semaine, lundi, mardi et mercredi. Mais évidemment, cet emploi du temps peut varier en fonction des aléas du moment.

En ouvrant, il se dit qu’il n’y a pas eu d’effraction lorsque le pneu du master a été crevé. Et personne ne s’est posé la question. Est-ce que cela pourrait être quelqu’un qui a les clés, quelqu’un de l’association ? Il n’ose y croire, mais quand même, il a un doute. Et si une personne avait fait faire un double des clés d’un bénévole. On peut tout imaginer. Il serait peut-être utile de changer les serrures.

Il entre dans les bureaux et récupère les clés du master. Lucien arrive aussi.

— Salut Lulu, bien dormi ?

— Ouais, ça va !

C’est bien que Lucien soit occupé tous les matins, car sinon il gamberge. Le passage à la retraite n’a pas été facile pour lui. C’est le moment qu’a choisi sa femme pour le quitter. Elle avait sûrement ses raisons. Il s’est retrouvé désœuvré. Pas de passion particulière. Cela donne un sens à sa vie. Il va mieux depuis qu’il s’engage pour les autres.

Jojo met le contact, démarre. Le voyant d’huile reste désespérément allumé. Le tableau de bord indique « remettre de l’huile en urgence ».

— Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel encore ? Il sent la tension monter en lui.

Jojo descend du véhicule et constate de suite une trace d’huile qui provient de dessous le master.

Sans trop de précautions, il se penche et constate très vite que le bouchon de carter d’huile a été enlevé, libérant le liquide visqueux. Il n’y a, a priori, pas d’autres dégâts que celui-là.

Ils vont prendre un autre utilitaire non réfrigéré, mais tant pis. Il fait froid ce matin, alors cela fera l’affaire. Jojo a de suite la bonne idée. À chaque fois qu’ils récupéreront des vivres dans un magasin, ils reviendront au siège décharger. Comme cela, la chaîne du froid ne sera pas trop rompue. Cela va prendre du temps, mais pas question de rater un ramassage.

En attendant, il téléphone au directeur du « Secours pour tous ».

— Salut Manu, un autre sabotage ce matin.

— Ce n’est pas possible.

— Ce n’est pas très grave, juste le bouchon de carter d’huile enlevé et jeté quelque part sans doute. Pour le ramassage, je prends un autre camion. Mais je voulais aussi te faire part d’une observation. En ouvrant ce matin, je me suis dit qu’hier nous n’avions pas constaté d’effraction et ce matin non plus d’ailleurs. Est-ce à penser que cela pourrait être quelqu’un qui a les clés ?

— On peut aussi imaginer quelqu’un passant par-dessus le portail objecte Manu.

— Sans doute, mais dans le bénéfice du doute est-ce qu’on ne devrait pas changer les serrures ? Tu sais comme moi, dans les assos les clés se baladent, sont refaites et à la fin, il y en a partout et ne sait plus qui en a. De plus, on en a accroché à un tableau. N’importe qui peut se servir.

— Tu as raison, on devrait les changer régulièrement. Rejoins-moi à mon bureau dès que tu arrives du ramassage. On ira manger ensemble. Il y a un nouveau resto qui fait des plats pas chers.

De retour du ramassage, Jojo va voir Manu et sans perdre de temps ils vont au resto.

— Bon alors, Jojo tu as des doutes sur quelqu’un ?

— Évidemment non. Mais il faut reconnaître que quand un bénévole propose ses services, on ne cherche pas midi à quatorze heures. On le prend. On manque toujours de bras, tu le sais bien.

Si quelqu’un arrive avec de mauvaises intentions, pour mettre un pied dans la maison et faire de mauvais coups, c’est facile.

— Oui, c’est sûr, mais s’il a les clés c’est qu’il est là depuis un moment.

— Normalement, mais comme je te disais, on ne maîtrise pas grand-chose dans ce domaine. Moi, trois mois après mon entrée j’avais déjà les clés. On est tellement content de trouver des gens pour assurer certaines tâches, je te le redis, on ne cherche pas à comprendre.

— Combien de personnes ont les clés officiellement ?

— Laisse-moi réfléchir, tous les salariés, donc quatre auxquels s’ajoutent 8 bénévoles. On ne peut pas faire moins.

— OK, il faut qu’on les réunisse avant de changer les serrures. Sinon, certains pourraient se sentir visés.

— Tu as raison, il faut être transparent. Honnêtement, je ne vois pas parmi les possesseurs de clés quelqu’un ayant de mauvaises intentions. Mais on leur posera la question s’ils n’ont pas à un moment ou à un autre égaré leurs clés.

— J’envoie un mail et leur propose une réunion pour demain soir 17 h, après la fermeture du siège. Pour info, j’ai demandé à la mairie une subvention pour faire installer une alarme anti-intrusion. Au départ, la maire voulait alarme et caméras, mais vraiment les caméras m’ennuient. Je trouve cela trop intrusif. Je viens de la rappeler après avoir déposé plainte en ligne. Je commence à avoir une sérieuse habitude du protocole. Je lui ai de nouveau demandé de faire le forcing auprès du directeur de la police pour qu’il accélère l’enquête.

— Je suis d’accord avec toi. Une alarme c’est bien. Encore des sous qui ne vont pas aller directement aux bénéficiaires, mais si c’est un mal nécessaire alors banco.

— La mairie devrait nous donner une subvention, pour réaliser ces travaux. Pour tout ou partie, j’espère pour tout le budget nécessaire.

Le lendemain à 17 h, une dizaine de personnes sont réunies.

Manu prend la parole et explique les faits, la proposition de changer les clés. Il insiste bien sur le fait que personne ne doit se sentir coupable. D’ailleurs, tout le monde retrouvera un double des clés. Il demande aux participants s’ils ont à un moment égaré leurs clés et les ont retrouvées ensuite. Ont-ils remarqué des choses troubles ces derniers temps ? Personne ne se rappelle avoir eu ce type de soucis.

Les locaux de l’association sont une succession de bureaux et entrepôts séparés par des cloisons de bric et de broc. Il serait très facile de se laisser enfermer et de ressortir au petit matin sans être vu. Manu demande aux bénévoles d’être attentifs et il souhaiterait que la fermeture se fasse à deux pour l’instant. C’est une contrainte supplémentaire. Il ne s’agit pas de créer une psychose, mais un peu de prudence ne peut nuire. L’idéal serait de ranger les véhicules dans un garage, mais le « Secours pour tous » n’a pas assez de place ni les moyens pour construire un garage digne de ce nom. La réunion qui a duré une heure se termine par un petit pot, une fois n’est pas coutume.

En effet, la gestion de l’association est très stricte. Le moins possible de dépenses de fonctionnement, telle est la devise.

Le seul moment convivial se déroule en juin. Les bénévoles sont invités à un barbecue payé par l’association. Ce n’est pas une orgie loin de là. Mais se retrouver une fois en toute décontraction resserre les liens, maintien une osmose et fidélise les bénévoles. C’est un investissement quelque part.

 

Jojo rentre chez lui et retrouve Thérèse. Elle lui demande comment cela s’est passé. Jojo est assez satisfait, car il avait peur des réactions. C’est vrai qu’expliquer aux bénévoles que l’on pouvait avoir des doutes sur eux auraient pu être mal pris. Mais personne ne s’est senti visé et Manu est un gars très diplomate qui sait enrouler les choses très doucement, avec tact.

Néanmoins, tout cela le travaille. Si cela s’arrête là, ça va encore. Mais il est évident que l’on est sur une personne ou un groupe qui en veulent au « Secours pour tous » en tant qu’entité. Alors pourquoi cela s’arrêterait-il ?

Jojo allume la télé sur le canal 27, France Info.

— Le « Secours pour tous » de Bordeaux vient d’être victime d’un saccage en règle de ses locaux. Tout de suite place à notre correspondant sur place.

— Le mobile ne semble pas être le vol. Les dégâts sont extrêmement importants. Pour l’instant, il n’y a pas de revendication. Nous vous tiendrons au courant ultérieurement, dans un prochain journal.

Mais qui peut en vouloir à une association caritative ? se demande-t-il. Qui ? L’extrême droite, l’extrême gauche. Est-ce le hasard que Bordeaux et Rennes soient touchés ou est-ce une organisation inconnue pour l’instant, mais néanmoins structurée ? Il veut évoquer ses pensées avec Manu sinon la nuit va être compliquée pour lui. Il ne dormira pas.

Manu, même si son boulot est terminé, se sent en mission 24 h sur 24 et passe du temps au téléphone avec Jojo, qu’il sent très touché par tous ces événements. C’est un gars à fleur de peau, notre ancien délégué syndical. Il prend tout pleine face, sans recul, un écorché vif. Depuis tout petit.

Les relations avec son père, en particulier, étaient orageuses dès la préadolescence. Le père ancien militaire qui a fait l’Algérie comme on dit, plutôt à droite n’a jamais vu d’un bon œil le fonctionnement et les idées de son fils.

Dès le collège, à 11 ans, Jojo était délégué de classe. Il organisait des collectes contre la famine au Biafra…

Les rapports étaient conflictuels, mais le père malgré tout était fier de son fils, de son courage, de sa volonté de toujours faire les choses à fond. En dépit des désaccords, des prises de bec pendant les repas de famille, le lien n’a jamais été coupé. Certains sujets les rapprochaient, le sport en particulier.

Jojo raccroche, il est un peu rasséréné, mais il se sent épuisé. Tout cela lui coûte beaucoup d’énergie. Il prendra un petit comprimé pour bien dormir et éviter la gamberge.