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Aux environs de 800 avant notre ère, une communauté d’Hébreux-Phéniciens, en quête de paix face aux prémices d’un conflit, prend la mer Méditerranée et jette l’ancre sur les rivages encore sauvages de la Sardaigne. C’est le début d’un périple fascinant au cœur d’une île énigmatique, où s’entrelacent nécropoles anciennes, rites séculaires et paysages d’une beauté saisissante. Accueillis par un peuple aux traditions vivaces, héritier d’influences insoupçonnées, ces exilés découvriront bien plus qu’une terre d’asile : un creuset d’hospitalité, de spiritualité et de mémoire. Ce roman historique, à la fois évocateur et lumineux, tisse un lien subtil entre les échos du passé et les enjeux du présent. Une invitation au voyage, à la réflexion, et à la découverte d’une coexistence harmonieuse que l’Histoire a trop souvent effacée.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Dominique Sicouri est une auteure portée par une sensibilité humaniste et une profonde curiosité pour les cultures méditerranéennes. Inspirée par ses racines et son attachement à la Sardaigne, elle signe ici un ouvrage empreint de douceur et de respect. À travers cette fresque du passé, elle célèbre la tolérance et dénonce les replis identitaires et l’antisémitisme de notre époque.
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Seitenzahl: 126
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Dominique Sicouri
Le sel de la vie
Roman
© Lys Bleu Éditions – Dominique Sicouri
ISBN : 979-10-422-7708-6
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En mémoire de mon père, qui a écrit :
Je mourrai ancré dans l’athéisme, mais respectueux des traditions. Il espérait que les hommes deviennent les architectes de la planète et non seulement des hôtes confinés et discrets.
En mémoire de mon frère Pierre :
Il n’avait nul besoin pour embrasser l’immensité et la diversité des choses de recourir à l’abstrait. Son action était devenue culture, scrutant les évènements au point d’en tirer la moelle du réel.
La Méditerranée était dans l’Antiquité un élément unifiant favorisant les échanges de cultures, de savoirs et de marchandises entre les populations.
Vers 1300 A.C. une ethnie des Peuples de la Mer issue de l’âge du Bronze ancien, les Shardanes (ou Sher-Dan SRDN, princes de Dan), sillonnait la Méditerranée orientale. Hardis navigateurs sur leurs rapides voiliers et parfois redoutables pirates, ils furent souvent enrôlés comme mercenaires par le Pharaon d’Égypte, devenant des membres de sa garde personnelle. Celui-ci leur concéda des territoires en Haute-Égypte où ils s’installèrent dès 1100 A.C., comme le prouvent les vestiges de la civilisation nuragique découverts en Palestine. On suppose qu’ils escortèrent Moïse et son peuple hors d’Égypte fusionnant avec les Hébreux de la tribu de Dan1.
En ce temps-là, Tyr, la plus puissante des cités marchandes phéniciennes, dominait les échanges par voie de mer. Les Tyriens naviguaient sur leurs robustes navires en bois de cèdre, ayant comme tous les peuples de la Méditerranée d’étonnantes connaissances astronomiques, s’orientant la nuit avec l’étoile Polaire qui se trouvait alors dans la constellation de la Petite Ourse.
Vers 800 A.C., un groupe de Phéniciens et d’Hébreux, sentant souffler des vents de guerre annonçant la pression des cruels Assyriens contre les riches cités marchandes phéniciennes, décida que le moment était propice pour s’éloigner et tenter d’aller s’installer sur des terres accueillantes du pourtour de la Méditerranée, pourquoi pas en Sardaigne, la terre d’origine des Shardanes…
Maât perchée sur la proue du noir voilier phénicien, les mains agrippées à l’anneau pivotant en forme de mouette, aspirait à pleins poumons le vent d’Ouest, un souple vêtement ondoyant autour de son corps svelte. En ce clair matin d’automne, le navire sur lequel elle voyageait avait quitté Tyr avant l’aube faisant route vers Tarshish2, qui semble être la ville de Tharros, le port de mer à la frontière du monde souvent cité dans l’Ancien Testament.
Elle regarda avec tendresse le commandant, son oncle Gavriel : un physique robuste et puissant couvert d’un épais chiton retenu à l’épaule par une broche, une chevelure sombre striée de gris, épaisse et bouclée comme sa barbe et un visage buriné au regard souriant. Il scrutait l’horizon de ses yeux réduits à des fissures, face au soleil encore haut. Des pieds larges et intelligents bien ancrés sur le pont, dont les doigts rugueux, mais élastiques et tactiles habitués au contact de l’air et du bois assuraient son équilibre et sa liberté de mouvement, dépassaient de son ample pantalon. Comme tous les Tyriens, c’était un marin expert, grand connaisseur des vents et des courants maritimes ; il voguait toujours suivant la route des thons, de Tyr vers le Nord et vice-versa.
Rompu au grand air, il semblait humer le vent et les éclaboussures d’eau salée aspergeant son visage desséché.
Le navire était chargé de marchandises et aussi, exceptionnellement, de passagers. Il s’agissait de membres de sa famille et d’un groupe d’Hébreux-Phéniciens. Pourquoi des Hébreux ? Tyr avait tissé des liens stables avec la tribu de Dan, une des douze tribus d’Israël, une tribu d’artisans et d’artistes ; les populations de ces régions se connaissaient, se croisaient, collaboraient et se mélangeaient fréquemment. N’oublions pas la parabole du Juif errant…
Habile commerçant, Gavriel était devenu l’un des principaux protagonistes de l’échange de produits avec les matières premières extraites en Sardaigne, étain, cuivre, or, argent, plomb argentifère qu’il transportait en lingots, avec aussi le bronze obtenu par la fusion du cuivre et de l’étain servant à la fabrication des armes, sans oublier l’obsidienne3, l’or noir de la préhistoire. Toutefois, il appréhendait l’avenir : les attaques assyriennes s’intensifiaient et il connaissait les dévastations dont les Assyriens étaient capables c’est pourquoi il souhaitait mettre sa famille en sécurité projetant faire de ses enfants des êtres épris de paix.
Les Phéniciens, naviguant pour commercer, avaient souvent accosté en Sardaigne, région au climat tempéré, riche en minéraux avec de vastes pâturages en bord de mer et des rivages bien protégés des vents. On lui avait décrit des populations pacifiques même à l’intérieur des terres malgré toutes les légendes dépeignant les Sardes comme renfermés, ombrageux et agressifs. Il espérait donc établir avec l’aval des tribus locales des comptoirs avec des villages, des dépôts, des forges, des fonderies et des lieux de sépulture.
« Qui sait si notre identité de gens de la mer pourra s’harmoniser avec l’identité des Sardes, des gens de la terre, liés à l’agriculture et à l’élevage… Quant à mes passagers Hébreux : ils sont de tout temps ouverts aux diversités, cosmopolites et accoutumés à se déplacer. »
Il était serein : le vent du sud remplissait la grand-voile en lin d’Égypte et son bateau construit avec du bois taillé dans des cèdres du Liban semblait encenser l’air du parfum de ces arbres millénaires4 convoités par toutes les populations du pourtour de la Méditerranée, de plus, par bonheur, pas de pirates en vue.
Il s’était embarqué avec ses deux fils adolescents Ari et Boaz.
Ari le préoccupait : son physique ingrat et ses regards sournois n’étaient pas attirants ! Il avait en fait peu d’amis ou plutôt aucun ami : profiteur, rusé et un peu filou, son sale caractère repoussait toute approche. De qui tenait-il ça ? Son agressivité et ses bravades étaient sûrement un appel à l’aide, à la tendresse dont l’absence de sa mère décédée lorsqu’il était enfant l’avait privé.
Gavriel comptait sur ce voyage pour aider Ari à s’ouvrir aux autres et à la vraie vie…
Boaz par contre était bien bâti, charmant et cordial : tout en lui dégageait joie et vitalité. Il avait déambulé au Proche-Orient, rencontrant de multiples populations, se formant à diverses techniques artisanales et absorbant les multiples influences araméennes, hébraïques et égyptiennes. Devenu un artisan de talent, il était fasciné par l’idée de pouvoir découvrir d’autres civilisations et d’autres cultures… Fermement planté aux côtés de son père, son beau visage lisse comme du bronze regardait vers le large en plissant les yeux, à l’affût de tout signe de vie au-delà de l’infini. Quelques amis, d’habiles créateurs comme lui, faisaient partie du voyage. Accroupis sur le pont, ils étaient eux aussi aux aguets, inspectant en silence l’horizon dans l’espoir d’apercevoir quelque signe de vie humaine, mais rien dans le creux des vagues régulières et indifférentes.
Son frère Poseidon, avec sa femme Eliya et leur fille Maât avaient eux aussi décidé de tenter l’aventure. L’envoûtement de la mer avait depuis l’enfance accompagné Poseidon (un poète écrira un jour « Homme libre toujours tu chériras la mer… ») Il était devenu l’un des pêcheurs les plus experts du port de Tyr et l’un des principaux producteurs de pourpre.
Poseidon avait épousé Eliya, une belle jeune fille rencontrée en Haute-Égypte. Elle appartenait à l’une des tribus de Samarie, la tribu de Dan convoitée par les Assyriens, elle était juive et observait résolument les rituels religieux. D’ailleurs, son prénom, Eliya, signifiait « Le Seigneur est mon Dieu ».
Il la laissait organiser leur vie autour des fêtes religieuses dont il lui laissait la charge, ce qui le libérait d’une série de préoccupations : lui respectait, comme tous les Phéniciens, les divinités phéniciennes liées aux phénomènes naturels comme Baal, le dieu du vent et de la pluie mais les croyances le laissaient plutôt indifférent. C’était un homme rationnel et concret !
Le frère d’Eliya, le rabbin Noah Rabi, les accompagnait, les Hébreux partant toujours en voyage avec un rabbin chargé de soigner l’âme et le corps. D’un rigoureux monothéisme, il était toutefois curieux de rencontrer d’autres tribus qui, tout comme les Phéniciens, vénéraient différents éléments de la nature. Mais tout n’était-il pas l’œuvre du Dieu unique ?
Le regard plein de ciel d’Eliya, épousait l’horizon : de l’eau, de l’eau encore de l’eau et parfois, au loin, une côte rocheuse qui semblait bien aride ; elle qui ne savait même pas nager n’avait jamais passé autant de temps entourée d’eau ! C’était une femme des demeures confortables et des promenades à travers les ruelles, dans les bazars bruyants, avec ses amies : le fracas du monde ne lui déplaisait pas… Une femme jolie et coquette, gaie et charmante.
Engourdie par le vent, et bien qu’emmitouflée dans un chaud manteau en coton égyptien bleu, elle frissonna : elle se sentait déroutée par leur décision d’abandonner Tyr, démunie et assez contrariée. Elle avait tenté de s’opposer à ce bouleversement mais en vain : pourquoi aller chercher ailleurs ce qu’ils avaient déjà chez eux ? Ils quittaient quand même leur famille et une vie bien confortable dans une ville parfumée, colorée, musicale et tolérante ! La vie l’avait comblée, elle aimait sa ville multiethnique qui, malgré invasions et attaques du passé, était restée joyeuse, positive et fière, une ville honnête et courageuse de gens travailleurs et sincères ouverts à la diversité mais équilibrés et stables, une ville enveloppante et rassurante : on s’y sentait à l’abri.
Poseidon qui adorait sa frêle et ravissante épouse devina son désarroi : il comprit que tous ses repères s’étaient écroulés. Il vint alors l’enlacer de dos par une étreinte qu’elle connaissait bien, chaleureuse et sensuelle…
Le commandant, glissant à la dérobée un regard vers sa nièce Maât songea :
« Elle est si gaie et attachante, pétillante de joie de vivre et toujours avide de nouvelles connaissances ! Quel bonheur si elle épousait Ari ! Une présence féminine si rayonnante nous ferait tellement de bien à mes fils et moi après le décès de mon épouse tant aimée. » Mais il savait, en son for intérieur, qu’elle aspirait à une vie plus passionnante et aventureuse et qu’Ari ne pourrait jamais capturer son esprit qui volait au gré de ses fantaisies !
En effet, enivrée par une nouvelle sensation d’évasion, son beau visage hâlé frappé par les embruns, Maât respirait un souffle de liberté : elle fuyait le joug familial et ses obligations. Elle avait maintenant 15 ans, en âge de mariage, mais la judaïté qui imprégnait son sang ne l’influençait pas vraiment. Elle avait été promise en épouse à son vaurien de cousin Ari : elle aurait donc dû fonder un foyer et procréer, alors qu’elle ne rêvait que d’une histoire d’amour avec, peut-être Uriel, le jeune Sarde rencontré un an auparavant à Tyr dont les yeux vert émeraude, d’où les tenait-il, lui avaient fait découvrir qu’elle était belle. Uriel, un superbe adolescent à la tignasse noire en bataille avait partagé ses courses et ses jeux sur la plage et ils s’étaient baignés dans les eaux claires de la côte. Son doux et profond regard semblait lui dire, un peu moqueur : « Tu es belle ! Viens me rejoindre dans notre île ! Je t’enseignerai le plaisir de faire corps avec l’océan en le laissant t’envelopper. Je te dévoilerai le secret des profondeurs… »
« Mais moi aussi je communique avec la mer ! » s’était-elle écriée en rougissant. Ils éprouvaient les mêmes émotions ! Il était arrivé de Sardaigne à la voile sur une embarcation transportant des céréales qui s’apprêtait à repartir. Le reverrait-elle ?
Elle savourait déjà la vie qui l’attendait dans cette terre inconnue et rêvait, le cœur en tumulte, de pouvoir se déterminer à sa guise loin de la tyrannie d’une quelconque croyance religieuse, forte et légère comme les bancs de thons qu’elle voyait filer au loin au milieu des vaguelettes, vers l’Ouest, libres… Elle crut apercevoir, fluctuant au gré des flots, un frêle esquif qui s’éloignait, disparaissant peu à peu, une sorte de radeau recouvert de mots, de règles et d’injonctions…
La mer s’était froissée et le Ponant forcissait. Brusquement, le bateau vira au vent, la proue s’enfonçant dans les lames mugissantes qui escaladaient, éclataient et retombaient s’enroulant avec fougue.
Maât qui somnolait allongée sur un tas de cordages en chanvre, le sourire aux lèvres, bercée par un régulier vent arrière et par le clapotement des vagues, se redressa brusquement et hurla à son oncle : « Que se passe-t-il ? Que crains-tu toi qui n’as jamais froid aux yeux ? » Le vent mugissait et le bateau s’inclina, filant rapidement en fendant la houle sous les cris d’un tourbillon d’oiseaux de mer.
Gavriel indiqua d’un geste un voilier qui apparaissait et disparaissait au loin dans le creux des vagues écumantes et s’époumona d’une voix qui trahissait son inquiétude :
« Ce sont sûrement des pirates ! Notre cale est remplie de blé, de sel, d’étoffes précieuses, de vases d’albâtre contenant des huiles parfumées, sans compter le bois venant de nos immenses forêts de cèdres du Liban ! De plus, ces brigands sont loin d’être tendres avec les voyageurs ! Regarde au loin, tu vois flotter ces longues formes entre les flots : il s’agit peut-être des cadavres de navigateurs décédés portés par le courant !5Nous allons tenter de nous réfugier dans une crique protégée vers le Cap Teulada. »
Les passagers s’étaient regroupés sur le pont, pétrifiés d’épouvante : tous avaient entendu les récits concernant de cruels prédateurs, les mythiques Peuples de la mer, des hordes de pillards ; ce n’était donc pas une légende ! Noah Rabi repensa au Psaume de David : Tu ne me livreras pas aux mains de l’ennemi, Tu mettras mes pieds au large.
Tous les yeux étaient rivés sur le noir voilier pirate qui, heureusement, s’éloigna et dont la vue s’estompa peu à peu. Les longues formes entre les flots se précisèrent : ce n’étaient que les dos de dauphins qui apparaissaient et disparaissaient. Le vent diminua, la mer s’apaisa et le navire, transporté en douceur par le ressac vers la berge, accosta dans une anse ourlée de bleu, face au rocher de Su Giudeu, près de Nora, derrière le cap Teulada.