Le souffle de l’ange - Laure Péard - E-Book

Le souffle de l’ange E-Book

Laure Péard

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Beschreibung

Alice, jeune femme à la sensibilité exacerbée, vient de perdre sa grand-mère Louise, une artiste au passé intrigant. En héritage, elle reçoit un tableau impressionniste accompagné d’une lettre, un présent qui la plonge dans une enquête sur les secrets enfouis de sa famille. En levant le voile sur une liaison amoureuse qui a profondément marqué la vie de Louise, Alice recompose peu à peu le puzzle de ses origines. Chaque révélation l’insuffle d’une énergie nouvelle, lui permettant de redéfinir son propre avenir. Ce roman, entre mystère et confidences, célèbre la puissance des liens familiaux, l’impact des non-dits et la force transcendante de l’art.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Férue d’art, d’histoire et de littérature, Laure Péard se distingue par une plume dense, colorée et goûteuse. Après la parution de son premier roman, "Un ange passe", aux éditions Le Lys Bleu en 2023, elle revient avec "Le souffle de l’ange", une suite qui promet de captiver ses lecteurs jusqu’à la dernière ligne.

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Seitenzahl: 174

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Laure Péard

Le souffle de l’ange

Roman

© Lys Bleu Éditions – Laure Péard

ISBN : 979-10-422-5145-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À toi, Alain qui m’aime avec patience,

À vous, lectrices et lecteurs qui m’ont encouragée à poursuivre l’aventure de l’écriture.

De la même auteure

– Un ange passe, Le Lys Bleu Éditions, 2023.

Écrivez ce que vous désirez écrire, c’est tout ce qui importe, et nul ne peut prévoir si cela importera pendant des siècles ou pendant des jours.

Extrait d’Une chambre à soi, 1929,

Virginia Woolf (1882-1941)

Chapitre 1

Envol

La mort n’est rien,

je suis seulement passé, dans la pièce à côté.

Je suis moi. Vous êtes vous.

Ce que j’étais pour vous, je le suis toujours.

Extrait de La mort n’est rien,

Henry Scott-Holland (1847-1918)

La faucheuse

En sortant d’un déjeuner chez son amie Audrey, Louise se dirige vers la Seine pour humer l’heure bleue. L’heure juste avant la nuit, celle qui illumine le début d’une soirée douce, parfois mélancolique. En passant devant la gare de Lyon, elle se remémore le 13 juin 1936, le jour où elle a pris Le Train Bleu pour Nice, cet Orient-Express de la Méditerranée, pour livrer sa précieuse commande à son Valentin1.

Ravie par cette amicale journée, en rêvant à ses souvenirs, elle traverse vers le Pont d’Austerlitz. Elle ne voit pas la moto faucheuse qui la percute dans le dos. Elle vole quelques instants mémoriels avant que son corps ne rencontre les grilles du métro du Quai de la Râpée, arrêtant brutalement son ellipse comme une mauvaise blague. Sa dernière pensée est pour son amoureux.

À quelques mètres de là, les secours la portent directement à la morgue laissant quelques épingles de son chignon sur le trottoir. Malgré ses quatre-vingts ans, Louise n’est pas morte de vieillesse ce 1er avril 1985, c’est la mécanique urbaine qui a raison de sa vie, sa mort est brutale et subite. Elle emporte ses secrets, mais laisse des petits cailloux de bonheur dans le cœur des vivants.

Tout était sous ses pieds deuil, épouvante et nuit.

Derrière elle, le front baigné de douces flammes,

Un ange souriant portait la gerbe d’âmes.

Extrait de Les Contemplations,

Victor Hugo, mars 1854

L’enterrement

La matinée est fraîche en ce matin d’avril 1985. L’église Saint-François-Xavier trône en majesté dans le ciel gris de Paris. Le glas retentit lorsque le cercueil de Louise sort de son église préférée. Sa fille Jeanne et sa petite fille Alice suivent en tête du cortège. Le poème de Robert Louis Stevenson2, qu’a choisi de lire Alice pendant la cérémonie, reste dans tous les esprits.

Ne restez pas à pleurer autour de mon cercueil,

Je ne m’y trouve pas.

Je ne dors pas.

Je suis un millier de vents qui soufflent,

Je suis le scintillement du diamant sur la neige,

Je suis la lumière du soleil sur le grain mûr,

Je suis la douce pluie d’automne, je suis l’envol hâtif.

Des oiseaux qui vont commencer leur vol circulaire quand tu t’éveilles dans le calme du matin,

Je suis le prompt essor qui lance vers le ciel où ils tournoient les oiseaux silencieux.

Je suis la douce étoile qui brille, la nuit,

Ne restez pas à vous lamenter devant ma tombe, je n’y suis pas : je ne suis pas mort.

Les deux femmes dans leur bulle de chagrin ne remarquent pas un homme d’un certain âge, visiblement très affecté, qui ferme la marche funèbre.

Après le cimetière, toute l’assemblée se retrouve dans un restaurant. On trinque à la mémoire de Louise et chacun se souvient d’une anecdote sur son sens de l’amitié, de l’humour, de sa spontanéité et de son indépendance. Ses qualités artistiques sont, bien sûr, mises à l’honneur, car elle laisse derrière elle de nombreuses œuvres plus ou moins originales qui assurent de son immortalité. Tous la regrettent déjà. L’émotion est sur les visages. Alice, assise à une table entourée de proches de Louise, écoute attentivement les récits qui s’entrecroisent. Un vieil ami de Louise, un artiste aux cheveux gris, se lève pour porter un toast.

— Louise était une âme unique. Elle avait cette capacité rare de voir la beauté dans les moindres détails, de transformer l’ordinaire en extraordinaire.

Tous lèvent leurs verres en l’honneur de Louise, et l’ami continue :

— Je me souviens d’une fois où nous étions à Paris, en pleine nuit, à discuter de l’art et de la vie sur les quais de la Seine. Elle m’a dit : « L’art est la meilleure façon de capturer l’essence de l’instant présent, de figer le temps pour toujours. » Et c’est exactement ce qu’elle a fait avec son travail. Elle vivra à travers ses œuvres, à travers nos mémoires.

Les conversations se poursuivent, et chaque personne partage son propre souvenir.

À l’écart de tous, Alice aperçoit Audrey, la meilleure amie de sa grand-mère, serrant dans ses bras un homme qu’elle ne connaît pas. Puis ils échangent quelques mots et l’homme signe le registre des condoléances et s’en va le front baissé visiblement très ému. Alice sent qu’elle aurait dû se présenter, mais accaparée par les convives et son chagrin, elle oublie la scène. Une partie de son enfance est en train de se détacher d’elle. Elle aura dix-neuf ans dans quelques mois et vient de perdre la femme qu’elle admire depuis toute petite. Une douleur d’absence inconnue et irrémédiable l’accapare et en même temps une reconnaissance absolue d’un amour inconditionnel l’enveloppe.

Le déjeuner terminé, les deux femmes, restant seules, décident de se retrouver un peu dans la chaleur de Louise et se rendent à son appartement rue des Dames.

Alice entre dans cet endroit comme dans un temple de partage et d’amour. Elle a la clé. La clé de l’antre de Louise. La clé reçue le jour de ses dix-sept ans comme la clé de la liberté. Les mots de sa grand-mère résonnent dans sa tête lorsque la serrure cliquette. «Ma chérie, voilà la clé du refuge. Cet endroit t’accueillera toujours avec joie. » Cet appartement est pour Alice un lieu enchanteur et de liberté. Depuis qu’elle était au lycée Chaptal, à deux pas de l’appartement de Louise, elle déjeunait tous les mercredis midi et souvent Alice passait son week-end chez sa grand-mère.

Mais ce soir, dans la pénombre de la pièce, il n’y a que les miaulements de la petite chatte grise qui les saluent. Alice la prend dans ses bras et la câline. Minette est désorientée, elle ne comprend pas pourquoi sa maîtresse ne revient pas.

— Te souviens-tu lorsque ta grand-mère a trouvé Minette un matin dans la poubelle de l’immeuble ? lui demande sa mère en regardant la chatte dans les bras de sa fille.

— Oh ! Oui, comme si c’était hier. C’était le jour de ma rentrée en première au lycée… Je me rappelle surtout ma joie et ma douleur en voyant ce chaton si maigre. Cette petite chatte lui doit la vie et lui témoignait, par son affection câline, tant de reconnaissance.

Alice caresse la dernière compagne de vie secrète à la solitude créatrice de Louise et elles se réconfortent mutuellement.

L’appartement de Louise est plutôt une sorte d’atelier-boudoir, un salon Louis XVI en velours bleu gris fait face à une table basse et un meuble télévision. Un piano droit a trouvé sa place entre les deux fenêtres du séjour. Près d’un lampadaire à abat-jour de soie vieux rose, deux chaises sont disposées autour d’une table à jeu. Dans un coin de la pièce principale, un pouf, ou plutôt le pouf de Minette, se trouve, près de la fenêtre, un endroit stratégique où la chatte peut observer tout ce qui se passe dehors en gardant un œil sur la pièce. Si une tourterelle se pose sur le balcon, elle claquette des quenottes pour signaler la présence du volatile. Elle n’a pas son pareil pour choper les mouches prisonnières des vitres, qui tentent en vain de lui échapper. L’animal a des instincts naturels de chasseuse. Gare aux petites souris !

À la mort de son mari en 1982, qu’elle avait épousé en 1937, Louise avait eu l’opportunité d’acheter son appartement de jeune fille, rue des Dames. Pendant toute sa vie, Louise a travaillé comme directrice artistique dans les Ets Wéber, l’entreprise de décoration familiale. Mais sa passion, c’était la peinture et elle était très douée comme copiste. Pour faire ses reproductions, elle utilisait ses livres d’art ou se rendait dans des musées qui l’y autorisaient. Elle avait aussi une clientèle privée de collectionneurs qui préféraient garder leurs originaux au coffre. Elle ne faisait pas de faux, changeant les dimensions et ne reproduisant jamais la signature. À Paris, son atelier se trouvait cité Trévise dans les locaux des Ets Wéber où un imposant coffre-fort lui permettait de mettre en sécurité les œuvres confiées par ses clients pendant qu’elle travaillait dessus.

En quelques bonds, Minette est dans la cuisine pour se faire servir quelques miettes de thon qu’elle mange délicatement. Alice la regarde pensive et se sent investie de la mission de prendre à son tour soin de cette délicate compagne.

Pendant ce temps, Jeanne se dirige dans une pièce attenante au salon où trône un imposant chevalet en chêne près de la fenêtre. Un chiffonnier rempli de tubes de peinture à l’huile et de multiples pinceaux, une palette de couleur un peu séchée, une bibliothèque de livres d’art et d’architecture complètent le décor.

Jeanne saisit la blouse maculée de peinture de sa mère et laisse aller ses larmes. Elle s’étend un moment sur la méridienne de l’atelier, elle regarde le dernier tableau inachevé de sa mère posé sur le chevalet. C’est un portrait d’Alice à ses dix-huit ans, sa mère a mis de la magie dans le visage d’Alice. Le tableau, dans des tons de blanc et de rose, montre la jeune fille assise sur la méridienne, le blond de ses cheveux ressort comme une auréole de lumière autour de son visage penché sur son épaule dénudée. La dernière pensée artistique de Louise aura été pour sa petite-fille.

Elle ferme les yeux et imagine Louise à son chevalet qui n’achèvera pas sa dernière toile. L’absence est une épreuve d’abandon. Elle est aujourd’hui orpheline et dans l’ordre des choses la prochaine sur la liste des disparus. La mort d’un proche est un pas de plus vers notre finitude.

La chambre de Louise est décorée d’une tenture de toile de Jouy bleue et des rideaux assortis enveloppent deux lits jumeaux surmontés d’édredons de plumes en soie bleue. Le lit près de la fenêtre est celui d’Alice quand elle passe la nuit chez sa grand-mère. À la lumière d’un abat-jour rouge, un bureau en acajou est disposé dans un angle de la pièce. La chambre donne sur une salle de bain en faïence noir et blanc où trône une baignoire à pattes de lion. En se lavant les mains, Alice revoit sa grand-mère colorer l’eau de son bain avec des sels bleus aux senteurs maritimes avant qu’elle n’y barbote. Elle effleure la broche à cheveux de sa grand-mère, touche ses effets de toilette, hume son parfum, et reste un moment assise sur le bord de la baignoire, le cœur au bord des larmes. Elle lui manque tellement.

De retour dans le salon, la table à cartes lui rappelle qu’elle ne jouera plus à la crapette ou aux petits chevaux avec Louise. Le tourne-disque ne résonnera plus d’opéras-comiques d’Offenbach ou des opérettes avec Maurice Chevalier. Alice n’entendra plus Louise la surnommer « ma chipie», en la surprenant de tricherie au Scrabble. Fini les crises de rire dans ce salon, entre chorégraphie sur Claude François et valse sur Le Beau Danube bleu de Johann Strauss. Quant au piano, il ne résonnera plus de leurs joyeux quatre-mains. La nostalgie la gagne par le souvenir de tous ces moments heureux.

En s’asseyant sur le canapé face au meuble télévision acheté en juillet 1969 pour voir Apollo 11 se poser sur la Lune, Alice fait un saut dans le temps. Celui où le petit écran noir et blanc lui contait les histoires de Nounours, Pimprenelle et Nicolas dans la série Bonnes nuits les petits avant que sa grand-mère se transforme en marchande de sable et vienne la border.

Minette se cale à califourchon sur la cuisse d’Alice et l’accompagne dans son compte à rebours. Les moments clés de sa vie avec sa grand-mère défilent en quelques instants. Les chevaux de bois aux tuileries, les goûters chez Angelina, les voyages en Train Bleu pour les vacances à Nice. Pour ses treize ans, Louise l’avait invitée écouter l’opéra rock de Michel Berger Starmania au Palais des Congrès de Paris. Pour ses quinze ans, elles étaient allées à l’Opéra Garnier pour voir Le Corps de ballet. Devant le plafond peint par Chagall en 1964, caractérisé par ses couleurs lumineuses et sa multitude de détails de personnages ailés, de bâtiments et monuments emblématiques de Paris comme l’Arc de Triomphe, mais aussi des instruments de musique, Louise l’avait guidée dans la fresque à la découverte de l’autoportrait de Chagall ou encore du portrait d’André Malraux, commanditaire de ce décor monumental.

Ses connaissances en art, le goût des belles choses, la curiosité à découvrir les mystères de la vie dans les contes et légendes, l’histoire des religions à travers le prisme de l’art sont l’héritage de Louise à sa petite-fille. Souvent, Louise s’improvisait professeure de dessin et de peinture pour sa poupée blonde aux yeux de chat. Il y avait aussi des leçons de piano. L’appartement résonnait de gammes, arpèges et préludes.

Après la messe du dimanche à l’église Saint-François-Xavier, elles déjeunaient en famille ou avec Audrey, la meilleure amie de Louise. Parfois, elles mangeaient sur le pouce un croque-monsieur au café de la Place de la Comédie Française avant d’aller voir une pièce de théâtre ou de faire un tour au musée du Louvre. Toutes les deux s’entendaient à merveille et tissaient les fils du bonheur dans une joyeuse complicité de génération.

Les larmes d’Alice coulent à la seule pensée de ne pas l’avoir accompagnée déjeuner dimanche dernier chez Audrey.

La mort de Louise laisse Alice sans alliée et sans pilier.

Ce sont tous ses souvenirs qui remontent à la surface quand Alice trouve, laissé sur le canapé, un essai d’Élisabeth Badinter L’Amour en plus. Elle se souvient avoir eu une discussion avec sa grand-mère au sujet de cette thèse qui conteste l’existence de l’instinct maternel naturel. L’instinct maternel n’est qu’un conditionnement sociétal et culturel, il n’est pas inné. Chaque femme, en fonction de son expérience vécue, réagit différemment face à la maternité.

— C’est probablement le dernier livre que Mamy-Louise a touché en partant déjeuner chez Audrey, dimanche dernier, dit Alice nostalgique à sa maman.

— Tu as raison, cela lui ressemble tant.

— Je la sens encore si proche de nous, répond Alice dans un soupir.

Dans le cœur d’Alice, sa grand-mère plane tel un ange dans cette pièce. Les deux femmes se font un thé réconfortant et échangent sur la cérémonie de funérailles.

Il y a pourtant quelque chose qui chiffonne Alice. Elle se demande pourquoi sa marraine Suzanne, qui est aussi la cousine de feu son grand-père, n’est pas venue à l’enterrement de Louise. Elle est peut-être souffrante. Toujours invitée aux fêtes de famille, elle aurait dû être là.

— Pourquoi Suzanne n’est pas venue aux obsèques ? demande Alice à sa mère.

— Elle est à Trouville. Je présume qu’elle était trop fatiguée pour se déplacer. Jeanne marque un temps et poursuit.

— Depuis la mort de ton grand-père, Suzanne et Louise ne se voyaient plus. Appelle-la, elle t’en dira vraisemblablement davantage.

Voyant sa mère gênée, Alice n’insiste pas.

— Ma chérie demande Jeanne, sais-tu où ta grand-mère a pu cacher la clé du coffre de la Cité Trévise. Il va bien falloir que je l’ouvre pour la succession, elle a peut-être rédigé un testament.

— C’est vrai qu’il n’y avait qu’elle qui détenait cette clé, elle en refusait même l’accès à son mari. Cela le faisait rager d’ailleurs, mais il en avait pris son parti ! Elle y gardait les précieuses toiles qu’elle restaurait pour ses clients ou qu’elle copiait. Ce coffre-fort m’a toujours fascinée, elle en sortait des trésors de peinture et des dessins sublimes. Aujourd’hui, je suis comme toi, j’aimerais en avoir la clé pour découvrir ce qu’elle y a laissé.

— Cherchons dans un premier temps dans l’appartement, tu m’aides, dit Jeanne à sa fille pour la distraire.

— Attends… l’année de mes treize ans, je m’en souviens à présent… Mamy-Louise m’a expliqué que dans un tiroir secret de son bureau, il y avait quelque chose rien que pour moi, mais que je ne devais pas y toucher avant sa mort. Elle ne désirait pas que tu sois au courant. C’était notre secret et je ne me suis jamais hasardée à regarder dans le tiroir de peur de la faire mourir. J’ai promis, le temps a passé, je n’y pensais plus.

— Viens, je te montre cette cachette, ajoute Alice et elle se dirige vers la chambre.

Les deux femmes découvrent la clé du coffre dans le secrétaire de Louise. Dans la foulée, elles décident de se rendre cité Trévise, impatiente de voir ce qu’il contient.

L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde.

Nelson Mandela (1918-2013)

Jeanne

Jeanne naît en novembre 1937, juste neuf mois après le mariage de ses parents. Cette brune élancée aux yeux bruns velours est une femme de caractère qui s’est construite en fille unique entre deux parents de quatorze ans d’écart d’âge, plus amis qu’amoureux. Il n’est pas évident de lui trouver des ressemblances physiques avec ses parents. Elle a éventuellement les pommettes de son père et le menton volontaire de sa mère, peu importe, elle a de l’allure et une solide confiance en elle.

Jeanne grandit dans un Paris occupé par les Allemands où le quotidien est angoissant. On l’inscrit dans un établissement catholique réservé aux filles qui la protège de cette période troublée par l’occupation étrangère.

Toute la durée de la guerre, la famille reste à Paris. Pendant cette période, avec sa grand-mère Aline, elles glanent au bois de Vincennes des branches mortes pour se chauffer. Les temps sont rudes, on se débrouille comme on peut. Son père fait du troc avec des clients de province pour améliorer le quotidien.

Elle a quelques bribes de cette enfance perturbée où elle joue dans la cave avec les enfants de l’immeuble pendant les alertes de bombardement. Au son des sirènes, sa mère, Louise, s’angoisse à l’idée que les Allemands détruisent les joyaux de la capitale.

Pendant la guerre, l’entreprise familiale de décoration d’intérieur se maintient difficilement. Le père de Jeanne refuse de faire des affaires avec lesboches, mais tenant à garder ses employés, puise dans ses économies. On se sert la ceinture et le seul luxe que s’autorise son père, c’est du beurre frais au marché noir, il ne peut se passer de ses tartines beurrées au petit-déjeuner. Elles lui rappellent son enfance en Moselle, c’est un Lorrain.

Né en 1892, le père de Jeanne, Paul Weber, trop vieux pour être mobilisé, passe la guerre en courbant le dos et en maugréant contre le Boche, qu’il a combattu pendant la Première Guerre mondiale et qui se pavane sous son nez dans Paname. Paris est allemande et de plus en plus nazie. La Cité trévise, où se trouve le siège de l’entreprise familiale Wéber, se situe dans le quartier du Sentier de Paris. Traditionnellement connu pour sa confection textile, le Sentier est tenu par une communauté juive. C’est avec dégoût que Paul Wéber voit les devantures fermées, les étoiles jaunes au revers des manteaux, les rafles et les déportations, les emprisonnements de femmes.

Dans cette époque trouble, l’Homme invente le pire de l’humanité. L’éradication de tout un peuple par l’avènement d’une race pure et supérieure n’est que folie humaine. Toutes les valeurs d’humanité universelle sont déconstruites. Presque tous les éminents artistes du XXe