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« La race humaine est tellement naïve que cela me répugne. Toujours en s’attendant à ce que leurs derrières atterrissent sur du rembourrage, toujours en réfléchissant à la manière de prendre l’avantage sur les autres ; mais rarement le font-ils de manière intelligente ».
Une vague de féminicides frappe la ville de Mexico. Après une nuit d’alcool, l’écrivain Francisco Rojas nous plonge dans une série d’événements sombres, qui restent flous dans sa mémoire. Alors qu’il combat son alcoolisme, il découvre son homosexualité en compagnie d’un jeune écrivain soumis, représentant une relation de plus en plus violente. Ensemble, ils dénouent les secrets cruels d’un psychopathe que personne ne connaît et d’un crime que personne n’a résolu.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Alejandro Vilpa est né au Mexique en 1994. Après avoir publié plusieurs nouvelles à l’échelle internationale, il fait ses débuts en 2020 avec son premier roman : "La otra vida de Rebeca Smirnov", qui sera publié en Amérique latine et en Espagne. Sa passion pour l’écriture l’emmènera aussi à se rapprocher du monde du cinéma. Il participe au Festival international du film de Cannes en tant que jeune artiste afin de rencontrer des scénaristes et des réalisateurs. Il a récemment collaboré avec MG Motors pour écrire, produire et distribuer le livre commémoratif pour leur centenaire. Son dernier livre est en cours d’examen pour des adaptations audiovisuelles à Hollywood.
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Seitenzahl: 304
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Le souffle des innocents
AlejandroVilpa
En mémoire d’une version de toi que je croyais possible et de mon enfant intérieur mort avec ce rêve.
Pour le vrai R. R.R.
Tu m’as appris ce que l’on peut ressentir quand on est trahi par quelqu’un que l’on admire. Tu m’as constamment dévalorisé en t’efforçant de me faire croire que je ne valais rien. Tu as aussi essayé de briser mon rêve de devenir écrivain.
Le sabotage, les violences, l’humiliation et la manipulation m’ont fait réaliser que je suis implacable, tu m’as compris, implacable.
Un de ces jours, je te renverrai la balle.
À plus, collègue.
Cordialement, AlejandroVilpa
P.S. Tu m’as inspiré mon personnage principal, M. Rojas, qui est tout aussi dérangé quetoi.
Et je dois dire que cela ne reflète même pas la moitié de la noirceur que tu portes en toi. Une noirceur avec laquelle tu as essayé de me contaminer.
Au Mexique, toutes les bonnes histoires se déroulent dans la capitale. Cette année-là, l’instabilité politique infectait notre société, la rendant malade. Meurtres, injustices, cela me perturbait à tel point que j’en étais arrivé à ne plus rien ressentir.
Norma (ne pas appeler) 11h00
Francisco, réponds au téléphone
Norma (ne pas appeler)11h21
Putain ! Tu as deux filles, tu te souviens ?
Norma (ne pas appeler)13h09
Sérieux, un jour je vais prendre tout l’argent et m’enfuir le plus loin possible. Tu ne me retrouveras pas, même une fois morte. Réponds maintenant !
Francisco Rojas13h12
Calme-toi, je suis au café habituel. Quand je serai moins occupé, je te rejoindrai.
Je jetai le téléphone sur le lit. La nausée m’envahit comme en réponse au mensonge que je venais d’écrire à Norma. Je me levai le plus vite possible pour aller dans la salle de bains, mais en trébuchant je vomis violemment sur le lino.
–C’est quoi ce bordel ! hurlai-je, énervé.
J’avais mal à la tête et l’odeur du tabac imprégnait mes narines. Un goût de tequila me remontait dans la gorge et mon estomac me brûlait. Je me tournais vers où j’avais dormi, le lit était éclairé par le soleil qui passait par la fenêtre. Comme tous les matins, on entendait déjà le bruit désespéré des voitures démarrant et freinant dans le centre historique de Mexico.
On frappa plusieurs fois à la porte jusqu’à ce que je me lève pour aller ouvrir.
–Bonjour, Monsieur, me salua une dame brune qui tenait un balai.
Je l’observais difficilement, je me sentais encore ivre. Elle était là pour le ménage.
–Si vous voulez, je repasserai plus tard, proposa-t-elle en regardant les traces de vomi sur ma chemise. Elle serra avec dégoût le balai qu’elle tenait dans ses mains.
Je refermai immédiatement la porte en lui disant de revenir le lendemain. J’enlevai mes vêtements et les laissai tomber dans la flaque de vomi. J’avais besoin d’une bonne douche froide.
Plusieurs pensées se bousculaient dans ma tête. Je me rendis alors compte que je ne me souvenais plus comment j’étais rentré à l’hôtel. Dans quel bar étais-je allé la veille ? Avais-je encore bu dans la rue ? Cela m’aurait étonné, puisque la dernière fois que j’avais fait ça, je m’étais réveillé dans une cellule de dégrisement. J’avais mal aux fesses. Étais-je tombé ?
Je passai le savon dans mon cou et sur mon torse, et en arrivant au niveau de mon sexe, je me mis à le caresser et commençai à me masturber. Je laissai échapper un petit gémissement en agitant rapidement ma main pour le réveiller.
Mais rien ne se passa, je n’arrivai pas à bander. Je regardai le plafond, frustré.
–Merde !
C’est ce qui m’arrivait quand je buvais plus d’un jour d’affilée. J’essayai de m’exciter à nouveau, mais mon pénis resta mou. Je décidai alors de me caresser l’anus, mais je m’arrêtai au moment d’insérer mes doigts entre mes fesses. Je me souvins alors de mes années lycée et plus particulièrement de Jaime. C’était un camarade de classe qui pendant les cours de sport dégageait une odeur qui m’était agréable. Il était pédé. Parfois, je le surprenais en train de fixer mon entrejambe. Un jour, j’en étais arrivé à assouvir son fantasme : me faire une fellation dans les toilettes. Je l’avais ensuite frappé après avoir joui dans sa bouche, juste parce qu’il était homosexuel.
Je coupai l’eau et je me mis à chercher des vêtements de rechange.
Je me préparai pour quitter l’hôtel. Mon sac à dos à la main, j’entrai dans l’ascenseur ; les boutons étaient soit usés, soit remplacés par des bouchons sur lesquels on avait gravé des numéros. Cela était banal pour un bâtiment datant de l’époque du Porfiriat et rénové dans les années 1950, tout aussi commun que la délinquance qui régnait dans les rues. À la réception, une femme grassouillette se reposait, les yeux rivés sur une télévision posée sur une étagère. Les informations parlaient de féminicides1 commis dans le week-end.
–À bientôt, Rosa, lui dis-je, mais elle ne réponditpas.
En sortant, une bourrasque apporta l’odeur d’essence des camions. Je marchai dans la rue Tacuba2 en évitant les flaques d’eau sale dues à l’état de la chaussée. J’atteignis la rue La Palma où je vis plusieurs personnes qui se bousculaient dans une file d’attente pour acheter le poulet rôti de mon restaurant préféré. Un très fort effluve se dégageait, ce même parfum que l’on retrouve partout dans les rues de la capitale.
Je demandai une table à l’étage et un serveur qui tenait la carte dans ses mains me demanda de le suivre. On passa devant la rôtissoire et ses barres métalliques tournantes où les flammes cuisaient les poulets empalés. Le restaurant disposait également d’un petit salon de thé réputé pour ses desserts et plus particulièrement pour un gâteau aux trois laits. On monta l’escalier et il me proposa une table.
–Ravi de vous voir, Monsieur Francisco. Le même homme mince et brun qui me servait depuis plus de trois ans vint me saluer. On commence par un verre ? demanda-t-il.
Alors que je me souvenais vaguement des tequilas et des tacos de la veille, mon estomac senoua.
–Ça ira Emmanuel, réussis-je à articuler. Apporte-moi un café américain et un bouillon de poulet.
–Tout de suite, Monsieur.
Il fit demi-tour et s’enalla.
Je sortis mon ordinateur portable de mon sac à dos et l’ouvris pour regarder le texte sur lequel je travaillais depuis deux mois, c’est-à-dire depuis que j’avais quitté mon emploi de banquier. Depuis que mon deuxième livre s’était retrouvé parmi les best-sellers, j’avais décidé de consacrer tout mon temps à l’écriture. Bien que cela soit mauvais pour moi, j’avais aussi pris l’habitude de boire de la tequila en grande quantité.
Je commençai à écrire :
Avant, on m’appelait mignonne. Elle alluma une autre bougie. Quand j’avais à peu près ton âge, un député bien bâti m’aimait bien. Un jour, il a décidé de m’acheter.
Je veux être comme toi, marraine.
Tu dois encore faire des efforts, ma fille. Et vu comme c’est parti, ça m’étonnerait que tu m’arrives un jour à la cheville. Avant que mon sexe devienne ridé, les hommes payaient cher pour passer du temps avec moi. Ils cherchaient tous à me cracher leur virilité à la figure.
Elle rapprocha une chaise près de Francisca et s’assit pour la regarder.
Mon estomac se serra à nouveau et je perdis l’idée que j’avais en tête. Emmanuel arriva avec la tasse de café et l’assiette de bouillon que j’avais commandées. Je mis mon ordinateur de côté pour manger. Je regardais par la fenêtre et soupirais en me rappelant les visages de mes filles que je n’avais pas vues depuis plus d’un jour. Ces derniers temps, Norma avait pris son courage à deux mains pour commencer à me parler de divorce. Elle me dévalorisait en permanence, prétextant ma décision de quitter mon emploi de banquier. Pourtant, tout allait bien, on ne manquait de rien à la maison, mes filles fréquentaient une bonne école et il me restait assez d’argent pour ma tequila et mes cigarettes. Mon rapport avec la boisson était devenu addictif, mais, selon moi, je ne souffrais d’aucun traumatisme psychologique dont les thérapeutes parlent souvent pour justifier l’alcoolisme. Du moins, c’est ce que je croyais. Il faut quand même dire que mon père avait foutu en l’air mon enfance. Et puis avec une femme dont le nom de famille est Disentería, même le plus pratiquant des catholiques serait devenu alcoolique.
–Le journal d’aujourd’hui, Monsieur Rojas, m’interrompit Emmanuel au milieu d’une bouchée de poulet.
Je lui demandai de le poser à côté en tapotant la table de l’index, puis je le pris pour le feuilleter :
–Putain de journal… de plus en plus censuré chaquejour.
Je tombai sur un article parlant d’un journaliste assassiné à Tijuana, Mexique. Et je me souvins alors d’un témoignage que j’avais lu sur Internet. Une journaliste de la même région, nommée Paula, ou quelque chose comme ça, y exposait sa propre histoire. Elle racontait quand elle avait appris pour la première fois que quelqu’un voulait la tuer. Comme beaucoup de collègues, elle et d’autres journalistes de sa rédaction, avaient reçu des menaces de mort pour avoir dénoncé les cartels qui faisaient passer la drogue par la frontière, l’argent sale provenant des États-Unis et plus généralement le trafic qui fauchait des vies innocentes. J’eus soudainement envie de me servir une tequila.
En tournant la page, je trouvai un article parlant cette fois-ci de Mexico : « Ils sont sur la mauvaise piste dans l’enquête concernant l’étrangleur de femmes. » Cela me fit froid dans le dos. En effet, depuis quelques semaines, une série de féminicides avaient été signalés. Il s’agissait d’un violeur, chose plutôt courante à Mexico, mais ce cas-là… était différent. Certains journalistes le comparaient à une ombre. Il avait l’habitude de tuer dans des lieux publics, en plein jour, sans laisser aucune autre trace que les cadavres de ses victimes. Mon estomac se noua à nouveau.
Je ramenai mes mains sur le clavier pour me remettre à écrire, mais mon inspiration était à plat et mes tempes me lançaient. Les souvenirs de la nuit précédente commencèrent à resurgir. Ils n’avaient rien d’intéressant : il s’avérait que j’étais allé dans un restaurant sur la place Garibaldi, un lieu public assez fréquenté situé au centre-ville et proche de l’hôtel où je m’étais réveillé.
Les images apparurent dans ma tête : des hommes ivres, le ventre gonflé par la bière, riaient et faisaient des paris entre eux pour comparer leur soi-disant virilité. J’étais seul à un comptoir, buvant de la tequila et grignotant des cacahuètes, jusqu’à ce qu’un dernier verre finisse de m’assommer.
Quelques heures plus tard, le barman, qui était un ami, me réveilla pour m’offrir une tasse de café fort. Je sursautai en lui disant d’aller se faire foutre et lui réclamai des tacos à la viande. Il me maudit du regard, puis m’apporta ce que je lui avais demandé. Après cela, je quittai le restaurant et marchai jusqu’au centre historique. Est-ce que j’avais pris un taxi ? Je me souvenais aussi d’avoir uriné dans larue.
Je demandai un verre d’eau après avoir fini ma soupe. J’étais déshydraté.
Norma (ne pas appeler)16h03
Francisco, réponds-moi ou je demande le divorce.
Francisco Rojas16h12
Norma, s’il te plaît, je travaille. Je vais m’absenter un jour de plus.
Norma (ne pas appeler)16h13
Ma mère m’avait prévenue de ne pas épouser un pauvre type commetoi.
En fait, cela m’amusait de mettre ma femme en colère. Nous ne nous entendions plus depuis un certain temps et l’idée de rentrer chez moi ne me réjouissait vraiment pas. Je préférais m’endormir ivre mort dans la chambre d’hôtel que je louais en cachette. En plus, mon éditeur me mettait la pression, il voulait avoir une ébauche des quatre premiers chapitres de mon livre et je n’en étais qu’au troisième.
Après un laps de temps que je jugeai assez productif, je décidai de sortir me promener dans la rue Tacuba entre les magasins de vêtements bon marché et les kiosques à journaux. Dans la rue bondée, les discussions et les cris des livreurs résonnaient dans matête.
Je me retrouvai rapidement sur la place principale de la capitale, l’esplanade de la place de la Constitution. Je m’arrêtai pour observer les touristes asiatiques déambuler. Le drapeau mexicain, tout en haut d’un immense mât, restait immobile ; il n’y avait pas de vent. Subitement, un vertige dû à mes excès de la nuit précédente me trahit et je décidai alors de m’asseoir par terre, là où des pigeons venaient juste de prendre leur envol. Je restai contemplatif. À ma droite se trouvait le Palais National où le président prononce le cri de l’Indépendance3 chaque 15 septembre dans la nuit. Au nord, les deux clochers de la Cathédrale métropolitaine, décorés de motifs baroques et antiques, se dressaient face àmoi.
Certaines personnes traversaient en vitesse la place et d’autres prenaient le temps de faire des photos. J’avais l’impression que le temps s’était arrêté. Ma tête me faisait encore mal et je sentais toujours le goût du tabac dans ma bouche, mais cela devenait déjà plus supportable. Qu’allais-je faire de ma soirée ? Probablement me saouler à nouveau.
J’achetai quelques sucreries à une enfant qui errait dans les environs, elle avait l’air perdue et portait des vêtements sales. Je pris soin de lui donner un peu plus d’argent, je savais qu’elle en aurait besoin.
En mangeant un bonbon, je ressentis à quel point les muscles de mon cou étaient raides. J’avais très mal dormi. Je me mis à penser à mon mal-être et à mon manque de motivation. Je conclus que cela n’était pas simplement dû à un manque d’inspiration, mais à un mal de vivre plus profond. J’étais peut-être en train de faire une dépression. Me vint alors l’idée que je sois un jour capable de m’ôter lavie.
Je retournai dans ma chambre qui sentait la crasse. Je regardai les vêtements collés sur le vomi et me sentis mal pour la dame qui allait devoir nettoyer le lendemain. Je pris alors une grande inspiration et me décidai à faire moi-même le ménage. J’allumai la télévision pour me distraire, quand les nouvelles attirèrent mon attention : « Une autre jeune femme a été retrouvée étranglée dans le café Cuba dans la ville de Mexico. Elle avait dans le cou une marque triangulaire similaire à celle des autres victimes. Aucun signe d’abus sexuel n’a été relevé. »
–Putain de gouvernement… de vrais guignols, dis-je, dégoûté, en m’activant dans la pièce, une poubelle à la main.
La prochaine marche féministe se profilait déjà pour exiger, à juste titre, que ces crimes soient enfin punis. Les autorités semblaient fermer les yeux sur les méthodes, parfois violentes, utilisées par certaines femmes pour réclamer justice. L’opinion publique était divisée sur le sujet. Quant à moi, je n’avais pas vraiment d’avis. Ce qui m’importait, c’était que l’impunité cesse.
Norma (ne pas appeler)19h00
Si tu veux, ne reviens pas ce week-end. J’amènerai les filles chez mes parents. J’espère que tu vas prendre le temps de réfléchir. C’est quoi ta priorité, ta famille ou tes beuveries ?
Je voulus sortir dans Garibaldi pour aller dans le même restaurant que la veille. Lorsque Raul me vit entrer, il posa la télécommande de la télévision et s’accouda au bar en faisant semblant d’être fatigué.
–Ne me dites pas que vous allez encore finir comme hier ? me demanda-t-il.
Je lui souris en lui répondant.
–Non Raul, aujourd’hui je ne vais pas abuser de ta jeunesse, je vais rester tranquille. Apporte-moi juste des chilaquiles4 à la sauce verte, s’il te plaît.
Il leva les bras en l’air comme pour remercier le ciel et retourna vers la cuisine. Je m’assis au bar et commençai à jouer avec les cacahuètes avant de les mettre dans ma bouche. En regardant autour de moi, je vis d’un côté quelques personnes jouant au billard et de l’autre un groupe de parieurs misant sur des matchs de foot. Raul m’offrit de l’eau minérale que j’acceptai avec plaisir.
–Vous savez, Monsieur Rojas, pour moi, quand on boit comme ça, c’est qu’il y a un problème. Hier, vous n’arrêtiez pas de dire que vous vouliez vous suicider.
–D’où est-ce que tu viens petit ?
–De Comala5. C’est là que se trouve toute ma famille.
–Et tu fais quoi quand tu ne surveilles pas les ivrognes ?
–Je vais à l’université, Monsieur. J’étudie l’économie.
–Très bien, alors j’espère que tu vas tout faire pour ne pas finirici.
–Oui, Monsieur, vous pouvez en êtresûr.
–Bien, mon garçon, car si c’était le cas, je te ramènerais moi-même chez tamère.
–Merci, Monsieur Rojas, mais dites-moi, quand comptez-vous partir ?
–Tu me mets déjà dehors ? Je n’ai même pas encore touché à mes chilaquiles.
–Non, vous savez bien que non, insista-t-il.
Je faisais mine de savourer une gorgée d’eau minérale, mais en réalité j’étais en train de penser à ce que je pouvais lui répondre.
–Je ne sais pas, mon garçon. Il faudrait que je prenne l’habitude de ne plus venir dans ce genre d’endroit.
–Vous savez, tant que vous continuez à me donner vos livres dédicacés, cela ne me dérange pas que vous vous endormiezici.
–Les chilaquiles sont prêts, annonça-t-on en cuisine.
Raul se dépêcha d’apporter le plat devant moi. Mes yeux se mirent à briller : c’était le seul repas de la journée dont j’avais vraiment eu envie.
Norma (ne pas appeler)21h00
J’ai laissé la clé cachée à l’endroit habituel. Au cas où tu déciderais de revenir pendant notre absence.
Une fois mes chilaquiles engloutis, je me sentais tout simplement épuisé et je décidais donc de rentrer à l’hôtel. Je tenais à me lever tôt pour travailler sur mon manuscrit et avoir quelque chose de décent à remettre à l’éditeur. Je réussis à me masturber avant de m’endormir.
Le lendemain matin, j’allai au même restaurant. Emmanuel me salua poliment, comme si c’était la première fois que je venais.
–Bonjour, Emmanuel, apporte-moi une salade de fruits et une soupe, s’il te plaît.
Il acquiesça et fit demi-tour. J’ouvris l’ordinateur :
On frappa à nouveau à la porte. Alicia avait un verre de tequila dans une main et des pilules dans l’autre. Elle donna le tout à sa marraine Josefa, puis quitta les lieux. Francisca lui jeta un regard méfiant.
Ma fille, viens me montrer tes fesses pour voir ce que Ricardo t’afait.
Ça me fait mal, marraine.
Eh bien, regarde-moi ça, lui dit-elle en lui donnant une fessée et en ajustant sa culotte. Il n’a même pas voulu utiliser sa salive. Ça va partir, utilise seulement ta bouche pour l’instant et éventuellement ta chatte, tu as compris, ma fille ? Bois ça. Je vais voir si les autres veulent toujours detoi.
Emmanuel m’apporta un café noir par politesse. Je le dégustai en regardant par la fenêtre entrouverte située à l’arrière de l’établissement. J’appréciais vraiment l’air frais du matin avant qu’il ne soit pollué par l’activité des commerces, le gaz des voitures et l’odeur du tabac.
–Ahhh !
Un cri retentit, suivi d’un bruit sourd et strident. Alerté, mon cou se tendit instinctivement. Cela provenait des toilettes situées près de la cuisine.
–S’il vous p…laît ! insista la voix d’une femme terrorisée.
–Emmanuel ! Je l’appelai aussitôt. Mes pieds étaient ancrés dans le sol, j’étais prêt à bondir pour aller voir ce qui se passait si personne d’autre ne le faisait. Immédiatement, les serveurs se précipitèrent vers les cris. Je me demandais si cela valait la peine de laisser moncafé.
–Putain ! s’exclama un serveur qui sortit, la tête entre ses mains. Elle est morte, Emmanuel !
Je recrachai d’un coup la gorgée que je venais de prendre, fermai l’ordinateur et me dirigeai vers la scène.
–Emmanuel ? l’interpellai-je.
–Monsieur Rojas, elle a été étranglée ! Sa voix était déchirée. C’était ma sœur.
Il fondit en larmes.
Stupéfait, je me frayai un chemin pour me rendre dans les toilettes. Là, une femme gisait sur le sol, l’image s’incrusta dans ma tête : son cou était dénudé, des marques violettes et bleutées coloraient sa peau, la zone de sa gorge laissait apparaître un creux causé par la force avec laquelle elle avait été écrasée et… il y avait ce maudit triangle. L’étrangleur de femmes avait encore frappé.
–Comment se fait-il que nous n’ayons pas vu ce salaud sortir ? murmura une serveuse derrière moi d’une voix tremblante.
J’examinai les lieux et remarquai la fenêtre.
–La fenêtre est ouverte, indiquai-je en m’approchant.
Elle donnait sur une ruelle obscure, mais il n’y avait personne en vue. Le tueur s’était volatilisé.
Une heure plus tard, des journalistes et des policiers arrivèrent sur les lieux, puis la scène de crime fut sécurisée par des experts. Je retournai à ma table pour finir mon café et me remettre à écrire. Que pouvais-je faire d’autre ? De toute façon, je n’aurais fait que perturber les autorités dans leur travail qui ne servait déjà pas à grand-chose.
Je bus une dernière gorgée de café et me remis à écrire.
Je tapotais sur mon clavier quand j’entendis quelqu’un sangloter. Je me sentis obligé de réagir.
–Emmanuel, je suis désolé pour toi, lui dis-je sans détourner ma tête de l’écran.
Il attrapa une chaise et s’assit à côté demoi.
–Monsieur Rojas, ça faisait des mois qu’on ne se parlait plus. Elle me reprochait d’avoir agi comme un connard.
Je fis une courte pause pour lui prêter attention, mais à vrai dire cela me dérangeait, car je voulais vraiment avancer sur mon manuscrit.
–Est-ce que ta famille est au courant ?
Il hocha la tête d’un air triste et me regarda dans les yeux. Je me sentis mal à l’aise.
–Vous êtes écrivain…
J’acquiesçai en jetant un coup d’œil à mon texte.
–J’aimerais être un personnage d’une de vos histoires, poursuivit-il en pleurant. Comme ça, vous pourriez écrire et changer ce qui vient d’arriver.
Il se frotta le visage, renifla discrètement, puis se leva et quitta mon champ de vision. Je baissai les yeux sans vraiment compatir, je n’avais jamais été très doué pour ça. Je pris mes affaires et me préparai à partir. Je devais passer devant les toilettes où un groupe de personnes était en train d’examiner la scène. Soudain, une voix attira mon attention.
–Excusez-moi !
C’était un beau jeune homme, ses cheveux étaient bouclés et il avait une silhouette athlétique. Il essayait de passer en force. Je fus surpris par sa ressemblance avec Jaime, le camarade de lycée que j’avais frappé après la fellation. Les gens ne faisaient pas attention à lui, ils continuaient à murmurer et à s’agglutiner au fond du restaurant.
–Hé ! lança-t-il après avoir été bousculé.
Un policier s’approcha de lui et le regarda avec mépris.
–Qu’est-ce que je peux faire pour toi, petit ? Tu es sur les lieux d’un crime.
–Bonjour, dit-il en tendant la main, mais le policier ne la serra pas. Je m’appelle Diego Cabezaset…
–Tu dis ça comme si tout le monde te connaissait.
–Je mène une enquête sur ces meurtres. Vous voyez, je suis écrivain…
–Et moi je suis Michael Jackson, répondit le policier d’un air moqueur. Sors d’ici ou bien je t’arrête pour nuisance.
–Mais je…
Le policier lui tourna le dos et s’éloigna. Diego baissa les yeux, il tenait un carnet dans ses mains et était apparemment prêt à noter chaque détail.
–Jamais un flic ne t’écoutera en agissant comme ça, gamin…
Il se retourna, vexé, puis me regarda de haut enbas.
–Qui êtes-vous ?
–Francisco.
–Très bien, vous devez certainement être un expert en la matière, alors.
Il retourna à son carnet et prit quelques notes en soupirant. Je le regardai, amusé, puis j’interpellai le même policier en lui faisant un signe de lamain.
–Bonjour, Monsieur, que s’est-il passé précisément ?
Je lui offris discrètement de l’argent. Il réfléchit pendant une seconde, le prit, puis il se mit à parler. Alors que le policier commençait son explication, j’attrapai ce Diego Cabezas par le cou en le rapprochant demoi.
–Oh ! Lâchez-moi ! s’exclama-t-il.
D’un geste, je lui ordonnai de se taire et le garçon commença alors à écouter.
–Une jeune femme d’une vingtaine d’années a été assassinée dans les toilettes. On ne sait pas comment l’agresseur a fait pour entrer puis sortir, peut-être par la fenêtre, mais il y a encore plusieurs pistes à étudier. Et pour ne rien arranger, les caméras ne montrentrien.
–Pourquoi soupçonnez-vous que c’est un homme qui l’a tuée ? demanda judicieusement Diego.
J’admirai un instant la rougeur laissée par la pression de ma main sur soncou.
–D’après les blessures et la façon dont elles ont été infligées, on présume que le criminel serait l’étrangleur de femmes, répondit-il de Diego. En effet, il ne s’agit pas d’un crime passionnel, mais d’un tueur en série. Cette victime a des points communs avec les autres victimes…
–Lesquels ? intervint encore Diego.
–Elles ont toutes le même âge, la même profession et les mêmes caractéristiques physiques.
–Y a-t-il autre chose, Monsieur l’agent ? demandai-je.
Le policier secoua la tête. Je regardais Diego pour bien lui signifier que je venais de lui donner une leçon.
–Tu me dois un billet gamin.
J’allais continuer mon chemin, mais il m’interpella.
–Attendez ! Je m’arrêtai et me retournai vers lui. Enchanté, Diego Cabezas.
Il me tendit la main que je serrai en prenant un air moqueur.
–Qu’est-ce que c’est que ce nom de clown !
–Très drôle, répondit-il, offensé.
–Tu es donc écrivain ? lui demandai-je en le dévisageant.
J’eus subitement l’impression de revenir trente ans en arrière et je me vis, moi, à l’époque de ma rencontre avec Jaime.
–C’est vrai, j’écris un roman basé sur des faits réels, plus précisément sur les féminicides commis au Mexique. Comme vous pouvez l’imaginer, cela me demande beaucoup de travail.
–Oui, j’imagine, répondis-je sarcastiquement. Je me souviens avoir abordé un thème similaire dans mon premier roman.
Diego fronça les sourcils.
–Vous êtes aussi écrivain ?
–Oui. Je m’appelle Francisco Rojas, tu as entendu parler demoi ?
–Non.
–Mes livres sont pourtant des best-sellers.
–Sérieusement ? Ses yeux s’illuminèrent. J’aimerais un jour avoir autant de succès !
–Ouais, hé bien travaille dur, mon garçon.
Je le regardais avec un certain dédain.
–Je ne suis pas un gamin, j’ai 28 ans.
–Arrête, d’après ce que je viens de voir, on dirait plutôt un môme de 10 ans. Si tu veux obtenir des informations de ce genre de personne, il faut que tu sois plus intelligent. Ils veulent tous quelque chose en contrepartie.
Je jetai un coup d’œil à l’horloge suspendue au-dessus des toilettes, puis reposai mon regard sur Diego. Le fantôme de Jaime continuait de me hanter et je me mis à penser aux sentiments que j’avais pu éprouver pour lui à l’époque.
–Tu as quelque chose à faire ?
–Mmm, maintenant ? Il arrangea une de ses mèches de cheveux d’un air efféminé.Non.
–Tu veux venir avec moi ? J’ai envie d’une bière.
–Boire un verre avec un auteur de best-sellers ? Carrément !
On continua de parler en nous dirigeant vers mon bar habituel à Garibaldi. À notre arrivée, Raul nous accueillit avec des cacahuètes, puis prit notre commande.
–Alors ?
C’est lui qui engagea la conversation.
–Et alors ? répondis-je en savourant fièrement ma bière.
–Vous allez m’apprendre ?
–T’apprendre quoi ?
–Vous avez plus d’expérience que moi, dit-il, hésitant. Vous pourriez m’aider.
–Diego, je ne suis pas professeur. En fait, je m’amusais de l’importance que ce gamin était en train de me donner Si c’est un conseil que tu veux, alors écoute bien : prends-toi en main, sors et vis tavie.
–C’est exactement ce que je fais, je ne suis pas peureux, vous savez ?
–Ah bon, c’est vrai ?
Je me mis àrire.
–Vous devez penser, comme la plupart des gens, que je suis juste un jeune rêveur insolent qui...
–Attends, attends, dis-je en levant la main. Insolent, ça ne fait pas de doute, mais je ne pense pas que tu sois si rêveur queça…
–Je pense qu’on me sous-estime, affirma-t-il. Mais une chose est claire pour moi. Un jour, je serai un grand écrivain. Et si quelqu’un d’aussi brillant que vous pouvait m’aider, ce serait génial.
Dubitatif, je le regardai en portant la bière à ma bouche quand il stoppa poliment mon geste.
–Tu te rends compte que tu m’empêches de boire ma bière ?
–Peu importe, dit-il en soupirant.
Mon estomac senoua.
–Voyons voir, Diego Cabezas. Montre-moi donc de quoi tu es capable.
Il releva la tête, tout excité, sortit un ordinateur portable de son sac à dos et l’ouvrit pour que je puisse jeter un coup d’œil à son travail.
–Mmm, pas mal… Et sinon, quand est-ce que tu te mets à écrire ?
–Que voulez-vous dire ?
–Tu veux écrire un roman, non ? Ça ressemble plutôt à un documentaire. Où est l’histoire ?
–Euh… hé bien dans le destin de toutes ces femmes assassinées… dit-il comme si c’était évident.
–Faux, lui répondis-je en élevant la voix. Tu ne leur donnes pas la parole. Elles méritent le respect, tu sais. Tu devrais donner la possibilité à ton lecteur de pouvoir entendre ce qu’elles ont vraiment à dire. Ton manuscrit est ennuyeux. Je préfère encore allumer la radio si c’est pour apprendre des faits divers.
–Comment dois-je m’y prendre, alors ?
–Hé bien, tu pourrais par exemple te concentrer sur l’histoire d’une femme en particulier et qui raconterait celle de toutes les autres. Mais la matière est là et tu as l’air d’avoir du talent.
Pensif, Diego but une gorgée de sa bière. Raul s’approcha de nous pour récupérer ma bouteillevide.
–Apporte-m’en une autre, Raul, s’il te plaît.
Il acquiesça et jeta, en s’éloignant, un regard séducteur à Diego qui le regarda de la même façon. « Petits pédés », pensai-je.
Il insista un moment avant que j’accepte de le revoir le week-end suivant. Les féminicides se multipliaient à Mexico, on pouvait presque dire que c’était devenu une mode dans la capitale. Mais, surtout, je sentais qu’une histoire était en train de naître entre Diego et moi. Et ce que je voulais par-dessus tout, c’était ressentir à nouveau des choses, vibrer.
1Le féminicide est le meurtre de femmes en raison de leur genre, généralement commis par des hommes. Il implique la violence de genre et est enraciné dans la discrimination systémique. C’est un crime qui va au-delà de l’acte lui-même, en tenant compte du contexte d’inégalité entre les genres.
2Considérée comme la plus ancienne d’Amérique, la rue Tacuba se trouve dans le centre historique de la ville de Mexico.
3La Fête de l’Indépendance au Mexique commémore le début de la lutte pour l’indépendance, le 16 septembre 1810, lorsque le prêtre Miguel Hidalgo a appelé à la rébellion. La tradition annuelle comprend le discours du président : tous les 15 septembre, dans la soirée, il prononce son cri, « Viva México ! », depuis le balcon présidentiel, pour célébrer l’indépendance obtenue en 1821.
4Les chilaquiles mexicains sont un plat composé de tortillas frites, nappées de sauce piquante et accompagnées de garnitures variées.
5Une petite ville située dans l’État de Colima, au Mexique.
« Une odeur de cendres », ce sont les mots que beaucoup utilisaient pour qualifier l’air de Mexico. Moi, je sentais surtout les poubelles et l’essence, et je trouvais qu’une atmosphère nostalgique se dégageait des rues de la capitale. Je la considérais comme une ville en deuil.
Ce matin-là, la nouvelle de l’assassinat par balles d’une jeune députée de Puebla avait fait la une des journaux. Les gens se demandaient si elle était vraiment visée ou si elle s’était simplement trouvée au mauvais endroit au mauvais moment.
Je pris mes couverts et me ruai sur les enchiladas à la sauce verte que j’avais commandées. Nous étions venus en famille dans un restaurant où mon grand-père m’amenait quand j’étais enfant ; il était situé dans la rue Motolinia, dans le centre historique. Il y avait encore des meubles vieux de plusieurs dizaines d’années datant de l’époque de l’ouverture des lieux. La lumière était tamisée et on avait l’impression de remonter le temps en entrant. C’était un endroit réputé pour le chocolat espagnol qu’ils servaient au dessert.
Je fixai l’écran de l’une des télévisions accrochées au mur. « À quoi ressemblerait-il, Docteur ? », demanda la journaliste. Un psychologue judiciaire nommé Adrián Ramírez était interviewé. L’entretien portait sur le profil psychologique de l’étrangleur de femmes. Jusqu’à présent, personne n’avait la moindre idée de son apparence physique et les gens commençaient à spéculer sur ce qui pouvait bien se passer dans satête.
« Il doit s’agir d’un antisocial, sûrement de quelqu’un d’impulsif. Il ne veut pas suivre les règles et préfère les enfreindre en imposant les siennes. Pour ce type de personne, il n’y a pas de vie affective possible, il n’a aucune empathieet… »
« Qu’en est-il des marques sur le cou des victimes ? De ce fameux triangle… » Le médecin resta silencieux pendant une seconde.
Une serveuse déposa devant moi la tasse de café que j’avais commandée.
–Papa, m’interpella ma fille aînée. Eh bien, tuvas…
–Attends, Isa.
Je lui coupai la parole sans quitter la télévision desyeux.
« Ce sont en partie des marques classiques de strangulation. Mais le fait qu’elles soient similaires à chaque assassinat pourrait nous faire penser à un acte compulsif. L’agresseur fait en sorte de laisser le même symbole à chaque fois. »
–Pour l’amour de Dieu, Francisco ! intervint Norma. On ne t’a pas vu depuis des jours. Est-ce que tu veux bien t’occuper de tes filles maintenant !
Elle me regarda avec insistance. Je soupirai en la maudissant, puis elle se leva pour aller aux toilettes après m’avoir traité d’idiot.
–Pardon, Isa, qu’est-ce que tu disais ?
–Je voulais savoir ce que tu pensais, papa, me dit Isa, blasée.
–À propos de quoi ?
–Papa, je viens de te dire ce que je voulais pour mon anniversaire, je vais avoir 11 ans. Tu as oublié ?
–Je suis désolé, ma chérie, j’étais distrait par latélé.
–Tu es comme ça depuis longtemps, non ? Ma maman nous l’a dit.
–Qu’est-ce qu’elle vous a dit ? demandai-je en plantant ma fourchette dans mes enchiladas6.
–Que tu nous mentais, dit Blanca qui, elle, avait 8 ans.
–Jamais je ne ferai ça, les filles, affirmai-je en prenant un ton rassurant.
–Alors papa… insista Isa. Tu vas m’acheter mon gâteau préféré oupas ?
–C’est lequel déjà ? demandai-je tout en sachant que j’avais tout gâché.
J’avais besoin d’une tequila.
–Je te l’ai dit papa ! Celui qu’ils vendent à la boulangerie où ils servent les vieilles dames, répondit-elle en se mettant en colère.
Je me rendis compte que cela faisait déjà un moment que je ne l’écoutaispas.
–Oui, ma chérie. Je vais te l’acheter.
–Papa, ajouta Blanca, tu vas partir de la maison ?
–Quoi ? Non, mes chéries, qui vous a mis cette idée dans la tête ?
Je portai mon café à la bouche et en bus une gorgée en imaginant que c’était un shot de tequila. Elles échangèrent un regard avec leur mère qui était revenue des toilettes. Je reposai ma tasse d’un geste ferme et me mis à manger en ignorant ma femme. Je ne voulais surtout pas que mes filles ou que les gens autour assistent à l’une de nos disputes.
–Papa, on peut aller se promener sur la place Principale après ? demanda Blanca alors que nous arrivions à la fin du repas.
–Oui, mon amour, répondit Norma.
–Mais merde ! C’est à moi qu’elle demande ! protestai-je. Puis je me tournai vers ma fille et en adoucissant ma voix, je lui répondis. Oui, nous pouvons ma chérie. Je vais payer l’addition.