Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Au XXI siècle, près de l’ancienne église d’Altkirch, le commandant Bertrand Morel découvre un manuscrit dissimulé dans le mur du cimetière. Intrigué, il fait appel à l’historien Henri Dubois, spécialiste du Moyen Âge, pour percer ses mystères. Ce document énigmatique semble lié à un secret laissé par Tancrède, un moine du Moyen Âge. Leur enquête les entraîne à travers la France, des abbayes ancestrales aux cryptes oubliées, en passant par des archives historiques. Mais chaque révélation s’accompagne de nouveaux dangers : menaces, manipulations et rivaux acharnés tentent de contrecarrer leur quête. Entre passé et présent, ce voyage captivant dévoile un héritage redouté que certains préféreraient garder à jamais dans l’ombre.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Christian Lidin nourrit depuis toujours une fascination pour les mystères historiques et les récits intimes des siècles passés. Inspiré par des lieux empreints d’histoire, il signe ici un roman où chaque découverte revit à travers les yeux de ses personnages, invitant les lecteurs à explorer les secrets du Moyen Âge et les défis modernes de la quête de vérité.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 539
Veröffentlichungsjahr: 2025
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Christian Lidin
Le trésor du Saint
Roman
© Lys Bleu Éditions – Christian Lidin
ISBN : 979-10-422-6099-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À ceux qui cherchent au-delà de l’or un trésor d’esprit et de foi.
Dans ce roman, le commandant Bertrand Morel mène sa toute première enquête, tout comme je publie ici mon tout premier livre. J’espère que ni lui, ni moi ne nous arrêterons à cette seule aventure, celle du Trésor du Saint.
Christian Lidin
Mardi 17 mars de l’an 1215
Prieuré d’Altkirchen
Des voleurs avaient pénétré le prieuré en plein cœur de la nuit, laissant derrière eux un mur brisé et une confusion grandissante. L’abbé prieur Bernegarius se tenait devant les pierres éparpillées, profondément perplexe. Que cherchaient-ils, ces intrus audacieux ? Rien n’avait été volé, du moins rien de visible.
— Mais comment ont-ils pu faire cela sans alerter personne ? dit-il en scrutant les ruines du mur. La question le hantait : pourquoi s’attaquer à un prieuré isolé, loin de toute richesse matérielle ? Et si leur objectif était autre chose, quelque chose d’invisible aux yeux des hommes ? Une crainte sourde s’installait dans son esprit, un pressentiment que cet acte ne présageait rien de bon.
— Mince, murmura-t-il, scrutant l’éboulis s’étalant sur une longueur d’au moins vingt mètres.
La responsabilité de la maçonnerie incombait au père Alcuin, mais l’abbé se demandait si celui-ci était le choix adéquat pour cette tâche. Une interrogation planait dans son esprit. Était-il la personne appropriée pour ce travail délicat ?
L’abbé savait qu’un groupe de bâtisseurs compétents travaillait dans le village voisin, sur la colline, à ériger des murailles pour le hameau d’Altkirchen. Il commença donc à envisager sérieusement de solliciter leur aide.
Il était désormais convaincu de la nécessité de cette démarche.
En tant que seul responsable du prieuré, l’abbé, élu par les moines selon la tradition par un vote secret et confirmé par le Saint-Siège, était un homme d’une grande bonté, grand et mince, marqué par les rigueurs du temps. Il assumait les rôles simultanés de chef religieux et d’administrateur depuis plus de vingt ans.
L’histoire du prieuré remontait à Frédéric Ier de Montbéliard, comte de Ferrette, qui fit don à l’ordre de Cluny de la petite église Saint Christophe d’Altkirchen. Initialement en bordure de l’Ill, le prieuré lui-même fut fondé en 1115, lorsque les moines s’y installèrent de manière permanente.
Au fil du temps, le prieuré s’était étendu, comprenant une église, un dortoir, un réfectoire, et un cloître du côté droit. Du côté gauche, des extensions avaient été ajoutées, telles qu’une infirmerie, un pigeonnier, et un bâtiment où les moines broyaient des céréales et utilisaient un four pour la fabrication du pain. Récemment, l’abbé avait fait construire un scriptorium, où les moines pouvaient se consacrer à l’écriture de textes.
Derrière l’église s’étendait un vaste potager où prospéraient une variété de légumes tels que le pois chiche, le fenugrec et la fève. Un espace dédié aux plantes maraîchères abritait le chou-rave, le navet, le poireau, l’échalote, l’ail, ainsi que la bardane. Les potherbes, comme la laitue, la roquette, la chicorée, et la betterave, trouvaient leur place sur les hauteurs à l’extérieur de l’enceinte.
Du côté baigné de soleil, on découvrait les aromates et les condiments. C’est ici que l’abbé aimait flâner, s’imprégnant des fragrances harmonieuses du romarin et de l’anis qui se mêlaient dans l’air, chatouillant délicatement ses narines. Le potager abritait également la culture du persil, du fenouil, de la coriandre, et de la sarriette. C’était un coin où la nature généreuse s’exprimait en une symphonie de saveurs et d’arômes.
Plus loin, dans les champs étendus au-delà des murs, les moines se consacraient à la culture des céréales. En Alsace, la météo capricieuse ne facilitait pas toujours la production de récoltes abondantes. L’orge, le blé froment, le millet et l’avoine figuraient parmi les principales céréales essentielles à la subsistance du prieuré. Ces champs s’étiraient en parallèle à la rivière serpentant le long de la vallée, une image paisible et nourricière au cœur de la vie monastique. Les moines, avec dévouement, s’efforçaient de tirer le meilleur parti des terres, malgré les aléas capricieux de la météo locale.
Il gérait habilement les affaires de cet édifice avec les modestes ressources dont il disposait. La nécessité de consolider le mur sud du prieuré, fait de petites pierres généralement non taillées et ramassées çà et là, devenait impérative pour garantir sa stabilité et assurer la sécurité des lieux. Il devenait urgent de faire appel à une aide extérieure. Avec détermination, il opéra un demi-tour et se dirigea rapidement vers l’entrée de l’église.
Il était sept heures du matin, et l’abbé se félicitait du serment qu’il venait de prononcer dans la grande salle capillaire. Il avait expliqué son intention de solliciter de l’aide pour consolider le mur après avoir réparti les tâches quotidiennes parmi les différents moines. Assis sur son lit, il attacha ses sandales et se dirigea vers la colline qui se profilait à l’horizon depuis le prieuré.
Sur celle-ci, un petit château avait été érigé, attirant de nombreux villageois qui commençaient à s’y installer aux alentours en grand nombre. Des artisans venus de tous les coins de la France, tels que des tailleurs de pierres, des maçons, des charpentiers et des verriers, s’étaient déjà installés aux abords du château, offrant leurs compétences au maître des lieux. Le trajet durait environ 20 minutes, et sous le doux soleil printanier, l’abbé avançait d’un pas décidé malgré ses 70 ans. Ce n’était pas la distance qui le ralentissait, mais plutôt l’ascension vers le château perché sur la colline. Lorsqu’il atteignit enfin son objectif, il ressentit un profond soulagement. Ce n’était pas anodin, surtout pour lui qui avait déjà commencé sa journée à six heures avec l’office de prime, suivi d’une réunion. Il n’avait rien mangé depuis le souper de dix-huit heures la veille au soir. Son corps, élancé et marqué par le temps, témoignait d’une vie bien remplie. C’était jour de foire, et l’endroit bourdonnait d’activité. Paysans, marchands, artisans et voyageurs se pressaient autour des étals, échangeant nouvelles et marchandises.
Parmi la foule, l’abbé aperçut un homme robuste d’une trentaine d’années, portant une ceinture d’outils à sa taille. Il était buriné par les années de travail sous le soleil et la pluie. L’abbé le reconnut immédiatement : c’était Firmin, un maçon venu d’une région lointaine. Il avait entendu parler de lui bien avant de l’aborder, Firmin étant réputé pour sa compétence et avait un besoin urgent de travailler. Ses vêtements simples et ses outils bien usés témoignaient de son expérience et de ses capacités.
L’abbé s’approcha de Firmin, le saluant respectueusement.
— Bonjour, maître Firmin. J’ai entendu dire que vous étiez un maçon à la recherche de travail. J’aurais besoin de vos services pour réparer ou reconstruire le mur extérieur de notre prieuré. La tempête récente l’a en partie endommagé, et des brigands ont aggravé les dégâts, ce qui nécessite désormais une attention immédiate. Firmin, les yeux pétillants de la promesse d’un travail, hocha la tête, attentif aux paroles de l’abbé.
— Je serais honoré de vous aider, mon père. Montrez-moi le mur, et je verrai ce que je peux faire.
Ils se dirigèrent ensemble vers l’église du prieuré, et le trajet leur offrit l’occasion de discuter tranquillement. Lorsqu’ils arrivèrent sur place, Firmin s’approcha du mur endommagé, observant attentivement les pierres déplacées et les fissures apparentes.
— Le travail sera ardu, dit-il après un moment de réflexion, mais pas impossible. Avec de bons matériaux et un peu de temps, je pourrai remettre ce mur en état et le consolider.
L’Abbé Bernegarius, soulagé, inclina la tête en signe de reconnaissance.
— Que Dieu vous bénisse pour votre aide, maître Firmin, répondit-il. Vous rendrez à ce prieuré son intégrité. Votre aide est précieuse, maître Firmin. Les prêtres et moi-même serons à vos côtés pour fournir tout le soutien nécessaire. Nous avons foi en votre talent.
Firmin avait accepté l’emploi proposé par l’abbé, à un tarif standard de deux sous par jour et le repas de midi inclus. En tant que maçon qualifié, souvent appelé « supérieur », il maîtrisait également l’art de tailler la pierre avec une grande précision.
L’abbé lui demanda :
— Quand pouvez-vous commencer les travaux ?
Firmin, toujours prompt à répondre, leva les yeux vers lui et répondit avec assurance :
— Dès demain, si cela vous convient, mon père.
Originaire du centre de la France et marié à Gertrude, Firmin accepta l’offre sans discuter du prix. Comme beaucoup de maçons, il n’avait pas travaillé depuis la trêve hivernale, qui débutait le 11 novembre, jour de la Saint-Martin, marquant la fin des chantiers jusqu’au printemps. L’abbé, satisfait, serra la main de son nouvel ouvrier saisonnier.
Il était 10 heures et le travail battait son plein au prieuré lorsque l’abbé fit son apparition. Les moines vaquaient à leurs tâches respectives, sous l’œil vigilant du Père Baudry, le prieur qui secondait l’abbé en s’assurant que tout se déroulait harmonieusement. L’abbé se dirigea vers le scriptorium, un lieu qu’il chérissait particulièrement. C’était un espace dédié à l’écriture, créé par ses soins et reflétant sa passion pour les livres.
Le scriptorium était un choix inhabituel pour un petit prieuré, souvent dépourvu d’un tel sanctuaire d’écriture. En règle générale, les moines copistes travaillaient dans le calme de leur propre cellule. Cependant, l’abbé avait décidé de doter le prieuré de cet espace dédié à la création écrite, procurant ainsi aux moines un lieu idéal pour la rédaction et la copie des écrits sacrés. Le père Bernegarius éprouvait une fierté légitime en contemplant ce qu’il avait érigé. La salle n’était pas immense, mais elle était pourvue de vastes fenêtres ornées de vitraux imposants. Quatre postes de travail y étaient installés, chacun équipé d’une table et d’un banc. Chaque copiste disposait de ses outils, comprenant une plume, un calame et un grattoir pour d’éventuelles corrections.
Le frère Tancrède avait été désigné par le père Abbé comme Armarius, c’est-à-dire bibliothécaire. Il était directement sous l’autorité de l’abbé. L’accès à la salle était strictement contrôlé par Tancrède, et aucun autre moine ne pouvait y pénétrer sans son autorisation. Cette mesure renforçait la confidentialité et l’ordre au sein du scriptorium, préservant l’intégrité du travail des copistes.
— Bonjour, Frère Tancrède, lança le père Abbé en refermant la porte derrière lui.
— Bonjour, père Abbé, répondit-il en s’approchant de lui, un pot à la main.
— Puis-je vous demander une nouvelle préparation d’encre noire ? Il nous en reste juste assez pour terminer le travail d’aujourd’hui.
— Bien entendu, je m’occuperai de cela ce soir après les vêpres.
— J’ai demandé à Frère Ferdinand de vous fournir la noix de galle, le sulfate de fer et la sève pour votre préparation, conclut Tancrède.
Le Père Abbé avait lui-même été copiste et enlumineur lorsqu’il était moine au monastère de Cluny. C’est là-bas qu’il avait acquis toutes ses connaissances sur les différentes étapes de la préparation de l’encre et du papier. Son astuce personnelle pour fixer l’encre était la fabrication d’un liant à base d’œufs et de résine d’acacia.
Aujourd’hui, cependant, sa priorité était de s’occuper des postulants. Ces derniers étaient des laïcs ou des clercs qui aspiraient à rejoindre la communauté. Il devait les examiner et les mettre à l’épreuve pendant quelques jours. Si leur engagement et leur adaptabilité étaient confirmés, il pourrait alors les accueillir en tant que novices dans la communauté monastique.
À l’intérieur de l’enceinte du prieuré, cinq novices suivaient une formation rigoureuse depuis près d’un an. À l’issue de cette période, ils devraient franchir une nouvelle étape et devenir moines profès. Cela signifiait qu’ils étaient prêts à s’engager pleinement dans la vie monastique. S’ils étaient acceptés, ils prononceraient les trois vœux fondamentaux : stabilité, chasteté et obéissance, marquant ainsi un moment décisif dans leur parcours spirituel et leur dévouement à la communauté monastique.
L’abbé était satisfait d’avoir deux postulants, conscient que l’augmentation du nombre de moines renforcerait la réputation du prieuré. Quant aux cinq moines profès, il avait déjà réfléchi à leurs futures affectations. Il était essentiel de renforcer les équipes de l’infirmier, du camérier et du chantre, tout en augmentant le nombre de moines portiers pour gérer l’afflux constant de voyageurs et de malades à l’entrée du prieuré. Ils seraient aussi chargés de distribuer des aumônes, notamment du pain et des vêtements, aux pauvres qui se présentaient.
Pendant ce temps, Firmin achevait de préparer ses outils pour son nouveau travail au prieuré, tandis que sa femme Gertrude s’occupait du repas.
— Ce soir, ça sera une bouillie de légumes et du pain, annonça-t-elle.
Firmin s’était déjà installé dans sa hutte, occupé à calculer les deux sous qu’il gagnerait chaque jour. Si le chantier se prolongeait comme prévu, pendant deux mois, il pourrait accumuler une somme totale de 120 sous, soit l’équivalent de 6 livres. Sa femme, Gertrude, enceinte, avait besoin d’un repas quotidien, quoi qu’il en coûte.
De retour de Strasbourg, où la construction d’une cathédrale avait été suspendue, il avait décidé de chercher des opportunités ailleurs. C’est ainsi qu’il avait fait escale à Altkirchen, à 150 kilomètres à l’est. Ils s’étaient arrêtés ici, car Gertrude, dans les derniers mois de sa grossesse, éprouvait des difficultés à marcher. Ils s’étaient installés sur les coteaux près du château en construction, cherchant une stabilité et un avenir meilleur. Les deux sous par jour offerts par le prieuré étaient une aubaine bienvenue pour ce couple en quête de nouvelles perspectives.
En tant qu’artisan expérimenté, il préparait déjà mentalement son chantier. Il lui fallait des pierres taillées et du mortier. Pour les pierres, il s’était arrangé avec les maçons qui travaillaient pour le château. Il pourrait récupérer les pierres non utilisées, avec l’approbation du Châtelain Frédéric II de Ferrette, et ce don aurait un impact considérable sur le projet de l’abbé. Le sable et la chaux détrempée seraient fournis par le prieuré.
Après avoir terminé sa soupe au clair de lune, Firmin se retira dans sa petite hutte temporaire, édifiée près du castel, pour se coucher. Pendant ce temps, Gertrude resta un moment à contempler le ciel étoilé avant de le rejoindre un peu plus tard.
Une nuit paisible s’annonçait avant une journée de travail ardu.
L’office des laudes s’était achevé à 4 h 30, laissant aux moines un temps de repos jusqu’à 6 h avant l’office de prime.
Firmin observait l’ampleur des dégâts. Le mur, d’une longueur d’au moins vingt mètres sur une hauteur d’un mètre cinquante, montrait des signes d’effondrement imminent. La moitié des pierres s’étaient déjà écroulées, et l’autre moitié ne tarderait probablement pas à suivre. Deux moines étaient présents en renfort pour aider Firmin dans son travail.
— La première chose à faire est d’enlever toutes les pierres et de trier celles que nous allons conserver, annonça-t-il, conscient de la tâche ardue qui les attendait pour remédier à la situation.
Les moines se mirent au travail immédiatement. Firmin, quant à lui, enfonça un bâton dans le sol, noua une ficelle et la tira sur toute la longueur du mur. Il planta un deuxième piquet et l’attacha solidement, veillant à ce qu’elle soit tendue au maximum. Un peu plus loin, il installa un bac en bois pour préparer le mortier nécessaire à la construction d’un mur solide.
Pour la préparation du mortier, il avait besoin de chaux et de sable. Heureusement, le châtelain avait fait livrer au prieuré le minimum requis pour la fabrication du mortier. Cependant, en raison des limitations budgétaires, il devait se restreindre à utiliser du mortier dit « pauvre », un mélange de sable et d’une quantité minime de chaux. Le sable fin était prélevé dans le lit de l’ILL, situé à quelques mètres du chantier.
Après une journée de travail intense, Firmin contemplait le résultat de leurs efforts. Tout était prêt pour commencer à monter le mur dès le lendemain matin. Les moines avaient accompli un travail colossal en démontant le vieux mur, ne s’arrêtant que quelques minutes pour manger. L’Abbé avait dispensé les prières pour la journée, reconnaissant l’ampleur de la tâche à accomplir.
Le lendemain, l’Abbé désigna Tancrède pour aider à la construction du mur en tant que mortelier. Bien qu’étant copiste, il n’avait aucune expérience dans le travail du mortier. Cependant, il comprenait l’importance d’être polyvalent pour assurer le bon fonctionnement de son prieuré. Prêt à relever le défi, Tancrède se mit au travail, déterminé à contribuer de toutes les manières possibles, même dans des domaines qu’il n’avait pas explorés auparavant.
— Je vais t’expliquer ce que tu as à faire, lui dit le maçon. Il faut ajouter le sable à la chaux et bien malaxer le tout. Puis, quand ce sera prêt, il faudra ajouter l’eau et mélanger à nouveau. C’est ce que l’on appelle le gâchage.
— Ça n’a pas l’air très compliqué, répondit Tancrède. Firmin sourit tout en lui tendant une raclette pour mélanger et écraser les blocs trop compacts de sable. Le travail d’équipe entre le copiste et le maçon débutait, chacun apportant ses compétences : Firmin avec sa maîtrise du mortier et des matériaux, et Tancrède avec sa précision et son attention aux détails.
Après plusieurs heures de malaxage sous le soleil printanier quelques jours plus tard, Tancrède comprit soudainement le sourire malicieux de Firmin. Au fil des semaines, un nouveau mur s’élevait doucement de terre, jour après jour, prenant forme vers le ciel. C’était un ouvrage magnifique, rectiligne, dont aucune pierre ne dépassait. Firmin avait pris le temps de les tailler une par une. En venant d’Altkirchen par le chemin de pierre, c’était le premier élément qui attirait le regard à l’approche du prieuré. Tancrède ressentait une fierté personnelle pour son travail, même si tout le mérite revenait au bâtisseur Firmin.
Nettoyant les outils prêtés par le maçon pour cette tâche, Tancrède contemplait le mur en construction. Son formateur en maçonnerie avait achevé sa journée et était parti rejoindre sa femme. Assis dans l’herbe, face au mur, il observait le soleil qui commençait à se coucher, teintant le ciel de nuances roses. Il en conclut qu’il ferait probablement beau demain.
Jeudi 14 août 2025
Altkirch, Alsace
Le réveil affichait 4 h 30 lorsque Bertrand entendit son téléphone sonner. Se tournant vers sa table de nuit, il le saisit de la main droite. Dans l’obscurité de la chambre, l’écran rétroéclairé révéla le nom « Commissariat ».
— Allô ? dit-il, un bâillement étouffé dans la voix.
— Bonjour, Commandant. C’est l’officier de permanence. Nous avons besoin de vous.
— C’est pour quoi ?
— Un suicide.
— Prévenez le légiste et l’équipe habituelle. J’arrive.
Bertrand raccrocha et se leva d’un bond. Sa femme, encore plongée dans le sommeil, se tourna sur le côté et murmura, à demi endormie :
— Le travail ?
— Oui, répondit-il en l’embrassant doucement sur le front. Rendors-toi.
Bertrand, qui s’était couché tard, se demandait une fois de plus pourquoi il avait choisi ce métier. Bien qu’il fût plutôt intelligent et qu’il eût fait des études de droit, il avait finalement opté pour la police par vocation. Pourtant, dans ces moments difficiles, il se demandait si ce choix avait vraiment été le bon. En tant que commandant, il dirigeait la brigade des affaires criminelles dans un commissariat, un rôle exigeant qui, parfois, le poussait à douter de lui-même.
Debout et habillé en moins de trois minutes, il se dirigea vers la cuisine et alluma sa machine à expresso. Sans son café noir, il savait que la journée ne pourrait bien commencer. Il prit un moment pour le savourer, pensant qu’il arriverait sûrement avant le médecin légiste, étant donné qu’il était géographiquement plus proche du lieu du rendez-vous.
Quelques minutes plus tard, il démarra sa voiture. Le cadran du tableau de bord s’illumina et l’horloge afficha 4 h 55.
Il était presque 18 h lorsqu’il quitta le commissariat, roulant en direction de chez lui sous un ciel dégagé d’une belle journée d’été. Pour la troisième fois consécutive, il était d’astreinte. Avec un collègue malade et un effectif réduit, il n’avait guère le choix. Les journées devenaient de plus en plus longues, et les cernes sous ses yeux en témoignaient sans qu’il ait besoin de le dire. Bertrand, presque quinquagénaire, conservait une élégance naturelle et un corps de sportif, un physique qui ne laissait pas indifférent et attirait souvent l’attention des femmes.
Il était marié à Sandrine, sa cadette de quatre ans. Leur rencontre remontait au lycée, et depuis, ils ne s’étaient plus quittés. De cette union étaient nés Edouard et Bérénice.
Dans sa petite voiture, il roulait la fenêtre ouverte, écoutant sa radio préférée qui diffusait souvent des titres des années quatre-vingt. Ce jour-là, il devait s’arrêter voir son père, hospitalisé à cause d’un problème pulmonaire. Son père avait atteint les quatre-vingts ans quelques mois plus tôt. Grand fumeur depuis son service militaire, où les cigarettes faisaient encore partie des rations, il n’avait jamais cessé de fumer, jusqu’à son premier jour d’hospitalisation.
Son cancer des poumons était maintenant au stade 4. Il faisait la navette entre la réanimation et son petit appartement. Hospitalisé depuis une semaine, il avait été admis aux urgences, et ses jours étaient maintenant comptés. Bertrand se sentait toujours mal à l’aise dans ces situations, simple spectateur face à la tristesse de la situation. Après une journée difficile, il devait s’y arrêter, car depuis son admission, il n’avait pas eu le courage ni le temps d’aller lui rendre visite. Son père était maintenu en vie artificiellement, le voir dans cet état, attaché à ces machines, le rendait malheureux.
L’hôpital Saint Morand d’Altkirch avait été construit en 1828 sur les lieux de l’ancien prieuré. De nos jours, l’hôpital occupe toujours les bâtiments et s’est agrandi et modernisé. Une église reconstruite en 1886 est accolée à l’hôpital actuel. Pour s’y rendre, il existe deux entrées. L’une, principale, se trouvant sur la rue du 3e Zouave et une autre petite près de l’Ill. Bertrand préférait toujours cette entrée car elle possédait un petit espace de stationnement, et le lieu était beaucoup plus convivial. Du parking, il fallait passer devant l’église. Celle-ci lui rappelait son enfance. Il avait été baptisé, puis il y avait fait ses deux communions. Il se souvenait souvent, lorsqu’il était servant de messe, des fous rires lors des célébrations, provoquant les grimaces de monsieur le curé.
La visite fut de courte durée. Une fois sorti, il respira un long moment cet air frais qui manquait cruellement à son père. Les médecins n’avaient pas été optimistes. Le temps qu’il lui restât était désormais limité. Devant l’entrée de l’église se trouve un banc situé près d’un marronnier, offrant un espace où les patients en état de marche, les visiteurs ou les fumeurs peuvent se reposer quelques instants, discuter et prendre l’air, loin de l’agitation hospitalière. Bertrand décida de s’asseoir afin de reprendre un peu de répit. Les médecins ne lui avaient pas annoncé de bonnes nouvelles, mais là, il se sentait bien. Il pouvait un peu récupérer de cette journée qui se finissait par une mauvaise nouvelle. Le soleil se couchait au loin. Une petite brise chaude lui faisait rappeler l’été alsacien. De l’endroit où il était assis, il avait vue sur l’entrée du petit cimetière. Quelques tombes avaient survécu à la restructuration de l’ancien cimetière. Il se remémorait les tombes, et en particulier celle d’un chevalier, qui l’avait toujours impressionné. Elle se trouvait à droite du petit chemin menant à l’entrée de l’église, impossible à rater. Enfant, il s’était souvent arrêté devant pour lire l’épitaphe. Aujourd’hui, elle n’existait plus. La tombe la plus ancienne remontait à 1595. Il se souvenait avoir lu dans le journal local que la restructuration du cimetière avait réduit le nombre de tombes, passant de 248 en 1846 à 159 en 1983, date de la dernière modification.
Il regardait près du mur, où se situait l’ancienne tombe du chevalier. Il ne se rappelait plus son nom, mais savait encore exactement où elle se trouvait. En essayant de retrouver des repères, il remarqua soudain quelque chose dans le mur de pierre. À distance, il ne parvenait pas à identifier de quoi il s’agissait. Il regarda sa montre, qui indiquait presque vingt heures. Il était temps de rentrer, mais avant de partir, il décida de vérifier l’anomalie qu’il avait remarquée dans le mur. Pour entrer dans le cimetière, il fallait pousser une vieille grille qui restait souvent ouverte, bien que personne ne vienne plus depuis longtemps fleurir les vieilles tombes. Il s’avança de deux mètres à l’intérieur en direction de l’entrée de l’église. Sur sa droite, dans le mur, il vit une petite partie du haut du mur qui s’était écroulée. Et c’est à ce moment que son regard s’arrêta sur un objet qui dépassait du mur. Il enleva une autre pierre puis une deuxième. Il découvrit un livret enveloppé dans ce qui restait d’un tissu dont les fibres s’étaient décomposées avec le temps.
Bertrand prit délicatement le livret dans ses mains. Il était surpris de découvrir un objet aussi ancien dans le mur de l’église. Il remarqua également une inscription taillée sur la pierre avec des chiffres romains. Intrigué, il prit une photo sans vraiment y prêter attention, se disant qu’il pourrait y revenir plus tard si cela s’avérait important. Avec précaution, il déplia le tissu décomposé qui entourait le livret. Le papier jauni et usé révélait des pages écrites à la main. Intrigué, il commença à parcourir les premières lignes. Le texte était en latin, et Bertrand, bien que n’étant pas un expert en langues anciennes, parvenait à déchiffrer quelques mots. C’était clairement un document ancien, peut-être même un écrit médiéval. L’excitation grandissait en lui à mesure qu’il explorait les pages.
Pris par la curiosité, il décida d’emporter sa trouvaille chez lui. Il le plaça soigneusement dans un sac en plastique qu’il gardait toujours avec lui, ainsi que dans des gants en latex destinés à protéger les pièces à conviction lors de ses enquêtes. Il se promit d’effectuer des recherches plus approfondies plus tard. En quittant le cimetière, il ne pouvait s’empêcher de se demander quel mystère ce document ancien pourrait peut-être révéler sur l’histoire du prieuré d’Altkirch. Il rentra chez lui, emportant avec lui ce trésor historique. Sandrine, sa femme, remarqua son regard pensif dès son entrée.
— Qu’est-ce qui te tracasse, chéri ? demanda-t-elle.
Bertrand hésita un instant, puis il partagea l’histoire de la découverte du document dans le mur du cimetière à l’endroit de l’ancien prieuré d’Altkirch. Il lui montra avec précaution le livret enveloppé dans le tissu délicat.
— Imagine, Sandrine, cela pourrait contenir des informations sur la vie des moines qui ont vécu ici il y a des siècles.
Sandrine, comprenant l’importance de la découverte, lui assura de son soutien. Ils décidèrent de ranger le document en lieu sûr pendant la nuit.
Le lendemain matin, Bertrand se leva tôt. Il prépara un café fort, puis se dirigea vers son bureau où il avait soigneusement déposé le livret. Il s’assit, déplia le tissu, et observa avec attention les pages jaunies du document. La curiosité et l’excitation le poussaient à en apprendre davantage sur le passé mystérieux du prieuré. Il décida dans un premier temps de contacter des experts en histoire médiévale pour étudier le texte de plus près. Ainsi débuta une nouvelle phase dans la vie de Bertrand, mêlant enquêtes contemporaines et mystères anciens, tout en préservant et découvrant le passé du prieuré d’Altkirch.
Bérénice, la fille de Bertrand, rentra chez elle après une courte journée à l’université. Elle trouva son père dans le bureau, absorbé par un vieux document qu’il tenait avec précaution. Intriguée, elle s’approcha.
— Papa, qu’est-ce que tu tiens là ? demanda-t-elle.
Son père releva les yeux, ses pensées momentanément arrachées du livret ancien.
— C’est une découverte étonnante, Bérénice. J’ai trouvé ça dans le mur de l’enceinte au vieux prieuré d’Altkirch.
Bérénice, qui ne partageait pas la même passion pour l’histoire que son père, s’assit à ses côtés pour examiner l’ouvrage de plus près. Les deux partagèrent des théories sur ce que cela pourrait contenir et comment cela pourrait éclairer le passé mystérieux du prieuré.
— Tu devrais montrer ça à des experts, papa. Ça pourrait être une révélation historique majeure ! s’exclama Bérénice, un peu excitée par la possibilité d’être impliquée dans quelque chose d’aussi significatif.
Bertrand hocha la tête.
— C’est exactement ce que je compte faire. Mais c’est aussi une responsabilité, Bérénice. C’est peut-être notre histoire, celle d’Altkirch, et nous devons la traiter avec le plus grand respect.
Les deux se lancèrent dans une discussion animée, mêlant les aspects historiques et les implications possibles pour leur petite ville alsacienne. Bérénice se demandait comment cette découverte allait non seulement influencer leur vie personnelle, mais aussi avoir un impact sur l’histoire plus large de la région.
— Papa, pourquoi ne pas contacter dès maintenant le professeur Dubois que j’avais au Lycée ? Peut-être pourrait-il nous donner des indices précieux sur la provenance de ce document, suggéra Bérénice avec une pointe d’excitation dans la voix, ses yeux brillants d’une curiosité insatiable.
Le professeur Dubois, ancien professeur d’histoire de Bérénice, était connu pour sa vaste connaissance des anciens documents historiques. Passionné et toujours prêt à aider ses élèves, il avait souvent partagé des anecdotes fascinantes sur ses découvertes en classe. Elle se souvenait particulièrement de sa récente leçon sur les parchemins médiévaux, qui semblait être directement liée au document mystérieux que son père venait de trouver. Bertrand acquiesça, convaincu de la pertinence de la suggestion de sa fille. Il se dirigea vers son bureau, alluma son ordinateur et chercha les coordonnées du professeur Henri Dubois. Une fois trouvé, il composa le numéro de téléphone et attendit que la sonnerie se transforme en une voix familière à l’autre bout de la ligne.
Bertrand, un léger stress perceptible dans sa voix, attendit que le professeur Dubois décroche. Au bout de quelques sonneries, une voix distinguée se fit entendre à l’autre bout de la ligne.
— Professeur Dubois à l’appareil, A qui ai-je l’honneur ?
Bertrand répondit :
— Monsieur Dubois, bonjour, c’est Bertrand le père de Bérénice une de vos anciennes élèves. Je m’excuse de vous déranger à cette heure-ci. J’ai fait une découverte plutôt exceptionnelle et j’aurais besoin de votre expertise en histoire médiévale.
Intrigué, il demanda :
— Quelle découverte avez-vous faite ? Vous piquez ma curiosité. Expliquez-moi tout.
Bertrand lui décrivit brièvement la découverte du recueil ancien caché dans le mur du cimetière d’Altkirch. Il mentionna la période médiévale des moines et l’importance historique potentielle du document.
Le professeur, enthousiaste, s’exclama :
— C’est fascinant ! Je ne peux pas résister à l’opportunité d’analyser un artefact historique. Pourriez-vous m’en dire plus sur le document ?
Bertrand, enthousiaste, partagea davantage d’informations sur le contenu du livret, soulignant son état de conservation surprenant malgré sa grande ancienneté.
De plus en plus captivé, le professeur proposa :
— Bertrand, je suis prêt à vous aider dans cette affaire. Pourquoi ne pas se rencontrer chez moi demain matin ? Vous pourrez m’apporter le texte ancien, et nous pourrons discuter plus en détail de cette découverte. Bertrand accepta l’invitation avec gratitude et fixa le rendez-vous pour le lendemain. Une fois raccroché, il se tourna vers Bérénice avec un sourire confiant.
— Demain, nous aurons peut-être enfin des réponses à nos questions.
L’historien était également réputé pour son approche pédagogique engageante, utilisant des anecdotes historiques et des récits captivants pour rendre l’histoire vivante et accessible à tous. Son bureau, rempli de livres poussiéreux et de cartes anciennes, témoignait de son dévouement envers la recherche et l’exploration du passé.
Il était veuf et avait une fille nommée Élise, une intellectuelle qui, comme son père, avait choisi la voie de l’histoire. Historienne respectée en France, elle se spécialise dans l’étude du Moyen Âge. Son parcours académique l’a menée dans des universités prestigieuses, où elle s’est passionnée pour les dynamiques politiques, sociales et culturelles de l’époque. Elle obtint un doctorat en histoire médiévale, et sa thèse, Le rôle des femmes dans la société médiévale française : entre pouvoir et marginalisation (XIIe – XIVe siècle), fut saluée pour sa rigueur et son originalité.
Après ses études, Élise devint professeur dans plusieurs institutions renommées. Elle se distingua par sa capacité à rendre l’histoire médiévale vivante et accessible à ses étudiants, tout en leur inculquant une approche critique et méthodologique rigoureuse.
En dehors de l’enseignement, Élise poursuit des recherches approfondies sur le Moyen Âge. Bien qu’elle préfère rester discrète, elle partage souvent ses connaissances lors de conférences et d’événements publics. Elle participe également à la vulgarisation de l’histoire médiévale à travers divers médias, rendant cette période fascinante accessible à un large public.
Elle avait rencontré son mari, David, un médecin renommé dans son domaine, lors de ses études universitaires. Âgé d’une trentaine d’années, David avait une allure soignée. Ses yeux bleus, dissimulés derrière des lunettes discrètes, lui donnaient un air à la fois concentré et apaisant. Sa silhouette élancée et sa posture droite témoignaient de la confiance en soi qu’il avait développée au fil de ses années en salle d’opération. Ses cheveux châtain clair, toujours impeccablement coiffés, complétaient son apparence sérieuse mais accessible. Le couple avait décidé de s’installer en Australie, où David avait été choisi pour contribuer à des projets de recherche médicale avancée.
Bien que la distance géographique les séparât, le lien entre le professeur Dubois et sa fille demeurait fort. Ils entretenaient une correspondance régulière, échangeant lettres, photos et nouvelles. Élise était fière de partager avec son père les moments marquants de sa vie en Australie, tandis que le professeur Dubois, malgré la distance, continuait de la guider avec ses conseils et son amour pour l’histoire. Éminent historien à l’université de Strasbourg, il avait toujours été plongé dans les méandres du passé, déchiffrant les mystères des civilisations anciennes. Cependant, sa vie bascula irrémédiablement le jour où il perdit celle qui avait été sa compagne de vie, son pilier, sa tendre épouse, Marie.
Il y a quinze ans, Marie, sa femme, fut agressée et tuée par un inconnu. Malgré tous les efforts déployés lors de l’enquête, le tueur demeura introuvable. L’injustice de cette tragédie plongea le professeur et les proches de Marie dans une quête de vérité inachevée. Cette absence de résolution ajouta une dimension d’incertitude et de douleur supplémentaire, laissant le professeur avec le poids d’une perte inexplicable et un désir inassouvi de justice. Le souvenir de sa femme, victime innocente de cette violence, resta gravé dans le cœur du professeur, marquant son parcours d’une profonde tristesse. Sa vie en fut à jamais marquée par le fardeau de cette énigme non résolue, qui hantait ses pensées et ses nuits. La douleur qui suivit ne pouvait être exprimée que par un mutisme profond.
Une paix s’installa dans le foyer de Dubois, résonnant à travers les couloirs vides de sa maison. Les livres qui jadis faisaient écho aux rires et aux discussions animées semblaient maintenant témoigner de la quiétude qui s’était imposée. Le Professeur, autrefois absorbé par les récits du passé, se trouva soudainement confronté à un présent dénué de la chaleur qui accompagnait la présence de sa femme. Les cours à l’université, autrefois une passion partagée, devinrent des rituels solitaires. Les repas étaient marqués par des assiettes à moitié pleines, témoins du vide laissé par l’absence de Marie.
Les jours s’étiraient en une succession d’ombres, et les nuits semblaient interminables. Le professeur Dubois cherchait refuge dans ses recherches, utilisant le passé comme moyen d’échapper au douloureux présent. Les livres étaient ses compagnons silencieux, mais aucune page ne pouvait effacer la réalité de cette perte.
Pourtant, au milieu de cette obscurité, le professeur trouvait des éclats de lumière. Ses collègues et étudiants, touchés par la tristesse de leur mentor, lui offrirent leur soutien. La communauté universitaire se transforma en un réseau de consolation, l’aidant à traverser les moments les plus difficiles.
Le temps, ce guérisseur implacable, commença à panser les plaies du professeur Dubois. Il apprit à vivre avec le vide, à trouver des traces de Marie dans les souvenirs partagés et à honorer sa mémoire en continuant à avancer, même si le chemin était souvent empreint de tristesse.
Le lendemain matin, Bertrand se leva tôt, l’excitation de sa découverte pesant sur son esprit. Il prit une douche rapide, s’habilla soigneusement et descendit pour prendre son petit déjeuner.
Dans la cuisine, l’odeur du café fraîchement moulu se mêlait à celle des croissants achetés au boulanger voisin. Il avala sa tasse de café noir d’un trait et dévora rapidement un croissant, son esprit déjà tourné vers la journée à venir, à la fois préoccupé et impatient.
Il se dirigea vers la chambre de sa fille, Bérénice, pour la réveiller. Il frappa doucement à la porte et entra. Elle était déjà levée, assise à son bureau en train de fouiller des documents.
— Bonjour, papa. Tu es déjà levé ? dit-elle en levant les yeux.
— Oui, Bérénice. Aujourd’hui, nous allons chez le professeur Dubois pour examiner ma découverte. Es-tu prête ?
Elle lui sourit et hocha la tête.
— Absolument, papa. Allons-y !
Ils quittèrent la maison en direction de la demeure du professeur Dubois. En chemin, le ciel était d’un bleu éclatant, annonçant une journée agréable. Arrivés devant la maison du professeur, ils sonnèrent à la porte.
Le professeur Dubois, un homme d’âge mûr, au regard vif derrière des lunettes rondes, les accueillit chaleureusement.
— Bertrand, Bérénice, entrez. Montrez-moi cette découverte fascinante dont vous m’avez parlé.
Ils s’installèrent dans le salon du professeur, et Bertrand sortit le livret de son sac. Le professeur Dubois, les yeux brillants d’excitation, prit délicatement le livret entre ses mains.
— Pouvez-vous me raconter comment vous avez découvert cela ? demanda le professeur en feuilletant les pages avec précaution.
La maison du professeur Dubois respirait la connaissance. Des étagères remplies de livres, de documents et d’objets archéologiques bordaient les murs du salon. Des tapis persans recouvraient le parquet brillant, ajoutant une touche chaleureuse à la pièce. Des tableaux représentant des scènes historiques ornaient les murs, témoignant de la passion du professeur pour le passé.
Le bureau du professeur était un sanctuaire du savoir. Une grande table en chêne était recouverte de documents soigneusement organisés, de livres ouverts et d’articles de journaux. Des stylos, des carnets de notes et des loupes étaient disposés avec précision. La pièce était baignée de lumière naturelle provenant de grandes fenêtres qui offraient une vue sur un jardin luxuriant.
Il les invita à s’asseoir autour du bureau, où une loupe et des gants blancs étaient déjà préparés pour l’examen de l’écrit. Le bureau en lui-même était un mélange d’ancien et de moderne, avec un ordinateur soigneusement posé à côté d’une lampe de bureau classique.
— Voyons cela de plus près, déclara le professeur Dubois en mettant ses lunettes pour l’examiner.
Bertrand, pourriez-vous me raconter l’histoire de cette découverte ?
Il expliqua les détails de sa découverte, du mur du cimetière à l’endroit où il avait trouvé le texte. Le professeur écouta attentivement, hochant parfois la tête pour montrer son intérêt.
Après avoir entendu le récit, le professeur prit la loupe et commença à examiner le manuscrit avec un soin méticuleux. Il prit son temps pour l’examiner, ne laissant aucun détail lui échapper. Chaque mot, chaque symbole fut scruté avec attention, car une simple page pouvait révéler des indices essentiels. Il scruta les caractères délicats du vieux latin avec une loupe. Les pages étaient jaunies par le temps, mais le texte était étonnamment bien préservé.
— Le latin utilisé ici est plutôt complexe, typique de l’époque médiévale, expliqua Dubois en relevant ses lunettes.
Il va me falloir du temps pour traduire cela correctement. Certains termes peuvent être obsolètes ou avoir évolué au fil des siècles, ce qui rend la tâche d’autant plus délicate. Bertrand et Bérénice attendaient avec impatience, se demandant ce que pouvait bien renfermer ce texte ancien. Le professeur Dubois reprit son travail, notant les parties les plus difficiles à traduire pour les étudier plus attentivement.
— Je vais devoir mener des recherches approfondies pour contextualiser certains passages. Si cet écrit date du XIIIe siècle, comme nous le pensons, il pourrait contenir des informations historiques précieuses sur cette période, ajouta-t-il avec enthousiasme. Alors que la journée avançait, le professeur promit de les contacter dès qu’il aurait des résultats significatifs. Bertrand échangea un regard avec Bérénice, qui ferma son carnet.
— Il est temps pour nous de partir, dit-elle doucement. Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour aujourd’hui.
Ils prirent congé du professeur, le laissant à son travail minutieux, avant de s’éloigner, impatients d’en savoir plus sur les mystères que recelait le manuscrit.
Le livret était une pièce rare, témoignant d’une époque lointaine. Sa couverture usée était faite d’un cuir vieilli par le temps, portant les cicatrices du passé. Bien que le livre ait été soigneusement protégé depuis son écriture, quelques marques sur la reliure témoignaient de son ancienneté et du passage du temps. À l’ouverture du manuscrit, les pages jaunies dévoilaient une écriture cursive en vieux latin, soigneusement tracée à la plume. L’encre, autrefois noire, avait pris une teinte sépia, donnant à chaque mot une aura d’ancienneté. Les illustrations, exécutées avec minutie, représentaient des scènes de la vie quotidienne médiévale, des paysages agricoles, des moines en prière, et des détails énigmatiques qui échappaient à une interprétation immédiate.
L’ensemble dégageait une aura mystérieuse, donnant l’impression que chaque page renfermait un secret précieux. Les caractères étaient parfois ornés de motifs énigmatiques, ajoutant une dimension mystique de l’ouvrage. L’état de conservation exceptionnel du manuscrit suggérait qu’il avait été soigneusement préservé au fil des siècles, peut-être caché intentionnellement dans les murs du prieuré pour le protéger des regards indiscrets.
Le professeur, illuminé par l’excitation de cette découverte, décida d’appeler sa fille qui vivait en Australie avec son mari médecin. Il composa soigneusement le numéro, laissant l’anticipation monter en lui pendant que le téléphone sonnait.
Après quelques sonneries, la voix chaleureuse de sa fille répondit de l’autre côté de la ligne.
— Papa, comment vas-tu ? s’exclama-t-elle.
— Bonjour, ma chérie ! Tout va bien ici. J’ai fait une découverte extraordinaire aujourd’hui, et je voulais partager ça avec toi. Je viens de recevoir le commandant Bertrand, et il a trouvé un document médiéval caché dans le mur de l’ancien prieuré d’Altkirch. C’est une pièce extraordinaire !
La fille du professeur, intriguée, s’exclama :
— Un document médiéval ? C’est incroyable ! Papa, tu sais que je travaille sur l’histoire médiévale à l’université. Je peux peut-être t’aider à le décrypter à distance.
Le professeur, ravi de l’enthousiasme de sa fille, expliqua davantage la situation et convint de lui envoyer des photos de l’écrit. Ils discutèrent de la possibilité d’une collaboration à distance pour étudier ce trésor médiéval mystérieux. La fille du professeur, à des milliers de kilomètres de là, était à présent plongée dans le mystère du texte du prieuré, prête à apporter son expertise à cette aventure historique.
Bertrand, après cette parenthèse intrigante, replongea dans son quotidien de commandant. Une nouvelle affaire occupait ses pensées, celle d’un crime passionnel qui avait secoué la tranquillité de la ville. Un homme avait été retrouvé mort dans des circonstances suspectes, et toutes les pistes semblaient mener à une relation trouble.
Il se rendit sur la scène de crime, accompagné de son équipe. Un poids lourd d’émotions et de nervosité semblait envelopper les lieux. Les indices semblaient dissimuler une histoire complexe de passions, de trahisons et de secrets.
Il prit le temps d’interroger les proches de la victime, cherchant à comprendre les dynamiques de cet engagement conflictuel. Au fur et à mesure que l’enquête progressait, des détails troublants émergeaient, dévoilant les différentes facettes de la vie du défunt. Il jonglait entre le mystère du manuscrit médiéval et les complexités de cette enquête contemporaine. Les deux mondes semblaient étrangement connectés dans sa vie, mêlant histoire ancienne et intrigues modernes.
La pression montait au fil de l’enquête, et Bertrand se plongea dans les dossiers, cherchant des indices cruciaux qui pourraient faire la lumière sur ce crime passionnel. La découverte de l’écrit ancien avait certes ajouté une touche de mystère à sa routine, mais il était conscient de l’importance de rester concentré sur son devoir de commandant de police.
Bérénice était assise avec son amie Clémence dans un petit café chaleureux. L’excitation flottait dans l’air, et Bérénice avait hâte de révéler à Clémence la découverte de ce document médiéval.
— Clémence, tu ne devineras jamais ce qui vient de se passer. Mon père a découvert un ancien texte caché dans le mur de l’église Saint-Morand !
Clémence, les yeux pétillants d’excitation :
— Quoi ? Un véritable document médiéval ?
C’est incroyable !
— Oui, et le plus étonnant, c’est qu’il est écrit en vieux latin. Mon père a décidé de le faire traduire pour découvrir ce qu’il renferme.
— Mais c’est extraordinaire ! Qu’est-ce qu’il raconte ? Des secrets mystérieux ou des histoires méconnues ?
— Oh, tu n’imagines pas ! Il y a des passages qui semblent vraiment étranges et ésotériques. Nous avons trouvé des références intéressantes, mais nous n’avons pas encore traduit le texte ancien, donc nous ne savons pas exactement ce que cela signifie. C’est absolument fascinant !
— Vous êtes comme des détectives du passé ! C’est un trésor historique. Est-ce que tu en as parlé à quelqu’un d’autre ?
— Pour l’instant, seulement à toi et à notre ancien professeur monsieur Dubois, qui est déjà au courant. Mon père et moi voulons en apprendre davantage avant de rendre cela public. Nous pensons que cette découverte pourrait bouleverser notre compréhension de l’histoire de la région.
— Ça doit lui rappeler ses cours !
C’est tellement passionnant ! Et ton père, comment réagit-il à tout ça ?
— Il est à la fois captivé et inquiet. Captivé par l’ampleur de la découverte, mais aussi préoccupé par l’attention que cela pourrait attirer. Il tient à ce que nous agissions avec la plus grande discrétion.
Le professeur était plongé dans l’étude du vieux document, éclairé par la lueur tamisée de sa lampe de bureau. Les vieilles pages du document fragile révélaient des détails fascinants de la vie médiévale. Alors qu’il déchiffrait attentivement les caractères latins anciens, une illustration attira particulièrement son attention.
Au centre d’une page richement décorée, il découvrit un dessin complexe, un emblème des croisés. Intrigué, le professeur examina chaque détail, les inscriptions autour de ce dessin et les motifs qui l’entouraient. C’était comme s’il tenait entre ses mains une fenêtre ouverte sur le passé, révélant les mystères de l’époque des croisades.
Il prit des notes, esquissant des croquis du symbole et des annotations sur ses interprétations préliminaires. Il se demanda quel rôle ce document avait pu jouer dans la vie de la communauté médiévale à laquelle il appartenait. Au fur et à mesure que ses découvertes s’accumulaient, le professeur ressentait l’excitation de participer à quelque chose de bien plus grand que lui. Il réfléchissait à la manière dont il pourrait partager ces nouvelles révélations avec ses étudiants et le monde académique. Plus il s’immergeait dans l’étude, plus il avait l’impression que le vieux texte recelait encore de nombreux secrets attendant d’être révélés.
L’an 1215
Deux chariots lourdement chargés firent leur entrée dans le monastère, escortés par quatre chevaliers en armure.
Une atmosphère de recueillement se répandit, troublant momentanément la quiétude du lieu. Les moines, intrigués par cette arrivée inhabituelle, se rassemblèrent pour observer le spectacle. Les chariots étaient fermés, et nul ne pouvait deviner le mystère de leur cargaison. Les chevaliers, fiers et imposants dans leurs armures étincelantes, maintenaient un air sérieux, dégageant une impression de solennité.
L’abbé, curieux mais prudent, s’approcha des visiteurs. D’une voix calme, il s’adressa aux chevaliers :
— Bienvenue en ce lieu sacré.
Qu’apportez-vous au monastère ?
L’un des chevaliers s’avança et s’inclina respectueusement devant l’abbé.
— Nous portons un fardeau dont la nature doit rester secrète, cher abbé. Nous demandons l’hospitalité pour la nuit et votre garantie de sécurité pendant notre court séjour.
L’abbé, bien que surpris, acquiesça avec sagesse.
— Vous trouverez refuge dans notre humble monastère. Que la nuit vous soit paisible.
Les chariots furent conduits à l’arrière du monastère, là où les visiteurs pourraient reposer leurs corps fatigués et protéger leur mystérieuse cargaison. La communauté monastique, avide de tranquillité, observa ces événements inhabituels avec une certaine réserve.
Les quatre chevaliers descendirent de leur monture avec une grâce guerrière, révélant leur présence imposante. Chacun d’entre eux portait une armure étincelante, reflétant la lumière du soleil couchant. Les heaumes, véritables masques, cachaient leurs identités derrière des ornements complexes.
— Sire Gauthier d’Aubigny, malgré son âge avancé, conservait une stature imposante et une carrure robuste. Son corps, marqué par le soleil et les batailles, affichait une peau bronzée et rugueuse, avec des cicatrices témoignant de ses années de service. Ses traits anguleux, marqués par des rides profondes, reflétaient à la fois la sagesse et les épreuves surmontées. Ses yeux gris acier, perçants et vigilants, étaient souvent cachés sous un heaume en acier poli, orné d’une crête argentée qui soulignait son rang. Il portait une armure lourde, usée mais solidement entretenue, ornée d’un blason de lion symbolisant courage et noblesse. Sa longue cape bleu nuit, brodée d’argent, flottait derrière lui, accentuant son apparence imposante. À sa ceinture, une épée longue, parfaitement équilibrée et aiguisée, complétait son équipement, révélant son habileté au combat et sa détermination malgré les années.
— Jeune et dynamique, Sire Adalard se distinguait par sa silhouette élancée et son agilité naturelle. Son corps athlétique, aux muscles fins mais bien définis, était parfait pour un cavalier alliant rapidité et précision. Ses traits lisses et harmonieux, éclairés par un sourire confiant, révélaient sa jeunesse.
Ses yeux verts éclatants et ses cheveux blonds, coupés courts sur les côtés et plus longs sur le dessus, ajoutaient à son apparence vive et alerte.
— Sire Alaric incarnait la force brute avec sa stature imposante et sa carrure massive. Sa grande taille et ses épaules musclées inspiraient respect et intimidation. Sa mâchoire carrée, marquée par des cicatrices, reflétait les combats acharnés qu’il avait traversés. Ses yeux bleus perçants étaient souvent plissés dans une concentration intense, tandis que sa chevelure foncée et sa barbe dense accentuaient son allure de guerrier aguerri.
— Sire Thibault se distinguait par son élégance et son charisme. De taille moyenne, il avait une allure gracieuse et raffinée, avec une posture droite et fière. D’une grande beauté, il était marqué par des traits délicats et une peau claire. Ses yeux d’un bleu profond et ses cheveux brun foncé, toujours impeccablement coiffés, ajoutaient à son apparence distinguée.
Les deux cochers, bien que moins imposants que les chevaliers, avaient eux aussi une présence remarquable. Ils étaient habillés de manière fonctionnelle mais soignée, indiquant leur rôle important dans cette expédition.
— Émeric était un homme robuste et trapu, dont l’apparence reflétait une vie passée sur les routes, à braver les éléments. Approchant la cinquantaine, il était l’aîné des deux cochers, avec une expérience qui se lisait dans chaque ride. Sa stature était large et musclée, forgée par des années de travail physique, à manipuler les rênes et à entretenir les chevaux, peu importe les conditions.
— Marielle était une jeune femme dynamique et pleine d’énergie, qui apportait une fraîcheur et une vivacité indispensables à l’équipe de cochers. Contrairement à son collègue plus âgé, Émeric, Marielle était dans la fleur de l’âge, avec une silhouette élancée et une démarche rapide, toujours en mouvement.
Malgré son apparence jeune et élégante, Marielle était une travailleuse acharnée. Elle ne craignait pas de se salir les mains et était tout aussi capable que n’importe quel homme lorsqu’il s’agissait de s’occuper des chevaux ou de faire face aux défis du voyage. Son esprit vif et sa capacité à trouver des solutions rapides et efficaces dans des situations difficiles en faisaient une coéquipière précieuse, appréciée par tous ceux qui avaient la chance de travailler à ses côtés.
L’abbé prieur Bernegarius, après avoir discerné leur statut de templiers, comprit l’importance de leur présence. Il se dirigea donc avec solennité vers les chevaliers et leurs cochers pour leur proposer l’hospitalité dans le monastère.
— Chevaliers templiers, soyez les bienvenus au monastère de notre humble prieuré, déclara l’abbé d’une voix empreinte de respect. Nous sommes honorés de votre visite. Puissiez-vous trouver ici la quiétude et le repos dont vous pourriez avoir besoin.
Les chevaliers, en signe de reconnaissance, inclinèrent légèrement la tête. Chevalier Gauthier d’Aubigny, le porte-parole du groupe, répondit avec courtoisie :
— Nous sommes reconnaissants pour votre accueil, vénérable abbé. Nous sommes en quête de repos et de réflexion. Nous apprécions votre hospitalité.
L’abbé les conduisit à travers les allées du monastère vers la salle dédiée aux hôtes. Il ordonna aux moines de préparer des chambres pour les chevaliers et de veiller à ce qu’ils ne manquent de rien pendant leur séjour.
Alors que les Templiers s’installaient, l’abbé envisagea les raisons de leur visite et la manière dont elle pourrait influencer la vie du prieuré. Un mystère planait dans l’air, et il sentait que le destin du monastère était lié pour quelques heures au moins à la présence de ces hommes d’armes.
Après s’être installés dans les chambres préparées par les moines, les chevaliers templiers firent venir le père abbé pour une discussion. L’abbé Bernegarius se rendit immédiatement à leur appel, conscient que cette rencontre était d’une importance particulière.
Dans la salle réservée aux hôtes, éclairée par la lueur des chandelles, l’abbé salua respectueusement les chevaliers.
— Je suis honoré de pouvoir discuter avec vous, chevaliers templiers.
— Comment puis-je vous être utile ?
Les chevaliers templiers demandèrent au père abbé de leur fournir un moine qui pourrait les accompagner en tant que guide à travers la France. L’abbé, après avoir pris un moment de réflexion, désigna Frère Tancrède pour cette mission.
C’était un homme dont les qualités correspondaient parfaitement à leurs besoins, dans une époque où chaque voyage pouvait être aussi périlleux que spirituel.
Tancrède n’était pas seulement un moine pieux, mais aussi un homme profondément ancré dans la connaissance des terres françaises. Depuis des années, il arpentait les routes, visitant monastères et abbayes, ce qui lui avait permis d’acquérir une connaissance intime des chemins, des villes, et des dangers qui pouvaient survenir en traversant les différentes régions. Sa compréhension du territoire allait au-delà de la simple topographie : il connaissait aussi les coutumes locales, les langues et dialectes parlés dans chaque région, ce qui faisait de lui un médiateur idéal.
Les Templiers, en tant que défenseurs de la foi chrétienne, cherchaient également à s’entourer de ceux qui partageaient leur dévotion. Il incarnait cette loyauté indéfectible et ce dévouement à Dieu. Son statut de moine lui conférait une présence de confiance et de respect, assurant aux chevaliers qu’il ne trahirait ni leur mission ni leurs secrets.
Mais sa présence offrait bien plus qu’une simple expertise géographique ou une garantie de loyauté. Pour ces guerriers pieux, chaque voyage était aussi une quête spirituelle. Avec sa profonde foi et sa connaissance des rites sacrés, il pouvait les guider non seulement à travers les routes sinueuses de France, mais aussi dans leur cheminement intérieur. Il célébrait les offices, administrait les sacrements, et renforçait leur esprit par la prière, transformant chaque étape du voyage en un pèlerinage sacré.
Dans une époque dominée par les conflits, sa présence offrait une forme de protection. Un moine, représentant de paix et de dévotion, pouvait apaiser les tensions, et sa présence même dissuadait ceux qui auraient pu envisager d’attaquer les Templiers. Attaquer un homme de Dieu était un sacrilège, une offense grave, ce qui ajoutait une couche supplémentaire de sécurité à leur mission.
Ainsi, il ne fut pas choisi au hasard. Il était le guide idéal, à la fois pour ses compétences pratiques et pour la force spirituelle qu’il apportait aux chevaliers. Dans ce voyage à travers la France, sa présence était aussi indispensable que l’épée des Templiers, les conduisant à travers les dangers du monde avec sagesse et foi.
Frère Tancrède, humble et dévoué, se présenta devant les chevaliers.
— Je suis honoré de répondre à votre appel, chevaliers templiers.
Le chevalier Adalard expliqua la nature de leur quête et l’importance de disposer d’un guide bien informé sur les lieux saints et les monastères en France, afin de trouver des refuges sûrs. Frère Tancrède, bien que surpris par cette demande inhabituelle, accepta la mission avec dévouement.
L’abbé, soucieux de la sécurité de son moine, demanda aux chevaliers de le traiter avec respect et de veiller à sa protection. Les Templiers assurèrent à l’abbé que Frère Tancrède serait traité avec la plus grande considération.
— Père Bernegarius, puis-je vous parler seul à seul ?
— Bien entendu, Adalard. Venez dans mon bureau.
Une large table en bois massif, patinée par le temps, occupe le centre de la pièce. Sur cette table, des parchemins roulés, des plumes d’oie, et des encriers sont disposés de manière ordonnée. Un lourd chandelier en fer forgé éclaire la pièce, sa lumière vacillante projetant des ombres sur les murs.
À côté de la table, un grand coffre en bois, orné de ferrures en fer, contient des livrets précieux et des documents importants. Une chaise en bois sculpté, simple mais solide, est placée derrière la table, où l’abbé passe de longues heures à écrire et à méditer. Une petite croix en bois, incarnation de sa foi, est posée sur la table, près d’un vieux livre de prières, sans doute usé par des années de dévotion.
Assis face à face, Sire Adalard parla le premier.
— Comme vous le savez, le Grand Maître ne veut pas que quelqu’un d’autre soit au courant. Il faut laisser Tancrède en dehors de tout ça.
Le Père Bernegarius hocha lentement la tête, son regard se perdant un instant, comme s’il pesait la portée des paroles du chevalier. Il savait que la mission des Templiers dépassait souvent la compréhension des simples mortels, mais la pensée de dissimuler une vérité à l’un de ses propres moines lui laissait un goût amer.
— Il en va de soi, Adalard, répondit-il enfin, d’une voix basse mais ferme. Que Dieu nous garde, ajouta-t-il en traçant un signe de croix.
Après cet échange solennel, le Père Bernegarius se dirigea vers Tancrède, qui était dans une autre pièce, plongé dans ses réflexions. Il frappa doucement à la porte.
— Tancrède, puis-je entrer ?
— Entrez, Père Bernegarius, répondit Tancrède en levant les yeux.
L’abbé prieur entra, l’air préoccupé.
— J’ai peu d’informations concernant ce voyage. Il est crucial que tu restes très vigilant, Tancrède.
— Que dois-je faire ? demanda Tancrède, son intérêt piqué.
— Je te demande de laisser des indices à chaque étape, en prévision d’éventualités que je ne peux pas encore préciser.
— Des indices ? répéta Tancrède, intrigué. Pourquoi en aurions-nous besoin ?
— Je ne peux pas entrer dans les détails, mais il se pourrait que nous devions nous préparer à tout. Nous en reparlerons dès ton retour.
Tancrède inclina la tête en signe d’acceptation. Après cet échange, il se retira dans sa cellule pour préparer son voyage, rassemblant les quelques affaires nécessaires et se recueillant dans la prière pour trouver la force d’affronter ce qui l’attendait.
La petite pièce était éclairée par une simple chandelle. Tancrède s’assit à sa table de travail, où étaient disposés ses instruments de copiste et les pages sur lesquels il travaillait en ce moment. Il avait devant lui une grande feuille de parchemin vierge, qu’il avait réservée pour cette occasion particulière.
Il commença par noter les détails pratiques de son voyage, les étapes prévues, les monastères et les villages où ils feraient escale. Il consulta une carte rudimentaire qu’il avait obtenue du prieuré pour s’assurer de ne pas se perdre en chemin.