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Rongé par une maladie qui le met au supplice, le capitaine Flament de la Brigade criminelle de Lille se retrouve sur une enquête des plus éprouvantes : une famille a été décimée dans un quartier tranquille de Lambersart. En manque d’indices exploitables, l’enquêteur devra suivre son intuition pour comprendre les motivations du tueur et tenter de l’arrêter avant qu’il ne récidive.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Avec cet ouvrage,
Yann Feutry décrit deux choses. La première est l’impact destructeur de la douleur et comment on peut être happé par elle ou la surmonter. La seconde est l’injustice qui touche ceux qui sont abusés par plus forts qu’eux… Ceux qui doivent payer aux prédateurs
Le
Tribut des Innocents.
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Veröffentlichungsjahr: 2022
Yann Feutry
Le Tribut des Innocents
Roman
© Lys Bleu Éditions – Yann Feutry
ISBN : 979-10-377-5239-0
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Volkov arpentait le salon, en proie à une agitation qui le charriait aux portes de la folie. Il gesticulait et vociférait en tournant en rond d’un pas fébrile et nerveux. Ses mains tremblaient, frénétiques, rendues incontrôlables par l’excès d’émotions qui le submergeaient.
Il laissa exploser sa rage et sa frustration en envoyant son poing cogner contre le mur. Il ressentit à peine la douleur éclater dans ses phalanges, et la haine qui bouillonnait en lui ne s’était pas dissipée pour autant.
Il avait vaguement conscience qu’à cet instant, il ressemblait à un dément, à un fou furieux en plein délire qui alignait des kilomètres en faisant des cercles dans les quelques mètres carrés de sa cellule capitonnée.
Volkov avait toujours eu des problèmes psychologiques, mais jusque-là, c’était la peur qui avait dominé sa vie. Pas ce magma de haine en fusion ni ce désir ardent de violence vengeresse. Il prit une grande inspiration pour ne pas déraper complètement. Pour ne pas basculer dans une forme de folie qui le terrifiait, et à la fois l’attirait, comme un aimant. Il luttait contre ce magnétisme, mais il sentait sa volonté faiblir devant cette force inébranlable.
C’était la faute de ce gamin. C’était lui qui avait provoqué cet état. Quand, en rentrant chez lui un peu plus tôt, Volkov avait trébuché sur le trottoir, le gosse avait éclaté de rire alors qu’il jouait avec son père dans la rue. Puis il s’était moqué ouvertement de lui, provoquant des regards gênés et amusés autour d’eux. Cela aurait pu être anodin, mais cet enfant, et surtout son père, n’étaient pas n’importe qui. Le père n’était autre que Jérôme Malliart. L’un d’Eux. L’un de ceux qui avaient fait de la vie de Volkov un enfer, puis un naufrage sans fin.
Quand, deux mois auparavant, Volkov avait vu les Malliart emménager à quelques maisons de chez lui, il avait frôlé la crise cardiaque. Malgré le temps qui s’était écoulé, il n’avait pas eu une seconde d’hésitation. L’un de ses anciens bourreaux se tenait là, devant lui, et allait habiter à quelques mètres de sa maison. Et toutes ces années, passées à essayer d’oublier et à panser ses blessures, furent saccagées en quelques secondes.
Jérôme Malliart l’avait retrouvé et s’était installé à côté de lui pour le torturer à nouveau !
Sentant la rage refluer dans ses veines, Volkov s’immobilisa dans le salon. En serrant les poings, il reprit une profonde inspiration et resta en apnée quelques secondes, puis expira lentement. Il essayait de tenir à distance les souvenirs qui remontaient, mais ces derniers l’emportèrent sur sa volonté. Ils déferlèrent dans sa tête avec la violence d’un typhon, et y mixèrent les cauchemars du passé et leurs réminiscences du présent dans un flot d’images et de sons qui le terrorisaient.
Il revoyait le corps d’un homme étendu au pied d’un arbre. Le cadavre de l’adulte. Des soubresauts remuaient le macchabée, comme s’il n’était qu’une marionnette aux mains d’un homme trop ivre pour lui donner vie. Ces convulsions étaient rythmées par des grognements d’animaux sauvages, tandis que ses yeux morts et figés fixaient le vide, indifférents au banquet nécrophage qu’offrait le cadavre en tout début de décomposition.
C’était un vieux souvenir qui hantait Volkov depuis longtemps. À cette vision se superposait celle très récente du visage du fils Malliart, déformé par son rire moqueur et malsain, et ses yeux mauvais qui transpiraient la bêtise et le vice. Le même regard infect que celui de son père, des années plus tôt.
Dans ce méli-mélo d’images entremêlant le passé et le présent, la voix enfantine de Volkov hurlant « Niet ! Niet ! Niet ! » résonnait comme une alarme déchirante, peu à peu supplantée par les éclats de rire morbides des Malliart père et fils.
Ces visions le terrifiaient, et cette frayeur attisait sa colère comme un bidon d’essence balancé sur un tapis de braises. La rage finit par rejaillir en lui comme une éruption de lave, annihilant l’angoisse qui lui retournait habituellement les tripes et le confinait dans sa maison. Quelque chose en lui venait de se briser. C’était trop. Il n’en pouvait plus. Il fallait que ça cesse.
Il sortit de chez lui, écumant de haine. Il ne pensait pas à ce qu’il allait faire dans les secondes qui venaient. Il ne le savait même pas. Son esprit avait court-circuité sa conscience. Seules les images redondantes du corps de l’homme gisant au pied de l’arbre et du gamin se foutant de lui continuaient de danser dans sa tête. En un éclair, il se retrouva devant le domicile de son ancien bourreau.
La porte d’entrée des Malliart n’était pas verrouillée. Volkov tourna la poignée et pénétra dans la maison. Il n’entendait que les battements saccadés de son cœur, comme si tout le reste n’était qu’un décor de cinéma. Il fit un pas dans la maison puis s’immobilisa. Dans le couloir de l’entrée, le fils Malliart jouait, accroupi sur le carrelage. Le gamin délaissa ses jouets quelques secondes pour se tourner vers l’intrus. À peine surpris par sa présence, l’enfant le reconnut et le défia très vite d’un sourire dédaigneux.
Porté par une fureur incontrôlable, Volkov s’élança vers le garçon et le saisit par les chevilles. Avec une force décuplée par la folie, il souleva l’enfant par les pieds et lui fit faire un arc de cercle qui le propulsa contre le mur du couloir, avec toute la violence que Volkov avait en lui. Le crâne du gamin fit trembler la paroi en la percutant de plein fouet. Après l’impact, son corps rebondit et s’écrasa comme une masse, face contre terre. Immobile. Un filet de sang coulait lentement de ses narines. Ses yeux étaient toujours ouverts mais ressemblaient maintenant à ceux du cadavre qui hantait Volkov. Eux aussi étaient figés et fixaient le vide maintenant. Eux aussi semblaient indifférents, à présent. Et son petit sourire narquois avait enfin disparu. À la place, une expression éteinte, empreinte d’une stupeur éternelle.
Inquiète du vacarme qu’elle avait entendu, la mère appela son fils avec une pointe d’irritation dans la voix.
— Théo ! On se calme, là ! Qu’est-ce que tu fous, encore ?
La voix provenait de la cuisine, première pièce à droite. Volkov y entra d’un pas rapide et sûr. Lorsque la femme vit cet inconnu surgir de nulle part, elle poussa un petit cri suraigu et resta immobile, pétrifiée dans le coin de la pièce. Ses mains jointes recouvraient sa bouche bée par la stupéfaction et la terreur. Volkov s’approcha du bloc à couteaux qui trônait en face de lui et agrippa le manche le plus long. En voyant la lame étincelante sortir du support, l’instinct de survie sortit la mère de sa léthargie. Elle se précipita vers la porte en esquivant l’intrus, mais Volkov la rattrapa en la saisissant par le front avant qu’elle n’atteigne le seuil de la cuisine et lui enfonça le couteau dans le dos. Une première fois. Puis il enchaîna trois autres coups. Il s’arrêta de la poignarder lorsqu’il sentit le sang chaud ruisseler sur sa main, et fut surpris du plaisir que lui procurait cette sensation. Lorsqu’il sortit la lame du corps de sa victime, la femme bascula en arrière et s’effondra sur le sol. Alors qu’elle agonisait en silence, étendue sur le dos et respirant à peine, une mare sombre s’étendait sous son corps, tranchant avec le blanc immaculé du carrelage.
Alerté par le silence qui avait soudainement empli la maison, Jérôme Malliart reposa le verre qu’il avait dans la main et passa la tête par la porte du salon. Son sang se glaça lorsqu’il découvrit Théophile étendu à terre, immobile et sans vie, comme un mannequin tombé d’une vitrine de supermarché. Il se précipita vers son fils, et passa devant la porte de la cuisine sans y jeter un coup d’œil. Toute son attention était portée sur le corps de son garçon.
Le tueur leva les yeux lorsque la silhouette de Jérôme Malliart traversa le couloir. Il se rua derrière lui et le poignarda à la nuque, pendant que ce dernier sanglotait, agenouillé à côté de son garçon.
Lorsque Volkov retira le couteau, Jérôme pressa une main tremblante sur sa gorge et, dans un gargouillis noyé de salive et d’hémoglobine, il bascula à côté de son fils. Volkov croisa son regard. Malliart écarquilla les yeux, semblant le reconnaître enfin. Pris d’une nouvelle frénésie, le tueur larda son vieil ennemi de coups de couteau, chaque attaque provoquant une giclée écarlate. Chaque gerbe de sang provoquant une vague de délivrance au plus profond de l’âme de Volkov.
Quand il fut à bout de forces, il se laissa tomber à son tour. Le sang coulait par saccades des plaies du père, hypnotisant le meurtrier. Pendant quelques minutes, il resta ainsi, assis au milieu de son carnage.
Il ressentait une chaleur nouvelle l’envahir. Comme si son cœur commençait seulement à battre normalement. Sans un carcan de peur pour oppresser sa poitrine, il avait l’impression de respirer réellement et librement pour la première fois de sa vie.
En fixant le regard mort du gamin, il réalisa que l’angoisse qu’il éprouvait en permanence s’était envolée. Il se sentait libéré pour la première fois depuis une éternité.
Après de longues minutes passées dans cette sorte d’hébétude, Volkov se releva maladroitement et reprit peu à peu ses esprits. Il devait partir, mais il fallait d’abord effacer ses traces. Il parcourut le rez-de-chaussée de la maison, fouillant chaque recoin, ne sachant ce qu’il cherchait. Dans le garage, il tomba sur des bidons d’acétone sur lesquels le pictogramme évocateur d’une flamme encadrée d’un losange rouge lui donna une idée.
Une demi-heure plus tard, il quittait la maison comme si de rien n’était, et rentrait tranquillement chez lui, presque en sifflotant. La nuit était tombée. L’obscurité l’enveloppait et le protégeait comme des bras maternels.
De la fenêtre de sa chambre, il pouvait maintenant contempler les flammes s’étirer vers le ciel et emporter la maison de ses victimes. Tout lui semblait parfait en cet instant. L’odeur de cramé. La fournaise qui détruisait tout sur son passage. L’incandescence des flammes qui dansaient pour lui.
En revivant son crime, il avait l’impression de renaître. La confiance en lui qu’il avait ressentie avait persisté, même quand l’adrénaline s’était dissipée. Et surtout la terreur l’avait enfin quitté, pour de bon, espérait-il.
Le lendemain matin, l’incendie était enfin maîtrisé par les pompiers. Volkov admirait, émerveillé, les ruines encore fumantes du brasier et les regards catastrophés et désolés qui en entouraient les décombres.
Un nouvel avenir se profilait devant lui. Il pouvait reprendre le contrôle de sa vie. Laisser derrière lui les psychoses qui l’avaient opprimé toutes ces années.
Il pouvait se venger.
Six ans plus tard
Jean-Christophe était étendu sur le carrelage de la cuisine, couvert de sueur et à bout de souffle. Il se remettait péniblement d’une crise de migraine particulièrement violente. Inerte, il fixait les spots qui étoilaient le faux-plafond de la pièce. Peu à peu, sa respiration se fit plus profonde et plus apaisée.
Être réveillé aux premières lueurs du jour par une douleur lancinante, en sachant que l’agonie allait suivre, il n’y avait pas pire comme début de journée. Et en ce moment, ce genre de réveil n’était pas rare pour Jean-Christophe.
Comme chaque fois, la migraine avait débuté avec une sensation de gêne derrière son œil droit. Rien de très douloureux à ce stade, plutôt une perception désagréable. Comme si un grain de sable était venu se loger sous son nerf optique. En quelques minutes, l’inconfort se transformait en douleur. Une agitation incontrôlable commençait alors à le rendre nerveux. Très nerveux. Puis, ce qui était une douleur encore tolérable devenait une véritable torture. La souffrance changeait de forme et d’intensité, comme la mue d’un serpent persiflant ses supplices, broyant chaque synapse de sa victime dans des reptations infernales. Ces épisodes se déclenchaient tous les jours ou presque, entre fin mai et début juillet, chaque année depuis cinq ans. La saisonnalité des douleurs lui avait d’abord fait penser à des allergies, puis à de la sensibilité à la lumière, mais toutes les hypothèses avaient été éliminées par des examens médicaux. Pas de problème à l’œil, pas de problème au cerveau, des analyses sanguines dans la norme… Juste des migraines, donc.
Jean-Christophe n’avait jamais souffert de céphalées avant, et il n’avait jamais imaginé que cela puisse être aussi douloureux et invalidant. Lorsque ses crises se produisaient, il avait l’impression qu’on lui broyait les nerfs, qu’on les agrippait et qu’on les tordait comme pour les essorer, tout en les tirant vers l’arrière de son crâne. Un geyser de douleur qui semblait intarissable se déversait alors en lui pendant des heures. Les antalgiques restaient inefficaces. Quand ces migraines se déclenchaient, il n’avait plus qu’à les endurer, et ce n’était pas beau à voir.
Cette fois, l’épisode n’avait duré qu’une petite heure. Il s’estimait heureux. La plus longue crise l’avait terrassé pendant plus de cinq heures. Cette fois-là, J-C avait été particulièrement surpris de découvrir ce record. Tordu de douleur, il n’avait pas vu passer les heures. Arrivée à un certain stade, la souffrance devenait la seule réalité tangible, éclipsant toute notion d’espace et de temps.
J-C s’était à moitié relevé et envisageait de se traîner jusqu’au divan pour s’allonger et reprendre des forces quand son smartphone vibra sur le plan de travail. Il fut tenté d’ignorer l’appel mais se rappela que son groupe d’enquête était d’astreinte pour le week-end.
Il fit glisser son doigt sur l’écran pour répondre et ferma les yeux, se préparant au pire. Quand son interlocuteur l’appela « Jean-Christophe », il sut qui était au bout du fil. Il n’y avait qu’Adrien Ademski, son chef de groupe et militaire dans l’âme, qui l’appelait ainsi. Pour tous les autres, qu’ils soient amis ou collègues, le capitaine Jean-Christophe Flament était juste « J-C ».
— Jean-Christophe, c’est Adrien. Désolé, on a une urgence… Toute l’équipe sur place au plus vite. Tu as de quoi noter l’adresse ?
— Vas-y, balance, soupira J-C, je la retiendrai bien quelques minutes… C’est sale ?
— Allée du Pré-Fleuri, à Lambersart, tu ne pourras pas louper la maison… Eh oui, c’est sacrément sale, confirma Ademski avant de raccrocher.
J-C soupira une nouvelle fois en reposant son téléphone. Il saisit une carte postale qui traînait sur le plan de travail. Une carte du Sri Lanka sur laquelle une femme posait à côté d’un éléphant, la bouche en cœur et le bras tendu pour lui envoyer un baiser. Comme souvent depuis qu’il l’avait reçue, Jean-Christophe avait passé sa soirée de la veille à siroter une bouteille de vin, du jazz dans les oreilles, et le cœur serré en lisant et relisant cette lettre. Sans conviction, il remit la carte sur la porte du frigo, maintenue par un petit aimant vert pomme.
Sans prendre le temps de prendre une douche,il troqua son t-shirt contre une chemise et son bas de pyjama contre un jean. En passant devant le miroir, il s’arrêta quelques secondes, le temps de porter un regard déprimé sur le reflet qu’il lui renvoyait. Il avait les yeux fatigués, le teint cireux et une tignasse de moins en moins dense, et dont le noir s’estompait avec l’âge. Quarante et un ans, et déjà grisonnant…
Il dévala les escaliers et avala cul sec un café refroidi qui s’était déclenché automatiquement une heure plus tôt, alors que ses migraines le terrassaient. Il attrapa sa veste en sortant, et s’engouffra dans sa voiture. Il démarra en trombe et abandonna sa tragédie personnelle pour se ruer vers un nouveau drame.
***
L’allée du Pré-Fleuri était une petite rue en sens unique qui ne desservait qu’une douzaine de maisons avant de revenir sur la voie principale. J-C était optimiste. Avec une configuration comme celle-ci, il y aurait forcément des témoins. Difficile de passer inaperçu dans ce genre de lotissement.
En suivant l’allée, il aperçut un petit attroupement, puis les rubalises de la police qui délimitaient la zone interdite au public. Les frontières jaunes et noires qui semblaient vouloir contenir le malheur où il s’était abattu. Des agents étaient là pour maintenir les curieux hors du périmètre établi. Chaque fois qu’il voyait ce spectacle, J-C avait l’impression de contempler des rapaces autour d’une charogne. Il savait que la mort et la tragédie avaient un côté fascinant pour n’importe qui. Mais avec tout ce qu’il avait vécu, il n’arrivait pas à rester philosophe devant ce manque de dignité, et il devait se retenir pour ne pas dégager tous ces vautours à coups de pied au cul et d’insultes assorties.
Il se gara au coin de la rue et s’approcha d’un agent en lui présentant sa carte.
— Capitaine Flament, Police Judiciaire, récita-t-il mécaniquement.
— Vous pouvez y aller, capitaine, répondit le bleu en levant le ruban pour lui ouvrir la voie.
J-C avança en se courbant et repéra Ademski, son chef de groupe, en grande conversation avec le chef de la Brigade Criminelle, le commandant Louis Hallin. Un grand bonhomme dont le franc-parler et les trente années de métier forçaient le respect au sein de la brigade. Une troisième personne était avec eux, sans doute le parquetier de permanence. Il avait le teint gris et semblait au bord du malaise vagal. Il paraissait assez jeune pour que ce soit sa première scène de crime.
Le capitaine Ademski quitta le petit groupe et s’approcha de J-C.
— Voilà le topo, entama-t-il en serrant la main de son enquêteur. On a un quadruple homicide. Les parents et leurs deux enfants de onze et treize ans.
— Un des parents qui perd la boule et qui se dézingue à la fin ?
— Non, pas cette fois. Florian et Lucille sont déjà à l’intérieur. Je te laisse t’habiller et découvrir les détails par toi-même. Il faut que tu saches, avant d’entrer… C’est une vraie boucherie, et il a salement amoché les gamins…
***
Harnaché dans sa combinaison blanche, le capitaine Flament poussa la porte d’entrée. Il nota qu’il n’y avait pas eu d’effraction et pénétra dans la maison des victimes. Une dizaine de personnes étaient déjà présentes, chacune affublée de la même combinaison, des mêmes surchaussures, de la même charlotte et du même masque que lui. Pour un spectateur non averti, la scène rappelait plus un lieu de contamination bactériologique que le théâtre d’un quadruple homicide.
J-C passa le couloir en intégrant chaque détail. Il arriva dans une large pièce, ouverte sur le jardin par de grandes baies vitrées. Cette pièce regroupait en un seul espace le salon et la salle à manger. La scène de crime. Des techniciens passaient au crible chaque centimètre carré de la pièce de vie où la mort s’était invitée. Des flashes crépitaient dans tous les sens. J-C détailla la salle rapidement. Les baies vitrées donnaient sur un jardin sans vis-à-vis. La partie droite de la pièce correspondait au salon. La télévision était accrochée au mur. Un divan lui faisait face, un autre tournait le dos aux fenêtres, et un meuble bas fermait l’espace salon, faisant à la fois office de rangement et d’assise occasionnelle. Un poêle à bois trônait au coin de la pièce.
Près du poêle, des couvertures mortuaires recouvraient deux corps. De petite taille. Les deux enfants, songea le capitaine Flament avec un pincement au cœur. À proximité des dépouilles, une bûche ensanglantée. J-C s’approcha et souleva les housses en retenant son souffle, prêt à encaisser le choc. Les deux enfants étaient en pyjama, l’un gris, l’autre rose. Une détresse inhabituelle le saisit à la gorge. Le capitaine Flament en avait vu, des saloperies. Il avait perdu toute illusion sur la nature humaine et s’attendait au pire, à chaque fois qu’il se rendait sur une scène de crime. Le métier voulait ça. Il avait déjà participé à quelques enquêtes sur des infanticides. Chacune d’entre elles était une de trop. C’était toujours dur à avaler, de voir des gamins réduits à néant par la folie des hommes… Mais là, il y avait quelque chose d’autre. Quelque chose de pire. J-C n’avait jamais vu un acharnement pareil. Les visages des gamins étaient méconnaissables. On ne distinguait plus aucun trait. Le nez, les lèvres, les sourcils, les joues… Tout n’était maintenant qu’un amas organique, une bouillie de chair et d’os, de sang et d’éclats de bois incrustés. Une plaie horizontale traçait une rature fatale au travers de leur cou. Les deux enfants avaient été égorgés, avant ou après avoir été passés à tabac. J-C détourna le regard, écœuré, et se força à reporter son attention sur autre chose pour tenir à distance les images qui s’imprimaient dans son cerveau. Celles d’une bûche de bois qui s’abattait impitoyablement sur les visages innocents de deux enfants prêts à aller se coucher.
De là où il était, J-C ne voyait pas encore le corps du père, mais il apercevait celui de la mère, étendu à côté de la table à manger, de l’autre côté de la pièce. Autour d’elle étaient agenouillés le médecin légiste et son assistant. Ils étaient accompagnés de deux autres personnes que J-C reconnut malgré leur accoutrement.
Florian, le procédurier de l’équipe. Le cadet également. À trente-deux ans, il avait la charge de répertorier tous les indices qui étaient trouvés, que ce soit sur les corps des victimes par le médecin légiste ou sur les lieux du crime par l’équipe scientifique. Il retranscrivait les auditions et les interrogatoires. Il couchait sur le papier chaque détail de l’enquête. Un travail titanesque qui ne pardonnait aucune erreur ni aucune approximation, même infime. Il était responsable du respect des procédures, et au moindre oubli ou à la moindre imprécision, le dossier à charge pouvait déraper et capoter devant le juge.
À ses côtés, Lucille Rahmani. 35 ans, nouvelle arrivée dans la brigade criminelle. Ancienne gendarme basée dans le sud de la France, elle avait pu intégrer l’équipe d’Ademski et revenir dans sa région natale grâce à son oncle, un général qui avait des relations dans les Hauts-De-France. Son teint mat, ses cheveux noirs et ses yeux châtaigne trahissaient ses origines iraniennes. Elle récoltait les indices et photographiait tout ce que relevaient le médecin légiste et son assistant. Ses photographies iraient enrichir le dossier de Florian. Sur ce coup, elle était un peu les « mains sales » du groupe. Un privilège douteux souvent réservé aux nouveaux arrivés.
Autour d’eux, les techniciens étaient eux aussi occupés à figer la scène de crime. Ils examinaient chaque centimètre carré à la recherche d’indices et photographiaient tout. Les paparazzi de la mort. Ça pouvait sembler déplacé, mais la justice avait besoin d’un maximum de détails pour pouvoir faire une reconstitution complète et exacte des lieux, si un juge le demandait. Des petits plots jaunes numérotés indiquaient la présence d’indices à relever ou de traces à examiner.
En s’approchant d’eux, J-C découvrit le corps du mari. Il était à terre, adossé contre l’arrière du divan, les jambes repliées dans une mare de sang. Les mains attachées dans son dos, une corde épaisse en guise de bâillon, et des marques de lacération sur tout le haut du corps. Buste, cou et visage. L’état de la dépouille donnait l’impression qu’une bête sauvage s’était acharnée sur lui. Il avait dû souffrir un long moment et mettre un certain temps avant de mourir.
Le capitaine Flament continua d’avancer vers le corps de la femme, saluant d’un geste ses collègues et l’équipe médicale. La victime était allongée sur le flanc, dénudée. Comme son mari, elle avait les mains attachées dans le dos, et une corde dans la bouche pour la réduire au silence. L’ondulation de ses longs cheveux, rendus poisseux par la transpiration et le sang, était figée sur le sol. Son corps présentait de nombreuses marques de coups et de lacérations, similaires à celles de son mari, mais elles paraissaient moins profondes. Elle aussi avait été torturée, mais pas de la même façon. Il semblait à l’enquêteur que le meurtrier avait pris son temps avec la femme, mais ne s’était pas acharné dessus. L’impression qui ressortait de cette partie du crime était plus de l’ordre de l’humiliation et de la domination que de la torture et de la frénésie meurtrière. Une plaie traversait le corps de la femme, au niveau de l’abdomen. Sans doute le coup fatal.
J-C demanda discrètement à Lucille ce qu’ils avaient pour l’instant.
— Pour la femme, de nombreux hématomes, commotions, marques de blessures par arme blanche, entama l’iranienne. Il l’a probablement cognée contre les murs, on y retrouve des marques de sang qui correspondent aux blessures infligées au visage. Elle a été déshabillée, mais à première vue il n’y a pas de trace de viol ou de sévices sexuels. Bâillonnée et ligotée, elle n’a pas pu se défendre, et a subi un certain nombre de blessures avant le coup fatal porté dans le bas du dos. L’arme est ressortie par le ventre.
— Tous les coups ont été portés ante-mortem, compléta le médecin légiste d’une voix presque mécanique. Nous aurons la liste exhaustive des coups infligés après l’autopsie, mais l’idée est là : elle a d’abord été frappée contre le mur à plusieurs reprises, puis peut-être à coups de poing et coups de pied. Ensuite, le tueur l’a laissée se traîner au sol, et peu après, il est passé à l’arme blanche…
— Elle a été déshabillée, mais n’a subi aucune violence sexuelle ?
— À première vue, confirma le médecin.
J-C détourna le regard vers le mari. Adossé contre le divan, il était tourné vers le corps de sa femme. Le tueur l’avait positionné là pour qu’il le voie humilier et torturer son épouse. Il voulait faire souffrir l’homme psychologiquement avant de le frapper dans sa chair. Il avait rossé sa femme, lui avait ôté ses vêtements, l’avait dominée, humiliée et terrifiée, sous le regard impuissant de son mari.
L’avait-il tuée avant de se mettre à torturer le père de famille ? Et les enfants, à quel moment avaient-ils été frappés à mort et égorgés ? Les parents avaient-ils assisté à ce massacre ?
Confusément, J-C sentait que le but du tueur était de faire souffrir au maximum le père de famille. Il imaginait bien dans quel ordre s’étaient déroulés les événements, mais préférait attendre les résultats des autopsies avant de tirer des conclusions. Le seul soulagement était l’absence de viol. Ça faisait partie des choses auxquelles J-C n’arrivait pas à s’habituer.
En sueur dans sa combinaison, Flament laissa ses collègues continuer leur travail et reprit son inspection de la maison, avec une pensée qui tournait en lui comme un leitmotiv. La scène de crime puait le sadique.
***
Après avoir fait le tour de la maison et du jardin, J-C se débarrassa de son attirail de cosmonaute et rejoignit Adrien sur le porche. Les deux autres équipiers qui formaient le groupe d’enquête étaient arrivés. Yassine, l’adjoint d’Adrien, et Thierry, le « gros bras » de l’équipe, un ancien de la BAC aux muscles tatoués de serpents et de têtes de mort.
— Bon, entama le capitaine Ademski, on a du boulot. La bonne nouvelle, c’est qu’on garde l’enquête. Après l’astreinte, on ne la refilera pas à un autre groupe. Jean-Christophe, tu commences les auditions. La famille, les badauds et le porte-à-porte. Yassine et Thierry, vous allez jeter un œil dans la maison pour vous faire une idée. Après ça, Thierry, tu chercheras des traces dans les alentours. N’oublie rien, sous les voitures, le caniveau, les poubelles, les caméras de surveillance, s’il y en a… Yassine, tu iras voir du côté du jardin. Il donne sur des champs, et il est presque sûr que le tueur est passé par là… Jean-Christophe et Thierry, quand vous avez fini, vous venez me rendre compte et vous aidez Yassine. S’il a terminé, vous repassez derrière lui pour vérifier que rien n’a été oublié. Florian et Lucille suivront les corps et resteront avec le médecin légiste pour les autopsies. Allez, au boulot !
Le petit groupe se sépara. Yassine et Thierry allèrent chercher des combinaisons pour entrer à leur tour au cœur de la tragédie. J-C jeta un regard circulaire, estimant qu’il y avait une quinzaine de voisins éparpillés, quelques promeneurs ou curieux, et au milieu, la famille des victimes. Les parents étaient en larmes, et ils serraient contre eux leurs deux enfants comme s’ils craignaient qu’on les leur arrache. Quoi de plus normal, après ce qu’ils avaient vu ici… C’était par eux qu’il devait commencer. Il s’avança vers le père de famille, tendit la main en déclinant son identité et présenta ses condoléances. Il proposa à l’homme, Paul Sentière, de le suivre à quelques pas, d’une part pour assurer la confidentialité de ce qu’il lui dirait, d’autre part pour épargner un récit cauchemardesque aux enfants.
— Je n’ai pas grand-chose à vous apprendre, s’excusa le père de famille éploré, en guise de préambule. Nous devions rejoindre mon frère Nicolas, sa femme Samantha et leurs deux enfants pour prendre le café, puis aller faire un tour à la Braderie de Lille. Vous savez, pour se balader et passer un bon moment ensemble, en famille…
— Vous êtes arrivés à quelle heure ?
— 14 h 30, à peu près, balbutia l’homme entre deux sanglots.
— OK, vous arrivez, vous sonnez, personne ne répond…
— Non, personne. Alors, j’appelle le portable de Nicolas, pas de réponse. Celui de sa femme, pas de réponse, mais on entend la sonnerie à l’intérieur. Alors, je crie au cas où ils seraient dans le jardin. Toujours pas de réponse. Et la porte d’entrée était fermée à clé. Alors, je passe d’une fenêtre à l’autre pour essayer de les voir, vous savez, et d’attirer leur attention. Et c’est là que j’ai vu le corps de ma belle-sœur. Elle était nue au milieu de la pièce, plein de sang partout, et ses yeux étaient pointés dans ma direction… Elle semblait me regarder, mais son regard était vide… J’ai hurlé à ma femme d’appeler des secours, et j’ai fait le tour pour entrer dans la maison par le jardin. La baie vitrée était ouverte.
— D’accord, et c’est là que vous avez découvert…
— Les corps de mon frère et de ses enfants, oui.
— Je suis désolé… Est-ce que vous avez touché à quelque chose ?
— Bien sûr, s’emporta l’homme encore en état de choc, qu’est-ce que vous croyez ? J’ai essayé de réanimer chacun d’entre eux ! Putain, j’ai pas fait gaffe à ne rien toucher, à ne pas laisser mes empreintes, ou je ne sais quoi ! Il y avait mon frère, ma belle-sœur, mon neveu et ma nièce morts devant moi, bordel ! Et leurs visages… Oh mon dieu, mais comment peut-on faire ça à ces enfants… C’est inhumain…
J-C posa une main compatissante sur l’épaule de Paul Sentière. Il aurait voulu trouver les mots pour expliquer ce qu’il s’était passé. Pour trouver un sens à tout ça. Mais il n’y avait rien à dire. Le monde était rempli de monstres, et l’un d’eux venait de décimer la famille de cet homme.
***
Les corps étaient arrivés à l’Institut Médico-Légal du Centre Hospitalier Régional de Lille peu après 21 h 30.
Le médecin légiste, son assistant, et Florian étaient avec Lucille dans une des deux salles d’autopsie qui occupaient le sous-sol du CHR. L’enquêtrice serrait son appareil photo plus que nécessaire. C’était la première fois qu’elle assistait à une autopsie, et ça la rendait nerveuse. D’autant plus qu’en tant que femme et nouvelle dans le service, elle se savait attendue au tournant. Elle n’avait pas le choix, elle devait assurer.
Le Dr Bonnaert avait refait le même examen externe que sur les lieux du crime, sauf que cette fois, les blessures de la victime avaient été lavées. Ses vêtements, retrouvés déchirés à côté du corps, avaient été pris par les techniciens de l’Identité Judiciaire. La jeune femme, allongée sur la table en inox, aurait les honneurs douteux de la première autopsie. Lucille photographia le corps dans son ensemble. Puis le médecin commença les premières constatations, ponctuées des flashes des appareils photo.
— Victime de sexe féminin, type caucasien, une trentaine d’années. 1 m 67 pour 64 kilos. Corpulence normale. Oreilles percées. Flash. Tatouage représentant un petit singe sur une branche, en haut de son épaule gauche. Flash. L’heure de la mort a été estimée au 1er septembre 2018, entre 21 h 30 et 23 h 30. La température du corps était de 19 °C pour une température ambiante de 20 °C. Les lividités et la rigidité décroissante confirment l’estimation. Mort violente par arme blanche à l’abdomen.
Le médecin fit une courte pause et annonça qu’ils allaient partir de la tête vers les membres inférieurs pour leurs observations. Hématomes à l’arrière du crâne. Flash. Ecchymoses et traces de brûlures sur le visage. Flash. Pas de marques de strangulation apparentes. Flash. Des traces de ligatures au niveau des poignets. Flash. Sortie d’une blessure par arme blanche tranchante au niveau de l’abdomen. Flash. L’assistant apporta au médecin une feuille sur laquelle était représenté un corps, vu de face et vu de dos. Le Dr Bonnaert mesura la taille de la blessure et la représenta sur le dessin, en faisant attention à ce que l’échelle soit respectée.
Puis il repositionna ses lunettes et reprit son laïus.
— La blessure a été infligée ante-mortem. La victime a perdu beaucoup de sang. La lame a transpercé le corps, puis a été retirée, provoquant une hémorragie brutale des organes profonds, notamment de l’estomac.
L’énumération infernale continua pendant quelques minutes. Chaque blessure était passée en revue, chaque marque était analysée. Le docteur était en train de reproduire ce que la victime avait subi. La corde qui avait servi à la bâillonner avait provoqué des brûlures à la commissure des lèvres, les lacérations avaient été faites avec la même arme blanche qui avait infligé la blessure mortelle. Il s’agissait d’une arme ayant le gabarit approximatif d’une machette. Des bleus sur les cuisses indiquaient que le tueur lui avait écarté violemment les jambes alors qu’elle essayait de l’en empêcher. Puisqu’il n’y avait pas eu de pénétration, pourquoi le tueur avait-il fait ça ? Prenait-il son pied sans rapport sexuel direct, ou était-ce uniquement pour humilier la victime ?
Lucille sentit un léger vertige. Cette litanie froide qui recréait les violences qu’avait subies la victime l’assaillait comme si c’était à elle qu’on infligeait maintenant ces sévices.
Ressaisis-toi, Luce ! Ce n’est que le début… Que la partie externe…
La suite serait gore, Lucille le savait. Mais elle espérait que ça l’atteindrait moins que le descriptif de tout ce que la victime avait enduré. Là, elle avait l’impression de revivre et de ressentir chaque coup, chaque lacération, chaque dégradation… Et cela résonnait en elle comme l’écho d’un passé douloureux dont elle n’arrivait pas à se défaire, quels que soient ses efforts. Les coups qu’avait reçu la victime lui rappelaient ceux qu’elle avait elle-même dû encaisser, il n’y avait pas si longtemps.
Repensant au calvaire qu’avait subi cette femme, Lucille se prit à espérer qu’elle n’avait pas vu ses enfants se faire massacrer.
Le médecin légiste haussa la voix pour lui parler, l’arrachant à ses pensées.
— Mademoiselle Rahmani… Je disais donc, présence de brûlures au niveau des genoux. Vous pouvez les photographier. Flash. Merci. Les brûlures de frottement qu’on retrouve au niveau du visage, des coudes et des genoux sont probablement dues aux tentatives de la victime de fuir son tortionnaire. Elle s’est débattue comme elle a pu.
Une fois l’inventaire des horreurs terminé, la victime fut retournée et le même descriptif martelé de flashes fut appliqué. L’entrée de la blessure par arme blanche avait été mesurée et reportée également sur le dessin représentant le dos du corps.
Puis, vint l’écorchage. Une incision sur chaque masse musculaire pour rechercher les ecchymoses invisibles à l’examen externe.
Lucille arrivait enfin à prendre du recul et à se concentrer sur les photos à prendre. Cette partie de l’autopsie lui semblait plus facile que l’examen externe et sa reconstitution du calvaire de la victime.
Ensuite, le médecin légiste pratiqua une longue incision au scalpel qui partait du bas du menton de la victime jusqu’à son bas-ventre. En quelques secondes, la cage thoracique et une partie des entrailles de la victime étaient à découvert. Flash. Lucille sentait le vertige rappliquer. Les petites incisions ne lui avaient posé aucun problème, mais là, c’était autre chose.
— Costotome, s’il te plaît Antoine, réclama le médecin.
La sensation de malaise s’accentua lorsque l’assistant apporta au Dr Bonnaert une sorte de longue cisaille en inox noir. Le médecin attrapa l’instrument à deux mains, s’approcha du thorax de la victime, et coinça les lames autour d’une première côte. Puis il referma l’instrument d’un coup sec, sectionnant l’os dans un craquement macabre. Lucille sentit son estomac bondir et se révulser.
Lorsque le médecin réitéra l’opération sur la seconde côte, Lucille craqua. Elle lâcha l’appareil photo et se rua dans le couloir pour se rendre aux toilettes. Tout voltigeait autour d’elle. Elle n’eut pas le temps d’arriver jusqu’à une cuvette et vomit violemment dans l’évier à l’entrée de la pièce.
Florian l’avait rejointe et l’attendait derrière la porte.
— Ça va, Luce ? s’inquiéta-t-il.
Bien sûr que non, ça ne va pas, abruti !
— Oui, oui, articula-t-elle entre deux débuts de renvois. Je reviens tout de suite.
— Prends ton temps, on se débrouille, t’inquiète !
Après s’être rincé la bouche et humidifié le visage, Lucille prit son courage à deux mains et retourna dans la salle d’autopsie. En entrant, elle enfila une nouvelle blouse, et s’arrêta quelques secondes sur place. Le médecin légiste était en train de poser un poumon sur la balance. Lucille réussit à maîtriser un haut-le-cœur de justesse.
La soirée promettait d’être longue.