Le triptyque de Tanger - Sylvie Bourgouin - E-Book

Le triptyque de Tanger E-Book

Sylvie Bourgouin

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Beschreibung

A Tanger, il est un lieu mythique basé sur trois œuvres magistrales...

Le triptyque de Tanger est un livre basé sur un lieu mythique Tanger autour de trois œuvres : Le Journal de l'exil, la retraduction d'une nouvelle de Paul Bowles, Paroles malvenues devenues Les mots malvenus et la communication donnée à l'université de Tétouan au Maroc à l'invitation du département de littérature française intitulée Intuitisme, illisibilité et pluralité des interprétations de la nouvelle de Paul Bowles Paroles malvenues.
Ce journal pose la problématique de l'exil, sa souffrance, son errance et son impossible logement. Son bonheur aussi du voyage, des gens du voyage, des villes traversées. C'est un constat de mesures approximatives, de conversions hasardeuses des systèmes métriques qui me conduisirent à envisager la retraduction de cette nouvelle extraordinaire par les pistes et les possibilités qu'elle ouvre en termes de linguistique, de stylistique, de réception critique et de musicologie.

Découvrez sans plus attendre un ouvrage qui vous emmènera vers de nouvelles réflexions linguistiques, stylistiques, critiques et musicologiques.

EXTRAIT

Fatigue oculaire, j'attends le jeune homme noir au café, place du 9 avril pour un footing et un cours d'arabe dialectal, le darija dans une association Tabadoul qui doit enregistrer mon exil, le sommeil m'emporte, je ne me réveille pas avant dix heures. Il pleut, je renifle, la pluie ruisselait dans la rue Ayoubi, celle de mon hôtel. Si la torture a été employée par les Français pendant la guerre d'Algérie, la chronique d'été employée par Edgar Morin est aussi bien que la fiction, écrire historiquement est efficace. J'ai travaillé hier soir à l'hôtel sur les fichiers de l'Institut français au Maroc. Je trouve les livres de Bowles et Mrabet dans les deux langues, français et anglais, je peux donc facilement les comparer. Plantée devant le cinéma 9 avril, je regarde le point de vue circulaire. Qui voit la guerre d'Algérie, les Marocains déjà indépendants ou les Français colons qui veulent garder leurs colonies ? Deux points de vue, deux positions, celles des Français et celles des Marocains autour d'un centre, une place circulaire qui tournent autour d'une question celle de la torture. Qui voit, qui regarde la scène, les deux parties dans un troisième chapitre ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Sylvie Bourgouin, écrivaine née à Rouen, a publié sa thèse de lettres La réception critique de l’œuvre de Marguerite Duras pendant le premier septennat de François Mitterrand (Mahdia, 2009) et Trois histoires d'archéologie médiévale (Paris, 2012), sept romans, des recueils de poésie, des pièces de théâtre et de nombreux articles critiques. Présidente de l'association du peintre niçois Jean-Paul Harivel, les correspondances entre les arts, l'entrelacement des modes d'expression et les recherches sur la langage sont au centre de son œuvre romanesque.

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Sylvie Bourgouin

Le triptyque de Tanger

Roman

© Lys Bleu Éditions–Sylvie Bourgouin

ISBN : 978-2-37877-7913

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle

Journal tangérois de l'exil

Les mots malvenus, retraduction de la nouvelle de Paul Bowles, Unwelcome words

Communication à l'université de Tétouan du 30 novembre 2017, Intuitisme, illisibilité et pluralité desinterprétations de la nouvelle de Paul Bowles, Paroles malvenues1.

Dimanche 29 octobre 2017, port de pêche, café

Arrivée à Tanger depuis la nuit de jeudi à vendredi vingt-sept octobre à une heure trente du matin. Vendredi et samedi à la recherche d'un appartement à acheter. Il est huit heures cinq, une heure de moins encore. Recherche de lieux, recherche de tout, recherche de temps perdu. J'attends Baptiste et Antoine endormis à l'hôtel Royal et ce Journal représente une quête, un relais, une poursuite, un fil tendu et interrompu, un temps suspendu de trente ans, une génération pour rejoindre, reconstituer une histoire, trente ans pour un exil volontaire, pour reprendre, rejeter, un monde neuf. Qu'est-ce qui est à rechercher, à refaire, à reconstituer, un cours d'arabe, l'ombre des hommes, la vie, leur mort, leur énigme ? Sur le bord d'une route, la recherche des hommes de l'ombre, Paul Bowles, l'Américain gigantesque dans ce que la vie procure, du mal, du bien, d'un bonheur encore latent.

Lundi 30 octobre 2017

Rue Moussa Ibn Noussaïr entre la librairie La Virgule et l'agence immobilière Al Wassat. Le voyage en bateau a modifié mon visage, il est bouffi, gonflé, grossier par l'excès de petits-beurres et de chocolat laissés par mes parents. Les problèmes de connexion se sont accumulés, absence de téléphone, d'Internet, etc. Hésitation, incertitude, malaise, mal-être d'avoir lutté, pour survivre, supporter l'exil, le voyage. Peur de mourir aussi. J'attends de déposer le manuscrit de L’étoile de l'ombre selon les recommandations de l'éditeur Virgule du même nom, je dois déclarer mon exil volontaire, accumuler les corvées comme un chemin de croix sans issue. Télécoms marocains, banque, téléphone, publier mon sixième roman et achever le septième, Tanger absorbe mes journées et déboussole.

Mardi 31 octobre 2017

Café populaire près de l'hôtel Royal, rue Ayoubi où je paie dix euros par nuit depuis le départ des enfants. L'appartement m'obsède comme un bis repetita de Mahdia. Société générale, éditeur, agence immobilière, notaire, je suis obligée de m'accélérer et de me démener. Le repos serait sûrement le plus nécessaire. Le téléphone coupé, un message par e-mail de Baptiste revêt un caractère sacré. Les conclusions de mes travaux, de mes recherches conduisent à des recoupements, des ossements potentiels de corps d'enfants. Je ne veux pas décevoir Baptiste, Antoine, je dois agir. Mon cerveau papillonne dans tous les sens.

Mon visage se boursoufle, je mange du pain, des soupes, des fruits sans éprouver ni satiété, ni faim, les yeux gonflés par le sommeil et les biscuits laissés pernicieusement ou tendrement par ma mère. La gentillesse de la population m'émeut, le choix des pains, le choix de la monarchie au final, le choix du roi. Je lis un peu Jean Genet, Journal du voleur, je dois me rendre à Larache et je suis comme stressée, pressée même exilée. Je dois lutter aussi contre l'AVC, l'AIT peut-être par trop de pressions, de craintes, de changements.

J'ai assisté hier soir à une dédicace de Francine Kahn au restaurant Le pain nu. Le nom est celui de Dominique Strauss-Khan sur la problématique juive au Maroc à partir de 1957. Les Juifs ashkénazes d'origine allemande ont comme une suprématie, une domination sur les autres religions.

Universitaire un peu ennuyeuse, un peu distante, un peu hautaine, son livre s'impose comme le physique de jeune premier vieillissant de son éditeur, bel homme énervé, stressé, mâcheur de chewing-gum, buveur de vin, fumeur de cigarettes sans discontinuer. Un poste d'enseignante me fut proposé par le directeur des éditions Virgule, vers le proviseur du groupe scolaire du Détroit, dont le nom me rappelle celui des amis de mes parents. Je me présenterai au lycée Détroit pour accepter le poste comme mon cours d'arabe sur lequel je m'appuie cet après-midi. La mondanité de la ville me passionne, son importance historique, économique aussi, j'irai au cinéma ce soir, pour maintenir le feu sacré et nourrir ce journal, pour lutter contre la bestialité, l'animalité. Et, en exil, comme Gérard Depardieu, n'est pas une sinécure, simplement une adaptation.

Mercredi 1er novembre 2017

Sur la route de Larache, arrêt dans un routier pour un café, difficulté grave pour conduire, les yeux me brûlent, le visage et les mains encore gonflés. Je veux me recueillir sur la tombe de Genet dont l'emploi du subjonctif me fascine comme cette beauté, ce culte du vol esthétique. Le stress, la bousculade m'accompagnent encore dans la recherche d'un établissement, d'un équilibre financier. Un emploi de professeur à Détroit, un lycée à Tanger, la recherche d'une professeure d'arabe qui hier près de la librairie Virgule m'a posé un lapin, elle était absente au rendez-vous fixé à quinze heures.

Au cinéma Rif, place du 9 avril hier soir dans l'attente de l'appartement et d'Internet encore pour la troisième édition de mon cinquième roman Deux vies. Le film Burn out exprime assez bien le stress que j'éprouve lors de ce deuxième voyage à Tanger. J'étais calme en septembre, mince et belle disons que je plaisais, je me dégoûte un peu dans la mauvaise nourriture, tajine de sardines aux pommes de terre, soupe de pois cassés, seul le pain me contente mais ce matin, cette fatigue oculaire m'abat comme si une alimentation supplémentaire m'était nécessaire. Je dois travailler demain matin à la Légation américaine dans une bousculade, une hyperbate des jours, de l'emploi des heures, le soleil me porte mais les nuits sont froides. Burn out montre les excès d'une société marocaine dans un mouvement trépidant. Émotion de l'enfant qui vole une prothèse pour soulager sa mère qui veut encore travailler handicapée, l'importance du viol et du sens de l'honneur des hommes émeuvent aussi. J'aime ce cinéma à vingt-cinq dirhams la séance, je crois que j'irai ce soir après mon recueillement à Larache.

Jeudi 2 novembre 2017

Café Tingis nom de Tanger ancien, et toujours dans l'hésitation du choix des jours et des heures. Rendez-vous successifs à Talim, Tangier American Legation Institute for Moroccans Studies à dix heures pour une communication sur Paul Bowles, contribution délicate pour l'Université, peut-être la revue ActuaLitté ou les éditions Classiques Garnier. Je prépare ici à café Tingis cette contribution, les mots aussi se bousculent, entretiens, journalistes, traduction, médicament, Mrabet. J'appréhende, je dégonfle, me semble-t-il, je vois avec un certain bonheur poindre à nouveau les os de mon torse. Les touristes sont rares, place du Petit Socco à l'entrée de la médina. Une semaine à Tanger déjà, trois jours depuis le départ des enfants, je vois une éternité à laquelle je m'accroche au cinéma Rif après le malheur de cet appartement maudit. J'envisage de faire du sport, de courir sur la plage, j'aperçois hier en rentrant d'un rendez-vous, mauvais aussi au lycée Regnault les grands hôtels, Hilton et Ibis, je trouve toujours la ville belle et distinguée même si j'ai du mal à m'équilibrer. Après une semaine passée à Tanger, je vis et revis l'épisode noir de l’appartement de Mahdia, le repos me manque. Quand je me lève à sept heures, je respire, je dis ouf, je survis. J'attends un cours d'arabe chez Gaudi, très cher, ce matin, vivre en monarchie me rassure, me plaît, m'élève, me semble-t-il. Vu hier soir Cocorico Monsieur Poulet deJean Rouch. Le cinéma ethnographique m'accroche, même si la gestion de l'argent m'inquiète, m'énerve, me perturbe. Je prendrai l'habitude d'une heure de sport demain, après une semaine à Tanger, la vie est calme, au pas des écoliers. Virgule éditions me fourvoie dans les rendez-vous scolaires, enseigner me convient mais tuer, me tuer m'effraie au centre de ce rendez-vous de signature, seule femme, parmi ce juge vendeur, ce notaire au physique de Daniel Mesguich, de ces agents immobiliers mafieux et véreux, aux portraits cinématographiques. Un clochard céleste sort de la médina au milieu des uniformes bleu marine des beaux petits garçons au bras de la djellaba de leur maman. Jean Rouch m'émeut dans la simplicité des moyens, la perception esthétique du réel, la joie de la dure réalité et dans des sous-titrages approximatifs et décalés. Le français parlé est tu ou occulté au profit des sous-titrages en anglais qui sont nécessairement lus dans le bonheur de l'apprentissage répété d'une langue. Un film encore de Jean Rouch et Edgar Morin ce soir Chroniques d'été, je pense que je le verrai dans la proximité de ma thèse sur Marguerite Duras et d'une possible communication universitaire. Vu hier à Larache, la tombe étrange de Jean Genet, mort sur deux jours les 13-14 avril 1986, propension et génie des Français à maquiller les décès, les crimes. J'irai cet après-midi à l'Internet public reprendre enfin mon roman Des hommes d'indépendance sur la guerre d'Algérie, rythme de mes journées et nécessité de mon équilibre. Vais-je courir, apprendre l'arabe, penser à maigrir, traduire, l'exil me bouscule et me porte dans un complexe et un rejet admis. Je ne peux pas changé mon sexe après avoir changé mon compte bancaire, mon numéro de téléphone et aujourd'hui peut-être mon adresse e-mail ?

La société tangéroise le matin tourne autour du transport des écoliers surchargés à l'école, on voit mal comment Mohamed Choukri, instituteur pouvait aller jusqu'à la beuverie la nuit et fumer du kif dans une société si ordonnée, si rangée en apparence. Étonnée par la présence espagnole de Larache, les stigmates de la colonisation tracent la ville, vol à l’arraché, on suppose et toute la contradiction française de la colonisation, bourgeoise et cachottière. Je rêve de footing comme Mohamed VI de jet-ski sur les espaces bleutés de Tétouan.

Vendredi 3 novembre 2017

Fatigue oculaire le matin, je dors bien de minuit à six heures sans discontinuer. J'organise mes journées dans un rythme que je souhaite équilibré mais je me lève avec un larmoiement qui m'empêche de conduire, le visage gonflé, j'avais les pieds noirs de l'intérieur, les pleurs aux yeux de l'absence de réponse d'Antoine. L'argent me pèse, me gonfle, je vais aux toilettes dès le réveil, une semaine à Tanger, un temps d'éternité, de cruauté, de paix avalés, de soupes, de films au cinéma Rif. Un jeune Noir de Guinée Conakry retrouvé hier au café Tingis m'accompagne dans les cours d'arabe, de darija et dans les voyages à travers les villes marocaines rendus impossibles par cette vue affaiblie. Je reste place du 9 avril comme à Tunis, le nom de la faculté, à regarder hier soir Chroniques d'été d'Edgar Morin sur le bonheur à Paris, la période enfin abordée de la guerre d'Algérie et le droit à l'insoumission. Je suis comme portée, bousculée par mes recherches, je vais avancer en forçant. Visite immobilière à onze heures trente dans la Casbah chez un agent immobilier peintre reconverti, l'opération est mauvaise, à renouveler. Je veux aller dimanche à Rabat mais je ne vois pas, la fumée et le kif me font pleurer, le soleil m'éblouit.

Sur la cruauté des chiens, sur la chiennerie, je dois travailler à dix heures à TALIM sur Paul Bowles et Mohammed Mrabet, je demanderais à visiter l'immeuble de son appartement, le quartier juif pour mon roman. Morin et Rouch résolvent en partie le cinéma vérité, la chronique sur le vif mais les plans fixes des visages et les difficultés devant la caméra sont à la fois nombrilistes, ennuyeux et insuffisants en quelques sortes mais très intéressants. En effet, la problématique de la guerre d'Algérie est bien posée. Pouvions-nous perdre du jour au lendemain nos colonies comme pouvions-nous accepter le travail à la chaîne en usine au quotidien ? Pouvions-nous donner l'autonomie puis l'Indépendance comme nous pouvions perdre notre emploi, refuser la maîtrise cruelle et l'emploi répétitif, des pièces à produire qui ont peu changé ? Aujourd'hui, le rêve de devenir ingénieur est celui de l'immigré arrivé à Paris qui parvient à entrer à Flins ou à Aulnay-sous-Bois, le travail de l'ingénieur ressemble à celui de l'ouvrier, l'asservissement, la dureté, la répétition, la division des taches, la cruauté qui se reportent sur les femmes, les faibles, les comportements deviennent bestiaux. Troubles oculaires liés à l'horreur de l'exil, de l'abandon, du silence des enfants qui lorsque je dis que le nombre cinquante-cinq à la fin du numéro de téléphone du propriétaire ou de l'agent immobilier signifie le crime, le nient alors que le titre foncier est caché et que la volonté de tuer est manifesté. A regarder bien, je crois pouvoir résoudre la problématique de mon roman. Comment reproduire la vérité dans un roman, peut-être intégrer des passages chroniqués, des chapitres historiques en dehors de la fiction, de la narration qui retraceraient la position vraie de la France, du Maroc, de l'Algérie pendant la guerre sur deux problèmes et questions épineuses : la question juive et la question de la torture ? Je veux me rendre à l'Institut français de Tanger, 41 rue Hassan Ibn Ouazzane prendre Le citron et Look and move en français de Mrabet et Paroles malvenues, je dois aussi consulter Zoco Chico de Choukri pour développer le motif et la thématique du chien. Le guinéen vient de passer avec un blouson de ski, il fait froid pour lui mais je n'ai pas besoin d'accompagnement à Tanger, il me cherche, il me trouve même si mes orteils étaient noirs hier soir, mes yeux larmoyants liés peut-être aux disputes de Baptiste pour de l'argent embarqué dépensé, nous voulons courir, partir en voyage dans le Maroc, partager un instant béni, la solution du partage mais la conduite m'est empêchée, mes yeux pleurent.

Jeudi 4 novembre 2017

Fatigue oculaire, j'attends le jeune homme noir au café, place du 9 avril pour un footing et un cours d'arabe dialectal, le darija dans une association Tabadoul qui doit enregistrer mon exil, le sommeil m'emporte, je ne me réveille pas avant dix heures. Il pleut, je renifle, la pluie ruisselait dans la rue Ayoubi, celle de mon hôtel. Si la torture a été employée par les Français pendant la guerre d'Algérie, la chronique d'été employée par Edgar Morin est aussi bien que la fiction, écrire historiquement est efficace. J'ai travaillé hier soir à l'hôtel sur les fichiers de l'Institut français au Maroc. Je trouve les livres de Bowles et Mrabet dans les deux langues, français et anglais, je peux donc facilement les comparer. Plantée devant le cinéma 9 avril, je regarde le point de vue circulaire. Qui voit la guerre d'Algérie, les Marocains déjà indépendants ou les Français colons qui veulent garder leurs colonies ? Deux points de vue, deux positions, celles des Français et celles des Marocains autour d'un centre, une place circulaire qui tournent autour d'une question celle de la torture. Qui voit, qui regarde la scène, les deux parties dans un troisième chapitre ?

Souffrance hier de ne pas entendre Antoine, je pleure intérieurement. Où la scène se passe-t-elle autour d'un cercle, d'un diamètre ? Sur la corde, la tangente ? Où planter la caméra ? Autour d'un axe, sur les médianes, autour des deux parties ? La mosquée à la droite de la place parle de la guerre du côté marocain, à la gauche du côté des restaurants, de la position des colonisateurs.

Visite hier de la synagogue du boulevard Pasteur, c'est vendredi soir, sabbat, le rabbin m'accepte, me fait visiter les lieux, l'étage pour la prière des femmes, il me dit vous êtes écrivain, il est dix-sept heures trente, la nuit tombe, je me sens rassurée, flattée, heureuse de ce signe de reconnaissance. Trois hommes de confession juive s'assoient, se plaignent de l'absence des dix personnes requises pour officier, je me présente, je parle et hautain, sérieux, après quelques minutes, le rabbin me congédie et déclare la prière ouverte. A trois hommes, les femmes sont absentes. Moment de joie, de reconnaissance.

La retraduction de Paroles malvenues me tient à cœur, comment un chien peut-il avaler du Largactil, que j'ai eu à prendre deux fois, comment Paul Bowles a-t-il pu avoir connaissance de mes propos tenus par téléphone ?

Vendredi 5 novembre 2017

La finesse revient et avec elle le bonheur d'un matin tangérois, ordonné enfin dans le footing au réveil et le cinéma à dix-neuf heures sur un programme Élia Kazan que j'admire. Je diminue la nourriture, pense à ma beauté, ma ligne, mon bronzage, espère encore un accouplement, un amour à venir. Je poursuis au Petit Socco le programme d'une reconstitution, d'une reconstruction. Le Maroc est férié, dimanche et lundi pour la Marche verte, j'hésite à me rendre à Tétouan, à Fès, les deux facultés fermées. Je prends dans le bonheur, un cours de darija mais c'est faible et cher, trop pour moi dans une association étrange Tabadoul tenue par une étrangère squelettique dont la mâchoire proéminente m'effraie. Elle semble participer de la tuerie tangéroise. Le professeur de darija prend quinze euros, je négocie en vain un échange avec des cours de français, d'alphabétisation, mais je n'obtiens que de payer, me faire escroquer encore, je demande cent cinquante dirhams au distributeur de la Banque populaire, l'appareil refuse, je demande deux cents dirhams et reçoit deux billets pour un total de trois cents dirhams. L'argent reste le problème central de ma vie, dépourvu de l'argent, comment l'éviter ? J'ai encore mal aux yeux le matin mais un peu moins malgré tout. Je reprendrai une heure de darija demain, j'accélère mon rythme, mes habitudes tangéroises et je reste une heure à l’Institut français de Tanger où je trouve Paroles malvenues, Look and moveon en français via une édition belge. Je regarde au café Al Manara livrer le pain de toutes formes dans un triporteur qui ressemble à celui de Z avec Yves Montand. De nombreuses questions restent entières, le bordel près de la tombe de Genet est-il en liaison avec le bordel révélé de Vieux-Port il y a quelques mois, comme les deux dates de mort, l'enterrement à Larache contre son gré

? ZocoChico en français de Choukri est manquant. Comment s'est effectué cet exploit d'écrire en arabe littéraire quand il était dans les rues pauvres avant vingt ans ? Tanger est magique. L'emploi du subjonctif excessif dans Le journal du voleur semble en contradiction avec le discours tenu. Ils arrivent au même excès de langage soutenu, le même bordel, l'homosexualité, la même ambiguïté.

Le darija, l'apprentissage de la langue me passionne. Je rencontre la ville par ses cafés, son cinéma, ses lieux de mémoire mais à la Légation, au musée Paul Bowles, la secrétaire n'est pas capable de m'indiquer son domicile. Ces hommes de l'ombre participent de Tanger comme un bonheur fantomatique à reconstituer.

Lundi 6 novembre 2017

Rencontre à la salle de télévision de l'hôtel avec des hommes commerçants de Casablanca qui paraissent évoluer, plus riches, je suis au café Al Manara, un jour férié pour la victoire du Maroc dans la conquête du Sahara espagnol en 1975. La fatigue oculaire se poursuit sans que je sache pourquoi, je ne conduirai pas ce matin. Cinéma hier soir, Un mur invisible