Le trou de la serrure - Quentin Michardière - E-Book

Le trou de la serrure E-Book

Quentin Michardière

0,0

Beschreibung

Simon et Arianna, deux jeunes orphelins, tentent de recoller les morceaux après la mort tragique de leur mère. Mais quelque chose ne tourne pas rond chez Simon : ses absences se multiplient… et ses réveils se font de plus en plus étranges, parfois inquiétants. Rongé par des forces qu’il ne comprend pas, entre cauchemars et réalité distordue, il devra lutter pour rester éveillé. Car derrière ses troubles se cachent des vérités bien plus sombres qu’il ne l’imagine.

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Quentin Michardière est musicien, chanteur et parolier au sein du groupe Les Big Green Pigs. Avec "Le trou de la serrure", il signe son premier ouvrage, mêlant son goût des mots à une nouvelle forme d’expression.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 211

Veröffentlichungsjahr: 2025

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Quentin Michardière

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le trou de la serrure

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Quentin Michardière

ISBN : 979-10-422-7395-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

Cela faisait 7 ans qu’Arianna, sa mère et son petit frère avaient emménagé dans la ville de Pittsburgh aux États-Unis.

« Il ne nous suivra jamais ici », se disait sa mère encore et encore, alors qu’ils étaient assis dans l’avion des années plus tôt. À l’époque, Arianna n’avait que 9 ans et ne comprenait pas qui pouvait être ce « il ». La seule chose qu’elle avait notée c’est que son père était resté à Paris et que les visites à l’hôpital étaient moins fréquentes dans sa nouvelle ville. Arianna aimait les États-Unis. C’est là où elle partait en vacances pour voir ses grands-parents. C’est là que sa mère était née et où elle avait grandi. C’était une partie de sa famille et elle était fière d’être française et américaine.

L’adolescente, de maintenant 16 ans, descendait sa rue, se remémorant sa journée pour passer le temps. Des cours, des amis, l’école, les devoirs à venir… elle en aurait presque oublié les rejetés de la société qui se cachent dans certains recoins de la ville. « Les drogués », disaient ses professeurs. Ceux qui traînent dans la rue qu’importe l’heure du jour ou de la nuit. « Si vous travaillez mal à l’école, c’est ce qui vous arrivera ! »

Arianna rêvait souvent des corps inertes sur le sol, une aiguille encore enfoncée dans le bras et la bave coulant des lèvres bleues des jeunes de la rue. À chaque réveil, elle se jurait que jamais elle ne finirait comme eux.

Elle apercevait au loin M. Claude, il vivait avec son chien dans une maison de la rue. Sa carrière de photographe d’école l’avait rendu très populaire auprès des enfants. Un peu trop populaire, parfois. Les parents de la ville ne lui faisaient pas confiance, mais aucune preuve d’un quelconque vice n’avait été décelée chez ce monsieur. Juste des rumeurs, des coups de téléphone, des « devine ce qu’il aurait fait » qui venaient entacher la réputation du personnage… Arianna avait entendu une seule fois sa mère parler de M. Claude au téléphone avec la voisine Marie. Apparemment, ce voisin aimerait les filles « trop » jeunes. Qu’importe ce que cela voulait dire. Une fois, une seule fois, elle s’était approchée de M. Claude ; elle vendait des chocolats dans le voisinage et il était la dernière maison. Sa mère avait crié, alors qu’Arianna s’apprêtait à sonner à la maison de l’homme. Jamais encore la jeune fille n’avait vu sa mère courir aussi vite d’un bout de la rue à l’autre.

Ce n’était donc pas étonnant que M. Claude eût regardé autour de lui plusieurs fois avant de faire un signe de la main à Arianna. Cette dernière lui répondit par politesse, mais elle sentait que quelque chose n’allait pas chez cet homme. Elle n’était pas encore assez mûre pour sentir le prédateur caché derrière la moustache du photographe.

 

Arrivée devant la porte, la main sur la poignée, Arianna eut soudain un moment d’hésitation. Ce qui fit qu’elle s’arrêta reste encore un mystère. C’était peut-être le changement du temps dans l’air (Halloween arrivait dans moins d’un mois !), la voisine Marie qui avait renversé ses courses, le chien du voisin qui s’était mis à aboyer à la vue d’un écureuil, le couple de la maison d’en face qui se disputait une énième fois (madame Cécile avait retrouvé du rouge à lèvres sur le col de monsieur Hugo)…

Après plusieurs minutes à regarder autour et à contempler les différents spectacles de sa rue, Arianna tourna la poignée, ouvrit la porte et rentra.

Alors que, dans la rue, tout le monde vaquait à ses occupations, un drame se jouait au 14 Edgemont St. Il allait changer à jamais la famille Mono. Ce changement qui commença par le cri strident d’Arianna.

 

 

 

 

 

Moi…

 

 

 

Dans la chambre vide de l’institut, Simon contemplait le plafond. Il était bien lui. Il en était sûr, cette fois. C’était bien sa main qui tapotait le matelas, bien ses yeux qui regardaient la mouche dans la toile d’araignée. C’était bien sa voix qu’il entendait dans sa tête. La sienne et pas une autre. Ça faisait 3 jours qu’il ne s’était pas senti lui-même. 3 jours d’absence, 3 jours avec le sentiment d’être un spectateur à l’intérieur de son propre corps, 3 jours avec l’impression de se téléporter d’une pièce à l’autre.

Les psychologues parlaient de « dissociation », comme si son esprit allait faire un tour pendant que son corps était en autopilote.

« Pour faire simple, Simon, pour te protéger de dangers extérieurs, ton esprit se ferme. Comme quand tu mets ta console de jeux en veille, si tu préfères. Tu n’es présent que physiquement. C’est un moyen d’autodéfense », lui avaient expliqué les médecins.

 

Allongé sur le lit, Simon attendait. Quelqu’un, quelque chose. Il attendait d’être forcé de se lever. D’avoir un but aujourd’hui.

5 ans maintenant que Simon attendait, seul, sans sa sœur. Le dernier souvenir qu’il avait d’elle était un cri, le flou, et, plus tard, sa mère se balançant depuis le balcon du premier étage. Pendue.

À l’époque, Arianna était trop jeune, pour élever seule son petit frère. Elle partit dans un centre pour mineures et lui dans un institut pour « enfants spéciaux. »

 

Des familles, il en a eu plein. Des grandes avec beaucoup d’enfants, des plus petites avec un ou deux parents seulement. Il se souvenait de chaque rencontre et de chaque fin aussi. Cependant, ce qui se trouvait entre restait un mystère.

« Il est taré, votre gosse ! Il a fait peur à mes enfants. Je vous le rends ! »

« Taré ? » C’est ce qu’il était devenu ? Comment pouvait-il être tarésans en avoir conscience ?

Les gens parlaient. Beaucoup. Ainsi, tout le voisinage parlait de « Simon le fou. » Cela mit un terme aux familles de passage. On ne laissait plus de chance à Simon. Non. Il était bien trop bizarre.

Même à l’institut, sa réputation était faite. Ils l’appelaient « Simon Toc Toc », ces sales gosses. Simon ne les aimait pas. Sales, moches, difformes… Chacun d’entre eux dégageait de la misère. Une misère dont Simon ne voulait pas.

En réalité, il n’était jamais complètement seul, saviez-vous ? Même dans le silence le plus total, il continuait à entendre des gens lui parler. Seulement dans sa tête. Ce qu’ils racontaient le terrifiait. On lui parlait de la mort, des choses qu’il aurait faites.

Tu te souviens du petit Paul ? Tu lui as cassé le bras. Hein, tu te souviens ? Et Marie, la pauvre, elle a failli perdre un œil par ta faute ! Hahaha.

Cependant, de tout ça, Simon ne se souvenait pas. Ce n’était pas lui. C’était quelqu’un d’autre… De toute façon, ces sales gosses l’avaient mérité. Paul le brutalisait dès que ses parents avaient le dos tourné et Marie racontait plein de mensonges à son sujet.

 

« Laissez-moi passer ! »

Tiens, des voix dans le couloir ?

« Mademoiselle, vous ne pouvez pas entrer ! Il dort encore et vous avez des papiers à signer. »

« J’en ai rien à foutre de vos papiers ! »

Des pas pressés, de plus en plus proches. À peine le temps de se redresser sur son lit que la porte s’ouvrait déjà.

« Simon ? »

Devant lui, une jeune fille était debout dans l’ouverture de la porte. La lumière du couloir la mettait en contre-jour. Qui était-ce ?

L’inconnue se rapprocha doucement du lit, la pièce était encore dans le noir.

« Tu as beaucoup changé en 5 ans ! »

Une inconnue ? Non… Arianna ?

En 5 ans, elle avait grandi pour se rapprocher de ce à quoi sa mère ressemblait sur les vieilles photos du mariage de ses parents.

La coupe au carré lui allait bien, tout comme les vêtements qui laissaient apparaître, sans vulgarité, ses formes de femme.

Ce parfum… des fleurs ? Du lilas peut-être. Que de souvenirs qui remontaient dans la tête de Simon !

« Tu viens avec moi, Simon. J’ai 21 ans maintenant et je peux m’occuper de toi. »

Tout ce qui se passa par la suite sembla si irréel, même les choses simples : se lever, s’habiller, ranger ses affaires, accompagner sa sœur…

Une fois dans le bureau de la directrice de l’institut, Simon s’attendait à tout instant à ce qu’il y eût un problème. Sortir de cet endroitétait trop beau !

Assis sur la chaise, Simon écoutait les grands parler.

« Bah, alors, Simon. C’est le grand jour ? Tu vas nous quitter ? Oh, bah, c’est que tu vas nous manquer, tu sais. Ce sera vide l’institut sans toi ! Tu es sûr que tu ne veux pas rester ? Hahaha, non, je rigole, hein Simon ? » racontait la directrice de l’institut à Simon.

Ses gros yeux globuleux le scannaient de bas en haut, et son sourire aux dents jaunes se traçait de manière forcée sur son visage.

Pourquoi elle me parle comme à un débile ? se demandait Simon. Les bras croisés sur sa chaise, il évitait de regarder la directrice. Il ne fixait que ses pieds qui se balançaient. Gauche, droite, gauche, droite, gauche, droite…

« Vous savez, Mademoiselle, ce n’est pas parce que vous êtes en âge que vous pouvez vous occuper de votre frère. Il est quand même très dérangé, vous savez… Aucune famille d’accueil n’a pu le garder très longtemps… » ajouta la vieille directrice.

« Aucune famille d’accueil n’était sa famille. À part l’enfermer dans sa chambre, j’vois pas ce que vous lui avez apporté », rétorqua Arianna.

« Comme vous le sentez… mais contactez-moi, si jamais il est trop pour vous toute seule », enchaîna la directrice en passant sa carte.

Arianna la prit, la déchira en 4 et la balança au visagede la vieille directrice qui, outrée, se figea sur sa chaise, la bouche grande ouverte, les yeux encore plus globuleux que d’habitude.

« Je n’ai pas besoin de vous. Ne vous avisez pas de nous reparler, que ce soit à Simon ou à moi. »

Sur ces mots, Arianna signa les derniers papiers, prit Simon par la main et s’en alla, en prenant bien soin de claquer la porte derrière eux.

 

***

 

La suite sembla se passer en une fraction de seconde pour Simon : sortir dans la rue, prendre le bus… mais ils n’étaient pas dans leur rue. Pas encore.

« Je voulais venir ici, avant que nous ne reprenions nos vies, pour lui dire au revoir. »

Arianna avait dit ces mots en fixant ce qui était le portail du cimetière de Pittsburgh.

« … »

Simon restait silencieux. Il n’avait jamais pensé à la tombe de sa mère.

Les deux enfants avancèrent dans les allées, en jetant des coups d’œil aux différents noms sur les tombes.

« Si je me souviens bien, ils l’ont enterrée sous un arbre… Ah, c’est celui-là ! »

Simon leva les yeux vers un gros chêne. Il était vieux et attaqué par le temps, mais son tronc massif protégeait la tombe de sa mère.

Arianna avait déjà couru jusqu’à la tombe et se recueillait silencieusement.

Simon, lui, prenait son temps.

Et si elle sortait de sa tombe, hein, Simon ?

Le garçon essaya d’ignorer du mieux possible ce qu’il venait d’entendre.

La tombe était noire avec des gravures dorées : « Ici, repose Andréa Vergnes, mère et amie bien-aimée. » Le temps avait fait quelques dégâts, les oiseaux qui nichaient sur l’arbre au-dessus aussi.

« Elle avait repris son nom de jeune fille… C’est de la merde ce qu’ils ont écrit. Ça ne la représente pas du tout ! » s’indignait Arianna à haute voix sans attendre de réponse de Simon. Elle était agenouillée et nettoyait ce qui pouvait l’être.

Elle se leva de nouveau, faisant face à sa mère. Simon l’observait toujours en silence.

« Tu étais faible… Lâche ! »

Les propos de sa sœur choquèrent Simon.

Elle vous a abandonnés. Ta sœur a raison, Simon…, lui soufflait une de ces voix.

Elle sortit de sa poche une petite boîte, l’ouvrit et en sortit une bague. Elle semblait vieille avec un petit diamant dessus.

« Tu te souviens de cette bague Simon ? C’était celle de maman. »

Un flash de sa mère qui sourit s’afficha dans la mémoire du garçon. Elle adorait cette bague.

« C’est la seule chose que la police m’a permis de conserver quand ils ont… tu sais… retrouvé son corps. »

Après quoi, elle se retourna vers son frère et lui dit : « bon, on se casse ? »

Ils prirent le bus de nouveau pour revenir dans la rue où tout avait commencé.

« J’ai économisé des années, dans l’espoir de racheter notre ancienne maison. Sa réputation nous a bien servi ! un prix peu élevé et personne pour faire une offre. »

Devant les deux orphelins se trouvait le 14 Edgemont St. La vieille bâtisse tenait encore debout. On voyait ce que l’abandon avait causé à cette maison. De mauvaises herbes partout, des tuiles manquantes sur la toiture, une vitre cassée, la peinture craquelée.

On pouvait lire « FUCK », « MEURTRE », et « 666 » sur les murs. Les jeunes du quartier avaient pris plaisir à décorerà leur saucela maison d’enfance d’Arianna et Simon.

« Arianna, pourquoi des gens ont tagué la maison ? » s’inquiéta Simon.

« T’en fais pas. Tous les gamins sont des abrutis c’est tout. Rentrons. »

En rentrant dans son ancienne maison, Simon se sentit mal. La tête lui tournait. L’équilibre lui manquait. Le brouillard, un flash, puis…

 

(Des pieds se balançaient)

 

Qu’était cette image ? Un souvenir ? Un rêve ?

Si c’était un rêve, alors, était-il en train de dormir ? Était-il encore dans sa chambre à l’institut ou en train de bloquer en regardant un mur dans la salle de repos ? Était-il vraiment lui cette fois encore ou est-ce qu’il pensait qu’il était en contrôle ? S’il n’était pas en contrôle, alors comment pouvait-il reprendre les commandes ? Et si ça ne marchait pas alors…

Les mains sur les oreilles, les yeux fermés, Simon secoua la tête encore et encore. Il ressemblait à un jouet qu’on aurait remonté. Quelqu’un venant tout juste de l’actionner. Toutefois, ce jouet était cassé, il ne faisait que crier la même chose :

« Non ! Non ! Non ! Non ! Non ! Non ! Non ! Non ! Non ! Non ! »

« Simon ? »

Stop. Plus de voix. Une odeur de lilas et les yeux d’Arianna qui fixaient Simon.

« Tout va bien se passer maintenant. Je te le promets. »

 

 

 

 

 

La baignoire…

 

 

 

Il était une fois, une famille toute gentille : le papa, la maman, la sœur et le frère. Une famille « cliché » tout droit sortie d’une série télévisée. Ils étaient beaux, tous, à sourire pour rien. La famille parfaite que tout le monde enviait. Les gens se disaient « ah, si j’avais une famille comme la leur… », « si seulement j’avais deux enfants si souriants ! » C’est vrai que cette famille savait se présenter. « Il faut montrer comme nous sommes heureux » pour que les gens ne remarquent pas les marques, les cicatrices, les bleus, les brûlures, les blessures…

Regardez-les sourire. Tous. Le papa sert fort la maman contre lui. Il l’aime ? Il la protège ? ou est-il en train de rentrer ses ongles dans sa peau fragile ? Il lui a dit pourtant de rester sage et mignonne durant la photo.

« Si tu dis un mot, je te tue » était sa phrase d’amour préférée.

La maman ne disait rien. Elle souriait et s’efforçait de ne pas verser les larmes qui s’accumulaient dans le coin de ses yeux. Si on lui demandait ce qu’elle avait, elle répondait « c’est juste l’émotion ! Je suis si heureuse d’avoir une si belle famille. »

Les enfants alors ? La petite fille devait être bien maladroite vu toutes les marques qu’elle avait.

« Bah, elle se cogne, ma fille ! Elle tombe ! Elle estcasse-cou ! hahaha », disait le papa. Mais la petite fille ne rigolait pas. Elle ne parlait pas. Elle avait juste appris à sourire parce que sinon papa n’était pas content, sinon papa lui montrait comment faire. Il lui tirait les joues avec les mains et les écartait fort. Très fort. « C’est comme ça qu’on sourit ! Je veux des enfants heureux ! » Elle souriait alors, malgré les larmes qui coulaient sur son visage, malgré la douleur qu’elle avait sur les joues. Elle devait sourire pour papa.

Le petit dernier de la famille, le petit garçon, était trop jeune pour comprendre ce qu’il se passait. Il était trop jeune aussi pour rester propre constamment.

« Mais c’est quoi, ça ? C’est le gosse ? Il pue ! Que dois-je faire pour avoir des enfants propres ! » se plaignait le papa dès que le petit dernier se tachait ou s’oubliait dans sa culotte. Néanmoins, pour le petit garçon, c’était normal qu’on lui parlât comme ça. Il ne connaissait que cette façon de faire. Ce petit garçon qui, d’ailleurs, avait développé un talent naturel pour tout ignorer. Quand c’était trop, il passait « en mode veille » et ça, papa, il n’aimait pas…

« Putain, mais il est autiste ton gosse ? » se demandait souvent le papa. « C’est de ta faute, ça encore ! Tu m’as fait un gamin cassé ! Tu sers à rien de toute façon ! Sale conne ! »

Pour les deux enfants, le seul référentiel était leur famille. Du coup, c’était normal de voir maman punie quand elle avait fait une bêtise. C’était normal d’entendre papa crier toute la journée. C’était normal pour le petit garçon que sa sœur se précipite pour le nettoyer dès que papa grondait.

Sa sœur qui lui avait appris un jeu : « dès que papa crie, alors on joue à cache-cache. » On se planque dans l’armoire, sous le lit, dans la cave, dans le grenier, derrière les portes, on se tait et on attend.

Elle était très heureuse cette famille, jusqu’au jour où maman décida qu’il était temps d’arrêter de sourire…

 

« Simon ! Qu’est-ce que tu fais ? »

Assis sur le matelas posé à même le sol, Simon revenait à lui. Combien de temps était-il resté inconscient ? Dix heures, peut-être. Pourtant, la seule chose qu’il avait faite c’était aller se coucher. Comme un petit garçon normal.

Dans la pénombre de la chambre, Simon cherchait d’où provenait la voix. Arianna ? Bien sûr que c’était elle ! Qui d’autre sinon ?

Entre ses mains, le garçon serrait quelque chose. C’était poilu, doux et en même temps tout mouillé. En tout cas, ça ne bougeait pas.

« Simon, c’est quoi dans tes mains ? J’ai entendu des couinements et, quand je suis rentrée, tu étais assis sur le lit. Montre ! »

Une lumière soudaine, les yeux aveuglés, Simon ouvrit les mains.

« Quelle horreur ! Mais où as-tu trouvé ça ? » Arianna semblait à la fois dégoûtée et effrayée.

Après quelques secondes d’ajustement, Simon put voir le carnage qu’il avait causé. On aurait dit une vision de cauchemar. Les murs et ses draps étaient couverts de traces rouges. Il sentait du liquide dégouliner de ses mains. Lorsqu’il voulut les regarder, il fit tomber une peluche sur le sol.

POF !

En y regardant de plus près, Simon vit que ce n’était pas une peluche. C’était doux, poilu et inanimé, mais le rouge qui émanait de la gueule de la créature ne faisait pas partie des propriétés d’un jouet.

Là, sur le sol de la chambre du garçon gisait un rat. Les réflexes de l’animal fonctionnaient encore. De temps en temps, une de ses pattes gesticulait, comme s’il allait se remettre et s’enfuir à toute vitesse. Mais il était bien mort. Le cou tordu avec une telle force que sa tête était presque arrachée.

« Bouge pas, je vais chercher un sac poubelle. » Arianna partit de la chambre, laissant le meurtrier et sa victime seuls.

Alors, c’était ça quand il était inconscient ? Même un sommeil réparateur ne faisait que casser des choses pour lui ? C’était pour cela qu’aucune famille ne voulait de lui ? Simon Toc Toc avait encore fait des siennes…

Il ne s’était pas rendu compte du retour d’Arianna dans la chambre. Elle avait avec elle un sac poubelle noir et une bassine d’eau accompagnée d’une éponge.

« Lève-toi, enlève tes vêtements et va dans la salle de bain », lui ordonna sa sœur.

Alors qu’il enlevait un à un ses vêtements, il ne put s’empêcher de fixer le rat. Il n’avait encore jamais tué. Ou alors il ne s’en était jamais rendu compte.

Une fois nu, il se mit à marcher mécaniquement vers la salle de bain, laissant derrière lui un amas de vêtements tachés de sang et des empreintes brunes sur le sol.

Arianna avait déjà retiré les draps, mis le reste du rat dans le sac et avait entamé le nettoyage des murs.

 

Dans la salle de bain, Simon s’assit dans la baignoire placée au milieu de la pièce, se recroquevilla comme il put et attendit.

Tu es sale ! Regardez-moi ça ! T’es comme ton père ! Je vais te frotter et retirer ce qui est sale ! Arrête de pleurer ! Si ça te fait mal, c’est parce que tu es très, très, très sale ! Laisse-moi te nettoyer ! Ne bouge pas et, pour l’amour de Dieu, ferme ta gueule !

« Simon ? »

La voix d’Arianna réveilla le garçon. Il s’était endormi. La main de sa sœur sur les épaules, Simon y remarqua des égratignures.

« C’est moi qui t’ai fait ça ? » s’inquiéta Simon.

Ça la fit rire.

« Mais non, andouille ! Je me suis fait ça toute seule hier. Une saleté de ronce pendant que je dégageais les mauvaises herbes de l’entrée. »

Arianna nettoya délicatement son frère. Utilisant une autre éponge, elle enleva les traces de sang du corps de Simon. C’était agréable.

« Bon, t’es assez grand pour terminer ta douche, non ? J’ai retiré le plus gros. Je te laisse faire le reste. Descends petit-déjeuner, quand tu as fini. »

Arianna partit. Simon se redressa et termina sa toilette. Même s’il était seul dans la pièce, ce n’était pas ce qu’il ressentait à ce moment précis. Quelle était cette voix qu’il avait entendue ? Elle lui semblait familière… Sa mère peut-être ? Pourtant, elle était gentille, elle n’aurait jamais dit ça…

En même temps, il n’aurait jamais cru qu’il puisse tuer un être vivant et c’est pourtant ce qu’il avait fait.

« Bon, Simon, t’as fini ? » cria Arianna depuis l’étage du dessous.

« Oui, j’arrive ! » Simon sortit de la baignoire, se sécha et rejoignit sa sœur pour le petit déjeuner.

 

***

 

En descendant les marches qui menaient à la cuisine, Simon était nostalgique. Il se souvenait quand il était plus petit, le jeu absurde qu’il avait inventé avec sa sœur. Il se remémorait d’ailleurs la voix d’enfant qu’elle avait :

« Tu n’as pas le droit de descendre sans code secret. Tu vois là il y a 31 marches exactement ! Si tu veux les descendre, il faut respecter un ordre. C’est d’abord 3, puis 2, puis 1, puis 4, puis 5, puis 3, puis 1, puis 1, puis 3, puis 2, puis 2 et tu sautes les 4 dernières marches ! 3, 2, 1, 4, 5, 3, 1, 1, 3, 2, 2, 4 ! »

Il se souvenait aussi qu’en sautant les 4 dernières marches, il s’était foulé la cheville et sa mère avait disputé Arianna.

Peut-être était-ce par nostalgie, ou bien par simple défi personnel, mais Simon décida de refaire ce code secret.

3 marches.

De l’air, je n’ai plus d’air…

2 marches.

Laisse-moi respirer !

1 marche.

Je serai propre, je te le promets !

4 marches.

Tu n’es qu’un sale, sale, très sale petit morveux.

5 marches.

Il faut nettoyer l’intérieur. Tu seras normal !

3 marches.

J’en peux plus… lâche ma tête !

1 marche.

Lâche ma tête !

1 marche.

Lâche-moi…

3 marches.

Tu pues comme lui… Je vais te sauver !

2 marches.

De l’eau dans ma gorge, je m’étouffe !

2 marches.

Ce n’est pas de ma faute !

4 marches.

Tu me dégoûtes !

« Simon ? »

Au pied de l’escalier, Simon était immobile. Qu’est-ce que c’était ? La même voix que dans la salle de bain… et cette sensation de se noyer. C’était quand ? Un souvenir ?

« Simon, tu viens ? La table est prête. »

Arianna l’attendait. Elle ne devait pas savoir ce qu’il avait entendu. Elle ne devait pas voir que son frère est Toc Toc. Avec un effort surhumain, Simon forma un sourire sur son visage.

« J’arrive Arianna. »

 

 

 

 

 

Première inconnue…

 

 

 

Toc, toc.

« Simon, quelqu’un a frappé. Tu peux aller voir ? »

Nonchalamment, le garçon se leva du canapé et alla ouvrir la porte de l’entrée. Devant lui se tenait une dame d’un certain âge, habillée d’un tailleur lilas et empestant la rose. Ses cheveux argentés étaient tenus en chignon à l’aide d’une grande broche.

« Simon, je présume ? Je m’appelle Yolande de la Tour, représentante de l’école française “le Grand Paris”. Votre sœur est là ? »