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Manuella trouve l’amour sur un site de rencontre avec Ben, un écrivain de polars talentueux. Cependant, alors que des couples se forment sur les réseaux sociaux, des événements sinistres se déroulent dans la vie réelle, notamment la découverte d’un corps dans un lac et la disparition de jeunes femmes, dont l’une a été aperçue en compagnie de son nouveau petit ami avant son décès. Le mystère s’épaissit alors autour de ces affaires…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Aïssatou Diatta
Ehemba tire son inspiration de ses promenades, de ses connaissances, de son milieu de vie, mais surtout de son imagination. Elle a écrit plusieurs romans, dont le dernier est un thriller sombre se déroulant sur la Côte d’Azur.
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Seitenzahl: 214
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Aïssatou Diatta Ehemba
Le tueur des broussailles
Roman
© Lys Bleu Éditions – Aïssatou Diatta Ehemba
ISBN : 979-10-422-1152-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce roman est une fiction inspirée d’un fait divers survenu en 2016 aux États-Unis.
De ce malheureux évènement, je n’ai retenu qu’un détail. Je vous le dévoilerai à la fin de cet ouvrage. Comme diraient les jeunes aujourd’hui, je ne veux pas « spoiler » l’histoire.
L’idée étant là, j’avais envie de situer mon intrigue près de chez moi, à Cannes et dans quelques villes du département des Alpes-Maritimes.
Lorsqu’on parle de broussailles, on pense aussitôt à la végétation touffue qu’on peut trouver aux détours des chemins de randonnée.
Mais pour un Cannois ou toute autre personne du coin ayant un lien avec la citée, cela évoquera nécessairement un souvenir, car beaucoup y sont nés.
Je parle bien évidemment de l’hôpital des Broussailles inauguré en 1955 et rebaptisé en 2018 Hôpital Simone Veil sous l’impulsion de l’actuel Maire de Cannes, Mr David Lisnard.
Sur ce, bonne lecture et on se retrouve à la fin.
Aïssatou Diatta Ehemba
J’ai tout raté. Comme j’étais sans ambition, peut-être ce tout n’était-il rien.
Fernando Pessoa
Ce matin aurait dû être un matin comme tous les autres.
Mais pour Nicole, ce jour s’annonçait sombre et morose. Elle s’était réveillée aux aurores, avec un terrible mal de tête et un mauvais pressentiment. Elle avait passé toute la nuit dernière à réfléchir et ne s’était assoupie qu’aux premières lueurs du jour. N’ayant rien de spécial à faire, elle s’obligea à s’activer dans son petit appartement, en prévoyant toutefois de s’accorder une petite sieste dans l’après-midi.
Ce qui avait perturbé son sommeil c’était Laura, sa voisine du dessus.
Nicole avait pensé à elle durant des heures. Pourtant, les deux femmes n’étaient pas de la même famille, ni même des amies. Elles se connaissaient à peine et n’avaient rien en commun. Elles ne faisaient que se croiser dans le hall de la résidence ou échangeaient parfois des banalités quand elles se trouvaient ensemble dans l’ascenseur.
Nicole l’octogénaire était ce qu’on appelait communément une vieille fille. Elle vivait seule dans son trois-pièces depuis le décès de sa sœur une quinzaine d’années auparavant. On ne lui connaissait pas d’homme ni d’enfant. Elle avait fait son choix, il y avait des lustres et cela lui convenait.
Elle aimait cette ville de Mandelieu où elle avait toujours vécu et travaillé en tant que préparatrice en pharmacie.
Tous ses souvenirs étant ici, Nicole Soulier n’avait jamais eu l’intention d’en partir. C’était ici, enveloppée par le parfum des mimosas, qu’elle souhaitait finir sa vie.
Elle occupait depuis un demi-siècle l’appartement situé sous celui de Laura, une jeune femme loin d’être discrète. D’où l’inquiétude de la vieille dame qui, habituée à l’incessant brouhaha de sa petite voisine, ne l’entendait plus depuis trois jours. Plus de fêtes et finis les va-et-vient ou bruits de talons qui claquent. Hier encore l’appartement du dessus était resté inhabituellement et étrangement silencieux. Ce qui avait fini par interpeller l’ancienne. C’était calme, trop calme de l’avis de Nicole et cela ne présageait rien de bon.
Dernière arrivée dans l’immeuble, Laura s’était rapidement fait remarquer. Tous les deux ou trois soirs, elle recevait des amis. Entre la musique à fond, les cris et les éclats de rire dans les couloirs, les habitants n’avaient plus eu de moment de répit.
Certains s’étaient plaints et d’autres avaient fait appel à la police municipale, qui était venue à plusieurs reprises réprimander et finalement verbaliser les perturbateurs. Toute la résidence avait applaudi ce jour-là.
Mais après une courte accalmie, les soirées avaient repris de plus belle. À croire que la jeune femme avait les moyens et se fichait de payer des amendes.
De ce fait, personne, Nicole mise à part, ne semblait affecté sinon interpellé par ce soudain silence dans la résidence.
Sauf Nicole qui était juste en dessous.
Bien qu’elle fût la plus dérangée par la demoiselle, elle était la moins véhémente de tous les propriétaires. Il fallait bien que jeunesse se fasse. Laura était juste une écervelée de plus à qui on n’avait pas appris les bonnes manières ni le savoir-vivre en communauté.
Selon la vieille dame, Laura n’était pas une méchante. Elle travaillait dans une pâtisserie et lui ramenait parfois quelques gâteaux pour se faire pardonner de ses excès. Nicole, gourmande et bonne joueuse, acceptait volontiers ces gestes d’apaisement, sans manquer toutefois de la rappeler à l’ordre. Il ne fallait pas trop exagérer tout de même.
Mais elle pardonnait et prenait sa défense auprès des autres habitants.
Dans le même temps, à chaque fois que la musique démarrait, elle mettait ses boules de cires dans les oreilles avant d’aller se coucher.
La veille en début de soirée, Nicole était allée toquer à la porte de Laura. Elle n’avait pas obtenu de réponse. Ça commençait à bien faire. Cela faisait quatre jours qu’elle n’avait pas entendu un son ni un bruit venant de là-haut.
À 9 heures, ne tenant plus, elle enfila un gilet en laine, ses mules et sortit de son logement. Habituellement, le dimanche, la jeune fille se reposait de sa soirée du samedi, surtout si elle était sortie. Nicole monta par l’escalier et toqua plusieurs fois à la porte. Puis elle colla son oreille au battant. Elle n’entendit rien. Elle sonna ensuite, mais seul l’écho de la sonnette dans l’habitation lui répondit.
Elle rebroussa chemin et une fois chez elle referma sa porte à double tour. Que faire ? Elle songeait à appeler la police. Mais que leur dirait-elle ? Elle n’avait aucun lien de parenté avec cette jeune femme, qui en outre était majeure. Ils la prendraient sûrement pour une vieille folle qui s’ennuyait et s’occupait des affaires des autres.
À cette pensée, Nicole sourit en se rappelant avoir été traitée de telle par une adolescente, la semaine dernière dans le bus. Juste pour avoir osé demander qu’on lui cède la place. La jeune fille, cheveux bleus, lèvres colorées en noir et casque sur les oreilles, avait été offusquée. Elle avait toisé Nicole puis s’était levée en marmonnant que les vieux n’avaient qu’à rester chez eux.
Nicole avait été dépitée. Mais où était la bonne éducation d’antan ? Elle n’en savait rien. À peine sevrés, ces enfants d’aujourd’hui étaient fatigués de leur si jeune et nouvelle vie…
De son temps, on n’avait pas besoin de demander un siège, en s’excusant du dérangement, causé par sa hanche douloureuse ou son palpitant emballé, d’avoir couru après le bus. Les enfants se levaient d’eux-mêmes face à une personne âgée ou une femme enceinte.
Mais ça, c’était avant…
Elle revint à l’instant présent et à Laura. Elle devait prendre une décision. Mais que faire ? Laura n’était rien pour elle et vice-versa.
Soudain elle se souvint qu’elle avait le numéro de la pâtisserie où elle travaillait. Elle le lui avait donné un jour en lui disant « au cas où… ». Elle fouilla dans le tiroir du buffet et trouva son petit carnet. Le numéro était noté à la lettre L comme Laura… Voilà !
Elle allait cependant attendre, car il était 9 heures et demie et ce devait être, comme dans toutes les boulangeries, l’affluence. Elle appellerait vers midi.
Légèrement ragaillardie par sa bonne idée, la femme alla s’installer dans son fauteuil préféré pour poursuivre son ouvrage au crochet. Dans un même mouvement, elle se saisit de la télécommande et alluma le téléviseur. Elle regardait toujours la même chaîne d’information du matin. Ensuite elle passait à celle avec les achats, de tout et n’importe quoi comme disait sa sœur, puis elle revenait aux news comme disaient les jeunes.
C’était le train-train quotidien des matins de Nicole.
Bercée par le fond sonore du téléviseur et les voix blanches et psalmodiques des commentateurs, elle s’adonna à sa tâche. Au bout d’un quart d’heure, alors qu’elle n’écoutait que d’une oreille, quelque chose l’interpella et l’obligea à lever les yeux vers l’écran. Tout le corps de Nicole fut parcouru de frissons. L’air du salon s’était instantanément rafraîchi.
L’image s’était figée. Au premier plan, un journaliste micro en main annonçait une nouvelle de dernière minute. En bas et en grosses lettres, un bandeau mentionnait en titre la découverte d’un corps près d’un lac des environs. Nicole se saisit de la télécommande et monta le volume. L’homme, visage de circonstance et voix grave, détaillait le peu de faits qu’il avait à sa connaissance en cette minute, avant de promettre de revenir à l’antenne aussitôt qu’il en saurait plus. Sa mine en disait long. Beaucoup plus que les mots qu’il venait de prononcer.
Le cameraman fit un plan large, dévoilant une étendue d’eau entourée d’un espace boisé. Sur un côté du rivage, on pouvait apercevoir une grande tente avec des hommes en tenues blanches un peu partout. Il n’en fallait pas plus pour Nicole. Elle avait reconnu l’endroit pour y avoir passé des journées entières lorsqu’elle était jeune.
La main sur la bouche pour retenir un cri dans sa gorge, elle assista impuissante au ballet des journalistes et autres bonshommes se succédant pour commenter l’évènement se déroulant en direct. Ses yeux s’exorbitaient chaque seconde un peu plus. Elle était atterrée. Elle avait remis le site et son cerveau avait fait le reste. Elle avait deviné ce qu’ils y avaient découvert.
La page météo interrompit temporairement le flash, ramenant brusquement Nicole dans son modeste appartement. Nul besoin d’en voir plus. Elle savait.
L’image de la tente était encore vive et elle ne l’oublierait jamais plus. Ce qu’elle cachait aux regards des passants, c’était le corps de la pauvre Laura.
Une autre pauvre âme fauchée trop tôt et en plein apprentissage de la vie.
Laura au rouge à-lèvres écarlate et au teint pâle, qui disait se ficher de ses rondeurs, alors que, secrètement, elle faisait une fixation sur le moindre gramme en trop. Jeune femme toujours riante et dansant dans le couloir, juchée sur des talons vertigineux, la jupe lui cachant à peine la pliure des fesses…
Sa pauvre petite voisine fêtarde se trouvait sous cette tente.
Nicole était à terre. La vie était décidément trop injuste.
Un crétin ! Un débile ! Un imbécile ! Un triple idiot ! Un sans cervelle… Un grand con avec un grand C… !
Il ne trouvait plus de qualificatif assez fort pour se définir. Il avait agi comme un bleu.
Le type avait les nerfs. Ce qu’il venait de voir aux infos ne lui faisait pas du tout plaisir. Il était extrêmement contrarié de s’être loupé sur ce coup. Il avait paniqué et fait n’importe quoi.
En même temps, tout n’était pas de sa faute. S’il n’y avait pas eu cet accident de circulation et le barrage de déviation de police sur le retour, il n’aurait pas eu à improviser. Il aurait géré la situation autrement mieux. Mais il avait fait l’imbécile en se débarrassant de la fille un peu trop vite et mal.
Tant pis pour cette fois. Il était trop tard pour se morfondre et il ne pouvait plus revenir en arrière. Mais à la prochaine prise, il ne faudrait pas refaire les mêmes erreurs.
Il se leva du sofa et singea un combat de boxe avec un adversaire imaginaire pendant quelques secondes, ce qui le calma un peu. Puis il se rendit dans le coin cuisine pour se servir un café. Il l’avala d’un trait. Ensuite il lava soigneusement la tasse, l’essuya et la rangea dans le placard mural d’où il l’avait sortie.
De retour au salon, il éteignit le téléviseur et se mit à faire les cent pas. Dans sa poche de pantalon, sa main gauche triturait une pièce de deux euros dont il ne se séparait jamais. Il devait réfléchir, remettre ses idées en place. Il avait beaucoup de choses à faire et la journée ne faisait que commencer.
À l’avenir, il devrait procéder avec méthode et prudence.
Il sortit du séjour pour se rendre dans la pièce adjacente et s’installa devant l’ordinateur. Après avoir relu le mail tapé la veille avant de se coucher, il appuya sur la touche envoi. Le moniteur lui répondit par un pouce levé, indiquant que le courriel était bien parti vers son destinataire. L’homme sourit enfin pour la première fois de la matinée.
Il avait hâte que cette journée s’achève et d’être au lendemain soir.
Le sourire toujours au coin des lèvres, il passa un pull et fit le tour de l’appartement, vérifiant chaque pièce l’une après l’autre dans les moindres détails. Il ne devait rien oublier.
Son inspection terminée, il saisit son sac de sport et sortit de l’appartement en tirant simplement la porte derrière lui. Pas besoin de verrouiller. Il ne reviendrait plus ici.
Satisfait, il descendit les escaliers en sautillant et une fois dans la rue, s’éloigna à grands pas.
Bien plus tard ce même jour, une jolie blonde consultait ses mails quand l’un d’eux retint son attention :
Plus qu’un jour avant notre rencontre. Je suis l’homme qui va changer votre vie. Soyez à l’adresse convenue, demain à 20 heures précises. N’oubliez pas ma chère Manuella. Vous avez rendez-vous avec l’Amour. Tendrement. Ben.
La jeune femme imprima le courrier électronique puis ferma sa boîte de dialogue.
Elle plia soigneusement la page et la rangea dans son portefeuille. Ensuite elle quitta sa table de travail en se massant la nuque. Ses membres étaient tous engourdis par sa position assise trop prolongée. Elle était restée près d’une demi-heure à faire des recherches sur Internet pour un devoir à faire avec Sophie. Elle s’était accordé une pause pour consulter ses messages et était tombée sur ce dernier mail en date de Ben. Certes il avait été très agréable de bavarder par écrans interposés avec cet homme qu’elle n’avait jamais vu, mais ils devaient passer à l’étape suivante. Cela faisait maintenant trois mois qu’ils échangeaient. Ce mail finalisait leur rendez-vous prévu pour le lendemain soir.
Manuella Després était une jeune femme de sa génération.
Âgée de 30 ans, mère célibataire comme la plupart de ses connaissances, elle travaillait et vivait seule avec sa fille.
Elle avait arrêté l’école en terminale. Elle avait raté son baccalauréat n’ayant rien fichu de toute l’année. Elle n’était pas faite pour les études, au grand désespoir de ses parents qui se voyaient déjà endimanchés pour la cérémonie de remise d’un diplôme de médecin ou d’avocat. Un rêve jamais exaucé.
Ensuite elle avait enchaîné les petits jobs à droite et à gauche jusqu’à l’âge de 23 ans. Année où elle avait rencontré le père de sa fille, un homme ayant vingt ans de plus qu’elle. Manuella était très naïve à l’époque et croyait au grand amour. Il était beau comme un acteur de téléfilm et lui disait qu’elle était belle et fraîche. Elle tomba dans ses bras et ils se marièrent.
Mais l’idylle n’avait pas duré. L’ancien amoureux fou s’était rendu compte qu’une vie papa-maman, bien rangée ne l’intéressait pas et avait démissionné.
Et à peine le divorce prononcé, lui et ses copains de nouveau célibataires, presque-cinquantenaires, avaient recommencé à faire la fête.
Manuella était restée seule, avec sa douleur et un enfant en bas âge à élever.
Fort heureusement, grâce à un ami de son père, elle trouva un emploi d’hôtesse de caisse dans un grand supermarché. Ce n’était pas le job de ses rêves, mais Manuella savait que c’était le seul moyen pour elle de nourrir sa fille et payer ses charges.
Car l’année de sa séparation, la grand-mère de Manuella s’était éteinte dans son sommeil. Elle avait 93 ans et n’avait pas souffert. Elle laissa une vieille maison de ville non loin du centre de Cannes, qui avait besoin d’être rénovée pour pouvoir redevenir habitable. Elle n’avait pas eu d’autre choix, car rien n’était plus aux normes. Malgré l’aide inestimable apportée par son père qui effectua tous les petits ouvrages, tout le salaire de la jeune femme y passa. Au bout du compte, Manuella s’était enfin installée chez la mamie à Cannes avec sa petite Sophie. Elle était courageuse et travailleuse, mais parvenait difficilement à joindre les deux bouts à la fin du mois. Et pour ne rien arranger, elle était perpétuellement en guerre avec son ex-mari pour la pension alimentaire. Il tardait toujours dans ses versements, feignant d’avoir déjà posté le chèque ou de tout juste rentrer d’un voyage professionnel à l’étranger. Tout cela n’avait qu’un seul but, l’embêter. Car il ne manquait pas d’argent, il avait un bon travail. Mais il aimait tant s’amuser qu’il en oubliait tout ce qui n’était pas partie de cet amusement. Notamment Manuella qui ne le faisait plus rire depuis longtemps.
Pour ne pas perdre la face devant ses parents, elle avait fait de son mieux pour garder son emploi malgré toutes les difficultés de planning avec sa fille. Manuella avait tenu bon et avec l’aide de son père, la maison était devenue moderne et agréable à vivre.
7 ans s’étaient écoulés depuis et sa fille avait grandi. Elle semblait équilibrée, était gentille et très maline pour son jeune âge. Parfois elle parvenait à rendre sa maman si chèvre qu’elle lui passait ses caprices au grand dam de sa grand-mère.
La mère de Manuella, pour qui toute vie de femme devait forcément passer par une vie de couple, ne concevait ni n’acceptait, le souhait de célibat de sa fille.
La soixantaine bien passée, n’ayant jamais connu de réelle complication dans sa vie si bien rangée et femme au foyer depuis toujours, elle avait toujours été mariée avec le même homme, Jean-Marie, le père de sa fille unique.
Elle croyait mordicus qu’un homme soulagerait Manuella de tous ses maux. L’enfant avait besoin d’une figure paternelle. Peu importe laquelle, tout prétendant ferait l’affaire.
Le secret du bonheur selon Béatrice c’était un mariage réussi et une maison parfaitement tenue. Elle le répétait à qui voulait l’entendre au moins dix fois par jour. C’était sa recette d’une vie saine et équilibrée. Sans parler de son talent pour les gâteaux. Ses amis ne juraient que par les délicieuses tartes aux pommes qu’elle confectionnait pour leur rendez-vous chaque mercredi après-midi.
Son mari, fraîchement retraité de la fonction publique, organisait sa vie de manière à ne pas trop déranger celle de sa femme, toujours débordée, il ne savait par quoi.
Il avait aimé aider sa fille dans ses travaux de réhabilitation de la maison de sa défunte mère. Passé les économies qu’il lui avait permis de faire, il y avait passé de bons moments. Il aimait bricoler et s’était donné à cœur joie avec les intervenants qui s’étaient succédé en l’absence de sa fille.
Maintenant que tout était fini, il était retourné à sa routine de retraité heureux et bien organisé. Dans sa petite ville de Grasse, il connaissait tout le monde. De par sa carrière à la mairie, mais aussi parce que Jean-Marie était sympathique.
Le matin, il allait au Café de la place aux Aires pour lire son journal et bavarder avec ses copains. Puis il se rendait au marché avec une liste établie par Madame, avant de rentrer déjeuner et regarder les informations de 13 heures.
L’après-midi, après une petite sieste, il partait rejoindre ses amis au terrain de boules à l’ombre des platanes où il restait jusqu’en début de soirée.
De retour au bercail, il retrouvait Béatrice pour un souper durant lequel elle lui racontait sa folle journée, avec force détails. Et après le programme télé du soir, ils allaient se coucher jusqu’au lendemain.
Une vie réglée comme du papier à musique. C’était la vie de Jean-Marie Després et il ne s’en plaignait jamais.
Installé dans cette routine depuis deux ans, il se sentait bien.
Il avait beaucoup aimé son travail et ses collègues de longue date. Mais les dernières années avant la retraite avaient été pénibles. Un jour, un petit chefaillon d’à peine 30 ans avait débarqué dans son service et avait décidé de tout révolutionner. Le gamin lui avait mené la vie dure.
Fraîchement sorti de l’école, bardé de diplômes, il croyait tout savoir sur tout.
Encore un fanfaron qui voulait apprendre son métier à Jean-Marie, qui l’exerçait depuis quarante ans. Mais la roue avait vite tourné comme souvent dans ces petites administrations. Le petit n’avait pas fait long feu. Une grosse boulette et il avait dégagé fissa.
Mais il avait cassé l’ambiance dans le service. Le cœur n’y était plus.
Aujourd’hui, le retraité avait gagné une paix intérieure et une tranquillité que même les bla-bla incessants de sa femme n’arrivaient pas à ébranler. Lorsqu’elle s’y mettait, c’était comme un bruit de fond qu’il parvenait à occulter, acquiesçant de temps en temps pour lui faire croire qu’il l’écoutait avec attention. Béatrice ne s’en rendait pas compte. Elle était dans son monde et semblait heureuse ainsi.
Seule Manuella, très proche de son père, avait vu clair dans son jeu.
Cette vie monotone que menaient ses parents et qui leur convenait, elle ne l’aurait souhaité pour rien au monde. Manuella était une éternelle romantique qui avait été bercée toute son adolescence par les romans teintés de lavande de Danielle Steele, Barbara Cartland et consœurs.
Malgré son histoire bancale avec le père de sa fille, elle y croyait encore. Pourtant elle n’avait pas de temps pour ça. Elle ne sortait pas, contrairement à ses collègues qui écumaient les bars chaque soir, après leur journée de travail. Elles parlaient toutes d’afterwork par-ci, afterwork par-là…
Mais les Après le boulot de Manuella étaient réservés à Sophie, les jours de repos, au grand ménage et les dimanches au repas chez ses parents. Elle ne dérogeait jamais au déjeuner dominical, refusant d’attrister son père.
Peu à peu, elle était finalement tombée dans cette routine qu’elle reprochait intérieurement à ces parents.
Aussi, quand Tiffany, sa copine et collègue de travail, lui suggéra de s’inscrire toutes deux sur un site de rencontre, elle accepta, bien que pas très chaude.
Au départ, c’était pour le fun et surtout par curiosité. Après beaucoup d’hésitation à s’engager dans des conversations, motivée par Tiffany, elle avait sauté le pas. Mais elle avait vite déchanté après quelques contacts et de malheureux rendez-vous.
Elle se souvenait du premier, un certain Philippe, qui lui avait fait croire qu’il était célibataire, avant de se trahir et de lui avouer qu’il recherchait des histoires sans lendemain. Il ne voulait pas rompre son confort de vie avec son épouse avec qui « il n’y avait plus rien, depuis douze ans ».
Manuella était restée sans voix. Quel culot celui-là ! Il aurait mérité qu’elle envoie une lettre anonyme à sa femme pour qu’elle sache à qui elle avait affaire. Mais ce n’était pas le style de Manuella. Elle préféra l’oublier. À jouer à ce jeu, il finirait par se faire prendre tout seul.
Ensuite, ce fut Vincent qui, au contraire, voulait tout quitter pour venir s’installer avec elle, fou d’amour au bout du quatrième message, sans jamais l’avoir rencontrée en vrai. On se calme Monsieur l’amoureux !
Il était un peu trop pressé celui-là.Manuella avait eu peur et l’avait aussitôt bloqué.
Puis Yves était arrivé la fleur au fusil. Échec cuisant pour Manuella qui y avait cru durant un court instant. Il vivait à une cinquantaine de kilomètres de chez elle. Tout avait si bien commencé. Mais au bout d’un mois d’échanges et alors qu’ils avaient enfin décidé de se rencontrer, il s’était dégonflé. Silence radio total.
Pourquoi ? Elle ne le saurait jamais. Mais elle avait gardé de cette histoire un goût amer et décidé que c’en était fini pour elle des relations via Internet.
Quelques mois s’étaient écoulés depuis ces épisodes désastreux. Manuella n’avait plus été sur le site de rencontre. Mais un soir qu’elle s’ennuyait, Sophie dormant chez sa copine, elle avait allumé son ordinateur et ouvert son profil, juste comme ça, pour voir.
En entrant son mot de passe, elle ne se faisait pas d’illusions. Elle avait été tellement déçue par ses premiers pas dans ce monde immatériel… Cependant, après quelques minutes de chargement, elle avait vu apparaître plusieurs messages, dont le premier de Ben. Et l’histoire avait commencé.
Demain soir serait la concrétisation de cette relation naissante. Elle allait enfin le rencontrer et était persuadée que cette fois sa vie allait changer.
Manuella Després était jolie, elle ne pouvait le nier sans faire preuve de fausse modestie. Plus jeune, tout son entourage le lui répétait, mais elle n’en avait pas réellement conscience. Elle n’était pas une de ces beautés fatales du genre de Ginger Rogers, Audrey Hepburn, ou Grace Kelly.
Mais elle connaissait ses atouts. Elle s’habillait avec goût depuis toujours. Ses parents n’étant pas riches, adolescente elle avait appris à se débrouillait pour s’acheter des vêtements pas chers. Un rien l’habillait. Elle se maquillait peu, mais veillait toujours à mettre en valeur ses yeux d’un bleu peu ordinaire.