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Années 50. À Saint-Germain-Le-Gaillard, un village du Cotentin, non loin du petit port de Diélette, les falaises de Flamanville sont déjà le théâtre d’une activité industrielle : les mines de fer. Les îles anglo-normandes semblent si proches qu’on oublie qu’elles sont défendues par le puissant raz Blanchard et cette kyrielle de rochers des Ecréhou et des Minquiers qui dressent leurs dents pour prévenir du danger. Un trafic de cigarettes est organisé entre les îles et la côte, dirigé par des parrains sans scrupule. Entre rapt d’enfants, meurtres et enquêtes sur fond de véritables histoires d’amour et d’amitié, le bonheur en ressortira-t-il renforcé ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Humaniste convaincu,
Bernard Garson s’intéresse à la communication avec les animaux. Aujourd’hui retraité, il s’est installé dans un petit village de l’Allier où il est élu maire et responsable du développement culturel sur le territoire du Val de Cher.
Le vol de l’ange est son deuxième roman, inspiré de ses nombreux souvenirs d’enfance dans le Cotentin et les îles anglo-normandes.
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Seitenzahl: 136
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Bernard Garson
Le vol de l’ange
Roman
© Lys Bleu Éditions – Bernard Garson
ISBN : 979-10-377-6282-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Plan du Cotentin et des îles anglo-normandes
Photographie de René Havet, 1913
Collection Mairie de Flamanville
Elle descendait vivement la chasse qui mène vers Les Pieux, puis vers la mer.
L’air de ce mois de mai était vif, il faisait voleter la robe légère autour des jambes de Fernande. Elle était heureuse, exaltée, enfin elle allait retrouver son petit Maurice disparu depuis six mois.
Ah ! L’hiver a été long et triste, le plus dur de sa vie. À huit mois le petit a dû souffrir de l’absence de sa maman. Mais maintenant elle sait où il est, elle va le rejoindre, Jeanne qui connaît le monde caché lui a tout expliqué, elle parle avec les esprits qui habitent la campagne, La dame blanche aussi, celle qui se dérobe pourtant à l’approche du commun des mortels.
Après le bourg des Pieux, à droite, dans le bas, le petit port de Diélette est au plein de la marée. La frange de Varech longe le pied des dunes vers Siouville. Le chevalement de bois du puits de la mine de fer est dressé sur la falaise de Flamanville. En face, le môle de chargement des bateaux minéraliers s’avance loin en mer avec sa noria de wagonnets suspendus. C’est là, dans la tombée des rochers que s’ouvre le « trou Baligan » comme une profonde blessure dans le granit. La terrible bête vit dans cet antre profond où la mer vient s’engouffrer à grand fracas. On dit que Saint-Germain l’aurait terrassé, en vérité elle vit toujours, d’ailleurs on la voit endormie dans le fond de la grotte. Elle attire les petits enfants et les emmène dans son monde. Jeanne lui a tout expliqué.
« Fernande ! Fernande, attends-moi ! » Pierre, affolé, court sur la route, passant le hameau de Bernay. La Louise lui a dit : « J’ai vu Fernande, elle marchait d’un bon pas, elle va chercher son petit Maurice, qu’elle a dit. C’est donc que vous l’avez retrouvé ? Quel bonheur ! »
« Mais non, Louise ! Où allait-elle ? »
« À Flamanville, au “trou Baligan”, elle était pressée. »
Pierre repart de plus belle. Enfin il la voit là-bas au bord de la falaise, la silhouette de Fernande se découpe sur le bleu de la mer. Immobile elle regarde le fond de la grande faille.
« Attends-moi, Fernande ! Attends-moi ! »
Mais Fernande n’entend rien, face au vent, les bras largement écartés elle s’envole.
En bas, son corps brisé semble étreindre la longue roche qui serpente dans le fond du « trou Baligan ». Son sang coule sur la veine rouge qui sillonne le rocher.
Sous l’œil indifférent du cormoran noir qui fait sécher ses ailes écartées au soleil, Fernande vient d’entrer dans la lumière, Pierre, lui, entre dans la nuit.
Titine et Louis Courtois habitent la dernière chaumière des « Hauts de Saint-Germain ». La modeste fermette est toujours en activité avec cinq vaches, trois cochons à l’engrais logés dans une sorte de cachot contre le pignon de la ferme. Ils s’y entrent tout petit par une porte basse, et toute leur vie ils ne verront la lumière que par une sorte de meurtrière par laquelle leur nourriture est versée dans une auge en pierre. Leur litière ne sera jamais renouvelée, leur purin s’écoule vers une fosse attenante. C’est peut-être ça une vie de cochon ? Quelques fois le vétérinaire (appelé quand cas d’extrême urgence) diagnostiquait « le rouget ».
« Ils sont trop gras, vos cochons, ils n’ont pas d’exercice ! »
Ce verdict remplissait Titine de peine. Des grosses larmes coulaient sur ses joues : pour la santé de ses animaux ou pour les quelques francs qu’elle allait devoir sortir de son armoire, cachés entre les draps ? La vie des quelques lapins était plus enviable et les poules s’ébattaient en liberté autour de la ferme.
« Douce », la jument faisait l’objet d’une attention particulière, sans elle les travaux des champs n’étaient pas possibles, les déplacements indispensables aux marchés non plus. Elle faisait partie du patrimoine. À ce titre, elle était traitée comme une reine.
La ferme du Haut-de-Saint-Germain, vestige du temps passé jouxte la grande métairie de « La Chevalerie » : ses vastes bâtiments à l’allure cossue et austère sont endormis depuis la mort d’Auguste Gallois il y a 4 ans.
Depuis quelques mois une révolution agite le hameau, les frères Gallois, petits-fils d’Auguste, ont entrepris de rénover la ferme. Pierre, l’aîné, va épouser la belle Fernande, la fille unique de la famille Cardais qui possède les terres attenantes à La Chevalerie.
Les trois frères : Pierre, l’aîné, François dit le « beau gosse » et Julien dit « le séminariste » sont à l’ouvrage. Seuls Pierre et sa promise habiteront ici. François et Julien continueront de vivre à « Pierreville » dans la maison des parents disparus tous les deux. La maman d’abord, un cancer du cerveau l’a emportée en six mois, elle n’avait pas cinquante ans. Le papa, un battant, a relevé la tête, avec ses fils il a continué à moderniser l’exploitation. Seul Julien le plus jeune s’est enfermé dans son chagrin, il est parti à « Briquebec » chez les frères trappistes sans pour autant rentrer dans les ordres, il était trop jeune. Les moines lui ont confié un poste dans la fromagerie.
Pierre avait fini ses études au lycée agricole et François y était encore en alternance.
Le destin n’en avait pas fini avec la famille. Ils venaient d’acheter le premier tracteur de la commune : un Renault D35 orange. Il allait remplacer les trois chevaux de l’exploitation mais ils avaient décidé de les garder pour leur offrir une belle retraite bien méritée, et on leur trouvera bien des petits travaux à la ferme.
Un soir en rentrant à la maison, le père s’est trop engagé le long d’un talus, l’engin s’est retourné sur son conducteur lui brisant net le cou. Ce nouveau drame resserra encore les liens entre les trois frères. À la demande de Pierre et François, Julien quitta la trappe et vint les rejoindre à La Chevalerie.
Dans le hameau c’est le choc des générations : Titine et Louis Courtois qui perpétuent des traditions qui pourraient remonter au moyen âge et les frères Gallois, pionniers des temps modernes.
Malgré cela, les relations de voisinage sont harmonieuses. Un peu d’incompréhension de chaque côté mais dans le respect et la bienveillance.
Les Gallois ont fait venir de Jersey un troupeau de petites vaches beiges aux yeux maquillés de noir. Ces belles petites Jersiaises produisent en abondance un lait riche en matières grasses d’un excellent rendement pour la crème, le beurre et le fromage.
Dans la grande lande du haut de Saint-Germain où l’herbe est pauvre, ils font paître un troupeau de chèvres toutes rousses comme des biches : des « Alpines ». « C’est pas des bêtes de par ici, ça ne marchera jamais ! Ah ! Si l’Auguste vivait encore il se ferait bien du souci ».
Pierre a confié le troupeau de chèvres à Maria Petalu qui vit dans la vieille masure nichée contre un tas de rochers entouré de genets. De chez la Maria on voit la mer et la côte jusqu’au « Nez de Jobourg ». Elle a avec elle un joli chien de berger : un border colly noir et blanc, c’est Pierre qui le lui a donné pour l’aider. Boby est un bon compagnon qui veille sur le troupeau avec efficacité, même le grand bouc Nestor file droit devant lui.
Les femmes du village se signent hâtivement en croisant le troupeau, dame ! ce sont des créatures du diable !
La Maria Pétalu on ne lui donne pas d’âge, dans sa jeunesse une vache lui a brisé les reins la laissant pour morte. La petite orpheline était solide, elle a survécu, toute déformée, tordue, elle résiste au froid, au vent, à la peine. Les enfants en ont peur, leurs parents ont dit qu’elle était sorcière. Dommage, car elle les aime et serait si heureuse d’avoir leur compagnie. Maria ne sera pas à la noce samedi mais Pierre ne manquera pas de lui apporter sa part du repas, ils trinqueront ensemble.
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Les poteaux du réseau électrique montent jusqu’au haut de Saint-Germain. La chaumière des Courtois est à présent équipée de la lumière. Une ampoule est suspendue au-dessus de la longue table dans l’unique pièce à vivre où la grande cheminée répand sa chaleur et ses lueurs dansantes nuit et jour, Louis y veille ! Pour le plus grand bonheur des grillons du foyer qui chantent à longueur d’année.
Depuis toujours Titine se tient penchée sur l’âtre où elle cuisine, c’est la cause de sa cyphose qui la tient courbée en avant, ici on dit « ma tête aujourd’hui, mon t’chu d’main ». Elle tient le café au chaud sur la pierre près des flammes, même les œufs coque sont cuits directement dans la cendre, sans eau (essayez pour voir). Le jambon est suspendu dans le conduit et fume lentement à longueur d’année.
L’odeur (je n’ai pas dit le parfum) qui imprègne la pièce est dominé par la cheminée et un mélange doucereux de l’étable attenante et du cellier où le cidre continue à fermenter, le petit lait un peu aigre ajoute son « grain de sel » à ce pot-pourri qui au bout du compte n’est pas désagréable et même chaleureux (n’en parlez pas à monsieur Guerlain).
Le décor n’a jamais changé depuis plusieurs générations : le grand lit conjugal, si haut sur pattes avec son édredon rebondi est collé dans l’angle face à la table, la tête près du feu. L’armoire en châtaigner cirée avec soin fait la fierté de Titine avec le vaisselier garni d’assiettes de faïence. La haute horloge rythme le temps avec son balancier de cuivre décoré de motifs champêtres.
Après la lumière, le progrès, que l’on n’arrête pas dit-on, envisage d’amener l’eau de la ville ; sur ce point Louis est très réticent « Ils mettent des produits dedans » pas comme sa source si fraîche et si claire qui jaillit dans le pré à deux pas d’ici. Deux ou trois seaux par jour suffisent bien pour laver les bidons de lait avec une poignée d’orties, la toilette, la vaisselle, le café et la soupe.
Alexandre le fils unique a quitté la ferme depuis quelques années pour épouser la Jeanne qui a bien voulu de lui. Il faut dire qu’Alexandre est un peu benêt ; peut-être les séquelles de son enfance quand il partait pour l’école à pied à travers champs. Titine lui donnait sa « topette » de calva pour qu’il ne prenne pas froid. Chaque matin il fallait la remplir !
À vingt ans il lui manquait des dents, mais il paraissait heureux avec son béret enfoncé jusqu’aux oreilles, les bras ballants. « Il était bien gentil », il faisait son travail sans rechigner. Il fallait même lui dire d’arrêter l’heure venue, cette qualité lui avait valu d’être embauché à la mine de fer de Diélette. C’est sans doute cette belle et stable situation qui avait séduit la Jeanne qui, elle, n’est pas sotte.
Elle prétend correspondre avec les forces de l’au-delà, et prédit l’avenir avec une telle conviction que certains l’écoutent. Les moins crédules ironisent : « C’est une femme de lettres ! » disaient-ils, car elle était la maîtresse du facteur qui passait chaque matin, même s’il n’y avait pas de courrier. Elle lui offrait « le café du pauvre » sur la table de la cuisine qui subissait les assauts fougueux du préposé au risque de la disloquer (la table).
Louis, la casquette en arrière, les manches de chemise retroussées, tourne la manivelle de la baratte en bois d’où sortira la motte de beurre bien jaune confectionnée avec le lait de la semaine. Elle sera vendue chez « Sohier » la charcuterie-crèmerie du centre.
« Douce », la jument, est attelée à la belle carriole capotée de moleskine noire. Titine est coiffée de son chapeau à voilette, il faut « bien » paraître, tous les fermiers du canton seront là. Les discussions iront bon train au café du centre qui fait aussi modiste à l’enseigne « Au dernier chic Parisien » (c’est en effet le tout dernier chic que l’on y trouve, depuis d’exquis bibis à plume jusqu’à des dessous très osés en coton rose).
C’est demain la noce, quel sujet de conversation ! Les deux familles sont connues et très appréciées, il y aura du monde à l’église de Saint-Germain ! Les gens parlent entre eux : « Y paraît qu’y z’ont déjà vingt-cinq vaches, mais d’une drôle de race, comment y vont faire pour traire toutes ces bêtes ? »
« Oh ! mais y z’ont acheté des trayeuses électriques, y’en a même une pour les chèvres ! C’est Julien le petit frère à Pierre qui a appris à fabriquer le fromage chez les moines de Briquebec. »
« Oui, même que c’est Fernande qui va l’aider »
« Mais où y vont vendre tout ça ? »
« C’est François qui s’en occupe, y z’ont acheté une camionnette : une Dauphinoise, qu’ils l’appellent, il va jusqu’à Cherbourg et même Saint-Lô. »
« C’est vrai que le François y plaît bien aux dames… y peut rentrer dans les belles boutiques. »
Les moques de cidre se succèdent et vient le calva qui réveillent les vieilles jalousies, voilà bientôt nos gentils fiancés « habillés pour l’hiver ».
La famille Cardais était bien établie dans l’élevage des chevaux de selle, pour eux et quelques riches propriétaires. Souvent on voyait Thomas, le grand-père, sillonner le canton derrière son petit cheval blanc attelé à une corbeille légère, très élégante. Coiffé de son chapeau blanc à large bord il avait fière allure, il préférait ses escapades polissonnes à la gestion de son élevage. Son fils, Jacques, le papa de Fernande avait pris la relève mais la période de guerre n’était pas propice au développement de l’élevage des chevaux de plaisance. Fernande, après son brevet des écoles, avait trouvé une place dans l’administration des ventes à la laiterie de Valognes. Intelligente et jolie les prétendants ne manquaient pas, mais depuis la dernière fête du 14 juillet aux Pieux, elle est amoureuse. C’est là qu’elle a rencontré Pierre, ils ne se quitteront plus, elle en est sûre.