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Le voyage du Graal est l'histoire d'une famille. Le destin va confier aux enfants de Joseph d'Arimathie un objet, un simple souvenir, ayant appartenu à Jésus. Avant même la recherche de reliques, cet objet, pas encore appelé Graal, va voyager dans l'empire romain jusqu'à atteindre l'île de Bretagne où il rentrera dans l'histoire. En lisant cette aventure, vous apprendrez comment le Graal a quitté Jérusalem pour traverser l'Europe de l'Antiquité.
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Seitenzahl: 317
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Le voyage du Graal
Prologue
Concours de circonstances
Une nouvelle ère ?
Nouvelles vies
Extraits du journal de Joseph d’Arimathie fils
Le voyage de Samuel d’Arimathie
Les cinq promesses
Néron
Luc
Antoine et Mélania
Samuel et Caletina
Joseph d’Arimathie, troisième du nom
Le retour de la fille prodigue
La fin du voyage
Epilogue
Grandes dates historiques évoquées dans ce texte
Cartes
Ma fascination d’enfant m’avait imprégné des contes du Graal. Plus tard mes études m’avaient donné la culture qui me permit de comprendre les enjeux de ces écrits. Ils existaient pour asseoir une religion dans un empire romain en perpétuel mouvement, acceptant et rejetant les influences des peuples conquis.
Le Graal était un objet mythique qui n’avait jamais existé. Pourtant des indices probants m’ont poussé à vérifier, chercher et approfondir.
J’ai découvert une vérité. Si le mot était une invention, l’objet avait existé. Je vais tenter de vous livrer son unique histoire. Je ne parlerai donc jamais d’objet sacré ou de Graal mais simplement d’un verre ou d’un gobelet ayant appartenu à un homme qui bousculera l’Histoire.
Je ne suis ni historien, ni scientifique, ce récit sera donc formulé sous la forme d’un roman bien que les faits décrits ici aient bel et bien existé.
Il m’a fallu plusieurs années pour retrouver la trace de la famille de Joseph d’Arimathie responsable de ce voyage à travers l’Empire des Césars à la naissance du christiannisme.
Je vous soumets à présent le fruit de mes recherches et traductions.
7 jours avant Pessah.
Il avait retrouvé cette solitude qui l’accompagnait dans son atelier. Il avait quitté son lieu de travail quelques années plus tôt. Ce voyage dans le désert lui avait permis de pouvoir se parler à lui-même. Il réfléchit enfin sereinement aux événements et aux idées qui avaient accompagné son errance. Débutée à l’aube de ses 30 ans, sa mère en était à l’origine.
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3 ans plus tôt.
Marie surgit donc dans son atelier :
- Jésus, ton frère veut écouter un nouveau prophète, accompagne-le.
- Maman, Jacques est bien assez grand pour parcourir Israël sans mon aide. Je préférerais continuer mon travail à l’atelier. Depuis que papa est mort, les commandes permettent à peine de nourrir la famille et je ne souhaite pas faire faux bond aux Galiléens qui m’ont fait confiance.
- Les commandes permettent à peine de nourrir la famille car tu prends trop de temps pour ces ignares. Tu respectes tous tes clients comme s’ils appréciaient la valeur de tes ouvrages. Laisse tomber cette bande de paysans. Quand tu reviendras, ils reviendront. Tu es le meilleur charpentier de toute la Galilée. Ton frère a besoin d’inspiration pour devenir un grand Rabbi qui nous rendra riches.
- Je ne veux pas être riche, qu’il le devienne lui ce grand penseur ascète. Quand il aura fait fortune, il vous emportera à Jérusalem et je serai enfin tranquille.
- Tu oses ! « tu respecteras ton père et ta mère » Pêcheur ! Je dirai même plus double-pêcheur car en tant que veuve je suis à la fois ton père et ta mère !
- N’importe quoi ! Bon, ai-je le choix ?
- Non ! lança-t-elle affichant son sourire victorieux. Bonne route vers le Jourdain.
- J’aurais préféré Jérusalem, au moins j’aurai profité de la ville.
- Merci, mon fils.
Elle l’embrassa.
Au moins, les eaux du Jourdain soulageraient son voyage et apporteraient une fraîcheur salutaire dans ce périple imposé. Heureusement, il n’avait pas de charpente ou de meubles en cours, il avait d’ailleurs commencé quelques éléments de vaisselle en bois. Il rentabilisait ainsi les chutes de son atelier. Il alliait l’utile au profit. Il n’était pas rare que les habitants du village lui achètent un peu de vaisselle connaissant cette habitude et la qualité de son travail.
Avant de partir dans sa chambre préparer son bagage, il se saisit d’une planche de bois, d’une cuillère et d’un gobelet. Il connaissait l’inconfort d’un repas dans ce pays parfois désertique et il ne comptait pas se faire piéger comme les premières fois où il avait accompagné Jacques.
Ce n’est pas la marche qui le fatiguait, son travail à l’atelier pouvait être bien plus épuisant physiquement et nerveusement. Mais les hommes l’avaient toujours déçu. Ils se retrouvaient entre Juifs et l’entraide ne trouvait pas sa place. La peur de mourir ou tout simplement d’avoir faim l’emportait souvent sur l’humanité.
Mais enfin, il était parti.
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7 jours avant Pessah.
Avant d’aller dans Jérusalem, Jésus voulut passer à la ferme de Béthanie. Il savait qu’il retrouverait Lazare. Cet homme que l’on nommait désormais prophète ou Rabbi aimait retrouver ce fermier pragmatique qui, malgré les difficultés de la vie paysanne en Palestine à cette époque, avait le coeur sur la main.
Le Nazaréen savait qu’avec Lazare, il saurait sans ambages les dernières nouvelles de Jérusalem.
C’est le jeune Joseph qui l’accueillit.
- Bonjour Jésus, enfin arrivé ?
- Bonjour Joseph, comment ça « enfin » ? Tu m’attendais ?
- Rebecca a permis à tes compagnons de s’installer à la ferme il y a plusieurs semaines. Je crois qu’ils t’attendent.
- Ils sont là ? Pierre et les autres ?
- Ils ont dû aller à Jérusalem pour la journée. Je suis venu porter une commande pour les repas de la semaine de Pessah.
- Toujours aussi brave ! Tu remercieras ta soeur. Et ton père, sait-il que mes amis logent ici ?
- Je pense, il l’a reproché à Rebecca. Il me semble qu’il voulait te parler.
- Allez, continue ta mission en m’amenant à Lazare, tu passeras ta commande et il me renseignera.
Jésus ressentit une appréhension désagréable et il était désormais pressé de retrouver Lazare afin qu’il l’éclaire sur les propos du jeune garçon.
Joseph et son frère avaient été élevés par leur grande soeur Rebecca. Plus âgée qu’eux d’une dizaine d’années, elle avait remplacé leur mère morte d’épuisement à la naissance des jumeaux. Cette jeune femme admirait Jésus pour ses paroles généreuses et la valeur de partage qu’il prônait. Le presque prophète voyait qu’elle était sensible à son discours et appréciait qu’elle l’applique. Avec son père membre du sanhédrin, elle appliquait les valeurs du prêcheur mieux que d’autres bien plus riches. Ce Rabbin célèbre n’était autre que Joseph d’Arimathie1. Un des rares membres ouverts du sanhédrin qui permettait que cette assemblée ne devienne pas un simple regroupement de favorisés confortant leur position. Joseph et ses condisciples restaient minoritaires mais permettaient de limiter les abus.
L’éminent théologue était propriétaire de cette ferme. Peu enclin aux sciences agricoles, et aux travaux manuels en général, de plus fort occupé par son poste, il choisit donc de confier sa vie familiale à Rebecca, sa fille aînée, et ses terres à Lazare et ses soeurs.
Le fermier exerçait son art sur les oliviers de la colline. La saison était à la surveillance et l’ami de Jésus était plus préoccupé par ses arbres que par les fêtes qui arrivaient.
Joseph précisa les besoins de la maison comme un récitant. Avec l’enseignement religieux que lui prodiguait son père, il s’était habitué à apprendre des passages du pentateuque, doté d’un vrai talent de mémoire, il rendait ainsi service à sa soeur pour les commandes. Son athlétique jumeau viendrait le lendemain chercher la commande.
Une fois le jeune garçon envolé vers une après-midi de jeu dans les rues de la sainte ville, Lazare jeta un regard sur son ami qui en dit plus long que d’habitude, pas assez aussi.
- Je suis heureux de te voir, lança Jésus avec le sourire de l’homme satisfait d’être arrivé.
- Pas moi ! répondit Lazare en serrant son ami dans les bras.
- Explique-moi ce qui se passe et ce que font mes amis ici.
- Tes amis t’écoutent, pourtant ils ne te comprennent pas.
- Ils ont tendance à s’emballer, il est vrai.
- Quand tu es parti durant l’hiver, tu savais que ta popularité devenait un préjudice pour toi ?
- Oui, Joseph m’avait expliqué que les autorités juives voulaient me faire arrêter par les Romains, j’ai suivi son conseil de me retirer quelques temps, mais je ne pensais pas que je dusse devenir ermite. Tu étais là d’ailleurs.
- Pas que moi, tous les Nazaréens qui t’accompagnent étaient là. Ils criaient à l’injustice. Tu les connais …
- Oui, oui, quel est le problème ?
- Pierre, Matthieu, Judas, … enfin tous. Ils n’ont rien compris. Tu t’étais retiré dans le but de ne plus faire parler de toi, tout simplement ?
- Je préfère vivre libre que patauger dans les prisons ou les galères romaines.
- Et bien, ils ont parlé pour toi. Maintenant, tout Jérusalem t’attend grâce à eux. Ils ont annoncé ton retour tous les jours dans toute la ville. Cet abruti de Judas est même allé devant le palais de Ponce Pilate afin que « même les païens profitent de sa bonne parole ».
- Oh, les … !
- Tu as le verbe moins assuré aujourd’hui répliqua le fermier en riant.
Jésus sourit lui aussi en voyant enfin Lazare rire.
- Où en sommes-nous alors ?
- Cela fait deux semaines que je n’ai pas quitté la ferme avec mes soeurs. Joseph est venu me voir il y a dix jours maintenant, je pense que tu devrais te rendre chez lui discrètement.
- Merci, je reviendrai ce soir.
- Sois prudent !
Sur la route de la plus grande ville de Palestine, Jésus se remémora le début de sa gloire.
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2 ans et 11 mois plus tôt.
Lorsqu’il vit Jean, il eut presque peur. Ce corps déformé par l’ascétisme dévoilait une forme d’extrémisme pour Jésus qui se contentait d’accompagner son frère.
Ils l’écoutèrent des heures durant. Un tel flux de paroles sans manger et en buvant à peine était un exploit physique. Jean critiquait le pouvoir romain avec le mot d’oppression hurlé à la face de son auditoire. Il évoquait l’union des hommes mais la confusion régnait dans son discours. Cela n’empêcha pas son charisme d’opérer. D’un geste ample, il imposa le silence à la foule et commença à baptiser. Jésus suivit Jacques dans le seul but de remplir son gobelet au fleuve. A peine retourné, il s’aperçut que le demi-tour serait impossible et rejoignit son frère dont l’air béat l’énervait.
Lentement, patiemment, comme à son habitude, il se fit discret, piétina avec les autres. Le charpentier arriva donc dans les bras du prêcheur. De près son visage effraya encore plus l’artisan solide dont le physique dévoilait la force. Des yeux perdus dans des orbites profondes dévisagèrent Jésus.
- Que fais-tu là ?
- J’accompagne mon frère, Jacques, répondit Jésus désignant celui-ci.
- Tu ne crois pas en mes paroles.
- Elles ne m’ont pas semblé … claires.
- Tu ne partages pas mes … opinions ? Tu as pourtant l’air généreux ?
D’un pas assuré l’ascète prouva sa force au Nazaréen en l’entraînant vers la berge, loin du groupe d’hommes. Ils s’assirent au bord du Jourdain.
- Bien, reprit Jean, partage ton point-de-vue avec moi.
- Pourquoi moi ? Il y a tant d’autres personnes qui attendent pour te parler.
- Qu’ils attendent, ils ont bu mon discours sans réfléchir, j’ai besoin de me confronter.
- Bien, tout d’abord que reproches-tu aux Romains ? Ils nous laissent vivre notre religion librement !
- … en multipliant les impôts, en prenant nos meilleurs terres !
- Eux ou la famille d’Hérode, je préfère l’exploitation romaine, au moins ils ne se cachent pas derrière un esprit de communauté.
- Vu sous cet angle… Bon, et l’union des hommes, tu n’aimes pas ça ?
- Je dois reconnaître que c’est bien vu mais tu ne vas pas assez loin.
- Continue…
- L’union des Juifs est une première chose or il faut aller plus loin. Les légionnaires ne sont pas romains à l’origine, ils ont subi Rome et l’ont rejointe librement pour certains. Je dirais que l’union doit être celle de tous les hommes et femmes qui veulent stopper la pauvreté. C’est compliqué mais tu parles trop des bons pratiquants mais les Samaritains, les gens comme moi, même les Grecs ou les Romains doivent s’unir.
- Je vois la confusion dans mes paroles.
- Réfléchis, les mots « partage », « générosité » doivent transparaître dans tes propos. La critique des puissants ne suffit pas.
- Merci, je repenserai à Hérode, aux Romains, à une union des hommes et des femmes.
Peu importe la fin de leur discussion, Jean, en s’isolant avec Jésus avait lancé un deuxième prophète en Palestine.
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7 jours avant Pessah, début d’après-midi.
Jésus entra à Jérusalem par la Porte de la Source. Dès son arrivée, il eut le sentiment d’être épié. Il pensa tout d’abord que son long séjour solitaire et les doutes de Lazare le troublaient. Pourtant, le fait que les gens le reconnaissent ne lui était pas étranger depuis trois ans qu’il prêchait. Il accéléra son pas afin d’arriver au plus vite chez Joseph d’Arimathie.
Son doute se transforma en certitude lorsqu’une vieille dame lui prit la main souriante :
- Rabbi, nous t’attendions, tu vas profiter des fêtes pour nous défendre. Tu seras notre Moïse.
Jésus la remercia la tête tournée vers l’entrée de la maison de Joseph qu’il apercevait au loin.
Il courut presque, effort oublié depuis quarante jours et s’engouffra chez Joseph sans frapper.
- Salut, l’interpella le petit Joseph.
- Salut ! lança Samuel à Jésus, puis regardant son frère, Dépêche, si on veut profiter des copains, c’est maintenant. Demain, on est bon pour le temple avec papa qui prépare les célébrations…
- Bonjour les garçons, votre père est là ?
- Dans sa chambre, entendit Jésus qui ne put déterminer lequel des deux lui avait répondu.
- Et leur soeur aussi est là ! fit une voix derrière lui.
Jésus se retourna et prit amicalement dans ses bras Rebecca qui lui faisait face.
- Comment vas-tu ? demanda sincèrement Jésus.
- Mieux que toi, je crois. Viens. Tu dois voir mon père. Tu le connais, il ne m’a pas tout dit, il oublie parfois que j’ai déjà vingt ans mais j’ai bien compris que tes amis n’ont pas tiré les bonnes conclusions de ce qui s’est passé cet hiver.
Jésus resta silencieux. Rebecca frappa légèrement à la porte de son père et c’est un « oui ? » inattentif et un Joseph concentré sur ses lectures qui accueillirent les deux jeunes gens.
Le rabbin leva la tête et quand il aperçut Jésus, son corps suivit le mouvement.
- Merci ma fille, tu peux retourner à tes occupations. Jésus, Jésus, Jésus, … Tu es trop bien entouré avec ta bande de Nazaréens.
- J’ai vu Lazare, c’est ce que j’ai cru comprendre.
- Quand je suis venu à la ferme pour vous annoncer la mort de votre ami Jean, le prophète du Jourdain, je voulais vous protéger…
- Je sais, j’ai eu peur à ce moment et j’ai dit à mes camarades que nos projets étaient partie remise. En plus, j’ai voulu profiter du moment pour m’isoler un peu. Je suis allé seul dans le désert me faire oublier. Je pense que je suis parti trop vite. En leur disant que je reviendrais, je pensais qu’ils en feraient autant et que nous nous retrouverions dans quelques mois. Si je suis revenu à Jérusalem c’est pour fêter Pessah avec ma communauté.
- Quel bon juif ! dit Joseph sans ironie. C’est bien la première fois que je dis à quelqu’un qu’il n’aurait pas dû respecter sa foi. Peu de gens savent que tu es là, après tout. Pars, reviens dans l’hiver. Ils attendront ton retour avec moins de ferveur, cela éviterait que tu finisses comme Jean. En plus, Judas a fait parler de lui et ce n’est plus Hérode ou le Sanhédrin qui t’en veulent mais les Romains, enfin ils ont d’autres chats à fouetter.
- Je vais me ranger à ton avis. Puis-je passer à la ferme prendre quelques prov… Qu’est-ce qui se passe ?
La rue, qui était encore calme au début de cette discussion, diffusait désormais une clameur indistincte. Rebecca surgit dans la chambre de son père sans frapper, événement insolite qui n’était jamais survenu.
- Je ne peux plus sortir de la maison ! Regardez à la fenêtre !
Rebecca venait de donner un ordre à son père ! Injonction dont l’incongruité marquait l’émotion de la jeune femme. Joseph s’approcha de l’ouverture et se pencha :
- Qu’est-ce que c’est que ce … !
Le mot qu’utilisa le rabbin appartenait à un vocabulaire que personne au monde n’aurait imaginé présent dans l’esprit de Joseph d’Arimathie, même Joseph Caïphe, son pire ennemi au sein du Sanhédrin, n’aurait envisagé cette éventualité.
Jésus, déstabilisé par la réaction de l’homme de lettres, le rejoignit. Une foule confuse encombrait la petite rue. Il vit d’abord une décade qui observait calmement l’agglomérat, la foule étant loin d’être vindicative. Puis en approchant son regard du bas de la fenêtre il reconnut ses camarades.
- C’est lui, il est là ! hurla Pierre.
La clameur se transforma en cris de joie
- Trop tard ! chuchota Joseph à son oreille. Fais quelque chose, s’il te plaît !
L’homme redevint prophète. Il leva les bras, le silence se fit.
- Hiérosolymites, je ne vous attendais pas si tôt. Mon voyage m’a fatigué. Je vous retrouverai dans deux jours sur le parvis des Gentils, ainsi pourrons-nous partager sans troubler l’ordre public.
La foule, à la fois déçue et compréhensive s’éparpilla lentement.
Jésus s’adressa à Pierre :
- Je vous rejoins à Béthanie à la tombée de la nuit.
Il vit au loin le décurion le saluer et disparaître avec ses hommes.
- Joseph, puis-je attendre qu’il fasse nuit avant de partir ?
- Bien sûr, c’est mieux ainsi.
- J’espère ne pas t’attirer d’ennuis. Je suis désolé.
- Caïphe sait très bien où tu loges, cela ne change pas grand-chose. Va avec Rebecca à la cuisine, elle te préparera un repas. Tu en as bien besoin.
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6 jours avant Pessah.
Jésus passa la journée à reposer son corps mais pour son esprit, l’affaire fut tout autre. Si l’hésitation à honorer son rendez-vous avec les Hiérosolymites était forte, il savait aussi qu’on ne l’avait pas oublié. Ces disciples comprenaient désormais leur erreur. Leur ami avait eu peur et ils auraient peut-être tous dû être plus discrets.
Les paroles avaient été dites. Une promesse avait été faite. Ils ne pourraient pas revenir sur le passé.
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5 jours avant Pessah.
Ayant omis de donner des précisions sur son rendez-vous, Jésus s’était donné la chance d’arriver avant tout le monde. En effet, il arriva sur le parvis des Gentils accompagné des premières lueurs du soleil.
Cet astre qui, durant 40 jours, fut sa seule compagnie.
Aujourd’hui, c’était tout autre. Il avait quitté Béthanie en compagnie de son frère Jacques. Si tout avait commencé par le devoir d’accompagner cet homme à la connaissance liturgique infinie, désormais c’est Jacques qui aidait l’idéaliste pour répondre à la foule.
Idéaliste était bien le terme qui définissait Jésus pour les Israéliens d’une époque troublée. Rome s’appuyait sur des souverains corrompus et des préfets surtout habiles en tactiques militaires.
Cette situation permettait aux personnes proches du pouvoir d’abuser de la population.
Oser critiquer la gestion de Rome avait plu à la population. Mais oser critiquer les fils d’Hérode alors que certains les soutenaient en tant que représentants juifs avait divisé. La majorité de la population voyait tout de même que ces rois juifs se préoccupaient surtout de conforter leur pouvoir. Les responsables de la pauvreté étaient nombreux et la colère des Israéliens visait des cibles diverses.
Jésus avait toujours ressenti et donc compris cette colère mais il avait sans cesse affirmé que la méthode pour améliorer le sort de chacun était l’entraide.
Jérusalem le comprit ce jour-là mais l’attente qui avait été créée par les disciples entraîna une lourde déception.
La journée entraîna de nombreux débats. Les critiques envers le pouvoir en place fusaient. Jésus finit par s’exclamer :
- Que désirez-vous ? Attaquer les palais de Ponce Pilate et des fils d’Hérode ? Nous mourrons tous avec ces méthodes. Devenons pauvres, abandonnons notre argent et aidons-nous simplement. Ceux qui n’ont rien à donner pourront offrir leurs services et aider les plus miséreux et les impotents. Quand ils n’auront plus rien à nous prendre nous serons libres.
- Tu nous proposes de vivre dans le dénuement. C’est cela ton projet ? l’interpella un marchand de la ville.
- Disons que nous devrons en passer par là.
- Dans mille ans serons-nous enfin libres de toute oppression ?
- Mille ans, je ne sais pas, mais il a fallu quarante ans à Moïse pour voir Israël.
Cette discussion eut lieu au petit matin avec les lève-tôt de la ville et ceux qui n’avaient pas encore rejoint leur lit. A ce moment-là, un comédien aurait appelé cette première discussion « générale » car elle se répéta cent fois ce jour-là. Dans l’esprit des gens, la précipitation insufflée par les apôtres avait été balayée par un projet de long terme qu’ils comprenaient mieux désormais.
A la fin de la journée tous ceux qui avaient voulu l’entendre étaient venus. Certains étaient galvanisés par les mots de Jésus. D’autres circonspects. D’autres déçus, car trop riches ou harassés par ce projet à l’ambition démesurée.
Jésus ne cacha pas sa surprise lorsqu’un dernier homme s’approcha de lui. Le décurion romain qui l’avait écouté à la fenêtre de Joseph d’Arimathie deux jours plus tôt.
- Vos histoires de judaïsme, je n’y entends rien. Mais j’aime ta façon de parler même si ton projet me semble un peu fou.
- Si c’est un compliment, merci.
- Oui, Oui, … disons que jusque là, la seule façon de devenir libre c’est vingt ans de légion. Pour une fois, le projet est différent. Bon, je suis aussi là en tant que légionnaire. Bravo pour ta gestion des événements aujourd’hui et l’autre jour. Je dois faire remonter un rapport qui sera disons positif pour ton comportement. Mais si je peux éluder le contenu de ton discours, méfie-toi car les Hiérosolymites qui quittaient la place étaient pour certains vindicatifs. Je sais que Joseph Caïphe et des représentants d’Hérode viennent régulièrement réclamer ta tête à Ponce Pilate. Ce préfet n’hésitera pas à accéder à leur demande si on lui rapporte certains de tes propos.
- Merci, mon ami.
- De rien, je te laisse rentrer et ne fais pas parler de toi.
Soulagé par cette entrevue franche et calme, Jésus prit le chemin du retour...
La décision était prise de réfléchir ensemble à la suite à donner aux événements.
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4 jours avant Pessah.
Jésus avait dû élaborer un plan. Il réunit les douze dans l’étable. Il demanda à Lazare et à ses soeurs de se joindre à eux. Il avait confiance en cette famille pour son bon sens paysan. Il manquait à la bande une personne de la ville au fait des rumeurs.
Samuel, dont toute l’attention était portée sur le chargement qu’il préparait avec Lazare dans le but de remplir les cuisines familiales pour Pessah, suggéra tout de même :
- J’y vais. Je n’ai pas tout compris à votre discussion mais Rebecca peut vous rendre visite ce soir si vous le souhaitez. Elle va cuisiner toute la journée et elle ira se promener. Elle viendra volontiers par ici.
- Bien, nous pourrons prendre des décisions ce matin que nous modifierons en fonction des conseils de Rebecca, conclut Jésus.
Samuel s’éloigna, impressionnant les hommes et les femmes réunis par la force qu’il déployait pour son jeune âge. Il marchait d’un pas sûr vers Jérusalem, un âne peinant derrière lui.
Le silence se fit. Tous étaient songeurs. Pierre toussota et lança à Jésus :
- Que veux-tu faire ?
- Cela fait des mois, des années même que nous marchons ensemble. Pourquoi suis-je votre guide ?
- C’est Jean le baptiste qui t’a reconnu comme un homme d’exception, affirma Thomas.
- Mmm, oui. Enfin quand Jean m’a pris à part c’est que j’ai été le seul homme à lui répondre, à discuter …
- Effectivement, c’est ça ! s’exclama Pierre.
- C’est-à-dire ?
- Tu prends la parole et tu n’as pas peur. Tu ne te rends pas compte du courage qu’il faut pour invectiver la foule. En plus, tes discours ne sont pas obscurs. Ton message pour le partage et la générosité est clair. Je dois bien reconnaître que nous avions sous-estimé le travail et que nos actions le mois passé n’ont pas aidé à la situation.
- Vous me trouvez courageux ? demanda le prophète.
- Tu es charismatique Jésus, répondit Judas. J’avais mon petit confort, ma vie était simple et pas vraiment difficile mais tu m’as donné envie de bouger, d’agir, même si certains de mes actes sont d’une maladresse néfaste. Sans toi, je reste un paysan d’Iscariot et rien ne change pour moi ou les autres.
- Judas a raison, rétorqua Jean, le plus jeune des douze. Tu donnes une autre vision de la foi. Avec toi, on ne se sent pas coincé dans notre condition et on se sent utile.
- Merci, les amis, je comprends.
- Vous êtes vraiment têtus. Tout comprendre, tout expliquer. Vous ne pouvez pas vous en empêcher. Qu’est-ce-que vous faites ? les apostropha Lazare.
- Mon frère, tu es trop direct avec eux. Ce sont des penseurs. Aide-les, lui expliqua Marie2 sa soeur.
- Ça fait des jours que notre frère ne quitte plus la ferme. Laisse-moi résumer la situation, lança Marthe. Hérode te déteste mais c’est un fat utilisé par les Romains. Si tu vas dans les régions qu’il contrôle tu es mort, ses espions te recherchent. Le Sanhédrin ne t’a pas à la bonne mais Joseph peut atténuer leur sentence ou tout du moins te prévenir si ça sent le roussi. Pour les Romains tant que l’ordre public est maintenu, tu seras tranquille. Ils préfèrent s’occuper des Zélotes.
- Quel esprit de synthèse, souligna Thomas.
- Je dois donc aider à maintenir l’ordre que nous avons troublé, conclut Jésus.
- Disparaître ne serait pas bon pour toi. Cela pourrait agiter une partie de la foule et conduire les Romains à te rechercher, affirma Pierre.
- Baladons-nous dans Jérusalem avec des prêches discrets d’unité, des propos rassurant en évitant de critiquer le pouvoir en place pour le moment, dit Jean.
- Rebecca nous éclairera mieux ce soir.
Jésus resta à Béthanie et aida Lazare dans ses travaux pour évacuer les pensées qui l’encombraient. En fin de journée, Rebecca apparut au milieu du troupeau que surveillaient Jésus et Lazare dos au soleil.
- Je me demande parfois pourquoi je ne viens pas vivre ici, dit Rebecca en s’asseyant à côté des deux hommes.
Le silence les accompagna encore quelques minutes et Lazare prit une outre qu’il tendit à ses compagnons. Jésus but précautionneusement pour ne pas renverser d’eau. Rebecca assoiffée par sa marche renversa du liquide par ses gestes trop rapides. Jésus se moqua et lança :
- La prochaine fois, je te donnerai un gobelet.
- Tu peux bien rire ! Ce n’est pas moi qui traverse le pays depuis trois ans avec mes petites affaires pour manger.
Les trois compagnons rirent de bon coeur.
- Samuel m’a dit que vous aviez besoin de mes lumières.
- Je pense que Jésus et ses compagnons devraient fuir, intervint immédiatement le fermier, mais ils ne m’écoutent pas.
- Pierre pense que les Romains pourraient me rechercher pour calmer la population si je disparaissais. Nous pensons rester à Jérusalem et faire des prêches pacifiques pour montrer notre bonne foi.
- Pierre a raison, dit Rebecca. Reste dans le coin. Par contre, pas de discours, tu réponds aux questions mais tu restes évasif et tes disciples font profil bas, pas de critique, pas d’attroupement. Jacques te conseillera pour que tes paroles restent dans le cadre des lois juives. Pas d’ambiguïté, cela pourrait servir les calomniateurs.
- C’est exactement ce que m’a dit un décurion l’autre jour.
- Tu connais un décurion ? demanda Lazare.
- Il connaît même un centurion, il l’a convaincu de faire construire une synagogue, répondit Rebecca.
- Bravo, s’exclama Lazare. Quel pouvoir de persuasion !
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3 jours avant Pessah.
Cette tenue noire ne laissait aucun doute sur les fonctions du grand homme dont la finesse confinait à la maigreur. Son visage était connu des gardiens du bâtiment. Ce bâtiment dont l’architecture ne faisait que crier « Bienvenue à Rome ». Les colonnes, les ouvertures, les matériaux affirmaient tous « les décisions viennent d’ici ». La gloire d’une nation a besoin de s’étaler pour exister et Rome, malgré la jeunesse de l’Empire, ne l’avait que trop compris.
Joseph Caïphe demanda à rencontrer Ponce Pilate. Les deux personnages de Jérusalem se rencontraient souvent afin de s’accorder sur les besoins de la population et de leurs représentants. Rome savait très bien qu’une domination concertée avait toutes les chances de durer dans le calme et ne cherchait qu’une domination politique. La culture romaine était d’ailleurs spécifique dans les domaines politique et militaire, pour le reste, c’était une culture d’emprunts et d’amalgames entre les anciens peuples d’Italie.
Joseph Caïphe était le chef de l’assemblée du Sanhédrin. Même si ses vues divergeaient de celles de Joseph d’Arimathie, ce qui les rendait adversaires, il était aussi un éminent théologue.
Ponce Pilate, préfet et représentant de Rome en Palestine, avait eu sa petite gloire militaire dans diverses campagnes. Sa conversion restait difficile. Si Jules César avait été un génie politique et militaire, tout le monde n’était pas doté des mêmes atouts et Pilate ne comprenait rien à la gestion des peuples, du moins privé des moyens d’oppression qu’il aurait volontiers utilisé.
Les deux hommes ne se comprenaient pas, mais ils avaient besoin l’un de l’autre. Leurs relations ne s’expliquaient que par leur statut.
- Les préparations de vos fêtes s’annoncent-elles bien ? Toujours pas d’orgies ? Vous êtes sûr ? questionna le préfet souriant.
- Merci pour votre proposition mais nous ferons sans, répondit le rabbin sans sourire, l’humour n’étant pas son fort, surtout quand il s’agissait de religion.
- Cela m’arrange de vous voir. J’ai quelques informations à vous demander.
- Cela m’arrange de vous voir. J’ai un service à vous demander.
- Vous faites bien les choses à la place du hasard puisque vous êtes venus jusqu’à moi. Vous connaissez l’élégance romaine, je me permets de commencer.
- Bien évidemment, répondit Joseph souriant et ironique, l’humour retrouvé.
- Bon pour votre Pessah, je garderai les dispositifs des années précédentes, il n’y avait pas eu d’accident. J’ai eu quelques difficultés avec des Zélotes mais un de mes décurions, le fameux Julius, a trouvé une solution au problème. Jusque là, c’est mon domaine. J’ai trois rapports qui mentionnent des Nazaréens à la tête desquels un certain Jésus s’est fait remarquer. Ni positivement, ni négativement. J’aimerais bien comprendre ce que fabrique votre Rabbin avec ses amis.
- Le hasard fait les choses à ma place finalement, je voulais vous parler de ce Jésus, rétorqua Caïphe surpris. Tout d’abord, ce n’est aucunement un rabbin, tout au plus un orateur de talent. Je dois bien reconnaître que certains Hiérosolymites l’appellent « prophète ». Je voulais vous demander de l’arrêter durant les fêtes pour éviter qu’il ne les trouble.
La grimace du préfet fit office de réponse mais il précisa :
- J’ai un rapport qui date de quelques jours, il a su faire évacuer une rue dans le calme. C’est un atout pour moi. De plus, ce même rapport dit que le faire enfermer pourrait entraîner le mécontentement de la foule.
- Et ce rapport précise-t-il que cet homme n’hésite pas à critiquer le Sanhédrin et Rome ?
- Non, rien de tel. J’ai bien des informations sur un certain Judas qui aurait fait parler de lui devant mon palais en parlant de ce Nazaréen mais il a été libéré afin de régler le problème zélote. Sinon, on peut le proposer pour la grâce de Pessah, comme ça la foule choisit.
- Ton procédé est trop démagogue. Tu en feras un martyr ou un héros. Je pense que l’enfermer une petite semaine suffirait.
Le préfet trouvait son idée trop excellente pour revenir dessus. Il avait peur qu’un emprisonnement même temporaire agace la population. Leur laisser le choix lui offrait la possibilité de se dédouaner des problèmes qui concernaient les Juifs. Une arrestation au dernier moment empêcherait la nouvelle de se propager. La décision d’arrêter Jésus aux premières heures de Pessah fut prise à cet instant.
Joseph Caïphe s’en alla assez mécontent mais il connaissait suffisamment Pilate pour savoir qu’il ne servait à rien d’en discuter. Le rabbin dût révéler aux Romains le lieu de villégiature des Nazaréens contre son gré. Le fait qu’un membre du Sanhédrin loge ce groupe ne lui plaisait pas. Quoiqu’il advienne, son parti ou celui de Joseph d’Arimathie serait pris en défaut. Cela il ne le souhaitait pas car la réputation du Sanhédrin serait entachée.
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2 jours avant Pessah.
Jour de paix et de préparation pour tous.
Le préfet prépara la sécurité de la ville et une arrestation imprévisible sur la colline de Béthanie. Il se méfiait de la réaction de ces Nazaréens.
Rebecca préparait sa maison pour les fêtes de Pessah et un repas pour les Nazaréens afin de les remercier de leur présence.
Joseph Caïphe, Joseph d’Arimathie et leurs fils préparaient la liturgie de Pessah, chacun de leur côté, évidemment.
Tout le monde serait prêt dans deux jours.
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Veille de Pessah.
Qui n’a jamais vu le soleil couchant sur une colline de Palestine ne pourra soupçonner la félicité qui régnait dans le coeur des hommes et des femmes qui dormiraient à la ferme de Béthanie cette soirée d’avril 32.
Jérusalem avait offert son lot de discussions et de débats. Même si Jésus restait dans la mesure, il arrivait encore à convaincre. Jacques avait pu se mettre en avant et avait impressionné un grand nombre de gens par son érudition religieuse.
La fin de journée fut animée par l’aide apportée à la ferme de Béthanie. Les Nazaréens voulaient libérer Lazare, Marthe et Marie afin qu’ils partagent un repas convivial en cette veille de Pessah.
Enfin, le soleil emportait la journée vers l’Asie mystérieuse pour sonner l’heure du repos. Chacun mit la main à la pâte et un délicieux repas fut préparé dans l’étable. La petite maison qu’occupaient Lazare et ses soeurs n’aurait pas permis d’accueillir ces treize hommes ainsi que les enfants de Joseph d’Arimathie. Il faut dire que leur père finançait involontairement le repas, même s’il n’était pas dupe du fait que cette pauvre troupe qui logeait dans sa ferme s’y nourrissait.
Les kemias, légumes marinés et fruits secs, et les hallotes, pains du shabbat, étaient accompagnés de volailles grillées qui ravirent les convives. Au moment de verser les premiers vins accompagnant le repas, Rebecca demanda à Marthe et Marie :
- Nous n’avons pas de verres pour servir le vin. Allons à votre demeure.
- Non, rétorqua Jésus, c’est trop loin. J’ai une idée.
Il monta au fenil où se trouvaient ses affaires. Il redescendit avec son gobelet de bois.
Pierre rit :
- Môssieur Jésus nous prête son verre. Quel honneur !
Ce petit confort que s’était offert le charpentier était devenu un sujet de plaisanterie entre les Nazaréens.
- Nous sommes réunis ici car je vous y ai un peu entraînés, répondit-il, mais c’est Rebecca qui offre le repas, il fallait bien que je participe.
C’est ainsi que ce jour-là tous burent dans le même récipient.
Soigneux, Jésus remonta le ranger à la fin de ce repas d’une rare convivialité.
Quand il redescendit, chacun cherchait déjà son confort au dehors pour dormir, l’étable étant devenue une vraie fournaise avec ce monde.
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Jour de Pessah.
Si les premières lueurs du jour réveillaient les courageux qui avaient dormi dehors, on ne voyait pas encore le soleil. Les préparatifs d’un frugal repas avant d’aller à Jérusalem pour les festivités de Pessah sortirent de leur torpeur les frileux qui s’étaient réfugiés dans l’étable au cours de la nuit.
Rebecca avait déjà rejoint son père qui avait besoin que l’on s’occupe de lui tant son sens pratique était inversement proportionnel à sa science de la religion et des hommes.
Les estomacs étaient encore vides lorsque deux décades de légionnaires surgirent.
La crainte que les Nazaréens avaient ressentie lors du repas de la veille refit surface.
Les deux décurions s’approchèrent du groupe, d’abord lentement. Soudain un regard d’aigle venant du plus grand se figea sur Judas.
Le regard habituellement si enjoué de cet affable compagnon de Jésus se ternit d’une larme.
Il avait reconnu, en la présence de ces deux Romains, celui qui l’avait mis en prison et celui qui l’en avait sorti.
Judas avait rencontré le premier décurion, Adonis, quelques temps plus tôt. Adonis était devenu légionnaire en espérant devenir citoyen. Cet homme fin, dans les deux sens du terme, et grand prenait son mal en patience. De garde durant la fin mars, il dut s’approcher de ce Judas qui, prêchant devant le palais de Ponce Pilate, créait un attroupement. Les légionnaires firent partir l’auditoire rapidement et Adonis dit :
- Prêcher ici ! Tu as toute la Palestine et tu viens devant le palais du représentant de Rome ! Suis-moi, imbécile ! J’ai autre chose à faire !
Enfin, si se reposer est en soit « quelque chose à faire ».
Judas finit dans une geôle, vite oublié par le décurion.
Ce premier souvenir désagréable n’était pas le plus effrayant. Le second souvenir se déclencha quand le massif Julius leva loin derrière lui, légèrement en hauteur, une main gauche dont la partie juive de l’assemblée ne soupçonnait pas l’existence incroyable. Les Romains l’ayant déjà vu à l’oeuvre eurent une inspiration réflexe partagée avec les compagnons de Judas.
Le second souvenir refit surface et la vitesse de la mémoire permit de reconstituer cet étrange moment plus vite que le geste du second décurion.
Julius était devenu légionnaire pour l’aventure qui à l’époque comprenait souvent une belle part de violence. Cet homme massif, au point d’en être resté encore aujourd’hui la meilleure illustration, exécutait sa fonction avec plaisir. Nommé comme le premier empereur de Rome, il faisait toujours penser au fils adoptif de cet empereur. De garde le jour suivant son ami Adonis, il accompagna un Zélote en cellule. Il ouvrit la porte de la cellule de Judas avec fracas.
- Qu’est-ce tu fous là ?
- Ben… je… je prêchais devant le palais.
- Rien à foutre des bavards, l’autre abruti que j’amène a essayé d’attaquer une décade. Si tu veux partager son sort, reste.
Judas toujours prêt à la discussion comprit ce jour-là que le silence était d’or. Il avait à peine passé la porte de la cellule qu’il entendit pour la première fois les sons produits par un tabassage en règle. Il pleurait toujours en arrivant à la ferme de Lazare.
Les larmes, provoquées par ce souvenir, coulaient déjà quand l’arme naturelle du décurion s’effondra sur son visage telle une enclume. Le craquement de son nez n’empêcha pas l’air de continuer à se raréfier. Les poumons furent pleins quelques secondes plus tard, Judas ayant alors embrassé le sol y perdant quelques éclats de dents3. Seul Adonis respirait encore, flegmatique.
Lazare et ses soeurs avaient entraîné les jumeaux dans l’étable.
- Où est Jésus ? Parle, on t’a reconnu, tu blablatais devant chez Pilate, hurla ou demanda Julius.
- Tu t’attends à une réponse vu son état ? rétorqua Adonis.