Le vrai coupable - Guy Raynaud - E-Book

Le vrai coupable E-Book

Guy Raynaud

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Beschreibung

Février 2014 – À proximité de la tour Madeloc, proche d’un canal d’irrigation à Saint-André et sur l’avenue de la Vallée Heureuse à Sorède, trois hommes meurent dans de bien étranges circonstances. La rareté des indices sur les scènes de crime complique la tâche de la commandante Christelle Limière et de son équipe. Les soupçons se portent sur une tueuse en série sillonnant les allées d’une grande surface dans son long manteau de laine. Une imagination débordante et une remarquable intelligence la rendent insaisissable. Même si vous imaginez le pire des stratagèmes, vous êtes encore loin du compte ! Niccolo Machiavelli va se retourner dans sa tombe…

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www.guyraynaud-romanspoliciers.fr

Sommaire

Prologue

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre XI

Chapitre XII

Chapitre XIII

Chapitre XIV

Chapitre XV

Chapitre XVI

Chapitre XVII

Chapitre XVIII

Chapitre XIX

Chapitre XX

Chapitre XXI

Prologue

La tour Madeloc – lundi 3 février 2014.

« AAAAh ! Qu’est-ce qu’il m’arrive ? »

À l’arrière de sa voiture, Stéphane Barrer, le pantalon sur les chevilles, émet un râle et plaque ses mains contre son torse afin d’arrêter l’hémorragie. Il vient de recevoir trois coups de couteau dans le thorax.

Un moment d’inattention de l’homme, surpris par l’arrêt d’une voiture à proximité, lui a été fatal.

La nuit est arrivée rapidement et une forte pluie accentue encore l’impression de désolation des lieux et résonne sur la carrosserie de la Scénic.

Mourir dans cet environnement lugubre le désole ! Même les volailles et les lapins qu’il découpe sur son billot connaissent une fin de vie plus douce.

Il observe ses doigts dégoulinants et rouges. Il crie et grimace, pourtant il sait qu’à cette heure, à proximité de la tour Madeloc, personne ne viendra le secourir. Il tâte sa poche : son portable a disparu.

Il va mourir seul dans cet endroit retiré où il est souvent venu en galante compagnie.

Il a une pensée pour sa fille chérie Emma. Pas pour sa femme qui n’a pas su le rendre heureux.

Le sang coule maintenant sur son ventre et sur le tissu du siège. Il respire avec difficulté et, de temps en temps, un hoquet rejette quelques projections d’un liquide rougeâtre. Un tremblement secoue son corps.

Combien de temps lui reste-t-il à vivre ?

Quelques secondes à peine !

Il baisse la tête et regarde en soupirant sa verge, vigoureux attribut aujourd’hui délaissé, mais qui lui avait apporté tant de conquêtes et de plaisir.

Il pousse un cri de rage et un dernier souffle l’emporte.

Chapitre I

Commissariat central de Perpignan – mardi 4 février 2014.

Aux alentours de 9 h 00, le commissaire Croussard entre en trombe dans le bureau de Christelle Limière :

— Réunion dans cinq minutes ! lance-t-il d’une voix forte et autoritaire.

Tout de suite, elle comprend : il veut voir toute l’équipe et l’affaire est sérieuse.

Installés autour de la table de travail, les enquêteurs ouvrent de grands yeux interrogateurs : la commandante Christelle Limière, la brigadière major Véra Weber récemment nommée à ce grade, le lieutenant Jacques Louche et le technicien Matthieu Trac.

Pas le temps de passer par la machine à café.

Il s’assoit et enchaîne rapidement :

— Tôt ce matin, un homme a été retrouvé mort à l’arrière d’une voiture, au pied de la tour Madeloc. Le procureur nous a confié l’enquête. Les gendarmes de Port-Vendres sont sur place et vous attendent. La police scientifique et le légiste ont été prévenus. J’ai noté l’adresse sur ce bout de papier. Vous me rendrez compte, commandante ?

— Bien sûr, commissaire.

Les explications de Roger Croussard ne pouvaient être plus concises. L’homme âgé de 48 ans, glabre, occupait ce poste depuis sept ans.

Les participants se lèvent et tous pensent la même chose : la journée sera longue et animée.

§

Au bureau des enquêteurs, la commandante Christelle Limière demande au technicien Matthieu Trac de rester à sa table de travail. L’immatriculation de la voiture lui sera communiquée et il pourra ainsi rechercher son propriétaire et ses antécédents judiciaires.

Par ailleurs, elle connaît la sensibilité de l’homme de 24 ans.

À la fin de l’année dernière, celui-ci a passé tous ses week-ends chez la brigadière major Véra Weber, sa voisine de bureau, divorcée et de 11 ans son aînée. Leur liaison a débuté en septembre 2013. Mais ce sont surtout leurs vacances de ski aux Angles, en décembre, qui ont conforté leur relation amoureuse, et la bonne entente de Matthieu avec Léa, sa fille de 6 ans, a fini de convaincre la policière. Cette famille recomposée baigne dans le bonheur et envisage maintenant de se regrouper dans un même logement.

Un lumineux soleil matinal les escorte jusqu’à la D86a. Depuis Port-Vendres, la Citroën C4 de Christelle Limière progresse lentement sur cette route étroite et dangereuse.

Trop concentrée sur sa conduite, la commandante ne remarque pas, sur sa droite, une magnifique vue du port où quelques bateaux de pêche déchargent leur cargaison, beaucoup plus maigre qu’il y a quelques décennies.

Sur un bas-côté de la route, un filet d’eau continu prouve que la nuit a été pluvieuse.

Un véhicule les suit. Dans son rétroviseur, elle reconnaît la Mégane de l’équipe de la scientifique. Avec beaucoup de difficultés, ils croisent une voiture de la gendarmerie.

La brigadière major Véra Weber observe qu’ils longent à présent une crête séparant d’un côté Port-Vendres, Argelès-sur-Mer et la côte sableuse, et de l’autre Banyuls-sur-Mer, ses vignobles à flanc de coteaux et la côte rocheuse. Quel panorama sublime !

« Il faudra venir avec Léa et Matthieu », pense-t-elle.

À chaque virage, la vue dégagée montre un nouveau site digne d’une représentation de carte postale.

Au fil de leur progression, ils se rapprochent de la tour Madeloc, édifiée au XIIIe siècle en vue de la surveillance des attaques ennemies. Une époque où les hommes mourraient les armes à la main.

Au Col de Mollo, Christelle Limière ne ralentit pas et continue sur sa gauche. Plus haut, elle aperçoit plusieurs véhicules. En arrivant à leur hauteur, elle se gare derrière, en se serrant contre le flanc de la montagne.

Après avoir salué l’équipe de la police technique et scientifique, la commandante se rend avec elle sur les lieux du drame.

Tout en progressant, elle contemple la mer Méditerranée. L’environnement est magnifique. Devant tant de beauté, elle se fait une promesse : « Jamais je ne quitterai cette région. »

Elle note que la route continue vers Banyuls-sur-Mer. Elle ne doit pas être très passagère et nous ne sommes pas en période de vacances scolaires. Il faudra tout de même tenter un appel à témoins.

Une Scénic blanche, une portière arrière grande ouverte, est stationnée devant deux panneaux de sens interdit.

Instinctivement, elle regarde sa montre : 10 h 16.

Un adjudant-chef s’avance et communique les premières informations. La gendarmerie de Port-Vendres a été avertie tôt ce matin par un cycliste qui fera sa déposition en milieu de journée. Il n’a rien aperçu d’anormal aux alentours.

En semaine et en hiver, c’est une chance qu’un témoin se soit arrêté. L’enquêtrice veut en savoir davantage :

— Toutes les portes du véhicule étaient-elles fermées ?

— Oui, et la clé de contact est encore sur le tableau de bord. Celle-là, c’est moi qui l’ai ouverte, confirme l’homme en montrant ses mains gantées.

— Vous me ferez parvenir la déposition du cycliste ?

— Bien sûr.

Christelle Limière constate que Véra Weber, derrière la Renault, a déjà son portable en main. Le lieutenant Jacques Louche s’approche de sa supérieure :

— Ce n’est pas joli à voir ! Il a probablement reçu des coups de couteau. Peut-on commencer à fouiller les abords ?

— Oui.

Gantée, elle marche vers la voiture, s’appuie sur le montant de la portière arrière et analyse la scène. La victime, à demi-nue, la quarantaine, paraît corpulente. Sa chemise incarnate est ouverte et montre trois plaies cruentées où s’agglutinent des mouches noires et bruyantes.

Sa position à l’arrière du véhicule et sa négligence vestimentaire sans équivoque attestent que sa dernière occupation était d’ordre sexuel.

« Au moins, il est parti sur une impression agréable ! » pense-telle.

Elle entend marcher derrière elle et se retourne :

— Nous allons commencer notre travail, lance le responsable de la scientifique.

— Je vous laisse la place. Je vois un blouson à l’avant. Puis-je fouiller dans les poches ?

— Oui, répond-il en observant ses gants.

Elle en retire un portefeuille garni de quelques billets de banque, un carnet de chèques et un trousseau de petites clés. Pas de portable.

— Je remettrai tout ça à la veuve, annonce-t-elle en prenant connaissance du nom de la victime, Stéphane Barrer, et de son adresse.

Elle place ces éléments dans une poche en plastique.

Les techniciens avaient déjà enfilé leurs habits blancs et délimité la scène de crime. Elle les regarde ouvrir les autres portières de la voiture et, équipés de lampes à lumière bleue, ils s’affairent à l’intérieur.

Plus tard, le lieutenant Louche, la cinquantaine, le cheveu rare, s’avance vers sa supérieure :

— La scientifique a trouvé un portable et un grand couteau à viande sur le bord de la route, bien visibles.

Elle se retourne et aperçoit deux fiches numérotées, plantées dans la terre, contre la paroi de la montagne.

— J’espère que la pluie de cette nuit n’aura pas effacé les empreintes, s’inquiète la femme.

— Non, je ne crois pas. Les techniciens vont conserver ces pièces à conviction et ils nous les rendront avec leur rapport. Matthieu a confirmé qu’il n’est pas fiché. Les gendarmes de Saint-Genis-des-Fontaines ont reçu un appel téléphonique de sa femme hier soir, signalant sa disparition. L’adjudant de garde lui a demandé de patienter jusqu’à ce matin.

— Quelqu’un l’a prévenue ?

— Oui. Elle ne devrait pas tarder.

Le lieutenant s’éloigne.

Une voiture noire se gare derrière la Mégane. Une femme aux courts cheveux roux, serrant un mouchoir dans sa main droite, marche prestement sur la route et vient à sa rencontre. La peau de son visage est claire et quelques éphélides de couleur montrent la fragilité de son derme.

— Bonjour, Valérie Barrer. Je peux le voir ? dit-elle, la gorge serrée.

La voix est forte et cassée.

— Oui. Nous nous verrons après.

La nouvelle venue s’arrête au niveau de la porte arrière de la Scénic et met la main devant sa bouche. Elle est surveillée par les techniciens de la police scientifique.

Christelle Limière l’entend pleurer.

Trois minutes s’écoulent et la veuve revient vers la policière.

— Je suis la commandante Limière et je mène l’enquête. Veuillez accepter mes condoléances, madame !

— Merci.

— Pourrions-nous nous rencontrer chez vous aujourd’hui ?

— Bien sûr.

L’enquêtrice souhaite rapidement connaître dans quel environnement vivait la victime.

— En début d’après-midi ?

— Parfait, valide-t-elle en reniflant.

— Où travaillait-il ?

Elle découvre qu’il exerçait le métier de boucher dans une grande surface de Perpignan, dont Valérie Barrer donne le nom.

— Son responsable est prévenu ?

— Il m’a appelée tout à l’heure. J’ai seulement dit qu’il avait eu un accident de voiture.

— Ah !

Elle comprend qu’elle devra annoncer la mauvaise nouvelle au directeur du magasin. La veuve, les yeux remplis de larmes, se laisse envahir par un tas de questions.

— À tout à l’heure, émet la commandante.

Elle suit des yeux Valérie Barrer qui, la tête baissée, marche jusqu’à sa voiture.

Puis Christelle Limière se rapproche du responsable de la scientifique qui l’informe qu’elle recevra son rapport le lendemain en milieu d’après-midi.

Elle le remercie et entraîne Véra Weber et Jacques Louche vers la Citroën. En chemin, elle laisse le couple de policiers prendre un peu d’avance et sort son portable. Le commissaire doit être renseigné.

Elle lui décrit la scène de crime et le prévient qu’elle souhaite passer un appel à témoins dans L’Indépendant, même si cette route semble peu fréquentée.

Enfin elle joint Émilie Ingrat, son amie, et lui communique des informations pour son article. La journaliste en profite pour l’inviter à dîner ce soir. Tout à l’heure, en passant à proximité des criques de Porteils, elle avait eu une pensée pour Émilie : c’est là que leur relation avait débuté.

Arrivée à sa voiture, elle demande au lieutenant Louche de prendre le volant et elle s’installe à l’arrière en compagnie de la brigadière major.

La commandante sort le portefeuille de la victime et confie le carnet de chèques et le trousseau de clés à sa voisine. Les deux femmes examinent ces éléments. Elles ne trouvent aucun document ou lettre personnelle ayant un lien avec l’enquête. Toutefois, Christelle Limière place la carte d’identité dans sa poche.

De son côté, Véra Weber note les coordonnées de sa banque et tripote le trousseau :

— On dirait des clés de cadenas.

— Dans la réserve de la boucherie, les employés possèdent probablement un casier ou une armoire pour leurs effets personnels. Nous verrons ça tout à l’heure.

Tout à coup, en plein virage, Jacques Louche freine brusquement. Une voiture en face fait de même. Christelle Limière reconnaît son conducteur : le médecin légiste.

« Je l’appellerai dans l’après-midi », pense-t-elle.

Après les premières constatations sur le terrain, celui-ci fera transporter le corps de la victime dans ses locaux pour des analyses plus complètes.

§

Trois quarts d’heure plus tard, à l’accueil de la grande surface, deux jeunes et belles hôtesses, beaucoup trop maquillées, portant la même tenue, complotent en se trémoussant et en souriant.

La commandante Limière s’approche :

— J’aimerais parler à votre directeur, demande-t-elle en montrant sa plaque de policier.

Les rires s’envolent.

— Je l’appelle, dit l’une d’elles en se tournant sur le côté.

Plusieurs personnes proches leur lancent des regards en coin pleins de méfiance. Une vieille dame, attentive à la scène, fait demi-tour en poussant son caddie.

Les enquêteurs ne patientent pas longtemps.

De loin, au bout de cette longue allée, Christelle Limière le voit arriver, se dirigeant vers l’accueil. Sa démarche, son éternel rictus, la ressemblance est étonnante. Plus l’homme avance, plus elle s’en persuade : c’est lui. Tout de suite, son nom et le souvenir de leur rencontre accaparent son esprit.

À quelques mètres de l’accueil, le directeur s’immobilise en la fixant. Lui aussi doit se plonger dans son passé. Tout à coup, il sourit et tend la main :

— Bonjour Christelle. Il ne l’a pas oubliée.

— Bonjour Basile, répond-elle, se remémorant leur connivence sur le GR10.

« Cela fait presque quatre ans ! » se dit-elle.

Autour d’eux, tous les dévisagent. L’enquêtrice est la première à réagir :

— C’est toi le directeur ?

— Oui, j’ai changé de métier.

— Peut-on parler dans ton bureau ?

— Bien sûr. Suivez-moi !

La femme sourit. « Comme le monde est petit ! »

Dans cette grande pièce, ils s’installent tous les quatre à une table de travail. S’adressant à ses collègues, la commandante parle de l’ancien métier de Basile Argos, guide de haute montagne, et précise leur rencontre sur le GR101, en omettant volontairement les tendres pulsions qui les avaient rapprochés.

Enfin, la policière lui apprend le meurtre de son boucher Stéphane Barrer dans sa voiture, au pied de la tour Madeloc. Le visage du directeur se décompose et il montre des yeux exorbités.

— Oh ! Sa femme est prévenue ?

— Oui.

— Je vais informer notre DRH et nos dirigeants. Si tu as besoin de mes services, n’hésite pas ! Tu peux compter sur moi pour faciliter ton enquête, promet-il.

— Merci. Les employés de la boucherie possèdent-ils un casier ou une armoire ?

— Oui. J’appelle le responsable Natan Esse afin qu’il t’aide.

— Oh, c’est remarquable ! constate Jacques Louche en passant sa main sur son crâne dégarni.

« Ah ! Ça c’est fort ! pense-t-il. Un palindrome2 dans le prénom et un autre dans le nom. Il ne manquerait plus que sa femme s’appelle Anna ! »

— Vous le connaissez, lieutenant ? demande sa supérieure.

— Heu… Non.

— Merci Basile, c’est gentil ! Nous reviendrons en milieu d’après-midi.

Elle se souvient de Basile Argos.

En ce mois de juillet 2010, sur le chemin de grande randonnée, leur séance amoureuse au gîte du Moulin de la Palette lui revient en mémoire.

Après le dîner, ils s’étaient promenés dans la forêt, autour du bâtiment, dans la pénombre du soir. La douceur de la température et les étoiles dans un ciel brillant les avaient incités à s’allonger sur un lit végétal. Une tendre attirance les avait alors entraînés vers la conquête du corps de l’autre.

Plus que des réminiscences, ce sont de merveilleux et agréables souvenirs qui la rattrapent. En y repensant, des frissons parcourent son épine dorsale. Sur le GR10, elle avait dû le quitter afin de poursuivre son enquête.

Nous possédons tous notre point faible, notre talon d’Achille contre lequel nous ne pouvons lutter. Elle avait trouvé le sien. Perdre le contrôle de soi fait de nous des êtres plus humains, sensibles et fragiles !

§

Le jeune responsable de la boucherie est souriant, et pas très grand. Il les conduit vers la réserve.

Une femme de blanc vêtue découpe des côtelettes sur un billot et les salue. Natan Esse montre la rangée d’armoires et désigne celle de Stéphane Barrer.

— Qu’est-il arrivé ? demande l’homme.

Christelle Limière confie les clés au lieutenant.

Elle l’attire dans un angle de la pièce et raconte le drame. Il met la main devant sa bouche et secoue la tête. Il montre un visage défait et paraît abasourdi par l’événement tragique.

— Comment… Mince, dit-il.

Elle suppose qu’il souhaiterait davantage d’informations. Il a compris que l’enquête débute.

— Venez voir, commandante ! apostrophe Jacques Louche dans son dos.

Natan Esse, le visage attristé, reste à l’écart.

Devant le casier grand ouvert, le lieutenant montre des médicaments alignés sur une étagère : une boîte de Guronsan, d’autres produits de la famille des antiasthéniques et deux cannettes de Red Bull.

— Oh ! s’exclame-t-elle en lisant les indications sur les boîtes.

Elle fouille le contenu du casier. Rien d’intéressant. Elle le referme et enfouit les clés dans la poche de son jean. Elle se retourne :

— Merci monsieur Esse. Nous reviendrons vous voir. Allons manger ! propose-t-elle à son groupe après avoir regardé sa montre.

§

Dans la galerie marchande, une pizzeria leur convient.

Les policiers s’installent. Ils décident de revenir interroger le responsable de la boucherie dans l’après-midi.

Après avoir avalé sa part de pizza, Christelle Limière demande leur avis :

— Quel est ton premier sentiment sur cette affaire, Véra ?

Chez la commandante, pas de diktat ! Elle veut l’assentiment de tous.

— La position et la tenue du boucher dans sa voiture paraissent très explicites : relation amoureuse et acte criminel au moment où l’homme s’y attend le moins. Il faut donc chercher parmi ses conquêtes, et, au vu de ses produits dopants, elles devaient être nombreuses. Les rapports de la scientifique et du médecin légiste orienteront nos prochaines investigations.

Les remarques de la brigadière major reflètent toujours beaucoup de pragmatisme.

— Qu’en pensez-vous, lieutenant ?

— Attention, il pourrait aussi s’agir d’un homme ! Avait-il des tendances homosexuelles ?

— Ses relations nous renseigneront, estime Christelle Limière.

Elle se frotte lentement les yeux en réfléchissant. C’était sa façon de s’isoler du monde extérieur afin de mieux se concentrer :

— Nous allons recevoir beaucoup d’informations, des données que nous devrons tous suivre en temps réel, comme les deux pièces à conviction trouvées sur la scène de crime et les éléments des rapports qui arriveront bientôt. Véra, je vais te confier une mission : sur une partie du support magnétique de votre bureau, tu vas créer un tableau que tu rempliras au fil de l’enquête. Ça nous permettra de ne rien oublier.

— Ok. Et sur l’autre partie du support ?

— Il sera consacré aux informations sur les suspects que le légiste et la scientifique nous communiqueront. Si l’un d’entre nous reçoit un renseignement important, il complétera le tableau.

— Très bien, valide Jacques Louche.

— Allons rendre visite à la veuve ! propose la commandante.

§

À Sorède, l’avenue de la Vallée Heureuse s’étire et s’enfonce vers le cœur des Albères.

Devant la maison de la famille Barrer, une Audi noire A1 et un jardinet bien entretenu les accueillent.

Valérie Barrer les fait entrer dans le hall. Elle montre une meilleure mine que ce matin, mais affiche tout de même un visage fatigué et des traits tirés, même si ses courts cheveux roux agrémentent son apparence.

Christelle Limière se souvient de ses cours de morphopsychologie. Ses lèvres pincées et son visage étroit la classent dans la catégorie des rétractées. Généralement, ces personnes introverties ne se préoccupent que d’elles-mêmes et sont assez secrètes. Pour vaincre sa prépondérance à la conservation, elle devra d’abord essayer « d’ouvrir » sa relation aux autres et la forcer à s’exprimer. Engager la conversation sur ses occupations professionnelles serait un excellent début.

Ils s’installent dans le salon.

Les enquêteurs détaillent les meubles et les bibelots de la pièce. Intérieur très lumineux, beaucoup de couleurs blanches et ivoire agrémentées de petites touches rouges par endroits. Un certain raffinement dans la décoration.

La commandante sort son enregistreur et appuie sur un bouton.

De la poche en plastique, elle sort le portefeuille de la victime, le carnet de chèques et le trousseau de clés qu’elle lui tend :

— J’ai préféré vous les apporter moi-même car ils peuvent contenir des documents personnels importants. Les clés sont celles de son casier professionnel à la boucherie. J’ai conservé sa carte d’identité que je vous rendrai plus tard.

— Ah oui ! Merci.

Afin d’occuper l’esprit tourmenté de la veuve, elle choisit de la questionner sur son travail. Valérie Barrer occupe la fonction de secrétaire commerciale dans un garage à Perpignan. Leur fille Emma, 12 ans, n’est pas encore prévenue du drame.

Une grimace apparaît sur son visage.

— Cela vous ennuie ?

— Ça risque d’être compliqué car Emma était très proche de son père.

« Elle sous-entend peut-être qu’elle-même n’était pas très complice avec son mari ! » pense le lieutenant Louche.

— N’hésitez pas à prendre des conseils auprès d’une psychologue pour enfant ! propose la brigadière major Véra Weber.

Valérie Barrer secoue la tête sans répondre.

— Nous menons cette enquête et nous devons vous poser quelques questions. Elles pourront vous sembler indiscrètes, mais notre seul but est de mieux connaître la victime, annonce Christelle Limière.

La veuve saisit son mouchoir et se frotte les yeux. Ce qui étonne sa vis-à-vis, vu que ceux-ci semblent secs.

— Depuis combien de temps étiez-vous mariés ?

— Quatorze ans.

— Quatorze ans ! répète l’enquêtrice en hochant la tête. Était-il fidèle ?

La question abrupte surprend la propriétaire qui ouvre grand ses yeux. Mais la femme rousse réfléchit vite : ils connaissent sûrement déjà le caractère volage de son mari. Elle ne doit donc pas mentir. Elle pense aussi à sa tenue dans la Scénic.

— La fidélité n’était pas son fort, répond-elle simplement.

Les enquêteurs apprennent que Stéphane Barrer quittait son domicile le matin vers 7 h 30 environ et rentrait le soir aux alentours de 21 h 00.

— Il ne revenait donc pas de la journée ?

— Non.

La commandante observe Véra Weber et Jacques Louche qui prennent des notes. Celui-ci pense que sa supérieure va se procurer ses horaires de travail afin de constater d’éventuelles périodes libres dans son emploi du temps. Et il a une petite idée de ses occupations durant ces moments-là.

Valérie Barrer a un rictus : elle aussi vient de comprendre la finalité de cette question insidieuse.

— Où étiez-vous hier soir ?

— Ici, avec Emma.

— Pas d’appel téléphonique qui pourrait valider vos dires ?

L’interviewée prend quelques secondes de réflexion.

— Si. J’ai parlé au téléphone avec ma sœur Simone de Béziers pendant une bonne demi-heure.

— C’est elle qui vous a appelée ?

La veuve ne peut mentir, car elle sait qu’ils feront des vérifications.

— Non, c’est moi.

— Sur votre portable ?

— Oui.

Christelle Limière aperçoit un poste fixe sur un guéridon, indispensable moyen de communication dans une telle circonstance.

— Pouvez-vous nous confier votre portable ?

— Bien sûr.

La propriétaire se lève et s’approche d’un meuble. Puis elle lui tend l’appareil et se rassoit.

— Autre chose. Votre mari avait-il des tendances homosexuelles ?

Elle s’est retenue pour ne pas éclater de rire, car les circonstances ne s’y prêtent pas.

— Non, sûrement pas.

Les policiers apprennent qu’il n’avait pas de passion particulière et qu’il a joué au rugby à Narbonne dans sa jeunesse.

— Une dernière question. Avez-vous pris une décision pour l’enterrement ?

Valérie Barrer se frotte les yeux.

— Il aura probablement lieu jeudi prochain dans l’après-midi.

Christelle Limière regarde le couple d’enquêteurs.

— Rien d’autre ! répondent-ils.

Elle jette un coup d’œil à sa montre, pense aux prochains interrogatoires et appuie sur un bouton de son enregistreur.

— Je vous remercie de vos réponses franches et veuillez nous excuser pour ces questions personnelles dans un moment aussi dramatique ! Nous vous rendrons votre portable et sa carte d’identité bientôt.

La veuve remue la tête et ils se lèvent.

§

Sur le chemin de la grande surface, la commandante Limière laisse le volant au lieutenant afin de téléphoner au commissaire Roger Croussard. Celui-ci paraît satisfait de ce début d’enquête et programme une réunion à son bureau en soirée.

Puis elle demande à Jacques Louche de les laisser devant la porte du centre commercial et de procéder à une enquête de proximité dans l’avenue de la Vallée Heureuse : recherche d’éventuels litiges de voisinage ou de faits surprenants concernant le couple.

Ils se donnent rendez-vous à l’accueil entre 17 h 30 et 18 h 00.

Les jeunes comploteuses ont perdu leur sourire et leur joie de vivre. La disparition du boucher Stéphane Barrer laisse des traces. Elles regardent silencieusement les enquêtrices franchir la porte automatique d’entrée, sans caddie, et les accompagnent tristement du regard.

Dans les allées, elles commencent à se repérer et se dirigent vers le rayon boucherie.

Christelle Limière remarque une caméra fixée au mur, en hauteur dans un angle. Elle fait un signe à Natan Esse, le responsable du rayon :

— Pourrions-nous vous parler dans un endroit tranquille ?

— Oui. Suivez-moi jusqu’à mon bureau !

La pièce est rudimentaire, encombrée de cartons et de cageots. Une table et trois chaises conviennent parfaitement.

Une fois installée, la commandante sort son enregistreur, l’active et entre dans le vif du sujet :

— Parlez-nous de Stéphane Barrer ! Son caractère, ses fréquentations et ses hobbys.

La brigadière major pose son carnet sur ses genoux. Les deux femmes constatent que l’interviewé hésite et patiente en se touchant le nez. Le silence se prolonge. Elles savent que la réponse ne va pas les satisfaire. Soudain, Natan Esse se décide :

— Il était accommodant, avenant et excellent vendeur. Ne buvait pas, ne fumait pas et il était apprécié de tous.

— Ça, c’est le bon côté ! Et l’autre ? intervient Christelle Limière.

Il pousse un long soupir et continue :

— Heu ! De toute façon, vous le découvrirez. Il était vraiment porté sur la gent féminine, clientes et employées.

« Avec tous ces médicaments dans son casier, il devait assurer ! » pense Véra.

— Avait-il des tendances homosexuelles ?

— Non, absolument pas ! J’ai eu le temps de l’observer et je vous assure qu’il n’était attiré que par les femmes.

— Quelles sont ses conquêtes au magasin ? questionne la commandante.

Le responsable de la boucherie observe autour de lui et son timbre de voix est plus faible :

— Une hôtesse de caisse, Édith, et Mylène, une employée du rayon surgelé.

— Pouvez-vous nous dire si elles travaillent en ce moment ?

Tout de suite, Natan Esse saisit son portable et appuie sur une touche. Ses vis-à-vis apprennent qu’Édith est présente aujourd’hui, mais c’est le jour de repos de Mylène qui sera à son poste demain.

L’enquêtrice sait que les espaces de travail sont souvent des lieux de rencontre. Combien de couples se sont connus à l’usine ou au bureau ?

— Et parmi ses clientes ?

L’homme reste évasif et signale qu’il ne pouvait surveiller tous ses contacts de clientèle.

— Autre chose sur lui ?

— Heu… Non.

Christelle Limière prenait aussi des notes sur son carnet. Tout à coup, elle se redresse :

— Il travaillait ici depuis longtemps ?

— Dix-huit ans.

Elle apprend que Stéphane Barrer avait débuté dans ce magasin à l’âge de 20 ans.

— Et vous ?

— J’ai 26 ans et j’occupe cet emploi depuis moins d’un an.

Elle écrit quelques mots sur son carnet. Quand un jeune homme prend le poste qu’un ancien convoitait, cela créait toujours des jalousies et des rancœurs.

— Je suppose que votre arrivée a fait des mécontents ?

— Oui, je n’étais pas le bienvenu.

Il précise qu’il subissait d’incessantes réflexions. Ses détracteurs ont aussi essayé de lui attribuer des erreurs et des maladresses, mais son directeur l’a toujours soutenu.

La commandante imagine que cette convoitise et cette tension au sein du service pouvaient être un excellent mobile. L’entente était loin d’être idyllique.

— Quels étaient ses horaires ?

— De 8 à 13 h 00, et de 16 à 20 h 00.

— Il bénéficiait donc de beaucoup de temps libre en milieu de journée !

— Oui.

Véra Weber complète l’idée de sa supérieure :

— Avez-vous un système de pointage ?

— Oui. Notre DRH, Vanessa Place, vous informera à ce sujet.

— Une vidéo de surveillance ?

— Oui, bien sûr, comme dans toutes les grandes surfaces. Elle vous en parlera aussi.

— Merci pour ces informations ! conclut Christelle Limière.

Les enquêtrices se lèvent.

§

À l’accueil, la commandante demande à parler à Vanessa Place. Une des hôtesses les conduit à son bureau.

La porte s’ouvre et la directrice des relations humaines leur fait signe d’entrer, son téléphone collé à l’oreille. Elle murmure quelques mots à son correspondant et appuie sur une touche de son portable.

Les présentations sont faites. La policière lui donne à peine 25 ans. Ce sont surtout ses grands yeux verts que l’on remarque en premier. Son visage montre de la douceur, et ses courts cheveux blonds la rajeunissent davantage.

La pièce est spacieuse et une plante verte occupe tout un angle. Elle se montre tout de suite bienveillante :

— N’hésitez pas à me poser des questions ! Si je peux vous aider dans votre enquête, je le ferai avec plaisir.

Christelle Limière imagine que son directeur l’a prévenue.

— Merci. Nous allons interroger quelques salariées de votre magasin. D’abord, pouvons-nous avoir accès aux heures de pointage de Stéphane Barrer lors de ces quatre dernières semaines ?

Sans répondre, Vanessa Place décroche son téléphone fixe. Les instructions sont passées, probablement à sa secrétaire.

— Vous aurez ces informations dans une demi-heure.

— Merci. Ensuite, j’ai remarqué que vous aviez des caméras de surveillance dans tous les rayons. Celle qui capte la file d’attente devant la boucherie nous intéresse particulièrement. Pouvons-nous la visionner ?

— Bien sûr. Allons au bureau de la sécurité ! répond-elle en se levant.

La directrice des relations humaines paraît grande. Elle est vêtue d’une courte jupe rouge et d’un corsage blanc.

Plus tard, dans la petite et encombrée salle de surveillance, beaucoup trop sombre, un jeune homme en habit noir, barbu, se lève à leur arrivée.

— Je vais vous abandonner. Si vous avez besoin d’autre chose, je suis à votre disposition, prévient Vanessa Place en se dirigeant vers la porte.

— Merci. En partant, nous prendrons ses fiches de pointage à l’accueil.

— D’accord.

La DRH quitte la pièce.

L’agent de sécurité écoute attentivement la demande de l’enquêtrice, puis précise :

— Nous conservons les films pendant quinze jours. Ce sont les termes du contrat passé avec le directeur. Vous savez que vous devez nous présenter une réquisition signée par le procureur de la République pour obtenir ces enregistrements ?

— Ah oui !

Encore sous la surprise de ses retrouvailles avec Basile Argos, le directeur de la grande surface, Christelle Limière avait oublié cette obligation. Elle sort de la salle et téléphone au commissaire Croussard qui lui promet de faire le nécessaire.

— Nous reviendrons demain matin avec le document. Merci. À demain, dit-elle avant de sortir de la pièce.

Les deux femmes se dirigent vers l’accueil.

Dans les allées du magasin, tout en marchant, la commandante fait le point sur les personnes entendues :

— Nous avons vu la veuve, le directeur, la directrice des relations humaines et la sécurité. Nous allons rencontrer Édith, l’hôtesse de caisse, une des deux conquêtes de la victime dans le cadre de son travail. Demain matin, nous interrogerons Mylène et nous repartirons avec les vidéos de ces quinze derniers jours sur l’ensemble du magasin.

Elle comprend qu’elle devra retracer le trajet des connaissances de Stéphane Barrer dans les allées de la grande surface.