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Vous avez travaillé toute votre vie. Vous voulez passer une retraite paisible, entre vos souvenirs, vos vieux livres et des amis de longue date. Mais vous n’avez pas d’enfant… Vous êtes donc une proie ! Pour qui, et comment vous atteindre ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Janine Foltzer cultive depuis toujours une relation intime avec les lettres, qu’elle a su transmettre avec passion en enseignant le français, le latin et le grec à Saint-Marcellin, en Isère. En 2020, son premier ouvrage autobiographique, "Nous étions des enfants au bout du monde, et c’était la guerre", avait profondément touché ses lecteurs. Elle revient aujourd’hui avec un roman aussi singulier que captivant, porté par une plume sensible et une force d’évocation rare.
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Seitenzahl: 158
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Janine Foltzer
Les assiettes normandes
© Lys Bleu Éditions – Janine Foltzer
ISBN : 979-10-422-7515-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Christine et Jean-Yves, mes neveux, pour leur aide efficace.
À toute la famille, y compris oncle et tante.
Amie lectrice, ami lecteur,
Vous avez travaillé toute votre vie. Vous voulez passer une retraite paisible, entre vos souvenirs, vos vieux livres et des amis de longue date.
Mais vous n’avez pas d’enfant… Vous êtes donc une proie !
Pour qui, et comment vous atteindre ?
La pluie glissait aux carreaux avec monotonie. On aurait à peine distingué le bassin si les canards, fous de joie, n’avaient animé la cour de la ferme par leurs ébats. Massive mais bancale, la silhouette qui guettait à travers les rideaux de la cuisine revint au centre de la grande salle obscure. L’habitude la guidait. Par d’autres fenêtres entrait un jour gris et crépusculaire. La femme heurta du pied une chaise et gémit.
L’électricité rendit la pièce blafarde. Au plafonnier en verre dépoli, une seule ampoule au lieu des trois prévues diffusait quelques lueurs. Lentement, elle se laissa aller sur « le vieux fauteuil de la grand-mère », comme elle l’appelait avec délectation. Ce n’était pas le sien mais l’appellation était juste. Elle revoyait sa belle-mère, très droite dans sa robe de faille noire, l’humiliant, assise dans ce fauteuil, à l’époque de couleur prune avec garniture de dentelles au crochet, symbole d’un intérieur cossu qu’elle avait voulu sien, mais à quel prix ! Le mariage, bien sûr !
Que peut faire une fille de salle de vingt ans, pauvre mais bien bâtie, pour s’installer dans la demeure du maire du pays quand il a un fils à marier ! Ce pauvre Eustache, elle l’avait épousé assez rapidement. Il l’adorait, elle le maniait comme un pantin mais cet imbécile, quand il avait puisé dans la caisse de la ville, il n’avait pas su s’y prendre. C’est lui qui s’était fait prendre et il n’avait plus qu’à se faire pendre, c’est ce qu’il avait fait, et sur-le-champ. Cela l’avait bien débarrassée ! Elle avait horreur des médiocres mais la belle-mère, quelle rage elle avait prise et elle avait tenu, la garce, jusqu’à un âge avancé, ne donnant rien après les avoir chassées de la maison toutes les deux, la mère et l’enfant, chassées comme de la vermine ! Elle lui avait dit sa colère, altière avec son élégance de dame, pendant qu’elle ramassait à la va-vite deux robes, une pèlerine, quelques affaires pour la petite qui pleurait, son enfant, son trésor.
Installée dans son fauteuil maintenant recouvert de velours rouge – la couleur prune avait été introuvable, question de mode – elle revivait une fois de plus tous ces évènements. C’était avec sa fille une de leurs conversations préférées que cette longue reconquête de l’héritage. Mais grâce à ses petites manières, à cette douceur qui cachait une volonté de fer, elle avait pu mener son plan à terme, provoquant au bout de quelques années une rencontre avec la petite fille câline, sans sa présence qui aurait tout gâché. Il y a toujours des gens qui croient les bons samaritains et se laissent convaincre avec quelques mots et mimiques bien choisis.
Il avait fallu procéder par étapes : les rencontres calculées dans un petit commerce où la petite fille de six ans était censée attendre sa mère, faisant semblant d’être inquiète et abandonnée. La grand-mère, qui fréquentait cette boutique sur le chemin de sa maison, s’était présentée à l’enfant, trop heureuse de trouver un nouveau reproche à pouvoir faire un jour à sa bru, avait commencé à tenir compagnie à l’enfant, lui offrant des bonbons et de petits jouets pour l’occuper. Puis, montant avec elle comme un jeu, comme un petit secret.
Bref, de fil en aiguille, au bout de quelque temps, la grand-mère avait invité sa petite fille chez elle, puis, par voie officielle, réclamé son droit à la recevoir plus longtemps. Tantôt elles se voyaient, la petite allait même passer une semaine dans la maison de sa grand-mère, tantôt elle ne donnait aucune nouvelle jusqu’à ce que la grand-mère, très inquiète, la réclame. Tout se faisait par l’intermédiaire du couple de la petite boutique qui croyait aider à une réconciliation. Mais jamais la belle-fille n’avait pu revenir dans la ferme familiale jusqu’au jour du grand triomphe !
Ah ! La mort de la grand-mère, quelle joie, quelle merveilleuse journée ! Jamais enterrement n’avait été suivi d’un pas plus léger. Elle aurait dansé de joie mais hélas, juste ce jour-là, elle avait ressenti une douleur à la hanche et c’était avec un pas hésitant qu’elle avait suivi le cercueil jusqu’au cimetière dans ces petits pays où heureusement l’église n’est jamais loin du lieu de repos éternel. Cette douleur, même vraie, qui lui avait crispé le visage, lui avait servi auprès des habitants. Certains la trouvaient digne, le temps avait passé et peu de gens étaient vraiment au courant de l’histoire ancienne. Il s’était dit beaucoup de choses vraies ou fausses comme d’habitude dans les ragots de village. Certains l’avaient même plaint, tout en réalisant qu’à travers sa fille, l’héritière, elle devenait la plus riche du pays. On l’avait méprisée, ignorée pendant des années et maintenant elle était en force.
Après ce bel enterrement, dernière concession aux volontés de la défunte qui avait tout organisé selon son rang, elles s’étaient retrouvées toutes les deux dans la grande maison vide et elles avaient dansé de joie, se prenant par la taille.
Elles étaient restées silencieuses et un petit sourire éclaira leurs deux visages si dissemblables mais, en ce moment, si proches de la vilenie. La mère massive, les cheveux gris enroulés dans un chignon mal fait, les yeux durs et le visage ridé, la fille plutôt brune, le chignon bien fait, des traits fins à peine empâtés, des yeux noirs très vifs, toutes les deux, lèvres tremblantes sur cette découverte merveilleuse qu’elles venaient de faire : comment hériter une prochaine fois ?
La pluie tombait toujours, pluie si régulière qu’elle semblait faire partie du paysage et égaliser peu à peu collines et jardins en bocages et gazons. La cour semblait devenue une grande éponge. Au moins cette année on n’aurait point de souci à se faire pour les cultures, la pluie venait à temps.
Elle regardait la pendule. Six heures. Bientôt Choupette rentrerait de son travail situé en ville. Jusqu’à la ferme, il n’y avait que neuf kilomètres. En voiture c’était bien peu de choses. D’ailleurs on ne disait pas toujours la ferme. Quand il s’agissait de vendre aux collègues des poulets, on disait :
Mais quand on recevait le parrain et la marraine, on disait la maison, mais cela c’était une tout autre histoire. Un sourire narquois se formait sur les lèvres vieillottes à cette évocation. Elle y penserait un autre jour. Vrai, elle n’avait pas le temps de s’ennuyer dans cette grande maison. Entre tout ce qu’elle avait à faire, ses souvenirs et ses projets, il n’y avait pas une minute de répit.
Maintenant, elle était la maîtresse des lieux. Dès la mort de sa belle-mère, elle avait exigé sa chambre.
Sa fille était restée surprise.
Et, sur cette réplique péremptoire, elle avait pris possession de la pièce. C’est tout juste si elle avait accepté qu’on enlève les draps où avait reposé la morte.
Mais elle avait ouvert l’armoire et essayé les robes. Certaines lui allaient. Elle en avait même gardé une, bien qu’elle fût un peu trop courte. Et en les enfilant, toujours aidée de sa fille qui lui était parfaitement dévouée, elle avait ricané.
Elles étaient un peu petites, mais elles lui avaient servi, au besoin, en les enfilant à moitié. Elle les avait utilisées et élargies par l’usage.
Maintenant, vingt ans après, il ne restait depuis longtemps plus rien des nippes de sa belle-mère. Désormais, son corps alourdi par l’âge s’habillait de robes tabliers ou de tabliers sur des tuniques informes qui dissimulaient les disgrâces de l’âge dues au travail manuel exercé pendant ses années de service.
Depuis, rien n’avait atténué sa haine et son sentiment de triomphe. Elle avait vaincu sa belle-mère, elle avait récupéré l’héritage ; elle se sentait désormais toutes les audaces.
Du regard, elle effleurait une énorme vitrine où voisinaient toutes sortes d’objets : cuivres, argenterie, petits coffrets, bougeoirs, lampes ou vases. C’était émouvant. Rien ne venait de la famille. La grand-mère n’aimait pas les babioles et, à la campagne, l’argent va dans d’autres directions. Sa fille avait mis en place cette vitrine pour imiter celle de sa marraine et, au fil des années, les objets qui y étaient rangés avaient fait leur apparition. Elle les astiquait de temps en temps. Mais maintenant, comme ce geste l’éprouvait, elle laissait faire sa fille. Cependant, elle prenait plaisir à les regarder, surtout quand au crépuscule ils accrochaient la lumière et lui tenaient compagnie. Quelquefois, quand elle en regardait un, elle évoquait sa propriétaire.
Elle laissait passer un temps, retrouvant là cette attitude des paysans qui ne parlent vraiment que quand c’est nécessaire.
Un temps encore.
Elle rêvait à la disposition nouvelle qu’il faudrait adopter dans la pièce si le secrétaire venait y prendre place, mais sa fille le mettrait dans sa chambre. L’acajou et le bleu des tentures s’harmoniseraient parfaitement.
En fait, le mobilier de la maison était assez sommaire à part le gros buffet en noyer Henri II où l’on rangeait une vaisselle également de médiocre qualité. Avec sa pension de femme de ménage et après des années de labeur, son budget était mince. Sa fille ne gagnait pas la fortune, secrétaire dans une entreprise dont le patron était le propriétaire du secrétaire en acajou. Les terres ne rapportaient pas tellement. Elles faisaient beaucoup d’à côté plus ou moins déclarés et elles avaient loué quelques champs à une société qui créait des parcours de moto-cross à quelques centaines de mètres de la maison. Mais les charges étaient lourdes.
Son regard accrocha la pendule, impossible à dater et dans un coffrage sans élégance, elle n’était qu’utile ! De même, le mobilier de la maison était très simple et il n’avait pas été possible d’en changer. Cela n’avait guère d’importance car, à part le parrain et la marraine, elles ne recevaient personne, n’ayant également pas de famille. Elle aurait voulu acquérir un salon dix-huitième siècle, cette époque où, pensait-elle, les nobles avaient utilisé des canapés et des fauteuils où s’étaient prélassés leurs valets une fois la révolution faite. Le mobilier évoquait pour elle le triomphe du peuple sur ses maîtres. Elle n’avait pas d’idée précise sur le style, n’ayant jamais mis les pieds dans un musée ou un château ouvert au public dont la région était pourvue. À peine avait-elle feuilleté un livre mais comme sa fille, elle ne lisait que le journal du jour pour les faits divers. D’ailleurs, elle avait de la peine à lire. L’école ne l’avait pas intéressée et elle avait travaillé tôt comme cela se faisait dans une génération qui, à dix ans, allait garder les vaches ou nettoyer l’étable, en l’occurrence celle de la ferme qui était sienne maintenant et à jamais. On avait supprimé l’étable pour en faire un abri pour caravanes. C’était autrement rentable et non déclaré, bien sûr ! Quand les gens du village posaient quelques questions, elle répondait :
Les curieux s’éloignaient, plus ou moins convaincus.
Un bruit de moteur se fit entendre. La vieille deux-chevaux entra dans la cour. Choupette fermerait alors le grand portail dont la grille en fer forgé très ancienne annonçait une bonne propriété. On devinait la maison à quelques mètres et, autour de la grande cour, se situaient les bâtiments dévolus désormais à la seule fonction de hangars. Ce portail détonait, au bord d’une route départementale et entouré de champs à perte de vue. Il eût annoncé l’entrée d’une allée majestueuse menant à une demeure historique. Mais il n’en était rien, et paraissait un peu irréel, tel un décor de théâtre, issu du désir de l’ancien maire comme un signe de qualité.
Elle se dirigea vers la cuisine où se situait, en fait, leur centre de vie, ouvrit un placard et en tira deux bols en terre cuite à moitié vernissée où elles prendraient leur soupe de légumes tout à l’heure. La grande table en bois était assez encombrante mais utile pour la préparation des pâtés qu’elle confectionnait avec sa fille, ayant un temps travaillé dans un restaurant où elle avait appris à les faire. Sous un auvent à l’ancienne, la cuisinière bois et charbon fonctionnait toujours, permettant une cuisson mijotée. L’émail poli par un siècle d’utilisation tenait quand même le coup avec sa décoration de fleurettes jadis bleues. Mais elles avaient quand même à côté une cuisinière électrique et un four micro-ondes pour leur faciliter la vie. On pouvait à l’occasion les dissimuler derrière une petite tenture pendue à l’auvent et de teinte dépassée.
La soupe était prête. Une assiette avec des fromages et du pain frais composerait le complément du menu du soir.
Il referma la grille doucement et partit cependant d’un bon pas vers le petit débit de tabac du centre du village. Au passage, il regarda à peine les façades un peu vieillottes qui bordaient la grande rue. Lieudit était un gros bourg depuis peu. Autrefois minuscule commune autour d’une église modeste et sans caractère architectural notoire, c’était devenu depuis quelques années un lieu plus animé. Le prix attractif d’anciens champs, devenus constructibles après un exode rural, et une certaine mode d’habiter à la campagne pour quitter l’univers incolore des villes avaient contribué au développement de ce lieu un peu hors du temps, mais proche de plusieurs grandes villes.
Ce n’était pas la raison de leur installation. Avec sa femme qui avait passé une partie de son enfance dans ce village, ils avaient décidé d’y revenir pour leur retraite, ayant encore de la famille sur place, un beau-frère et une belle-sœur, non mariés, qui occupaient l’ancienne demeure de la maman, une petite maison basse, sans confort moderne ni attrait particulier. Mais le frère et les sœurs s’entendaient très bien et pour ainsi dire ne s’étaient guère éloignés les uns des autres de toute leur vie, en dépit du travail de chacun. Ce n’était pas au moment de la retraite qu’ils allaient se séparer !
Trouver un logis plus moderne ne s’avérait pas évident. Ils se résolurent selon une opportunité à acheter sur une parcelle voisine du frère et de la sœur une maison minuscule mais avec des perspectives à exploiter. Il avait donc, avec le concours d’un architecte, dessiné les plans pour agrandir, éclairer, moderniser cet achat peu onéreux en l’occurrence. La maison avait doublé, voire triplé de surface et de volume et présentait maintenant beaucoup d’agréments. En outre, un grand jardin avait permis l’installation d’un kiosque en fer style dix-neuvième, qui permettait de déjeuner dehors pendant toute la belle saison. Sa femme, pourvue de goûts artistiques, avait pu aménager un atelier pour peindre à loisir, et lui, une grande bibliothèque pour y ranger ses livres et faire ses travaux de recherche biblique. Cela donnait une deuxième entrée à la maison, sur le côté, sans ostentation.
Elle lui tendit un paquet qu’elle avait préparé, connaissant ses habitudes, une cartouche de sa marque car il fumait toujours les mêmes cigarettes, une habitude prise dans sa jeunesse quand il préparait ses concours, et qu’il avait conservée. C’était sa seule dépense personnelle. Il avait beaucoup fumé et il fumait encore beaucoup.