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"Les aventures de Jean-René" dévoile l’histoire poignante d’un homme marqué par une enfance clandestine, sauvé in extremis par l’audace et la solidarité d’un réseau de résistants engagés à défendre les valeurs essentielles de l’humanité. Dans un monde vacillant, où l’absurde et le chaos menacent d’engloutir toute raison, Jean-René trouve refuge dans un amour intense, ancré dans une complicité inébranlable. Ensemble, ils affrontent les dérives d’une époque en perdition, résistant à une folie qui pourrait tout emporter. Mais cette flamme d’espoir et de tendresse saura-t-elle illuminer leur chemin face aux obstacles à venir ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Médecin français et romancier,
Eric Lumalé se lance dans l’écriture avec "Les aventures de Jean-René", son premier roman publié. Sous une trame d’anticipation, cet ouvrage humaniste alerte sur les menaces pesant sur les démocraties occidentales.
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Seitenzahl: 266
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Eric Lumalé
Les aventures de Jean-René
Roman
© Lys Bleu Éditions – Eric Lumalé
ISBN : 979-10-422-5611-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À ma femme
À mes enfants
À mes petits-enfants,
Théo, Elena et Gabriel
Dans le récit qui suit, il sera fait mention de billard, de mathématiques, et de physique nucléaire.
Rassurez-vous, les disciplines sont juste évoquées.
Et pourtant !
Parlons du billard et du BCS, car l’auteur fait partie de ce club.
Club qui réunit 5 descendants des grands singes dans un sous-sol poussiéreux et encombré, où trône un billard, majestueux rectangle vert encadré de bandes, elles-mêmes appuyées sur des margelles de bois précieux.
Dans le rectangle, 3 boules.
Et il s’agit, à l’opposé de ce qu’on entend parfois, « d’en faire bouger une sans faire bouger l’autre » : il faut en faire bouger une pour qu’elle touche les deux autres…
Et les boules n’offrent aucun cadeau :
Elles suivent les lois mathématiques et physiques à la lettre.
Lorsque le descendant du grand singe s’applique à transmettre de l’énergie à la boule, à l’aide de sa queue, en choisissant un point d’impact en dessous du centre de la boule, et légèrement à droite, et qu’il vise le quart externe droit de la boule visée en premier, il peut s’attendre à ce que la boule reparte en arrière et à droite, pour s’appuyer sur une bande.
S’en suivra un rebond, dont l’angle de fuite sera identique à l’angle d’impact.
Immanquablement, la boule ira frapper la deuxième boule… Ou pas.
Vous n’avez pas compris ? Ce n’est pas grave !
L’idée, c’est que les lois universelles qui définissent les trajectoires des boules ont leurs corollaires dans nos trajectoires de vie.
Le roman qui suit n’échappe pas à la nécessaire cohérence des événements entre eux.
Oui, il s’agit d’une fiction, mais prenons garde à éviter certaines trajectoires, qui pourraient bien être fatales au peuple des descendants des grands singes.
Autour du billard et pendant environ 3 heures, le vendredi, a lieu, comme un rituel, cette rencontre dont nous retrouvons l’esprit dans Les aventures de Jean-René.
Le succès entraîne des manifestations psychomotrices de joie suivies de chorégraphies magnifiques. L’échec trouve toujours un alibi comme, par exemple, la température du tapis trop froide ou trop chaude. Car la mauvaise foi aide à vivre même si elle n’a cure de la vérité.
Et parfois, un succès inattendu provoque un décrochage collectif de mâchoires associé à un écarquillement inhabituel des yeux.
Dans leur repaire, les 5 compères rejouent l’histoire de leurs vies.
En partie liées à la rigueur de lois universelles et en partie liées à l’adresse et à la maîtrise de chacun et du groupe.
Les amis de BCS
Jean-René est un homme du futur. Il est jeune et ne comprend pas comment fonctionne le monde qui l’entoure. Il ne sait rien de ses origines, comme s’il était apparu brutalement, comme tombé du ciel. Aucun récit n’accompagne sa venue sur terre. Le mensonge semble un moyen de survivre dans une société intolérante et paranoïaque. Le mensonge sauve certains êtres humains de l’aliénation totale. Il s’agit d’être habile.
Jean-René va connaître de nombreuses aventures qui vont lui permettre de se découvrir petit à petit et de comprendre puis de revendiquer son humanité. Il deviendra un élément d’une communauté plus large ancrée dans l’histoire de l’humain, dont le destin sera de changer le monde et de permettre à nouveau que la liberté et la tolérance deviennent les moteurs de l’enrichissement de la civilisation en termes de langage, de culture, d’épanouissement individuel et collectif. Jean-René et ses acolytes vont devoir se battre contre les forces du mal. Celles-ci permettent à un petit cercle organisé sous forme d’une cour prêtant allégeance à un leader dont l’exercice de la fonction aiguise la méfiance.
Tout défaut d’allégeance est sévèrement puni et chaque individu est suspect jusqu’à preuve du contraire.
Les individus deviennent silencieux et développent des comportements d’évitement, mais les pulsions des êtres humains leur intiment d’interagir.
Se développent alors des poches de résistance situées sous la terre pour la plupart, dans d’anciennes mines et c’est là que des groupes humains survivent et fomentent une transition démocratique.
L’un des héros se demande si l’essentiel de la vie humaine ne réside pas dans ses interactions. Que devient un homme privé d’interactions sociales ?
Le récit cherche à montrer que les dictatures ne laissent aucun avenir à l’humanité. L’appauvrissement intellectuel global est inéluctable si la liberté des individus n’est pas protégée et si le concept de tolérance n’est pas au centre des valeurs communes.
Jean-René découvrira cette réalité au fil de ses aventures au début clandestines. Il rencontrera l’amour qui supporte bien mal la violence et l’absence de liberté. Le couple qu’il formera avec Virginie sera observé avec émotion par leurs congénères, protégé par eux et deviendra un symbole fort, si fort que l’organisation politique de la société devra s’articuler autour de lui.
Jean-René aime la nature et si l’interaction sociale lui est nécessaire comme à chaque être humain, il ressent le besoin d’intimité et passe de longs moments dans une vieille tour de garde située sur une colline dominant un lac majestueux, calme, mais rempli des pensées de ceux qui l’observent et de ceux qui l’ont observé avant. Ses berges recèlent de nombreux secrets et Jean-René craint et désire à la fois mettre au jour certains d’entre eux. Jean-René se pose la question de ses origines, des désirs éventuels qui ont précédé sa conception et ainsi que de son éducation clandestine.
Le mysticisme l’accompagne dans cette démarche et il prend conscience petit à petit que son goût pour l’histoire et sa quête de vérité officient comme une pratique quasi religieuse. Il s’émerveille lorsqu’il découvre une grotte sur les berges du lac et prend plaisir à partager avec son amante et son petit garçon l’objet de sa découverte.
Jean-René est impatient de partager avec vous ses aventures et espère que le ridicule de certaines situations qui sont le propre des êtres humains vous fera parfois sourire.
Faut qu’je parle. J’sais pas qui vous êtes ni si vous existez.
Nous sommes en 2224 après Jésus-Christ et on vit dans un drôle de monde ! J’vais essayer d’vous raconter !
Mais je dois me cacher, car personne n’a le droit d’écrire ni de refuser que ce qu’on a écrit soit lu par le gouvernement.
Il y a environ 2 siècles, un conflit nucléaire a ravagé la moitié de la planète et 80 % de sa population humaine. Les survivants des zones irradiées ont tenté de fuir. Certains y sont parvenus malgré l’hostilité des populations indemnes.
En ce qui me concerne, je vis dans une zone relativement épargnée des conséquences du conflit sur le plan de l’irradiation, mais administrée par une dictature dirigée actuellement par un vieillard de 110 ans entouré de courtisans. Mes compatriotes supportent de moins en moins l’arbitraire et la violence du régime. Des personnes disparaissent régulièrement après qu’on les eut soupçonnés de trahison.
Un vague procès, un article dans le journal du gouvernement puis plus de nouvelles. Juste un sentiment de terreur pour ceux qui restent.
Tout est administré maintenant. Commençons par les naissances. Le gouvernement évalue les besoins et établit un plan natalité. Des embryons sont créés in vitro à partir des banques de cellules (spermatozoïdes et ovocytes) et inséminés dans des ventres artificiels. L’embryon se développe dans son liquide amniotique contenu dans un substitut d’utérus et des capteurs permettent pendant les temps d’éveil de l’embryon de lui procurer des caresses artificielles ainsi que des chants inspirés d’anciennes berceuses. Le gouvernement autorise parfois des couples à avoir un enfant eux-mêmes après une longue enquête administrative destinée à s’assurer de la parfaite allégeance des candidats au régime.
Les enfants nés sont ensuite pris en charge par des établissements du gouvernement dans lesquels nombre d’enseignements sont réalisés par des robots. Les enfants voient leurs familles les fins de semaine. Il arrive régulièrement que les enfants endoctrinés dénoncent leurs propres parents au retour de leur séjour chez eux.
Mais heureusement, aucune dictature n’est parfaite et certains, comme moi, ont échappé à ces écoles et vécu dans la clandestinité sous la protection de personnes ne supportant pas le régime et essayant de sauver l’humanité du désastre.
Puis les enfants grandissent, et le gouvernement surveille leur développement professionnel. La sexualité et les rapports amoureux sont prohibés sauf autorisation dans le cadre du plan natalité. Des diffuseurs d’œstroprogestatifs sont placés dans les lieux publics pour les femmes ainsi que des diffuseurs anti-testostérone pour les garçons.
Les livres autres que ceux promus par le gouvernement sont interdits ainsi que la musique et le théâtre.
Pour limiter le taux de suicide qui était élevé, des médicaments de plus en plus sophistiqués ont été mis au point et soulagent les douleurs psychiques insupportables en même temps qu’ils nous déshumanisent.
Cette après-midi j’ai eu envie d’écrire et voilà ce qui est sorti de mon cerveau :
J’me présente
J’suis ni un avatar ni un robot.
J’ai du sang j’ai des os
On peut me piquer avec une aiguille par exemple et j’aurai mal
J’me suis fait virer d’mon boulot !
J’présentai des lessives dans un rayon
De supermarché du groupe « Superdinosaure »
C’est pas que c’était folichon tous les jours
On ne faisait pas fortune non plus…
Mais maintenant que j’y vais plus, ça me manque…
Surtout la pause-café avec la petite Virginie qui travaille à la caisse et qu’est bien mignonne…
On avait nos habitudes…
Un sucre pour elle,
Pas de sucre pour moi.
En relisant ça, j’me remémore :
On touillait lentement… même vitesse… on accordait les instruments… on respirait lentement… j’ai compté ;
5 secondes inspiration ; 5 secondes expiration ; 1 ou 2 minutes. J’oubliais les enzymes dont on dit qu’ils sont dans la lessive. J’imagine qu’elle oubliait ses codes-barres un peu.
Et remontait comme à la surface quelque chose qui avait été maintenu sous l’eau le temps du travail.
Alors elle commençait à parler de son enfant.
On comprenait qu’il était tout pour elle et je pensais qu’elle était prête à mourir pour lui si c’était utile.
Moi j’écoutais. Je ne parle pas beaucoup… Les faits m’intéressent peu… mes émotions m’intéressent, mais c’est trop compliqué…
Je ne m’y retrouve pas…
Il y a des décalages entre ce que je voudrais ressentir et ce que je ressens parfois… Bien sûr, on peut toujours prendre une pilule pour se remettre l’humeur d’aplomb, car on comprend qu’en partie on est des animaux et qu’on subit la dictature de la biologie…
Les hommes comme les femmes…
Est-ce qu’une femme choisit de se sentir irritable à certaines périodes de son cycle ? Amoureuse à d’autres moments ? Mais de quoi je parle ? Les femmes ne regardent plus personne. Elles regardent par terre maintenant. Elles n’ont même plus de cycles. On leur prélève leurs ovocytes sur convocation pour alimenter la banque des cellules…
Quant aux hommes qui portaient leur regard sur les femmes et les parties arrondies de leur anatomie, maintenant, ils osent à peine lever les yeux et se réfugient dans les sports de combat pour certains, dans des compulsions d’achats, dans des collections d’objets inutiles…
Virginie, parfois je me dis qu’on aurait pu se marier et tout de suite après, je pense que ç’aurait été catastrophique…
On pouvait pas avoir plus que la pause-café.
Maintenant que je l’ai plus, je dois dire que ça me manque et si ça me manque c’est que je suis devenu dépendant… addict… ou amoureux…
J’pourrais prendre des pilules… ça me répugne…
La pause avec Virginie, ça avait un effet terrible sur mon cerveau… sérénité pourrait s’appeler ce mélange biochimique de neurotransmetteurs induit par notre interaction.
Peut-être des phéromones… naturelles…
Je ne sais pas si c’était pareil pour elle… je n’ai jamais osé demander de peur de créer un malaise et de compromettre la pause-café…
Maintenant, je me suis fait virer et probablement que Virginie le sera aussi, remplacée à son tour par un robot.
Le gouvernement redoutant des émeutes de la part des personnes ayant perdu leur emploi a mis en place un système d’aide financé par la taxation des robots : on reçoit une sorte de panier de biens (dont les médicaments antidépresseurs) et de services, pourvu qu’on ne dise pas de mal du gouvernement.
Alors pour l’instant vous aurez compris que je m’ennuie un peu… et que j’aime pas prendre trop de pilules.
Je préfère passer du temps dans mon jardin et je fais pousser des légumes. Je les regarde… incroyable la nature… ça ne sert pas à grand-chose puisque la ferme robotisée produit largement ce dont on a besoin et que ça nous est livré à domicile…
J’ai choisi de me faire livrer par Jorge, un hologramme de Georges Clooney (un acteur du 20e siècle) et j’ai choisi de le faire parler espagnol avec un accent allemand… Pour l’effet comique… que j’ai du mal à m’expliquer !
(Je me demande si ce choix ne peut pas déjà être considéré comme subversif, d’autant plus qu’il signifie que j’ai eu accès à des œuvres interdites.)
Jorge conclut toujours ses livraisons par un : « buen provecho Caballero ! » prononcé à la gutturale germanique façon luis Rego dans la journée du fasciste (encore une ref 20e siècle à laquelle je n’aurais pas dû avoir accès).
Je réponds : « Gracias… RrroorrhRré » et ça me fait rire et je me sens le cœur un peu plus léger pendant un moment…
J’ai dit au début que j’allais me présenter et j’ai parlé de moi, mais je n’ai pas donné mon nom…
Et J’hésite… Nous, les handicapés patronymiques, n’avons pas obtenu le droit de choisir un nom différent de celui attribué à notre naissance… Nom de naissance en ce qui me concerne choisi par une intelligence artificielle administrative dont les algorithmes ne sont plus compréhensibles par personne…
Bon, j’accouche :
Je m’appelle Culhus… Jean Culhus… Vous comprendrez que…
Je me fais appeler Jean-René…
À l’école clandestine, les profs acceptaient de faire l’appel en disant « Jean-René Culhus », mais je voyais bien qu’ils avaient du mal à ne pas rire, ceux qui étaient humains…
Finalement ça ne me dérangeait plus… avec le temps ! … Et même parfois je riais avec eux.
Les moqueries glissaient sur moi.
À certains un peu naïfs, je faisais croire que j’étais d’origine romaine ; ce qui est possible et qui devait aussi être le cas de ces petits camarades.
Certains se sont mis à m’appeler « Le Romain »… J’ai perdu de vue tous ces camarades de classe.
J’ai pas de frère j’ai pas de sœur j’ai pas de parents.
Une vieille dame moustachue adepte du piano qui me tapait sur les doigts avec une règle quand j’écrasais 2 notes au lieu d’une m’hébergeait. Je ne peux pas dire que je l’ai aimée.
Je suis un enfant trouvé. Un professeur m’a trouvé. Il a toujours pris de mes nouvelles, m’a fait des cadeaux et prenait les décisions qui me concernaient en matière d’éducation.
Ainsi, grâce à lui, un hologramme d’homme grand, brun, habillé d’un costume et de chaussures sombres, chemise blanche et cravate, lunettes rondes et moustaches, se faisant appeler monsieur Pagnol venait me chercher chez la dame moustachue et m’accompagnait jusqu’à un bosquet de bon matin. Il disait devant moi une phrase magique et une ouverture se faisait dans une roche. À l’intérieur, un petit wagonnet m’attendait dans lequel nous prenions place et 10 minutes plus tard, monsieur Pagnol me disait :
— Nous voilà dans le centre de la Terre, va rejoindre tes petits camarades et ne parle à personne d’autre qu’au professeur de ta vie ici et je disais : « Oui monsieur… »
Nous apprenions avec une dame qui se faisait appeler Françoise d’Aubigné le latin le grec et le vieux français, et puis avec un monsieur Shakespeare des pièces de théâtre en vieil anglais, et puis les mathématiques avec un certain monsieur Pascal. Nous avions pour consigne absolue de ne jamais parler de l’école à qui que ce soit en dehors de notre tuteur et de nos enseignants. On nous mettait en garde contre les pilules et on nous expliquait les mécanismes de nos émotions et aussi comment nous entraider lorsque l’un d’entre nous était triste ou en colère. On nous disait que tristesse et colère étaient nos ennemis de l’intérieur et qu’il ne fallait pas les laisser nous envahir.
C’est en écoutant d’autres personnes en dehors de l’école que je me suis aperçu que tout le monde n’avait pas consigne du silence comme dans mon école. Mais les contacts avec d’autres enfants étaient exceptionnels.
Les autres racontaient avoir été éduqués par des robots dans des écoles du gouvernement. Les robots ne connaissaient pas les sautes d’humeur et restaient toujours polis.
En revanche, pas moyen de les faire changer d’avis à moins d’être un petit génie en informatique, m’avait dit l’un d’entre eux qui a disparu depuis.
Bien sûr quand je pense à mon enfance, je me dis que j’aurais aimé avoir Virginie comme grande ou petite sœur ou comme maman… Mais je ne connais rien de tout ça !
J’vous dis tout ça depuis ma terrasse, plein sud. J’ai pris une demi-pilule qui donne la pêche parce que j’en pouvais plus de tristesse et de solitude et une demie, finalement, ça m’a permis d’écrire.
Le soleil brille… belle matinée de printemps… Les petits oiseaux migrateurs sont revenus faire leur nid dans « Polnareff », un arbre dont le feuillage ressemble à une immense perruque et sous lequel faire la sieste est un grand plaisir.
La lecture du journal du gouvernement m’a appris ce que j’avais déjà lu hier et les jours d’avant, que le gouvernement envoyait des robots pour tuer d’autres robots et des hommes qu’ils ne connaissaient pas, mais qui apparemment ne souhaitaient pas vivre en dictature.
— Curieux, non !
J’ai jamais très bien compris l’affaire… Il semble que les hommes aient toujours passé leur temps à se battre.
Ça semble à la fois simple et compliqué… c’est surtout très con…
Ça fait pleurer des gens… et ça bousille plein de robots dont on aurait bien besoin ! (En relisant cette phrase, je me demande si la pilule n’était pas un peu forte finalement…) Mais on n’a pas le droit de parler de tout ça non plus. C’est interdit par le gouvernement. Ceux qui en parlent connaissent le malheur, et sont privés des drogues du bien-être, et envoyés dans des camps où le but est de faire souffrir pour soumettre les esprits rebelles.
Pour reprendre le propos, moi ça m’agace tous ces robots gâchés, parce que par exemple, moi j’serai content avec bien deux robots jardiniers de plus, un pour le linge et un pour m’aider à sortir le bateau quand je vais à la pêche. Décidément qu’est-ce que je peux dire comme conneries ! Juste après avoir parlé des gens qui s’entretuent… C’est le problème avec les pilules…
Bon c’est pas tout, il faut que j’me prépare : cet après-midi j’ai un tournoi de Barbu… le jeu de cartes, vous connaissez ? Probablement pas… Faudra apprendre un jour !
On va bien se marrer avec Valoche, Philoche et Annette. Faudra que je pense à prendre une autre pilule 1 heure avant… pour l’ambiance.
Mais tiens, voilà Jorge Clooney qui vient livrer le repas avec son drôle de drone…
— Gracias Rorrrjreé ! remercie-je.
Tiens, il y a un courrier sur le plateau du repas…
C’est rare… tout arrive dématérialisé maintenant…
Sauf quand les gens ne répondent pas aux mails…
C’est sans doute le cas…
Il en arrive tellement que nous sommes nombreux à en détruire sans les avoir lus…
Ça vient de chez Superdinosaure…
Que me veulent-ils ?
JRC alias Jean-René Culhus, après avoir découvert ce courrier, ressentit le besoin de se réinstaller différemment. Il disposa une petite table ronde de bistrot avec une petite chaise métallique grise dont l’assise était surmontée d’un coussin, car il aimait avoir la fesse confortable pendant son petit déjeuner, et pas seulement. Il était sujet à un prurit du siège déclenché par l’humidité.
JRC avait choisi le grand pin un peu en hauteur permettant de profiter d’une vue dégagée sur la forêt de conifères et jusqu’au sommet suivant qui découpait le ciel en imitant les contours d’un éléphant de profil.
Une pente douce figurant le front et la trompe de l’animal, l’œil et l’oreille trouvant leur expression dans des excavations de la roche.
Un écureuil habitait le pin et d’autres alentour, mais se montrait avec parcimonie.
Quelques oiseaux pépiaient.
JRC était assis sans rien faire, profitant de l’ambiance paisible qu’il avait choisie pour son petit déjeuner : le jus d’orange, le thé, 2 tranches de pain grillé beurré et confituré et surtout ce courrier de chez Superdinosaure qui lui avait été porté avec le drone du petit déjeuner et servi par l’avatar de Georges Clooney.
D’ailleurs, le potentiel comique de Georges parlant espagnol avec l’accent allemand ne l’avait pas fait autant rire ce matin. Peut-être la réception de ce courrier générait-elle une appréhension… et/ou la pilule censée donner la pêche était périmée…
JRC vérifia, et oui, la pilule était périmée et son efficacité avait été de bien courte durée. Mais il ne voulut pas en reprendre une autre. Son émotion l’intéressait. Sa lucidité l’intéressait.
L’enveloppe était là et JRC ne l’avait toujours pas ouverte au bout d’une heure.
Il attendait patiemment que lui vienne le courage d’ouvrir le courrier.
Depuis son licenciement, gérer le quotidien lui pesait… il s’était habitué à ne rien faire tout en éprouvant une certaine mélancolie… au stade de « l’aquabon » et du « mais quel con je suis ».
JRC regarda l’enveloppe, comme dans une confrontation, puis la saisit, la retourna, s’arrêta sur le timbre qui représentait un dinosaure à tête de cocker.
Cocker le chien, pas Joe…
D’ailleurs, il n’était pas sûr qu’il aurait reconnu Joe cocker, cette égérie du rock classique d’il y a 2 siècles.
« Aujourd’hui jeudi, pensa JRC, et à propos de musique, on doit faire un peu de piano avec Bertie et Clementoche à la batterie… Même si c’est interdit… »
Comme tous les jeudis, JRC et des amis mélomanes se réunissaient dans un ancien garage souterrain auquel ils accédaient en prononçant un mot de passe. L’un d’entre eux avait élaboré un système de signature vocale venant renforcer les mots de passe.
Enfin JRC se décida à ouvrir ce courrier : il prit le couteau à pain, appliqua la lame dans l’angle du revers de l’enveloppe et d’un coup sec pratiqua l’incision sur toute la longueur et put plonger 2 doigts pour se saisir de l’organe non désiré et débuter son analyse :
« Le courrier vient de la direction générale de Superdinosaure… Hum…
Il est daté d’avant-hier…
Il est bien adressé à un certain Jean-René Culhus… » JRC avait espéré une erreur de destinataire. Il inspira profondément et se mit à lire :
Objet : Réintégration après licenciement par erreur…
— Nom de nom dit JRC et bien d’autres choses encore et les oiseaux cessèrent de pépier…
JRC consulta la signature :
Jafar Feulu, directeur des ressources humaines. Que dit le texte ?
Cher salarié, vous n’êtes pas licencié comme l’indique malencontreusement notre courrier précédent… JRC dut marquer un temps d’arrêt pour reprendre sa respiration avant de poursuivre sa lecture.
Au contraire, nous vous proposons le poste de responsable régional des animations de nos établissements.
Vous dirigerez une équipe de 150 robots et évaluerez leurs performances et proposerez des évolutions de scénarii enfonction des produits et des spécificités des populations clientes… Vous vous ferez aider par « Super génial », notre nouvelle intelligence artificielle… et bla et bla…
Nous avons annulé le suivi neuro-pharmacologique spécifique pour les personnes licenciées…
Un nouveau « Nom de nom » s’échappa des lèvres de JRC…
Et il dit à haute voix :
— Mais c’est maintenant que j’aurais besoin de pilules magiques !… JRC était furieux… une erreur pareille… un coup à faire un infarctus… autant de légèreté… mais ils se foutent du monde…
De la fumée sortait de ses oreilles et de ses narines…
« Et moi qui commençais à me faire à ma nouvelle vie…
Comment ont-ils pu faire une erreur pareille ? » pensa-t-il à nouveau… Et après ça, ça se gargarise de bienveillance…
Bandes d’enfoirés… Puis en réfléchissant lui vint la pensée :
« Était-ce une erreur ou ont-ils changé d’avis ?
De quelle stratégie suis-je éventuellement l’objet ?
Qui sera intervenu ?… Ou pas… ?
D’un autre côté, le poste a l’air sympa et c’est une belle promotion… je dois retrouver mon calme avant de décider de ma réaction », se dit-il, et il alla se recoucher après avoir adressé un message à Bertie et Clementoche pour les avertir qu’il ne pourrait se joindre à eux comme prévu et annula aussi la partie de Barbu. Curieusement il s’endormit facilement et se réveilla très soulagé et s’aperçut a posteriori combien son licenciement avait été un choc immense que son cerveau avait cherché à amortir en produisant des argumentaires, des projets qui se voulaient tous positifs, comme autant de mensonges à soi-même. Mais sa nouvelle vie exhalait le parfum de la mort ! Finalement, le commerce était peut-être un des rares endroits où les gens pouvaient communiquer sans ressentir l’oppression du régime. À condition bien sûr de rester prudents.
Il pensa aussi à Virginie qu’il n’avait pas revue… et qu’il allait revoir… et s’étonna de l’immensité de sa joie à cette perspective.
JRC se leva après ce court sommeil et décida d’aller marcher dans les sentiers qui mènent à la torre des Scaligeri d’où l’on peut contempler tout le lac de la Granadella et ses nombreuses criques et la végétation de conifères et de genêts…
Parvenu à la Torre Della Scala, il marqua une pause et contempla l’immensité du lac dont on percevait par temps dégagé l’autre rive, abrupte elle aussi. Deux embarcations à voile filaient doucement sous le vent à quelques centaines de mètres du rivage.
JRC se sentait paisible dans cet environnement.
Comme déjà dit, il savait qu’il avait été trouvé bébé, abandonné dans un berceau d’osier à la manière de Moïse au pied de cette tour.
Un promeneur l’avait trouvé et s’était demandé quoi faire. La loi lui commandait de mener cet enfant aux autorités. Mais cet homme, un professeur d’histoire dont la tâche consistait à composer un récit désiré par le gouvernement et compatible avec les faits historiques incontournables, en avait décidé autrement. Le professeur subissait les injonctions et la censure du gouvernement et modifiait son travail en conséquence. Il se ressentait comme un imposteur. Il nourrissait le désir d’exercer son métier en parfaite liberté. Le professeur décida de ne pas conduire cet enfant aux autorités, mais de le confier à sa sœur, une femme très aigrie comme tant d’êtres humains sous ce régime d’oppression qui brimait les interactions entre les individus, les empêchant par là même de s’épanouir. Il s’agissait d’une personne triste, tout à fait hostile au régime et que le professeur protégeait en l’isolant. L’enfant lui fut confié. Elle accepta, mais n’était pas capable de l’aimer. Son cœur était si sec. Le professeur organisait tout, mais se montrait très peu à l’enfant. Le secret devait être conservé à tout prix. L’enfant incarnait le désir de résistance du professeur et le sauvait de la sensation d’imposture que généraient ces compromissions professionnelles.
Quelques collègues étaient animés du même désir de résistance et ces personnes avaient pris le risque d’échanger entre elles leurs opinions et de former de petites cellules de résistance et plusieurs d’entre elles avaient adopté des enfants trouvés et la question de leur éducation se posait. Ces petites communautés s’organisaient dans le secret et un espoir de changement naissait dans leurs esprits.
Le professeur d’histoire qui avait découvert Jean-René passait pour être très solitaire vivant dans une vieille demeure. Il partageait son temps entre ses recherches et la restauration amoureuse des vieilles pierres de sa maison.
Le professeur était ami avec un médecin pédiatre, lui aussi hostile au régime. Ils eurent l’idée de ne pas déclarer le décès d’un petit enfant atteint de leucémie comme tant d’autres victimes d’irradiation, et d’usurper son identité au profit du nourrisson retrouvé par le professeur. C’est ainsi que l’enfant devint Jean Culhus, nom absurde créé par l’intelligence artificielle de l’administration.
JRC a été parfois invité quelques heures par le professeur. Celui-ci lui avait montré sa maison et lui avait parlé d’histoire, mais il avait du mal à tout assimiler et il lui manquait les repères historiques pour ranger les différentes informations.
Et puis JRC avait peur de cet homme qui pourtant semblait s’intéresser à lui. Mais comme à l’école, le professeur proférait à JRC l’injonction de ne parler de rien, même et surtout pas de leurs rencontres. L’insouciance était exclue. La gravité, en revanche, était permanente.
JRC a toujours respecté ce silence. Peut-être comme un réflexe de survie.
Il se demandait parfois ce que lui-même pouvait représenter pour cet homme au-delà du choc de la découverte d’un enfant abandonné dans un lieu qu’il affectionnait autant que JRC maintenant.
Finalement, se disait JRC en pensant au professeur : il m’a transmis ce que je ressens à cet endroit, une sensation d’affection définitive et totale.
C’est presque un héritage paternel…
JRC reprit sa marche, descendant prudemment l’à-pic jusqu’au bord du lac. Le soleil se reflétait dans l’eau calme et transparente dans laquelle les poissons nageaient au milieu des roches et des algues.
Le soleil était encore haut et JRC décida de se baigner dans l’onde scintillante et de nager doucement vers le large. À quelque cent mètres du rivage, il s’étendit sur le dos, contemplant le ciel immense, magnifique, et il se sentit aussi grand que les éléments qui l’entouraient. Un poisson sauta hors de l’eau et replongea près de lui, intrigué peut-être par cette présence humaine inhabituelle…
Puis JRC sortit de l’eau et s’étendit sur ses vêtements le temps de sécher. Enfin il se rhabilla et entama le chemin du retour, repassa devant la Torre, dont il pensa que peut-être elle lui souriait. Il était essoufflé et transpirant. Il fit une courte halte et reprit son ascension.
Sa fréquence cardiaque se ralentit au fur et à mesure que le terrain devenait plus plat.
De retour dans le pigeonnier qui lui servait d’habitation, pigeonnier en pierre construit comme une petite tour arrondie de 5 mètres de diamètre sur 3 niveaux surmontés d’une terrasse d’où la vue était splendide, pensait JRC : un lieu de recueillement pour lui.
Une porte d’entrée vitrée au rez-de-chaussée et une fenêtre à chaque étage, arrondie, ornée d’un vitrail représentant une vierge à l’enfant au premier niveau et un Saint-Jean-Baptiste au deuxième niveau ; lorsqu’il pleuvait, l’eau s’évacuait du toit par 4 gargouilles situées chacune à un point cardinal. Les pigeons étaient censés vivre dans un espace compris entre le plafond du deuxième étage et le sol de la terrasse. Ils entraient et sortaient par de petits orifices en brique dont l’appui surplombait le vide et servait parfois de perchoirs pour les pigeons les plus contemplatifs.
Au nord de la tour se situait une ouverture prolongée par un couloir entièrement vitré d’environ 3 mètres et qui menait à une extension dans laquelle on trouvait une cuisine sommaire et un peu plus loin une douche et des toilettes ainsi que des placards de rangement. Puis plus loin dans le jardin, une grange dans laquelle JRC rangeait ses outils et son véhicule avec lequel il allait travailler.