Les chroniques d’Aéthérÿa – Tome 1 - Roxane J. Briat - E-Book

Les chroniques d’Aéthérÿa – Tome 1 E-Book

Roxane J. Briat

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Beschreibung

Lana menait une existence paisible aux côtés de ses meilleurs amis, Soline et Dimitri. Lorsqu’un rêve troublant lui lance un appel à l’aide, tout bascule. Propulsée dans un monde où magie et obscurité s’affrontent, elle réalise qu’elle n’est pas une simple spectatrice. Dès son arrivée à Aéthérÿa, des forces ténébreuses se lancent à sa poursuite. Non pour ce qu’elle est… mais pour ce qu’elle pourrait savoir. Elle pourrait en effet être la clé du sceau de Brannfeyr, un artefact légendaire dont le pouvoir incommensurable attise toutes les convoitises. Une amulette tantôt gardienne de l’équilibre, tantôt annonciatrice du chaos. Captive des serviteurs des ténèbres, Lana devra apprivoiser ses nouvelles responsabilités et déjouer les pièges qui se dressent sur son chemin. Parviendra-t-elle à anticiper les manœuvres de ses geôliers ? Aéthérÿa vient-elle d’accueillir un espoir… ou une menace ?

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Lorsqu’elle ne façonne pas des mondes imaginaires, Roxane J. Briat s’attache à bâtir celui qui l’entoure. Pour elle-même, pour sa fille, pour tous ceux qui croisent son chemin, de près ou de loin. Depuis son adolescence, elle tisse ses univers mot après mot, offrant bien plus que de simples aventures empreintes de magie. Elle y insuffle toute la palette des émotions, des choix et des défis qui rythment nos existences. "Aéthérÿa" n’est pas qu’un univers fictif : c’est un miroir fantastique du nôtre, où chaque décision influe sur l’équilibre… jusqu’au prochain tournant.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Les chroniques d’Aéthérÿa

Tome I

Terralys

Roman

© Lys Bleu Éditions – Roxane J. Briat

ISBN : 979-10-422-6451-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

— Lana ! murmura une voix.

Elle regarda autour d’elle, perdue. Il faisait sombre. Le sol à ses pieds était d’un vert éclatant, presque luminescent. Il contrastait avec le manteau noir et opaque qui faisait office de ciel. Aucune étoile ne l’illuminait, aucune lune non plus. Juste une obscurité étouffante, et pour seule source de lumière, le sol et sa phosphorescence.

— Viens, Lana ! Approche…

La voix était un peu plus pressante. La jeune femme fit volte-face, un frisson lui parcourut le dos. Elle ne voyait personne et ne parvenait pas à identifier d’où provenait la voix qui semblait se répercuter comme un écho autour d’elle.

— Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? demanda Lana, regardant autour d’elle alors que la voix se brisait dans un écho lointain.

Une silhouette se dessina dans l’ombre et s’approcha d’elle. L’adolescente eut un mouvement de recul. C’était une femme qui marchait d’un pas pressé. Elle portait une robe sombre qui frottait le sol. On apercevait à peine ses mains blanches sortir de ses longues manches évasées. Ses cheveux d’un blond presque argenté étaient lâchés sur ses épaules, légèrement retenus vers l’arrière par des tresses qui coulaient jusqu’à ses hanches. Un halo lumineux l’entourait, rendant son apparition presque fantomatique.

— Ne me fuis pas. Je ne te ferai aucun mal, la pria l’elfe d’un mouvement des mains voulu apaisant et conciliant.

Bien sûr qu’elle avait envie de fuir, mais elle n’avait aucune maîtrise de ses gestes. Ses pieds étaient ancrés au sol comme dans un effroyable cauchemar où l’on est incapable de bouger, sans aucune possibilité de contrôler son corps. Dans sa panique, elle croisa le regard de l’elfe et ne put alors s’en détacher. Elle détailla le visage de la femme plus distinctement. Ses yeux étaient verts comme les plus belles émeraudes, mouchetés de quelques éclats d’ambre, mais trahissaient de l’impatience, du doute peut-être ou de la crainte. Aucune ride ne marquait son visage laiteux et lumineux. Lana eut le sentiment que son interlocutrice devait avoir vécu bien des vies. Toutefois, la jeunesse de ses traits contrastait avec ce regard qui lui semblait plus vieux. Ses lèvres carmin étaient fines et un grain de beauté rehaussait sa lèvre supérieure. Lana s’arrêta sur ses oreilles. Ses yeux s’agrandirent d’étonnement. La peur fit place à la curiosité, curiosité qui libéra son corps de son immobilisme et la poussa à faire un pas en avant.

— Une elfe ! Vous… vous êtes une elfe ! Mais comment …

— C’est une longue histoire et il me reste peu de temps, alors écoute-moi très attentivement…

#

Un éclat illumina le vieux miroir délicatement ouvragé : des feuilles de vigne en relief, des arabesques d’étain, des éclats de cristaux. Il restait précieusement dissimulé dans une haute pièce du château et projeta aussitôt une lueur opalescente sur le vieux bureau en chêne qui trônait près de la fenêtre. Sa lumière attira l’attention de son propriétaire, même si l’éclat d’étain aurait préféré qu’il ne fût pas là pour assister aux images qui défilaient sur son verre sans teint.

L’homme, vêtu d’une tunique mi-longue grise et d’un pantalon sombre qu’il avait recouvert d’un tabar noir, regarda les images d’une jeune femme aux longs cheveux bruns et à la peau hâlée. Il devinait sa peur mêlée de curiosité, tout comme il percevait l’inquiétude et l’impatience de l’elfe. Son regard se mit à briller d’une lueur, oscillant entre folie et excitation, au point que l’éclat d’étain fit de son mieux pour que l’image se brouille. L’homme se leva et contourna son bureau pour se planter devant l’écran sans tain. Il lissa soigneusement sa barbe blanchie par les années plus longues qu’elles ne l’auraient due. Il murmura solennellement :

— C’est elle…

Oui, c’était elle, à bien des égards.

Les rouages d’une puissante machine se mettaient à présent en branle. Personne ne pouvait estimer qui elle servirait, qui elle écraserait et qui elle entraînerait inévitablement dans son sillage. Mais ce miroir étrange l’entrevoyait, car il avait acquis la connaissance du passé, l’omniscience et la vision des futurs possibles.

L’énergie, la roue de ce monde, s’était arrêtée depuis bien trop longtemps. Sous la poussière des siècles, sous le magma figé, doucement Aéthérÿa et toute l’énergie, la force, la conscience de sa terre, aujourd’hui, allait émerger de son sommeil. Un réveil ne pouvait qu’être synonyme de malheurs à venir car lorsque jaillit la lumière, les Ténèbres ne sont jamais loin.

Chapitre 2

Trois coups résonnèrent, puis le silence s’installa. Trois de plus sur le heurtoir et la porte s’ouvrit sur une petite tête pleine d’entrain.

— Hou ! Hou ! Il y a quelqu’un ? demanda Soline en poussant le battant, doucement.

Aucun bruit, et pourtant l’odeur qui lui parvenait depuis le pas de la porte lui fit dire que la maîtresse des lieux devait être en cuisine.

— Soline arrête, il est peut-être encore trop tôt ! la retint Dimitri.

— Soline ? Dimitri ? Que faites-vous là, à une heure aussi matinale ?

Yssara, la mère de Lana, se tenait sur le pas de la porte, une spatule en bois à la main, de la farine sur la joue gauche. Elle portait un vieux jean troué et ce t-shirt noir d’un vieux groupe de rock que Lana adorait. Un bandeau turquoise retenait ses cheveux bruns, quelques mèches s’en échappaient pour tomber sur son front perlé de sueur. Elle sentait les crêpes et le rhum.

— Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Lana. Nous te l’enlevons pour partir camper, comme convenu, sourit Dimitri.

— Je ne vous attendais pas si tôt… Elle dort toujours… Vous n’êtes, une fois encore, pas rentrés tôt de ton entraînement d’escrime ! Et à l’odeur des vêtements de Lana, je jurerais que Léo a récidivé avec son poulet laqué.

— En plein dans le mille ! Ce nez est un sacré détecteur olfactif ! Je pense que tu devrais te reconvertir et te faire engager dans la brigade cynophile ! Ouaf !

— Passe ton chemin, Dimitri Juznikoff, avant que cette spatule de bois ne vienne une nouvelle fois se casser sur tes fesses ! le menaça Yssara en brandissant sa cuillère de bois.

— Arrête, on sait tous que je suis un fils pour toi !

— Voilà pourquoi je me le permettrais ! Allez réveiller Lana, j’ai des crêpes toutes chaudes qui vous attendent.

— Et bien… je vais me faire un plaisir de m’en charger, répondit Soline en se frottant les mains et en affichant une grimace machiavélique.

Ses deux canines trop pointues lui donnaient une vraie allure de vampire prête à se jeter sur sa proie. Yssara secoua la tête, amusée. Elle se décala pour laisser entrer les amis de sa fille. Soline s’élança dans la maison et grimpa quatre à quatre les marches de l’escalier. Heureusement, ce dernier était fait de béton. Soline avait parfois un côté éléphant dans un magasin de porcelaine.

— Il faut l’excuser, Yssara. Elle a oublié ses médicaments. Je te promets de l’enfermer dans une cage quand nous reviendrons, lui assura Dimitri.

— Allez, entre.

— Merci ! Et sinon ? Comment vas-tu ?

— On fait aller, comme toujours ! Tes parents vont bien ?

— Oui, maman me fait dire qu’elle prévoit un « repas champêtre » pour le week-end prochain, cita-t-il… Maintenant que les beaux jours sont revenus !

— Ah oui ! La traditionnelle saison des barbecues reprend ! Je me réjouis de venir, mais ne t’attends pas à voir Daniel… Il ne sera pas là, répondit Yssara avec un sourire poli, sachant que son mari trouverait sûrement une excuse pour éviter ce genre de rassemblement consistant à réunir tous les voisins du quartier autour d’agapes qui évoquaient tout, sauf la frugalité.

Dimitri posa sa main sur l’épaule d’Yssara, compatissant.

— Je le lui dirai.

Il avança dans le vestibule pendant qu’Yssara refermait la porte.

— Je vais rejoindre les filles, lui indiqua le jeune homme avant de s’élancer à son tour vers les escaliers. Tu crois que j’aurai droit à ce délicieux cappuccino dont tu as le secret ?

— Peut-être bien…

Soline était arrêtée sur le pas de la porte de la chambre, hésitante. Dimitri fronça le regard.

— Que se passe-t-il ?

Soline ne dit rien. Elle céda à Dimitri sa place dans l’entrebâillement de la porte en entrant. Son regard balaya la pièce aux tons chauds. Le papier peint de la chambre était d’un jaune orangé, traversé horizontalement par une frise aux symboliques celtes. Des figurines d’elfes, de fées ou de sorcières peuplaient la pièce. Quelques-unes étaient même suspendues au plafond. Elles avaient toujours donné la chair de poule au jeune homme, aussi bienveillantes que les légendes puissent les décrire, il les trouvait dérangeantes avec leurs sourires édentés et leurs grands yeux. Près de la fenêtre, il y avait un grand bureau de bois où trônait un bazar de livres, de cahiers et de feuilles volantes. Une grande armoire abritait les vêtements de Lana et tout ce qu’elle ne savait pas où ranger. Un panneau en liège servait de porte-photo désordonné. Un mur des souvenirs d’une amitié des premiers jours et qui n’avait jamais failli depuis. Un grand lit bateau en merisier trônait au centre de la pièce. Lana avait rejeté sa couverture à ses pieds. Son front était perlé de sueur et son sommeil agité, en proie à un cauchemar sans nul doute. Elle tendait les mains devant elle comme si elle cherchait à agripper quelque chose ou à retenir quelqu’un.

— Non ! Non, ne partez pas ! suppliait-elle.

Dimitri regarda Soline, inquiet.

— Je crois qu’on devrait la réveiller, non ?

— Je m’en charge, sourit la jeune femme en remontant ses manches.

Elle prit de l’élan et se jeta sur le lit. L’armature de bois craqua sous son poids soudain. Lana se réveilla en sursaut, criant de peur et de surprise. Son cœur menaçait d’exploser. Il lui fallut un peu de temps pour reprendre ses esprits et que sa vue s’ajuste à la vive lumière du soleil qui agressa soudainement ses yeux clairs. Soline, sa meilleure amie, se tordait de rire sur son lit.

— Alors toi ! bégaya Lana quand elle comprit ce qui l'avait réveillé aussi brutalement.

— Buon compleanno ! s’exclama son amie dans un sourire solaire.

Elle se jeta sur Soline et la chatouilla jusqu’à ce qu’elle la supplie d’arrêter, à bout de souffle. Son amie tenta même de s’échapper du lit, mais, dans sa fuite, glissa sur les couvertures et tomba à la renverse. Les pieds lui passèrent par-dessus la tête. Les deux jeunes femmes se regardèrent. Lana était en appui sur le bord du lit et Soline sur le dos. Toutes les deux éclatèrent de rire. Lana lui tendit sa main pour aider Soline à se relever.

— Alors Grand-Mère ? On peine à se remettre des nuits folles ?! sourit Dimitri.

— Je te signale que tu auras toujours un pied dans la tombe avant moi ! répliqua Lana.

— Tant que cela nous donne un prétexte pour faire la fête ! rétorqua Dimitri.

— Et nous fêterons ça comme il se doit ! lança Soline.

— Je t’écoute ? dit Lana en attrapant sa robe de chambre.

— Dimitri, toi, moi, et la forêt du plateau ! Une belle soirée au coin du feu à griller des saucisses et des guimauves ! À se raconter des légendes flippantes et sordides de campeurs.

— Et une nuit à la belle étoile ?

— Évidemment ! soupira Dimitri comme si la question était absurde.

— Et tu as un quart d’heure, et pas une minute de plus, pour préparer toutes tes affaires ! Et n’oublie pas te prendre ta polaire ! Les nuits sont encore fraîches ! l’informa Soline en regardant sa montre.

— On t’attend en bas ! la prévint Dimitri avant de tourner les talons.

Soline se tourna, surprise.

— Pourquoi ?

— Un truc qui s’appelle l’intimité, ça te parle ? s’affligea le jeune homme devant le manque de bon sens de son amie.

— Pff… Il n’y a jamais eu de fausse pudeur entre Lana et moi, minauda Soline.

Le jeune homme leva les yeux au ciel, attrapa Soline par le poignet.

— Moi, si, alors viens maintenant, lui dit-il.

— Bon bon ! Et toi, grouille-toi de nous rejoindre ! J’ai faim !

Lana leur sourit puis referma la porte de sa chambre. Elle poussa un soupir et se laissa glisser contre la porte. Les battements de son cœur reprenaient tout juste un rythme normal. Ce rêve, cette elfe, tout ce qu’elle lui avait dit. Les mots se répétaient inlassablement, car elle savait que, bientôt, elle peinerait à en invoquer le souvenir. Lana secoua la tête pour reprendre pied avec la réalité. Ce n’était qu’un rêve après tout… Et pourtant, elle sentait encore sur sa peau la trace de la main de l’elfe lorsqu’elle l’avait saisie par l’épaule dans un mouvement d’impatience. Sa mémoire avait même imprégné le parfum d’opoponax et d’ambre qu’elle avait senti lorsqu’elle s’était rapprochée.

Lana se releva et s’ébroua. Elle chassa le souvenir trop réel de ce rêve sans queue ni tête de son imagination trop fertile. Elle attrapa son sac de camping qui reposait toutes poches ouvertes dans son placard, évitant, comme elle le pouvait, que le contenu ne se vide sur sa tête. Elle se promit sans conviction de faire un jour le tri dans ce bazar sans nom. Un nuage de terre s’échappa du sac lorsqu’elle le secoua. Leur dernière randonnée avait laissé des marques sur le sac à dos bleu. Elle cherchait des yeux son duvet et quelques autres bricoles. Elle s’assura que son matériel de camping habituel figurait bien dans le fond du sac, puis y fourra des affaires de rechange et une petite trousse de premier secours, puis s’habilla : elle revêtit brassière de sport, t-shirt, sweat et un pantalon de trek coupé aux mollets et ses chaussures de randonnées. La jeune femme prit soin de fixer à sa ceinture son laguiole dont elle ne se séparait jamais en randonnée et glissa son couteau suisse dans une des poches de son sac. Elle noua ses cheveux en queue haute et se rendit dans la salle de bain. Elle fixa un instant son regard, des cernes marquaient ses grands yeux céruléens. La nuit avait été bien trop courte. Ses joues étaient aussi rouges que si elle venait d’achever sa séance de course à pied dominicale. Elle se savonna énergiquement pour ôter le masque de fatigue qui recouvrait ses traits. Elle resta un instant les bras appuyés sur les bords du lavabo, perdue dans ses pensées, l’eau glissant le long de son cou jusqu’à son t-shirt. Elle crut soudainement entendre la voix de sa mère l’appeler. La jeune femme dévala les escaliers, son sac posé négligemment sur une épaule. Elle le jeta dans l’entrée et rejoignit Soline, Dimitri et sa mère dans la cuisine. Ses deux compagnons étaient assis derrière le bar américain. Soline tenait une tasse de café au lait fumante entre ses mains, savourant l’odeur du café moulu par la machine italienne de la maison et Dimitri se réjouissait déjà du cappuccino qui l’attendait. Un parfum de pain grillé, de crêpes, de café et d’agrumes pressés embaumait l’air. Lana adorait cette cuisine faite de pierre de taille. Elle était comme la ville où elle vivait, aux airs de Provence. Lana embrassa sa mère avant de s’asseoir sur un des tabourets du bar, entre Soline et Dimitri, et se pencha au-dessus de la desserte pour voir ce que faisait sa mère. Yssara sortit une assiette du micro-ondes.

— Joyeux anniversaire ma Lanaérÿs ! sourit Yssara.

La jeune femme sourit avec affection. Sa mère ne l’appelait presque jamais par ce prénom. Personne d’ailleurs. Il figurait sur son acte de naissance, ses papiers, mais pour le commun des mortels, elle n’était que Lana. C’était bien plus simple ainsi.

Sa mère fit glisser jusqu’à elle l’assiette fumante. Lana pouvait déjà imaginer le parfum des crêpes sur sa langue et le petit arrière-goût du vieux rhum ambré qu’utilisait sa mère qu’elle dégusterait avec le caramel au beurre salé ou de l’amlou. Des pas dans l’escalier retinrent l’attention générale. Tous les quatre se figèrent. Personne ne se retourna, à l’image de l’immobilisme ambiant lorsqu’on essaye d’éviter une confrontation redoutée. Soline et Dimitri se jetèrent un bref regard. Le père de Lana passa devant la cuisine, jeta un bref coup d’œil et sortit de la maison, son sac à dos en cuir à la main, sans un mot. Il avait revêtu ce costume qui lui donnait tant d’importance dans son travail et lui octroyait, selon lui, le droit de s’affranchir de la plus élémentaire des politesses, ce qui en disait long sur l’entente qui régnait au sein de la famille. Elle s’étonna qu’il ne lui fasse aucune réflexion sur le boucan qu’avaient fait ses deux amis en entrant dans sa chambre. Yssara sentit son cœur se serrer de honte face au comportement de son mari. Lana attrapa le rebord du bar américain et le serra entre ses doigts.

— De rien ! lâcha la jeune femme avec mépris.

Elle reçut, pour seule réponse, le claquement violent de la porte d’entrée. Ses mains vibraient de colère alors qu’elle tentait de museler son ressentiment. Soline lança un regard peiné à Yssara et passa son bras autour des épaules de son amie, avec un sourire bienveillant.

— Nous sommes là, nous. C’est le plus important. … reviens à ce qui t’est essentiel…

Dimitri et Soline prirent la jeune femme dans leurs bras pour la réconforter.

— Je sais, après tout, ce n’est jamais que mon père, soupira Lana, lasse.

Elle regarda sa mère. Ses cheveux attachés avec son bandeau turquoise, son visage fermé… la jeune femme savait que ce n’était qu’une carapace… Le cœur d’Yssara s’était resserré et un point de côté lui avait saisi l’abdomen. Sans la présence de Soline et Dimitri, une violente dispute aurait éclaté entre ses parents. Mais Yssara n’avait rien dit, lassée des monologues perpétuels, des disputes sans fin ni motif. Elle détestait, autant que sa fille, ces coups d’éclat qui, de toute évidence, ne menaient plus à rien. Lana avait troqué son costume d’enfant difficile pour celui d’ado difficile et sous peu, et aux yeux de son père, elle ne tarderait pas à devenir une adulte difficile. Elle souhaitait épargner cela à Soline et Dimitri, qui en avaient bien trop vu depuis qu’ils la connaissaient. Sa fille lui lança un petit sourire conciliant, ce n’était pas contre elle que son amertume était dirigée. Yssara sentit son cœur se serrer à nouveau. Une sensation désagréable l’envahit : cette impression détestable, dérangeante, qui lui donnait le sentiment qu’elle voyait sa fille pour la dernière fois. Un frisson glacé dans la nuque courut le long de sa colonne vertébrale. Elle se ressaisit. C’était ridicule, seulement les effets du temps qui, lui, passait trop rapidement. Dix-huit ans et elle ne les avait pas vu passer.

— Bon, il faut que l’on parte maintenant ! Nous avons beaucoup de marche ! décréta Soline lorsqu’elle décida qu’ils s’étaient largement rassasiés, avant que leur repas ne leur coupe les pattes.

— Alors c’est parti ! les encouragea Dimitri en revêtant l’accessoire essentiel à tout habitant ayant posé ses valises dans la région.

Ses lunettes de soleil lui donnaient un air d’aviateur, un sourire charmeur en prime. Il ne manquait plus que la veste en cuir ornée d’insignes pour compléter le stéréotype.

Chapitre 3

La flamme des torches ornant les murs du château vacilla au passage de l’homme en noir. Sa longue tunique cerclée de boucles de métal à la taille frottait le sol, soulevait des moutons de poussières sur son passage. Les lieux étaient silencieux. La nuit sans lune était avancée et seuls les soldats de garde étaient censés patrouiller sur les chemins de ronde si ces benêts ne s’étaient pas endormis.

Cela faisait bien longtemps que personne ne s’était aventuré à attaquer la cité noire. La situation géographique était à la fois leur meilleur avantage comme leur plus grande faiblesse par l’isolement qu’il offrait à la cité. Une forêt déjà peu hospitalière sur ce continent donnait sur une autre forêt d’Aéthérÿa, que le peuple avait baptisée « Bois des Lamentations ». Cet endroit maléfique se situait à mi-chemin entre le purgatoire des âmes damnées et le domaine des énergies les plus destructrices, berceau de nombreuses malédictions et épreuves effroyables et de créatures qui l'étaient tout autant ; un lieu pourtant indispensable à l'équilibre d'Aéthérÿa.

Le Bois avait toujours été connu ainsi, depuis l’aube de ce monde, une terre sans vie, nécrosée par le pouvoir malsain qui y régnait. Une prison de cauchemars, de visions terrifiantes pour tous ceux qui osaient s’y aventurer avec, à la clé, la possibilité d’y abandonner toute raison. Une terre qui drainait toute magie pour s’en nourrir sans jamais être rassasiée, ni que cela ne suffise à lui insuffler le moindre souffle de vie.

Il jouxtait la partie nord-ouest de la forêt des Anciens. Au Sud, Sarijanli était terre alliée de la citadelle et principal fournisseur du domaine. Allié qui tirait ses ressources des champs et de la proximité de la mer et les partageait par convois réguliers avec la terre des Weirdlane. Quant à l’Est, la forêt était dense et isolait la cité de la forêt des Anciens et plus à l’est, des grandes landes par le fleuve d’argent Siannodon. Tous ces éléments maintenaient la cité noire dans un vase clos qui la préservait des attaques. Cependant, cela ne dissuadait pas la Maîtresse des lieux de tenter d’annexer d’autres terres connexes pour étendre un peu plus sa domination et quitter ce carcan géographique. Par la force des choses, la cité s’était vue contrainte d’assurer son autonomie par la création de forges, de champs, d’élevage sommaire de bêtes le plus simplement possible : cette cité abritait des guerriers, des mercenaires et non des fermiers ou des agriculteurs, mais tous se devaient de participer pour la communauté. Les prisonniers qui hantaient les cachots avaient été, pour certains, transformés en esclaves au service de la cité, pour les autres, ils croupissaient dans le donjon, condamnés dans le meilleur des cas à l’oubli, dans le pire, à des séances de tortures à titre de spectacle. Chaque orque et mercenaire occupait à la fois le rôle de fermier, de forgeron, d’ébéniste, de maçon, de garde, qu’importait le talent.

L’ombre dans la nuit rassembla ses pensées qui s’étaient dissipées dans un flot ininterrompu. Elles l’avaient mené à la porte d’une chambre, l’une des plus petites des lieux et qui, étonnamment, avait pourtant eu la préférence d’Iwëna, la Maîtresse de la cité. Il leva la main pour frapper, mais son geste resta suspendu, devancé par une voix de l’autre côté de la pièce.

— Entre Arzhur, je t’attendais.

La porte grinça en tournant sur elle-même lorsqu’il la poussa et la referma. La pièce était éclairée par deux chandeliers à trois branches, posés sur une commode en demi-lune contre le mur près de la fenêtre. En moins de dix pas, il avait rejoint le lit en alcôve de sa protégée. En cinq, il rallia le muret de la fenêtre aux vitres colorées de losanges. Il s’assit sur le large rebord de la fenêtre. Un coup d’œil dehors perdit son regard sur les hautes cimes balayées par les bourrasques hautes. Elles déplaçaient les nuages pourpres à vive allure vers le Nord, dans un mugissement sourd. La jeune femme manipulait nerveusement un petit couteau de chasse.

— Quelque chose s’est mis en mouvement, n’est-ce pas ? Je peux le sentir comme une épine dans ma gorge, comme une nausée bien installée que la plus infecte de tes eaux-de-vie ne saurait chasser… grimaça Iwëna en agrippant sa gorge, comme assoiffée.

— C’est vrai… Le calme relatif que ce monde a connu court à sa fin. Ils sont allés la trouver. Il te faut mettre tes sorcières en ordre de marche, la trouver et la ramener, lui répondit Arzhur.

— Pourquoi ne pas nous en débarrasser tout de suite, là-bas dans l’Ancien Monde ?

— Parce que je la veux vivante, parce que nous ignorons les conséquences de la magie dans son monde et que j’ai besoin qu’elle soit en contact avec la magie de notre univers pour réveiller en elle les dons qui sont les siens et dont elle n’a absolument pas conscience. Il n’y a qu’elle pour nous mener au Sceau, et personne d’autre, tu le sais bien. Et puis, laissons-leur donc le soin d’acheminer le bétail jusqu’à l’abattoir. L’Ancien Monde n’est un lieu bon pour aucun des Aéthérÿens.

— Alors, fais venir June, je n’ai confiance en aucune autre pour diriger cette mission et son pouvoir nous sera plus qu’utile pour ne pas perdre de temps avec le Bois des Lamentations. J’imagine qu’ils l’ont ramené à Terralys ?

— J’en suis convaincu.

— Une bonne chose pour nous. Deux semaines de voyage au bas mot valent mieux que deux mois.

— Iwëna… Cette mission ne doit souffrir aucun échec. Nous ne pouvons en aucun cas nous le permettre.

— Je le sais ! Je tiens à la réussite de cette entreprise autant que toi ! répliqua-t-elle agacée. Remplis ta part, je remplirai la mienne.

— Bon, je te laisse, c’est l’heure des hommages à notre Reine. J’imagine qu’une fois de plus, tu ne te joindras pas à nous, déplora le mage, bras croisés, sourcils froncés, une grimace réprobatrice accrochée aux lèvres.

— Pas plus que les fois précédentes…

Chapitre 4

Lana prit une profonde inspiration. L’air chaud gonfla ses poumons d’une pesanteur étouffante. Ils étaient finalement arrivés au pied du plateau. Le soleil méridional avait attaqué la garrigue, diffusant le parfum chaud, rocailleux et citronné des herbes sauvages soumises à la chaleur matinale. Dimitri les avait amenés en voiture jusqu’à un petit parking utilisé par les chasseurs et les randonneurs. De là, ils devraient rejoindre le plateau à pied, sac sur le dos. Soline avait sanglé la ceinture du sac sur ses hanches pour soulager le poids sur ses épaules. La nourriture pour les prochaines vingt-quatre heures pesait déjà son poids, aussi, elle avait confié à Dimitri le port des boissons. Lana, quant à elle, avait hérité de la tente des filles.

Il y avait une petite forêt sur les hauteurs avec des clairières où camper avec une tolérance toute relative des autorités locales. Les trois compagnons étaient tombés, au gré de leurs pérégrinations, sur des grottes qu’il leur arrivait de visiter de temps à autre, malgré l’interdiction. Soline cherchait des yeux le sentier des randonneurs qui menait sur le plateau. Un parcours escarpé entre murets de pierre et garrigue qui conduisait, hier et aujourd’hui encore, les pèlerins vers l’Ouest et l’océan. Il leur faudrait deux bonnes heures de marche jusqu’à la forêt.

— Aller ! En route, j’aimerais profiter de la fin de la journée et ne pas finir le campement juste à la tombée de la nuit ! les encouragea Soline en resserrant les sangles des bretelles du sac de randonnée sur ses épaules et ses hanches.

Les trois compagnons se mirent en route vers la forêt. Des marquages auréolés d’une coquille bleu et jaune traçaient la voie. Le chemin était trop étroit pour qu’ils y marchent tous les trois de front. Des herbes hautes et brunes, des gueules-de-loup, du romarin, du thym bordaient le chemin. Soline appréciait le parfum agréable que la chaleur du zénith amplifiait. Lana ouvrait la voie, suivie de Soline, tandis que Dimitri fermait la marche. La journée était claire, le ciel sans l’ombre d’un nuage. Lana mâchouillait une brindille brune, pensivement. Soline avait cueilli des pâquerettes qu’elle tressait en couronne, activité qui occupa la jeune femme une bonne demi-heure et qui, sans l’aide de Lana, aurait à coup sûr fini dans un buisson de ronce ou dans les bordures d’orties. Son œuvre achevée, elle rejoignit Lana, qui avait pris un peu d’avance. Elle déposa la couronne sur sa tête.

— Attention tout le monde ! Voici la princesse Lana ! sourit Soline.

— Soline… la rabroua Lana, amusée.

— C’est ton anniversaire aujourd’hui et tu connais la règle, ce jour-là c’est ton jour ! En plus, nous célébrons ta majorité ! Tu rejoins enfin le club très sélect des emmerdeurs majeurs !

— J’entends donc demander ce qu’il me plaît !

— Euh ! blêmit Soline.

Son amie glissa la bretelle de son sac sur son bras pour s’en débarrasser.

— Tiens ! Voilà mon chargement ! sourit Lana.

— Et puis quoi encore ?! répliqua Soline en repoussant le sac.

Lana sourit puis lui donna un coup de hanche avant de s’amuser à son tour à cueillir quelques variétés communes des lieux et qu’elle aimait utiliser en infusion ou en décoction, savoir que lui avait transmis sa grand-mère. Qu’est-ce que cela l’ennuyait profondément quand elle était jeune !

Mais ce savoir perdu lui manquait depuis que l’âme de sa grand-mère avait rejoint celle de son grand-père. Alors, sa mère avait pris le relais, mais c’était différent. Aujourd’hui, elle était plus attentive à ce que lui enseignait Yssara, mais parfois sa mère était moins patiente et surtout moins passionnée que son aïeule, qui avait une anecdote, une histoire ou une légende pour chaque essence qu’elle lui avait enseignée. Le petit déjeuner copieux leur permit de s’abstenir d’une pause déjeuner. Ils ne croisèrent personne. Les habitués du plateau préféraient en général passer par l’autre versant qui permettait un accès en voiture directement sur le sommet du plateau.

— Regardez ! Nous sommes presque arrivés, leur indiqua Dimitri.

Lana huma l’air. L’odeur des pinèdes et de la résine était forte, épicée et âcre. Après quelques minutes de marche, les arbres vinrent leur apporter leur ombre apaisante. Un délice de couleur se jouait. Les rayons du soleil venaient pigmenter les feuilles vert sombre des arbres comme des milliers d’étoiles scintillantes. Des tapis de mousse s’étendaient aux pieds des arbres, une certaine fraîcheur émanait de la forêt. On pouvait apercevoir, en bordure du chemin, de minuscules petites fraises des bois qui faisaient le plaisir des enfants. Des iris sauvages avaient réussi à pousser malgré le manque de soleil. Ils pointillaient le vert sombre de l’herbe d’une couleur mauve et or. Le soleil perçait difficilement à cause du mistral de la veille qui avait fait s’entremêler les branches des arbres les plus hauts. Tilleuls, chênes, châtaigniers et ormes formaient une magnifique voûte naturelle dans une palette de vert des plus variées.

Le point de vue qu’ils avaient atteint surplombait la vallée. Il n’y avait que peu de maisons dans les environs, les seuls rares habitants étaient des agriculteurs, des vignerons, des apiculteurs. Les champs alentour formaient des patchworks de couleurs allant du vert sombre, au jaune le plus clair. Les champs de blé côtoyaient les étendues vertes et dorées des tournesols qui se tournaient vers leur Dieu Soleil. Les champs de vigne, en abondance dans cette région, se succédaient sur plusieurs parcelles. Ces dernières étaient ponctuées de marron et de vert malachite. Tout était encadré par la forêt, et à certains endroits, baigné par quelques ruisseaux que les agriculteurs utilisaient pour l’irrigation. Ils servaient aussi de limites séparant chaque parcelle quand les murets de schiste n’assuraient pas ce rôle.

Les trois compagnons abandonnèrent la vue pour s’enfoncer dans la forêt et rejoindre la clairière dans laquelle ils avaient l’habitude de camper. Un écrin de verdure que l’on atteignait qu’après avoir louvoyé entre fragon et chêne kermesse et payé le tribut de quelques égratignures et piqûres d’orties. Le chemin de graviers et de terre sèche s’effaçait au fur et à mesure et laissait place à des sentiers plus fins qui se perdaient dans la nature environnante. Lana adorait ça. C’était comme partir à l’aventure sans savoir ce qui les attendrait au détour du chemin. Elle espérait toujours croiser sur la route quelques biches ou chevreuils. Parfois, un renard tentait une approche avant de disparaître aussitôt. Mais dans la région, les lapins de garenne et les faisans étaient les seuls animaux qu’ils croisaient fréquemment, avant de les voir s’enfuir. Et puis, ils avaient tellement traversé cette forêt en long et en large, qu’il ne lui restait plus grand-chose de secret. Au détour d’un virage, la clairière s’ouvrit sur une terrasse qui débouchait sur des pentes abruptes. Ces dernières se précipitaient en une falaise de calcaire.

Le foyer de pierre était intact, les tranchées encore partiellement visibles sous les mottes déposées pour les recouvrir. Soline ne put résister à l’envie de cueillir quelques fraises des bois qui tachetaient timidement la lisière de leur campement. Elles étaient petites, mais tellement délicieuses. Ils étaient conscients que le bivouac était tout juste toléré, mais les souvenirs qu’ils en tiraient étaient trop précieux, le sentiment de liberté, trop exaltant. Ils veillaient juste à ne pas rester plus de deux jours sur site et à ne laisser aucune trace de leur passage.

— Nous sommes arrivés, soupira Soline en jetant son sac à terre et en inspirant à pleins poumons l’odeur terreuse des sous-bois.

— J’apprécie cet endroit, souriait Lana en s’étirant.

— C’n’est pas le moment de lorgner le paysage, il faut monter le campement, répliqua Dimitri en les ramenant à la réalité.

— Guastafeste ! Tu es vraiment un rabat-joie ! répliqua Soline en le poussant.

— Hey ! C’est toi qui voulais que le camp soit prêt pour la nuit ! rétorqua le jeune homme dans un haussement d’épaules.

Il entreprit de monter sa tente canadienne, bien suffisante pour lui. Il prit soin de bien tendre le double-toit. L’averse de leur dernière virée avait complètement inondé sa tente et l’avait obligé à demander asile aux filles. Bientôt, les coups de masse sur les sardines de fer retentissaient dans un léger écho. Il prêta main-forte aux filles. Leur tente et son auvent formaient un amas plus complexe à monter à quatre mains qu’à six.

Ils achevèrent le campement un peu avant le coucher du soleil. Dimitri avait ramené du bois en quantité suffisante pour tenir la nuit. Il avait formé une petite pyramide au cœur de laquelle il avait enfoncé du papier et des pommes de pin. Dans une timbale en acier inoxydable, il déposa du papier, du bois taillé en sapin, de l’amadouvier, quelques pommes de pin et des herbes séchées, puis il projeta des étincelles à l’aide de sa barre de magnésium qu’il gratta pour provoquer des étincelles. C’était le dernier cadeau offert par ses parents qui regrettaient presque de le voir essayer d’allumer tout et n’importe quoi avec. Les étincelles grésillèrent sur la chair de l’amadouvier. La chaleur du foyer monta assez vite et déclencha chez les trois compagnons un frisson grisant. Le ciel s’était couvert de nuages, mais rien de vraiment menaçant. Plantées sur des bâtons de fortune dénudés de leur écorce, les saucisses grillaient tranquillement quand un coup de semonce retentit au loin. L’orage semblait loin, à une trentaine de kilomètres, selon les savants calculs de Dimitri, qui comptait les secondes d’écart entre l’éclair et le coup de tonnerre. Soline lui adressa un regard courroucé.

— Tranquille ! On est large ! sourit Dimitri.

Soline était sceptique, mais choisit de ne plus s’en préoccuper et préféra écouter l’histoire de campeur que Lana s’apprêtait à leur raconter. Les flammes les réchauffaient de la fraîcheur de la nuit. Une odeur de saucisses, de pain grillé, de fromage et de guimauve caramélisé à la flamme envahit bientôt le campement, ponctuée de petits cris de surprise et de rires au fil des histoires que chacun partageait, espérant toujours surenchérir dans la terreur distillée aux deux autres qui écoutaient. Un coup de tonnerre retentit plus près. Il additionna sa menace d’un éclair qui coupa le ciel en deux. Cette fois, il n’était plus question pour l’orage de tourner autour du campement pour taquiner les trois amis. Il s’était rapproché sans prévenir.

— Saleté de météo, « un temps idéal tout le week-end » ! Sì, certo ! invectivait Soline.

Une pluie fine s’abattait quelques minutes plus tard sur les trois compagnons. Ils se retranchèrent dans la tente des filles, plus spacieuse, pour achever leur soirée, en dépit du mauvais temps. Soline bougonnait à mesure que la pluie s’intensifiait. Les tentes étaient détrempées. Pourtant, le double toit de la tente remplissait son office, mais déjà ce dernier commençait à peser lourdement sur la toile. Cette dernière ne tarderait pas à perdre son étanchéité.

— Nous ne pouvons pas nous abriter ici ! Il faut trouver un autre endroit ! leur cria Dimitri pour surpasser le bruit de la pluie battante.

— L’abîme des Maschèré n’est pas loin ! Elle ne doit pas être à plus de cinq minutes de marche ! précisa Soline.

Dimitri s’efforça de se rappeler ce qui se cachait sous son nom. Le souvenir d’une grotte où ils avaient fait quelques sessions de spéléologie avec un professeur de sciences passionné refit surface. En effet, ils n’en étaient sans doute pas loin et cela valait mieux que leur abri qui n’allait plus tarder à leur être inutile.

— Bien, alors prenez ce que vous pouvez et partons maintenant.

Soline et Lana glissèrent quelques affaires dans le sac de cette dernière, avant de le recouvrir d’une cape imperméable. Dimitri, n’ayant rien de valeur, préféra ne pas s’encombrer pour rien. Il glissa seulement dans ses poches les clés de sa voiture, et sa barre de magnésium. Il jeta son duvet dans son sac pour leur permettre d’attendre au chaud, la fin de l’orage qui, à cette époque de l’année, était la plupart du temps, souvent aussi violent qu’éphémère. Ils reviendraient une fois l’orage passé. D’un pas rapide, ils se mirent en marche vers l’Est. Soline tenait le sac de Lana au-dessus de sa tête pour se protéger des trombes d’eau qui tombaient sur eux. Bientôt, leur environnement n’était plus qu’un épais brouillard où coulait des traits d’eau dans un vacarme assourdissant au cœur de l’obscurité. Seul le faisceau artificiel de la lampe de Soline balayait leurs pieds et n’éclairait que quelques trouées vagues.

Chapitre 5

Soline, Dimitri et Lana avaient couru sous la pluie battante pendant cinq minutes avant de trouver la grotte. L’obscurité ne leur avait pas facilité la tâche. La torche de Soline leur permettait tout juste de voir où ils mettaient les pieds. Enfin, Dimitri désigna l’entrée de l’une des grottes avec soulagement, ils étaient transis de froid. L’entrée, un trou d’un mètre de diamètre seulement, glissait dangereusement. Le faisceau de la lampe tremblait au même rythme que le corps de Soline. Ils entrèrent dans la grotte sombre et austère, mais à l’abri de l’assaut de la pluie. Une fine buée blanche s’échappait de leur bouche. Il ne devait pas faire plus de quelques de degrés. Ils devaient courber le dos pour pouvoir entrer. L’argile humide qui menaçait de les faire tomber à tout moment collait désagréablement aux semelles de leurs chaussures dans un bruit spongieux. Ils reculèrent un peu plus dans la grotte pour déboucher sur une chambre plus haute qui leur permit de se redresser. Une symphonie de gouttelettes les accueillit. La torche éclaira des concrétions de calcaire ascendantes et descendantes. Ils évoluaient le long d’un sentier d’environ un mètre de large entouré de deux petits lacs souterrains dont l’eau était limpide. Dimitri observait la composition du sol sous leurs pieds, qui n’avait pas évolué sur les quelques mètres parcourus. Il soupira. La glaise était toujours trop présente.

— Si nous voulons espérer sécher, il faut que nous avancions, tout est trop humide ici, on trouvera des espaces un peu plus au sec un peu plus loin, recommanda le jeune homme.

Lana et Soline se décomposèrent.

— Évidemment ! Enfonçons-nous dans les profondeurs sombres et terrifiantes de la terre ! Plongeons un peu plus dans la bouche des Enfers ! entonna Soline, théâtrale.

Lana pouffa de rire, malgré elle. Elle relâcha la pression de ses ongles plantés entre son pouce et son index droit. Un moyen plus ou moins viable de juguler son aversion pour les endroits clos que son amie venait, en une tirade amusante, d’apaiser. Soline faisait office de vigie et n’enviait pas la place de bon dernier de Dimitri. Le couloir opaque réveillait leurs peurs d’enfants et de monstres rampant dans l’obscurité. Dimitri, lui, considérait sa position comme un devoir envers ses deux amies. L’argile laissa place à un sol plus dur.

Un grognement retentit et se répercuta en écho dans la grotte. Lana frissonna.

— Dimitri ! Je t’en supplie ! Dis-moi que c’était ton ventre ! le supplia Soline, excédée par cette soirée qui virait littéralement au cauchemar.

— Non…

Tremblante, elle rejoignit en quelques pas Dimitri et braqua la lampe vers le boyau d’où ils venaient. Le faisceau éclaira une gueule aux babines retroussées, aux dents blanches. Il ne leur fallut pas longtemps pour comprendre ce qu’ils affrontaient. Un loup avançait vers eux, menaçant. Sa démarche était lente. Ses poils gris poivre se hérissaient sur son dos jusqu’à la base de la queue. Les trois compagnons reculèrent. Lana sentit son pied heurter une surface. Elle battit des bras pour maintenir son équilibre, mais en vain. Son poids l’emporta. Elle lâcha un cri de surprise et de peur. La jeune femme était irrémédiablement attirée dans le vide. Elle glissa dans un cri de terreur. De justesse, elle se rattrapa au parapet. La déclivité et l’absence de prise ne lui permettaient pas de se hisser vers le plateau où se tenaient ses amis. Soline et Dimitri firent volte-face. Lana avait planté ses ongles dans l’argile meuble, mais ne tarderait pas à lâcher prise. Ses doigts la lançaient alors qu’elle tentait de les enfoncer un peu plus dans la terre pour assurer sa prise précaire. Ses pieds peinaient à trouver un appui qui aurait pu l’aider à grimper jusqu’au bord du précipice. L’argile s’infiltrait douloureusement entre ses ongles et sa peau. Soline lâcha sa lampe, se jeta sur le sol pour attraper, de justesse, les mains de son amie. Dimitri tentait de faire reculer l’animal en le menaçant de la lampe, mais ce dernier ne semblait pas enclin à lui obéir.

— Allez ! Casse-toi de là ! insistait Dimitri en secouant la lampe et en jetant à l’animal les pierres qui étaient près de lui.

Mais il n’y avait rien à faire. L’animal grondait férocement et faisait claquer ses dents, babines retroussées. Il risqua un regard en arrière.

— Soline, qu’est-ce que tu fabriques ?

La jeune femme avait réussi, non sans mal, à se relever et se mit à genoux. Elle tenait fermement les poignets de Lana, à moitié penchée au-dessus du vide. Soline avait tout juste assez de force pour l’empêcher de tomber définitivement dans la gorge. Ses bras la brûlaient et des spasmes lui enflammaient les épaules et le dos.

— Je n’arrive pas à la remonter. On dirait que quelque chose l’attire vers le bas. Je n’ai pas assez de force, il faut que tu viennes m’aider !

— Le loup est toujours là !

— Je m’en contrefiche, Dimitri ! Il ne m’a pas attaqué, alors viens m’aider ! Je ne tiendrai pas plus longtemps !

Dimitri recula prudemment. Il se pencha pour aider Soline. Le loup continuait de les menacer par des grognements sourds, mais il n’avançait plus.

— J’ai l’impression qu’on m’entraîne dans le vide ! Ne me laissez pas tomber ! suppliait Lana.

Dimitri était debout, les jambes fléchies, mais, malgré cela, il n’arrivait pas à la soulever, à croire que l’attraction du gouffre augmentait la masse corporelle de son amie. Ou que quelque chose leur opposait une force contraire. Soudain, le poids se fit plus insistant. Les trois compagnons basculèrent. Le faisceau de la lampe disparut dans les profondeurs du gouffre, dans un cri de terreur.

Chapitre 6

Lana tomba lourdement sur le sol en poussant un cri. Sa vue était trouble. Elle avait percuté le sol sans avoir pu préparer son atterrissage. Soline et Dimitri gisaient autour d’elle. Elle releva la tête. Un ciel lumineux et bleu. Ils n’avaient pas dû chuter de plus de deux mètres. Il aurait autrement été impossible qu’ils puissent se relever avec si peu de dommages. La jeune femme se releva avec difficulté, passablement sonnée. Son bras gauche était douloureux et son souffle coupé par la chute. Soline et Dimitri ne tardèrent pas à émerger à leur tour. Soline se massait les bras enduits d’argile brune. La jeune femme remarqua que son amie boitait un peu. Elle la rejoignit pour que Lana s’appuie sur elle. Dimitri ramassa le sac de Lana et s’assura de l’état de ses amies.

— Est-ce que vous allez bien ?

— J’ai dû me fouler la cheville et l’argile commence à sécher désagréablement, mais nous avons connu pire, constata Lana, cependant, toi tu as une de ces bosses sur le front !

Le jeune homme palpa son visage. En effet, une boule commençait à se former au-dessus de son arcade sourcilière. Machinalement, il la comprima. Se morigéna de son geste stupide, avant de grimacer de douleur : il avait appuyé un peu trop fort.

Soline était trop préoccupée à regarder autour d’elle pour répondre. Cela avait au moins pour effet de relayer sa douleur au second plan. Ils se trouvaient dans une forêt où le soleil parvenait, tant bien que mal, à se faufiler entre les feuillages épais traçant sur le sol des cercles lumineux. Personne ne semblait être venu ici. Les sentiers ne comportaient aucune empreinte, pas même animal. Il y avait divers tons de vert et çà et là, quelques touches de bleu, rouge, violet et autres couleurs florales. Du lierre enlaçait amoureusement le tronc des arbres. Le chemin était bordé de chênes, de bouleaux. Dans l’air voletaient des particules indéfinissables. Elles chatoyaient sous les rayons du soleil. Soline leva les yeux. Le ciel, bleu azur. C’était impossible, comment étaient-ils arrivés ici ?

Elle rejoignit Lana et Dimitri. Elle fixait le sol où chaque pas qu’elle faisait s’effaçait aussitôt.

— Où sommes-nous, paniqua Soline. Comment avons-nous pu arriver ici ?

— Je n’en ai aucune idée, répondit Dimitri, effrayée.

— Est-ce qu’il y a quelqu’un ? cria Lana.

Seul l’écho de sa propre voix lui répondit. Elle réitéra son appel.

Du haut d’un arbre, on observait les trois jeunes gens en contrebas. Une créature qui les effraierait sans doute quand elle se serait présentée. Ils semblaient déboussolés. Elle pouvait sentir la panique se distiller dans leur esprit, comme un poison. La petite créature fixa avec attention l’une des deux jeunes femmes. Il était évident qu’elle serait celle qui accepterait le mieux les évènements qui allaient résulter de leur rencontre : ce monde. L’autre jeune fille serait sans doute un peu plus sceptique, mais ce qui donnait vie à leur monde charmerait sans peine son âme d’enfant. Quant au jeune homme, il était clair qu’il allait leur poser problème. Lana demanda à nouveau avec agacement si quelqu’un était présent. La créature prit une profonde inspiration. Son cœur était emporté dans une lutte acharnée entre l’inquiétude et l’instinct de survie, d’une part, et la nécessité d’accomplir sa mission, d’autre part. D’un mouvement d’épaule, elle s’écarta du tronc et s’avança.

— Bonjour, à vous trois ! Soyez les bienvenus sur les terres d’Aéthérÿa ! s’exclama la créature, peu sûre que ce soit le meilleur moyen de se présenter.

Tous les trois firent volte-face, cherchant d’où provenait la voix, qui s’était adressée à eux. Rien ne leur sautait aux yeux. Après tout, ils cherchaient quelqu’un de leur taille.

— Où vous cachez-vous ? demanda Dimitri, méfiant.

— Sur la branche au-dessus de ton épaule.

Instinctivement, il se retourna. Il ne la vit pas tout de suite, elle était si petite. Elle n’en attendait pas moins. Qui pouvait savoir à quand remontait la dernière rencontre entre un humain et une créature comme elle ?

Des milliers d’années…

— Qui es-tu ? demanda Lana, en approchant.

— Je me nomme Illissa. Je suis une fée du monde d’Aéthérÿa. Ce monde est le mien et vous êtes sur nos terres.

— Mais les fées…

— Je te déconseille de prononcer un mot de plus ! menaça Lana en foudroyant Dimitri du regard.

L’agressivité soudaine de la jeune femme décontenança ses deux amis, une gifle n’aurait pas eu plus d’impact. Illissa soupira et les pulsations de son cœur, qui s’étaient soudainement emballées, reprirent un rythme plus calme. Elle dévisagea froidement Dimitri. Ce qu’elle pouvait haïr cette croyance qui avait fait tellement de dégâts et qu’elle avait craint d’entendre depuis toujours !

— Merci, Lana, lui répondit-elle.

— Comment connais-tu mon prénom ? s’étonna-t-elle.

Illissa sourit. Si la jeune femme pouvait savoir la somme d’informations qu’elle détenait à son sujet… mais elle détourna la réponse. Ce n’était pas à elle de répondre à ses questions. Sa seule mission était de les conduire à Terralys, l’une des seules forêts d’Aéthérÿa restées en terrain neutre… Tout du moins jusqu’à présent.

— Sælanor répondra à tes questions. Suivez-moi.

Sælanor… Ce nom semblait si familier à Lana… Comme la résurgence d’un souvenir lointain.

— Pourquoi devrions-nous la suivre ? murmura Dimitri à l’attention de ses deux amies, de sorte que la petite fée ne l’entende pas. Je suis certain que tout cela n’est qu’un mauvais rêve et que nous ne tarderons pas à nous réveiller. Tout ça est totalement ridicule et tout bonnement impossible !

— C’est ce que tu penses vraiment ? demanda Soline. Que tout ça n’est qu’un mauvais rêve ? Car je peux t’assurer que tout me semble terriblement réel ! À commencer par la douleur !

Dimitri déglutit difficilement, il ne sut quoi répondre et le regard de son amie le laissa perplexe. Lana s’élança sans attendre derrière la petite créature. Soline et Dimitri hésitèrent un instant avant de lui emboîter le pas. Ils ne pouvaient décemment pas rester là à attendre un hypothétique réveil.

Ils suivirent la petite fée en silence. Ce petit génie miniature, qui ne devait pas dépasser les vingt centimètres, avait de longs cheveux dorés remontés en une longue queue de cheval avec des tresses collées sur son crâne. Ses petites oreilles pointues étaient dissimulées par des plumes de hiboux blanches et dorées qui partaient de ses tempes. De grands yeux azur ponctuaient ce visage un peu mutin. Deux ailes surprenantes jaillissaient dans son dos, telles des ailes de chauve-souris dont la membrane fine était d’un violet sombre iridescent, tirant sur le bleu et le vert. Elle portait une robe courte d’un bleu pastel doublé d’un voile transparent et portait un pantalon de toile noir enchâssé dans des bottines.

Soline réalisa qu’elle était très différente de l’image mentale qu’elle avait d’une telle entité. Elle ressemblait davantage à une guerrière viking miniature pourvue d’ailes de chauve-souris plutôt qu’à une de ces fées en résine suspendues dans la chambre de Lana.

La fée, quant à elle, était perdue dans ses pensées : elle appréhendait les dégâts que pourraient provoquer le scepticisme et les préjugés des amis de Lana. Sælanor lui avait assuré qu’elle s’inquiétait trop, et Illissa voulait faire confiance à l’elfe et à son intuition, ses choix. Sælanor n’aurait jamais pris le moindre risque pouvant mettre à mal sa forêt et encore moins l’avenir d’Aéthérÿa. Mais ce qu’elle avait vu et entendu ne la réconfortait pas le moins du monde. La réflexion de Dimitri lui laissait un goût aigre. Elle observa le jeune homme marcher d’un pas décidé vers Lana. Il était bien décidé à lui poser les questions qui s’imposaient. Il lui attrapa le bras et le pressa si violemment qu’il obligea la jeune femme à s’arrêter brusquement. Elle lui jeta un regard sombre.

— Tu savais ce qui allait se passer ! l’accusa-t-il.

— Est-ce que tu réfléchis un peu à ce que tu dis ?

— Ne me mens pas ! dit-il en resserrant son étau.

— Comment pouvais-je savoir ?

— Alors, comment expliques-tu qu’ils te connaissent ? Qu’est-ce qu’on fait ici ? Et puis… bon sang ! C’est une fée ! Une fée ! Enfin, si on peut appeler cette créature une fée ! Est-ce que tu t’en rends compte !? Comment cela peut-il si peu t’atteindre ! s’époumonait Dimitri, déconcerté par son comportement trop calme.

Elle essaya de se dégager.

— Je te conseille de te calmer et de me lâcher ! répliqua Lana d’une voix sombre.

Aux mots de Lana, un coup de tonnerre éclata. Le ciel s’était chargé en quelques instants de sombres nuages, ternissant soudainement la luminosité diurne comme un couvercle de plomb. Une bourrasque fit mugir les feuilles des arbres. Dimitri regarda autour de lui perplexe. Son cœur s’était accéléré, Lana pouvait le sentir battre sur son bras que Dimitri tenait toujours.

— Lâche-moi ! Tu me fais mal ! lui ordonna-t-elle.

Illissa sentit brutalement une goutte d’eau plomber ses ailes. Elle s’entoura aussitôt d’une bulle transparente. Elle regarda le ciel avec une certaine incompréhension, l’orage était arrivé de manière trop brutale. Elle fixa Lana et lut la colère qui marquait son visage. Soudain, les gouttes se transformèrent en une violente averse. Le vent et la pluie leur fouettaient le visage. Dimitri lâcha Lana comme s’il avait reçu une décharge électrique dans la main. Lana le foudroya du regard, puis le dépassa au pas de course pour se mettre sous le couvert des houppiers. Dimitri déglutit difficilement et lui emboîta le pas avec Soline. Il ne comprenait pas, tout ça n’avait aucun sens. Illissa les amena dans une sorte de grotte nichée près du chemin, aux abords de talus et de grands chênes. Sa gueule devait bien mesurer trois mètres de large sur deux de hauteur et conduisait à un puits d’armature végétal.

— Doit-on descendre là-dedans ? C’est quoi ? Une entrée trompeuse vers les Enfers ? demanda Dimitri à court de patience.

— Avance un point c’est tout ! répliqua Lana, qui attendait que Dimitri s’engage dans le puits.

Le conduit était en effet un cylindre naturel d’environ trois mètres de diamètre où les plantes fleuries d’un violet bruyère, d’un bleu calcédoine s’étaient frayé un chemin à travers le roc et les racines des chênes et des hêtres qui le bordaient. Dimitri se pencha pour repérer le meilleur accès. De larges racines tombaient dans le conduit et s’accrochaient à celles qui émergeaient du sol, dans un réseau complexe.

Les aigrettes de quelques dents-de-lion voletaient, offrant à Soline, Lana et Dimitri un ballet aérien féerique. Ils descendirent tant bien que mal, s’aidant des racines pour rejoindre le sol quelques mètres plus bas. Le fond du puits était rocailleux et débouchait sur une bouche plus petite.

— Retour à la case départ ! soupira Dimitri, si au moins ça pouvait nous ramener d’où on vient !

— Dimitri ! Prends un peu sur toi ! s’agaça Soline.

Ils pénétrèrent dans la grotte laborieusement. L’entrée était un boyau argileux de tout juste un mètre de diamètre. Un cauchemar pour claustrophobe. Elle était très différente de celle qui les avait amenés ici. Les trois compagnons furent contraints de ramper au sol, qui s’inclinait sur un pan abrupt. L’argile ne tarda pas à recouvrir à nouveau leur vêtement. Le froid et l’humidité étaient saisissants. Lana grelottait et pas uniquement à cause du froid.

— Je suis vaccinée contre la spéléo pour les cinquante prochaines années ! lâcha Soline, la voix chevrotante, dans une seule expiration.

Ni Lana ni Dimitri ne lui répondirent, trop concentrés à ne pas perdre des yeux la seule et faible source de lumière dans ce dédale ténébreux : Illissa et le halo mordoré qui l’entourait.

Elle les conduisit dans une chambre emplie de cascades et de dentelles de calcaire. Un chant interminable de gouttelettes reflétait la lumière d’Illissa comme une symphonie caverneuse parfaitement orchestrée. Un instant, les trois compagnons se laissèrent aller à la magie des lieux, avant d’être ramenés à la réalité par le murmure répétitif de l’eau contre la roche argileuse. Lana nota la présence de petits cristaux que l’on pouvait entrapercevoir dans les failles de la roche. Illissa les avait conduits aux abords d’un lac souterrain dont l’eau sombre reflétait sur le plafond de la grotte des cercles bleu clair qui se mouvaient au contact des rochers.

— Il faut plonger, nota Lana, songeuse.

— Quoi ?! répondirent Soline et Dimitri à l’unisson.

Par réflexe, ils cherchèrent une autre issue, un autre boyau qui pouvait donner sur une autre chambre.

— Oui, il le faut, confirma Illissa.

— Tout cela ne me plaît vraiment pas, je veux rentrer chez moi ! répliqua Dimitri, agacé.

— Sælanor vous dira tout ce que vous avez à savoir. Lorsque vous l’aurez rencontrée, vous aurez le choix de partir ou de rester, mais attendez au moins de l’avoir vue, s’il vous plaît, les supplia Illissa, inquiète, un peu de patience.

Dimitri soupira. Il ne pouvait résister à la mine déconfite de la créature, réelle ou non.

— Vous promettez que l’on pourra repartir dès qu’on le voudra ?

— Seule Sælanor détient le moyen de vous renvoyer chez vous. La seule chose que nous souhaitons, c’est que vous écoutiez ce que nous avons à vous dire. Le choix vous reviendra ensuite.

— Est-ce que tu as la moindre idée de la température que doit faire l’eau ?

— Pas plus de cinq à dix degrés, supposa Soline.

— C’était une question rhétorique, Soline ! soupira Dimitri avec lassitude.

— Où allons-nous une fois sous l’eau ? demanda Lana à la fée.

— Il n’y a qu’un seul chemin. Un conduit vous guidera à l’air libre. Vous ne pouvez pas vous perdre, les rassura-t-elle avant de disparaître pour rejoindre la forêt où elle accueillerait les trois compagnons.

Une obscurité opaque retomba dans la grotte.

— Ne nous attardons pas davantage, décréta Lana.

— Pourquoi devrions-nous lui faire confiance ? demanda Dimitri, peu rassuré.

— Tu l’as entendu. Si tu veux qu’on puisse repartir, nous devons la suivre et je ne vois aucune autre option pour le moment. Alors pour ma part, je plonge, répliqua Lana en se glissant dans l’eau froide.

La déclivité du lac était rapide : En moins de cinq pas, elle avait déjà de l’eau jusqu’à la taille. Elle ne put avancer plus. L’eau glacée lui coupait le souffle. Parvenant à rassembler le peu de courage qui lui restait, elle s’immergea dans un cri et se mit rapidement en mouvement malgré le froid cinglant.

— Je vous conseille de vous dépêcher, je ne tiens pas à me retrouver en hypothermie.

Dimitri et Soline la rejoignirent en frissonnant de froid.

Lana nagea jusqu’au mur opposé. Le lac formait en profondeur et fuyait vers un canal. À tâtons, l’une de ses mains étudia la paroi, à l’aveugle. Elle avait l’eau au niveau de la bouche quand sa main accrocha un renfoncement. Elle échauffa ses poumons avec de profondes inspirations et expiration pour lui permettre de retenir son souffle au maximum. Dans une dernière inspiration, elle s’engouffra dans le passage, une main devant elle, une sur le côté pour ne pas perdre le repère qu’était la paroi rocheuse. Pendant un moment, Soline eut l’impression de traverser un liquide visqueux, elle ne put s’empêcher de frotter sa peau. L’eau au-delà du liquide poisseux sembla presque brûlante en comparaison avec l’eau glaciale dans laquelle ils venaient de plonger. Un frisson désagréable la parcourut. Elle vit Dimitri près d’elle, qui la dépassa en deux puissantes brasses.

Lorsque Soline sortit de l’eau, elle ramena ses longs cheveux d’ébène en arrière. Ses yeux mirent quelques secondes à s’habituer à la vive lumière du soleil. Lorsque sa vue s’ajusta enfin, ses jambes manquèrent de lui faire défaut. Elle perdit l’équilibre et glissa à genoux dans l’eau. La jeune femme haletait, sentant une certaine peur et une curiosité se disputer les battements de son cœur. Elle se frotta les yeux, s’assurant qu’elle ne rêvait pas. Elle ne savait où poser son regard. Elle s’agrippa à Lana que l’émerveillement figeait.

Dimitri observait ses deux amis. Il avait émergé le premier. Il avait rapidement regardé si aucune menace ne les attendait à leur sortie de l’eau, mais tout était calme. Aussi, il s’était tourné vers la rivière sur laquelle ils avaient débouché pour attraper les mains de ses deux amies pour leur faire gagner la surface au plus vite. À présent, l’une et l’autre portaient le même regard qu’un enfant le jour de Noël, sur la forêt autour d’eux. La méfiance chevillée à l’esprit, il s’efforçait de porter le même regard que Soline et Lana sur ce qui l’entourait, vainement.