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Ourdie au sein d’un établissement de crédit d’un Émirat du Golfe, une énorme escroquerie secoue la Banque Nationale, engendrant de fortes tensions et une intervention policière éruptive. Alors que les assassinats pullulent, les enquêteurs recourent à des méthodes surprenantes pour tenter de déceler la vérité. Francine et Charles, deux jeunes fonctionnaires, côtoient ces tourments qui ne les laisseront pas indemnes. Qui parviendra à élucider ces mystérieuses et cruelles affaires ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Directeur général honoraire de la Banque de France,
Jean-Pierre Patat a écrit plusieurs ouvrages financiers et, plus récemment, des livres historiques parmi lesquels "La crise financière et la fin de l’Ancien Régime" et "De Gaulle, un combat contre tous – 1940-1945", publiés respectivement en 2015 et 2018 par l’éditeur Bernard Giovanangeli.
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Seitenzahl: 305
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Jean-Pierre Patat
Les colonnes de Buren
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean-Pierre Patat
ISBN : 979-10-422-1828-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Francine Montclar, haut fonctionnaire au ministère des Finances
Charles Saint-James, Chef de cabinet du président de la Banque Nationale
André Radcliffe, président de la Banque Nationale
René Lajatte, vice-président de la Banque Nationale
Hermione Saratoga, commissaire à la Brigade financière
Mahmoud Taïeb, ancien ambassadeur de l’émirat du Quenam à Paris
Georges Janvier, directeur des affaires extérieures à la Banque Nationale
Alfred Latournelle, ministre des Finances
Joseph Marianez, inspecteur à la police criminelle
Robert Chabot, directeur de cabinet du ministre des Finances
Pierre Dumoulin de l’Oliveraie, ministre des Affaires étrangères
Julien Dubrulé, directeur de l’hebdomadaire, Le Zèbre à Lunettes
Jean-Claude Tabarin, rédacteur en chef du Zèbre à Lunettes
Julien Perthuis, meilleur ami de longue date de Charles Saint-James
Marianne Perthuis, épouse de Julien Perthuis
Jean Valade, commissaire de police à Saint-Germain-en-Laye
Marie-Antoinette Radcliffe, épouse d’André Radcliffe
Édouard Difental, Président du Conseil
Pierre-Henri Leloup, directeur adjoint des affaires extérieures à la Banque Nationale
Ahmed Benargi, premier secrétaire de l’ambassade du Quenam
Marie-Thérèse Saint-James, mère de Charles Saint-James
Paul Chapardeau, huissier à l’antichambre du président Radcliffe
Lakdar Ben Gazaoui, ou Dugazon, terroriste
Gisèle Salvia, employée à l’ambassade du Quenam
Jean-Louis Pastis, expert en contrats pétroliers
Roger Balleroy, directeur général de la Police criminelle
Yvain, petit ami, durant quelques mois, de Francine Montclar
Jérôme Bessières, commissaire à la Police criminelle
Bernard-Gabriel Laplanque, ministre de l’Économie
Joseph Baraque, ministre de la Défense nationale
Marie-Thérèse Galiffon, secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères
Béatrice de Matief, ancienne fiancée de Charles Saint-James
Barberousse, surnom donné par André Radcliffe au président de la Banque Nationale germanique
Docteur Malouf, chirurgien à l’hôpital Saint-Louis
Florence, premier amour de Charles Saint-James
Albert Piedharend, directeur de la comptabilité à la Banque Nationale
Jacques Durand-Larivière, président de l’Association de Défense des chrétiens d’Orient, ADCO
— Qu’est-ce que c’est ?
Elle me regarde fixement, la bouche légèrement entrouverte.
Ce que les fonctionnaires du ministère des Finances, au moins ceux que l’on qualifie de « hauts », ont en commun, c’est de vouloir en toute occasion être au courant de tout. Convaincus que leur administration est le centre décisionnel du pays, ils ne supportent pas d’être à l’écart de la moindre information. Francine ne déroge pas à ce réflexe tribal. Elle a déjà tourné vivement la tête vers moi lorsque L’air du champagne de Don Giovanni, un gadget dont j’ai eu la faiblesse de doter mon téléphone portable, a retenti. Et maintenant, elle ne me quitte pas des yeux, n’attendant même pas que la conversation soit terminée pour manifester son impatience. Une impatience traduite par ce « qu’est-ce que c’est ? » plutôt trivial. Il faut dire que je ne lui facilite pas la tâche, car les seules paroles que je proférerai au cours de l’entretien sont « si tôt ? » et « d’accord ».
Francine, une si jolie fille, prenant plaisir ou se croyant obligée, vu ses éminentes fonctions, à attrister son charmant physique par des tailleurs pantalons de teinte muraille, des chignons aux formes absconses et des lunettes dont on peut, en deux secondes, constater qu’elle n’en a pas vraiment besoin. Comme si elle craignait de ne pas être prise au sérieux, en dépit de ce prénom, un prénom que des parents patriotes donnaient à leur nourrisson durant les années d’occupation et devenu rare dans sa génération.
Pour cette sortie que nous faisons ce soir à la Comédie française, elle s’est tout de même relâchée, avec sa robe légère bien appropriée à cette belle soirée de juin, ses cheveux souplement retenus par un catogan. Hélas, elle a conservé ses lunettes qui, heureusement, vu la minceur des verres ne voilent pas le bleu de ciel mycénien de ses yeux. Ce bleu devenu presque féroce à force de curiosité mal contenue.
— Qu’est-ce que c’est ? répète-t-elle, la communication à peine terminée.
— Suis-je obligé de te répondre ?
— C’est inouï ! Nous parlons tranquillement. Ta crécelle mozartienne nous interrompt et je devrais sagement patienter en attendant que tu veuilles bien revenir à notre conversation. Monsieur Charles de Saint-James, chef de cabinet du président, aurait quelque chose à me cacher ?
Elle a pris ce ton vipérin qu’elle emploie fréquemment dans les réunions professionnelles pour impressionner ses interlocuteurs. Un comportement souvent exaspérant, mais qu’une femme ayant quelques responsabilités est quelquefois obligée d’avoir devant la masculinité, au mieux sceptique ou ironique, au pire méprisante, voire carrément hostile.
Dans un sens, elle n’a pas tort. Je suis le premier à pester lorsque mon vis-à-vis se croit autorisé à interrompre notre dialogue pour saisir goulûment son portable.
— C’est peut-être privé. J’ai le droit, non ?
— Non ! D’ailleurs je suis bien certaine que ce n’est pas privé comme tu dis. Il n’y avait qu’à voir ta tête !
Je me demande parfois si cette amitié qui nous lie depuis près de deux ans n’est pas téléguidée par ses supérieurs. Des supérieurs plutôt avides de s’informer sur ce qui se passe à la Banque, et qui auraient imaginé ainsi pouvoir, à bonne source, s’enquérir de ce qui se trame dans une maison qui ne cultive pas l’extroversion. Oui, à la source, car mes fonctions de chef de cabinet du président de la Banque Nationale font de moi, certainement pas le plus important, mais son plus proche, son plus constant collaborateur. Il y a bien sûr des aspects opérationnels avec le rôle de filtre que j’assume pour canaliser, voire trier, commenter la marée de notes et de courriers dont il est destinataire, ce qui ne va d’ailleurs pas sans frictions avec les services concernés. Mais j’assume également les tâches logistiques devant permettre à un homme aux responsabilités énormes d’être toujours opérationnel, dégagé des contingences matérielles attachées à un emploi du temps quelquefois inhumain et grevé à plus de la moitié par des déplacements à l’étranger. Agent de voyage, nounou, confident de son patron, allant même jusqu’à dire à son épouse combien de paires de chaussettes et de chemises il faut prévoir pour le périple qu’il va entreprendre, avec des accompagnants divers, mais jamais sans moi. Des fonctions, pour certaines d’entre elles plutôt ancillaires et qui, parce qu’ancillaires, me permettent, sans que je fasse beaucoup d’efforts, d’être au courant de presque tout.
Elle s’est assise sur une des colonnes que Buren a installées dans la cour du Palais Royal. Des colonnes qui ont déchaîné les passions, provoqué les clameurs des gardiens du temple de l’architecture à la Française et accessoirement de ceux qui garaient leur voiture à cet emplacement. Des clameurs bien oubliées aujourd’hui et qui pourraient faire place à des lamentations tant le lieu a mal vieilli. Le sol, déjà guère avenant lors de l’inauguration, est maintenant strié de traces noirâtres. La petite rivière qui faisait la joie des touristes et où on jetait des pièces est souvent tarie. Même la belle matière des colonnes a souffert des outrages du temps. Je lui en fais la remarque, mais elle ne me répond pas. Elle boude.
— Bon ! je vais te dire ce qu’il en est et tu vas être déçue. C’est René qui me prévenait d’une réunion impromptue avec le président demain à 8 h.
— Si tôt ?
— Toi qui ne perdais pas une miette de l’appel, tu as pu constater que c’est la remarque que je lui ai faite.
— Et René ne t’a pas dit pourquoi le président, qui déteste se lever avant l’heure de l’apéritif, a organisé cette réunion ?
René ! Le vice-président. Peut-être le seul haut responsable de la finance française que toute la place de Paris appelle uniquement par son prénom. Il faut dire que ce personnage, quelque peu hypocondriaque, dont la gentillesse n’a d’égale que la légèreté professionnelle, a su attirer la sympathie générale parce qu’il est prévenant et tellement inoffensif !
— Tu as pu constater la brièveté de la communication. Non, il ne m’a rien dit.
Elle fait toujours sa tête des mauvais jours et moi, qui dois être dans un bon, j’ajoute :
— Allez ! Sois tranquille, je te dirai lorsque je saurai.
Elle me sourit enfin.
— Si j’estime que je peux te le dire ! Allons-y. C’est l’heure.
Athalie est la première pièce de Racine que j’ai étudiée au lycée. Une entrée en matière plutôt rude, mais c’était au programme, et qui m’avait ébloui. Plusieurs dizaines d’années après, j’avais couru voir la pièce dans un théâtre où, d’après les critiques, la mise en scène était bouleversante. On pouvait la qualifier ainsi… ou la trouver… abracadabrantesque. Voire grotesque. Athalie en mère maquerelle manouche, Joad en parrain mafioso, Abner en nervi, et Joas en jeune délinquant au grand cœur ! Alors, j’avais besoin de ce spectacle à la Comédie française dont je savais bien que la mise en scène n’était pas « bouleversante », mais qui, j’en étais sûr, me replongerait enfin dans ce souvenir magique.
Effectivement, ce n’était pas bouleversant. C’était simplement bien, retransmettant avec justesse le caractère imposant de cette vieille reine, scélérate, mais d’une formidable grandeur, jusque dans ce moment de lucidité tardive et désormais inutile : « Impitoyable Dieu ! Toi seul as tout conduit ! »
Francine a aimé. Nous avons beaucoup de goûts communs dont l’un, assez rare, est une certaine indifférence pour le cinéma. Indifférence quelquefois difficile à vivre avec nos entourages, plus cinéphiles, voire pour certains cinéphages qu’amateurs de théâtre ou d’opéra.
— Il faut que je te dise quelque chose.
Nous nous sommes assis sur la terrasse de ce joli café de la place Colette. Il est vingt-deux heures passées et la lumière du jour n’a pas encore complètement disparu. Ce lieu, dont l’atmosphère semble avoir emprunté sa couleur ambiante à celle de la pêche, avec sa palpable impression satinée, je le considère comme l’un des plus envoûtants de Paris. Il n’a rien de majestueux, de solennel. Pas de perspectives, pas de monument imposant. Ce pourrait être le point central d’une grande ville autre que la capitale, mais, alors que le vacarme de la circulation l’effleure, il dégage un irrépressible effluve d’humanisme, d’intelligence de vivre. Sur moins d’un hectare, à une heure ou à une autre on y trouve un rare concentré de vie. On y rencontre des fonctionnaires du Conseil d’État bien habillés, des agents du ministère de la Culture, affectant un comportement d’intellos relax, avec presque tous une longue écharpe rouge, des fanatiques de la planche à roulettes, des couples enamourés qui se retrouvent dans le café où nous sommes assis, le patron qui, à cette heure tardive, essaie à tout prix de refiler aux clients les tartes aux pommes qui lui restent, des touristes asiatiques pressés d’aller vers ce qui présente le moins d’intérêt, les colonnes, des habitués de la librairie qui manipulent frénétiquement les livres d’occasion présentés dans des bacs, des vieux et des vieilles qui se chauffent au soleil avec leur chien sur un banc, des vendeurs de journaux, des riches qui sortent de l’hôtel du Louvre et des chasseurs qui les accompagnent à leur voiture, des pauvres qui draguent, qui extraient des journaux des bacs dans lesquels les ont jetés des lecteurs pressés, des comédiens qui parlent fort, des amateurs de cigare qui sortent de l’une des désormais très rares boutiques où l’on en vend, des auteurs qui font des séances de signature dans les locaux de la librairie, des dames qui courent pour ne pas rater l’unique taxi qui se trouve à la station de l’autre côté de l’avenue, des mères de famille qui amènent leur progéniture au bac à sable du jardin… du sable venu tout exprès de Deauville, des Chinois qui ne savent pas par où on entre au Musée du Louvre, des pigeons. On pourrait parler des boutiques, pour beaucoup improbables, qui occupent les arcades du Palais, avec, par exemple, celles qui exposent des figurines, en se demandant qui achètera celle représentant Marie-Antoinette allongée sous la guillotine ? On pourrait s’étendre sur le théâtre permanent de l’espace qui abrite notamment les fameuses colonnes, les positions se voulant acrobatiques, comiques ou lascives dans lesquelles se font photographier les visiteurs, les filles qui se font bronzer assises sur les marches de la fontaine. On pourrait aussi se rappeler un peu d’histoire dont ces lieux regorgent, avec la brasserie Raguenau, repère de Cyrano, les jardins du Palais où le jeune Bonaparte rencontra la prostituée qui le déniaisa, et où les harangues enflammées de Camille Desmoulins frappèrent les premiers coups de la Révolution.
Elle a allumé une cigarette.
— Je vais entrer au cabinet de Latournelle.
— De cet abruti !
— Un abruti ministre des Finances…
— On ne le sait que trop !
Albert Latournelle. Il n’y avait pas que moi pour affubler le ministre de ce qualificatif peu flatteur. Surdiplômé et pourtant manquant souvent de bon sens, commettant des erreurs d’analyse qu’il imputait ensuite à ses collaborateurs. Moyennement cultivé au surplus, en tout cas dans certains domaines, et en dépit de ses diplômes. N’avait-il pas un jour, lors d’un voyage officiel en Russie, confondu l’opéra Carmen, il est vrai chanté en langue locale, et que ses hôtes avaient programmé pour l’honorer au cours d’une soirée au Bolchoï, avec de la musique russe ? Un vaniteux qui devait sa position ministérielle à la situation stratégique qu’occupait son parti, le Parti des Démocrates de Progrès, le PDP, une petite formation à la ligne politique plutôt ectoplasmique, mais un parti « charnière » indispensable pour former une majorité parlementaire. « Vous savez quelle est la définition de “charnière” Saint-James ? “Espèce de gond !” » Une des gamineries du président que je ne répéterai pas à Francine pour ne pas gâcher son plaisir, tellement visible à l’idée de franchir une marche, pouvant être décisive, sur l’échelle des plus hautes fonctions.
— Mais dis-moi, passe pour le ministre que tu ne verras peut-être qu’une fois par mois. Mais il faudra bien te payer Chabot. Celui-là ce n’est peut-être pas un crétin, encore que… mais au bal des faux-culs, il décrocherait aisément un oscar.
— Oh là, là ! Vous tournez à l’atrabilaire dans votre boutique ! Personne ne trouve grâce à vos yeux. Ça ne vous réussit vraiment pas la solitude !
— Bon, c’est ton affaire. Mais c’est ton chef qui ne doit pas être content. Lui qui t’apprécie autant qu’il déteste Chabot !
— Écoute, je suis terrorisée. Je ne le lui ai pas encore dit.
— J’apprécie la confiance dont tu me fais l’honneur, mais tu devrais te dépêcher de l’avertir, même ce soir, n’hésite pas, après tout, les portables sont faits pour ces situations, car Chabot ne va pas traîner pour le faire, s’il ne l’a déjà fait. Et alors vraiment, Guilliard sera peiné, car c’est un chic type. Oui un chic type : tu vois, on ne déteste pas tout le monde.
— Chabot m’a dit qu’il n’en parlerait pas avant moi.
— Tu peux compter sur lui !
— Oui c’est vrai. Guilliard est un type bien.
— Dont de surcroît tu es amoureuse.
Il lui arrive rarement de rire aux éclats, mais là, elle se libère.
— N’importe quoi !
— Alors de moi ?
— Dieu m’en garde !
Ce n’était pas très fin de lancer ça. Mais je me demande combien de temps cette situation peut durer. Une situation où un homme et une femme sortent ensemble assez fréquemment, préfèrent visiblement être à deux qu’en groupe, mais ne s’écartent pas d’une relation de pure amitié. L’amitié, cette fleur rare que la nature humaine peut faire éclore au milieu d’un terreau de médiocrité, a été abondamment et souvent génialement décrite et analysée par de multiples auteurs. Encore jamais avec autant de profondeur que par les Grecs et les Romains qui avaient décelé ce qu’elle pouvait représenter de meilleur dans la nature humaine, et aussi la fragilité dont elle pouvait souffrir. Pour tous, elle est l’apanage, l’exclusivité des hommes. Pas d’amitié entre femmes. Alors, entre un homme et une femme ! L’amour sans sexe ne pourrait être à leurs yeux que mono sexiste. En tout cas, toutes nos relations, hommes et femmes, s’ils n’ont peut-être pas lu Platon, Catulle ou Caton, n’en manifestent pas moins un scepticisme, pour ne pas dire une incrédulité totale envers la nature affichée de notre relation, ce sentiment s’exprimant bien sûr avec des degrés divers de délicatesse.
— Ce que j’en dis, moi, c’est pour toi. À ton âge, il faudrait faire une fin.
C’est vraiment nul, surtout qu’elle est encore bien jeune. J’avance la main pour lui serrer le bras en signe de contrition. Mais elle ne se laisse pas toucher. Elle se recule sur sa chaise, devenue vipérine.
— Parce que tu crois que ta situation de vieux garçon, valet de chambre de son président et qui reprise ses chaussettes, est à ce point normale ?
Bon, mieux vaut arrêter là. De toute manière, il est tard et je lui suggère de rentrer dans nos domiciles respectifs.
Elle m’embrasse, mais entre les deux bises réglementaires, trouve le temps de me rappeler :
— Tu m’as promis que tu me dirais pour la réunion de demain !
— Tu sens le tabac et en plus tu te jaunis les dents !
Chez moi, j’appelle René.
J’habite un appartement de modeste dimension, mais que je ne quitterais sous aucun prétexte, car il est situé dans l’île Saint-Louis, à un étage certes plutôt élevé, qu’il faut atteindre sans le secours d’un ascenseur, pas dans la partie la plus huppée ni la plus ensoleillée, mais qui donne tout de même sur le quai. Un appartement acquis il y a près de dix ans, grâce notamment à un petit magot issu de la rémunération assez généreuse d’un organisme international pour une mission à risques dans un pays à la dérive, et que je ne pourrais sans doute plus m’offrir aujourd’hui.
— Je ne vous dérange pas ?
— Pas du tout ! J’étais en train de regarder Les Cordier et ça peut facilement s’interrompre.
Ça, c’est tout René. D’abord ne pas se formaliser qu’un subalterne le dérange à minuit passé. Ensuite, dire tout bonnement qu’il regarde une série policière. Alors qu’à une heure où la télévision a la prétention de programmer des émissions « sérieuses » ou « culturelles », tous ses congénères prétendraient évidemment être scotchés devant l’une d’entre elle, ou, à la rigueur, devant CNN.
— Pardonnez-moi, mais vous n’avez aucune idée de la raison de cette réunion à 8 h ? 8 heures ! C’est l’heure de décollage d’un charter pour comité d’entreprise !
— Aucune Charles. Tout ce que je peux vous dire, c’est que le président n’avait nullement l’air stressé. Il ne s’agit donc pas forcément d’une catastrophe !
Je ne dis pas à René que le président est capable de piquer de belles colères, voire de les simuler, mais qu’il sait aussi quand il le faut avoir une colossale maîtrise de soi et que le fait qu’il ne paraisse pas « stressé » ne contredit en rien une catastrophe à venir. Et des catastrophes, l’époque y est propice comme les longs week-ends le sont aux accidents de la route. Et spécialement dans notre domaine.
Il faut le dire tout net. Le président André Radcliffe est un personnage sachant admirablement se rendre odieux. Brutal, même quelquefois limite grossier, persuadé d’être entouré d’imbéciles et le faisant sentir, notamment par un esprit assez systématique de contradiction. Cela, c’est la teinture générale. Mais il y a aussi les petits à-côtés : une incroyable propension à la coquetterie et à l’admiration de son physique qui l’encourage à draguer avec le plus extrême culot toutes les femmes à ses yeux à peu près présentables qu’il est amené à rencontrer, et ceci sans aucun complexe ni interdit ; entreprendre de séduire l’épouse d’un ministre, ou même celle d’un de ses collègues entrevue lors d’un voyage officiel ne le gêne nullement. Quant aux fonctionnaires de son institution ! Le « bel André » s’est ainsi taillé une réputation internationale qui ne ternit cependant pas son personnage, machisme aidant. Mais il faut dire aussi que ses compétences professionnelles, ses intuitions, bref le brio de son action, sont reconnues de tous. En dehors de la gent féminine, il n’y a finalement que deux personnes avec qui il se montre quelque peu vivable : René et ma modeste personne. René, parce qu’il est tout de même confortable d’avoir un second qui est à des années-lumière de votre niveau de compétences. Moi, non parce qu’il me trouve plus intelligent que mes collègues, mais parce que, comme disait l’autre, « il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre », et que, même si je n’ai pas officiellement cette fonction que Francine m’attribue aimablement, certaines des multiples tâches que je suis amené à faire pour son compte ont créé entre nous une familiarité qui rejaillit sur son comportement général à mon égard, même si je ne suis jamais à l’abri d’un coup de griffe.
Pour l’heure, nous ayant convoqués à 8 h, il n’est toujours pas là à neuf heures dix, ce qui ne m’étonne guère, ayant constaté à maintes reprises la difficulté qu’il avait à se lever tôt. Il a toutefois pris la peine d’avertir qu’on nous introduise dans son bureau avant même son arrivée. Un bureau dans lequel le président a fait un pied de nez aux contraintes imposées par le caractère historique du bâtiment qui abrite la Banque. Il a renvoyé dans les dépôts l’ameublement Premier Empire dans lequel travaillait son prédécesseur et l’a remplacé par des meubles modernes nullement agressifs et du meilleur effet. « On peut enfin, dit-il, s’asseoir sans craindre de démantibuler une chaise classée ».
André Radcliffe survient enfin, traverse rapidement la vaste pièce, non sans jeter un coup d’œil à sa silhouette et vérifier sa coiffure en passant devant le miroir qui surplombe la cheminée. Avant de s’asseoir, il redresse d’un doigt la vétuce qui orne le mur du fond de son bureau et qui, en dépit des attentions rigoureuses apportées à vérifier la centralité de sa suspension, manifeste une facétieuse tendance à pencher à droite.
— Il faudrait mettre un petit clou sous le tableau en bas, à droite, murmure Georges Janvier.
Outre René et moi-même, le président a également convoqué le directeur des Affaires extérieures.
— Monsieur Janvier, rien que pour ça, il faudrait l’intervention des monuments historiques… Bon, messieurs, comme vous vous en doutez, si je vous ai convoqué si tôt, c’est en rapport avec la crise que traverse notre monnaie. La nouvelle que je vais vous livrer serait plutôt bonne, mais crée une situation qui devra se gérer.
Petit silence de rigueur attestant que nous buvons les paroles du maître.
— Je viens d’être contacté par mon collègue de la Banque Nationale de l’Émirat de Quenam. Les Émirats sont très attentifs, d’abord au dollar qui est depuis des lustres la monnaie qu’ils privilégient, mais dont ils sont conscients des faiblesses. Mais ils le sont aussi à nos problèmes ; ils considèrent qu’un affaissement de la monnaie européenne, pour ne pas parler de sa disparition, serait une catastrophe, pas seulement européenne, mais planétaire. En conséquence, m’a-t-il dit, ils allaient convertir la plus grande partie de leurs avoirs en réserves, présentement placés en titres en dollars, en écus afin de les investir dans le Fonds européen de Solidarité, le FOS pour être court, que nous avons créé il y a quelques mois, et qui pour l’instant manque cruellement de moyens. Ils ont choisi notre institution comme point d’entrée de cette opération. Comme je vous l’ai dit, c’est bénéfique, mais ça doit se gérer.
On peut dire que cette nouvelle fait son effet sur René qui manifeste sa stupéfaction avec une telle spontanéité que c’en est attendrissant.
— C’est proprement inouï, comment peuvent-ils envoyer une telle nasarde aux Américains ?
— Mon pauvre René, la finance américaine a suffisamment fait de conneries depuis quelques mois pour que l’on puisse s’interroger sur la solidité et l’avenir du dollar et, comme je vous l’ai dit, il y a chez ces gens une vraie préoccupation quant à l’avenir de notre espace monétaire.
— Ça fait combien ?
Janvier, qui est sans doute le seul collaborateur immédiat du président à rarement se laisser impressionner et qui a l’esprit pratique, n’a pas hésité à interrompre des propos qu’il devait juger oiseux.
— Cent soixante-dix milliards de dollars.
Nouveau concert d’exclamations de René qui, visiblement, n’a pas une idée très précise des besoins qu’exige la situation de crise quasi permanente dans laquelle nous baignons.
— Ça ne fait jamais que cent cinquante milliards d’écus
— Allons, Janvier, pour une fois ne jouez pas les scrogneugneux !
Le président a un indéfinissable sourire.
— J’ai tout de suite prévenu Marenen à Aix-la-Chapelle. C’est dommage que je ne puisse pas voir la tête de « Barberousse » lorsqu’il apprendra cela !
Marenen est le président, un Finlandais, de la Banque fédérale européenne, Eurofed, et Barberousse le sobriquet par lequel notre dirigeant désigne son collègue qui dirige, outre-Rhin, la Banque Nationale
— De toute manière, ça ne fera que transiter dans nos comptes. Il fallait bien que ça passe quelque part.
Radcliffe se tourne vers moi. Il me toise comme il a coutume de le faire lorsqu’il considère que mes propos sont au-dessus de ma condition. Il me toise d’autant plus que, comme il y a une fenêtre dans mon dos, la plupart du temps, il ne voit pas distinctement les traits de mon visage. À tel point que j’ai eu quelquefois la tentation de lui tirer la langue pour voir s’il s’en apercevrait.
Il ne trouve en tout cas rien à répondre à ce que j’ai dit qui relève de l’évidence.
— Les Finances sont prévenues ?
Un pas trop loin.
— Merci de me rappeler mes plus élémentaires devoirs, Saint-James, j’ai prévenu le ministre bien sûr, en lui demandant de n’en parler à personne pendant toute la journée, l’opération devant avoir lieu cette nuit.
On peut être sûr qu’il va tenir sa langue, ricane Janvier. À l’heure actuelle, au moins cinquante personnes doivent tout savoir.
En tout cas, cette nuit, Francine n’en savait rien. Je l’avais oubliée. Vais-je tenir ma promesse de lui dévoiler l’objet de la réunion ?
— Gardez vos opinions sur le ministre pour vous, monsieur Janvier. À l’heure actuelle, vous devriez déjà avoir rédigé une note à mon intention, me décrivant les modalités techniques de l’affaire à venir.
— Vous l’aurez, Monsieur le Président… si vraiment vous y tenez, mais, croyez-moi, il n’y a rien de compliqué là-dedans. Les mouvements de fonds entre nos institutions sont courants. Celui-ci est simplement plus important que les autres.
— Nos comptes sont sécurisés ?
— Je vous demande pardon ?
— Oui, sécurisés. N’importe qui ne peut pas les mouvementer, je suppose.
— Évidemment ! Très peu de personnes ont accès aux comptes de nos correspondants des autres Banque Nationale : vous-même, le vice-président, mon adjoint, le directeur de la comptabilité et moi-même, accès moyennant un code secret.
Le président a un léger sursaut que j’interprète, connaissant son naturel pagailleux, comme une interrogation sur le libellé de ce fameux code qu’il ne connaît certainement pas par cœur et l’endroit où il l’aurait conservé.
— Je serai évidemment présent lorsque le virement sera effectué, à condition de savoir le jour et l’heure de l’opération, conclut Janvier.
— C’est cette nuit, en tout cas chez nous. Mettez-vous en rapport avec votre homologue de la Banque de l’Émirat. Il vous donnera d’autres détails… Bon, je pense que nous avons tout dit. Inutile, messieurs, de vous préciser de garder la plus entière discrétion.
De retour dans mon bureau, je n’hésite pas longtemps. Le ministre a certainement parlé et il est possible que Francine soit désormais au courant. La prévenir ne me paraît pas une monstrueuse atteinte à la morale. Si je ne le fais pas, elle va bouder des jours et des jours et, je l’avoue, ça me contrarierait. L’histoire est certes emplie de brutales dégringolades de personnages, hauts ou moyens qui, par faiblesse pour une femme, ont compromis des intérêts souvent majeurs. Mais dans le cas présent, qu’elle sache quelques heures avant une information dont elle aura de toute manière connaissance ne me paraît pas une monstruosité. J’utiliserai toutefois de préférence mon portable.
— C’est un gag ?
Elle n’est donc pas au courant et sa première réaction, qui ne m’étonne guère, consiste à tenter de minimiser une information dans laquelle elle n’a aucune part.
— C’est tout ce qu’il y a de plus sérieux.
— Mais enfin, une décision de cette importance, ça se communique de ministre à ministre et pas entre échelons subalternes.
Toujours ce penchant systématique à tout analyser en termes de lutte de pouvoir ou d’influence… et à rabaisser les autres.
— Merci pour les échelons subalternes, mais ma pauvre cocotte, les gouvernements donnent suffisamment la preuve de leur légèreté pour qu’on préfère s’adresser tout de suite aux véritables pilotes de l’avion.
— Ah bon ?
J’interromps son début de protestation :
— Pilotes de l’avion, et en plus celui qui est techniquement en mesure d’assumer la situation. Comment ton ministre pourrait-il recevoir cet argent ? Sur son compte épargne-logement ?
— Ni Guillard ni Chabot ne m’ont rien dit. Peut-être ne sont-ils pas eux même au courant.
— C’est toi même qui as parlé d’échelons subalternes…
Ce n’est pas très sympathique, mais la perche était grosse. Dans la foulée, je lui demande si elle a prévenu Guillard de son départ pour le cabinet du ministre.
— Oui, je le lui ai dit. Il n’était pas très content, et furieux après Chabot qui, contrairement à ce que tu prévoyais, ne lui avait rien dit alors qu’hier ils ont déjeuné ensemble.
Il était un peu plus de 6 h 30 lorsque la sonnerie du téléphone a fait sursauter le brigadier de garde au commissariat de Saint-Germain-en-Laye. L’homme planche sur des mots croisés et cherche un mot de quatre lettres dont la définition est : « Il a un nom du tonnerre. » Il va juger la nouvelle suffisamment importante pour en aviser sans tarder le commissaire. On venait de découvrir le cadavre d’un homme à l’intérieur d’un conteneur à herbes dans un lotissement proche.
Dans cette banlieue moyennement huppée de l’Ouest parisien, c’était effectivement le jour des végétaux. On le sait, dans notre société, le parfait citoyen est désormais, au moins autant que celui qui respecte la propriété et la vie d’autrui, celui qui trie correctement ses déchets.
Il était très tôt, mais le soleil rasait déjà les pelouses et les bosquets, les résidents dormaient encore et la benne, immobile, ronronnait.
Le commissaire Jean Valade, encore vaseux après son réveil matinal, regarde l’homme dont le corps a dû rouler hors du bac à herbes pour aller buter sur un arbre dans une position proche de l’agenouillement. Si la présence de cet étrange intrus n’incitait pas à une réflexion anxieuse, on aurait pu avec bonheur s’imprégner de ces odeurs et de ces teintes délicates que distillait la naissance de cette belle journée d’un été proche. Le commissaire se prend à fredonner l’envoûtante musique Au matin de Grieg. Mais il se reprend. Pour l’heure, l’astre montant ne fait que rendre brillant le crâne et les tempes de l’homme. Il n’y a pas de trace de balle ni d’éventration, mais, sur le crâne, une profonde éraflure entourée de noir qui pourrait résulter d’un choc violent, cause possible d’une mort instantanée. Il porte costume et cravate. Des touffes d’herbe s’accrochent à son vêtement et une tige de rosier a éraflé sa chemise.
— Qu’est-ce qu’on va en faire ? murmure l’un des trois préposés.
— Certainement pas le remettre dans la benne, répond Valade. L’assassin croyait sans doute qu’il n’en sortirait pas. L’homme aurait été réduit en bouillie et… ni vu ni connu.
— Impossible, monsieur le commissaire, on ouvre toujours le couvercle des bacs et on regarde l’intérieur avant de les encastrer sur la benne. Parfois qu’on y trouve quelque chose de pas réglementaire. Tenez un jour, quelqu’un y avait mis le cadavre de son chat. Il l’avait recouvert d’herbes, mais une patte….
— Ça va, elle dépassait ! On est bien devant la maison d’où, apparemment, a été sorti le bac à herbe ?
Tout en parlant, le commissaire explore les poches de la veste et du pantalon de la victime, lesquelles sont vides.
— Bizarre d’être habillé de pied en cap comme pour sortir en n’ayant rien dans ses poches.
Ce n’est pas agréable d’être réveillé aux aurores par un policier, encore moins lorsqu’on apprend qu’on a abrité un cadavre de si étrange façon. Mais l’homme garde son sang-froid. Il s’est même permis une plaisanterie : « Ce doit être un très petit monsieur ! » Il ne connaît pas le mort et n’a pas été autrement surpris lorsqu’il a sorti son conteneur. Ce n’est pas lui qui l’a rempli et il sait que des herbes très denses peuvent être extrêmement lourdes. Bien qu’agacé, le commissaire constate qu’effectivement l’homme est de très petite taille, ce qui lui avait échappé jusqu’alors compte tenu de sa position recroquevillée. La scène devient plus tendue lorsque la femme sort de la maison et rejoint le groupe. Elle est en survêtement et, dit-elle, s’apprêtait à aller faire son jogging. Le commissaire réalise à ce moment qu’on est samedi. La femme est surtout préoccupée que l’on enlève le corps le plus rapidement possible et manifeste son mécontentement lorsqu’on lui répond qu’il faut au minimum attendre le médecin légiste.
Le commissaire Valade regarde le mari avec une mimique pouvant signifier « elle est toujours comme ça ? ».
— Remarquez, poursuit-elle, ça devait arriver, avec tous ces Arabes dans le coin !
— Que voulez-vous dire ?
— Ces temps derniers, une voiture noire est venue au moins à deux reprises jusqu’à l’immeuble que vous voyez là-bas. Qu’est-ce que venait faire une voiture d’ambassade dans ce coin ?
Le commissaire ne relève pas la dérive par laquelle des faits, en apparence banals, deux passages d’une voiture présumée diplomatique, s’étaient mués dans l’esprit de la femme en « des Arabes dans le coin ».
— Ce n’était pas forcément une voiture d’ambassade.
— Une grande Mercedes noire, avec des vitres teintées, c’est quand même un signe non ?
— Mais enfin vous n’avez aucune preuve que ce sont des Arabes.
La femme n’est pas longtemps décontenancée :
— Écoutez, quand on a des vitres de sa voiture teintées, c’est qu’on n’est pas net, qu’on a quelque chose à cacher donc.
— Je ne vois toujours pas le lien avec des musulmans.
— Jamais vu cette voiture murmure le mari.
— Évidemment, c’est 9 h du soir, c’est quand je vais à mon cours de danse moderne.
Le commissaire regarde la femme. Jogging et danse lui ont donné la minceur d’une tige de vanille, mais n’ont rien pu faire pour les traits de son visage, sur lequel il ne manque qu’une moustache pour qu’on la prenne pour un homme.
Les propos de la joggeuse ne sont pas du tout convaincants sur la nationalité supposée des visiteurs du soir, mais l’homme que l’on vient d’assassiner a incontestablement un visage sémite.
L’arrivée du médecin légiste interrompt la conversation. Il confirme que l’homme a été frappé avec un objet lourd, peut-être une barre, probablement métallique, mais à l’arête vive. C’est arrivé, il n’y a guère plus de cinq ou six heures.
Le commissaire Valade s’efforce de réfléchir. S’agit-il d’un règlement de compte entre malfrats, ou d’une affaire plus compliquée ? La deuxième hypothèse tient la route étant donnée la tenue de la victime et les propos de la femme. Dans ce cas, il ne se sent pas de conserver l’affaire pour lui. D’autant plus que si les occupants de la voiture ont quelque chose à voir là-dedans, ils ne craignent pas de se faire remarquer par leurs allées et venues, ce qui dénote soit de l’inconscience, soit plus vraisemblablement un sentiment d’impunité. Ce qu’a dit la femme sur une possible voiture d’ambassade n’est donc pas forcément absurde.
Par acquit de conscience, Valade décide d’aller jusqu’à l’immeuble qu’elle lui a désigné.