Les démons de Paul - Christophe Avella Bagur - E-Book

Les démons de Paul E-Book

Christophe Avella Bagur

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Beschreibung

À l’âge de quarante-neuf ans, Paul choisit de résider dans un village où la vie en communauté prévaut, à l’écart de l’influence du monde moderne et virtuel. Au sein de cette communauté, il tisse des liens d’amitié avec Jacques, un ancien pêcheur, à qui il se confie au sujet de la sensation de vide qui hante sa vie émotionnelle. Ces sentiments contrastent avec la relation durable de ses parents qui demeurent unis jusqu’à la fin de leur existence. Cependant, un drame bouleversant survient et Paul, animé par l’espoir de raviver une romance passée, se lance dans un voyage au cœur de ses souvenirs familiaux.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Christophe Avella Bagur est un artiste peintre international. Ses écrits littéraires entremêlent imagination lyrique et picturale pour révéler ses pensées sur la vie et le monde. Ainsi, en 2020, il dévoile son premier opus poétique, "51 Tons Of Life" paru aux éditions Sydney Laurent. L’année suivante, il fait ses premiers pas dans l’univers de la fiction et autoédite "Les baies rouges d’églantiers", son premier roman. Désormais, dans la même catégorie, il nous présente "Les démons de Paul". Pour l’auteur, ces œuvres sont autant de portes ouvertes vers des « voyages immobiles ».

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Christophe Avella Bagur

Les démons de Paul

Roman

© Lys Bleu Éditions – Christophe Avella Bagur

ISBN : 979-10-422-0694-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À ma joie, ma femme Caroline,

À mes grands hommes, Joshua et Nathanaël,

À Charlette et Christian Bagur, mes parents disparus.

Chapitre I

Je sais que tu m’aimes, tu sais que je t’aime, mais c’est un feu condamné que nous prolongeons inutilement. Je me lasse de notre relation et je n’ai toujours pas fait le deuil de mon premier mariage ! Ces phrases lancinantes décochées, Paul les avait prononcées des centaines de fois. Il les avait vues rémanentes d’autres centaines de fois à la surface de ses paupières fermées, telle la persistance d’une lumière crue. Comme lorsqu’enfant sur les plages d’été, il suivait du regard avec excitation la trajectoire des monomoteurs volant au-dessus du rivage bleu céruléen, des rubans publicitaires transparents scintillants accrochés en queue de fuselage pour annoncer une corrida estivale, une soirée flamenco, un taureau piscine dans les arènes de la station balnéaire. Ces phrases furent la tasse à boire de trop. Il en connaissait chaque vibration frappée dans sa bouche d’une pénible estocade. Ces phrases arrivèrent deux ans auparavant de la part de sa compagne avant qu’ils se quittent pour toujours et que leurs êtres se diluent dans la mécanique du temps.

Ce fut un arrêt net de la vie, d’une vision, d’un partage passionné et des riens du quotidien. Subitement, une frontière s’était installée, marquée des termes de l’avant et de l’après, soutenue par une impression de gaspillage et d’un temps irrémédiablement perdu. La conscience savait que rien ne pouvait être fait pour échapper à la fin. Pourtant, pendant un laps de temps, Paul ne se résigna pas, il écrivit à sa compagne pour lui dire combien sa présence était un pilier dans son existence, un but dans sa vie d’homme. Mais l’impermanence biologique des corps avait toute puissance pour investir le devenir des cellules et orienter leur mutation dans des formes opposées. Les odeurs ne s’attiraient plus, les chaleurs s’inversaient, les touchers révulsaient. Alors Paul choisit d’abandonner le monde, de se mettre en retrait, de s’installer sur un bout de terre lointaine. À quarante-neuf ans, il décida d’acheter une maison à rénover à Tudelita, un village de pêcheurs quasiment en ruine à quelques kilomètres d’un cap à la roche volcanique.

Paul avait enseigné comme professeur de dessin dans l’institution nationale de son pays, puis avait donné sa démission en pensant que les dons de sa patience, de son énergie et de son savoir pour l’État avaient suffi à assumer sa contribution sociale. Avec l’indemnité volontaire de départ calculée selon l’ancienneté dans la fonction que l’État donnait à chaque démissionnaire, il aménagea dans la maison et conclut que la totalité des travaux seraient effectués par sa force de travail. Les techniques de construction qu’il ne connaissait pas, il les apprendrait sur le tas. Les économies ainsi réalisées lui permettraient de vivre plus longtemps sans travailler jusqu’à ce qu’il finisse la rénovation.

En quittant l’habitation du couple lors de la séparation, il prit ses vêtements, ses livres, et des gravures anciennes qu’il avait achetées étudiant en les payant difficilement mois après mois. Il ne prit rien d’autre malgré les années de vie commune parce qu’il ne voulut emporter aucune trace de l’autre, de crainte que la biologie s’immisce tel un agent pathogène dans sa vie future. Une vie tenant dans un fourgon, ce n’était pas beaucoup, mais il se démunit davantage en jetant sans regret ce qu’il ne pouvait pas porter lui-même.

La maison datant du milieu du dix-neuvième siècle avait été construite en pierres sans fondation sur un sol calcaire, ce qui avait évité les fissures et l’éboulement des murs dû à une contraction hygrométrique du terrain au cours du temps. Toutefois, l’eau, l’électricité, les plâtres, les crépis étaient hors d’âge, de même que les poutres en chêne massif qui soutenaient la toiture étaient vermoulues, et laissaient la Voie lactée pénétrer le premier étage à travers les solives et les tuiles désaxées. Dans toute la maison, le sol en carreaux de terre cuite avait l’allure d’un paysage aux collines vallonnées. La nuit quand il se levait pour aller uriner, il avait la sensation que le sol se dérobait sous ses pieds, et perdant l’équilibre, il devait se tenir aux murs pour ne pas chanceler. Durant les premières semaines de l’aménagement, le sommet de son crâne cognait quotidiennement le linteau des passages entre les différentes pièces, si bien que son cuir chevelu présentait des croûtes de lymphe et de sang coagulé en permanence. Les anciens habitants devaient être petits, ou alors ils avaient construit bas pour s’incliner en signe de remerciement ou de soumission à un dieu des logis leur ayant octroyé un toit où vivre et où se réchauffer. Pour éviter les blessures, il cassa et rehaussa le bâti de toutes les portes et de tous les passages.

La nature autour de la maison était d’une beauté austère. Des pierres en amas anthropomorphiques cultivées par la terre, et des plantes, des arbustes souvent secs et piquants formaient l’unique rythme visuel à perte de vue. Les embruns provenant de l’écume salaient la terre et exigeaient des végétaux une vraie force autant qu’une capacité d’adaptation. Tout était rude ici. Les quelques pêcheurs que Paul pouvait rencontrer ne l’étaient pas moins. Les paroles échangées étaient toujours brèves, et essentielles. Il pensa néanmoins que tous avaient accepté son installation dans le village. Quel fou à lier pouvait vivre ici sans en avoir une vraie nécessité ou une envie sincère ? Ils devaient tous chercher ses raisons en s’esclaffant autour de pintes fraîches dans le seul bar du village, qui faisait aussi office d’épicerie, de droguerie, de pharmacie, de mairie et occasionnellement de pompes funèbres. Morts ou partis à la ville, le village s’était dépeuplé de ses habitants d’autrefois, et plus de la moitié des maisons s’étaient effondrées. On aurait pu croire en le traversant, qu’un bombardement en haute altitude l’avait rasé pour des raisons d’emplacement de bunkers stratégiques. Or ce n’était pas le cas, les habitants voulaient sciemment disparaître des cartes, des administrations et du monde moderne des vivants, dont ils ne ressentaient plus d’affection ni de sentiment de familiarité. Ils avaient alors laissé les maisons vides, à l’abandon, pour que les intempéries finissent la dislocation des matériaux. Néanmoins, le village subsistait encore, car le cap à proximité avec ses eaux profondes faisait de sa géographie un lieu propice à la pêche au thon blanc et à l’espadon. C’était une pêche d’égal à égal, entre l’animal et un humain digne de ce nom, qui se pratiquait du mois d’août au mois de septembre. À cette période, l’hôtel de l’Écume, qui avait résisté à l’abandon grâce à une patronne de caractère, tirait des revenus des voyageurs du week-end, venus pour s’oxygéner loin du tumulte métropolitain. Cette manne financière, déduite des frais de fonctionnement, servait la communauté. Bien que différents des touristes en masse, pour rechercher le silence dans un lieu incongru, ces voyageurs présentaient un danger. Le danger de divulguer l’attrait du village. Il fallut que les habitants trouvent un équilibre entre la nécessité financière et l’invisibilité, la tranquillité et la rusticité extrême. Jacques, le pêcheur dissident, pour ne plus vouloir tuer de poissons, prenait en charge la balade des urbains dans les criques sauvages plusieurs fois par an. Cela limitait leur impact de béotiens sur l’écosystème et les cantonnait dans un espace circonscrit qui sécurisait ainsi le village, répétait-il à l’envi.

Les habitants avaient décidé de vivre sans élire de maire ou de représentants. Les élections avaient lieu selon le calendrier officiel des mandatures, avec un faux candidat choisi par les habitants et généré par Pierre Lenc, l’ancien imprimeur spécialiste de la retouche d’image, et faussaire pour l’occasion. Quand la gendarmerie venait au village, ce qui arrivait peu, le maire imaginaire était toujours en mer ou était souffrant chez lui dans l’impossibilité de les recevoir. Toute l’organisation sociale était basée sur des décisions collégiales prises et votées à main levée dans la grande salle du bar. Cela singeait un modèle anarchique s’autogérant sans l’abolition de la propriété des biens de chacun.

Des mois après son installation, Paul fut invité à prendre part aux réunions. Quand les habitants le virent transporter, pendant des jours, des brouettes chargées de matériaux sous le soleil, sa sueur eut raison de son étrangeté. Tout avait un prix ! Ainsi que le poisson qu’il fallait arracher à la mer avec des barques en bois ou des chaluts anciens, qui ne flottaient encore que par la volonté de leurs capitaines, et la capacité des hommes à réparer indéfiniment avec ingéniosité. Les habitants devaient compter sur une vraie force pour vivre à la marge tous les jours, et Paul ne pouvait s’installer dans leur espace en distillant sa faiblesse le long des chemins, c’eût été viral et condamné par la communauté.

L’objet d’une réunion à laquelle Paul fut convié pour la première fois devait statuer sur l’utilisation de terres agricoles en bordure de falaise dont la propriétaire, une dénommée Maria, venait de décéder à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Les enfants de Maria ne venaient plus voir leur mère depuis des années, alors les villageois avaient décidé de ne pas les avertir de sa mort, et de les déposséder de leur héritage en toute illégitimité. Par crainte que ses enfants prodigues et oublieux ne vendent ses terres à des promoteurs sans scrupule, peu soucieux d’une construction respectant le village et sa nature. Maria fut inhumée à proximité de sa maison non loin d’une falaise avec vue sur la mer, entourée de l’ensemble des amis de Tudelita qui avaient partagé sa vie jusqu’à sa mort. Ainsi vivait le village.

Paul était un homme jovial, chez lui, le sourire était une marque commune des traits de son visage. Il était curieux de tout ce que la nature et les êtres présentaient, et avait la manie enthousiasmante de voir le comique en chaque chose. En pointant vers le ciel, il clignait de l’œil vers le dieu créateur qu’il considérait comme le producteur exécutif de génie de l’Entertainment. Attentionné naturellement malgré de courtes périodes d’indépendance ombrageuse, il se rappelait l’important chez les autres et ne tirait pas son énergie de la jalousie qu’il aurait pu entretenir envers leur réussite. Paul était somme toute normal hormis quelques pourcentages de défaut pardonnable, en tous les cas, rien qui put contrarier la rencontre avec le sexe opposé. Toutefois, au fil des ans, force était de constater que son cercle d’intimes et ses fréquentations se délitaient. Il avait, comme ainsi dire, laissé, à l’instar des maisons abandonnées du village, les intempéries de la vie s’occuper de sa matière vivante sans y apporter la moindre correction. Seuls ses vieux parents restaient auprès de lui. Il les voyait à raison d’une fois tous les deux mois et leur téléphonait toutes les semaines, ce qui laissait de larges plages blanches sur son agenda. À l’âge qui était le sien, c’était un constat d’échec âpre. Son acceptation au sein de la communauté des villageois fut alors pour Paul, la chance de retrouver de la chaleur humaine, de renouer avec le rire et le plaisir des rencontres. Cependant, on ne lui connaissait aucune femme, il ne fréquentait pas même les prostituées qui racolaient sur le bord des routes à la frontière à une cinquantaine de kilomètres. Son budget ne lui aurait pas permis des extravagances, mais, une bonne baise respectueuse, tous les quinze jours ou la totalité d’un week-end avec une fille venue chercher fortune en Europe, lui aurait apporté du réconfort, et peut-être serait-elle devenue sa compagne pour recouvrer sa vertu et se métamorphoser en femme aimée fidèle. Mais non, rien !

Il ne fallait pas compter sur une femme du village non plus, elles frôlaient toutes la soixantaine, la bague au doigt, excepté Magaly, une rousse frisée de trente-huit ans aux hanches fines bien dessinées. « Avec un Y le nom, s’il te plaît ! » avait-elle dit lors de leur présentation au bar avant une réunion. Magaly travaillait à l’Écume la plupart du temps. Quand la saison basse occasionnait plus de liberté, elle lavait les draps des villageois pour le plaisir de les étendre au vent dans la lumière et se photographier nue derrière en ombre chinoise. Elle se promenait aussi, tous les jours, le long de la côte. Les pêcheurs au large s’agitaient de voir sa silhouette en haut des falaises et ne manquaient jamais de la saluer avec leur corne de brume. Magaly était célibataire, mais les hommes la laissaient tranquille. C’était la fille du village, le brin de jeunesse libre qui égayait tous les regards quand la dureté de l’existence se rappelait à eux.

Pendant la réunion où ils furent présentés, leurs regards se croisèrent plusieurs fois, et un sourire malicieux de Magaly fit la joie de Paul. À la fin des débats et du vote habituel, Paul se dirigea vers elle : « Tu serais libre demain ?

— Oh oui, j’ai du temps.

— Tu voudrais m’emmener dans la nature ?

— Oui ! Tu es le seul à me demander ça ici.

— J’imagine que tous connaissent le pays dans ses moindres recoins.

— Ben oui, alors ça me fait plaisir, prends ton maillot et de bonnes chaussures.

— C’est l’hiver !

— Qu’importe ! »

Paul serra la main de Magaly avec tendresse, puis quitta l’assemblée d’un salut du bras.

Sur le chemin du retour, il imagina mille choses interdites : des enlacements, des baisers, des rires lèvres contre lèvres dont il avait perdu la mémoire de la sensation, sa main effleurant les formes de Magaly, et l’écume du bas de la falaise qu’il goûterait sur elle avec la pointe de sa langue. Orion scintillait plein sud dans le ciel, c’était d’entre toutes, la constellation qu’il attendait dans l’année. En plein hiver, sa vision le berçait d’infini. Ce soir-là, avec le rendez-vous du lendemain, la forme de sablier d’Orion lui fit penser que la rencontre de Magaly était une bénédiction céleste, l’approche d’un temps nouveau qu’il fallait maîtriser, car Paul connaissait le mythe d’Orion, le chasseur qui eut les yeux crevés à cause de son empressement à venir chercher la femme promise.

Arrivé chez lui, Paul alluma un feu dans son poêle en fonte pour éviter que l’humidité matinale ruine sa carcasse d’homme de quarante-neuf ans. Oui ! Paul était certes un homme encore jeune, plein de verve, de force et de muscles saillants depuis qu’il rebâtissait seul sa maison, mais le poids de la solitude lui causait des myalgies douloureuses, des raideurs articulaires au levé, qui n’avait rien de la fulgurance masculine incontrôlable quotidienne du petit jour. Enfin, quid du manque de sommeil parce qu’il trouvait les nuits trop longues dans ses draps seuls ? Quid de son régime alimentaire, quelconque, quand un repas seul devant son assiette, sur sa table vide hormis du double de son ombre portée, désarmait tout appétit féroce ? Une baisse d’appétence caractérisée dans son âme. Les efforts violents du cœur, du corps et de l’esprit avaient beau porter les jours, l’ossification du plaisir fossilisait le destin de Paul.

C’est en tous les cas, ce qu’il croyait jusqu’ici, jusqu’à ces regards inattendus partagés, et ce rendez-vous du lendemain avec Magaly. Le miracle de la vie ! Le miracle de ces cellules qui s’éveillent, luttent contre le vieillissement et veulent procréer à tout prix. Chaque histoire de miracle commence par le poisson : la pêche sur le lac de Tibériade avec le Christ et les apôtres, puis l’acronyme Ichthus en grec, de Jésus-Christ, fils de Dieu… et maintenant Paul, tout court, pareil au Killi africain, ce poisson turquoise, aux nageoires jaune et rouge vif, qui met sa vie en suspens pendant la saison sèche, et rompt la diapause quand l’eau réapparaît. Magaly, c’était l’eau, le fourmillement de la vie ressenti le long de la colonne vertébrale qui commençait à irriguer tous les vaisseaux. Paul n’en dormit presque pas. Toute la nuit, il sentit la chaleur de la tension de son flux sanguin.

Le moteur diesel des premiers pointus le réveilla. Pour ce nouveau jour teinté d’allégresse, il salua le soleil, et s’étira longuement en expirant doucement. Il prit son café en trempant de gros morceaux de pain beurré au miel, se mit en tenue de marche, et choisit un sac à dos léger dans lequel il mit des figues, deux citrons et une bouteille d’eau en aluminium. Paul avait rendez-vous sur la place, à la vue de tous, et tous le virent réjoui.

« Magaly ! s’exclama-t-il, en la voyant arriver vêtue de plusieurs couches de vêtements bariolés.

— Paul ! lui rendit-elle avec un grand sourire. Bonjour, tu n’as pas oublié. J’en suis heureuse. Allez, viens, je t’emmène. Aujourd’hui, le secret du village va tomber, chut, je ne dis plus rien, suis-moi !

— Le secret du village ? J’ai donc vraiment intégré la communauté ?

— Oui, exactement ! Cela ne vaut pas à la vie à la mort, et je ne dis pas non plus qu’une épreuve de certification définitive ne te sera pas demandée, mais tu commences à connaître les humains du coin. Ce qu’ils donnent est mûrement réfléchi.

— C’est un honneur, je suis touché. Mais comment se fait-il que tu me dises ça ce matin, je t’ai demandé le rendez-vous hier soir à la fin de la réunion ?

— Ils ont tout entendu, et nous en avons parlé quand tu es parti.

— Sans blague !

— Il y a eu une unanimité, moi y compris, Magaly sourit. Mathieu a proposé que je t’initie.

— Mathieu l’épicier ?

— Oui, c’est le responsable des denrées pour le village, il aime chercher les artisans et les agriculteurs qui partagent notre mode de fonctionnement. Il ne paie jamais rien, il troque nos services et nos produits de la mer.

— Il était commercial dans une vie antérieure ?

— Non, pas du tout, c’est un intellectuel en vie sabbatique. Chez lui, sa bibliothèque personnelle fait office de médiathèque du village. Tu trouves de tout : livres, disques, CD, films, sur tous les sujets, il chine ou débarrasse les greniers à l’occasion d’un décès dans d’autres villages et récupère tout ce qui est culturel. Il déteste prêter, alors on va chez lui pour lire. Sa maison est publique, sauf sa chambre. Magaly se mit à rire.

— Un homme formidable. Et qu’a-t-il dit précisément ?

— Oh, une longue tirade élogieuse sur toi, arguant qu’un homme qui a osé quitter une institution gangrénée par l’exigence de médiocrité ne peut être que bon et salvateur pour le village. Et comme il n’arrive pas à finir sa maison depuis sept ans, il trouve que tu es un colosse d’attaquer un tel chantier seul.

— Ouh, voilà un soutien ferme pour les prochaines votations populaires. Et si on marchait ?

— C’est tout droit. Je suis heureuse que tu m’aies fait cette proposition, tout d’abord pour moi, puis pour le village.

— J’étais à mille lieues de l’imaginer. Tes regards m’ont plu et je n’ai pas voulu en rester là. »

Magaly ne répondit pas, elle avança et passa devant Paul. Puis elle tourna sa poitrine vers lui, et lui tendit la main d’un signe lui demandant de la suivre.

« Je te suis avec joie.

— Nous allons tout d’abord marcher sur la route du nord, puis nous traverserons un désert de rocailles coupantes, puis tu verras.

— Qu’est-ce que tu me réserves ? Il sera là, le secret ?

— Sois patient, Paul !

— De la patience d’accord. Marcher derrière toi n’est pas un supplice, je me sens tiré par ton souffle.

— Par mon souffle ou mes hanches ?

— Oh, excuse Magaly ! Je ne veux être ni graveleux, ni dragueur, juste un homme à qui la beauté sourit et offre un moment de grâce. Nous marchons sur du bitume, il fait froid, mais tu réchauffes mon espace, eh oui, tes hanches, tes fesses, ton corps, qui ondulent, tes cheveux qui flamboient, tu es tellement vivante ! Oui, te regarder est une joie. Alors, continue de marcher devant moi pour l’instant.

— Que tu es mignon ! Magaly prit le menton de Paul et déposa un baiser rapide sur ses lèvres.

— Tu es seule ? Célibataire, je veux dire…

— Oui, depuis toujours.

— Comment ça, depuis toujours ? Jamais en couple, jamais de compagnon ?

— Depuis toujours !

— Tu me fais marcher.

— Oui, c’est ça. »

Magaly accéléra le pas et se trouva à quelques mètres de Paul.

La route prit fin et ils tournèrent vers la droite en direction de la mer et des falaises sur un chemin pierreux encombré de végétaux secs et coupés.

« Fais attention, Paul, il y a beaucoup de feuilles d’aloès et de cactus au sol.

— C’est étrange de trouver ça, jonchant le sol, il n’y a pas de plantes autour !

— Ah oui ? C’est que tu entres en territoire interdit, tu passes là, ta première épreuve. Magaly rigola.

— Sans le savoir, j’ai choisi de vivre dans un village énigmatique.

— Avoir un accès immédiat à tout, sans errance, c’est tuer le mystère, Paul. C’est faire disparaître les frontières du désir de la vie. Tu es un rentier de l’existence, Paul ? Un de ceux qui ne sont plus surpris ? Un homme qui balaie l’étonnement parce qu’il a trop vécu ? Il faut que tu me dises maintenant ! Magaly prit un air inquisiteur. Je suis très sérieuse. Si tu es de ceux-là, nous devons nous arrêter.

— Pas du tout. Le destin, bien que je n’y croie guère, mes choix m’ont fait venir habiter ici. Penses-tu que, suffisant ou blasé, je serais venu m’installer chez vous, dans ce village déconstruit, semi-détruit ? Paul insista. Assurément non, je veux vivre et en jouir, Magaly. Je veux construire, je veux bâtir, je veux aimer ! Si tu ne me fais pas confiance, rebroussons chemin !

— Non, viens ! Mais tu dois savoir que tu n’es pas le seul homme qui a voulu s’installer dans notre village. Beaucoup ont essayé de gagner notre estime en projetant ici leur monde d’ailleurs, et ils ont fini par en comprendre l’impossibilité face à la singularité de notre communauté. Et la singularité de cette communauté villageoise est de former un esprit commun qui a la faculté de composer avec le monde d’aujourd’hui en résistant.

— J’ai la possibilité de commenter ?

— Oui.

— Tu dépeins l’utopie d’une cité radieuse, d’un phalanstère jadis qu’il faudrait mériter. Le monde sait que cela a échoué, la nature humaine ne s’y prête pas. Les kibboutz rendent l’âme ou se convertissent au capitalisme, car chacun veut sa part de réussite en fonction de l’effort déployé. Les ashrameurs occidentaux suivent, dans l’Inde de leurs illusions, et sans la profondeur d’une quête spirituelle, des gourous formés au marketing, pour vider inconsciemment les excréments qu’ils accumulent à longueur d’année dans leur société moderne et technologique, et vous, vous seriez exemplaires ? Vous n’êtes pas des gourous, vous ne revendiquez aucune vérité, vous n’avez pas d’élu, vous conservez la propriété individuelle, ma maison n’appartient qu’à moi seul, aucune assemblée n’a cherché à m’en déposséder, vous vous cachez du monde, vous détenez un secret, vous accueillez cependant des voyageurs…

— Oui, c’est ça !

— C’est singulier, en effet. Je n’en saisis sans doute pas encore le sens, et toutefois, je suis ô combien volontaire pour que tu me dévoiles votre secret. »

 

 

 

 

 

Chapitre II

 

 

 

Paul et Magaly arrivèrent sur les roches coupantes. Ces minéraux avaient été taillés par les embruns depuis des millions d’années. Le sel emporté par le vent s’était immiscé dans la matière et l’avait façonnée comme une épreuve naturelle.

« Fais attention, Paul, le sel a si finement ciselé la roche, qu’elle peut se briser sous le poids de tes pas. Sois léger, épouse la forme, ne la contrains pas trop. Il y a souvent des blessés ici. Si la roche casse, tu te cisailleras les jambes.

— N’y a-t-il pas un passage à force de prendre ce chemin ?

— Nous, nous venons habituellement par la mer, mais la houle est forte aujourd’hui et les pêcheurs sont au large, ils préparent les palangres.

— C’est beau, ça scintille, je n’aurais raté ce paysage pour rien, et en tant que nouveau, j’accepte la difficulté de la marche.

— ça me plaît ce que tu dis. Il fallait que tu passes par les rochers pour une première fois. Tu es dans un paysage métamorphique, et nous marchons en équilibre sur du micaschiste altéré par des taffonis de toutes tailles.

— Woh !

— C’est une roche stratifiée provenant du magma originel, elle est composée de quartz et de mica, voilà pourquoi le paysage scintille. Nous voilà en haut de la falaise. Nous devons descendre dans une crique abritée, il y a étrangement davantage de végétation ici, tiens-toi aux lentisques ou aux cades !

— Il y a les mêmes odeurs que dans le village et autour de ma maison. Ces odeurs sont l’une des raisons de ma décision d’achat. J’avais toujours à l’esprit une maison proche de la mer dans un lieu isolé bordé d’une végétation aux fragrances enveloppantes.

— Oui, ce sont les mêmes odeurs. Le cade a une odeur fumée puissante et le lentisque est balsamique. Tu demanderas à Cana au village, elle prépare la forme galénique des végétaux pour nous tous.

— Vous êtes tous comme ça ?

— Comme ça quoi ?

— Des savants fous ? »

Magaly s’esclaffa : « Allez, idiot, tiens-toi bien ! »

La descente commença vers la crique par un sentier étroit et escarpé. Magaly assurait son équilibre en passant d’une tige végétale à l’autre, Paul fit de même. Les vallons rocheux découpaient l’espace en strates différemment colorées. La mer apparaissait et disparaissait au gré des plissures magmatiques, c’était un lieu sauvage, rugueux, fragile, qui pouvait suffire à vouloir qu’on le préserve. Il y a fort à parier que ses eaux devaient abriter de nombreuses espèces marines, peut-être même des mammifères, c’eut été en soi le secret compréhensible du village.

« Nous voilà dans la crique, regarde l’eau, elle est cristalline, je vais nager. Magaly se déshabilla et plongea subitement dans l’eau.

— Mais tu es folle ! cria Paul, c’est l’hiver, regarde comment nous sommes habillés, avec des pulls et des manteaux…

— Ne sois pas rabat-joie et frileux, rejoins-moi ! »

Paul s’allongea et mit une main dans l’eau.

« Elle est chaude !

— Elle est très chaude, oui. Il y a une résurgence de source profonde. Allez, viens vite, nous allons nager jusqu’au bout de la crique. »

Magaly disparut sous l’eau, l’image de son corps anamorphosée par le clapot, puis réapparut une minute plus tard à la surface, ses sous-vêtements blancs à la main, le bras tendu. Elle les fit tournoyer et les envoya sur Paul. Il les saisit avec une joie indicible et les fit glisser sur son torse. Magaly le vit, sourit et descendit à plusieurs mètres sous l’eau vers la cavité de la source.

À son tour, Paul se dévêtit, plongea, et réapparut pour jeter son boxer sur la roche.

 

Des semaines auparavant, au repos sur des blocs de construction pendant la réfection d’un vieux mur confit de salpêtre, Paul vit défiler la fin de sa vie, dans un dénuement d’extrême solitude. L’idée de sa mort le glaça, quand il s’imagina subir un infarctus, un accident vasculaire cérébral, un cancer en phase terminale, assisté de la seule présence de sa vieille chienne de chasse. Il se figura son dernier souffle, sur le sol de tomettes, les bras implorant de l’aide, mais ne trouvant aucun écho avant la mort. À un moment de l’existence, tout bascule, l’être le sent, le perçoit d’instinct comme un animal. L’être sait que l’existence après une vie de couple, et puis une autre, et peut-être une autre encore, s’il fut chanceux, ne sera plus, parce qu’en lui-même probablement là où la vie se crée, il aura clos les indices chimiques et physiques qui permettent d’attirer un nouvel être dans la pureté d’un corps transfiguré. Sa mémoire sera pleine du vide laissé par les joies, les souffrances, et n’aura plus la capacité suffisante de se régénérer.

Magaly arrivait comme la grâce à confirmer, comme une nouvelle chance portée par les flots.

Quoi ? Par le simple fait de se mettre nue, de s’amuser d’un effet de surprise et de nager à deux dans une eau à une température proche de celle du corps ?

« Oui, pensa Paul, en nageant vers elle, et en soutenant le sourire de sa face de toutes ses forces. Car sa jeunesse s’est ouverte à moi. Elle casse la croûte durcie de mon âme à l’abandon, et sa peau blanc et rose colorant l’eau m’inonde de joie, l’amertume de la solitude se dilue, et tous les deux dans ce fluide chaud, c’est comme si je lui faisais déjà l’amour. » Magaly s’approcha de Paul : « Alors qu’est-ce que tu penses de ça ? Ne te sens-tu pas libre ? Libre d’éprouver ton corps, tes mouvements ? Je viens ici dès que je peux, c’est une régénération. Le clapot faisait ruisseler des gouttes sur leur visage.

— C’est évidemment régénérant, beau, sensible et avec toi, je peux dire qu’il y a une surdose d’émotions. Magaly s’accrocha à lui. Un sacré secret en tous les cas, que personne ne connaît excepté le village, j’imagine.

— Personne en effet. Mais ce n’est pas là le secret, pas plus que moi qui m’accroche à toi, et dont je sens le désir pointer vers mon ventre Paul.

— Hm, nous sommes nus, tu es de toute beauté avec ta chevelure rousse, tes lèvres roses, ta peau blanche, tes ongles rouges taillés, parmi les turquoises de l’eau. Tu me touches, et l’ambiguïté d’une simple amitié ou d’un désir fort de ta part me trouble. Dans tous les cas, je me sentirais coupable de ne pas t’honorer en… en bandant. »

Magaly écarta les jambes, ceintura Paul, colla sa poitrine contre son torse et avec la langue, lui lécha doucement les lèvres, puis étira son cou pour toucher du bout de la langue chacune de deux paupières. À ce moment, ils furent ensevelis par une vague et se virent sous l’écume comme dans le ventre fécond de la nature.

« Quelle belle vague, dit Magaly, la tête de nouveau hors de l’eau en laissant échapper de sa bouche un jet de liquide sur le visage de Paul.

— Ahah, effrontée ! » Paul saisit Magaly et l’emmena sous l’eau. Elle se débattit et lui échappa pour s’enfoncer vers le large.

Des dizaines de secondes plus tard, ils firent surface, après avoir nagé en apnée au-dessus d’un herbier de posidonies, et de roches arborant des populations de gorgones blanches.

« Cette fois, nous voici à côté du secret.

— Du secret, ah ! Tout ça n’était donc qu’une mise en bouche ?

— Une délicieuse mise en bouche, oui, c’est bien dit. Je vois que tu sais plonger en apnée, c’est bien ! Mais là, il faudra fournir un effort supplémentaire. Pour accéder au secret, nous devrons descendre à douze mètres environ. La pression sur tes oreilles sera plus forte et tu devras la compenser en te bouchant le nez avec les doigts, puis souffler dedans dès que nous plongerons pour éviter une surpression des tympans. Tu y arriveras ?

— Je connais la technique, oui, je pense.

— OK, on se ventile, et on descend à-pic. »

Ils respirèrent calmement, en expirant longuement à plusieurs reprises, puis Magaly fit signe à Paul et plongea. Paul la suivit. Ils descendaient à flanc de falaise au large de la crique. La paroi était quasi verticale. Bien que ce ne fut pas long, l’effort respiratoire était important pour Paul. Magaly s’arrêta soudain, saisit une roche, montra la direction à Paul et disparut. Paul s’agrippa au même endroit, regarda et découvrit un trou d’environ deux mètres de diamètre. Il entra dans la cavité et suivit rapidement Magaly qui engageait la remontée. Paul retint sa respiration, il lui fallait rapidement de l’air. D’un coup, il fit surface, il ne vit rien, il aspira à pleins poumons. Magaly le regardait.

« Bravo, je sais, c’est difficile, ça se mérite. »

Essoufflé, Paul hocha la tête d’un signe d’acquiescement. Reprends ton souffle !

— Fffuu, oui, voilà, ça va. Alors ?

— Hisse-toi, donne-moi la main !

— Nous sommes encore sous l’eau ?

— Oui, nous sommes dans une anfractuosité de la falaise, il faut marcher vers le haut. C’est à quelques mètres maintenant, il y a une caverne.

— On est dans l’obscurité !

— C’est logique, nous sommes à sept mètres sous le niveau de la mer, et il n’y a aucune ouverture qui laisserait passer la lumière, mis à part quelques rayons outremer. Les parois sont lisses, sans danger, tu ne te cogneras pas. Il suffit de poser la main dessus et de se laisser guider.

Paul préféra prendre la main de Magaly pour parcourir ce passage obscur sans repère temporel, et entrecroisa ses doigts avec les siens. Alors qu’ils étaient nus, le contact avec la main encore mouillée de Magaly excita Paul. Il aurait marché dans le noir des centaines de mètres, pour que la sensation persiste, et qu’importe le secret se trouvant dans la caverne. Il avait résolu l’énigme qui le taraudait : la vie coulait toujours en lui malgré la renonciation causée par la solitude. La conscience ne doit jamais oublier que la perte du goût, du désir, de l’envie, cache une lutte de forces opposées, celle qui compte perpétuer la vie coûte que coûte, contre celle qui se désintéresse de l’effort et veut obtenir satisfaction dans l’instant, quitte à ce qu’elle laisse mourir le corps et l’âme, si la dépense d’énergie s’avère dispendieuse. Tout est question de ratio entre le gain et la dépense. Il faut vite jouir de la vie, ou alors, il sera trop tard pour remettre au lendemain, c’est l’antiprocrastination du cerveau. Paul était sur le fil de sa chute en venant s’installer seul dans ce village perdu. Tous croyaient qu’il y avait en lui une force irréductible pour mener à bien ces travaux de chantier, et quitter une institution qui aurait pu le faire vivre sans soucis jusqu’à la fin de sa vie. Mais pas du tout ! Son installation était une fuite éperdue, un abandon volontaire, un désagrégement amorcé. Le secret du village, révélé et porté par Magaly sous la terre, faisait simplement de nouveau bander l’esprit de Paul.

« Il vient ton secret ?

— Il approche, observe, regarde, des lueurs apparaissent…

— Oui, je vois des rais de lumière.

— Voilà, entrons dans la caverne, ferme un instant les yeux, ta vision se fera plus distincte, et tu découvriras ce pour quoi nous sommes là.

— Mes yeux sont fermés.

— Attends, encore quelques secondes. Ouvre-les maintenant ! »

Paul ouvrit les yeux. Sa vision ne s’était pas encore acclimatée à l’obscurité, mais déjà, l’espace voûté de la caverne se dessinait. C’était une salle naturelle assez vaste, peut-être cinquante mètres carrés, voire davantage. Il aperçut une forme oblongue en son centre, sur un monticule de roches agrégées.

« Je vois une forme, qui ne semble pas être une stalagmite…

— Avance-toi.

— Je m’avance. Je peux toucher ?

— Délicatement.

— Ah, c’est si fragile ?

— Tu sauras pourquoi une fois devant.

— J’avance encore. Je touche, ce n’est pas naturel !

— ça ne l’est pas !

— Attends, je la discerne davantage grâce à la lumière que je perçois, c’est une forme sculptée !

— Oui, c’est une sculpture.

— C’est une représentation primitive de femme !

— Oui, et ?

— Ce n’est pas contemporain ni de ce siècle, ou même de nos deux millénaires. C’est préhistorique !