Les derniers jours de Pompéi - Edward Bulwer-Lytton - E-Book

Les derniers jours de Pompéi E-Book

Edward Bulwer Lytton

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Beschreibung

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Ayant pour toile de fond la cité médiévale de Pompéi, ce roman historique offre au lecteur une histoire d'amour et de rivalités dont le point culminant se déroule durant l'éruption tragique du Vésuve. C'est aussi l'occasion d'y découvrir un témoignage aussi fidèle que fascinant sur la vie quotidienne des Anciens, sur les habitudes, les coutumes et les croyances des habitants de Pompéi à cette époque. 

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Les derniers jours de Pompéi

Edward Bulwer-Lytton

Traduction parHippolyte Lucas

Table des matières

Préface de 1834

Préface de 1850

LIVRE I

1. Les deux élégants de Pompéi

2. La bouquetière aveugle et la beauté à la mode. – La confession de l’Athénien. – Présentation au lecteur d’Arbacès d’Égypte

3. La parenté de Glaucus. – Description des maisons de Pompéi. – Une fête classique

4. Le temple d’Isis. – Le prêtre. – Le caractère d’Arbacès se développe lui-même

5. Encore la bouquetière. – Progrès de l’amour

6. L’oiseleur reprend dans ses rets l’oiseau qui voulait s’échapper et essaye d’y prendre une autre victime.

7. La vie oisive à Pompéi. Tableau en miniature des bains de Rome

8. Arbacès pipe ses dés avec le plaisir et gagne la partie

LIVRE II

1. Une maison mal famée à Pompéi, et les héros de l’arène classique

2. Deux illustres personnages

3. Glaucus fait un marché qui plus tard lui coûte cher

4. Le rival de Glaucus gagne du terrain

5. La pauvre tortue : nouveau changement pour Nydia

6. L’heureuse beauté et l’esclave aveugle

7. Ione est prise dans le filet – la souris essaye de ronger les mailles

8. Solitude et soliloque de l’Égyptien – analyse de son caractère

9. Ce que devient Ione dans la maison d’Arbacès – premier signe de la rage du terrible Ennemi

LIVRE III

1. Le forum des Pompéiens. – Ébauche du premier mécanisme au moyen duquel la nouvelle ère du monde fut préparée

2. Excursion matinale sur les mers de la Campanie

3. La réunion religieuse

4. Le courant de l’amour poursuit sa route : où va-t-il ?

5. Nydia rencontre Julia. – Entrevue de la sœur païenne et du frère converti. – Notions d’un Athénien sur le christianisme

6. Le portier. – La jeune fille et le gladiateur

7. Cabinet de toilette d’une Pompéienne. Conversation importante entre Julia et Nydia

8. Julia visite Arbacès. – Le résultat de cette entrevue

9. Un orage dans les pays chauds. La caverne de la magicienne

10. Le seigneur de la Ceinture flamboyante, et sa confidente. Le destin écrit sa prophétie en lettres rouges, mais qui pourra le lire ?

11. Marche des événements. – L’intrigue se noue. La trame s’ourdit, mais le filet change de main

LIVRE IV

1. Réflexions sur le zèle des premiers chrétiens. – Deux hommes prennent une périlleuse résolution. – Les murs ont des oreilles, surtout les murs sacrés

2. L’amphitryon, le cuisinier, la cuisine classique. Apaecidès cherche Ione – Leur conversation

3. Réunion élégante et dîner à la mode à Pompéi

4. L’histoire s’arrête un moment à un épisode

5. Le philtre. – Ses effets

6. Réunion de différents personnages. Des fleuves qui, en apparence, coulaient séparément, unissent leurs eaux dans le même golfe

7. Dans lequel le lecteur apprend la position de Glaucus. – L’amitié mise à l’épreuve. – L’inimitié adoucie. – L’amour toujours le même, parce que l’amour est aveugle

8. Funérailles classiques

9. Où une aventure arrive à Ione

10. Ce que devient Nydia dans la maison d’Arbacès. – L’Égyptien éprouve de la compassion pour Glaucus. – La compassion est souvent une visiteuse bien inutile au coupable

11. Nydia joue le personnage de sorcière

12. Une guêpe s’aventure dans la toile de l’araignée

13. L’esclave consulte l’oracle. – Un aveugle peut tromper ceux qui s’aveuglent eux-mêmes. – Deux nouveaux prisonniers faits dans la même nuit

14. Nydia et Calénus

15. Arbacès et Ione. – Nydia dans le jardin. – Échappera-t-elle et sauvera-t-elle l’Athénien ?

16. Le chagrin de nos bons camarades pendant nos afflictions. Le cachot et ses victimes

17. Une chance pour Glaucus

LIVRE V

1. Le songe d’Arbacès – Une visite et un avertissement pour l’Égyptien

2. L’amphithéâtre

3. Salluste et la lettre de Nydia

4. Encore l’amphithéâtre

5. La cellule du prisonnier et la cellule des morts – La douleur reste insensible à l’horreur

6. Calénus et Burbo – Diomède et Claudius – La jeune fille de l’amphithéâtre et Julia

7. Les progrès de la destruction

8. Arbacès rencontre Ione et Glaucus

9. Désespoir des amants – Situation de la multitude

10. Le lendemain matin – Le sort de Nydia

11. Où tout finit

Préface de 1834

En visitant ces cités antiques, dont les vestiges exhumés attirent le voyageur aux abords de Naples, peut-être plus que, tout à la fois, la brume délicieuse, le soleil sans nuage, les vallées violettes et les orangeraies du Sud ; en contemplant, frais et éclatant encore, les demeures, les rues, les temples et les théâtres d’une localité de l’âge le plus fier de l’Empire romain ; il n’est rien d’anormal à ce que l’écrivain qui s’était déjà efforcé, fût-ce de manière indigne, de revivifier et créer, désirât vivement repeupler une fois encore ces rues désertes, restaurer ces ruines élégantes et réanimer des ossements encore cachés à son regard, traversant ainsi un gouffre de dix-huit siècles et éveillant à une seconde existence la Cité de la Mort !

Et le lecteur s’imaginera facilement combien ce désir s’augmenta pour celui qui entreprit cette tâche aux abords mêmes de Pompéi, avec à ses pieds cette même mer qui en porta le trafic et en reçut les fugitifs. Et, constamment devant ses yeux, le Vésuve, montagne sinistre, crachant toujours feux et fumées1. Je fus néanmoins conscient, dès le début, des difficultés qui m’attendraient. Dépeindre les façons et montrer la vie du Moyen Âge exigèrent déjà une main de maître ; encore, peut-être, cette tâche fut-elle légère et facile en comparaison de la tentative de décrire une période bien plus lointaine et bien plus étrangère.

Avec les hommes, et les coutumes, de la féodalité, nous avons une sympathie naturelle et des liens de parenté : ces hommes furent nos ancêtres, nos habitudes proviennent des leurs, leur foi chevaleresque reste la nôtre, leurs tombes sanctifient encore nos églises, et les ruines de leurs châteaux, d’un œil sévère, continuent de surveiller nos vallées. Nous traçons nos propres institutions à partir de leurs luttes pour la liberté et pour la justice, et, à travers les éléments du leur, nous reconnaissons l’origine de notre état social. Mais nous sommes sans lien domestique ou familier avec l’âge classique. La foi de cette religion obsolète et les us et coutumes de cette ancienne civilisation n’offrent que peu de sacré ou d’attrait à nos nordiques imaginations ; et ces choses, liées à des souvenirs d’études imposées comme besogne et non cultivées comme plaisir, nous furent rendues encore plus usées par les pédanteries scolastiques qui, en premier lieu, nous les firent connaître.

Ardue certes, cette entreprise me sembla valoir l’essai ; et période et thème ont été choisis pour tenter de stimuler la curiosité du lecteur et l’intéresser aux descriptions de l’auteur : premier siècle de notre religion, période la plus civilisée de Rome, action se développant dans des lieux dont nous avons retrouvé les vestiges, catastrophe parmi les plus terribles de l’histoire ancienne.

Disposant d’une matière abondante, je me suis donc efforcé de choisir ce qui pourrait le mieux attirer le lecteur moderne : les coutumes et les superstitions les moins connues de lui ; des ombres qui, une fois réanimées, lui offriraient des images telles que, dessinant le passé, elles puissent lui être l’occasion d’une profitable réflexion sur le présent. Il fallut, de fait, une maîtrise de soi bien plus grande qu’on ne saurait d’abord s’imaginer, afin de rejeter tout ce qui, très tentant en soi, aurait pu embellir mon histoire en nuisant à la symétrie de l’ensemble. Ainsi, par exemple, mon récit remonte au bref règne de Titus, alors que Rome atteignait aux sommets les plus orgueilleux et les plus colossaux du luxe et du pouvoir ; la tentation fut donc très grande d’emmener, au cours des événements, les personnages de Pompéi à Rome. Où trouver telles matières à description, un tel champ de vanité ostentatoire, ailleurs que dans cette capitale du monde, dont la grandeur prêterait à la fantaisie une si vive inspiration, et à l’investigation une si propice et si grave dignité ?

Mais, ayant opté pour un sujet et un dénouement, la destruction de Pompéi, ne fallait-il plus qu’une minime connaissance des principes de l’art pour comprendre que mon récit devait se limiter strictement aux confins de Pompéi.

Apposés à la pompe solennelle de Rome, les fastes et les luxes de la bouillante cité campanienne auraient été trop peu de chose ; au milieu de l’océan impérial aux flots immenses, son sort aurait eu l’air d’un petit naufrage isolé et le faire-valoir de l’intérêt de mon récit eût tout simplement détruit ou dominé la cause qu’il devait soutenir.

Je dus donc renoncer à cette excursion si tentante fût-elle, et limitant rigoureusement mon domaine à Pompéi, laisser à d’autres l’honneur de dépeindre la civilisation creuse mais majestueuse de Rome. Cette ville dont le sort me fournit une catastrophe si fantastique et si effroyable, me fournit aussi sans peine, au premier regard jeté sur ses ruines, les personnages les plus convenants au thème et à l’action. Cette à demi grecque colonie d’Héraclée, mâtinant d’une mode italienne tant de costumes de l’Hellade, suggéra d’elle-même les personnages de Glaucus et d’Ione. Le culte d’Isis, l’existence de son temple, ses oracles trompeurs dévoilés ; le commerce entre Pompéi et Alexandrie ; les associations du Sarnus avec le Nil, firent naître l’Égyptien Arbacès, le vil Calénus, le fervent Apaecidès. Les premières luttes entre le christianisme et la superstition païenne inspirèrent la création d’Olynthus, et les champs brûlés campaniens, longtemps célèbres par les incantations de la magicienne, produisirent naturellement la saga du Vésuve.

Quant à la jeune aveugle, je la dois à un gentleman bien connu des Anglais à Naples pour ses vastes connaissances générales. Au cours d’une conversation fortuite où il fut question de l’obscurité totale qui accompagna la première éruption connue du Vésuve, obstacle supplémentaire à la fuite des habitants, il me fit la remarque que les aveugles avaient dû être les plus favorisés en un pareil moment et dû trouver leur libération plus aisément ! Cette boutade donna lieu à la création de Nydie.

Ainsi donc, les héros sont les produits naturels du lieu et du temps. Les péripéties du récit sont également en accord avec cette société d’alors. Les habitudes de vie, les fêtes et le forum, les bains et l’amphithéâtre, le quotidien du luxe classique ne sont pas seuls appelés à témoigner du passé, mais aussi, d’importance égale et d’intérêt plus profond, les passions, les crimes, les infortunes et les revers qui purent être le lot des ombres rappelées ainsi à la vie. Nous comprenons mal toute époque au monde si nous ne scrutons pas jusqu’à ses intrigues. Il y a autant de vérité dans la poésie de la vie que dans sa prose.

Comme la plus grande difficulté dans le rendu d’une époque étrangère et lointaine est que les personnages soient mouvants et vivants sous les yeux du lecteur, c’est là, sans équivoque, le premier objectif d’une œuvre de ce genre ; et toute tentation d’exposer son érudition devrait être subordonnée à cette majeure nécessité de la fiction. Insuffler à ses créatures le souffle de vie est l’art premier du créateur, du Poète ; le second, qui est de les doter de mots et de gestes propres à l’époque de leurs paroles et de leurs actes, est peut-être mieux accompli à se faire oublier, en ne lardant ni le texte de citations ni ses marges de notes. L’esprit intuitif qui réinfuse l’antiquité dans des images anciennes, voilà, peut-être, le savoir vrai, requis par une œuvre de cette nature ! Sans lui, la pédanterie est offensante, ou inutile avec lui. Nul homme, conscient de ce qu’est maintenant devenue la Fiction en prose, n’oubliera, jusqu’à abaisser une telle nature au niveau de frivolités scolaires, les liens qu’elle entretient avec l’Histoire, la Philosophie et les Politiques, son total accord avec la Poésie et sa soumission à la Vérité, aussi élèvera-t-il l’érudition vers la créativité, plutôt que d’incliner la créativité vers la scolastique.

Quant au langage des héros, j’ai cherché à éviter avec soin ce qui m’a toujours semblé l’erreur fatale de ceux qui, aux temps modernes, ont tenté de faire connaître des êtres de l’âge classique2 en leur attribuant les propos guindés, le solennel dialectique et froid d’un style calqué chez des écrivains classiques très admirés. Faire bavarder les Romains de la rue, en utilisant la période de Cicéron est une erreur aussi absurde que de prêter à des personnages romanesques anglais les interminables phrases de Burke ou de Johnson. La faute est plus grave en ce que cette prétention à faire preuve de savoir trahit en réalité l’ignorance d’un juste sens critique, elle fatigue, use, révolte et fait bâiller sans la satisfaction de penser bâiller savamment. Pour donner un semblant de fidélité aux dialogues des personnages classiques, il faut, selon l’expression universitaire, se méfier du bachotage. Rien ne donne plus à l’écrivain une allure raide et empesée qu’une toge subitement et trop vite enfilée. Nous devons apporter à notre tâche un savoir rendu familier par de nombreuses années ; les allusions, le phrasé et, plus généralement, le style doivent découler d’une source depuis longtemps pleine ; la fleur doit être transplantée d’un sol vivant et n’avoir pas été achetée de seconde main au plus proche marché. Cette familiarité avec le sujet est un avantage qui vient moins du mérite que de l’accident, celui d’une présence plus ou moins grande des classiques dans l’éducation de notre jeunesse et les études de notre maturité. Et pourtant, que l’écrivain jouisse de cet avantage au plus haut de ce que permettent études et éducation, ne lui rend guère possible de se transporter en un temps, si étranger au sien, sans commettre quelques inexactitudes, inattentions ou manques de mémoire. Et, quelques imperfections pouvant toujours être trouvées par un critique relativement moins informé, dans des travaux sur les mœurs des Anciens, fussent-ils des plus profonds érudits, je serais bien présomptueux d’espérer plus de bonheur que de plus savants que moi, dans une œuvre réclamant, elle, infiniment moins d’érudition. Pour cette raison, j’augure que les érudits seront, parmi mes juges, les plus indulgents. C’est assez que ce livre, malgré ses imperfections, présente un portrait, maladroit peut-être dans les coloris ou incorrect dans le trait, mais pas totalement infidèle au caractère et à l’habit de l’âge que j’ai tenté de peindre. Puisse-t-il être, et c’est de loin le plus important, la correcte représentation des humaines passions et du cœur humain, éléments toujours identiques !

1La presque totalité de cette œuvre fut écrite à Naples, l’hiver dernier (1832-1833).

2Ce que Sir Walter Scott a exprimé, avec un ferme bon sens, dans sa Préface à Ivanhoé (1ère édition) me semble au moins aussi applicable à un écrivain qui puise aux sources classiques qu’à celui qui emprunte au passé féodal. Que je puisse me servir de cette citation, et humblement, respectueusement me l’approprier ! : « Il est vrai que je ne puis ni ne saurais prétendre à l’observation (l’observance ?) d’une exactitude absolue en matière de costumes étrangers, et encore moins sur les points plus importants du langage et des comportements. Mais la même raison qui m’empêche d’écrire cette œuvre en anglo-saxon, ou en franco-normand [en latin ou en grec], et qui m’interdit de diffuser cet essai, imprimé en caractère de Caxton ou Wynken de Worde [écrit au roseau sur cinq parchemins roulés, et attachés sur un cylindre, et ornés d’une protubérance], exclut que je me limite à l’époque seule où mon récit se développe ; il faut, pour stimuler un intérêt quelconque, que le sujet traité soit, en quelque sorte, transposé dans nos actuelles façons de faire ou de penser. […] Par égard, donc, aux multitudes qui dévoreront, j’espère, ce livre avec avidité [hum !], j’ai expliqué ces comportements passés en mots actuels et détaillé mes personnages, leurs sentiments, si précisément que le lecteur ne puisse, du moins je l’espère, se trouver gêné par la sécheresse repoussante du seul passé. En tout ceci, j’affirme respectueusement n’avoir jamais dépassé les justes licences qu’autorise la fiction. […] Il est vrai, poursuivit mon maître, que ces licences sont circonscrites par leurs légitimes frontières ; l’auteur doit refuser tout anachronisme. »

Qu’ajouter à ces observations judicieuses et avisées ? Ce sont, régulateurs de toute fiction décrivant le passé, les canons d’une vraie critique.

Préface de 1850

La faveur si générale, que cette œuvre a eu la bonne fortune de susciter auprès du public, épargne à l’auteur toute tâche de réplique à la critique adverse. La profonde érudition d’une critique allemande qui a porté une si minutieuse attention à la vie quotidienne des Anciens a suffisamment témoigné de la fidélité globale avec laquelle les manières, les habitudes et les coutumes des habitants de Pompéi ont été décrites dans ces pages. De fait, écrivant presque sur les lieux mêmes de l’action, au milieu d’une population qui a conservé un fort air de famille avec ses ancêtres classiques, je ne pouvais guère manquer de capter quelques touches d’une vie que la seule étude livresque ne m’eût pas permis d’atteindre ; et c’est à ces avantageuses circonstances, je présume, que l’œuvre doit une popularité plus grande que celle octroyée précédemment aux tentatives, par les savants, de susciter, à travers la fiction, quelque intérêt pour les êtres et les choses de l’Âge Classique. Peut-être aussi les auteurs auxquels je fais allusion, et dont les travaux m’inspirent le plus haut respect, ne se sont-ils pas suffisamment souvenus que dans les œuvres d’imagination la description de l’environnement, si accessoirement importante soit-elle, ne saurait prévaloir sur les éléments d’intérêt vivants : l’intrigue, le protagoniste, la passion. Et, en ressuscitant ces ombres anciennes, ils ont plus cherché à exposer leur érudition qu’à montrer des cœurs humains allant à l’amble, que ce soit sous la tunique grecque ou sous la toge romaine. C’est, de fait, en cela que se distinguent les imitateurs à formation classique de la littérature classique elle-même, – où ne manquent ni passion ni action, ni tous ces éléments plus animés de ce que nous appelons roman. Et, de fait, le roman lui-même, tel que nous le reçûmes du Moyen Âge, doit beaucoup à la fable grecque : bien des aventures de chevalerie errante empruntèrent aux épreuves d’Ulysse ou aux exploits de Thésée. Et bien que Homère, pas encore restauré sur son trône au milieu des poètes, n’ait été connu de la littérature de la première chevalerie que sous une forme altérée et grotesque, le génie de la fiction gothique construisit bien des récits du merveilleux nordique sur des fragments mutilés du divin conteur. Parmi ces pertes du passé, tant à déplorer, figurent les vieilles nouvelles ou romans qui firent la renommée de Milet. Et, à juger d’après tous les autres restes de la littérature grecque, il n’est guère de doute que, pour soutenir l’attention d’un auditoire vif et impatient, les récits étaient bien ajustés avec les mêmes artifices indispensables au conteur actuel, et n’y manquèrent ni la variété des incidents, ni les surprises d’un ingénieux imaginaire, ni le contraste des personnages, ni, encore moins que tout, les traits d’une fine passion.

Passion qui, à l’exception modelée toutefois par les différentes habitudes nationales, est le principal objet des intérêts humains, dans la multiforme variété des fictions narratrices, des Chinois aux Arabes, des Arabes aux Scandinaves. Passion qui, en ce jour encore, anime les histoires de tant de Boccace itinérants, rassemblant autour d’eux leurs auditeurs fascinés, dans des soirées ensoleillées, aux rives des eaux siciliennes.

LIVRE I

Les deux élégants de Pompéi

« Hé ! Diomède bonne rencontre ! Soupez-vous chez Glaucus cette nuit ? »

Ainsi parlait un jeune homme de petite taille vêtu d’une tunique aux plis lâches et efféminés dont l’ampleur témoignait de sa noblesse non moins que de sa fatuité.

« Hélas ! non cher Claudius : il ne m’a pas invité, répondit Diomède, homme d’une stature avantageuse et d’un âge déjà mûr. Par Pollux, c’est un mauvais tour qu’il me joue. On dit que ses soupers sont les meilleurs de Pompéi.

– Assurément, quoiqu’il n’y ait jamais assez de vin pour moi. Ce n’est pas le vieux sang grec qui coule dans ses veines, car il prétend que le vin lui rend la tête lourde le lendemain matin.

– Il doit y avoir une autre raison à cette parcimonie, dit Diomède, en relevant les sourcils ; avec toutes ses imaginations et toutes ses extravagances il n’est pas aussi riche, je suppose, qu’il affecte de l’être ; et peut-être aime-t-il mieux épargner ses amphores que son esprit.

– Raison de plus pour souper chez lui pendant que les sesterces durent encore. L’année prochaine nous trouverons un autre Glaucus.

– J’ai ouï dire qu’il était aussi fort ami des dés.

– Ami de tous les plaisirs ; et puisqu’il se plaît à donner des soupers, nous sommes tous de ses amis.

– Ah ! ah ! Claudius voilà qui est bien dit. Avez-vous jamais vu mes celliers par hasard ?

– Je ne le pense pas, mon bon Diomède.

– Alors vous souperez avec moi quelque soir. J’ai des muraenae1 d’une certaine valeur dans mon réservoir et je prierai l’édile Pansa de se joindre à vous.

– Oh ! pas de cérémonie avec moi : Persicos odi apparatus ; je me contente de peu. Mais le jour décline ; je vais aux bains et vous ?

– Je vais chez le questeur pour affaire d’État ensuite au temple d’Isis. Vale.

– Fastueux impertinent mal élevé, murmura Claudius en voyant son compagnon s’éloigner et en se promenant à pas lents. Il croit, en parlant de ses fêtes et de ses celliers, nous empêcher de nous souvenir qu’il est le fils d’un affranchi ; et nous l’oublierons, en effet, lorsque nous lui ferons l’honneur de lui gagner son argent au jeu : ces riches plébéiens sont une moisson pour nous autres nobles dépensiers. »

En s’entretenant ainsi avec lui-même, Claudius arriva à la voie Domitienne, qui était encombrée de passants et de chars de toute espèce et qui déployait cette exubérance de vie et de mouvement qu’on rencontre encore de nos jours dans les rues de Naples.

Les clochettes des chars, à mesure qu’ils se croisaient avec rapidité, sonnaient joyeusement aux oreilles de Claudius, dont les sourires et les signes de tête manifestaient une intime connaissance avec les équipages les plus élégants et les plus singuliers : dans le fait aucun oisif n’était plus connu à Pompéi.

« C’est vous, Claudius ! Comment avez-vous dormi sur votre bonne fortune ? » cria d’une voix plaisante et bien timbrée un jeune homme qui roulait dans un char bizarrement et splendidement orné : on voyait sculptés en relief sur la surface de bronze, avec l’art toujours exquis de la Grèce, les jeux olympiques ; les deux chevaux qui traînaient le char étaient de race parthe et de la plus rare ; leur forme délicate semblait dédaigner la terre et aspirer à fendre l’air ; et cependant à la plus légère impulsion du guide, qui se tenait derrière le jeune maître de l’équipage, ils s’arrêtaient immobiles comme s’ils étaient subitement transformés en pierre sans vie mais ayant l’apparence de la vie semblables aux merveilles de Praxitèle qui paraissaient respirer. Leur maître lui-même possédait ces belles et gracieuses lignes dont la symétrie servait de modèle aux sculpteurs d’Athènes ; son origine grecque se révélait dans ses cheveux dorés et retombant en boucles, ainsi que dans la parfaite harmonie de ses traits. Il ne portait pas la toge qui du temps des empereurs avait cessé d’être le signe distinctif des Romains et que ceux, qui affichaient des prétentions à la mode, regardaient comme ridicule ; mais sa tunique resplendissait des plus riches couleurs de la pourpre de Tyr et les fibule, les agrafes, au moyen desquelles elle était soutenue, étincelaient d’émeraudes. Son cou était entouré d’une chaîne d’or qui descendait en se tordant sur la poitrine et présentait une tête de serpent ; de la bouche de ce serpent sortait un anneau en forme de cachet du travail le plus achevé ; les manches de sa tunique étaient larges et garnies aux poignets de franges d’or. Une ceinture brodée de dessins arabes et de même matière que les franges ceignait sa taille et lui servait en guise de poches à retenir son mouchoir, sa bourse, son style et ses tablettes.

« Mon cher Glaucus, dit Claudius, je me réjouis de voir que votre perte au jeu n’a rien changé à votre façon d’être. En vérité vous avez l’air d’être inspiré par Apollon ; votre figure est rayonnante de bonheur : on vous prendrait pour le gagnant et moi pour le perdant.

– Eh ! qu’y a-t-il donc dans le gain ou dans la perte de ces viles pièces de métal qui puisse altérer notre esprit, mon cher Claudius ? Par Vénus, tant que jeunes encore, nous pouvons orner nos cheveux de guirlandes, tant que la cithare réjouit nos oreilles avides de sons mélodieux tant que le sourire de Lydie ou de Chloé précipite dans nos veines notre sang prompt à s’y répandre, nous serons heureux de vivre sous ce brillant soleil et le mauvais temps lui-même deviendra le trésorier de nos joies. Vous savez que vous soupez avec moi cette nuit ?

– Qui a jamais oublié une invitation de Glaucus ?

– Mais où allez-vous maintenant ?

– Moi ? J’avais le projet de visiter les bains mais j’ai encore une heure devant moi.

– Alors, je vais renvoyer mon char et marcher avec vous. Là, là, mon Phylias, ajouta-t-il tandis que sa main caressait le cheval à côté duquel il descendait et qui, hennissant doucement et baissant les oreilles, reconnaissait joyeusement cette courtoisie ; mon Phylias c’est un jour de fête pour toi ! N’est-ce pas un beau cheval, ami Claudius ?

– Digne de Phébus, répliqua le noble parasite, ou digne de Glaucus. »

1Muraenae : lamproies.

La bouquetière aveugle et la beauté à la mode. – La confession de l’Athénien. – Présentation au lecteur d’Arbacès d’Égypte

Les deux jeunes gens, en parlant légèrement de mille choses, se promenèrent dans les rues ; ils se trouvaient dans le quartier rempli des plus attrayantes boutiques, dont l’intérieur ouvert laissait voir le luxe et les harmonieuses couleurs de peintures à fresque incroyablement variées de forme et de dessin. Les fontaines brillantes, qui de toutes parts lançaient leurs gracieux jets dans l’air pour rafraîchir les ardeurs de l’été ; la foule des passants ou plutôt des promeneurs nonchalants vêtus de leurs robes pourprées ; les joyeux groupes rassemblés autour des boutiques qui les séduisaient le plus ; les esclaves passant çà et là avec des seaux de bronze d’une forme agréable et qu’ils portaient sur leurs têtes ; les filles de la campagne s’échelonnant à peu de distance les unes des autres près de leurs corbeilles de fruits vermeils ou de fleurs plus appréciées des anciens Italiens que de leurs descendants (on dirait que pour ceux-ci « latet anguis in herba » et que chaque violette ou chaque rose cache un parfum malfaisant)1 ; les divers lieux de repos, qui remplissaient pour ce peuple paresseux l’office de nos cafés et de nos clubs ; les vases de vin et d’huile rangés sur des tablettes de marbre, les entrées garnies de bancs et de tentures de pourpre, qui offraient un abri contre le soleil et invitaient la fatigue ou l’oisiveté à se reposer ou à s’étendre à son aise : tout cela formait une scène pleine d’animation et de gaieté, qui donnait, à l’esprit athénien de Glaucus, raison de se féliciter d’une si heureuse vie.

« Ne me parlez plus de Rome, dit-il à Claudius, le plaisir est imposant et pesant dans ses sublimes murailles ; même dans l’enceinte de la cour, même dans la maison dorée de Néron, même au milieu des splendeurs nouvelles du palais de notre Titus, la magnificence a quelque chose de majestueusement ennuyeux, qui fatigue les yeux et l’esprit : en outre, cher Claudius, ne sommes-nous pas mécontents lorsque nous comparons l’énorme faste et la richesse des autres avec la médiocrité de notre fortune ? Ici, nous nous livrons facilement au plaisir et nous possédons l’éclat du luxe sans la lassitude, qui en accompagne la pompe.

– C’est pour ce motif, que vous avez choisi votre retraite d’été à Pompéi ?

– Oui certes, je préfère Pompéi à Baia. J’apprécie les charmes de Baia mais je n’aime pas les pédants, qui s’y réunissent et qui semblent peser leurs plaisirs au poids de la drachme.

– Cependant vous aimez aussi le savoir et quant à la poésie Homère et Eschyle, le poème et le drame trouvent chez vous un asile éloquent.

– Oui ; mais ces Romains, qui contrefont mes ancêtres d’Athènes, se montrent si lourds en toute chose ! Dans leurs chasses même, ils commandent à leurs esclaves d’emporter Platon ; et lorsque le sanglier leur a échappé, ils prennent leurs livres et leur papyrus afin de ne pas perdre leur temps comme ils ont perdu le sanglier. Lorsqu’un essaim de jeunes filles s’en vient tourbillonner autour d’eux avec toute la grâce des danses persanes, quelque stupide affranchi à la face de marbre leur lit un chapitre du traité de Cicéron De officiis. Ne ressemblent-ils pas à d’ignorants droguistes ? Le plaisir et l’étude ne sont pas des éléments faits pour être mêlés ensemble : on doit les employer séparément. Les Romains se privent des deux choses par cette affectation raffinée ; c’est prouver qu’ils n’ont de goût ni pour l’une ni pour l’autre. Eh ! mon cher Claudius, combien vos compatriotes se rendent peu compte de l’heureuse mobilité d’un Périclès ou des vrais enchantements d’une Aspasie ! Ce n’est que l’autre jour que j’ai rendu visite à Pline. Il était assis dans le cabinet de travail de sa maison d’été, écrivant pendant qu’un esclave infortuné jouait de la flûte. Son neveu (fatuité philosophique qui mériterait le fouet) lisait dans Thucydide la description de la peste ; il inclinait de temps en temps sa petite tête pleine de suffisance en signe d’assentiment à la musique, tandis que ses lèvres répétaient tout bas les répugnants détails de cette terrible peinture. Ce jeune sot ne voit rien d’incompatible entre une chansonnette d’amour et une description de la peste.

– C’est quelquefois la même chose, dit Claudius.

– Je lui en fis justement l’observation, pour excuser son impertinence ; mais le jeune homme visage renfrogné reçut mal la plaisanterie ; il me répondit que la musique ne plaisait qu’à nos oreilles et qu’un livre (rappelez-vous que c’était la description de la peste) élevait le cœur. « Ah ! dit le gros oncle avec un ronflement, mon neveu est presque un Athénien, il mêle toujours l’utile au dulce. » Ô Minerve ! comme je riais dans ma manche ! Pendant que j’étais là, on vint dire à notre petit sophiste, que son affranchi le plus cher était mort de la fièvre. « Inexorable mort ! s’écria-t-il ; qu’on me donne mon Horace ! Ce grand poète seul nous console merveilleusement de tels malheurs ! » Est-ce que ces hommes aiment, ô Claudius ? à peine ont-ils des sens ! Qu’il est rare qu’un Romain ait un cœur ! ce n’est qu’un mécanisme sans os et sans chairs. »

Quoique Claudius entendît avec un peu de contrariété ces remarques sur ses compatriotes, il feignit de sympathiser avec son ami, en partie à cause de sa nature de parasite et en partie parce qu’il était de mode parmi les jeunes Romains dissolus d’affecter un certain mépris pour leur origine, qui en réalité les rendait si arrogants ; il était de mode d’imiter les Grecs et pourtant de rire d’une malencontreuse imitation.

Tout en conversant, ils s’approchèrent d’une foule rassemblée autour d’un espace ouvert, carrefour formé par trois rues. À l’endroit où les portiques d’un temple élégant et léger jetaient une ombre propice, se tenait une jeune fille ; elle avait une corbeille de fleurs sur le bras droit et dans la main gauche un petit instrument de musique à trois cordes, aux sons duquel elle joignait les modulations d’un air étrange et à moitié barbare ; à chaque temps d’arrêt de la musique, elle agitait gracieusement sa corbeille ; elle invitait les assistants à acheter ses fleurs : et plus d’un sesterce tombait dans la corbeille, soit pour rendre hommage à la musique, soit par compassion pour la chanteuse car elle était aveugle.

« C’est ma pauvre Thessalienne, dit Glaucus, en s’arrêtant. Je ne l’ai pas vue depuis mon retour à Pompéi. Silence ! sa voix est douce : écoutons-la. »

CHANSON DE LA BOUQUETIÈRE AVEUGLE

I

Achetez mes fleurs je vous prie !

La pauvre aveugle vient de loin,

Mes fleurs la famille chérie

Dont la terre prend si grand soin,

Mes fleurs belles comme leur mère…

Je les ai prises sur son sein,

Car elles y dormaient naguère,

S’y pressant comme un jeune essaim.

Son haleine qu’on y respire

Les enivrait d’aimables sons,

Sa douce haleine qui soupire

Ainsi que l’oiseau des chansons !…

Son pur baiser sur leur lèvre demeure,

Et sur leur joue on retrouve ses pleurs.

Elle pleure oui la tendre mère pleure,

Pour vous nourrir de sa rosée ô fleurs !

Ces larmes-là ne sont jamais amères…

En vous voyant embellir chaque jour,

Elle pleure comme les mères

Pleurent d’orgueil pleurent d’amour.

II

Il est un monde plein de joie,

Un monde où brillent mille appas ;

Mais toujours dans sa sombre voie

La pauvre enfant traîne ses pas.

Déjà comme un pâle fantôme

Je me crois chez l’infernal Dieu,

J’erre dans son triste royaume…

Mes fleurs me raniment un peu.

Je veux loin de l’ombre éternelle

Aller où tout rit où tout luit,

J’ouvre les yeux j’étends les bras j’appelle ;

Autour de moi tout est silence et nuit.

Achetez mes fleurs douces choses,

Entendez-les crier merci !

Elles ont leur langage aussi :

Nous sommes les lis et les roses,

Fleurs du plaisir non du souci.

Fille aveugle ta main nous cueille,

Pour nous mettre en ton noir séjour.

Ton souffle glacé nous effeuille :

Il nous faut la chaleur du jour.

Passants ne soyez pas rebelles ;

Délivrez-nous vous notre espoir :

Nous qui sommes fraîches et belles,

Nous voulons des yeux pour nous voir.

Achetez…

« Je veux prendre ce bouquet de violettes, douce Nydia, s’écria Glaucus, en fendant la foule et en jetant dans la corbeille une poignée de petites pièces. Ta voix est plus charmante que jamais. »

La jeune fille aveugle tressaillit aux accents de l’Athénien ; elle se rendit presque aussitôt maîtresse de ce premier mouvement ; mais une vive rougeur colora son cou ses joues et ses tempes.

« Vous êtes donc de retour ? dit-elle à voix basse. Et elle se répéta à elle-même : Glaucus est de retour !

– Oui mon enfant ; je ne suis revenu à Pompéi que depuis quelques jours. Mon jardin réclame tes soins comme d’habitude ; j’espère que tu le visiteras demain. Souviens-toi qu’aucune guirlande ne sera tressée chez moi, si ce n’est de la main de la jolie Nydia ! »

Nydia sourit joyeusement mais ne répondit pas ; et Glaucus mettant sur son sein les violettes qu’il avait choisies s’éloigna de la foule avec autant de gaieté que d’insouciance.

« Ainsi cette enfant est une de vos clientes ? dit Claudius.

– Oui. Ne chante-t-elle pas agréablement ? Elle m’intéresse, la pauvre esclave. D’ailleurs elle est du pays de la montagne de dieux ; l’Olympe a projeté son ombre sur son berceau, elle est Thessalienne.

– Le pays des magiciennes.

– C’est vrai. Mais selon moi toute femme est magicienne ; et par Vénus ! l’air à Pompéi semble lui-même un philtre d’amour tant chaque figure qui n’a pas de barbe a de charme pour mes yeux.

– Eh ! justement j’aperçois une des belles de Pompéi, la fille du vieux Diomède, la riche Julia, s’écria Claudius pendant qu’une jeune dame, la figure couverte d’un voile et accompagnée de deux suivantes, s’approchait d’eux en se dirigeant vers les bains. Belle Julia, nous te saluons, dit Claudius. »

Julia leva en partie son voile de façon à montrer avec coquetterie un beau profil romain, un grand œil noir plein d’éclat et une joue un peu brune, à laquelle l’art avait jeté une fine et douce couleur de rose.

« Glaucus est de retour ? Dit-elle, en arrêtant son regard avec intention sur l’Athénien ; puis elle ajouta à demi-voix : A-t-il oublié ses amis de l’année dernière ?

– Divine Julia ! le Léthé lui-même, bien qu’il disparaisse dans un endroit de la terre, se remontre sur un autre point. Jupiter ne nous permet l’oubli que pour un moment ; mais Vénus, plus exigeante, ne nous accorde même pas ce moment-là.

– Glaucus ne manque jamais de belles paroles.

– Peuvent-elles manquer devant un objet si beau ?

– Nous nous verrons tous les deux à la maison de campagne de mon père, continua Julia en se tournant vers Claudius.

– Nous marquerons le jour de notre visite d’une pierre blanche », répondit le joueur.

Julia abaissa son voile, mais lentement, en laissant se reposer son dernier regard sur l’Athénien avec une timidité affectée et une hardiesse réelle. Ce regard exprimait en même temps la tendresse et le reproche.

Les amis suivirent leur chemin.

« Julia est assurément belle, dit Glaucus.

– L’année dernière vous auriez fait cet aveu avec plus de vivacité.

– J’en conviens. J’ai été ébloui au premier coup d’œil et j’ai pris pour une pierre précieuse, une imitation parfaitement réussie.

– Bah ! répondit Claudius, toutes les femmes sont les mêmes au fond. Heureux celui qui épouse un beau visage et un large douaire ! que peut-il désirer de plus ? »

Glaucus soupira.

Ils se trouvaient maintenant dans une rue moins fréquentée que les autres, à l’extrémité de laquelle ils pouvaient voir cette vaste mer toujours souriante, qui sur ces côtes délicieuses semble avoir renoncé à son privilège d’inspirer de la terreur, tant ont de douceur les vents qui courent sur sa surface, tant sont brillantes et variées les nuances qu’elle emprunte aux nuages de rose, tant les parfums que les brises de la terre apportent à ses profondeurs ont quelque chose de pénétrant et de suave. Vous n’avez aucune peine à croire que Vénus Aphrodite soit sortie d’une mer pareille pour s’emparer de l’empire de la terre.

« Ce n’est pas encore l’heure du bain, dit le Grec, qui était un homme d’impulsion toute poétique ; éloignons-nous de la ville tumultueuse pour contempler à notre aise la mer alors que le soleil de midi se plaît à sourire encore aux flots.

Pompéi était la miniature de la civilisation de cette époque. Cette ville renfermait dans l’étroite enceinte de ses murs un échantillon de tout ce que le luxe peut inventer au profit de la richesse. Dans ses étroites mais élégantes boutiques, dans ses palais de petite dimension, dans ses bains, dans son forum, dans son théâtre, dans son cirque, dans l’énergie et la corruption dans le raffinement et les vices de sa population, on voyait un modèle de tout l’empire. C’était un jouet d’enfant, une lanterne magique, un microcosme où les dieux semblaient prendre plaisir à refléter la grande représentation de la terre et qu’ils s’amusèrent plus tard à soustraire au temps pour livrer à l’étonnement de la postérité, cette maxime et cette moralité qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil.

Dans une baie unie comme la glace, se pressaient les vaisseaux de commerce et les galères resplendissantes d’or, que les citoyens riches entretenaient pour leurs plaisirs ; les bateaux de pêcheurs glissaient rapidement de côté et d’autre et de loin on apercevait les hauts mâts de la flotte, dont Pline avait le commandement. Sur la grève, un Sicilien aux gestes animés, aux traits mobiles, racontait à un groupe de pêcheurs et de paysans, les récits étranges de marins naufragés et de dauphins sauveurs, comme on peut en entendre encore de nos jours sur le môle de Naples.

– Bien volontiers, répondit Claudius ; d’ailleurs la baie est la partie la plus animée de la côte. »

Le Grec, attirant son compagnon loin de la foule, dirigea ses pas vers un endroit solitaire du rivage et les deux amis assis sur un petit rocher, qui surmontait des cailloux polis par la mer, aspirèrent la brise voluptueuse et rafraîchissante, dont les pieds invisibles en se jouant sur les flots, leur communiquaient un harmonieux murmure. Il y avait dans cette scène un charme qui invitait au repos et à la rêverie. Claudius, protégeant ses yeux contre les ardeurs du jour, calculait les gains de la semaine ; et le Grec, appuyé sur sa main et sans se défendre du soleil, divinité tutélaire de sa patrie dont la pure lumière inspiratrice de la poésie de la joie et de l’amour s’infiltrait dans ses veines, regardait avec ravissement la vaste étendue des eaux en enviant peut-être chaque souffle qui prenait son vol vers les rivages de la Grèce.

« Dites-moi, Claudius, s’écria le Grec après un long silence, avez-vous jamais été amoureux ?

– Oui, très souvent.

– Celui qui a souvent aimé, répondit le Grec, n’a jamais aimé : il n’y a qu’un Éros quoiqu’il y ait beaucoup de contrefaçons de ce dieu.

– Les contrefaçons ont bien après tout leur mérite de petits dieux, répliqua Claudius.

– Je l’accorde, répondit le Grec, j’adore jusqu’à l’ombre de l’Amour ; mais lui je l’adore bien davantage.

– Êtes-vous donc sérieusement et véritablement amoureux ? Éprouvez-vous ce sentiment que les poètes décrivent, un sentiment qui vous fait négliger vos repas, fuir le théâtre et écrire des élégies ? Je ne l’aurais jamais soupçonné ! Vous savez bien dissimuler.

– Je ne suis pas si avancé que cela, reprit Glaucus en souriant ; je dis plutôt avec Tibulle :

Celui qui prend l’amour pour guide et pour appui,

Marche tranquille et sûr. Les dieux veillent sur lui.

En réalité, je ne suis pas amoureux, mais je le serais volontiers, si j’avais l’occasion de voir l’objet que je désire. Éros voudrait bien allumer sa torche ; mais les prêtres ne lui donnent pas d’huile.

– L’objet est aisé à deviner. N’est-ce pas la fille de Diomède ? Elle vous adore et n’affecte pas de le cacher. Par Hercule, je le dis de nouveau, elle est à la fois jeune et riche ; les jambages des portes de son époux seront attachés avec des cordons d’or.

– Non, je ne veux pas me vendre. La fille de Diomède est belle, je l’avoue ; et dans un temps, si elle n’avait pas été la petite-fille d’un affranchi, j’aurais pu… mais non, elle porte toute sa beauté sur son visage ; ses manières n’ont rien d’une vierge et son esprit n’est cultivé que dans la science du plaisir.

– Vous êtes un ingrat. Dites-moi alors, quelle est la vierge fortunée.

– Écoutez donc, Claudius. Il y a quelques mois je séjournais à Néapolis2 , une ville selon mon cœur, car elle conserve encore les mœurs et l’empreinte de son origine grecque et elle mérite le nom de Parthénope par l’air délicieux qu’on y respire et par ses magnifiques rivages. Un jour, j’entrai dans le temple de Minerve pour offrir mes vœux à la déesse, moins pour moi-même que pour la cité à laquelle Pallas ne sourit plus. Le temple était vide et désert. Les souvenirs d’Athènes revenaient en foule et avec douceur à ma mémoire ; m’imaginant être seul encore dans le temple et absorbé par mon zèle religieux, je laissai échapper de mon cœur les sentiments qui le remplissaient, et des larmes s’échappèrent de mes yeux en même temps que des paroles de mes lèvres. Un profond soupir interrompit ma prière ; je me retournai aussitôt et je vis derrière moi une femme. Elle avait relevé son voile et elle priait aussi. Nos yeux se rencontrèrent et il me sembla qu’un regard céleste s’élançait de ces astres brillants et pénétrait jusqu’au fond de mon cœur. Jamais, mon cher Claudius, je n’avais vu une figure de forme plus exquise ; une certaine mélancolie adoucissait et ennoblissait en même temps l’expression de ses traits. Ce je ne sais quoi, qu’on ne peut décrire et qui vient de l’âme et que nos sculpteurs ont réservé pour idéaliser Psyché, donnait à sa beauté un noble et divin attrait ; des pleurs tombaient de ses yeux. Je devinai sur-le-champ qu’elle était comme moi d’origine athénienne et que les vœux que j’avais faits pour Athènes avaient trouvé un écho dans son cœur. Je lui parlai d’une voix émue : « N’êtes-vous pas aussi athénienne, lui dis-je, ô vierge charmante ? » Aux accents de ma voix elle rougit et ramena son voile sur son visage : « Les cendres de mes aïeux dit-elle reposent sur les bords de l’Ilyssus ; je suis née à Néapolis mais ma famille est d’Athènes et mon âme est tout athénienne. – Prions donc ensemble » repris-je. Et comme le prêtre survint en ce moment, nous mêlâmes nos prières aux siennes en restant ainsi l’un près de l’autre ; ensemble nous touchâmes les genoux de la déesse, ensemble nous déposâmes nos guirlandes d’olivier sur l’autel. J’éprouvai une étrange émotion de tendresse sacrée et de confraternité. Tous deux étrangers, nés sur une terre lointaine et déchue, nous étions seuls dans ce temple dédié à une divinité de notre pays : n’était-il pas naturel que mon cœur s’élançât vers ma compatriote car je pouvais l’appeler ainsi. Il me parut que je la connaissais depuis longtemps ; on eût dit que ces simples rites, comme par miracle, serraient entre nous les liens de la sympathie et du temps. Nous quittâmes le temple en silence et j’allais lui demander où elle demeurait et s’il me serait permis de la visiter, lorsqu’un jeune homme dont les traits avaient quelque ressemblance avec les siens et qui se tenait sur les degrés du temple vint la prendre par la main. Elle se retourna et m’adressa un adieu. La foule nous sépara. Je ne la revis plus. En revenant chez moi, je trouvai des lettres qui m’obligeaient à partir pour Athènes, où des parents m’intentaient un procès au sujet de mon héritage. Le procès gagné, je m’empressai de retourner à Néapolis ; je fis des recherches dans toute la ville sans pouvoir découvrir aucune trace de ma compatriote ; et dans l’espérance de perdre, au milieu d’une vie joyeuse, le souvenir de cette brillante apparition, je me plongeai avidement dans les voluptés de Pompéi. Telle est mon histoire. Je n’aime pas ; mais je me souviens et je regrette. »

Claudius se disposait à répondre, lorsque des pas lents et graves se firent entendre et au bruit des cailloux remués par la grève chacun des interlocuteurs se retourna et reconnut le nouvel arrivant.

C’était un homme, qui avait à peine atteint sa quarantième année, de haute taille, peu chargé d’embonpoint mais dont les membres étaient nerveux et saillants. Son teint sombre et basané révélait son origine orientale et ses traits possédaient quelque chose de grec dans leurs contours (surtout le menton, les lèvres, le front) à l’exception du nez un peu prononcé et aquilin ; les os de son visage durs et fortement accusés, le privaient de ces gracieuses et harmonieuses lignes, qui sur les physionomies grecques, conservent les apparences de la jeunesse jusque dans l’âge mûr ; ses yeux larges et noirs comme la plus sombre nuit brillaient d’un éclat qui n’avait rien de changeant ni d’incertain. Un calme profond, rêveur et à moitié mélancolique semblait s’être fixé dans leur regard imposant et majestueux. Sa démarche et son maintien avaient surtout de la gravité et de la mesure ; et quelque chose d’étranger dans la mode et dans les couleurs foncées de ses longs vêtements ajoutait à ce qu’il y avait de frappant dans son air plein de tranquillité et dans sa vigoureuse organisation. Chacun des jeunes gens, en saluant le nouveau venu, fit machinalement et en se cachant de lui avec soin, un léger geste ou signe avec les doigts ; car Arbacès l’Égyptien était censé avoir le don fatal du mauvais œil.

« Il faut que le point de vue soit magnifique, dit Arbacès avec un froid mais courtois sourire, pour attirer le gai Claudius et Glaucus si admiré, loin des rues populaires de la cité.

– La nature manque-t-elle donc de puissants attraits ? demanda le Grec.

– Pour les gens dissipés, oui.

– Austère réponse mais peu sage. Le plaisir aime les contrastes. C’est en sortant de la dissipation que la solitude nous plaît et de la solitude il est doux de s’élancer vers la dissipation.

– Ainsi pensent les jeunes philosophes de l’Académie, répliqua l’Égyptien, ils confondent la lassitude avec la méditation et s’imaginent, parce qu’ils sont fatigués des autres, connaître le charme des heures solitaires. Mais ce n’est pas dans ces cœurs blasés que la nature peut éveiller l’enthousiasme qui seul dévoile les mystères de son inexprimable beauté ! Elle vous demande non l’épuisement de la passion mais cette ferveur unique pour laquelle vous ne cherchez en l’adorant qu’un temps de repos. Ô jeune Athénien ! lorsque la lune se révélait dans une vision lumineuse à Endymion, ce n’était pas après un jour passé dans les fiévreuses agitations des demeures humaines mais sur les hautes montagnes et dans les vallons solitaires consacrés à la chasse.

– Belle comparaison ! s’écria Glaucus, mais application injuste. Épuisement, ce mot est fait pour la vieillesse, non pour la jeunesse. Quant à moi je n’ai jamais connu un moment de satiété. »

L’Égyptien sourit encore mais son sourire fut sec et glacé et Claudius lui-même, qui ne se laissait pas entraîner par son imagination, ressentit une impression désagréable. L’Égyptien ne répondit pas néanmoins à l’exclamation passionnée de Glaucus ; mais après un moment de silence, il dit d’une voix douce et mélancolique :

« Après tout, vous faites bien de profiter du temps pendant qu’il vous sourit ; la rose se flétrit vite, le parfum s’évapore bientôt ; et d’ailleurs, ô Glaucus ! à nous étrangers dans cette contrée et loin des cendres de nos pères, que nous reste-t-il si ce n’est le plaisir ou le regret ? L’un le plaisir pour vous ; l’autre le regret pour moi ! »

Les yeux brillants du Grec se remplirent soudain de larmes.

« Ah ! ne parlez pas ainsi, Arbacès, s’écria-t-il, ne parlez pas de vos ancêtres ; oublions qu’il y a eu d’autres villes libres que Rome. Et la gloire !… Oh ! nous voudrions vraiment évoquer son fantôme des champs de Marathon et des Thermopyles.

– Ton cœur n’est pas d’accord avec tes paroles, dit l’Égyptien ; et dans la gaieté de la nuit que tu vas passer, tu te souviendras plus de Leaena3 que de Laïs. Vale ! »

Il dit et, s’enveloppant dans sa robe, s’éloigna lentement.

« Je respire plus à mon aise, reprit Claudius. À l’imitation des Égyptiens, nous introduisons quelquefois un squelette dans nos festins. En vérité, la présence d’un tel personnage, semblable à celle d’un spectre, suffirait pour faire aigrir la plus belle grappe du raisin de Falerne.

– Homme étrange ! murmura Glaucus d’un air pensif ; quoiqu’il semble mort au plaisir et froid pour tous les objets de ce monde, si ce n’est pas un bruit calomnieux, sa maison et son cœur démentent ses discours.

– Ah ! Oui, l’on dit que sa sombre maison est vouée à d’autres orgies que celles d’Osiris. Il est riche aussi, assure-t-on. Ne pourrions-nous l’entraîner dans nos fêtes et lui faire connaître les charmes du dé, le plaisir des plaisirs ? Fièvre d’espérance et de crainte, passion qui ne lasse jamais et dont on ne peut exprimer les délices ! que tu es beau et terrible, ô Jeu !

– Il est inspiré vraiment inspiré, s’écria Glaucus en riant. L’oracle fait de Claudius un poète. Il n’y a plus de miracle possible après celui-là ! »

1Les Italiens d’aujourd’hui, surtout ceux des régions les plus méridionales, ont une particulière horreur des parfums ; ils les considèrent comme extrêmement malsains et la Romaine ou la Napolitaine demande à ses visiteurs de s’en abstenir. Fait fort étrange, cette narine si susceptible au moindre parfum, se trouve étonnamment close à son opposé. On peut littéralement appeler Rome « Sentina Gentium » : la sentine des nations.

2Naples.

3Leaena, l’héroïque maîtresse d’Aristogiton mise à la torture, se coupa la langue avec les dents de crainte que la douleur ne lui fit trahir la conspiration contre les fils de Pisistrate. Au temps de Pausanias, on voyait la statue d’une lionne élevée en son honneur à Athènes.

La parenté de Glaucus. – Description des maisons de Pompéi. – Une fête classique

Le ciel avait prodigué à Glaucus tous ses biens, un seul excepté : il lui avait donné la beauté, la santé, la richesse, le talent, une illustre origine, un cœur de feu, une âme poétique ; mais il lui avait refusé l’héritage de la liberté. Il était né à Athènes, sujet de Rome. De bonne heure, maître d’une fortune considérable, Glaucus avait cédé au goût des voyages si naturel à la jeunesse et s’était enivré à la coupe des plaisirs, au milieu du luxe et des pompes de la cour impériale.

C’était un Alcibiade sans ambition. Il était devenu ce que devient aisément un homme doué d’imagination, ayant de la fortune et des talents, lorsqu’il est privé de l’inspiration de la gloire. Sa maison était à Rome, le rendez-vous des voluptueux mais aussi de tous les amis des arts ; et les sculpteurs de la Grèce prenaient plaisir à montrer leur science en décorant les portiques et l’exedra d’un Athénien. Sa demeure à Pompéi… Hélas ! les couleurs en sont fanées maintenant, les murailles ont perdu leurs peintures ; sa beauté, la grâce et le fini de ses ornements, tout cela n’est plus. Cependant, lorsqu’elle reparut au jour, quels éloges et quelle admiration excitèrent ses décorations délicates et brillantes, ses tableaux, ses mosaïques ! Passionné pour la poésie et pour le drame, qui rappelaient à Glaucus le génie et l’héroïsme de sa race, il avait fait orner sa maison des principales scènes d’Eschyle et d’Homère. Les antiquaires, qui transforment le goût en métier, ont fait un auteur du Mécène ; et quoique leur erreur ait été reconnue depuis, leur langage a continué de donner, comme on l’a fait tout d’abord, à la maison exhumée de l’Athénien Glaucus le nom de la Maison du poète tragique.

Avant de la décrire, il convient de donner aux lecteurs, une idée générale des maisons de Pompéi, qu’il trouvera très ressemblantes en général aux plans de Vitruve, mais avec ces différences de caprices et de goût dans le détail qui bien que naturelles à l’homme ont de tout temps embarrassé les antiquaires. Nous tâcherons de faire cette description aussi clairement que possible et sans pédanterie.

Vous entrez habituellement, par un petit passage appelé vestibulum, dans une salle ornée ou non de colonnes, la plupart du temps n’en ayant pas. Aux trois côtés de cette salle, se trouvent des portes communiquant avec plusieurs chambres à coucher et parmi ces chambres, celle du portier. Les meilleures sont ordinairement destinées aux hôtes. À l’extrémité de la salle, et des deux côtés à droite et à gauche, si la maison est vaste, on voit deux petites retraites, plutôt que des chambres, consacrées aux dames de la maison ; et au milieu du pavé marqueté de la salle, il y a invariablement pour recevoir l’eau de la pluie, un petit réservoir à quatre angles (classiquement appelé impluvium) ; la pluie y tombait par une ouverture pratiquée dans le toit. Un auvent ferme cette ouverture à volonté. Près de l’impluvium, qui chez les anciens était en quelque sorte chose sacrée, on plaçait d’habitude (mais à Pompéi plus rarement qu’à Rome) les images des dieux protecteurs de la maison ; le foyer hospitalier si souvent mentionné dans les poètes romains et dédié aux lares, se composait presque toujours à Pompéi d’un brasier mobile. Dans quelque coin, celui qui sollicitait le moins d’attention, on déposait un grand coffre de bois orné ou fortifié par des cercles de bronze ou de fer et consolidé au moyen de clous, sur un piédestal de pierre avec assez de force pour défier les tentatives qu’aurait pu faire un voleur essayant de le détacher de sa position. On suppose que ce coffre était le coffre-fort du maître de la demeure, celui où il mettait son argent. Cependant, comme on n’a trouvé aucune pièce de monnaie dans les coffres de Pompéi, il est probable que c’était plutôt un meuble d’ornement que de service.

Dans cette salle (ou atrium pour parler classiquement) étaient reçus les clients et les visiteurs du rang inférieur. Les maisons les plus distinguées possédaient toutes un atriensis, c’est-à-dire un esclave consacré au service de cette salle et dont le rang était important et élevé parmi ses camarades. Le réservoir du centre a dû être un ornement dangereux ; mais le milieu de la salle ressemblait à la pelouse d’un collège, interdite aux passants qui trouvaient un espace suffisant à l’entour. Immédiatement en face de l’entrée et à l’autre extrémité de la salle, était situé l’appartement nommé tablinum avec un pavé ordinairement formé de riches mosaïques et dont les murs resplendissaient d’élégantes peintures. Là se conservaient les souvenirs de la famille ou ceux des charges publiques que le possesseur de la maison avait remplies. Sur un des deux côtés de ce salon, si on peut lui donner ce nom, la salle à manger (triclinium) ; de l’autre côté parfois, ce que nous appellerions maintenant un cabinet de curiosités, contenant des pierres précieuses et toutes sortes d’objets rares et coûteux ; puis toujours, un petit corridor pour les esclaves, afin qu’ils pussent se rendre dans toutes les parties de la maison sans passer par les appartements, dont nous avons fait mention. Ces chambres donnaient toutes sur une colonnade carrée et oblongue, qu’en termes techniques on nommait péristyle. Si la maison était petite, elle avait pour limite cette colonnade et dans ce cas, le centre, quoique fort resserré, en était disposé ordinairement en jardin et orné de vases de fleurs placés sur des piédestaux ; tandis qu’au-dessous de la colonnade, à droite et à gauche, se faisaient remarquer de nouvelles chambres à coucher1, un second triclinium ou une nouvelle salle à manger (car les anciens consacraient habituellement deux salles à ces usages : l’une pour l’été et l’autre pour l’hiver ou peut-être l’une pour les jours ordinaires et l’autre pour les jours solennels) et si le maître de la maison aimait les lettres, on trouvait ensuite un cabinet gratifié du nom de bibliothèque, une très petite chambre suffisant à contenir le peu de rouleaux de papyrus qu’ils considéraient comme une collection nombreuse de livres.

Au bout du péristyle généralement la cuisine. Si la maison était vaste, elle ne se terminait pas avec le péristyle et alors le centre n’en était pas un jardin, mais on manquait rarement d’y voir une fontaine, un bassin pour le poisson et à l’extrémité exactement opposée au tablinum, se trouvait la seconde salle à manger ou les autres chambres à coucher et peut-être un salon de peinture ou une pinacotheca2. Ces appartements communiquaient de nouveau avec un espace carré et oblong orné communément de tous côtés d’une colonnade comme le péristyle et lui ressemblant à peu près en tout, si ce n’est qu’il était plus large. C’était le véritable viridarium ou jardin, avec une fontaine, des statues et une profusion de fleurs éclatantes ; tout au fond, l’habitation du jardinier et des deux côtés sous la colonnade, d’autres chambres à coucher si le nombre de la famille exigeait ces appartements additionnels.