Les désarrois d’un mâle blanc - Salah Tengour - E-Book

Les désarrois d’un mâle blanc E-Book

Salah Tengour

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Beschreibung

André est un enseignant à la retraite depuis plus de deux ans. Il vit à Saint-Denis, une ville qui baigne dans un brassage ethnique et culturel. Il se sent de plus en plus mal en présence de cette population venue d’Afrique dont le nombre croissant le dérange et l’inquiète. Comme beaucoup de Français, il ne se sent plus chez lui. Sa vie bascule lorsqu’il fait la connaissance de Fatimata, une aide à domicile chargée de s’occuper de sa femme atteinte d’un cancer. André n’envisage qu’une relation purement physique, mais il comprendra très vite que la jeune Malienne n’entend pas être un simple jouet sexuel. André n’a pas toujours été habité par la rage et l’amertume. Il garde la nostalgie d’un premier amour qui entretient le souvenir des belles années. Est-ce cela qui l’empêche d’accepter cette France nouvelle qu’il ne comprend plus ?


À PROPOS DE L'AUTEUR 


Après des études de droit, Salah Tengour s’oriente vers le monde des affaires. Parallèlement à ses activités professionnelles, il se consacre à l’écriture et publie plusieurs recueils de nouvelles et articles dans des revues. Il est l’auteur du roman Les larmes d’Andromaque. Opposé à tout conflit génétique entre l’Orient et l’Occident, il se préoccupe des relations Nord-Sud et considère les flux migratoires et les problèmes environnementaux comme les défis majeurs du monde de demain. Avec Les désarrois d’un mâle blanc, un roman volontairement provocant, il livre sa réflexion personnelle.

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Seitenzahl: 481

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Salah Tengour

Les désarrois d’un mâle blanc

Roman

© Lys Bleu Éditions – Salah Tengour

ISBN : 979-10-377-9281-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Les Larmes d’Andromaque – Tome I – Le lycée Arago,

Lys Bleu Édition, 2021 ;

Les Larmes d’Andromaque – Tome II – Promenades napolitaines,

Lys Bleu Édition, 2021 ;

Les Larmes d’Andromaque – Tome III – Nadia,

Lys Bleu Édition, 2022 ;

Les Larmes d’Andromaque – Tome IV – La bataille de Khafji,

Lys Bleu Édition, 2022.

J’ai un ami qui est xénophobe. Il déteste à tel point les étrangers que lorsqu’il va dans leur pays. Il ne peut pas se supporter.

Raymond Devos

I

Arrivé chez lui, André se dirigea directement vers la cuisine. Il sortit les provisions du cabas en plastique et les déposa sur la table. Il commença par les trier avant de les ranger soigneusement dans le réfrigérateur. Il mit d’abord les légumes et les fruits dans le bac du bas et disposa sur la rangée du haut les yaourts nature en les alignant selon la date de péremption. Dans l’étagère du milieu, il poussa les deux briques de lait et la boîte de camembert en écartant sur le côté une assiette contenant les restes d’un pâté de campagne, pour faire de la place.

Il inspecta le contenu du réfrigérateur une dernière fois avant d’ouvrir le placard qui était à côté et de placer les deux paquets de café, les gâteaux Lu, les paquets de chips et le chocolat aux amandes Milka sur la planche du haut.

Il réfléchit un moment, puis logea les boîtes de conserve sur la planche du bas.

Une fois les provisions à leur place et la table débarrassée, il s’accorda un petit moment de répit. Il s’empara de la bouteille qui traînait sur le sol et la posa au milieu de la table de cuisine, puis se versa un verre de vin rouge qu’il but d’un trait. Il était un peu essoufflé comme s’il avait couru, et la tête lui tournait un peu. Ses jambes étaient lourdes et il ressentait des difficultés à rester debout. Il reposa le verre vide sur la table puis se laissa choir lourdement sur la vieille chaise bistrot des années soixante. Il hésita quelques secondes avant de se reverser un deuxième verre qu’il sirota lentement.

Après avoir vidé les deux verres, il reboucha la bouteille de vin et la rangea avec soin dans le placard.

Il essayait de reprendre son souffle. Contrairement à son habitude, André avait préféré gravir les quatre étages à pied, pour faire un peu d’exercice, au lieu de prendre l’ascenseur. Mais il avait perdu l’habitude de l’effort physique et le sac à provisions qu’il avait porté était assez lourd. Son cœur continuait de cogner comme s’il voulait s’échapper de sa poitrine.

Cinq ans plus tôt, André passait encore pour un bel homme, un homme élégant et cultivé. Maintenant, à soixante-quatre ans, son apparence physique commençait légèrement à se dégrader. Sa calvitie n’était pas encore très visible, mais elle s’accentuait progressivement au fil des ans et cela le désolait. De nouvelles rides traçaient de petits sillons sombres sur son front et sur ses joues. Les crèmes qu’il appliquait chaque soir avant de s’endormir n’arrivaient pas à les gommer. Avec amertume, il commençait à sentir le poids de l’âge et les ravages causés par les années qui défilaient. Il prenait petit à petit conscience de la fuite inexorable des jours.

Depuis quelque temps, l’idée de la mort le tenaillait. Il réalisait, avec une certaine inquiétude, qu’il ne s’était jamais préparé à cette échéance fatale et inéluctable. Comme la plupart des hommes, il repoussait cette idée et cherchait à se rassurer en se disant qu’il avait encore une bonne quinzaine d’années devant lui.

Il jeta un coup d’œil distrait sur le journal de la veille qui traînait sur la table et parcourut les gros titres. On y parlait de la violence dans les banlieues, des trafics de drogue, des sittings des sans-papiers dans le centre de Paris, du mouvement hebdomadaire des gilets jaunes. Tous ces sujets, les journaux en faisaient chaque jour leurs choux gras.

Sur la première page du Parisien, il pouvait lire : La Présidente de la région Île-de-France déclare : « la situation des banlieues est explosive ». Plus loin, sur une autre colonne, un article détaillait la situation dans le sud de la France : « À Marseille, les caïds maghrébins font régner l’ordre social ».

André poussa un profond soupir de résignation puis plia le journal avec soin et le déposa sur le coin de la table. Il continuerait sa lecture le soir, avant de s’endormir.

Pendant un court moment, son esprit erra sans se fixer nulle part. Il n’arrivait pas à se concentrer sur quelque chose de précis, comme si quelque chose le tracassait.

À travers la vitre de la fenêtre fermée se découpait un morceau de ciel gris et nuageux. La fenêtre donnait sur la magnifique façade de l’ancien Couvent des Ursulines. Par habitude, André jetait toujours un coup d’œil sur le portail monumental avec son tympan triangulaire représentant la Vierge entourée des Ursulines.

Ce matin, il n’avait même pas le courage de se lever et de profiter de cette vue admirable qui lui faisait oublier, pour un bref moment, qu’il habitait une ville qui avait la réputation d’être sale et crasseuse, où s’entassaient les Noirs et les Maghrébins.

On était déjà fin mars. Le mauvais temps persistait depuis une semaine sans perspective d’amélioration. Il consulta sa montre. Onze heures dix.

Fatimata n’allait pas tarder à arriver. C’était l’aide à domicile qui s’occupait de sa femme. Une Malienne, vive et alerte, toujours souriante et de bonne humeur, avec des formes belles et généreuses. André ne l’avait jamais interrogée sur son âge, mais il était persuadé qu’elle devait avoir moins de quarante ans. Trente-sept ou trente-six ans peut-être. Au cours d’une conversation, elle lui avait confié qu’elle avait deux enfants. Un garçon de douze ans et une fillette de huit ans. Depuis presque trois mois qu’elle était au service de sa femme, André, qui était surtout sensible au physique des femmes, n’avait jamais cherché à en savoir plus sur elle. Mais depuis quelques semaines, son image lui trottait dans la tête. D’une manière insidieuse, elle avait pris une place importante dans ses pensées et cela l’agaçait fortement.

Il détacha ses yeux de la fenêtre et promena un regard fatigué autour de lui. C’était toujours le même décor terne, immuable et sans surprise. Comme toujours, chaque objet était bien à sa place. La vaisselle était rangée, l’évier brillait de propreté. Rien ne traînait. Son regard s’arrêta sur la table. Il remarqua une petite tache de café sur la nappe en toile cirée. Il se leva aussitôt et se dirigea vers le meuble sous l’évier. Il y avait une éponge défraîchie et des produits de vaisselle. Il versa un peu de liquide sur l’éponge et passa un coup rapide pour effacer la marque. La tache noire était bien incrustée sur la nappe. Il dut frotter vigoureusement pour la faire disparaître.

André avait horreur de la saleté. Horreur du désordre. Il aimait bien que chaque chose fût à sa place et que tout fût en ordre. Une manie qu’il avait acquise très tôt, dès son enfance, et qui lui fut inculquée par sa mère. Sa mère qui avait l’habitude de répéter qu’une femme qui se respecte doit toujours tenir sa maison impeccable.

Quand le souvenir de sa mère faisait irruption dans son esprit, il éprouvait un débordement d’émotions qu’il n’arrivait pas à contenir.

Quatre ans déjà. Sa mère était morte depuis quatre ans et il n’arrivait toujours pas à faire son deuil et à l’oublier. Mais est-ce qu’on oublie les gens, tout simplement parce qu’ils sont morts ? Parfois, il arrive que l’absent occupe tout l’espace, qu’il se fixe durablement dans la mémoire et qu’il n’en déloge plus. Avant de mourir, elle était devenue une petite vieille souriante et desséchée, mais dans son souvenir, elle demeurait toujours cette femme jeune et belle, drapée dans une robe claire, assise sur un fauteuil en velours avec un bouquet de fleurs sur les genoux, telle qu’elle apparaissait sur la photo qui trônait au salon sur le grand buffet en chêne clair entre deux chandeliers en bronze.

Après la mort de son père, sa mère était venue habiter chez lui. C’était sa femme qui avait insisté pour la garder. On lui avait donné une chambre indépendante qui servait auparavant de bureau à André. Les premiers temps, ça marchait plutôt bien entre les deux femmes. Annie, sa femme, et Marceline, sa mère, s’entendaient parfaitement bien. Elles avaient tissé entre elles une vraie complicité. Et puis, peu à peu, les rapports entre la bru et la belle-mère se sont détériorés. Annie reprochait à Marceline son mauvais caractère et son intransigeance, et de son côté, Marceline accusait Annie de ne pas s’occuper assez de son ménage et de délaisser son mari. La tension entre les deux était devenue trop forte, insupportable. Il avait fallu alors envisager de placer Marceline en maison de retraite.

André était contre. Il en avait parlé à son frère Lucien pour trouver ensemble une solution. Son frère qui avait deux ans de plus que lui vivait dans une petite ville en Sologne, près de la Ferté-Saint-Aubain. Il possédait une scierie et une exploitation forestière. Il employait une dizaine de personnes dirigée par un contremaître d’origine portugaise. Son frère avait écarté le problème en disant que la maison de retraite était la meilleure solution. André ne s’était pas entêté. Il n’avait aucun goût pour l’affrontement. Il avait fini par se plier à la volonté de sa femme et à celle de son frère.

Au bout du compte, sa mère avait passé trois ans avec Annie et son fils. Elle était restée ensuite neuf ans dans une maison de retraite à Meudon.

Bien que cette décision lui en coûtât beaucoup, André ne fit aucun reproche à Annie. Il n’exprima jamais la moindre rancœur ni la moindre colère. Malgré tout, il subsistait au fond de son âme une meurtrissure invisible et un lourd sentiment de culpabilité.

La sonnerie de la porte d’entrée retentit. André rangea précipitamment le chiffon dans un tiroir de la table et reposa l’éponge près de l’évier.

Il contourna la table et se dirigea vers la porte d’entrée. Une femme noire, mince et vigoureuse apparut dans l’encadrement de la porte. Sous le long manteau défraîchi, il devina un corps sain et bien proportionné. Un petit vent frais lui caressa le visage.

Il dit d’un ton poli :

— Entrez, je vous en prie, Fatimata.

La jeune femme fixa sur André deux yeux ronds pétillants et ses lèvres délicates, mais très sensuelles d’un rouge sombre, esquissèrent un large sourire découvrant une rangée de dents blanches et bien alignées.

Une fois que la jeune femme eut pénétré dans le vestibule, il ajouta :

— Passez-moi votre manteau Fatimata, je vais l’accrocher au porte-manteau.

La jeune femme retira son manteau noir en laine dans lequel elle était engoncée et entra d’un pas décidé à l’intérieur de la salle à manger.

À la vue du corps terriblement sexy, André éprouva un petit choc délicieux et se demanda pour quelle raison une femme qui avait la chance de posséder une silhouette aussi parfaite et terriblement sensuelle s’affublait d’un aussi vieux manteau.

Il se tint volontairement en arrière pour mieux l’observer avec un plaisir non dissimulé.

La jeune malienne roulait ostensiblement des fesses avec une indécence provocatrice. Ses seins bondissants, fiers et arrogants, à l’étroit dans leur soutien-gorge, tendaient la soie fine et scintillante de son chemisier.

La vision du corps en mouvement provoqua chez André un désir si fort qu’il déclencha presque une douleur physique au creux de son estomac, comme un violent coup de poing.

Il maugréa rageusement en son for intérieur :

— La salope, elle a vraiment un cul d’enfer !

Dépité contre lui-même d’avoir eu cette réflexion triviale qui lui donna l’impression de s’être rabaissé, il essaya de se reprendre.

Il articula d’une voix mal assurée :

— Fatimata, vous prendrez bien une tasse de café ?

La jeune femme déclina l’offre d’un geste de la main :

— Ne vous donnez pas cette peine, Monsieur André. Il y a Madame Annie qui m’attend.

André insista en posant doucement sa main sur l’épaule de Fatimata et l’incita à s’asseoir.

— Le café est encore chaud. Je l’apporte. Annie peut attendre un petit moment.

Il ajouta en riant :

— Vous n’êtes pas aux pièces, ici.

Après avoir prononcé cette phrase banale, André eut un doute. Il se demanda si la jeune malienne pouvait comprendre ce genre de remarque placée hors de son contexte. Elle n’était en France que depuis sept ans.

Il versa lentement le café dans la tasse, puis demanda :

— Combien de sucre, Fatimata ?

La jeune malienne répondit en minaudant :

— Un sucre, Monsieur André. Je dois faire attention à ma ligne. J’ai envie de perdre du poids.

André esquissa un sourire en biais. La femme lui tendait la perche qu’il escomptait. Il la saisit aussitôt en remettant sa main sur son épaule.

— Voyons Fatimata, qu’est-ce que vous racontez ? Vous avez des formes superbes, magnifiques. Surtout, restez comme vous êtes !

Sa main qui était restée suspendue à l’épaule de la jeune femme remonta doucement vers la nuque. C’était une technique d’approche prudente qu’André aimait bien utiliser. Un geste anodin qui pouvait facilement passer pour un simple frôlement ou bien le début d’une caresse. Pour André, c’était le préliminaire indispensable avant d’aller plus loin.

Avec les femmes, André s’était toujours montré prévenant et courtois, faisant preuve d’une galanterie un peu démodée. Mais depuis quelques années, avec la poussée du féminisme et surtout le mouvement Me-Too, il avait constaté un changement dans le comportement des femmes, en particulier des femmes occidentales.Lemoindre geste, la moindre remarque sur leur physique ou sur leur personnalité constituaient déjà, pour elles, une forme de harcèlement. Avec certaines, les choses prenaient vite une tournure désagréable. Parfois même dangereuse. Comme beaucoup d’hommes, il était devenu prudent, timoré. Il avait adopté une attitude très précautionneuse et restait vigilant. Il n’osait plus aborder les femmes dans la rue ou sur les terrasses des cafés.

Après l’hommage légèrement appuyé sur la plénitude de ses formes particulièrement appétissantes et le geste discret sur la nuque, André guettait prudemment la réaction de Fatimata.

À moins d’être une déficiente mentale, il pensait que n’importe quelle femme saurait interpréter très vite ce signal d’intérêt adressé par un homme.

La jeune malienne ne manifesta aucune réaction. Elle ne marqua également aucune surprise et ne se raidit pas au contact de la main posée sur son cou. André interpréta cela comme un signe encourageant. Il pensa que ce n’était pas encore gagné, mais c’était déjà un début prometteur.

Il se pencha en avant, un peu étourdi par l’odeur forte, troublante, de la peau noire. Il remarqua que le bouton du haut du chemisier moulant s’était déboutonné, exhibant la belle rondeur des seins. Il fut pris soudain d’un désir brutal et impérieux. Il aurait voulu glisser sa main dans le corsage, le déboutonner complètement et libérer la poitrine généreuse de sa prison de soie. Puis enfouir sa tête au creux de son ventre tiède et se mettre à la téter comme un bébé.

Il ressentit une vague de chaleur le submerger. Il s’écarta doucement, vivement impressionné par la force et l’étrangeté de ses envies et la confusion dans laquelle il se trouvait plongé. Il serra les poings pour contenir cette frénésie féroce qui s’était déclenchée spontanément. Sous le coup d’une impulsion subite, sa main glissa vers le bas de son dos jusqu’à la rondeur naissante de ses fesses.

Fatimata se leva et lui décocha un sourire ironique :

— Allons, Monsieur André, il faut être sage. Madame Annie m’attend. Je dois m’occuper de sa toilette.

André rougit violemment. Il baissa la tête, honteux, comme s’il avait été pris en faute. Il regarda la jeune femme se diriger vers la chambre à coucher en roulant lascivement des hanches. Il fixa avidement les fesses rondes et fermes mises en valeur par un legging très moulant. Il ferma un moment les yeux et s’imagina caresser doucement la petite culotte noire en dentelle qu’il avait admirée furtivement lorsque la jeune femme s’était assise.

Une voix cria :

— C’est vous Faty ?

Puis la voix rauque, un peu cassée de Fatimata :

— Oui, Madame Annie, c’est moi. Comment vous portez-vous aujourd’hui ?

Fatimata se leva aussitôt et se dirigea vers la chambre à coucher. Il entendit claquer la porte, puis des bruits de voix étouffés.

André ouvrit les yeux pour renouer avec la réalité. Son corps, secoué de spasmes voluptueux, avait retrouvé une nouvelle virilité qui l’étonna.

Au fond de lui-même, il bouillonnait d’une rage violente et soudaine.

— Cette petite salope ! Est-ce qu’elle se doute de quelque chose ? Sûrement. Cette belle aguicheuse sait qu’elle est terriblement bandante moulée dans ses vêtements trop serrés. Avec sa croupe et ses seins, cette chienne lubrique ferait bander un mort. Cette jolie négresse, depuis qu’elle s’est fait défriser et lisser les cheveux, elle est devenue terriblement sexy. Il faut vraiment que je me la fasse !

André se sentait fébrile, tendu et impatient. Il éprouvait un sentiment de frustration qui lui causait des tremblements nerveux. Son attirance agressive pour cette femme à la peau d’ébène ne s’exprimait que par des mots violents, crus, presque orduriers. Dans son désir lubrique, il n’y avait pas la moindre parcelle de sentiment ni de respect. C’était juste une pulsion primaire qu’il voulait assouvir, comme la faim ou la soif.

Pour dissiper la tension accumulée, il essaya d’ironiser :

— On dirait que cette panthère noire a réveillé le fauve qui sommeillait en moi.

Malgré sa volonté de tourner en dérision sa situation, il n’arrivait pas à se détendre. L’envie qui le rongeait était trop forte, trop soudaine. Il employait sciemment un vocabulaire vulgaire, bestial pour évoquer la jeune femme, croyant provoquer ainsi le dégoût nécessaire qui le ferait se ressaisir et l’éloigner de cette immigrée malienne. C’était finalement le contraire qui se produisait.

Avec les femmes qu’il avait connues, André eut peu l’occasion d’employer des expressions égrillardes et licencieuses. Il ignorait que les mots obscènes, paillards, orduriers, agissent souvent comme de puissants aphrodisiaques et stimulent davantage le désir sexuel.

Il brûlait d’envie de saisir les fesses de cette Noire, belle et primitive, et de les plaquer contre son bas-ventre, et sentir son sexe se durcir au contact de sa chair tendre.

Resté seul, André demeura longtemps plongé dans ses réflexions. Elles s’arrêtèrent subitement lorsqu’il entendit la porte de la salle de bain s’ouvrir puis se refermer. Quelques instants plus tard, Fatimata apparut, sortant de la chambre à coucher, les manches de son chemisier relevées. Des gouttes d’eau perlaient sur sa peau dorée. À la vue de la jeune femme, André sentit son corps secoué par un frisson de désir. Sa nuque se raidit. Il était surpris par l’intensité et la violence de son désir où se mêlaient une rage et une colère qu’il ne comprenait pas.

Subitement, il la redécouvrait.

Pour André, comme pour la plupart des Occidentaux, tous les Noirs se ressemblent. La Malienne qui s’était présentée trois mois plus tôt pour s’occuper de sa femme ne faisait pas exception à la règle. C’était une Noire comme les autres avec une petite particularité. Elle n’avait pas des cheveux crépus, mais très frisés.

À son arrivée, il ne lui prêta pas une grande attention, trop heureux d’avoir enfin trouvé une aide à domicile qui s’occuperait de sa femme. Il considéra simplement qu’elle ne payait pas de mine avec ses vêtements amples et fripés qui ne la mettaient pas en valeur. Heureusement, il jugea qu’elle ne ressemblait pas à ces femmes noires plantureuses avec de grosses lèvres charnues, drapées dans un niqab qui les recouvrait de la tête aux pieds, qu’il côtoyait habituellement au marché de Saint-Denis. De toute façon, il n’était pas question pour lui qu’une femme voilée franchît le seuil de sa porte.

Non, à son arrivée, Fatimata n’avait suscité aucun désir particulier, bien qu’elle lui parût assez jolie pour une Noire. Ce n’est que quelques semaines plus tard qu’il commença à s’intéresser à elle, lorsqu’il la vit avec des cheveux lisses et des vêtements moulants aux couleurs fluorescentes qui révélaient de belles formes arrondies et onduleuses.

La transformation de la jeune femme n’était pas fortuite. Au cours d’une conversation qu’il avait surprise entre Fatimata et sa femme, il avait appris que la jeune employée s’était séparée de son mari, un homme beaucoup plus âgé qu’elle, violent et jaloux.

À partir de quelques bribes qu’il avait recueillies fortuitement, André avait reconstitué une partie de la vie de Fatimata.

À leur arrivée en France, le couple n’avait pas de titre de séjour. Le mari travaillait clandestinement dans un restaurant marocain. Dénoncé par ses voisins à la suite de disputes répétées, il fut convoqué au commissariat de police puis reconduit sans ménagement vers le Mali, son pays d’origine. Sa femme, ayant deux enfants, avait pu régulariser sa situation grâce aux services sociaux de la mairie communiste de Saint-Denis. On lui trouva rapidement un logement et un travail.

Dotée d’un esprit vif et volontaire, Fatimata prit des cours de français destinés aux nouveaux arrivants et très rapidement, elle acquit une bonne maîtrise du français. Elle déposa une demande de divorce qu’elle obtint rapidement. Débarrassée enfin de ses fers et devenue maîtresse de son corps, l’épouse soumise ayant recouvré sa liberté n’hésita plus à dévoiler ostensiblement ce corps splendide qui faisait sa fierté.

En sortant de la chambre d’Annie, Fatimata adressa à André un sourire coquet et, d’un léger mouvement de tête, elle rejeta ses cheveux en arrière. Légèrement épuisée par l’effort fourni, sa poitrine ronde se soulevait au rythme de sa respiration saccadée. Son chemisier partiellement déboutonné laissait apparaître le haut de son soutien-gorge en satin de couleur beige.

Vaguement troublé, André dit, en l’invitant à s’asseoir :

— Asseyez-vous, Fatimata. Vous avez l’air un peu fatiguée. Je vous apporte à boire.

Il précisa, avec un petit sourire en coin :

— Du jus d’orange, bien sûr.

D’une voix essoufflée, elle répondit :

— Merci, Monsieur André. Madame Annie a voulu prendre un bain aujourd’hui. Ça m’a un peu fatiguée. Elle va beaucoup mieux maintenant. Elle arrive à se déplacer.

André déposa la bouteille de jus d’orange sur la table, puis rapporta un verre. Tandis que la jeune femme buvait son jus par petites gorgées, il coula vers elle un regard inquiet, tendu. Sans savoir pourquoi, il éprouvait une sensation d’urgence.

Il trouvait que Fatimata n’avait pas la peau foncée comme la plupart des Maliennes qu’il croisait au marché de Saint-Denis. La sienne était plus claire, couleur pain d’épice. Son nez n’était pas épaté et ses lèvres n’avaient pas cette épaisseur commune à beaucoup de femmes africaines. Les lèvres de Fatimata avaient un contour bombé et onduleux. Joliment fardées. Pulpeuses et colorées, elles étaient une exquise invitation au baiser.

André scruta discrètement les traits de son visage. Ils étaient assez fins, affirmés et bien ciselés. Originaire du nord du Mali, il pensa que Fatimata était sans doute une femme Peule, et dans ses veines coulait certainement un peu de sang berbère ou touareg.

Lorsqu’elle déposa son verre, un fin sourire détendit son visage. Adoptant une attitude protectrice, André se rapprocha de Fatimata, enroulant négligemment son bras autour de ses épaules, le cou tendu comme un animal à l’affût, prêt à bondir. Il n’arrivait pas à détacher ses yeux des seins ronds et palpitants qui se soulevaient et redescendaient au rythme d’une respiration devenue plus calme et plus régulière.

André ne comprenait pas ce qui lui arrivait. La proximité de ce corps tendre et frémissant le troublait avec une telle intensité qu’il n’arrivait pas à stabiliser ses pensées. Son cœur cognait trop fort dans sa poitrine. Ses jambes fléchissaient. Il était prêt à tomber à genoux devant cette jolie noire qu’il connaissait à peine. À s’humilier devant elle.

Il s’écarta de la chaise et essaya de reprendre ses esprits. Son cerveau cherchait vainement une explication acceptable à son comportement imprévisible et désordonné.

Mais il était trop perturbé pour réfléchir calmement. Pour se venger du désir sauvage et humiliant que cette femme, qui n’était à ses yeux qu’une moricaude sensuelle et provocante, avait déclenché en lui, il ruminait en silence le paquet d’injures à connotation sexiste et raciste qu’il stockait dans la partie sombre de son cerveau reptilien.

Il se répétait en essayant de trouver une explication rationnelle à son comportement :

— Qu’est-ce qui m’arrive ? Cette pétasse est en train de me rendre dingue. C’est sûrement à cause de sa tenue aguichante qui met en relief sa chair souple comme du velours, bombée comme un beau fruit exotique. En venant ici, habillée comme une gourgandine, elle savait bien ce qu’elle faisait, la petite garce. Cette allumeuse m’a tendu un piège, et moi, pauvre abruti, je tombe en plein dedans. Une femme ne met pas ce genre de tenue très sexy sans avoir une arrière-pensée en tête. Mais qu’est-ce qu’elle veut au juste ? Qu’est-ce qu’elle attend de moi ?

Un peu décontenancé par la vivacité de sa réaction, il masqua rapidement son désarroi et feignit une gaieté rassurante. Avant que la jeune femme ne devinât les sentiments troubles qui agitaient son employeur, celui-ci avait déjà retrouvé son air jovial et affable.

Ayant recouvré une partie de ses esprits, il tenta une approche timide :

— Vous savez Fatimata, je vous trouve vraiment ravissante avec cette tenue. Vous faites très jeune et très moderne. C’est vrai, vous avez terriblement changé en l’espace de quelques semaines. C’est extraordinaire !

La femme ne répondit pas, se contentant de hocher la tête et conservant sur ses lèvres rouges et charnues un sourire libre et malicieux.

André n’était pas un grand séducteur mais il avait une technique personnelle qui lui permettait d’obtenir quelques succès. Il avait noté que toutes les femmes adorent les compliments sur leurs physiques lorsqu’ils sont adroitement tournés et à condition qu’ils ne soient pas trop appuyés. Cela était particulièrement vrai pour les femmes africaines à la peau claire. Ces dernières étaient très sensibles aux compliments, surtout venant de la part des toubabs. Cela les rehaussait et leur conférait une supériorité à l’égard des Africaines à la peau plus foncée.

André avait les préjugés des hommes blancs de sa génération. Il pensait que les jeunes femmes africaines, lorsqu’elles avaient la peau claire et les cheveux lisses, et parce qu’elles avaient une grosse poitrine ronde et ferme et savaient rouler du cul sur de hauts talons, se considéraient comme les maîtresses du monde. Qu’elles pouvaient mettre tous les hommes à leurs pieds.

Pour André, il n’était pas question pour lui de les détromper. Au contraire, il voulait flatter leur vanité et entrer dans leurs bonnes grâces.

Adroitement, il continua ses manœuvres d’approche :

— Vous savez Fatimata, à vous voir aussi belle et aussi sexy, je me dis que vous avez sûrement un amoureux. Est-ce que je me trompe ?

La femme se tortilla sur sa chaise et émit un petit rire sonore. Elle redressa son buste et pointa vers lui sa poitrine arrogante et voluptueuse emprisonnée dans un soutien-gorge en satin couleur chair, terriblement excitant.

André esquissa un petit sourire vainqueur. Son ton flatteur et direct avait fait mouche. Il avait remarqué que les allusions élogieuses sur son physique avaient embarrassé la jeune femme mais l’avaient aussi délicieusement troublée. Elle se tenait assise, les mains posées sur ses cuisses, légèrement écartées, dans une attitude relâchée, les lèvres entrouvertes. Pour André, qui se flattait de comprendre le comportement des femmes parce qu’il avait lu quelques traités sur la sexologie et la libido féminine, c’étaient là des signes visibles qui ne trompaient pas.

Après un bref moment, la jeune femme se leva d’un seul coup de son siège et lança :

— Voyons, Monsieur André ! Il ne faut pas me parler comme ça. Je suis une mère de famille.

Prenant un air faussement malicieux, André ajouta :

— Oui, mais vous êtes une jeune mère de famille ! Et terriblement séduisante.

La jeune Noire se mit à glousser :

— Vraiment, vous n’êtes pas sérieux aujourd’hui, Monsieur André. Vous êtes un polisson. Je ne vous écoute plus. Je vais préparer le déjeuner de Madame Annie.

Le visage d’André exprima une moue de satisfaction. Il avait atteint une partie du but qu’il s’était fixé. Il avait réussi à faire comprendre à cette aide à domicile excitante qu’elle lui plaisait et visiblement, cela n’eut pas l’air de l’effrayer ni de l’inquiéter. Avec la suffisance marquée des hommes instruits et jouissant d’une certaine aisance matérielle, il songea qu’il avait habilement manœuvré et considéra la bataille comme étant presque gagnée.

Il la regarda s’éloigner vers la cuisine en se déhanchant effrontément à son intention.

Il pensa avec une joie mauvaise :

— C’est ça ma belle, continue ton numéro ! Tu sais que j’aime voir ton corps superbe, brûlant comme la braise, bouger dans des vêtements serrés et fins comme une seconde peau. C’est un spectacle dont je ne me lasse pas.

Lorsqu’elle referma la porte derrière elle, André resta un instant pensif, se projetant des images lascives et voluptueuses du corps de la gracieuse malienne.

Il goûta ce bref moment d’ivresse sensuelle comme un assoiffé à qui on tend un verre d’eau. Son corps fut parcouru d’un long frisson charnel. Puis à regret, il écarta de son esprit ces images fortement imprégnées d’érotisme et se dirigea vers la chambre à coucher de sa femme.

Il toqua doucement à la porte.

Il attendit un moment, puis une voix lente, un peu lasse, répondit :

— Tu peux entrer.

André ouvrit doucement la porte comme s’il craignait de déranger. La pièce était plongée dans l’obscurité. Une obscurité silencieuse qui dégageait une atmosphère pesante, un peu oppressante. Les lourds rideaux de velours rouges étaient tirés de part et d’autre ne laissant filtrer aucune bande de lumière entre l’intervalle.

Il s’avança à tâtons, les bras en avant, cherchant l’interrupteur de la petite lampe sur la table de chevet.

La lumière tamisée de la lampe éclaira faiblement le grand lit. La pièce parut, baignée dans une semi-obscurité. Annie cligna des yeux et poussa un gémissement plaintif.

André demanda aussitôt :

— La lumière te gêne. Tu veux que j’éteigne ?

Elle secoua la tête :

— Non, laisse la lumière.

Elle chercha à se redresser mais retomba aussitôt en arrière contre l’oreiller. André se pencha sur Annie et passa ses bras sous ses aisselles. Il la souleva doucement pour la relever. Elle avait encore les cheveux mouillés. En appuyant sa tête contre lui, elle orna son bras de chemise d’une large tâche humide.

Le peignoir rose de sa femme s’était entrouvert, révélant un sein d’une blancheur d’ivoire. André ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil discret par l’entrebâillement du peignoir.

Annie était très fière de ses seins. Ni trop gros, ni trop petits. Juste ce qu’il faut. Des beaux seins semblables à de belles oranges juteuses, et non des petits citrons acides. Pour la taquiner, André lui disait souvent que c’était la première chose qu’on repérait chez elle. Loin de prendre ombrage de cette réflexion un peu machiste, elle en tirait une certaine vanité. D’ailleurs, dès l’approche des beaux jours, elle ne portait plus de soutien-gorge et s’amusait des regards curieux ou admiratifs qu’on jetait sur sa poitrine.

Avec le temps, et surtout la maladie, ses seins avaient perdu leur fermeté, leur texture satinée. Ils paraissaient plus lourds, moins élastiques.

Avec tristesse, il constata que le désir brûlant avait disparu, remplacé par quelque chose de plus tiède, une vague tendresse mêlée de nostalgie.

Annie était encore jeune. Du moins, elle faisait beaucoup moins que son âge, avec sa taille mince et son visage attrayant. Six mois auparavant, elle fêtait ses cinquante-trois ans lorsqu’elle apprit à la suite d’une visite médicale banale qu’elle avait un cancer du col de l’utérus. Le diagnostic fut un véritable coup de massue. Pendant plusieurs jours, elle resta prostrée, pleurant sur sa solitude définitive. André essaya de se montrer rassurant, de minimiser le mal, de lui prodiguer de l’amour, mais cette attitude d’écoute au lieu de conforter sa femme ne fit que l’exaspérer.

Quelques jours plus tard, le professeur Benjamin Zarchowski, cancérologue à l’hôpital Delafonfaine à Saint-Denis, apporta une lueur d’espoir. Le cancer avait été heureusement diagnostiqué à un stade précoce. Il s’agissait d’un cancer non invasif, appelé aussi in situ, facilement guérissable.

Annie reprit confiance et fit preuve d’un courage qui surprit André. Le petit bout de femme menue et fragile qu’il voulait protéger s’était transformé en une femme solide, forte et combative. Elle avait bien réagi à l’opération et au traitement, et depuis la fin des séances de chimio, elle avait retrouvé un état physique visiblement amélioré.

Le docteur Rachid Bouziane, chef du service de cancérologie de l’hôpital Delafontaine, avec lequel André avait eu un entretien s’était montré très optimiste pour l’avenir de sa patiente.

André observa Annie qui faisait des efforts désespérés pour se tenir assise. Il décida d’intervenir. Pour rendre sa position plus confortable, il cala l’oreiller contre son dos et remonta le drap blanc jusqu’à la hauteur de sa poitrine.

En la déplaçant, il se rendit compte que, sous son peignoir de bain, Annie ne portait que son petit slip en satin rose orné sur le devant d’une petite dentelle fine. Compte tenu des circonstances, le trouble causé par ce petit morceau d’étoffe lui fit honte. Il se maudit intérieurement et pensa que la petite garce noire l’avait vraiment trop chauffé.

Il demanda :

— Comment te sens-tu, chérie ?

Les lèvres de la femme esquissèrent péniblement un vague sourire qui ressemblait davantage à une émouvante grimace :

— Je vais bien, mon chéri. Je te remercie. Je reprends des forces progressivement. À partir de la semaine prochaine, je pense que je pourrais prendre mes repas dans la salle à manger. Tu sais, j’en ai un peu marre d’être toujours clouée sur ce lit.

André se força à prendre une voix enjouée et répondit :

— Oui, tu as vraiment l’air d’aller mieux. Bientôt tu pourras quitter ce grand lit où tu te prélasses. Tu as pris du poids et tes cheveux ont bien poussé. Les cheveux courts te vont bien, tu sais.

Autour de la femme allongée sur le lit flottait un parfum frais et doux. Un parfum de shampooing fruité et de savon à la lavande.

L’éclairage très faible reposait les yeux. Il adoucissait agréablement le contour des objets en les dépouillant de leur dureté apparente. La clarté très douce projetait sur les murs des reflets et des ombres vacillantes.

La chambre s’imprégnait tout doucement d’une atmosphère feutrée et intime, très féminine.

Encouragé par l’ambiance invitante de l’endroit qui avait pris l’apparence d’une alcôve, André passa sa main dans les cheveux blonds de sa femme et murmura d’une voix douce :

— Les cheveux courts vont très bien avec la forme de ton visage. Quand tu iras mieux, tu devrais adopter cette coupe.

Elle émit un petit rire :

— Si tu le dis.

La voyant d’humeur plus détendue, André s’enhardit. Il glissa sa main sous le peignoir et la referma sur un sein qu’il souleva légèrement et qu’il se mit à caresser tendrement, en titillant la pointe du bout des doigts.

Annie laissa échapper un petit gémissement de plaisir puis écarta sa main aussitôt :

— Non, je t’en prie, pas maintenant. C’est trop tôt.

Instinctivement, André fit un pas en arrière et hocha la tête en prenant une attitude gênée.

— Oui, tu as raison. Tu as encore besoin de repos. On a le temps pour ça.

Sentant son regard fixe qui la dévisageait, Annie détourna son regard en poussant un petit soupir et en écartant l’oreiller.

André éprouva une pointe de tristesse, comme un sentiment d’abandon. Il ressentit le besoin de parler, de dire quelque chose. N’importe quoi.

Mais les mots ne venaient pas, ils restaient coincés dans sa gorge.

Annie le privait de ses beaux yeux bleus, des yeux pleins d’amour et d’intelligence, mais aussi de chagrin et d’amères résignations.

Dès le début de sa maladie, elle avait tenu à faire chambre à part, à l’éloigner, pour ne pas avoir à subir sa pitié. Elle avait bâti autour d’elle une carapace rigide pour se protéger, se sentir plus à l’abri. Cédant à un entêtement buté, elle avait étouffé ses émotions, gelé ses sentiments.

André ne s’attendait pas à une réaction aussi violente de la part de sa femme. Annie était une personne généreuse, sensible et attentive qui aimait les gens. Pourquoi avait-elle agi de la sorte ? La maladie peut-elle transformer les êtres à ce point ? Il interpréta ce rejet comme une punition. Mais de quoi voulait-elle le punir ? En quoi était-il responsable de sa maladie ?

Au milieu de la nuit, il l’entendait quelquefois sangloter. Alors en toute hâte, il se levait et collait son oreille contre la porte, pour deviner ce qui se passait. Il attendait. Il attendait parfois longtemps. Jusqu’à ce que les sanglots cessent et qu’elle retrouve son calme.

Une fois le silence rétabli, il regagnait sa chambre lentement, sans faire de bruit.

Ce qu’il aurait dû faire, c’était ouvrir la porte, prendre sa femme dans ses bras et l’envelopper. La serrer très fort contre lui. La couvrir de baisers tendres et fougueux et lui dire que tout se passerait bien, qu’elle n’avait pas à s’inquiéter. Il fallait se montrer fort pour briser sa carapace et tisser autour d’elle un cocon d’amour protecteur afin qu’elle n’ait plus peur de cette saloperie, de ce crabe sournois et perfide qui bousille la vie des gens.

Oui, c’est cela qu’un homme amoureux et passionné aurait fait.

Maintenant, il essayait de se convaincre qu’après sa maladie, les choses pourraient reprendre un cours normal et qu’elle lui pardonnerait ses fautes et sa lâcheté.

André réfléchissait à tout cela tandis qu’il regardait Annie, étendue sur le lit, qui s’était enroulée dans le drap et qui feignait de dormir.

*****

Fatimata s’activa promptement dans la cuisine. Elle prépara une collation légère qui convenait à la malade. Une salade aux thons avec des avocats et des tomates, des œufs brouillés au saumon, accompagnés de toasts et un jus d’orange. Pour le soir, elle mit de côté une soupe de légumes aux vermicelles qu’il suffisait de réchauffer en la mettant dans le four à micro-ondes.

Après avoir terminé la préparation du déjeuner d’Annie, Fatimata retira son tablier et ses gants en caoutchouc et se rinça les mains.

Elle quitta la cuisine en se déhanchant à outrance comme si elle mimait une scène devant un auditoire invisible, et passa dans la salle à manger. La pièce était vide. Elle pensa tout naturellement que Monsieur André était dans la chambre à coucher avec sa femme.

Fatimata s’absorba dans une courte réflexion, puis se mit soudain à ricaner :

— Je suis sûre que Monsieur André est en train de peloter sa femme. C’est un gros pervers. En ce moment, il est en manque. Il n’arrête pas de mater mon cul et mes seins. Et Madame Annie, elle ne porte qu’un tout petit slip sous son peignoir.

Cette idée l’amusa beaucoup et excita son imagination. Puis ses lèvres affichèrent un sourire forcé qui ressembla davantage à un rictus méprisant.

Elle poursuivit le fil de sa pensée en souriant au ridicule de la situation.

— Depuis quelques semaines, Madame Annie s’est bien remise de sa maladie et elle commence même à se remplumer. Elle n’est plus toute jeune mais elle a encore de belles formes. Les femmes blanches savent s’entretenir. Elles prennent soin d’elles. Même lorsqu’elles sont grand-mères, elles portent des strings et des bas et elles veulent toujours faire l’amour. J’espère que ce vieux salaud n’est pas en train de la baiser. Il en bien capable ! Ce Monsieur André, je crois bien qu’il a un sexe à la place du cerveau.

Fatimata resta songeuse un moment. Puis son sourire s’effaça. Les traits de son visage s’attristèrent. Ses pensées dévièrent vers une autre direction.

De lointains souvenirs, vagues et confus, se mirent à flotter dans sa mémoire.

Les toubabs ont toujours eu une mauvaise réputation en Afrique. Lorsqu’ils ont débarqué sur cette terre sauvage et primitive, les Blancs ont agi comme des prédateurs féroces et cupides. Pour la majorité d’entre eux, les Noirs n’étaient que des animaux sauvages à peine différents des singes, et ils les traitaient comme tels.

Après la décolonisation, le regard des Blancs sur les Noirs s’est modifié. En particulier celui des hommes. Les vieux blancs aimaient s’entourer de petits négrillons charmants et de jolies femmes noires à la peau souple et aux seins pointus. Ils se montraient gentils, offraient des cadeaux et les invitaient à les rejoindre dans leurs hôtels.

Très vite, ils acquirent auprès de la population locale une réputation de pervers et de pédophiles.

Certaines femmes, peu scrupuleuses, ont su tirer profit de cet engouement des Blancs pour la douceur de leurs caresses et la flexibilité de leurs corps. Elles bénéficièrent de leurs largesses et beaucoup d’entre elles finirent par se faire épouser. Auprès des femmes africaines, les Blancs passaient toujours pour des hommes riches et faciles à manipuler.

Fatimata était assaillie par une étrange nostalgie. Elle revivait les images d’une époque qui n’avait pas toujours été heureuse.

Avant son mariage, dans son village près de Bandiagara, Fatimata passait pour être la plus jolie fille des alentours. Consciente de sa beauté, elle avait caressé longtemps le même rêve. Rencontrer un jeune cadre commercial français ou italien, beau et élégant qui la courtiserait puis l’emmènerait à Paris ou à Rome. Il lui offrirait de jolies robes et la couvrirait de bijoux. Mais dans son village, elle avait peu de chance de rencontrer un toubab qui l’emmènerait en Europe. Pour cela, il aurait fallu habiter dans une grande ville, à Tombouctou ou à Bamako.

Son rêve de jeune fille ne s’est pas réalisé. Elle a épousé Idriss Baoulé, un cousin de son oncle maternel qui avait plus de cinquante ans alors qu’elle avait à peine dix-huit ans.

Dans la journée, Idriss Baoulé, commerçant aisé fréquentant assidûment la mosquée, se montrait froid et distant avec sa femme, mais le soir, il se métamorphosait et devenait une bête agressive et lubrique, avide de mordre et de lécher sa chair tendre.

Fatimata réalisa très vite que son mari qui passait pour un bon musulman était en réalité un homme lascif et dépravé, se délectant de voluptés obscènes et impures. D’une façon involontaire, grâce à ce mari odieux, elle apprit à connaître les désirs refoulés des hommes et les fantasmes puissants qui les faisaient vibrer.

Finalement, à la faveur d’une complicité d’un jeune expatrié français travaillant à Bamako, qui était tombé éperdument amoureux d’elle depuis qu’il l’avait surprise à demi-nue en train de faire sa toilette, elle parvint à Tunis, elle et son mari avec leurs deux enfants, après un long périple harassant et particulièrement éprouvant.

Au Maghreb, les Arabes ne font pas attention aux Noirs. Ils ne les calculent pas. Ils se montrent souvent plus méprisants à leur égard que les Occidentaux.

Profitant de l’agitation provoquée par le Printemps Arabe, la famille Baoulé débarqua en Italie, dans l’île de Lampedusa parmi un flot de migrants venu des quatre coins de l’Afrique. Regagner ensuite la France ne fut plus qu’une simple formalité.

Le premier contact avec la France fut plutôt mitigé. Les Blancs que Fatimata découvrait n’avaient pas le charme et le prestige qui les enveloppaient lorsqu’ils étaient en Afrique. À Paris, elle les trouvait ternes et mal habillés. Leurs traits étaient communs, presque laids.

Après un court séjour à Montreuil, durant lequel elle fut hébergée chez de lointains cousins d’Idriss, la famille Baoulé s’installa à Saint-Denis, dans la région parisienne.

Fatimata arrêta sa réflexion et s’interrogea. Pourquoi sa mémoire faisait-elle remonter devant ses yeux les images d’un passé qu’elle voulait oublier ?

Elle s’insurgea contre elle-même :

— Tout ça, c’est fini maintenant ! Je suis une femme libre. Je me suis débarrassée d’un mari jaloux qui voulait me forcer à porter le voile. Je suis belle et je veux une vie agréable et digne, pour moi, pour mes enfants. Cette vie, je l’aurais. Quel qu’en soit le prix !

Ses lèvres dessinèrent un large sourire tandis que dans ses yeux brillait une lumière victorieuse :

— Je crois que j’ai ce qu’il faut pour ça !

Elle se donna une petite tape sur les fesses.

Ayant retrouvé son entrain, Fatimata regarda attentivement autour d’elle. Jusqu’alors, elle n’avait pas prêté une grande attention à l’appartement des Lemercier. La salle de séjour était une grande pièce décorée dans des tons clairs avec un beau mobilier. Certains meubles avaient l’air très anciens. De grands tableaux couvraient une partie des murs. Des tableaux plus petits, représentant des portraits, étaient fixés dans des renfoncements. Au-dessus de la cheminée en marbre rouge veinée de blanc de style Louis XV trônait un grand miroir doré. Sur l’un des murs, il y avait une grande bibliothèque pleine de livres de différents formats. Certains avaient de belles reliures en maroquin ou en chagrin. Entre les livres, des statuettes en bronze servaient de serre-livres.

Fatimata saisit un livre et caressa la fine reliure de cuir vert, puis effleura de l’index la tranche supérieure dorée.

Un sourire ironique glissa sur ses lèvres :

— Monsieur André aime les beaux livres, à ce que je vois. C’est normal pour un prof de littérature. Madame Annie m’a confié qu’ils étaient propriétaires de leur appartement. Ils sont sûrement très riches. Je me demande pourquoi ils restent à Saint-Denis ?

Un bruit provenant de la chambre à coucher d’Annie attira son attention. Elle remit le livre à sa place et s’approcha de la pièce. Elle colla son oreille contre la porte. Elle n’entendit aucun son.

Elle attendit un court instant, puis se dirigea vers la salle de bain qui jouxtait la chambre. Elle se regarda dans la glace, réconfortée par le beau reflet que lui renvoya le miroir.

Fatimata avait des lèvres bien ourlées, pas trop épaisses. Ses joues avaient conservé l’arrondi et la fraîcheur de sa jeunesse. Elle était assez fière de son nez droit et régulier et non large et aplati, comme celui de beaucoup de femmes africaines. Elle ressemblait davantage à une belle métisse des Antilles qu’à une Malienne. Lorsque la plupart des gens lui faisaient cette remarque, le plus souvent des femmes blanches, elle interprétait cela comme un compliment flatteur.

Après avoir passé un rouge vif sur ses lèvres et vérifié le vernis de ses ongles, elle déboutonna son chemisier et caressa voluptueusement sa poitrine enserrée dans un soutien-gorge beige en satin.

Elle exhiba fièrement ses seins fermes et généreux avec leurs pointes durcies par le désir devant le miroir en déclarant :

— Comment les trouvez-vous Monsieur André ? Est-ce qu’ils sont à votre goût ? Ils vous plaisent, n’est-ce pas ? Je suis sûre que vous avez envie de les sucer, de mordiller leurs pointes. Savez-vous que vous êtes un gros cochon, Monsieur André ? Mais on va tâcher de vous satisfaire, si vous êtes sage et obéissant. Et surtout, si vous y mettez le prix.

Elle étouffa un rire narquois. Elle se sentait triomphante. Dominatrice.

Fatimata repassa dans le séjour. André était toujours dans la chambre à coucher avec sa femme. Elle se demanda, avec une pointe d’irritation, ce qu’il pouvait bien faire tous les deux.

Elle jeta un coup d’œil à sa montre. Il était déjà plus de midi et demi. Presque une heure. C’était l’heure habituelle à laquelle Annie prenait son déjeuner. Elle hésitait sur ce qu’il convenait de faire. Elle ne se risqua pas à toquer à la porte et préféra retourner à la cuisine vérifier si les œufs brouillés étaient encore chauds.

Elle avait à peine franchi la porte de la cuisine qu’elle entendit André pénétrer dans la salle de séjour. Elle prépara le plateau pour Annie en vitesse et passa un coup d’éponge sur le plan de travail.

Après avoir vérifié que tout était en place, elle prit le plateau pour aller servir Annie, puis se ravisa subitement et le déposa sur la table de cuisine.

Curieusement, elle était intriguée. Elle repensa à l’attitude un peu bizarre d’André. Dès son arrivée, elle avait perçu un changement dans son attitude. Elle l’avait senti fébrile, agité. Aussitôt qu’elle avait retiré son manteau, il avait flashé sur son cul, bien moulé dans son legging. Elle avait immédiatement deviné ce désir furieux que son corps onduleux avait provoqué en lui et ses efforts désespérés pour obtenir un contact physique et toucher sa chair ferme. Tandis qu’il lui servait le café avec une amabilité doucereuse, il ne se lassait pas de contempler avec envie ses seins qui tendaient fortement le tissu fin de son corsage. Pour la flatter, il lui avait débité des compliments de collégiens auxquels elle avait feint de prêter une oreille complaisante.

Fatimata se redressa. Sa poitrine se gonflait au rythme de sa respiration à pleins poumons. Elle se félicitait de sa ruse féminine. Depuis longtemps, elle avait pris conscience du pouvoir de séduction qu’elle exerçait sur les toubabs. Avec ce vieux beau en manque, elle avait su par le déhanchement lascif de ses reins, attiser le désir ardent qui le tenaillait et mettre le feu dans ses entrailles.

Elle retourna dans la salle à manger et vit André installé sur le fauteuil, près de la cheminée. Il ne remarqua pas tout de suite sa présence.

Elle le regarda fixement.

André semblait soucieux. Quelque chose le préoccupait dont il ne voulait pas parler. Son regard était dirigé vers la grande baie vitrée mais il ne fixait rien de précis. Il était perdu dans le vague. Son esprit était accaparé par des pensées lointaines.

Lorsqu’il prit conscience de la présence de Fatimata, il resta figé quelques instants, incapable de prononcer un mot ou d’esquisser un sourire jusqu’à ce que la jeune femme s’immobilisa devant lui et planta son regard dans le sien.

D’une voix hésitante, elle interrogea :

— Qu’est-ce qu’il y a Monsieur André, vous avez l’air tout drôle ? Vous avez vu Madame Annie. Elle va bien, n’est-ce pas ? Vous lui avez parlé ?

Elle marqua une pause, puis comme André ne répondait pas, elle ajouta :

— Est-ce que tout va bien, Monsieur André ?

André releva la tête et l’observa sans réagir et sans vraiment la voir. Puis, il prit conscience de sa présence et de son parfum. Son regard descendit lentement, détaillant son corps aux courbes généreuses, moulé dans un legging tellement serré et si fin qu’on aurait dit qu’elle portait un collant opaque. À la vue de ce corps impudique, plein de vie, libre et offert, un désir brûlant déferla avec fureur dans ses veines. Il déglutit avec peine réprimant la forte envie de la prendre par la taille.

Il balbutia :

— Oui, Fatimata. Tout va bien. Annie va très bien.

Fatimata était si proche de lui que lorsqu’il se leva, leurs deux corps se trouvèrent presque collés l’un contre l’autre.

Mû par une pulsion irrésistible, André glissa doucement sa main sur la courbe délicate de sa hanche. Ne rencontrant aucune résistance, il s’enhardit et continua sa câlinerie. Il caressa avec un frisson de plaisir le contact soyeux de son legging très fin en lycra. Il descendit jusqu’à l’arrondi de son postérieur, puis d’un geste brusque, il la plaqua contre lui.

Un son rauque sortit de sa gorge :

— O Faty, ma petite Faty ! Tu m’excites trop, ma jolie. Aujourd’hui, tu es habillée comme une petite pute. C’est pour bien m’exciter, n’est-ce pas ? Tu sais que j’aime ça. Oui, j’adore ça. Tu es ma belle petite pute. Dis-le que tu es ma petite pute à moi !

André n’arrivait plus à se retenir. Comme un animal en rut, il poussait des petits grognements de plaisir tandis que ses mains impatientes pétrissaient ses fesses avec ferveur.

Fatimata se raidit et chercha à desserrer l’étreinte brutale et étouffante qui l’emprisonnait.

D’une voix à peine audible, elle articula sur un ton un peu mièvre :

— Monsieur André, qu’est-ce qui vous arrive, aujourd’hui ? Vous dites de vilaines choses. Pourquoi vous dites que je suis une pute ? C’est faux, je suis une femme honnête. Je suis une mère de famille. J’ai des enfants. Vraiment, vous n’êtes pas gentil, Monsieur André, de me parler de la sorte.

André relâcha son étreinte et essaya de donner le change. En voyant la mine déconfite de Fatimata, il tenta de justifier son comportement en expliquant qu’il ne s’agissait que d’une plaisanterie innocente. La jeune femme commençait à renifler comme si elle allait pleurer.

Il fouilla dans sa poche et en sortit un kleenex.

Il lui tendit le mouchoir en papier et caressa ses cheveux, cherchant à la consoler.

— Allons ma petite Faty, ne te fâche pas. Tu permets que je t’appelle Faty. Laisse-moi t’expliquer. Il faut que tu saches que certains mots vulgaires, lorsqu’on les prononce dans l’intimité, prennent une tout autre signification. Ce mot qui t’a choqué veut dire simplement que tu me plais terriblement, que tu m’excites beaucoup. Il faut le prendre comme un compliment.

Fatimata leva vers André de grands yeux interrogateurs.

Elle prit sa petite voix timide :

— Monsieur André, s’il vous plaît. Je ne veux pas que vous me parliez ainsi. Je ne veux pas être votre pute. Je ne veux être la pute de personne. Mais si vous vous montrez très gentil avec moi, je veux bien être votre petite chérie. Et moi aussi, je serai très gentille avec vous. Je vous ferais de gros câlins, et des bisous partout. Mais il ne faut pas que Madame Annie le sache. Elle ne serait pas contente si elle l’apprenait.

André entoura son bras autour du cou de Fatimata, l’attira vers lui et enfonça profondément sa langue dans sa bouche.

Après avoir bien exploré sa bouche avec sa langue, il lui murmura :

— Sois tranquille, ma femme n’en saura rien. Tu seras ma petite chérie noire. Ma belle perle noire. Mon petit café noir bien serré, qui me donne du tonus, qui aiguise mes sens.

Au bout d’un moment, considérant qu’il l’avait suffisamment pelotée, et un peu lassée aussi de ses caresses insistantes, Fatimata le repoussa gentiment pour ne pas l’offusquer. Elle se dirigea vers la chaise pour prendre son sac à main qui était accroché au dossier. Elle retira son bâton de rouge qu’elle écrasa sur ses lèvres charnues puis vérifia ses cheveux dans le petit miroir de son poudrier. Elle sortit enfin de son sac un vaporisateur Miss Dior et répandit un nuage de parfum sur son chemisier satiné.

D’une voix posée, elle s’adressa à André :

— Monsieur André, il faut être sage maintenant. Je dois porter le plateau à Madame Annie.

Comme elle s’apprêtait à passer à la cuisine, André lança :

— Ce n’est pas la peine, Faty. Annie se repose. Il faut la laisser dormir un peu. Je porterai le plateau moi-même, un peu plus tard, lorsqu’elle sera réveillée. En attendant, j’aimerais bien manger une bonne omelette farcie de lardons.

André se sentit subitement empli par un grand élan d’optimisme. Il était le premier surpris de ce changement qui s’opérait en lui. Au contact du corps jeune et sain de Fatimata, de ses formes pleines et arrondies, une flambée de désir l’avait submergé. Il avait oublié subitement ce sentiment de tristesse qui l’avait accompagné tout au long de la matinée.

Avec une fougue de jeune homme, André voulut s’abandonner à ce violent appel de la chair. Il avait du mal à contrôler ses émotions. Son cerveau était en ébullition. La digue qui retenait ses appétits gloutons pour la peau douce et tendre des femmes venait de se rompre, libérant un torrent de passion sauvage et sensuelle.

Pourtant, malgré la fureur profonde que ce désir avait soulevée, André ressentait une étrange appréhension. Il se demandait s’il serait à la hauteur de cette passion dévorante ? Arriverait-il à satisfaire les appétits charnels de cette ogresse noire ?

Pour André, malgré son air timide et réservé, Fatimata ressemblait à un volcan en ébullition chargé d’une lave brûlante. Il devait prendre garde à ses éruptions qui l’embraseraient et le consumeraient. Il n’était sûr que d’une chose. Dans le lit, ce serait elle, cette sauvageonne, qui prendrait les commandes et qui lui ferait l’amour jusqu’à l’épuisement.

Des images érotiques commençaient à enflammer son esprit. Tout son corps était parcouru par une série de sensations inédites.

Tout à coup, un détail l’extirpa de sa rêverie.

Il se précipita vers la cuisine. Il vit Fatimata ranger la salade dans le frigo.

Il prit une casserole, se dirigea vers l’évier et la remplit d’eau, puis dit :

— Finalement, je vais prendre des œufs durs avec du fromage.

André s’était souvenu que Fatimata, malgré son look de femme facile et libérée, était de confession musulmane. Du moins, c’était ce qu’elle prétendait être.

Qu’elle soit pratiquante ou non, André ne voulait pas heurter ses convictions religieuses en l’obligeant à cuisiner du porc.

Fatimata lui tournait le dos et présentait un beau derrière qui suscita aussitôt un fantasme torride et impérieux. Avec la fureur d’un jeune taureau, il aurait voulu l’empaler dans la cuisine et la voir se débattre et entendre ses gémissements de jouissance.

Il ferma les yeux et régula sa respiration pour se calmer. Il avait chaud. Très chaud. Son cœur cognait très fort contre sa poitrine. Fatimata le fixait avec étonnement.

Il lui adressa un petit sourire crispé, puis d’une voix basse il demanda :

— Faty, tu veux me faire plaisir ?

La jeune Noire le regarda avec suspicion, tout en se tenant sur la défensive.

— De quoi s’agit-il, Monsieur André ?

André caressa doucement l’épaule ronde, joliment dorée de Fatimata. Sa main glissa lentement vers son bras puis se referma sur sa main.

Il la porta à ses lèvres et dit :

— Je ne veux plus que tu m’appelles Monsieur André. Appelle-moi simplement André et tutoie-moi.

Fatimata le regarda, indécise.

— Oui, Monsieur André.

Elle pouffa d’un petit rire étouffé et se reprit :

— Pardon. Je voulais dire, oui, André.

Fatimata avait prononcé son nom d’une voix veloutée et feutrée. Il frissonna de plaisir.

— C’est bien. Redis-le encore une fois, je t’en prie. Pour me faire plaisir.

Elle s’approcha encore et plaqua ses seins ronds contre sa poitrine. Il sentit son souffle chaud passer sur sa nuque. Il huma le parfum légèrement épicé émanant de son chemisier qui chatouilla ses narines et accrut son excitation.

Avec un art consommé de la séduction, la belle Faty lui murmura, au creux de l’oreille, avec une voix extrêmement douce et sensuelle :

— Oui, mon chéri. À partir de maintenant, je vais te tutoyer et t’appeler André. Tu es content ?

Elle lui décocha un regard satisfait tandis qu’André l’admirait béatement.

Puis, prenant volontairement un ton autoritaire, elle lui lança :

— Maintenant, file ! Je n’aime pas voir un homme traîner dans la cuisine.

Sans sourciller, il rétorqua d’une voix docile :

— Oui, chérie. Je te laisse travailler.