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"Les enfants de l’Atlantide" raconte le parcours de Roseline, une jeune femme en quête de sagesse et de réconciliation intérieure. Guidée par des rencontres spirituelles et des révélations ancestrales, elle découvre l’importance de l’équilibre entre le masculin et le féminin. Ses recherches sur ses origines et les peuples autochtones d’Amérique la mènent à une compréhension profonde de la Terre-Mère comme symbole de sagesse et de guérison. Elle apprend à se libérer de ses blessures émotionnelles et karmiques, tout en ressentant un appel à l’action pour restaurer l’harmonie dans le monde. Roseline se sent poussée à contribuer à un retour aux valeurs ancestrales, notamment par l’autonomisation des femmes. Sa mission est de partager cette sagesse et guider les autres vers une vie plus en harmonie avec la nature et l’univers.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Professeure de lettres, Angéline Billiau combine son expérience littéraire et son intérêt pour la spiritualité. À travers ses écrits, elle transmet des savoirs enrichissants tout en offrant une immersion dans des univers où fiction et spiritualité se rencontrent. Avec "Les enfants de l'Atlantide", elle invite ses lecteurs à un voyage éveillant l’esprit et apaisant l’âme, cherchant à partager ses connaissances et à susciter une résonance personnelle.
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Seitenzahl: 373
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Angéline Billiau
Les enfants de l’Atlantide
Roman
© Lys Bleu Éditions – Angéline Billiau
ISBN : 979-10-422-8037-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
On ne peut pas dire que la vie avait été facile pour Etienne dans ses premières années. On pourrait presque dire qu’il avait vécu l’enfer.
Sous les palmiers de Tunisie, Etienne avait grandi avec son nom de famille et son prénom français comme seules traces de sa mère. Son père, qui l’avait reconnu et s’était occupé de lui, lui avait révélé l’histoire de sa mère assez tard dans sa vie. En attendant que la réponse lui soit donnée, il avait dû apprendre à grandir avec ce manque intolérable, ces questions infinies et une absence gravée au fer rouge dans son cœur. Où était-elle ? Pourquoi l’avait-elle abandonné ? Telles étaient les questions qui le taraudaient alors que les vagues se déchaînaient sur la plage de la Marsa, son cœur en lambeaux.
Avançant à tâtons dans ce monde qui lui paraissait hostile, il se confrontait régulièrement à son père qui pensait qu’il devait lui apprendre à devenir un homme, un vrai, tandis qu’Etienne ne s’identifiait pas du tout à ce profil masculin. C’était un petit garçon rêveur qui se dandinait avec son derrière et son adorable bouille joufflue. Son père ne le comprenait pas. Les relations entre le père et le fils étaient compliquées et de plus, scellées du sceau du secret. Etienne, ne voyant pas ce que son père lui reprochait, avait vaguement saisi qu’il avait tout intérêt à masquer sa vraie personnalité, pleine de sensibilité et de tendresse féminine, comme s’il développait à l’intérieur de sa personne le visage féminin de sa mère, celle qui lui manquait tant.
Une femme intervenait dans le tableau de son enfance. C’était l’épouse de son père. Cette femme, Aïcha, avait donc élevé Etienne par devoir, maladivement jalouse, vivant dans la peur que la mère d’Etienne ne revienne pour lui voler définitivement son mari. Son mari l’avait trompée pour cette jeune Française qui était tombée enceinte de lui. Mue par la jalousie et la peur de l’abandon, elle s’était arrangée pour pousser sa rivale à partir au plus vite, puis l’avait menacée pour qu’elle ne revienne pas sur sa décision et enfin, lui avait tellement fait peur que celle-ci n’avait jamais donné signe de vie à Etienne. Le père d’Etienne avait décidé de garder son fils. Ils n’avaient pas réussi à avoir d’enfant, Aïcha et lui. Il était fier d’avoir un fils, même si ce n’était pas le fils de ses rêves. Aïcha s’était malgré elle attachée à ce garçon qui n’était pas sorti de son ventre, qui était finalement devenu son fils par la force des choses. Cependant, elle souffrait tellement de la peur d’être abandonnée par son mari, elle qui avait souffert du manque d’amour de sa mère lorsqu’elle n’était qu’une petite fille, qu’elle était incapable d’avoir des signes d’affection pour Etienne. Etienne ne lui en voulait pas, d’ailleurs. Il avait bien compris qu’Aïcha n’avait tout simplement pas les codes pour aimer. Aïcha lui faisait même de la peine, dans sa détresse, son manque de confiance en elle, cette croyance qu’elle serait incapable de se débrouiller seule, sans homme. C’était malheureusement la croyance dans laquelle de nombreuses femmes avaient été enfermées par leur éducation, partout dans le monde. La mère d’Etienne, elle aussi, avait été convaincue par son entourage qu’elle ne pourrait pas se débrouiller seule avec son fils, voilà pourquoi elle l’avait abandonné même si au fond d’elle-même, une petite voix lui hurlait qu’elle commettait une erreur terrible et qu’elle était capable de s’en sortir. Mais quand il n’était qu’un petit garçon puis un adolescent, Etienne ne savait pas tout cela, car personne ne lui avait jamais raconté l’histoire de sa mère biologique.
Sans affection, avec une belle-mère pathologiquement obsédée par son couple et un père déçu, Etienne cherchait sa place. Il se réfugia dans la lecture, devenant la cible des moqueries de ses camarades une fois en âge d’aller à l’école, emprisonné dans une image de lui-même terriblement dégradée. Ils se moquaient de son prénom et de son nom bizarres, ils se moquaient de sa timidité, ils se moquaient de sa fragilité.
Avec l’adolescence, Etienne, toujours méprisé, commença à vouer à ses parents une haine qui l’envahissait chaque jour toujours plus. C’est souvent le propre de l’adolescence, qui se forge dans le rejet de la parentalité, avec peu d’outils pour comprendre que notre âme a choisi nos parents avant notre incarnation pour vivre les expériences qu’elle a à vivre afin de progresser. Or, peu d’adolescents connaissent cette explication qui pourrait les aider à passer ce cap compliqué, en ayant plus d’indulgence à l’égard de leurs parents, devant eux-mêmes composer avec leurs blessures, l’éducation qu’ils ont reçue et l’influence des nombreuses vies traversées. Enfermé dans sa colère, n’ayant pas encore les outils pour comprendre ses parents, sans amour pour lui-même, il ressentait une grande solitude. Il ne trouvait aucun complice, aucun confident, aucune compagnie, si ce n’est dans les héros de ses romans.
Arrivé au lycée, il fit une rencontre décisive qui changea en partie sa vie. Son professeur de français l’entraîna dans un monde merveilleux. Avec lui, il découvrit d’autres auteurs, la littérature était une source inépuisable de découvertes fabuleuses. Son père étant employé au lycée français de la Marsa, il put intégrer cet établissement, ce qui lui était également facilité par sa double nationalité franco-tunisienne.
Un soir, envahi par une colère noire, Etienne péta littéralement les plombs. Il attrapa son sac de sport, y jeta en vrac des vêtements et quelques papiers, puis sortit en trombe et partit à pied chez son prof de français. C’était alors sa cinquième fugue, mais la première fois qu’une de ses fugues se terminait chez son prof, qui habitait dans le quartier chic de la Marsa, là où vivaient la plupart des expatriés.
Abasourdi, celui-ci découvrit son élève sur le pas de sa porte et comprit à sa mine déconfite qu’il n’était pas là pour un cours particulier. Et alors, le professeur fit une chose incroyable : il écouta Etienne et décida de l’héberger pour la nuit. En tant que professeur, il prenait un grand risque. Pendant qu’Etienne dormait, épuisé par la bataille qui se livrait à l’intérieur de lui, il téléphona au père d’Etienne. Etienne, aveuglé par son personnage d’adolescent, s’était persuadé que son père ne l’aimait pas. Mais c’était faux. En réalité, son père était enfermé dans les croyances selon lesquelles un homme doit exprimer sa masculinité. Il aurait préféré un fils qui fasse par exemple des études de médecine ou de droit, pensant que la littérature ne le mènerait nulle part. Cela trahissait une profonde peur du manque financier et de la pauvreté, lui-même, ayant vécu son enfance dans la pauvreté. Le père d’Etienne était totalement perdu, pensant avoir fait le mieux pour son fils, l’ayant reconnu, élevé. Il ne comprenait pas que son fils manquait d’affection, car il avait été élevé dans l’idée qu’un père ne devait pas manifester sa tendresse à son fils. Dans la conversation téléphonique avec le professeur de français qui avait ouvert sa porte à Etienne, il déclara qu’il viendrait chercher son fils, cria au scandale et sa colère explosa. Puis il finit par se calmer et écouta le conseil du professeur qui lui demanda d’y réfléchir un peu. Il était prêt à héberger Etienne le temps que leurs relations s’apaisent. Il craignait qu’Etienne ne finisse par fuguer à nouveau et que cette fois-ci il tombe entre les mains d’adultes moins compréhensifs, se mettant en danger. Le père d’Etienne n’en dormit pas de la nuit, mais ce fut cet argument qui l’emporta. Quelque part au fond de lui, il savait que le silence au sujet de la mère d’Etienne était à l’origine de cette tornade de colère qui rendait leurs relations impossibles. Mais il n’arrivait pas à parler, envahi par l’angoisse qu’Etienne ne parte en France rejoindre sa mère et qu’il le perde définitivement. Car oui, il aimait son fils, mais ne savait pas comment exprimer cet amour. Donc il finit par laisser Etienne tranquille, se contentant des rares visites de son fils, un week-end par-ci par-là, espérant secrètement que celui-ci lui revienne un jour, mais toujours emmuré dans le silence, gâchant ses relations avec son fils parce qu’il n’arrivait pas à communiquer. Son cœur était plein de tristesse et de solitude. Quand Etienne venait le voir, il ne pouvait pas s’empêcher de lui montrer un visage de colère, envahi par le ressentiment, l’impression que son fils était un ingrat incapable de comprendre ce qu’il faisait pour lui. Ces visites se soldaient par une pluie de reproches, une explosion de colère d’Etienne qui partait ensuite en claquant la porte et jurait de ne jamais revenir. Et après, il passait des jours dans l’angoisse de ne jamais voir revenir son fils.
De son côté, Etienne trouva enfin un équilibre provisoire dans sa vie. Avec Rodolphe, il avait des discussions passionnantes sur la littérature. Il n’était plus méprisé, mais, au contraire, admiré, car son professeur et désormais mentor, était enchanté de la vaste culture littéraire de ce garçon qu’il trouvait profondément intelligent. Il était persuadé qu’Etienne ferait une carrière brillante dans la littérature. Il était également heureux, car il avait déjà une fille, mais il avait toujours rêvé d’avoir un fils avec qui partager sa passion pour la littérature. Curieusement, cette fille n’était absolument pas jalouse d’Etienne, contente d’avoir comme un frère avec qui partager son quotidien solitaire de fille unique. Depuis l’enfance, elle s’était habituée à l’idée que son père refusait d’avoir un quelconque contact avec elle, déçu de ne pas avoir un fils. Il s’était totalement désintéressé de sa fille. Etienne était un garçon tellement sensible, adorable, drôle et joyeux, qu’elle n’éprouvait aucune jalousie à son égard et était même enchantée de s’être trouvé un complice. Quant à l’épouse de Rodolphe, elle savait que son mari avait toujours souffert qu’elle n’ait pu lui donner un fils, ce qui avait provoqué en lui aigreur et rejet. Tout à coup, un fils leur était tombé du ciel. Rodolphe était redevenu l’homme qu’elle avait connu, avait retrouvé sa joie de vivre et s’était à nouveau montré affectueux avec elle. Leur foyer avait retrouvé un équilibre, une lumière, un bonheur. Etienne n’en revenait pas de ce tournant de sa vie, alors qu’il avait été pris de ce coup de folie qui l’avait amené sur le seuil de la porte de Rodolphe. Ensemble, ils allaient au théâtre de Tunis et rencontraient des artistes : peintres, comédiens, musiciens, poètes se retrouvaient dans la grande maison de Rodolphe. Le jardin résonnait des rires de cette foule d’amis passionnants qui, loin de mépriser Etienne, l’écoutaient attentivement et le trouvaient fascinant, d’une intelligence sidérante pour un si jeune homme.
Dans l’harmonie de son nouveau foyer qui répondait à toutes ses attentes, Etienne déploya ses ailes, s’épanouit et réussit même à pardonner à son père, se disant qu’il essayait de faire de son mieux avec l’éducation qu’il avait lui-même reçue. Etienne en était même venu à se dire que s’il avait grandi dans cette famille, c’est qu’elle avait sans doute quelque chose à lui apprendre, même si cela lui échappait pour l’instant. Il avait fini par voir les aspects positifs en toute chose, ne cessant d’admirer les paysages du pays qui l’avait vu grandir. Grâce à Rodolphe, il découvrit l’une des facettes les plus belles de son pays : le désert. Bien que son père fût originaire du sud de la Tunisie, il n’avait jamais emmené son fils dans sa région natale. Etienne fut ébloui par la beauté à la fois minérale et solaire du désert.
Il se posait toujours beaucoup de questions sur ses origines maternelles. Rien ne pouvait combler le manque de sa mère, rien ne pouvait apaiser ses angoisses au sujet de qui il était du côté maternel. Il savait que par son père, il descendait de Bédouins du désert. Il se rendait de temps en temps à la mosquée, assistait aux fêtes religieuses et lisait avec avidité tout ce qui touchait à l’islam, tant il était curieux, particulièrement fasciné par le soufisme. Il ne connaissait malheureusement pas sa famille paternelle, car ils avaient tous honte de la conduite de son père, Hichem, qui avait trompé sa femme et avait eu un fils illégitime. Il s’amusait à s’imaginer sa grand-mère paternelle à partir des femmes qu’il croisait dans les rues ou des anecdotes rapportées par ses amis.
Entre autres bizarreries qu’il se gardait bien de raconter de peur d’être pris pour un fou et de retomber dans une lourde solitude, il faisait des rêves très étranges, plus vrais que nature. Certains rêves le marquaient plus que d’autres. Parfois, la nuit, il distinguait des silhouettes, les invitait tout naturellement à aller dans la lumière et elles partaient comme elles étaient venues. Il se demandait bien d’où lui venait cette connaissance innée. Un de ses camarades de lycée lui raconta un jour une scène identique à ce genre de pratique, décrivant ce que sa grand-mère lui avait dit. Il avait conclu que sa grand-mère était une « passeuse d’âmes ». Etienne était resté muet, n’avait rien dit à propos de ce qu’il vivait la nuit.
Une nuit, il avait rêvé d’une magnifique jeune fille aux longs cheveux bruns, aux yeux noirs en amande, qui avait une allure indienne, bizarrement. Ils étaient quelque part en France, dans un paysage qui ressemblait à ce qu’il s’imaginait des Alpes et il la conduisait vers un couple d’apparence divine, comme s’il la connaissait depuis toujours. Il y avait une grande complicité entre la belle jeune fille et lui. Il n’avait plus du tout honte de lui, avait une démarche souple, se sentait sûr de lui. Son cœur était rempli d’un amour d’une intensité remarquable. Il sentait le même amour dans le couple divin et dans le cœur de la jeune fille. Quand il s’était réveillé, il avait entendu une voix qui disait « Lili ». Depuis, ce souvenir et ce prénom ne le quittaient plus. Il était persuadé que quelque part vivait une jeune fille qui le comprenait, qui était très proche de lui et qui l’attendait. Cette intuition lui permit de mieux vivre sa solitude, toujours aussi meurtri dans sa chair par le manque d’affection maternelle et féminine. Aucune fille ne s’intéressait à lui, en général elles le fuyaient en ricanant et en le traitant d’« intello » ou de « barjot ». De temps en temps, il réussissait à glaner des informations au sujet de sa mère, ou plutôt faisait ses propres déductions puisque son père et sa belle-mère refusaient toujours de lui dire quoi que ce soit à son sujet. Un jour, une élève nouvellement arrivée de France lui fit une remarque précieuse à propos de son nom de famille : « Etcheban, c’est basque ça comme nom, tu dois avoir des origines basques. » Etienne, qui n’avait jamais mis les pieds en France, grava cette phrase dans sa mémoire, se demandant sérieusement si sa mère n’était pas originaire du Pays basque. Malheureusement, toutes les recherches qu’il avait entamées n’avaient jamais débouché sur rien : il n’y avait aucune trace de famille Etcheban dans la communauté d’expatriés français de la Marsa. Il en avait déduit qu’elle avait dû rentrer dans son pays. Il commença à élaborer un plan dans sa tête, consistant à poursuivre ses études en France afin de faire une virée au Pays basque pour retrouver sa mère. Il avait commencé à faire des recherches sur Internet, mais là ce fut exactement le contraire : il y avait tellement de personnes répondant au nom d’Etcheban au Pays basque qu’il fut découragé. Comment retrouver la bonne personne alors qu’il ne connaissait même pas son prénom ni son lieu d’habitation ?
Toutes ces tribulations ne l’empêchèrent pas de réussir son bac du premier coup avec la mention félicitations du jury. Les professeurs de son lycée admiraient ce jeune homme brillant. Il opta pour l’université de Lettres de Tunis et continua avec toujours autant de talent, éblouissant tous les professeurs qu’il rencontrait sur son passage, se nourrissant de leur savoir. La bibliothèque de la fac était à ses yeux une caverne d’Ali Baba où il passait son temps. Il se fit peu de camarades, la vie lui ayant donné malgré lui le goût de la solitude. Ses amis étaient rares et d’autant plus chers à ses yeux. À la fac, il se sentait bien. Il se sentait entouré de personnes qui le comprenaient, qui l’appréciaient, qui pouvaient même aller jusqu’à l’admirer. Ces personnes partageaient les mêmes valeurs, avaient une même passion pour la littérature. Il n’entendait plus de quolibets sur son physique, on ne le traitait plus d’intello, on ne le méprisait plus. Son rêve était de partir à Paris pour y préparer une thèse, voire pourquoi pas, suivre des cours à la Sorbonne dès le Master 2. Et en profiter pour aller enquêter sur sa mère au Pays basque.
Lorsqu’il avait eu dix-huit ans, son père avait désiré avoir une discussion entre hommes et lui avait alors fait une révélation décisive. Il avait décidé que le moment était venu de lui divulguer le prénom de sa mère et la ville où elle était née : « Ta mère s’appelle Aiora Etcheban. Elle est née à Cambo, au Pays basque français. Elle était venue ici avec ses parents. C’étaient des profs expatriés. Elle était très jeune quand je l’ai rencontrée, elle venait d’avoir 18 ans. Ses parents n’ont pas supporté l’idée qu’elle gâche sa vie avec un bébé. Elle n’a pas voulu avorter. Mais ils ont fait pression sur elle pour qu’elle t’abandonne. Je t’ai reconnu et Aïcha t’a élevé. Quand Aiora a accouché, ses parents l’ont ramenée au Pays basque le plus vite possible. Ils ne voulaient pas rester ici, car ils considéraient que leur réputation était foutue. Depuis, je n’ai eu aucune nouvelle. Je ne sais même pas s’ils sont retournés vivre à Cambo. Voilà, je t’ai tout dit fiston. »
Etienne ne dit rien. Non, tu ne m’as pas tout dit, papa. Tu ne m’as pas dit comment elle était. Blonde, brune, rousse ? Yeux bleus ou noisette ? Est-elle rêveuse ou au contraire extravertie ? Où vous êtes-vous rencontrés ? Comment ? Était-elle triste quand elle est partie en me laissant ici ? Etienne exultait intérieurement tout en ayant la curieuse impression d’être déchiqueté en mille morceaux. Il répétait en boucle le prénom extraordinaire de sa mère, le plus beau prénom qu’il ait jamais entendu de sa vie, un prénom à la vibration incroyable, un prénom de fée : Aiora, Aiora, Aiora… Il était tellement impatient de partir à sa recherche en France !
Quelques semaines plus tard, Etienne découvrit une photo au fond de son sac, une photo que son père avait déposée ici en silence et sans le lui dire. Au dos, était écrit « Aiora ». Etienne découvrit, subjugué, les traits de la femme qui avait hanté ses jours au plus profond de sa mémoire, celle dont il avait rêvé toutes les nuits, sa mère, sa maman.
Sa mère était la plus belle d’entre toutes. Elle était telle qu’il l’avait imaginée. Son sourire exprimait une grande douceur, tout comme les traits délicats de son visage d’un ovale parfait. Oui, sa mère avait non seulement un prénom de fée, mais aussi une allure de fée. Ses yeux d’un vert tendre, ses longs cheveux blonds, son teint pâle et sa silhouette fine, tout en elle évoquait une fée. Il était persuadé qu’elle l’avait abandonné malgré elle et qu’elle était partie, le cœur brisé.
Il commença à faire une recherche sur Internet et trouva une famille Etcheban à Cambo, au Pays basque. Il récupéra leur numéro de téléphone sur les pages blanches, le nota sur son carnet et le garda précieusement. Mais il n’osa pas les appeler avant des mois et des mois, redoutant ce qu’il allait apprendre.
Entre-temps, il fit une rencontre fabuleuse et inespérée.
Lors d’une soirée organisée par l’un de ses amis, ses yeux tombèrent sur une créature tout droit sortie du pays des rêves, une jeune fille d’une beauté telle qu’il ne pensait pas cela possible dans le monde réel. Cette jeune fille était pourtant bel et bien là, en face de lui, en chair et en os. Grande, fine, de longs cheveux noirs bouclés. Quand elle rencontra Etienne, sa bouche s’ouvrit sur de minuscules dents nacrées, elle sourit spontanément et se présenta : « Bonsoir, moi c’est Noussa, et toi ? » Etienne comprit immédiatement qu’il était sous le charme de cette splendeur et qu’il ne pourrait pas résister à tant d’élégance, de beauté, de gentillesse et d’intelligence. Il oublia toutes ses blessures émotionnelles sur le champ et n’eut plus qu’un seul objectif : embrasser Noussa, rester avec Noussa, prendre Noussa dans ses bras, raconter sa vie à Noussa, tout oublier avec Noussa, passer chaque instant de sa vie avec Noussa. Il commença par passer la soirée avec elle, visiblement charmée par l’intelligence d’Etienne, qui la faisait beaucoup rire. Et puis la chose la plus incroyable du monde aux yeux d’Etienne se produisit : Noussa tomba amoureuse d’Etienne. C’est alors que commença la plus belle période de sa vie. Noussa suivait des cours à la fac de langues, passionnée par la culture italienne. Elle était issue d’un couple mixte, avec une mère italienne et un père tunisien. Son rêve était de partir poursuivre ses études en Italie. Ils passaient des nuits à parler de leur passion mutuelle pour l’Europe, rêvant de partir ensemble à Florence et à Paris. Ils ne faisaient pas que parler pendant leurs nuits, bien sûr, découvrant les joies de la passion amoureuse, Etienne toujours prodigieusement étonné qu’il plaise à une splendeur telle que Noussa. Elle était parfaitement libre de mener sa vie comme elle le souhaitait, ses parents étant très ouverts. Elle ressemblait beaucoup à Etienne, même physiquement. C’était son double féminin. Noussa avait un corps gracieux qui faisait pâlir d’envie toutes les filles qu’elle croisait. Comme lui, elle était grande, elle avait le teint mat, elle avait les yeux noirs, les cheveux noirs. Comme lui, la culture européenne la fascinait. Comme lui, elle aimait le yoga et la méditation. Comme lui, elle s’intéressait à la spiritualité. Comme lui, elle avait un père tunisien et une mère européenne. Noussa avait aussi des centres d’intérêt particulier. Avec Etienne, ils avançaient sur le chemin de la connaissance ensemble.
Mais évidemment, une petite voix ne cessait de répéter dans un coin de la tête d’Etienne : tu ne la mérites pas, tu es laid, tu es disgracieux, tu es inintéressant, cette histoire est vouée à l’échec.
Un jour, pris de panique, car il s’était persuadé que Noussa finirait par le quitter, Etienne décida de prendre les devants et de rompre. Cette rupture les plongea tous deux dans un chagrin profond. Etienne ne pouvait résister contre cette tendance à croire que le bonheur lui était inaccessible. Il mit alors toute son énergie à oublier Noussa, se plongea encore plus dans ses études et réussit brillamment sa troisième année. Noussa, affligée, était déjà partie depuis un an en Italie. Etienne, lui, fut pris à la Sorbonne pour y préparer son Master 2 de littérature. Fébrile, il fit ses adieux à Rodolphe, qui était partagé entre la joie de voir son protégé vivre son rêve et la tristesse de voir partir son fils de cœur. Il lui offrit un exemplaire de Shakespeare dans la Pléiade, livre chéri par Etienne.
Son père biologique, quant à lui, était dévasté par le chagrin, voyant sa prédiction se réaliser. Voilà que son fils l’abandonnait, alors que c’était lui qui l’avait élevé et qui s’en était occupé toutes ces années. Incapable d’exprimer cette tristesse qui lui serrait la gorge, il se fâcha une dernière fois avec son fils avant son départ, le traitant d’ingrat. Puis il sombra dans la culpabilité, rongé par l’idée que son fils était parti loin de lui dans la colère.
Etienne quitta son pays avec un mélange de nostalgie et d’excitation, heureux de découvrir un nouveau monde.
La découverte de Paris occupa ses premières semaines. Il passait son temps à parcourir la capitale en tous sens, émerveillé par ses rues grouillantes, ses monuments historiques, ses musées abritant des trésors multiples. Il se demandait s’il aurait assez d’une vie pour explorer les recoins de cette ville aux mille facettes. Il avait un faible pour le musée Guimet et sa bibliothèque, dont le Bouddha l’enchantait. Il se disait qu’une fois son concours en poche, il demanderait un poste de professeur à l’étranger pour découvrir toutes les merveilles offertes par notre belle planète.
Bénéficiant d’un peu de temps avant la rentrée, il prit un beau jour son courage à deux mains et décida de téléphoner à Aiora Etcheban, Cambo, Pays basque. Une douce voix féminine à l’accent évoquant un torrent de montagne lui répondit. Quand il lui expliqua qui il était, à peine lui avait-il dit son prénom qu’elle avait compris. Etienne entendit un long silence au bout du fil. Quand elle reprit la parole, il sentait son émotion vibrer. Elle accepta de le recevoir chez elle, abasourdie que son fils l’ait retrouvée. Etienne se paya un trajet en bus et se retrouva soudain au Pays basque.
Quand il arriva, il fut tout d’abord ébloui par la beauté des paysages, ces collines aux rondeurs maternelles, ce vert révélant la fertilité des terres, ces arbres immenses, tilleuls et magnolias, cette harmonie des couleurs, cet air doux, cette lumière caressant l’herbe tendre. Il se sentit immédiatement chez lui, comme une très vieille âme rentrant enfin au bercail après un long périple, tel Ulysse retrouvant enfin son île.
Sa mère habitait seule dans une petite maison proche du centre-ville de Cambo, « Etche Aiora ». La maison était un chalet aux couleurs basques : rouge et blanche.
Quand elle ouvrit la porte, Etienne fut submergé par une vague de tristesse infinie, profondément attristé par tous ces moments manqués, sans elle. Elle était aussi belle que sur la photo, avec quelques rides en plus, mais toujours aussi gracieuse et juvénile. Elle aussi fondit en larmes et serra Etienne dans ses bras. Peu de temps après, assis sur le canapé, elle lui expliqua qu’elle aurait voulu le garder, mais avait choisi la voix de la raison, influencée par ses parents. Quand elle était partie de Tunisie, son cœur était brisé en mille morceaux. Ensuite, elle n’avait pas osé le contacter, de peur de casser l’équilibre de sa vie, pensant qu’on s’occupait bien de lui. Et puis, elle avait repris sa vie au Pays basque, ne passant pas une seule journée sans penser à lui et refusant de refaire sa vie avec quelqu’un d’autre, comme pour se punir de sa faute, terrorisée à l’idée d’avoir un autre enfant.
Ensemble, ils se réparèrent.
Aiora hébergea Etienne chez elle et voulut le présenter à ses parents qui refusèrent. Le jour où elle leur avait téléphoné pour leur raconter ce qui lui arrivait, Etienne avait entendu des éclats de voix et le coup de fil s’était terminé par un « Merde, vous n’êtes que de vieux cons, j’en ai rien à foutre » tonitruant. Etienne en avait déduit qu’il ne serait pas le bienvenu chez ses grands-parents. Mais cela n’avait pas d’importance. Ce qui comptait, c’était qu’Aiora ait envie de le voir. Et de son côté à elle, elle avait décidé de s’affranchir du regard des autres et du poids de son éducation. Ils passèrent donc de très beaux moments ensemble, se découvrant l’un l’autre. Aiora était heureuse de montrer la région de ses ancêtres à Etienne, afin qu’il sente son appartenance à cette terre. Quand elle le présentait à ses amis et à ses connaissances, ils l’accueillaient tous chaleureusement, enfant du pays, car il était avant tout fils d’une fille basque, et c’était tout ce qui importait. Etienne se sentait basque dans son sang, dans son cœur, dans son âme et bizarrement, il avait l’impression que cette filiation remontait à des temps immémoriaux.
Un jour, un des amis d’Aiora, prénommé Frantxoa, lui expliqua que les rescapés des Atlantes ayant pu échapper à l’engloutissement de leur île avaient débarqué sur les côtes basques et s’y étaient installés. Cette histoire résonna en Etienne, qui se demanda immédiatement s’il n’était pas un descendant de ces âmes ancestrales, ces âmes qui avaient transmis leur savoir auprès des hommes. Il se dit que certains étaient restés ici et avaient partagé leurs connaissances dans leurs mythes et leurs symboles, comme le très célèbre « lauburu », qui lui rappelait irrésistiblement le svastika, cette croix que l’on trouve partout dans le monde et notamment en Inde, symbole de prospérité et de bonheur. Etienne se demanda si certains Atlantes n’étaient pas partis du Pays basque. Peut-être avaient-ils pris la route pour gagner l’Égypte. Peut-être, certains étaient devenus nomades. Il sentait un lien inexplicable avec le peuple tzigane. Il sentait que la sagesse du monde se trouvait dans les mains de ces hommes et femmes ayant pour la Terre-Mère un amour profond. Curieusement, la pensée fugace de la fille de son rêve, Lili, traversa son esprit.
Il se plongea dans la mythologie basque, où il fit de riches découvertes. Sa mère lui raconta l’histoire des sorcières de Zugarramurdi, ces pauvres femmes accusées de sorcellerie au Pays basque. Six cents femmes furent brûlées vives par le tribunal de l’Inquisition au XVIIe siècle, à Saint-Jean-de-Luz, Bayonne, Cambo et Sare. Quand il apprit cela, Etienne frissonna d’horreur en imaginant les scènes de bûchers. Il fut empli d’une grande tristesse à l’idée des souffrances endurées par ces femmes et des savoirs perdus pour les générations à venir. Pendant des siècles, les hommes avaient voulu imposer leur société patriarcale, par peur, pour le pouvoir. À cause de l’Église, tant de savoirs avaient été perdus et les femmes avaient maintenant une peur viscérale ancrée en elles qui les empêchait de se réaliser et de s’épanouir, pour le bien de tous et pour le bien de Terre-Mère, incarnée au Pays basque par la déesse Mari. Etienne rêvait d’un changement dans la société qui permettrait aux hommes d’être heureux et de vivre en harmonie avec la Terre. Il partageait ses rêves et ses connaissances avec sa mère, qui était fière de son fils et s’émerveillait chaque jour de ce bel être qu’elle avait mis au monde, pleine d’admiration devant sa gentillesse, son intelligence et son intuition. Etienne était au septième ciel, car, autant son père était incapable de le comprendre, autant sa mère et lui étaient fusionnels et proches en tous points. Il comprenait qu’elle lui avait transmis son empathie, sa sensibilité, son goût pour la littérature et la spiritualité, et cela sans même qu’ils se connaissent, ce qui lui paraissait extraordinaire. Il se demanda si les âmes n’étaient pas capables de communiquer entre elles même à des milliers de kilomètres. D’ailleurs, il était persuadé que la Lili de son rêve existait bel et bien, quelque part dans le vaste monde.
Avec Aiora, ils se rendirent à la cathédrale de Bayonne où il admira le magnifique édifice et toutes ces représentations de saints parmi lesquels Marie-Madeleine, dont il se sentait si proche, admirant l’esprit libre de cette femme accomplie, grande intellectuelle qui n’avait pour autant jamais perdu sa connexion avec la Terre.
Chaque jour, il se remplissait de ces paysages fabuleux admirés de tout temps par les pèlerins du chemin de Saint-Jacques de Compostelle, et s’emplissait d’une merveilleuse énergie née de l’amour d’un fils pour sa mère et d’un homme pour sa terre. Il aimait en particulier la petite église de Saint-Jean-Pied-de-Port, emplie d’une merveilleuse énergie mariale.
Sa double culture était à ses yeux une chance, car elle lui apportait un double héritage, celui des côtes basques et celui du désert. Etienne était fils de l’océan et fils du désert. La vie lui avait transmis en héritage les mythes basques et la sagesse soufie.
Il savait qu’à la fin de l’été, il devrait remonter dans le bus en direction de Paris afin d’y poursuivre ses études. Mais cela ne lui pesait pas : pour la première fois de sa vie, il se sentait entier, complet et en paix. Il avait retrouvé l’amour d’une mère, il avait retrouvé ses racines. Le chemin de son âme commençait à se dessiner sous ses yeux juvéniles. Etienne se prépara à finir cet été incroyable en toute sérénité.
Etienne n’était donc ni un mythe ni le fruit de son imagination, mais Roseline ne pouvait pas le savoir, étant donné qu’elle ne l’avait pas encore rencontré. Néanmoins, dans un petit coin de sa tête, l’idée selon laquelle cet être existait quelque part dans le monde ne la quittait pas. C’était pour elle une puissante intuition née en partie d’une vision qu’elle avait eue. Alors qu’elle était une âme sans incarnation physique, elle s’était mise d’accord avec Etienne. Dans leur incarnation physique respective, ils retrouvaient progressivement leur famille d’âmes.
Depuis qu’elle était toute petite, Roseline était dotée de facultés extra-sensorielles qui s’étaient développées pendant l’adolescence. Tout le monde possède les mêmes facultés, la seule chose à faire est de les accepter, si tel est notre souhait, puis de les travailler pour développer tout son potentiel, endormi dans un coin de notre cœur, caché ici par notre âme depuis des vies et des vies.
La découverte fortuite d’un poème glissé dans un recueil de poésie avait été le déclencheur d’une série de sorties astrales dans divers lieux et auprès de personnes extraordinaires qui avaient livré à Roseline des messages d’une importance capitale pour l’aider à cheminer dans sa quête spirituelle. Mieux se connaître, appréhender le divin en elle, s’épanouir dans le cœur, tout cela collaborait à une avancée collective considérable de l’humanité. Roseline avait vite compris grâce à tous ses guides, et surtout grâce à son âme, que la clé se trouvait dans le cœur. La clé était l’amour de toutes choses : humains, animaux, végétaux, minéraux, sans considération de supériorité ou d’infériorité d’une catégorie par rapport à une autre. Lili avait appris, en parallèle de sa quête spirituelle et comme un aboutissement nécessaire, que la Terre-Mère avait grandement besoin d’être soutenue, respectée et aimée, pour le bien de tous. Ce besoin était vital et urgent. Depuis des millénaires, les peuples premiers gardaient la Terre avec amour, transmettant à tous ceux qui souhaitaient assumer ce rôle les messages de leurs ancêtres pour sauver notre planète et l’humanité. Ces messages se transmettaient partout dans le monde, depuis l’aube des temps jusqu’à aujourd’hui, des Atlantes aux Celtes, en passant par les Grecs, les Romains, les Basques, les Vikings, les Amérindiens, les Bouddhistes, les Hindouistes, Jésus, Maria Magdalena, Marie, les guérisseuses accusées de sorcellerie… ils étaient si nombreux tous ceux qui protégeaient Terre-Mère et ses enfants ! Roseline avait donc cherché comment prendre connaissance des messages des peuples premiers pour ensuite les transmettre à ses congénères et enfin faire en sorte d’aller progressivement vers un monde meilleur, un monde qui nous permettrait d’accéder au bonheur pour lequel nous sommes venus sur Terre. Elle avait compris que tout ce qu’elle pensait avoir appris durant cette vie n’était en fait que la réactivation de savoirs appris pendant ses vies antérieures ou transmis par ses ancêtres, et principalement son arrière-grand-mère tzigane, même si elle ne l’avait jamais connue. Car Roseline avait compris que l’on peut communiquer avec d’autres âmes durant nos rêves, nos méditations ou encore nos sorties astrales. Roseline n’avait pas du tout peur de ces manifestations. D’après elle, elle était enfant du divin, comme tout le monde. Une étincelle divine logeait en elle et elle pouvait activer le souffle divin qui animait son corps physique et son corps éthérique quand elle le souhaitait, à partir du moment où elle se concentrait sur sa respiration et sur les sensations ressenties par son corps physique. Son éducation occidentale l’avait branchée sur son mental, mais elle avait compris qu’il y avait un autre moyen de trouver des solutions beaucoup plus efficaces et tout à fait incroyables aux yeux des Occidentaux. Le meilleur moyen de réfléchir était de ne pas réfléchir. Le meilleur moyen de penser était de ne plus penser. Laisser ses pensées voguer sur une petite barque, les regarder partir sur une rivière, ne plus attendre de réponse et c’est alors que la chose prodigieuse arrivait : la réponse tombait du ciel, sous forme de rencontre, d’intuition, de rêve, de poème ou encore de synchronicité.
Afin de partir à la recherche des messages des peuples premiers, et plus particulièrement des Amérindiens d’Amérique du Sud, Lili avait commencé un Master en Sciences sociales de l’Amérique latine à l’Institut des Hautes Études sur l’Amérique latine. Elle se demandait encore sur quelle profession déboucherait cette formation. Elle se projetait éventuellement en mission pour l’UNESCO. Son chemin de vie se dessinait sous ses yeux, petit à petit et de manière de plus en plus précise. Elle avait commencé des recherches sur les Amérindiens shuars et ashuars d’Amazonie équatorienne. Elle avait eu la chance que sa candidature pour continuer son Master en Équateur soit acceptée. Elle avait donc débarqué à Quito, où elle s’était inscrite à la F.L.A.C.S.O., sa fac. Son objectif était de continuer ses recherches à l’Inspectoria Salesiana, les archives salésiennes, ordre catholique présent en Équateur au dix-neuvième siècle, surtout dans la région de Morona Santiago, à côté de Cuenca.
Elle avait eu le temps de faire une brève incursion dans la forêt amazonienne où elle avait été initiée par Miguel, un des moments les plus forts de son existence. Elle s’y était connectée à la forêt, aux arbres et aux plantes, qui lui avaient délivré leur médecine. Depuis cet épisode, Lili rêvait d’avoir son propre tambour et de se reconnecter à cette sagesse en Europe où, depuis que les guérisseuses et druides avaient été exterminés, les gens avaient perdu cet art de retrouver l’équilibre entre tous les mondes. Monde des esprits humains, monde des esprits animaux, monde des esprits végétaux, monde des esprits minéraux, monde de l’autre plan et monde du plan terrestre. Le chamanisme européen existait, il fallait l’exhumer de ses cendres pour se reconnecter au cœur de Terre-Mère.
Et puis la maladie avait poursuivi elle aussi son chemin, d’abord en Europe puis évidemment en Équateur comme partout ailleurs dans le monde. Elle n’avait donc pas eu le temps de découvrir ce pays qui la fascinait tant puisqu’elle s’était retrouvée confinée entre les quatre murs de son appartement, en compagnie de ses colocataires. Elle passait ses journées à suivre ses cours en télétravail, mais malheureusement ses recherches ne pouvaient pas avancer puisqu’elle n’avait plus accès aux archives de la bibliothèque. Elle prenait son mal en patience en méditant sur la terrasse, contemplant de magnifiques paysages de montagnes et de volcans. Elle avançait dans ses cours, elle faisait des appels en visio avec sa famille. Sa sœur avait été très malade, mais cela n’avait pas pris un caractère de gravité et elle n’avait pas eu besoin d’être hospitalisée.
Les discussions avec ses colocataires la laissaient dans un état de grande joie. En effet, ils créaient un monde merveilleux, un monde dans lequel elle serait heureuse de vivre. Aucun d’entre eux ne pensait que l’argent leur procurerait le bonheur. Ils ne faisaient pas des études pour s’enrichir et exploiter d’autres êtres humains ou les ressources de la planète. Non, leur but était de vivre en harmonie avec leurs semblables et avec la Terre. L’un était palynologue. Il étudiait les pollens de l’Alti Plano et en particulier l’écosystème du Paramo avec ses plantes endémiques, tentant de reconstituer le paysage de la préhistoire dans les Andes. Ce métier subjuguait Roseline. Elle voyait en son colocataire une personne ouverte sur le monde avec une vision poétique. Une autre des colocataires était guide national. La troisième était professeure d’architecture. Ils venaient des quatre coins de la Terre et ils avaient tous la même vision de l’avenir. Et mieux encore : quand Roseline consultait les réseaux sociaux, elle constatait que nombreux étaient ceux qui avaient eu une prise de conscience soudaine, l’évidence d’un changement d’habitudes, d’un nouveau paradigme pour aller vers une vie en harmonie avec notre environnement. Roseline voyait naître une nouvelle société avec d’un côté ceux qui voulaient progresser et de l’autre, ceux qui avaient peur et qui voulaient rester dans l’ancien monde. Avec tous les messages qu’elle recevait de l’autre plan, Roseline avait de plus en plus l’intuition qu’un Nouveau Monde était possible et même que ce Nouveau Monde était imminent. En attendant l’arrivée de ce Nouveau Monde, l’humanité devrait affronter encore de nombreuses épreuves visant à éprouver la capacité de chacun d’entre nous à faire des choix de vie guidés non pas par la peur, mais par le cœur.
Malheureusement, Roseline n’allait pas tarder à être à son tour confrontée à une grande épreuve. Une des épreuves de la vie, une des épreuves que nous rencontrons tôt ou tard. Une des épreuves à laquelle elle avait déjà été confrontée très tôt avec ses grands-parents qu’elle avait perdus pendant son enfance.
Sa marraine Margot, déjà âgée et affectée d’un lymphome, était arrivée au bout de son combat et avait dû être hospitalisée dans une unité de soins palliatifs, ses jours étant comptés. Lili devait donc prendre l’avion en urgence pour dire au revoir à sa marraine. Elle partit donc de manière précipitée, avec un vol retour pour la fin de l’été. Elle pourrait continuer à suivre ses cours en télétravail puisque la ville de Quito était toujours confinée. Elle espérait surtout que la situation en Équateur s’arrangerait en septembre, afin qu’elle puisse au moins commencer ses recherches.
Elle était triste des souffrances endurées par sa marraine, mais d’un autre côté, personne ne peut échapper à la mort. Elle savait qu’elle accompagnerait sa tante et que son savoir de passeuse d’âmes lui serait utile lorsque le moment serait venu. Il y a des personnes initiées à des savoirs ancestraux qui aident leurs semblables à passer dans l’autre plan. Roseline savait qu’elle devait mettre ses connaissances au service des humains dans un moment décisif, le moment ultime. Elle n’était pas triste que sa tante parte, car elle savait ce qui l’attendait de l’autre côté. Des aimés viendraient la chercher. Elle retrouverait ses parents qui la guideraient, ainsi que ses anges gardiens et ses guides. Elle irait dans la lumière et se retrouverait dans un bain d’amour tellement puissant qu’elle ne serait pas non plus triste pour ceux qu’elle laisserait derrière elle. Il fallait d’ailleurs que les vivants puissent surpasser leur chagrin pour laisser partir le défunt en paix. Margot savait que chacun a son chemin de vie à accomplir. De plus, Lili savait aussi qu’elle pourrait communiquer quand elle le voudrait avec sa marraine, d’âme à âme, par télépathie ou dans ses rêves. Rien ne nous sépare jamais en réalité. Roseline priait tous les jours pour demander à ses guides d’aider sa tante à partir dans la lumière en allégeant ses souffrances.
Une fois arrivée chez elle, après son trajet en train de Paris à Carentan, elle fut heureuse de retrouver sa mansarde, l’odeur de la maison de ses parents, et tous les aimés éloignés physiquement depuis son départ en Équateur : sa sœur, ses parents, Marilou… Elle se fit la promesse d’aller rendre une petite visite à Nour, son amie bibliothécaire, dès qu’elle en aurait l’occasion. Elle était aussi contente de pouvoir sortir des murs de son appartement et de retrouver les paysages familiers du bocage normand, le chant des oiseaux, les plages infiniment vastes. Les Français vivaient une parenthèse enchantée de liberté qui ne déplaisait pas à Lili. Quel plaisir ce fut pour elle d’aller boire un coup en terrasse sur le port de Barfleur avec sa sœur ! Entendre le cri des mouettes, le tintement des mâts dans le vent, sentir le fumet des moules-frites, tout ça lui avait manqué.