Les esprits saints et le Saint-Esprit - Adila Talbi - E-Book

Les esprits saints et le Saint-Esprit E-Book

Adila Talbi

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Beschreibung

Déterminée à se libérer des contraintes sociales qui l’oppressent, Zora a choisi de vivre en retrait, trouvant refuge dans la solitude. Pourtant, son esprit reste tourmenté par des rêves sibyllins. En quête de réponses, elle croise le chemin d’une femme mystérieuse qui la guide, par l’hypnose, vers un passé lointain et révélateur. Zora constate alors que l’origine de son mal-être est étroitement liée à l’histoire cachée de l’humanité. Mais jusqu’où la vérité la mènera-t-elle ? Pourra-t-elle supporter ce qu’elle s’apprête à découvrir ?

À PROPOS DE L'AUTRICE

Adila Talbi, archéologue fascinée par les mystères de l’inconnu, livre dans ce premier roman une exploration d’une humanité prisonnière de ses croyances et asservie par la matière. Elle tisse un récit où rêves et réalité se confrontent, dans une quête profonde de sens et de liberté.

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Seitenzahl: 687

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Adila Talbi

Les Esprits saints

et le Saint-Esprit

Roman

© Lys Bleu Éditions – Adila Talbi

ISBN : 979-10-422-4712-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

La conscience éternelle

La nuit, je m’allonge à côté d’elle.

Pendant qu’elle dort sereinement, je contemple plaisamment son visage angélique, comme pour me ressourcer de son aura divine, et c’est alors que je me dis : moi qui n’ai pas eu droit à tellement de choix dans ma vie, comment ai-je pu l’avoir elle ? Soudain, une pensée désespérante vient abattre mon esprit et affecter cette sensation de satisfaction : mais elle me quittera un jour ! Comment survivrai-je à son départ ? Puis, pour me consoler, je me dis : eh bien si elle part, j’irai tout simplement à sa recherche !

Au moment où je me dis ça, je ne sais même pas comment je vais le faire, encore moins ce que cela signifie. Au fond de moi, je sens que ce sera ni plus ni moins une occupation, un moyen de tenir le temps de vie qui me restera sur Terre sans elle.

Et voilà qu’un jour elle me quitte brusquement, et sans même me dire au revoir. Complètement impuissante devant la si douloureuse épreuve qui vient de m’être infligée, je plonge soudainement et délibérément dans l’illusion, à un instant où je dois absolument fuir cette réalité tellement cruelle. C’est ainsi que ma promesse faite à moi-même, l’autre nuit, me revient en mémoire, je décide alors de la remplir, histoire de tenir le temps de vie qui me reste sur Terre sans elle.

Sans me demander si la direction que je prends est la bonne, je pars aussitôt à sa recherche, et tandis que je le fais, c’est mon esprit, mon berger perdu de vue, que je retrouve enfin !

Adila Talbi

Chapitre I

Le non-sens

Mon corps se contracte et mon esprit s’embrouille. Je suis comme dans un grand moment décisif, tandis que dans une voiturette électrique tout terrain, je me dois de monter tant bien que mal la pente abrupte d’une belle montagne verdoyante, magnifiquement éclairée par les doux rayons du Soleil matinal. Avide d’atteindre vite le sommet, j’accélère autant que je peux, car je sens fortement que l’extase qui m’attend en haut est encore plus apaisante que celle qui comble à cet instant tout mon intérieur. En fait, je ne saurais dire si cette béatitude n’émane que de moi, ou bien du pic qui m’attire comme une sorte d’aimant, ou encore à la fois de nous deux. En même temps, j’ai une accablante sensation de fuir un phénomène imperceptible qui semble me tirer moralement vers le bas.

Au fur et à mesure que je m’éloigne du pied de cette montagne, qui borde une très vaste étendue d’eau suggérant une mer, j’arrive à peine à capter les voix des personnages qui s’y trouvent, tandis que je croise quelques autres sur mon chemin, mais je suis inattentive à tous, car seul l’objectif d’atteindre l’extrême extase m’obsède l’esprit, comme si le temps m’est compté, et que pour cela je dois absolument faire vite.

Hélas, la scène s’interrompt brusquement, dès que mon téléphone se met à sonner. J’ouvre alors les yeux, tandis que mon esprit balance entre ce qui reste de cette extraordinaire sensation de bien-être, et la déception de réaliser que tout ça n’était qu’un rêve. Je m’assois alors malgré moi, et d’une voix enrouée je réponds à l’appel de mon amie, Racha.

MOI : Allo !

RACHA : Zora ! Où es-tu ? Dépêche-toi, notre train part dans une demi-heure !

MOI : Bonjour Racha ! Je suis encore au lit.

RACHA : Ne me dis pas que tu dors encore ! N’as-tu pas vu l’heure ? Mais pourquoi me fais-tu ça ? Comment peux-tu être aussi irresponsable ?

MOI : Désolée, je ne me suis pas réveillée, c’est tout ! À quelle heure part le prochain train ? Regarde et dis-moi. Et puis je t’en prie, n’en fais pas des tonnes, ta réunion c’est pour demain…

RACHA : Si au moins tu te rappelais de te réveiller comme tu te rappelles de la date de ma réunion ! Tu oublies que nous avons convenu de faire une balade dans la région tout l’après-midi ? Bon, le prochain train part dans trois heures, lève-toi, et viens vite me rejoindre à mon bureau. Cette fois-ci, nous partirons ensemble à la gare.

MOI : J’arrive dans moins de deux heures. Promis !

Je quitte mollement mon lit peu après avoir contemplé des yeux, comme je le fais chaque matin au réveil, les nombreux beaux galets de diverses couleurs, qui jonchent le sol de ma chambre. Mon esprit étant encore dans un état lunaire, je suis vraiment peinée de ne pas être arrivée au sommet de la montagne, quand bien même cela n’était qu’un rêve. Pourquoi n’ai-je pas éteint mon téléphone avant de m’endormir ? Pourtant d’habitude, je le fais systématiquement, mais pourquoi ai-je oublié de le faire cette nuit-là ?

Une heure après, je suis enfin prête à sortir de la maison. Et pendant que je traverse le couloir de mon appartement, le sac au dos, mon regard tombe une fois de plus sur la série des poupées russes disposées sur l’étagère accrochée au mur. Ces pièces m’ont été offertes il y a sept mois, à l’occasion de mon trente-quatrième anniversaire. Elles sont très belles, sauf qu’à chaque fois que je les vois, elles stimulent en moi une émotion déplaisante, comme un souvenir d’un mal vécu, je me dis alors que je dois m’en débarrasser, mais je n’y parviens toujours pas. Je n’ai pas le droit, c’est un cadeau !

Au moment où je sors de l’immeuble, la voisine de l’étage du dessous fait exprès de m’asperger, à partir de sa fenêtre, avec de l’eau. C’est comme ça qu’elle s’amuse à m’embêter à chaque fois que j’arrose mes plantes dans le balcon. Pourtant, je ne le fais jamais quand son linge est étalé, mais elle se plaint simplement de recevoir, sur son balcon, quelques petites gouttes d’eau, et depuis que son attitude m’énerve, je la défie en arrosant mes pots deux fois par jour au lieu d’une seule. Je poursuis alors mon chemin avec l’intention de persister à l’agacer. Une demi-heure après, un taxi me dépose chez Racha que je trouve allongée sur le canapé de son bureau, en train de m’attendre à bout de nerfs.

RACHA : Te voilà enfin !

MOI : Chose promise, chose due ! Maintenant, dis-moi ce que je dois faire pour que tu ne me fasses pas cette tête toute la journée.

RACHA : Je suppose que tu vas me dire que tu n’as pas entendu le réveil sonner !

MOI : Pour être franche, je ne l’ai même pas réglé. Par contre j’ai oublié d’éteindre mon téléphone hier soir, ce qui prouve que mon esprit est complice avec toi !

RACHA : La belle au bois dormant qui se fait au bout du compte réveiller par une amie, au lieu d’un prince charmant ! Ceci est un message que t’envoient les nuages dans lesquels tu vis, pour que tu redescendes enfin sur Terre. À présent, c’est l’heure d’aller à la gare, il n’est pas question de rater aussi le prochain train !

À peine sorties, j’aperçois venir de loin un taxi portant comme référence « Numéro 3 », je me presse alors pour l’arrêter.

RACHA : Mais, qu’est-ce que tu fais, Zora ? Tu ne vois pas que ce taxi va dans la direction opposée de la gare ?

MOI : Si ! Mais c’est celui-là que nous allons prendre ! Tu vas voir, il va nous porter bonheur !

J’arrête le taxi, heureusement il accepte de changer sa direction pour prendre celle de la gare. Une fois là-bas, nous trouvons notre train, qui doit démarrer dans une demi-heure, sur le quai. Lentement, nous le montons Racha et moi, prêtes toutes les deux pour ce court voyage de deux jours en plein début de l’été.

MOI : J’adore voyager par train. Durant tout le trajet, on ne voit que le paysage naturel, et la notion d’embouteillage est inexistante. Dire que beaucoup préfèrent voyager par avion, soi-disant c’est plus moderne. Non, mais quel modernisme ? Quand je regarde le beau monde futuriste dans les films de fiction, je me dis que ça, c’est du modernisme ! Honnêtement, la technologie d’aujourd’hui c’est encore du bricolage pour moi.

RACHA : En tout cas vu tes retards récurrents, il est préférable que tu ne voyages que par avion. Au moins, c’est plus rapide. Avec toi, une tortue a de très fortes chances de gagner une course.

MOI : Ça va, ça va ! Si tu connais un moyen pour me faire voyager dans le temps, je te promets d’aller dans le passé, spécialement pour corriger mon erreur de ce matin !

RACHA : Si je maîtrisais cette technologie, j’irais moi-même à l’instant de ta naissance, et je te réglerais de manière à ce que tu restes dans notre réalité !

MOI : Pourquoi tu dis ça ?

RACHA : Tu crois que je n’ai pas remarqué que tu as fait exprès de choisir de nous mettre dans la rangée de trois sièges, alors que nous ne sommes que deux ? Et avant ça, tu nous as fait prendre le taxi numéro trois.

MOI : Tu fais donc allusion à mon obsession pour le chiffre trois ! Si j’en avais d’autres, je penserais éventuellement aller voir un psychologue, mais comme c’est ma seule manie, j’ai décidé de la garder. Je suis convaincue que ça a une signification importante. Je garde l’espoir de la découvrir un jour !

RACHA : Ah, si tu veux d’autres raisons pour te décider enfin à aller voir un psychologue, je suis prête à t’en faire la liste. J’ai tout le temps de te remplir dix pages, pendant ces six heures de voyage que nous allons faire ensemble !

MOI : Merci, mais je préfère que tu apprécies le beau paysage avec moi. C’est la première fois que toi et moi voyageons ensemble par train. À propos, merci de m’y avoir invité, malgré que tu dois le regretter amèrement.

RACHA : Bizarrement, non ! En fait, je te pardonne. Après tout, c’est gentil à toi d’accepter de m’accompagner.

MOI : Alors, puisque tu tiens à m’en remercier, puis-je te demander une faveur ?

RACHA : Tu veux que je t’accompagne à mon tour quelque part ? C’est d’accord !

MOI : Ça, je n’en doute pas. C’est juste que… fais-moi plaisir, tâche de ne plus m’appeler tôt le matin. C’est la énième fois que tu le fais exactement à un moment où il ne faut pas.

RACHA : Oh, elle va encore me sortir l’histoire de ses rêves énigmatiques ! Disons que je te réveille pour te permettre de faire le plein la journée. D’où, crois-tu, que tu tires toutes ces histoires bizarres ?

MOI : Sûrement pas de la réalité de ces humains égarés que nous sommes ! Souvent, je suis tellement bien dans les rêves, dans lesquels je flotte dans des mondes fantastiques, irrationnels pour notre mental de Terriens limités et complexés.

RACHA : Et si tu me rêvais, ne serait-ce qu’une seule fois, avec toi ! Peut-être que si j’ai accès à ce monde des merveilles, il y aura enfin quelqu’un qui va te comprendre !

MOI : Est-il normal que tu ne fasses jamais ce genre de rêves ? Si tu dors pour vivre ce que tu vis la journée, quelle est donc l’utilité de dormir ?

RACHA : Disons de préparer la journée du lendemain, pendant que toi, tu te fais bernée ! Voilà qui expliquerait pourquoi ce matin, tandis que moi j’étais à temps sur le quai de la gare, toi tu étais encore occupée à tout diviser par trois. Bon, oublions ! Le train doit démarrer dans deux minutes, j’espère qu’il le fera à temps !

Tout à coup, mon avant-bras gauche se contracte comme il le fait souvent, depuis que j’ai perdu ma mère il y a deux années, puis une douleur insupportable se déclenche en progressant dans cette partie de mon corps. Je me mets alors à la secouer délicatement afin de la soulager.

RACHA : C’est encore ton avant-bras ? Tu ne devais pas voir un médecin pour traiter cette douleur ?

MOI : J’ai vu plusieurs médecins, également pour les acouphènes qui sont très gênants, mais ils n’ont rien détecté d’anormal dans mon corps. Ils m’ont tous dit d’aller consulter un psychologue.

RACHA : Apparemment, je ne suis pas la seule à te le suggérer, alors fais-le ! À l’occasion, demande à ce psychologue de te faire redescendre sur Terre. Comme on dit, d’une pierre deux coups.

MOI : Mauvais souvenir !

RACHA : Le psychologue ?

MOI : Non, l’école ! Regarde plus loin, sur la route, tous ces misérables enfants qui vont à l’école tous les jours de la semaine, et à la même heure. Rien que pour ça, je ne regrette ni mon enfance, encore moins mon adolescence !

RACHA : Je ne dirais pas ça ! Quand je vois ce que nous sommes devenues toutes les deux, moi directrice générale d’un bureau d’études et toi archéologue, ta plus grande passion, je me dis que ça valait le coup de passer par l’école !

MOI : Je ne critique pas l’enseignement, mais vu comment c’est structuré et en plus du formatage, je n’en garde pas un bon souvenir. Une école dans la société, c’est une prison de courte durée dans une autre d’une durée plus longue. Je regrette vraiment que cela ne se passe autrement. Et puis, ont-ils vraiment besoin de construire autour de nous des murs afin de nous enseigner ? Place ensuite la société dans le monde, elle est elle-même dans une prison, et ainsi de suite.

RACHA : C’est ce qu’on appelle le syndrome des poupées russes…

MOI : Syndrome des poupées russes ? Ah, c’est intéressant ce que tu dis !

RACHA : Pour autant, ne sois pas si pessimiste ! Souviens-toi, tout le long de notre cursus universitaire, tu me disais qu’après le diplôme, nous irions directement nous inscrire au chômage. Or, regarde-nous aujourd’hui, regarde ce que nous sommes devenues toutes les deux. Enfin, le train est en train de démarrer, s’il n’y a pas d’obstacle sur la route, on arrivera à Djebala vers 18 h.

MOI : Bien ! Qu’est-ce que j’ai hâte de découvrir ce village tlemcénien ! J’espère qu’il est comme tu me l’as décrit, sinon mieux !

RACHA : Te connaissant, tu vas l’apprécier. Je m’attends même à ce que, plus tard, tu me dises que tu y as été dans l’un de tes rêves.

MOI : Dans mes rêves il ne s’agît pas que de lieux, mais souvent aussi d’un état d’esprit. C’est difficile à expliquer et à décrire. Le plus bizarre est que j’ai l’impression que ce que je vois dans le rêve existe quelque part dans ma réalité physique, comme si c’était enfermé entre deux mondes. Peut-être que tout ça n’est que dans ma tête.

RACHA : C’est exactement ça ! Il y a tellement de bizarreries dans ta tête, pourquoi pas aussi ce monde « extraordinaire » qu’il n’y a que toi qui vois ?

MOI : Mais je parle sérieusement. Dans certains rêves, j’ai tellement confiance en moi-même, je ne compte que sur moi, j’ai du courage et de la détermination. Je me vois alors foncer sans la moindre peur, et puis tout est magnifique. Dans d’autres, plutôt cauchemardesques, je me vois comme une statue, figée, parfois aussi triste, préoccupée et angoissée…

RACHA : Tout cela exprime ton état d’esprit au moment où tu vas t’endormir !

MOI : Je sais distinguer quand c’est en lien avec ce que je viens de vivre la journée. Ce dont je te parle, ce sont des choses qui on dirait se passent dans une autre réalité que la nôtre, peut-être même simultanément. Il m’arrive de voir un monde futuriste, la joie de vivre, de vastes tunnels tellement éclairés, des chiffres qui défilent, des monuments gigantesques, une force électromagnétique très puissante, des aimants, la lévitation, un relief paradisiaque comme on n’en voit jamais au réveil, mais je vois aussi un vent solaire, un cataclysme comme de grosses vagues d’une mer agitée, pendant que des gens s’affolent et courent dans tous les sens… et figure-toi, même quand c’est des cauchemars, ils ne me font pas peur. Je sens simplement une forte désolation, et qu’à travers ces scènes, mon esprit essaie de m’envoyer un message.

RACHA : C’est toujours notre réalité, c’est juste que dans tes rêves c’est exprimé à travers quelque chose d’incompréhensible. J’oserais dire que c’est toi-même qui provoques ça, tellement tu veux te tirer de notre réalité que tu dis trouver monotone, ennuyeuse et insignifiante.

MOI : Si c’était le cas, pourquoi dans le rêve cela se présente à moi comme des résidus de mémoires propres ? Il y a souvent ce sentiment du déjà-vu. Mais, ce qui m’ennuie, c’est que je ne me souviens pas toujours de mes rêves, sinon que de quelques bribes. Autre énigme, est-ce qu’il t’arrive de te voir dans tes rêves avec des personnes que tu ne connais même pas ? Et parfois, c’est des personnes que tu connais, mais ce n’est pas leur physique. Que signifie tout ça ? Et puis, pourquoi on se réveille quelquefois fatigué, vidé de son énergie, même après un très bon sommeil ? Penses-tu que quand on dort, on mène une vie ailleurs ?

RACHA : C’est beaucoup de questions ! Contente-toi de te concentrer sur ce qui t’arrive la journée. Rien que ça rend déjà fou ! Si en plus tu brûles tes neurones à essayer de comprendre des rêves que tu ne vis même pas réellement, c’est du pur masochisme !

MOI : Attends, je n’ai pas fini ! Des fois, pendant le sommeil, je sens que quelque chose essaie de m’arracher de mon corps physique. Et figure-toi, on dirait que l’alarme qui me réveille pour me sauver, est à chaque fois une légère douleur au niveau du genou droit.

RACHA : Dommage que cette « chose » ne t’a pas rendu visite très tôt ce matin ! On ne serait pas encore dans le train. Écoute, moi je fais des rêves, mais je suis persuadée que ce ne sont que des illusions. C’est que quand on dort, on repose uniquement le corps, mais pas le cerveau qui continue de fonctionner, il reste actif et ne dort jamais. J’avoue que ça, par contre, m’interpelle.

MOI : Et si tout n’était simplement que du théâtre ?

RACHA : Les rêves ? Voilà enfin la réponse à toutes tes questions ! À chaque fois que tu dors, tu vas dans une salle de cinéma, et le lendemain tu viens me raconter le film bizarroïde que tu avais, toi-même, choisi de regarder.

MOI : Je te parle de notre vie, de tous les moments que nous vivons sur Terre ! Il ne te vient jamais à l’esprit que cela ne pourrait être que du théâtre ? Tu ne vas pas me croire, mais tous les matins au réveil, j’ai l’impression d’entrer sur un terrain de jeu.

RACHA : Et sur ton chemin, ton indulgente voisine, obstinée à t’asperger la tête tous les matins. Elle, par contre, crois-moi, elle est réelle. Je te conseille d’arrêter d’arroser tes plantes.

MOI : Elle peut attendre ! Elle l’a encore fait ce matin. Je lui réglerai son compte dès mon retour. Je ferai pleuvoir sur son balcon une pluie torrentielle.

RACHA : Fais attention, c’est peut-être elle cette « chose » qui vient la nuit t’extraire de ton corps. Elle doit prévoir de te tuer !

MOI : Racha, mon amie, est-il possible d’avoir avec toi, et pour une fois une discussion sérieuse et en toute objectivité, en dehors de nos croyances personnelles ? Nous allons passer près de six heures dans le train, assises toutes les deux à ne rien faire, profitons-en pour libérer enfin la parole !

RACHA : Très bien ! Quoique j’ai prévu un jeu de cartes. Allons dans ton univers. Vas-y, je t’écoute !

MOI : Ah, si tu veux que je t’emmène dans mon univers, je te rassure qu’il est très beau. Pour commencer, tu n’y trouveras ni caisse ni guichet ! Un monde où l’on peut tout obtenir sans complications. Pourquoi est-ce qu’on n’obtient rien sans argent et sans bureaucratie ? Je voudrais tant ne plus être préoccupée par toutes ces choses que nous impose le système.

RACHA : Tu veux dire que ton monde est un système sans argent ? Je veux bien que cela puisse exister !

MOI : Imagine si on enlève le pouvoir à l’argent. Cette entité qui est partout, et qui intervient dans tout ! Tout le monde en est conscient et en souffre. Cette chose te domine si bien que chaque fois que ton regard se pose sur un billet d’argent, on dirait que ton esprit le lit « celui-ci est ton dieu ». Te rends-tu compte de ce que cela signifie ? Tous les autres dieux sont, ni plus ni moins, une diversion. C’est qu’on se ment ! La vérité est que la vraie religion sur Terre est l’argent.

RACHA : Je suis d’accord si tu fais allusion aux accros à l’argent.

MOI : Nous n’en sommes pas tous accros, mais nous en sommes tous esclaves. Le problème est là ! Dès sa naissance, l’humain est redevable au système financier. Si tu demandes à tous les enfants du monde quel métier ils voudront faire plus tard, imagines-tu combien, parmi eux, te diront celui qui rapporte le plus d’argent ? Évidemment cette tendance leur est souvent inculquée par leurs parents, mais ça marche, parce que ces enfants constatent, eux-mêmes, que la vie sans argent est une vraie souffrance, même pour celui qui ne demande qu’un minimum de confort. Pour tout, il faut passer à la caisse. Si au moins ça soulageait réellement l’humanité ! Je comprends que les plus pauvres soient malheureux, comme ils ne possèdent rien, mais quand les plus riches le sont aussi, ceci montre qu’en vérité l’argent est loin de faire le bonheur comme beaucoup le prétendent.

RACHA : Si malgré leur fortune les riches sont malheureux, c’est que leur vie est vide, ou alors c’est des boulimiques de l’argent qui ne sont jamais rassasiés, et ça, c’est une maladie ! Quoi qu’il en soit, quand on a de l’argent, au moins celui-ci sert. Par contre, on vivra tellement mieux sans bureaucratie, toutes ces démarches administratives qu’on nous inflige pour tout et pour n’importe quoi.

MOI : C’est bien ce que je pense. Dans la vie, pratiquement rien n’est obtenu facilement ou simplement. On nous complique tout ! Quand tu vois toutes les procédures que tu dois faire en tant que propriétaire de n’importe quoi, tu réalises qu’en réalité rien de ça ne t’appartient entièrement. Déjà tu l’obtiens difficilement, et ensuite tu dois tout le temps en rendre des comptes. C’est que la population consent indirectement. Parfois, c’est même elle qui en rajoute !

RACHA : Tu veux qu’elle se révolte ?

MOI : La révolte ? Mais pas besoin ! Je dirais même qu’il vaut mieux ne pas se révolter, car ça finit souvent par lui revenir sur la tête comme un boomerang. À mon avis, il suffit simplement de ne pas participer, et de cesser de céder si facilement à la tentation. Malheureusement, on vit dans un monde d’hyper tentation, nos sens en sont énormément excités et soumis, si bien qu’il est devenu difficile d’être dans une sobriété et une simplicité. Ne vois-tu pas que le culte de l’ego et de la matière s’accentue ?

RACHA : C’est une façon de vivre ! La vie est ainsi faite en ville, où en plus on est bombardé sans cesse, partout et qu’on le veuille ou pas, par toutes ces publicités harcelantes. Mais si tu vas dans beaucoup de zones retirées, tout est beaucoup plus modeste et moins artificiel.

MOI : La vie en ville est en effet artificielle, dans un autre sens, elle est fausse, c’est donc du théâtre ! C’est comme ça que mon esprit la perçoit et l’interprète. Je ne vois aucune spontanéité dans notre façon de vivre, c’est comme une mise en scène prescrite d’une pièce théâtrale, ou d’un film.

RACHA : La bonne nouvelle est que dans un film, l’histoire se termine toujours bien. L’autre bonne nouvelle est que la tienne ne s’est pas encore terminée. Alors, tranquillise-toi, au bout du chemin, il y a le grand bonheur qui t’attend !

MOI : Si c’est moi qui écris la fin de mon histoire !

RACHA : Une fin qui sera comme celle dans tes beaux rêves ?

MOI : Ah, mes beaux rêves ! Rien que pour eux, si cela ne tient qu’à moi, je changerai tous les jours de ma vie en nuits.

RACHA : Et donc, si tu dois vivre un siècle, tu es prête à rester allongée sur ton lit pendant toutes ces décennies, à ne faire que rêver ! Et l’expérience dans la matière, qu’en fais-tu ? Te rends-tu compte de tout ce que tu vas rater ?

MOI : Tu as raison, mais comme en état d’éveil je ne trouve pas les réponses à mes questions, comme si un barrage bloquait le passage des informations, j’ai l’impression que mes rêves, par contre, essaient de m’emmener au-delà de cette barrière.

RACHA : Mais pourquoi cette forte envie, que tu as, de vouloir absolument lever le voile sur les mystères de la vie, et de ceux des comportements humains ? Depuis que je te connais, tu es comme avide de tout savoir et de tout comprendre, mais est-il vraiment nécessaire de tout connaître dans la vie ?

MOI : On a le droit d’être en quête de sens, de compréhension et de vérité. Et comme pratiquement aucune des réponses qu’on me donne ne me parle, alors je me dis qu’il y a autre chose !

RACHA : Je ne veux pas me poser de questions. À vrai dire, je ne me rajoute pas d’autres soucis. C’est déjà lassant de se soumettre aux règles du système et de la société, dans lesquelles il y a trop de contraintes et de contrats physiques, et même un engagement de type moral. Souvent, ce n’est pas paisible, parfois c’est même très lourd.

MOI : Et que dis-tu de la pure incohérence chez les personnes qui s’acharnent à imposer toutes ces règles, alors qu’elles les étouffent aussi ? Mais quel sens a tout ça ? Nous sommes le bétail pour lequel des règles sociétales ont été établies pour, dit-on, mieux assurer la cohabitation entre les citoyens, autant qu’un système d’organisation obligatoire nous est imposé pour, dit-on, la bonne gestion de la vie de chacun. La banque et l’assurance sont là pour soi-disant protéger le citoyen, parce qu’apparemment il n’est pas capable de gérer tout seul son propre argent. Or, c’est des complications plus qu’une protection, c’est même de l’arnaque ! Le comble dans tout ça est que, comme toi, je critique un système que moi-même alimente. Nous nous comportons tous ainsi, parce que nous pensons que nous ne pouvons faire autrement, malgré que nous avons tous cette envie de tranquillité, mais on dirait qu’il y a une force qui a réussi à nous robotiser. Tout ceci me fait penser qu’aucun humain ne vient au monde de son propre gré. Qui vient à la vie pour vivre ça ?

RACHA : Pour la blague, ceux que les parents mettent au monde parce que selon ces derniers, chaque nouveau-né apporte la richesse, même à une famille d’extrême pauvreté.

MOI : S’ils font allusion à la richesse matérielle, c’est vrai que c’est une blague. Si par contre la richesse est perçue autrement, un nouveau-né est une nouvelle naissance, un nouveau départ. Le regard serein et angélique d’un bébé exprime la paix, la pureté et l’innocence. Son sourire envoie de l’amour, de la joie et de l’espoir. Or, quand ce n’est pas ce qui répond au souhait de la famille, et voilà que ce porteur de cette belle et vraie richesse devient lui-même un problème. Plus tard, il est perverti à travers son éducation, et au mieux, cette famille se retrouve au même point de départ, au pire, sa situation s’aggrave.

RACHA : En effet, mais cela n’empêche que beaucoup arrivent à surmonter les obstacles de la vie, et réussissent. Toi-même, regarde-toi, tu es bien réalisée !

MOI : Mais rien n’a été fait ou atteint sans complication ! De même que malgré l’aboutissement, je ne ressens pas une satisfaction entière, on dirait que ma réussite est fictive. Mon esprit me fait sentir que je ne suis pas arrivée à mes vraies aspirations. Je n’ai pas l’impression d’être ni d’avoir ce que je voulais réellement, comme si je me suis simplement servie de ce qu’il y a, ou du minimum ou de ce qui m’est permis. Au bout du compte, ma situation n’est pas vraiment ce que j’aurais souhaité qu’elle soit. Mais pourquoi ? Je n’arrive même pas à déterminer mon insatisfaction, et encore moins à déceler « la chose » qui en serait la cause. Il y a face à moi comme une barrière invisible qui m’empêche de voir ou d’atteindre ce qui est censé me réjouir enfin.

RACHA : Quelle que soit cette « chose », tu as tout de même trouvé ta place dans ce système !

MOI : Justement, je ne cherche pas une place dans ce système, encore moins dans cette société. Je m’en méfie si pour me donner, on décide pour moi, qui et comment je dois être. Je souhaite exister simplement telle que je le veux moi, et telle que je suis vraiment, non pas telle que les autres veulent me faire. Je veux me définir moi-même et m’affirmer ; or je sens qu’une bonne partie de ce que je suis ne m’appartient pas, et je veux m’en nettoyer pour ne garder que mon essence. Je veux me débarrasser de tout ce qui m’est imposé, de tout ce qui est de l’autre et pas de moi. Et crois-moi, nous avons tous ça en nous, mais nous cédons automatiquement. Beaucoup n’en sont même pas conscients !

RACHA : C’est que chez tout humain, il y a ce réflexe de passivité, de soumission facile et systématique pour avoir la tranquillité. On croit que la situation ne peut être autrement, on n’imagine pas que la société puisse fonctionner différemment. Et même si au début cela ne plaît pas, au fil du temps tout le monde cède, l’un après l’autre. On se suit, c’est comme quand tu vois tout le monde courir, tu te mets à courir toi aussi. C’est comme ça si tu veux la tranquillité, et si tu veux être aimée par les autres !

MOI : Tu veux dire acceptée par eux ! Le comble est que même dans un système et une société où règne la pensée unique, où tout le monde pense pareil et se comporte pareil, il arrive que tout à coup, les gens se retrouvent dos à dos, parfois au point où une guerre peut éclater facilement.

RACHA : La mésentente est due au mal-être profond, tandis que la guerre est pour le pouvoir et la concurrence, que convoitent même ceux qui prétendent faire la guerre pour la paix et la justice.

MOI : Eh bien, toi qui à chaque fois me demandes si les extraterrestres existent réellement, pourquoi ils ne viennent jamais sur Terre, je suppose que maintenant tu as la réponse à ta question. Franchement, qui a envie d’aller sur une planète qui est tout le temps en effervescence ? Je ne sais pas quel type de cellules il faut avoir pour arriver à commettre de telles horreurs ! As-tu idée du budget que dépensent tous les gouvernements du monde pour la mort ? Compare-le avec celui dépensé pour la vie.

RACHA : Pour être honnête, je ne me pose même pas la question. Il y a tellement de guerres, que j’en suis devenue insensible, même aux dégâts humains qu’elles causent. Et je ne suis pas la seule, cet acte est devenu une banalité, alors qu’on veut nous inculquer que la sauvagerie est l’apanage des peuples du passé, et qu’aujourd’hui nous sommes plus humains, plus évolués et plus civilisés.

MOI : Et nombreux continuent à croire que les humains d’aujourd’hui sont mieux que ceux du passé. Or, tout ne fait que se répéter et tourner en boucle.

RACHA : C’est parce qu’on se réfère à la technologie moderne. Dans le passé lointain, elle n’existait pas encore, et plus tard elle était à ses débuts. Il y a aussi la jurisprudence qui est aujourd’hui beaucoup plus humaniste qu’autrefois. Voilà qui fait qu’on s’estime plus civilisé que les aïeuls.

MOI : Encore une fois, rien de ça n’est sans prix. Aussi, dans certains cas, les difficultés et les injustices du passé sont de nos jours seulement camouflées. Autrement, comment expliquer le fait que le mal de l’humanité persiste ? Qu’est-ce qui explique que chez une humanité dite évoluée, le conflit soit omniprésent, au point où même ce qui est supposé être plaisir, détente, voire même remède, tel le sport, est transformé en une rivalité contre un adversaire ? Et encore une fois ces guerres qui ne finissent jamais, qui se déclenchent pour les mêmes raisons, comme si sur Terre on ne doit que se haïr et s’entretuer continuellement. Pourtant, quel que soit le vainqueur dans une guerre, il n’y a jamais vraiment un gagnant. À chaque affrontement violent, l’humanité ne fait en réalité que subir une défaite supplémentaire. Quand je la regarde avec du recul et essaie de la comprendre, je vois un foutoir et je ne ressens que de la répugnance, et là je ne veux appartenir ni à un camp ni à l’autre, j’aspire plutôt à être bien plus grande que ces êtres de dualité. Est-il possible d’y parvenir ? Ne pas prendre parti, c’est ne pas participer à ce jeu de théâtre tellement médiocre. Si j’y parviens, ce système s’effondre ne serait-ce qu’à l’intérieur de moi-même.

RACHA : Disons que l’humanité a tout simplement échoué. D’un autre côté, pourquoi ce ne serait pas normal que les massacres existent, et continueront d’exister ? Après tout, dans ce vaste monde de diversités et de possibilités, comme il y a la place pour le bien, il y en a aussi pour le mal. Il suffit de regarder les intempéries, les séismes, les éruptions volcaniques, les canicules… je veux dire, la nature elle-même nous montre que même le mal a sa place dans l’existence.

MOI : Comme quoi les catastrophes naturelles ne suffisent pas, et donc il faut en rajouter ! Ne peut-on pas déduire autre chose du message de la nature ? Et si la moralité était de nous montrer que le désastre est ce qu’il y a de plus horrible, de plus inhumain ? Et si c’était pour nous inciter à évoluer côte à côte, pour vaincre les catastrophes naturelles, celles qui existent déjà, plutôt que d’en rajouter d’autres ?

RACHA : Ou alors, tous ces phénomènes ne sont que des préludes. Toutes les religions prédisent des catastrophes naturelles à l’approche de la fin du monde, car à cause de ses actes, l’humanité devra le payer très cher. Le comportement humain pourrait donc être la cause de tous ces cataclysmes qui annonceraient la fin du monde !

MOI : Les catastrophes naturelles existent depuis la nuit des temps, et puis une lecture différente de cette prophétie suggère qu’il s’agirait plutôt de la fin d’un monde, non pas du monde. Nous étions dans l’ère du Poisson, et nous entrons dans celui du Verseau. La transition a commencé il y a quelques années.

RACHA : C’est vrai que si on observe bien l’humanité, depuis quelques années elle est en effervescence à tous les niveaux. Ne vois-tu pas l’instabilité qui règne pratiquement partout sur Terre ? Personnellement, je sens que quelque chose est en train de se passer, d’ailleurs toi-même tu ne cesses de le faire remarquer. Penses-tu que nous allons vers un monde meilleur ?

MOI : À savoir ! Quoi qu’il en soit, le beau monde pour moi est celui dans lequel il n’y a pas toutes ces complications inutiles ni cette grande dépense d’énergie pour obtenir la moindre chose. Aussi, un monde dans lequel chacun se contente de penser qu’il a raison, ou qu’il détient la « vérité », sans s’acharner à convaincre les autres. Si on est convaincu de ce qu’on croit, que cache ce fort besoin d’être cru et suivi par les autres ?

RACHA : Cela dépend des cas. Il y en a qui tiennent au conformisme, ils sont allergiques à la diversité, ils veulent voir la même image partout, même sur une autre planète. À ceux-là, je dis que si vous voulez que nous soyons tous pareils, pourquoi ce n’est pas vous qui deviendrez comme les autres ? D’autres sont obsédés par le pouvoir, et se présentent à nous comme les grands sauveurs de l’humanité. Ceux-là, moins je les entends, mieux, je me porte.

MOI : Sauf que ceux-là ne s’installent confortablement, que lorsqu’ils apparaissent pour répondre à l’appel des humains. Si formatés comme faibles, impuissants et incomplets, nous appelons à chaque fois à l’aide, il est normal que des sauveurs se pressent pour répondre à l’appel ! Ces derniers utilisent tous le même mécanisme employé à chaque fois par les nouveaux sauveurs. Cela fait partie de l’opération « grand théâtre ». Et comme l’histoire ne fait que se répéter, et qu’à chaque fois celui qui prétend venir sauver les autres ne cherche en réalité que ses intérêts, il y a maintenant deux chemins devant nous : soit on continue à rêver d’un nouveau sauveur, ou bien on ouvre enfin les yeux, et on admet qu’il n’y a pas de sauveur, et on ne peut que se sauver soi-même.

RACHA : Et enfin, un troisième cas de figure, qui est la peur de la solitude, d’être tout seul dans ses croyances. Si personne d’autre n’y adhère, ou simplement très peu le font, on est prêt à faire tout et n’importe quoi, jusqu’à tuer, pour être suivi.

MOI : Quand on quitte le monde des autres seul, comment peut-on en même temps ne pas supporter d’être solitaire ? Il est vrai qu’en s’isolant, cela peut générer de l’ennui, mais là encore, ne peut-on pas se suffire soi-même ? Moi, la solitude me fait du bien. Ce n’est pas un refuge néfaste, c’est juste le besoin d’être avec moi-même. Personnellement, je n’ai jamais eu la phobie du silence et de la solitude, je dirais même qu’ils me sont d’une grande utilité, car j’en profite pour m’écouter, me comprendre, et entendre enfin la voix de ma conscience, plutôt que celle des autres. Cela me permet de me découvrir, de me connaître mieux, de savoir ce que je veux moi ! Aussi, quand on est invisible, on peut avoir cette chance d’être épargné de l’ingérence des autres, car si mes croyances et opinions controversées n’ont pas le droit d’être visibles, de peur que j’influence les autres, alors je préfère rester invisible. Au final, ce qui m’étouffe réellement, c’est le fait de devoir me conformer au mode de vie des autres et à leurs croyances qui ne sont pas miennes. Dans ce cas, n’est-il pas préférable pour moi d’être seule ? Disons que c’est aussi une manière d’imposer ma souveraineté sur moi-même.

RACHA : Eh bien moi, je ne pourrai pas tenir longtemps seule. Si ma liberté, malgré qu’elle m’est précieuse, peut m’être parfois un obstacle, ceci expliquerait à mon sens qu’elle ne puisse être un droit absolu, et que j’aie des comptes à rendre aux autres.

MOI : À mon avis, il te faut une belle expérience terrifiante, dans laquelle tu affronteras enfin cette peur de la solitude. À ce moment, tu parviendras à t’affranchir de cette croyance qui t’enferme, et selon laquelle tu n’es pas capable de te suffire toi-même. Car si le prix à payer est d’être dans le moule, tu ne te rends pas compte que, en étant dans cette dépendance des autres, même pour toi-même tu passes après eux, et là, c’est surtout toi qui te limites !

RACHA : Je crois aussi que le système est fait de manière à ce que, chacun de nous, croit à ses propres limitation et impuissance, mais s’il faut se battre contre ça, je suis déjà fatiguée rien qu’en y pensant, alors je choisis de suivre le mouvement et de jouer. S’il le faut, je joue tous les rôles comme un même acteur dans plusieurs films. Il m’arrive de sentir le mal-être quand je ne comprends pas ce qui m’est imposé, mais quand c’est le seul moyen d’échapper aux embêtements, eh bien je m’incline pour sauver ma vie ! Et puis, à chaque fois que j’en ai la possibilité, je triche. Je le fais avec beaucoup d’humour et de mépris vis-à-vis du système, quand celui-ci ne se rend pas compte de ma tromperie. C’est aussi une façon de vivre ! N’est-ce pas que les malins s’en sortent bien dans ce monde ?

MOI : Si tu savais combien de gens vivent comme ça ! Ils s’emprisonnent pour se protéger, et évitent de vivre pour ne pas mourir. Si tu savais combien font semblant juste pour avoir la paix ! Beaucoup se plaignent d’être lâchés par les autres, mais combien parmi eux sont lâchés d’abord par eux-mêmes ? J’ai du mal à supporter voir cette humanité soumise, comme conquise. Et puis, qui te dit que moi je cherche à me battre ? C’est une perte d’énergie de lutter en permanence contre les vagues dans une mer agitée, quand le mieux est de sortir carrément de cette mer, et d’aller se mettre sur le sable serein. C’est ça sortir de la scène du jeu, et je préfère cela plutôt que de mener un combat sans fin, ou alors contenter les autres.

RACHA : Pourtant à t’entendre depuis tout à l’heure, on a l’impression que de nous deux c’est toi qui souffres le plus.

MOI : Hélas, je crains que ce soit le cas, malgré que je suis parvenue à changer de manière à ne plus m’imposer quoi que ce soit.

RACHA : Es-tu vraiment parvenue à le faire ? Et c’est survenu comment ?

MOI : Disons juste à un moment où j’ai enfin dit stop ! Avant ça, je cédais à contrecœur, sans jamais réussir à m’adapter dans le moule alors que j’avais des idées et des envies, mais mon énergie était comme soustraite par les autres, elle ne pouvait donc appuyer mes pensées afin qu’elles deviennent des actes. Il fallait que je reprenne le contrôle sur moi-même. Ce jour-là, il s’est passé quelque chose, j’ai alors dit stop, et c’était pour toujours ! Dès cet instant, j’ai compris que je n’ai jamais été victime sinon que de moi-même, en tout cas pas des autres. Si pendant des années j’avais négligé mon libre arbitre, en rêvant de parvenir un jour à avoir une emprise sur l’extérieur plutôt que sur moi-même, c’est que mon vrai ennemi était moi. Le coupable n’était ni l’autre, ni le diable, et encore moins « dieu » qui laisse faire tout ce mal. J’ai fini par dire stop, et tout de suite cela m’a procuré un immense sentiment de légèreté. J’ai aussi réalisé que cela a toujours été en moi, alors j’ai décidé d’aller jusqu’au bout, en devenant d’abord la meilleure amie de moi-même. En fin de compte, tout peut basculer en une seconde, et on se retrouve en train de vivre, en une seule vie, deux consécutives, si différentes l’une de l’autre. Quand je regarde mon passé, je me dis que tant de choses auraient pu être différentes, et cela m’attriste.

RACHA : En réalité, et comme beaucoup le disent, on a besoin de souffrir pour bien évoluer. C’est la règle de la vie pour chacun de nous, et donc pour toi aussi. Alors je ne vois pas ce qu’il y a d’extraordinaire dans ton parcours de vie. À un moment de sa vie, il arrive qu’il se passe quelque chose ou alors on finit par comprendre quelque chose, et on est emmené à changer.

MOI : D’abord, je ne crois pas que l’humanité doit obligatoirement souffrir afin d’évoluer, et puis il y a une différence entre changer pour redevenir soi-même, et se contenter de changer simplement sa position dans le moule, puis se défouler à travers d’autres moyens d’expression, telle que la maladie, la colère, la tristesse, la frustration, ou encore l’échec. Souvent, ceci est le cri qu’on n’arrive pas à exprimer, quand l’âme censée être libre cède à l’enfermement, et à cette croyance à la souffrance inéluctable.

RACHA : Pourtant il suffit de s’y habituer dès son enfance. Beaucoup y parviennent dès qu’ils arrivent à la conviction que la vie ne peut être autrement.

MOI : Eh bien moi, quand j’étais enfant, j’étais tellement mal à l’aise que j’ai fini par créer mon monde imaginaire, une sorte de bulle protectrice, et à chaque fois que je me sentais mal, et cela m’arrivait si souvent, j’allais m’y réfugier, et j’y vivais comme j’aurais choisi ma vie si j’avais eu le choix. Plus tard, ce monde est devenu omniprésent, et je me suis comme coupée inconsciemment du monde réel et des autres que j’observais uniquement, et c’est là que j’ai commencé à remarquer les incohérences, à me poser des questions sur tout, et à essayer de tout comprendre.

RACHA : Et c’était quoi ton monde et tes questions ?

MOI : Le monde que je m’étais créé était dans le ciel, tellement je me sentais liée à cet espace infini et à ses astres. J’étais convaincue que ce vaste ciel m’envoyait des messages, et cela me faisait du bien. Ensuite il y a eu cette grande admiration pour les oiseaux que j’observais tout le temps, tellement je les enviais et j’avais envie de pouvoir voler comme eux. À ce moment, deux questions me hantaient l’esprit, je me demandais pourquoi ces petits êtres pouvaient voler et pas moi, et puis je ne comprenais pas pourquoi les humains les tuaient. Comment peut-on mettre fin à la vie de si beaux êtres, aussi joyeux et aussi libres ? À partir de là, de nombreuses autres questions, sur la vie et sur les comportements des humains, venaient se rajouter.

RACHA : Ainsi, toute ton incompréhension et tous tes questionnements tournent autour de la liberté, du libre arbitre et de la violence. Je te vois comme quelqu’un qui essaie d’aller, d’un continent à un autre, à la nage. Je parie que tu ne dois regarder que les films sur les grands héros et héroïnes de l’histoire.

MOI : Il est vrai que j’apprécie regarder ce genre de films, mais ce n’est pas ce qui m’inspire. Quand on cherche la stricte vérité, on ne s’inspire pas de quelque chose de subjectif, et tu sais que bien souvent l’histoire ne manque pas de mensonges et de subjectivité.

RACHA : En effet, l’histoire est écrite et nous est transmise par les vainqueurs. C’est à l’image de notre présent ! Regarde comment la vérité et l’information sont les premières victimes de tout conflit. Alors comment peut-on prétendre connaître la réalité des évènements du passé, que nous n’avons pas vécu ?

MOI : Et on nous remplissait le crâne avec tout ça, à un moment donné de notre enfance et adolescence. Souviens-toi quand on était rassemblé par quarante, entre quatre murs, à écouter le grand connaisseur qui imposait le silence complet dans la salle, essayant de nous faire croire que l’évolution humaine est linéaire. Or, quand j’écoutais, j’avais l’impression de vivre le présent, et de regarder le futur.

RACHA : Quand tu écoutais ? Et quand tu n’écoutais pas, j’imagine que tu étais perdue dans ton monde !

MOI : Pour être plus précise, quand je sortais de mon monde, cela coïncidait à chaque fois avec la fin du cours. Et même si ce n’était pas les mêmes noms, les mêmes régions et la même période, c’était le même désastre. Le côté positif est que cela m’a permis de développer mon esprit critique, sans que ce ne soit forcément l’objectif du cours. C’est que même à l’école, on te prépare pour que tu rentres dans le moule. Heureusement dans la narration, il y a souvent une faille à travers laquelle la lumière passe, comme pour te montrer où tu dois plutôt regarder.

RACHA : Et c’est là où tu orientes ton regard, toi !

MOI : C’est un réflexe inné ! Quand on rentre dans une maison, c’est la pièce dont la porte est fermée qui attire la curiosité.

RACHA : Et tu crois vraiment que tout ce qu’on nous enseigne est mensonge ?

MOI : Jamais ! Je ne veux pas non plus tomber dans la paranoïa. Je ne veux pas même tomber dans le piège de croire uniquement ce qui me plaît ou me convient ! En fait, ce n’est pas la version de la narration officielle qui me dérange, c’est simplement que j’ai des questions, parfois un point de vue différent, et cela m’embête que quand ce n’est pas le système, c’est la société qui pose des limites à nos réflexions ou à nos questionnements. Il ne s’agit pas d’avoir raison ou pas, mais simplement de pouvoir interroger sur ce qu’on ne comprend pas, ou qui ne convainc pas. N’ai-je pas le droit d’interroger l’histoire et la science en général sur ce qui me paraît incohérent ou incompréhensible ? C’est quoi la science et la recherche si ce n’est de continuer à chercher, à vérifier et à interroger ?

RACHA : Eh bien moi, je ne suis pas celle qui croit sans avoir de preuves, et puis aucune science n’est exacte. Dans tous les domaines, aujourd’hui on te sort une découverte ou théorie. Le lendemain, elle est remise en cause et remplacée par une nouvelle qui, elle-même, va être à son tour remise en cause, et ainsi de suite.

MOI : D’où l’intérêt de la liberté de la pensée, de ne pas s’obliger à adhérer à ce qui est admis par les autres, d’avoir le droit de contredire et de continuer à chercher, et à essayer de comprendre, sinon la science perd sa crédibilité. Les chercheurs eux-mêmes peuvent être en désaccord, parce que chacun a sa façon de percevoir ou d’interpréter un même phénomène. C’est comme quand on regarde ce paysage sublime dehors, il inspire à chacun de nous quelque chose de différent.

RACHA : Moi, faceàtoutes ces merveilles, je pense automatiquement au grand créateur !

MOI : Eh bien en ce qui me concerne, c’est plutôt l’inverse. Ces merveilles éveillent en moi cette forte sensation de liberté. Face à elles, je sens mon âme s’élever, je me sens alors divine et rien n’est au-dessus de moi. Il m’arrive même de penser que c’est la raison pour laquelle des humains détruisent la nature, c’est qu’elle est révélatrice de la vérité, et donc elle peut être dangereuse. Ce qui expliquerait sa destruction gratuite.

RACHA : Pour moi, on la détruit par abus de sa générosité. On est rassuré que si on abat un arbre sans raison valable, puis un jour on décide de replanter, la nature est si miséricordieuse qu’elle pardonnera, et donnera de nouveau à l’humanité. En fait, on la détruit simplement parce qu’on est dépourvu d’âme. Je ne comprends pas qu’on puisse être aussi insensible à la beauté de la nature !

MOI : Si tu ne considères la nature que du point de vue esthétique, ce n’est pas tout le monde qui tombe sous le charme de la beauté. Or, la nature est plus que ça. Quand je m’y connecte, elle éveille en moi ce que je suis, comme si elle et moi partageons quelque chose en commun. Et quand je cherche à l’intérieur de moi-même ce qu’elle éveille, je découvre le bien-être, ma nourriture non seulement matérielle, mais aussi spirituelle, ma force, mon remède, ma patience, et le plus important, ma réalité divine. Ce qui explique, selon moi, pourquoi quand on vit dans la nature, ou simplement on y va, on est comblé et serein.

RACHA : Moralement je m’y sens très bien aussi, et c’est le lieu idéal pour se reposer et déstresser. Pour autant, la nature pour moi est avant tout un signe, une preuve de l’existence du grand créateur qui nous envoie, à travers cette merveille, son message.

MOI : Parce que transmettre ensuite son message via les sauveurs élus n’allait pas suffire ? Quoique s’il s’était contenté de la nature, cela nous aurait évité tellement de guerres et tellement de futilités qui nous polluent la vie à ce jour !

RACHA : Mais dieu est bon, c’est juste que tout est perverti et falsifié dès que c’est mis entre les mains des hommes !

MOI : Si c’est le cas, c’est tout de même bizarre que dieu ne le sache pas ou ne connaisse pas bien ses créatures, autrement pourquoi transmet-il à chaque fois son message à travers des hommes ? Quant à nous, comment croire et faire confiance à ce qui nous est servi des mains des hommes, surtout quand cela nécessite le renoncement à sa propre liberté ? D’ailleurs, si tu enlèves l’influence de ces prétendus messagers, ensuite celle de tes proches, puis celle de la société et du système, penses-tu que tu vas te découvrir telle que tu parais être ou alors différente ? Il ne te vient jamais à l’esprit que ton chemin intérieur puisse être tout autre ? Que les valeurs que tu professes pourraient être l’opposé de ce que tu es en réalité ?

RACHA : Pour le savoir, il faut un travail individuel très profond, et encore une fois, ceci est pour moi une tâche pénible. Je voudrais pouvoir faire comme toi, avoir le courage de m’isoler et réfléchir loin des autres, mais pas au détriment d’éventuels bénéfices que je risquerais de rater en me détachant de la vie en société, quand bien même je ne m’y sens pas totalementàma place, et tout ne se passe pas pour moi comme je veux. Je suis consciente aussi que si le corps physique est souvent soumis aux problèmes et aux basses fréquences de ceux qui l’entourent, cela l’altère et altère même son énergie, et c’est tellement désagréable ! Sur Terre, j’ai été envoyée comme jetée n’importe où, au milieu de n’importe qui et dans n’importe quel contexte, même si rien de cela ne me convient. D’ailleurs et autant que moi, tu dois constater que du point de vue des croyances, des mentalités et des idéologies, les humains sont mal répartis géographiquement. Mais est-ce pour apprendre à cohabiter et à se respecter ou alors justement pour s’entretuer ? Aussi, je ne pourrai me mentir et dire que je suis dans le bonheur absolu, quand souvent pour obtenir une chose il y a beaucoup à faire dans une vie aussi courte que la nôtre, et c’est une chance d’y arriver avant sa mort. Il est certain que s’il y avait le libre arbitre, ce n’est pas dans ce monde-là que j’aurais choisi de naître, un monde qu’autant que toi, je peine à comprendre, un monde dans lequel souvent quand je demande « pourquoi », l’explication qu’on me donne est soit « c’est comme ça ! » soit quelque chose qui va dans ce sens, sans pouvoir aller au-delà de cette réponse, un monde carrément abject et pitoyable. De toute façon depuis tout à l’heure, nous discutons autour de questions vertigineuses, existentielles, et si aucune philosophie proposée, aucune explication ou réponse donnée et aucun enseignement acquis n’est dépourvu d’incohérence, pourquoi me faire des illusions, et penser que si moi je réfléchis je vais trouver la vérité ? Du coup, je suis comme quelqu’un qui fonctionne avec les moyens de bord, en même temps je choisis le juste milieu, je rentre donc dans le moule, mais je prends la position qui fait le moins mal à moi, aux miens et à la société.

MOI : La société qui ne distingue pas entre le vrai mal, celui qui peut causer réellement un dégât, et puis celui qui tout simplement n’est pas à son goût, et donc il la choque. C’est une mission lourde, tellement difficile et désagréable pour moi !

RACHA : Et sortir du moule, était-ce vraiment facile pour toi ? Je n’en ai pas l’impression, je ne te vois pas rassasiée !

MOI : En effet, mais comme la décision a été prise par mon intérieur profond, je ne voyais plus devant moi que cette nouvelle voie. C’est mon esprit qui a pris le dessus le jour où il a dit stop. J’ai tout de suite compris qu’il voulait mettre fin au rôle que je jouais, et que désormais, c’est lui qui fait la loi ! Depuis, je me suis mise face à lui pour le comprendre et lui offrir l’apaisement auquel il aspire, et cela me demande énormément d’énergie, car l’esprit qui vit dans les nuages, comme tu dis, et le corps physique qui vit sur Terre, ne s’expriment pas forcément dans une même langue, il est donc souvent difficile de se comprendre.

RACHA : Et qu’est-ce qui a déclenché ce changement chez toi ?

MOI : Une forte dépression !

RACHA : Vraiment ? Raconte !

MOI : Un matin, pour une raison que j’ignore encore, j’ai brusquement vu le néant, et celui-ci m’a plongé dans une dépression que je ne souhaite à personne de vivre. Je suis restée dans cet état pendant plus de six ans. Et, au lieu d’essayer de comprendre cette douleur qui me torturait l’esprit, je ne faisais que lui tourner le dos en essayant de la fuir. Une force en moi m’empêchait d’en parler aux autres, car le faire, c’est rendre réelle l’existence de ce néant, alors que mon esprit, lui, était bel et bien emprisonné dedans. C’était aussi douloureux qu’invivable, et ça, je l’ai vécu toute seule jusqu’à la fin de l’épisode.

RACHA : Et comment t’en es-tu sortie ?

MOI : Mystérieusement ! C’était incroyable ! Moi-même je n’en revenais pas, car il a suffi que je regarde quelques épisodes d’une série télévisée sur les mondes parallèles, et la lumière s’est de suite rallumée pour mon esprit, faisant disparaître, d’un coup de magie, tous les murs du grand néant qui l’entouraient.

RACHA : En es-tu sûre ? Et qu’est-ce que cette série a de si particulier ?

MOI : Je me suis aussi posé la question. La réponse qui m’est venue en tête est qu’en fin de compte, la réalité dans laquelle nous vivons n’est pas forcément la seule qui existe. Même quand on quitte son corps, il n’y a pas de néant, on ne fait qu’accéder à une autre dimension. Et puis c’était comme s’il y avait un message caché dans cette série, quelque chose comme… on se rebellera un jour. Mais contre qui, ou contre quoi ? Je n’en ai pas la réponse.

RACHA : Et donc, ce que tu essaies de me dire, c’est que depuis cet incident, c’est quasiment terminé entre la société et toi, puisque tu découvres que la vérité est ailleurs, et que pour cela, désormais tu es face à ton esprit, seule avec lui, parce que c’est lui qui va te guider vers la vérité. Ai-je bien compris ?

MOI : En effet, tu as tout compris ! Si je me suis isolée, ce n’est pas uniquement pour mener ma vie comme je l’entends, mais aussi pour m’expliquer avec moi-même, car je sens que mon esprit aspire à quelque chose d’autre, et n’a donc pas encore été vraiment servi. Si j’ai pu trouver l’apaisement pour mon corps physique, mon esprit, lui, semble insatisfait, et ne cesse d’appeler au secours. Ce matin, quand tu m’as appelée alors que j’étais en plein sommeil, je rêvais que je montais une montagne raide, afin d’atteindre l’extase à laquelle mon esprit aspire profondément. J’ai besoin de le comprendre, et on dirait qu’il essaie de me dire que dans ce monde, je ne peux pas m’épanouir, ce n’est pas l’endroit pour moi, et qu’ici je resterai toujours limitée. Parfois je suis triste sans qu’il ne se passe quoi que ce soit, et là, je me dis que mon esprit doit vivre autre chose que mon corps, ou alors il aspire à autre chose. C’est pourquoi j’aimerais mieux entendre mon âme s’adresser à moi. J’ai assez écouté les autres !

RACHA : À mon avis, ceci n’est pas un bon signe ! Le monde de l’esprit est souvent imaginaire, c’est l’Univers des illusions dans lequel tu peux penser tout et n’importe quoi, et si tu te fies à ça, tu finiras par franchir le monde de la folie. Je te conseille de ne pas aller loin dans tes réflexions, si tu veux éviter de te trouver dans l’irréel.

MOI : Et où en est le danger ?

RACHA : Tu ne pourras plus être parmi l’humanité. Tu risqueras même de perdre toutes tes facultés mentales ! Enfin, pour ne pas dire que tu deviendras complètement folle, disons que tu vas te retrouver toute seule dans cette fiction !

MOI : Penses-tu qu’être seule est un problème pour moi ? Faut-il être avec tout le monde, tous ensemble ? Je n’ai pas besoin de ressembler ou d’être comme les autres, et j’assume parfaitement ma singularité. Et puis, si sortir du cercle ce n’est pas ne rien trouver, et c’est simplement franchir un autre Univers qui pourrait même être « le monde de la folie », c’est au final aller vers quelque chose qui existe ! Pourquoi est-il dangereux de découvrir cette chose ?

RACHA : Ce qu’on est sûr qu’il existe, c’est ce qui est perçu avec nos organes de sens. Il n’y a que ça de vrai ! Tu ne vas pas me dire que ce que captent nos sens n’est qu’illusion, tandis que la réalité est ce que tout le monde ne voit pas !

MOI : Il est évident que ce que captent nos sens n’est pas illusion. Mais en même temps, ces organes ne seraient-ils pas le piège pour faire barrière à nos perceptions ?

RACHA : Oh, ma chère Zora ! Mais que veux-tu que je te dise de plus ? J’ai l’impression que tu es déjà à un doigt de la folie ! Néanmoins, fais ce qui te semble bon, moi, je me contente de vivre ma vie sans me rajouter d’autres ennuis, peu importe si elle est réelle, ou simplement un jeu de théâtre !

Après six heures de voyage, notre train arrive à destination. Nous nous pressons Racha et moi pour aller déposer nos affaires à l’auberge, et partir ensuite à la découverte du village avant la tombée de la nuit. Racha avait raison, la beauté de Djebala est très originale, son atmosphère est en effet très reposante, au point où nous ne ressentons plus le stress pesant qui nous ronge en permanence dans la ville d’Alger.

Le soir, immédiatement après le dîner, nous allons chacune dans sa chambre. À cause du long voyage, nous avons toutes les deux besoin d’un bon sommeil, d’autant plus que nous devrons prendre le train de retour chez nous demain à midi, juste après la réunion de Racha.