Les Fleurs animées - Alphonse Karr - E-Book

Les Fleurs animées E-Book

Alphonse Karr

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Extrait : "Au carrefour d'une forêt, à l'endroit d'où partent quatre routes différentes, plusieurs Fleurs se rencontrèrent, parmi lesquelles on remarquait le Pois de Senteur, le Cactus, la Fleur de Pêcher, le Dahlia, la Sensitive, la Fuschie, la Pervenche. – Où allez-vous ? se demandèrent-elles les unes aux autres. – Nous retournons chez la Fée aux Fleurs, répondirent-elles, mais nous avons perdu notre chemin et nous ne savons à qui le demander."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Le Décaméron

Au carrefour : d’une forêt, à l’endroit d’où partent quatre routes différentes, plusieurs Fleurs se rencontrèrent, parmi lesquelles on remarquait le Pois de Senteur, le Cactus, la Fleur de Pêcher, le Dahlia, la Sensitive, la Fuchsie, la Pervenche.

– Où allez-vous ? se demandèrent-elles les unes aux autres.

– Nous retournons chez la Fée aux Fleurs, répondirent-elles, mais nous avons perdu notre chemin et nous ne savons à qui le demander.

Il fut résolu qu’on enverrait le Pois de Senteur à la découverte. Au bout d’un quart d’heure le Pois de Senteur revint ; il avait grimpé à la cime des arbres les plus élevés, sans apercevoir autre chose que l’horizon qui verdoyait. Sans doute la forêt n’était pas habitée ; on n’y voyait pas même une cabane de bûcheron cachée dans la feuillée.

– Le Rouge-Gorge est mon ami, dit la Fuchsie ; il me fournira peut-être quelques renseignements.

– Eh ! seigneur Rouge-Gorge, sommes-nous bien éloignées du pays de la Fée aux Fleurs ?

Le Rouge-Gorge, au lieu de répondre, s’enfuit tout effrayé et disparut dans le buisson voisin.

– Je propose, s’écria alors le Dahlia, que nous nous mettions à la poursuite d’un papillon, et qu’après l’avoir fait prisonnier nous le forcions, en échange de sa liberté, à nous mettre dans la bonne voie.

– Attendons plutôt la nuit, reprit le Pois de Senteur : quand les sylphes viendront voltiger ici au clair de la lune, nous les appellerons, et c’est bien le diable si l’un d’eux ne consent pas à devenir notre guide, en reconnaissance du plaisir que plus d’une d’entre nous lui a procuré autrefois en le berçant dans sa corolle.

– Hélas ! murmura la Sensitive d’une voix dolente, ne voyez-vous pas que nous sommes des femmes et non des fleurs ! Les oiseaux s’enfuient à notre approche ; les papillons n’entendront pas notre langage ; les sylphes ne nous reconnaîtront plus. Il ne nous reste plus qu’à mourir dans cette forêt. Quant à moi, je ne saurais faire un pas de plus : les ronces ont déchiré mes pieds, mes mains frémissent au rade contact des buissons, je me soutiens à peine, et je me résigne à mon triste sort…

La Sensitive se laissa tomber ou plutôt s’affaissa sur le gazon.

– Eh quoi ! s’écria la pétulante Fuchsie, nous nous laissons abattre comme de véritables femmelettes ! Morbleu ! faisons contre fortune bon cœur. Il est impossible que la Fée aux Fleurs nous laisse mourir ainsi dans un bois. La nuit est loin, le loup aussi ; l’herbe est tendre, l’ombre fraîche, asseyons-nous, mes sœurs, et racontons-nous mutuellement ce que nous avons fait sur la terre. Ce récit nous amusera, et quand nous nous serons bien reposées, nous tenterons de nouveau la fortune.

Les autres Fleurs acceptèrent avec enthousiasme cette proposition.

– Qui de nous commencera ? demandèrent-elles.

– Moi, répondit le Pois de Senteur ; et il prit la parole dans les termes suivants :

Histoire du Pois de Senteur

Ne vous attendez pas à trouver dans ma vie des circonstances extraordinaires, des évènements imprévus. Une fois sur la terre, voulant rester paysanne, je m’étais mise au service d’un jardinier. Une autre servante et moi nous composions toute sa maison.

Margot, c’était le nom de ma compagne, était une grosse campagnarde joufflue, haute en couleurs, carrée d’épaules, l’objet de l’admiration de tous les villageois. « Elle fait presque autant de besogne qu’un bœuf, » disait souvent notre maître, pour donner une idée de ses précieuses qualités. Aussi était-elle l’objet de ses préférences.

Quant à moi, je ne savais rien faire ; je n’étais bonne qu’à danser le dimanche, à rire et à sauter tout le reste de la semaine. Elle est assez gentille, disait le fermier en parlant de moi ; mais c’est une tête folle, elle est toujours à se mettre le nez à la fenêtre, à se balancer, à chanter ; on n’en fera jamais rien.

Le résultat de cette comparaison entre Margot et moi était qu’à elle revenaient toutes les préférences de notre maître. À elle les bons repas, les succulents morceaux de galette de maïs, les cuisses d’oie, grasses et dodues, les verres pleins de cidre écumeux. À moi les vieux morceaux de pain dur, les os et l’eau de puits ; encore avait-on l’air de me la reprocher, et quelquefois j’étais obligée d’aller m’abreuver à l’aide de l’arrosoir et à l’insu du fermier.

Il me semblait pourtant que j’étais plus jolie que Margot et je ne comprenais pas pourquoi on me la préférait.

Un jour, j’accompagnais notre maître au jardin. Nous étions au commencement du printemps : nous passions près d’une haie où les tiges de la Fleur qui porte mon nom s’étaient enlacées ; les boutons des Pois de Senteur exhalaient déjà une faible odeur ; l’un deux, plus précoce que les autres, venait de s’épanouir sous mon souffle fraternel.

Mon maître ne le regardait seulement pas ; il avait hâte d’arriver à un semis de pois de table qu’il s’agissait d’arroser, et de purger des mauvaises herbes. Pendant toute la journée, nous nous occupâmes de ce double soin ; le fermier ne sentait même pas la fatigue.

Vers le soir nous repassâmes devant la haie.

Les Pois de Senteur semblaient me regarder d’une façon languissante.

– Maître, lui dis-je, en lui montrant le buisson, est-ce que vous ne les arroserez pas aussi ?

Le paysan haussa les épaules.

– Que je m’échine pour ces gros bons petits pois qui travaillent toute la journée à me fabriquer sous leur cosse dure et sergée ces petites boules que je vends si bien, à la bonne heure ; mais pour ces fainéants de Pois de Senteur, allons donc !

Ils sont jolis.

– Mais ils ne produisent rien. Mauvaise herbe croît toujours. Rentrons vite à la maison.

Je compris alors pourquoi on me préférait Margot : sur la terre, l’utile vaut mieux que l’agréable.

Blessée dans mon amour-propre, j’ai quitté le fermier, et je suis venue à la ville. Hélas ! je n’y ai pas été plus heureuse ni plus considérée. J’ai vu les grisettes me laisser mourir de soif et de chaleur sur le rebord de leur fenêtre, et me jetant à la fin sur le pavé pour me remplacer par le rosier, qu’un romancier venait de mettre à la mode. Les portiers seuls avaient pour moi quelque sympathie. Au lieu d’en être frère, cette sympathie m’a humiliée. Quittons, quittons cette terre, me suis-je dit ; retournons chez la Fée ; là, du moins, l’égalité règne entre toutes les Fleurs ; elles ne sont pas soumises aux caprices de la mode ; elles ignorent les douleurs et les petitesses de l’amour-propre. Et je me suis mise en route, je vous ai rencontrées, mes sœurs, et me voilà prête à écouter celle de vous qui va nous raconter son histoire à son tour.

Histoire du Cactus

Ce fut le Cactus qui parla.

Toute mon histoire sur la terre se résume dans ces seuls mots : J’ai eu froid.

Il m’est impossible de vivre dans ces régions où il tombe de la neige, où il gèle, où l’on est sans cesse assailli par la pluie, le vent et les giboulées.

Si j’étais resté sous les tropiques, je n’aurais pas trop le droit de me plaindre ; mais j’ai fait la sottise de suivre un botaniste en Europe, et je suis perclus de rhumatismes. On a beau vivre dans une serre, on est toujours victime de quelque traître vent coulis.

Et puis cette chaleur factice me donnait la migraine ou des pesanteurs de tête insupportables. Mon sang, d’un rouge si vif, ne circulait plus ; mon front alourdi retombait sur ma poitrine, et il me semblait, dans l’espèce d’hallucination où j’étais, qu’une main invisible m’avait transformée en portière, et que je serrais amoureusement un poêle dans mes bras, ainsi que maintes fois je l’avais vu faire en hiver dans la loge de notre hôte.

Comme je regrettais la douce et tiède température des pays où nous sommes nées, nous autres Fleurs ? Comme je m’ennuyais sur les cheminées, sur les consoles de marbre où je servais d’ornement ! À la fin, j’ai pris une résolution courageuse : secouant ma torpeur, et profitant des chaleurs de l’été qui permettaient de me tenir en plein air, je me suis échappé. À présent, je ne crains plus qu’une chose : c’est d’être obligé de passer la nuit sans abri ; la fraîcheur du soir pourrait me saisir. J’espère cependant que nous n’en serons pas réduites à cette extrémité, et que la Fée viendra à notre aide. Maintenant, à qui à parler ?

Ce fut au tour de la Pervenche.

Histoire de la Pervenche

Moi, dit-elle, je me suis éveillée sur la terre par une belle matinée d’avril. Un ruisseau faisait entendre son doux murmure à mes pieds ; des oiseaux chantaient sur ma tête ; la brise parfumée se jouait dans mes cheveux.

La terre m’a paru si belle dans sa nouvelle parure, le ciel si bleu, le soleil si radieux, que j’ai senti mes yeux s’humecter de larmes. Sans attendre le lendemain, je suis partie. La terre, en ce moment, m’aurait fait oublier le peuple des Fleurs. Mais aussi, peut-être, quel désenchantement le lendemain !…

J’ai voulu conserver mes illusions. Quand je serai de retour, je demanderai à la Fée de me laisser, chaque année, passer une heure sur la terre, pour me mirer au bord de l’eau, voir le ciel et respirer la brise, une heure rapide et fugitive, l’heure du printemps.

Histoire de la Fuchsie

La Fuchsie remplaça la Pervenche.

Quant à moi, s’écria-t-elle d’une voix claire et argentine, je ne me soucie plus de la terre, et me forcer d’y revenir serait la plus grande punition qu’on pût m’infliger.

Ma vie a été courte, mais bonne, et je ne demande pas à la recommencer. Il ne faut point gâter ses impressions : en cela, je suis de l’avis de la Pervenche.

J’avais choisi Paris comme lieu de résidence, et, dans Paris, j’habitais le quartier Bréda. Je courais les bals, les spectacles, les concerts. J’avais un appartement magnifique, un coupé, deux chevaux et un groom. Je dansais la polka à ravir ; je fumais des cigarettes ; je montais à cheval ; je jouais au lansquenet et je buvais du vin de Champagne. On pouvait dire de moi comme de Fanchon :

Elle aime à rire, elle aime à boire ;
Elle aime à chanter comme nous.

Il fallait me voir dans ce temps-là, comme j’étais jolie, l’hiver surtout, lorsque je paraissais dans un bal avec mon éclatant habit en Folie ! Tout le monde me disait que je représentais au naturel l’ancienne déesse qui présidait aux folles distractions ; j’avais sa grâce, son esprit, sa figure piquante, sa légèreté. Hélas ! tout cela n’a duré qu’un moment ! j’aimais trop le vin de Champagne ; c’est lui qui m’a donné cette vilaine maladie que les médecins appellent gastrite. La terre m’est devenue insupportable depuis que je souffre de l’estomac ; je retourne vivre au milieu des Fleurs, pour me mettre au lait de rosée, au sirop de brise. Le médecin des Fleurs, quia nom Zéphire, me rendra sans doute la santé.

Histoire du Dahlia

Après avoir encouragé et rassuré la pauvre malade, les Fleurs firent de nouveau silence pour écouter le récit du Dahlia.

Vous voyez en moi, commença le Dahlia, une ex-bouquetière. Lier des Fleurs entre elles, les vendre à des gens qui marchandaient toujours, les faire porter à leur adresse, voilà quelles étaient mes occupations.

Je sais que les hommes ont fait beaucoup de poésies à propos des bouquetières. J’ai lu des nouvelles, des romans où elles jouent un rôle charmant. Elles favorisent les amours sincères, elles font échouer les fats, elles sont au courant de toutes les intrigués. Hélas ! que ces fictions sont loin de la réalité ! Je ne connais pas d’industrie plus triste, plus remplie de désillusions, pour me servir d’un mot maintenant fort à la mode sur la terre. Lasse de voir les femmes recevoir des bouquets de toutes les mains, et les hommes les plus amoureux descendre des hauteurs de la passion pour rogner ma note de quelques centimes ; fatiguée d’être poursuivie par de vieux célibataires, qui m’appelaient prêtresse de Flore en essayant de me prendre la taille, j’ai pris le parti de fuir les hommes et de revenir à mon ancienne condition de simple Fleur.

Le Dahlia raconta rapidement son histoire : il ne restait plus à entendre que la Sensitive et la Fleur de Pêcher.

Histoire de la Sensitive

La pauvre Sensitive n’était pas faite pour le monde : je m’en suis trop tôt aperçue.

À peine eus-je revêtu le costume de femme, que ma sensibilité me causa des tourments affreux. Je ne parle pas de l’amour, ma pudeur devait me défendre.

Je souffrais par bien d’autres motifs ! Au théâtre, la musique me faisait tomber en pâmoison ; les émotions du drame me jetaient en des évanouissements prolongés ; le moindre changement de température agissait sur mes nerfs.

Le cigare surtout rendait ma vie amère. Que de fois n’ai-je pas dû subir les insolentes bouffées d’un fat !

Au lieu de me plaindre, on se moquait de moi ; j’étais passée à l’état de femme nerveuse : personne ne croyait à mes souffrances ; mes amis les plus intimes prétendaient que je me maniérais.

Un magnétiseur célèbre me proposa d’utiliser mon fluide et de courir la province pour donner des représentations, lire les yeux fermés, et deviner les maladies à la seule inspection des cheveux du malade. Humiliée par cette offre, lasse de voir le ridicule s’attacher à moi, j’ai pris la résolution de redevenir Fleur. L’haleine douce de la brise, les caresses des papillons, voilà les seules choses que je puisse supporter.

Quand la Sensitive eut achevé son histoire d’une voix lente et plaintive, la Fleur de Pêcher fit part de ses aventures de la manière suivante :

Histoire de la Fleur de Pêcher

Je suis née dans un verger, de parents honnêtes ; mais… Ici, un violent accès de toux lui coupa la parole.

Ne faites pas attention, reprit-elle en coupant chacun de ses mots ; malgré le mauvais temps, j’ai voulu me montrer avec une robe blanche un dimanche d’avril dernier, et j’ai pris un catarrhe. Elle voulut continuer, mais à chaque instant une toux de plus en plus opiniâtre l’arrêtait.

– Reposez-vous, lui dit le Cactus : vous êtes frileuse de votre nature, et malheureusement pour vous, aussi coquette que frileuse. Nous devinons votre histoire sans qu’il soit besoin que vous la racontiez. Ne faites pas d’efforts inutiles qui aggraveraient encore votre mal. Vous étiez jeune, l’hiver vous avait claquemurée dans votre cellule ; vous étiez impatiente de vous faire voir avec votre beau déshabillé neuf, qui vous rendait si jolie ; mais une robe blanche ne fait pas le printemps. Heureusement il y a, dans l’endroit où nous retournons, des espaliers bien chauds qui vous permettront d’endosser au printemps vos gazes les plus légères sans craindre les giboulées. Il s’agit seulement de retrouver notre chemin.

– C’est cela ! répétèrent en chœur toutes les Fleurs ; retrouvons notre chemin.

L’Oiseau bleu

Cela était plus facile à dire qu’à exécuter. Trois voies s’ouvraient devant les pauvres Fleurs égarées : laquelle choisir ? La solitude régnait autour d’elles ; pour comble de malheur, le soleil s’abaissait derrière les arbres, et la nuit vient vite dans une forêt. Nos voyageuses se lamentaient de plus belle, lorsque tout à coup elles virent un bel oiseau bleu qui vint se poser sur un arbre voisin du lieu où elles étaient assises.

Son bec était d’or, ses yeux d’émeraude, ses ailes de turquoise. Il les agita trois fois en regardant les Fleurs.

– C’est lui ! s’écrièrent-elles à la fois, c’est l’Oiseau bleu, notre ami ! Bel Oiseau bleu, nous reconnais-tu ?

L’Oiseau inclina doucement et gracieusement la tête comme pour dire : Oui.

– Sommes-nous encore bien loin du jardin de la Fée, de notre doux pays ?

L’Oiseau vola sur une autre branche plus éloignée, en faisant un petit mouvement de tête du côté des Fleurs.

– Il nous fait signe de le suivre, dit la frileuse ; hâtons-nous, mes sœurs, hâtons-nous.

En effet, elles marchèrent dans la direction de l’Oiseau. Dès qu’elles furent parvenues près de l’arbre sur lequel il était, il reprit son vol, et se posa à deux cents pas plus loin. La nuit, les yeux de l’Oiseau bleu brillèrent comme deux étoiles dans la ramée, et pour donner du courage aux Fleurs fatiguées, il se mit à chanter. Nous ne dirons pas le nombre de lieues que les Fleurs firent pendant la nuit. On peut, sans exagération, le porter à plus de six mille.

À l’aurore, l’Oiseau bleu cessa de se faire entendre, les Fleurs ne le virent plus : elles étaient arrivées.

Aralia.

SOSPIRI

Le Liseron des champs

Je suis une pauvre Fleur qu’on laisse se flétrir sur sa tige. Aucune jeune fille ne vient me cueillir pour se parer le dimanche.

Mon cousin le Coquelicot mie méprise ; mon frère le Bluet, tout fier de servir de guirlande aux bergères, ne m’adresse jamais la moindre parole de consolation. Il n’est pas jusqu’à mon voisin le Pied-d’Alouette qui ne me regarde d’un air dédaigneux en se dandinant sur ses longues jambes.

Et pourtant, l’autre jour, je me suis glissé hors du sillon natal ; j’ai traversé le pré en silence, je suis arrivé jusqu’au bord de l’eau, et là, passant ma tête entre les roseaux, je me suis miré tout à mon aise.

Je ne suis pas plus laid que mon cousin le Coquelicot, que mon frère le Bluet et mon voisin le Pied-d’Alouette.

Personne ne prend garde à moi cependant, on me délaisse ; le Grillon lui-même s’enfuit quand je l’appelle. Il me fixe un moment avec ses yeux effarés, secoue ses longues antennes, et ne fait qu’un saut jusqu’à son trou.

Je suis la plus malheureuse de toutes les Fleurs, personne ne m’aime !

Ainsi parlait le Liseron des champs en poussant de longs soupirs.

Une Coccinelle, un de ces jolis insectes tachetés que les enfants appellent Petites Bêtes du bon Dieu, passait près de là ; elle entendit les lamentations du Liseron.

– Pourquoi murmures-tu contre ton sort ? lui dit-elle. Depuis quand les hommes comprennent-ils la grâce qui se cache dans la solitude et dans la pauvreté ? Ils passent auprès d’elle sans l’apercevoir, mais Dieu la voit et en jouit ; c’est pour lui seul qu’il a fait des cœurs humbles et les petits Liserons des champs.

Fleur de Capucine, ep., éperon.
AUBÉPINE
L’Aubépine et le Sécateur

– CONTE –

Voyant un jour ses enfants et ses petits-enfants s’étendre autour d’elle en jets aventureux, Line Aubépine leur tint ce langage :

– Croyez-moi, mes chers enfants, ne dépassez pas ainsi les limites de la haie natale, ne vous avancez pas, ainsi que vous le faites, sur le bord du chemin, ne vous hasardez pas au milieu des arbres voisins ; prenez garde ! autrement le Sécateur vous croquera.

– Qu’est-ce que le Sécateur ? s’écrièrent à la fois les jeunes Aubépines.

– Demandez à votre mère, ma fille aînée, répondit l’aïeule. Un jour qu’elle était bien petite, qu’elle fleurissait à peine ; je lui avais permis de se balancer sur le bord du ravin ; il venait de pleuvoir, et je me séchais au soleil, lorsque j’entendis des bruissements de frayeur ; je tournai la tête et je vis le Sécateur qui menaçait votre mère, j’eus à peine le temps de m’élancer, de la prendre dans mes bras et de l’arracher aux dents du monstre, qui déjà ouvrait une gueule menaçante. Il passa si près de nous que je sentis presque le froid de sa morsure ; j’entendis le cri strident qu’il poussa en fermant sa mâchoire. Heureusement nous étions à l’abri.

Les petites Aubépines frissonnèrent de terreur et se serrèrent les unes contre les autres.

– Mère, dirent-elles, apprends-nous comment est fait le Sécateur, afin que nous puissions l’éviter quand nous serons grandes.

– C’est surtout alors, mes enfants, reprit l’aïeule, qu’il deviendra dangereux pour vous ! Le Sécateur, quoiqu’il soit un peu ogre de sa nature, n’aime pas la chair jeune. Il choisit les branches qui dépassent les autres en vigueur et en santé, et il en fait sa pâture. Le Sécateur, mes enfants, n’a que deux jambes et une gueule ; ses lèvres minces sont effilées et tranchantes comme le fer. Il n’obéit qu’à un maître encore plus cruel que lui : ce maître s’appelle l’Horticulteur.

L’Horticulteur, mes enfants, est l’ennemi juré des pauvres plantes et des malheureux arbustes, les arbres même n’échappent pas à sa férocité ! Il rêve sans cesse quelles nouvelles tortures il pourra leur infliger. J’ai vu des abricotiers qu’il clouait les bras en croix contre un mur exposé tout le jour au soleil. D’autre fois, c’est un cerisier et un prunier qu’il ampute ; puis, par une amère dérision, il ente le bras de l’un sur l’épaule de l’autre. L’if et le buis sont ses victimes ordinaires ; il les force à marcher sur la tête, à ramperen cerceau, à prendre les pauses les plus bizarres, les plus difficiles, les plus contre nature. S’ils ont l’air de rechigner et de vouloir revenir à leur posture naturelle, vite il appelle le Sécateur pour les mettre à la raison.

Méfiez-vous de l’Horticulteur, mes enfants : son air est doux, sa physionomie tranquille. Il porte ordinairement une casquette grise, une redingote marron et des lunettes ; il se promène dans les champs, les mains dans ses poches et la bouche souriante. Son abord inspire la confiance. Il s’approche de vous doucement ; vous regarde d’un air paternel ; il semble prendre plaisir à voir vos branches luxuriantes se mêler, se joindre, s’embrasser les unes les autres. Malheur à celles qu’il caresse de la main ! Le Sécateur est là derrière lui ; c’est le signal qui lui indique qu’il peut s’élancer sur sa proie.

N’imitez pas ces plantes et ces arbustes qui ont voulu mener la vie luxueuse des jardins. La tyrannie impitoyable de l’Horticulteur leur fait expier leur folle ambition. Restez aux champs, mes enfants, restez solitaires et cachées si vous voulez éviter le Sécateur.

Ces conseils de la vieille mère, ses enfants les ont suivis ; l’Aubépine est, grâce au ciel, un des rares arbustes sur lesquels ne se soit point appesantie la main de l’Horticulteur.

Dieu protège l’Aubépine.

VIGNE

CHANSON

La Vigne

Les vendangeuses sont parties pour la vendange ; elles vont cueillir le raisin mûr.

Écoutez leurs cris et leurs chansons, maintenant qu’elles reviennent ; voyez leurs yeux, comme ils brillent ; la chaleur des grappes vermeilles s’est répandue sur leur visage.

Elles se tiennent par la main, et elles chantent en chœur la chanson de la Vigne, la jolie chanson du vigneron.

« Je suis le mari de la Vigne. Alerte, bon vigneron !

J’étais bien jeune quand je l’ai épousée, et elle aussi, la pauvre petite Vigne ; elle n’était pas plus haute que ma main.

Je lui suis resté bien fidèle, pourtant.

C’était ma maîtresse, mon trésor le plus précieux. Le dimanche, je le passais auprès d’elle ; j’écartais les cailloux de son chemin, j’arrachais les mauvaises herbes de ses pas, je passais de longues heures devant elle à la regarder.

Hiver, été, par le chaud, par le froid, par le vent, par la pluie, c’est pour elle que je travaillais. Il ne faut pas rester les bras croisés quand on est le mari de la Vigne.

Toujours nous avons fait bon ménage.

Voyez les jolis enfants qu’elle m’a donnés ! Leur troupe couvre le coteau, et puis, là-bas, dans la plaine, voilà mes petits-enfants.

Elle, la mère, n’a pas quitté le seuil du logis ; regardez-la toute, charnue et vigoureuse ; elle a de longs cheveux flottants, elle se tient droite encore ; elle m’entoure de ses deux bras, lorsque j’entre dans ma chaumière ; elle me regarde d’un air doux, quand, au soleil couchant, je vide à son ombre la coupe du soir.

Chantons la Vigne, la femme du vigneron.

Elle est bonne nourricière ; un lait rouge coule de son sein ; il fortifie le faible et fait naître les bonnes pensées au cœur du fort. Malheur à celui qui, après avoir goûté le lait de la Vigne, n’aime pas mille fois davantage sa maîtresse, ses amis, sa patrie ?

Le vin n’a jamais fait de lâches, ni de traîtres ; le vin attire le cœur sur les lèvres. C’est la Vigne qui nous donne le vin !

Aussi, quand au printemps elle livre à la brise le parfum pénétrant de sa petite fleur verte, tout le monde est heureux, tout le monde se sent renaître, et l’on attend l’automne pour célébrer le mari et la femme, la Vigne et le vigneron. »

L’Ancolie.
Le chapitre des bouquets

On écrirait des volumes sur le rôle que jouent les bouquets dans la société, et nous n’avons qu’un chapitre à leur consacrer.

Le bouquet prend toutes les formes, tous les caractères, toutes les physionomies : il est mince, il est fluet, il est gros, il est massif ; il est moral, il est dangereux, il est filial, il est galant, il est conjugal, il est adultère ; il a l’air sincère, menteur, naïf, évaporé. On peut dire d’une femme qui arbore certaines fleurs, qui les porte d’une certaine façon, qu’elle a jeté son bouquet par-dessus les moulins.

Nous ne dirons que quelques mots du boulet patronal.

Le bouquet-Marie, le bouquet-Louise, ont leur grâce ; mais le bouquet-Scolastique, le bouquet-Marceline, qu’en pensez-vous ? Et le bouquet-Chrysostome, le bouquet-Pancrace, le bouquet-Jean. Quels atroces bouquets !

Il y a d’ignobles, de ténébreux bouquets qui s’introduisent chez vous pour capter votre héritage, ou votre protection : des bouquets qui s’adressent à votre bourse. Méfiez-vous de ces bouquets !

Il y a aussi le bouquet pique-assiette, le bouquet qui veut avoir son couvert mis à votre table, le pauvre diable de bouquet qui vous dit : Invitez-moi.

N’oublions pas le bouquet collectif, le bouquet des dames de la halle : il s’adresse à la fortune, à la gloire, à la naissance, à tout ce qui brille ; c’est le bouquet de la louange banale. On ne le reçoit pas avec moins de plaisir pour cela ;

Le bouquet domestique, celui du portier, de la bonne, du fermier, du garçon de bureau, espèce de pauvre honteux qu’il ne faut jamais repousser ;

Le bouquet politique. On doit le recevoir avec recueillement, et lui adresser une harangue ; c’est le plus ennuyeux de tous.

Il faut bien mentionner aussi le bouquet qu’on dépose sur les genoux de l’aïeule octogénaire ;

Le bouquet que, tout enfant, on donne à sa mère en lui sautant au cou ;

Le bouquet qu’au sortir de la maladie d’une sœur chérie vous allez porter à l’église en famille pour orner l’autel de la Vierge ;

Le bouquet qu’on ramasse dans un bal et qu’on garde précieusement ; il y a encore des gens qui ramassent des bouquets, quoique le nombre en diminue tous les jours.

Le bouquet que l’on jette à une danseuse, le bouquet que l’on donne à sa fiancée ;

Et enfin le bouquet qui pare un cercueil virginal.

Le bouquet est plus souvent un mensonge qu’une vérité, une peine qu’un plaisir. On peut le classer au nombre des petites misères de la vie humaine.

Ne vous est-il jamais arrivé, par un soir d’été ou d’hiver, de vous présenter chez des gens que vous avez tout intérêt à ménager, auprès desquels vous tenez à vous montrer poli, empressé, prévenant ? Vous avez fait votre plus belle toilette, vous rêvez un aimable accueil ; vous sonnez, vous demandez si madame est chez elle. Le oui fortuné est prononcé ; vous entrez radieux. Pour comble de bonheur, la maîtresse de maison est seule : quelle occasion favorable pour lui glisser quelques mots de la place en question. Il va sans dire que le mari est député. La cheminée du salon est encombrée de bouquets de Boutes les couleurs, de toutes les dimensions. Un frisson parcourt tout votre corps, vous pâlissez. Votre protectrice, la fée sur laquelle vous comptez, qui a vu votre embarras, se hâte de vous demander si les parfums vous font mal : C’est le jour de ma fête, ajoute-t-elle, mes amis m’ont vraiment comblée.

Vous l’aviez oublié !

Celui qui trouverait un mot spirituel pour sortir d’un embarras pareil serait plus fort que Talleyrand. Cet homme ne s’est pas encore rencontré.

Au contraire, le lendemain on aggrave sa situation en envoyant une énorme jardinière pleine de fleurs. Il y a là pour cinquante francs de sottise de plus.

Et si vous vous mariez, si vous faites officiellement la cour à une héritière, vous voilà condamné à six mois de bouquet forcé.

Quelle imagination ne faut-il pas chaque jour pour varier son envoi ! Aujourd’hui les roses, demain les violettes de Parme, après-demain les camélias ; mais les jours, les semaines, les mois suivants ?

– Charles, vous vous répétez, vous dit votre douce fiancée, vos bouquets baissent. – Terrible avertissement, car du succès d’un bouquet dépend tout le bonheur de la soirée. Aussi quelle continuelle tension d’esprit ! quelle préoccupation perpétuelle ! On passe ses journées chez la fleuriste, on vit avec un bouquet de Damoclès suspendu sur sa tête.

Les fiancées sont plus difficiles à contenter que les femmes. Ajoutez à cela qu’il faut savoir offrir un bouquet ; très peu d’hommes parviennent à se tirer convenablement de cette corvée galante. La plupart sont guindés, chevaliers français apprêtés, troubadours en diable. Le naturel dans ces cas-là est une chose rare.

On est bien fort dans le monde quand on sait présenter un bouquet.

Il y a des gens qui le laissent tomber, ceux qui s’assoient dessus par distraction, ceux qui ne peuvent parvenir à le tirer du fond de leur chapeau, ceux qui le flairent avant de l’offrir. Nous n’en finirions pas si nous voulions énumérer toutes les preuves de maladresse et de mauvais goût que peut donner un simple bouquet.

Voyez ce jeune homme qui longe les trottoirs, portant à la main un paquet de forme oblongue soigneusement enveloppé dans un papier éclatant de blancheur. Il évite les passants, il se glisse le long des murailles, il court, il vole. Il en est au premier bouquet. L’acceptera-t-on ? Voilà la question. On l’acceptera, malheureux, garde-toi d’en douter ! C’est le bouquet de Pandore que tu tiens à la main : de là vont sortir les loges, les dîners, les parties de campagne, les robes de soie, les bijoux et tous les maux qu’un premier bouquet traîne à sa suite. Crois-moi, jeune homme, il en est temps encore, déchire-le, anéantis-le, ce bouquet ; ne franchis pas le seuil de l’esclavage. Mais il ne m’entend pas ; il est entré, le bouquet l’a entraîné dans l’abîme !

Il y a des gens qui vous diront : Le bouquet est à la Française ce que l’éventail est à l’Espagnole, et de là cinq ou six pages de dissertation. Nous respectons trop le lecteur pour lui imposer ces lieux communs : laissons cela à ceux qui, en fait d’observations, restent toujours en rhétorique. De toutes les femmes, la Française est celle à qui le bouquet va le moins bien. Il embellit la démarche sentimentale, la physionomie mélancolique de l’Allemande et de l’Anglaise. Avec l’Italienne, le bouquet intervient dans la conversation ; il parle, il gesticule, il baisse la tête ou la relève ; il est tour à tour plein de tendresse et de colère ; il a une âme, des sens ; il anime la scène, il vit. Qu’est-ce qu’un bouquet entre les mains d’une Française ? Un personnage muet, une espèce d’automate dont les mouvements sont réglés par ce mécanisme qui s’appelle l’étiquette.

Aussi en France tous les bouquets ont l’air ennuyé. Voyez-les au concert, au spectacle, au bal, jeunes ou vieux, célibataires ou mariés, aucun sentiment autre que celui de la fatigue ne se trahit sur leur physionomie uniforme et monotone. Je ne suis pas Hoffmann, mais j’affirme avoir vu sur le rebord de certaines loges à l’Opéra des bouquets qui bâillaient ; d’autres dormaient. L’énorme bouquet de Mme V… ronflait positivement.

Le bouquet a depuis longtemps perdu toute valeur sentimentale. Je ne connais pas sa situation philosophique et morale dans les autres pays ; mais, en France, il n’y a plus que les amoureux du Gymnase qui séduisent les femmes en glissant des lettres dans leurs bouquets.

Le bouquet n’est plus banni du ménage, le mari l’a amnistié. Il faut en prendre notre parti, le bouquet n’est plus qu’un mythe, un symbole, une illusion. En fait d’idées et de sentiments anciens, ne faisons pas trop cependant les esprits forts. Quand, les croyances s’en vont, les superstitions restent. Qui sait, nous qui rions du bouquet, s’il ne nous arrivera pas de pleurer en retrouvant, un de ces quatre matins, au fond de quelque tiroir, oublié, une touffe de feuilles desséchées !

Grappe composée de Troëne (Ligustrum vulgare).
MYOSOTIS

ROMANCE

Le Myosotis
Cette fleur d’azur, cette douce fleur
Qu’avant de partir, hier, je t’ai donnée,
Écoute sa voix, écho de mon cœur,
Écoute sa voix tendre et parfumée
Qui te dit tout bas,
Qui te dit tout bas :
Ne m’oubliez pas,
Ne m’oubliez pas !
Oh ! garde-la bien jusqu’à mon retour,
Et près de ton sein cache-la, ma belle !
Si pendant l’absence, un autre d’amour
Voulait te parler, cette fleur fidèle
Te dirait tout bas,
Te dirait tout bas :
Ne m’oubliez pas,
Ne m’oubliez pas !
C’est le Myosotis qui te parlera
De moi, si je meurs loin de cette terre :
Même près d’un autre il répétera
De ton seul ami l’unique prière,
En disant tout bas,
En disant tout bas :
Ne m’oubliez pas,
Ah ! ne m’oubliez pas !
Les parfums

Les parfums sont bien déchus : de leur ancienne importance, depuis la mort des trente-deux mille divinités ou sous-divinités du monde païen.

Les parfums ont perdu leur caractère religieux. Les temples, les autels ne fument plus ; c’est à peine si on brûle quelques grains d’encens dans les églises.

La chambre nuptiale et la salle des festins ne sont plus parfumées ; les fontaines d’eau odorante ne coulent plus dans les fêtes publiques.

L’extrême civilisation et la barbarie, le paganisme et le Moyen Âge se touchaient par un point : l’amour des parfums.

Le fashionable grec ou romain se serait cru déshonoré s’il se fût montré dans le monde sans que ses cheveux, sa barbe, ses vêtements fussent parfumés ; le baron féodal aurait trahi les lois de l’hospitalité si l’hôte, en se mettant à table ou en entrant dans son lit, n’eût respiré l’odeur fortifiante de quelque parfum.

Il est vrai qu’à cette époque, où la chimie avait fait peu de progrès, une jonchée de roses, ou l’odorante ramée du bois voisin, suffisait aux besoins de l’odorat, et formait tout l’art de la parfumerie.

Notre siècle n’a point hérité de ce goût. Le parfum n’existe qu’à l’état de tolérance ; on s’en sert, mais on ne l’avoue pas.

Par quel enchaînement bizarre de faits et d’idées est-on venu à cette hypocrisie du parfum ?

Cette étude nous entraînerait trop loin ; d’ailleurs, elle n’est pas de notre sujet. Bornons-nous à constater un fait accompli.

Aujourd’hui, un homme n’ose pas avouer qu’il met de la pommade à ses cheveux. Voilà un monsieur qui met de la pommade ; cette phrase est caractéristique. Si on la prononce sur votre compte, vous êtes classé, étiqueté, jugé.

Il suffit d’humecter son mouchoir de quelques gouttes d’eau de senteur, pour se donner le vernis de petit-maître et d’homme efféminé. On tolère, par exemple, l’usage du savon parfumé pour se laver les mains et se faire la barbe.

Voilà pour les hommes.

Autrefois une femme portait sur elle des parfums sans croire commettre une faute. On sentait la rose, le jasmin ou la vanille, selon la mode ; tout le dix-huitième siècle s’est poudré sans vergogne à l’iris. Dire à une femme qu’elle porte des odeurs, avoir l’air de s’en apercevoir, c’est se perdre sans retour auprès d’elle.

Mais cependant, me direz-vous, les flacons, les cassolettes parlent d’elles-mêmes. – Laissez-les parler, mais faites semblant de ne pas les entendre. Ma jeunesse, ma beauté, ma fraîcheur, voilà mes parfums, pensent les femmes ; qu’avez-vous besoin, malotru que vous êtes, de vous apercevoir que je sens la violette ou la bergamote ?

La femme, malgré tout cela, ne peut se passer de parfums, il lui en faut, elle les aime. Aussi jamais l’art du parfumeur n’a été plus florissant ; mais toute son habileté consiste à dissimuler, à voiler, à déguiser le parfum. Aujourd’hui le parfumeur ne distille plus que des paradoxes.

Vous connaissez l’histoire de la culotte du ci-devant jeune homme ? On peut rappliquer à la parfumerie. Faites-moi des parfums, mais s’ils sentent quelque chose, je n’en veux pas.

La tradition des parfums s’est maintenue pourtant chez quelques honnêtes familles de la province et du Marais. On a des recettes pour fabriquer la marmelade aux abricots et l’essence de rose, les cerises à l’eau-de-vie et la pommade au jasmin. C’est de la parfumerie de ménage.

Les mères croient encore à la pommade. Elles n’ont point renoncé au charme de pommader la chevelure de leurs enfants. C’est un soin qu’à l’exemple du Jasmin devenu femme, elles prennent toujours avec plaisir.

Le sachet persiste aussi, malgré la défaveur générale qui s’attache aux parfums. Il est éternel comme les pantoufles, les bretelles brodées et le bonnet grec. Méfiez-vous du sachet !

La parfumerie moderne a poussé si loin le paradoxe, qu’elle est parvenue à proscrire le parfum des Fleurs. Le règne minéral, le règne animal, sont mis à contribution pour satisfaire le caprice des femmes à la mode ; mais on dédaigne le règne végétal. Il faut arriver en droite ligne des colonies ou de Carpentras, pour ne pas tomber en des spasmes terribles rien qu’en respirant l’odeur de l’Œillet ou de la Tubéreuse.

Aussi, le moment est venu de nous écrier : Les parfums s’en vont !

Ce départ a coïncidé avec l’invention des nerfs. En créant la névralgie, la médecine a porté le dernier coup au parfum. On ne l’accepte plus que comme moyen de suicide ; au lieu d’allumer un réchaud de charbon, on se contentera de déposer un bouquet de Roses sur sa cheminée. Il y a des romanciers qui ont fait mourir leur héroïne en l’enfermant dans une serre. Je connais un bas-bleu qui garde précieusement chez elle un petit flacon d’essence de rose ; quand la coupe du désenchantement sera pleine, elle respirera le flacon et tout sera dit.

Les parfums sont morts, Vivent les sels !

Mais non, nous ne pousserons pas ce cri antinational. Le sel est un produit de l’invasion étrangère, le sel anglais. Jamais en France, le sel ne régnera !

Le sel est frère du gingembre, du poivre rouge et du vin de Porto. – Il convient à des narines dépravées, à des nez spleenétiques ; il est fils des climats sombres et brumeux. Le sel fait éternuer : c’est un tabac minéralogique.

Les Françaises reviendront aux parfums des fleurs. L’abus des nerfs commence à se faire sentir ; on éprouve assez généralement le besoin d’en venir aux vapeurs. Sous l’ancien régime, les parfums les dissipaient.

Et remarquez bien que ces nerfs si délicats, ces nerfs si susceptibles, consentent à ce qu’on brûle devant eux des petits bâtons jaunes d’une composition douteuse, d’un arôme suspect, qui donneraient la migraine à un charbonnier. Il est vrai que ces petits bâtons arrivent de Chine et sont fabriqués à Pantin.

Bientôt, il faut l’espérer, nous reverrons ces temps heureux où les poètes parlaient de la démarche embaumée des femmes et de leur présence qui se trahissait par des parfums. Que de choses nous aurions à ajouter, à ce que disaient les poètes ! Le choix du parfum n’était-il pas une occasion de plus de montrer son esprit ! Il y avait le parfum du matin, le parfum du jour, le parfum du soir, le parfum de l’intimité et le parfum du monde ; le parfum du boudoir et celui de la rue ; le parfum heureux, le parfum mélancolique, le parfum du rendez-vous, couleur de muraille ; enfin, le parfum de tous les sentiments, de toutes les situations, même le parfum de la constance, toujours le même parfum.

Les femmes ont perdu plus qu’elles ne le pensent à la suppression des parfums. Sans eux point de toilette vraiment complète. Ils sont la partie vivante et animée de l’élégance, ils créent à la femme comme une atmosphère de déesse qui semble la séparer de la terre. Les sens ont leurs souvenirs comme le cœur, pourquoi le nez, qu’on me pardonne d’écrire ce mot, presque toujours ridicule, n’aurait-il pas sa poésie ? Vous qui vous rappelez l’étoffe de sa robe, le son de sa voix, la couleur de ses gants, la nuance de ses yeux, la forme de son chapeau, avez-vous oublié son parfum, si elle en portait, et n’avez-vous pas regretté qu’elle n’en portât pas ? Ce serait un moyen de plus de se souvenir d’elle.

Il n’y a de parfum véritable que le parfum des Fleurs ; tous les autres rentrent plus ou moins dans la pharmacie. Que les Françaises laissent les sels aux pâles sectatrices du soda-water ; elles ont banni les Fleurs, mais les Fleurs ne leur tiendront pas rancune : Roses, Lis, Jasmins, Violettes, Tubéreuses, toutes les Fleurs sont encore prêtes à verser le plus précieux de leur sang pour la beauté repentante.

Fleur de Pelargonium capitatum.
SCABIEUSE ET SOUCI

FABLE

La Scabieuse et le Souci

Assis à l’ombre d’un saule pleureur, le Souci jetait un regard d’envie sur la prairie. – Toutes les Fleurs sont heureuses, se disait-il : moi seul je souffre, on me délaisse, on m’abandonne, personne ne veut me prendre en pitié.

Comme il gémissait ainsi sur son sort, il vit passer dans le ravin une jeune Scabieuse tenant deux petits enfants par la main.

– C’est la Scabieuse qui habite au pied du coteau ; elle a perdu son mari hier ; la voilà veuve avec deux enfants sur les bras ; elle doit être triste comme moi. Eh bien ! je suis sûr qu’elle va faire un détour pour éviter de me rencontrer.

En prononçant ces paroles, le Souci poussa un énorme soupir. La Scabieuse, qui causait en se promenant avec ses deux pauvres orphelins, entendit ce soupir et leva la tête.

– C’est vous qui soupirez ainsi ? demanda-t-elle au Souci d’une voix douce.

– Et qui donc serait-ce ? répondit le Souci d’un ton bourru ; n’ai-je pas raison de soupirer ?

– Pourquoi plus qu’un autre ? reprit la Scabieuse ; tout le monde n’a-t-il pas sa part de tristesse dans cette vallée de larmes ? Pour diminuer ses chagrins, il faut se créer des devoirs. Je serais bien malheureuse si mon mari, en mourant, ne m’avait laissé ces deux faibles créatures à soutenir ; elles m’ont pour ainsi dire rattachée à la terre, c’est pour elles que je vis.

– Elles vous mépriseront quand elles n’auront plus besoin de vous. Les enfants sont des ingrats.

– Avez-vous été marié ?

– Jamais !

– Quels sont vos amis ?

– Je n’en veux point, ils sont tous intéressés.

– Aimez-vous vos semblables ?

– Non, car ils me détestent.

– Je vous plains de penser ainsi, continua la Scabieuse ; mais cela ne m’étonne pas, vous voulez vivre dans la solitude. Cessez d’être misanthrope, croyez-moi ; épanchez votre cœur dans le cœur d’un ami, si vous voulez être heureux.

L’isolement aigrit le souci.

La traite des Fleurs

Je ne puis traverser un marché aux fleurs sans me sentir saisi d’une amère tristesse. Il me semble que je suis dans un bazar d’esclaves, à Constantinople ou au Caire. Les esclaves sont les Fleurs.

Voilà les riches qui viennent les marchander ; ils les regardent, ils les touchent, ils examinent si elles sont dans des conditions suffisantes de jeunesse, de santé et de beauté. Le marché est conclu. Suis ton maître, pauvre Fleur, sers à ses plaisirs, orne son sérail, tu auras une belle robe de porcelaine, un joli manteau de mousse, tu habiteras un appartement somptueux ; mais, adieu le soleil, la brise et la liberté : tu es esclave !

Pauvres Fleurs ! on les entasse les unes sur les autres, on les laisse exposées au vent, à la poussière, à toutes les intempéries des saisons. Le passant s’arrête. Redressez-vous, pauvres Fleurs, faites les coquettes ; c’est pour cela que le marchand vous a conduites au bazar, c’est sur vous qu’il compte pour s’enrichir.

La plupart restent inclinées sur leur tige ; elles sont languissantes, faibles, étiolées ; les fatigues d’un long voyage, les ennuis de la captivité se lisent sur leurs feuilles pâles. Que leur importe d’être belles ! Avant le soir elles auront passé sous les lois d’un maître inconnu.

Heureuses alors celles que la jeune et laborieuse ouvrière emporte pour orner sa mansarde. L’eau ne leur manquera pas, du moins, ni l’air non plus. Il y a sur le bord du toit une petite place que le soleil regarde en se levant, où l’on entend le chant lointain des oiseaux qui traversent les airs à l’aube naissante ; quand les oiseaux se taisent, c’est la grisette qui se met à chanter. La Fleur peut être heureuse, elle est sa sœur.