Les Gueules Noires - Emile Morel - E-Book

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Emile Morel

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Beschreibung

Elles sont là une vingtaine qui piétinent dans la neige, devant la grosse grille fermée, attendant leurs hommes.
  Là-bas, au fond de l’immense cour, où la neige est devenue une boue noirâtre, comme si la houille suintait du sol, le grand bâtiment de fer se profile, pesant et sombre, sur le ciel uniformément gris.
Tous les regards scrutent au flanc de cette bâtisse rigide et farouche, une sorte de brèche, à laquelle on accède par la montée d’une rampe de terre qui se cabre sur des arches de brique. Car, c’est par ce vomitoire, que s’écoulera le flot humain jailli des sources profondes.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Ähnliche


ÉMILE MOREL

Les Gueules Noires

PRÉFACE DE PAUL ADAM

Illustrations de STEINLEN

1907

© 2022 Librorium Editions

ISBN : 9782383834144

PRÉFACE

Dès le XVIIIe siècle, nos encyclopédistes surent préparer la force d’apostolat qui devait d’abord, par les armées de la Révolution et de l’Empire, ensuite, par l’action de leurs disciples parlementaires, imposer à l’Europe monarchiste de 1848, après treize siècles d’oppression féodale, la suprématie latine de la Loi sur les dynasties barbares. C’est encore chez nous, aujourd’hui, que la passion de la fraternité internationale puissamment développée, convertit l’État aux espoirs de paix définitive, et entreprend de soumettre les autocraties sanguinaires, même s’il faut pour cela quelque lutte suprême.

Aussi nos écrivains, depuis vingt ans, s’ingénient-ils à découvrir les talents des élites voisines. Ils établissent des unions entre les mentalités des peuples. M. de Vogüé nous enseigna de la sorte plusieurs raisons d’admirer Tolstoï et Dostoïevski. Nous comprenons les idées graves, profondes et vivantes du Nord, qu’Ibsen incarna dans les personnages de ses tragédies. Meredith, Kipling, Wells, après Swinburne et Oscar Wilde, recueillirent les tributs légitimes de nos louanges. Les poèmes de Carducci, les drames si noblement méditerranéens que composa d’Annunzio, les pensées d’Ugo Ojetti, nous captivèrent. Et l’on alla prônant les créateurs qui s’évertuent par delà les mers septentrionales, les Alpes ou le Rhin.

Cette affection très sincère de nos intelligences pour les chefs-d’œuvres étrangers, a malheureusement secondé, parfois, quelques jalousies d’écoles. Il fut une heure où cet amour fut exagérément affecté par les auteurs méconnus qui déniaient à leurs émules célèbres, les talents vantés par certains dilettantes ou par certaines foules. En outre le sentiment politique dicta des verdicts littéraires. A l’internationalisme enthousiaste, les Hauptmann, les Sudermann, les Matilde Serao, les Thomas Hardy, tant d’autres non moins secondaires durent leur renommée parisienne. Très-supérieur à ceux-ci, Maxime Gorki peut cependant remercier l’opinion de notre jeunesse, adversaire de l’autocratie russe. Il incarne le prestige du rebelle intelligent. Nous aimâmes tout de suite les observations du chemineau réaliste et libertaire. Ses façons de rude examinateur interrogeant la vie sans indulgence nous séduisirent; sa pitié malveillante pour la bêtise des humbles nous enchanta. Enfin nous honorâmes ses manières de Diogène incorruptible aboyant au fond d’un tonneau. Un étranger, qui décrit les mœurs de ses compatriotes fort éloignés de nous, a toutes chances de nous intéresser; même si elles étaient plates et vaines, ses peintures nous plairaient par l’imprévu de détails spéciaux à la race du conteur. Telle histoire de paysan ou de boutiquier, pour fade et banale qu’elle soit en elle-même, peut devenir singulière et poignante, grâce aux locutions curieuses traduites d’un patois de la Chersonèse, grâce au caractère soudain révélé d’individus très différents de nous-mêmes, et influencés par des dogmes, des traditions tout autres. Gorki bénéficia de cet avantage. Autant que Gogol, il nous introduit dans un monde d’âmes enfantines, passives, ébaubies, résignées à leurs instincts et à leurs maîtres, toujours asiatiques un peu. Cette nouveauté nous plut. Bientôt les louanges de Gorki retentirent. L’on répétait à l’envie que nous ne possédions pas un écrivain capable d’une pareille sincérité. On se trompait du moins jusqu’aujourd’hui.

Il est toujours utile de réconforter la foi dans notre excellence en attirant l’attention du public sur ceux d’entre nous qui manifestent le génie national. Les adorateurs de Gorki se défendront mal d’une extrême sympathie pour l’œuvre de M. Morel pour ce volume. Sans que le cachet de l’exotisme ajoute aux qualités de ce conteur une vertu toute extérieure et trop alliciante, il réussit à surprendre notre sympathie par la rude évocation de types tragiquement nets. Il les érige dans leur décor propre, et ils vivent en toute vérité.

Or la vérité constitue le mérite si rare de ce livre. Il la contient précise, soudaine, effroyable, ironique envers soi. La fatalité des lois économiques écrasant les foules industrielles est subie par les travailleurs non sans une abnégation analogue à celle des multitudes religieuses qui dans l’Inde, naguère, laissaient le char de Shiva écraser les dévots précipités sous les roues saintes. Certes, il y a les grèves, les émeutes, les protestations électorales. Mais la secousse d’énergie apaisée, chacun reprend le collier de misère et convaincu qu’une nécessité quasi divine l’emportera longtemps sur les efforts de ses frères. Hagard, farouche, le peuple se remet à l’œuvre de produire pour l’aisance des élites favorisées, la richesse de la patrie. La substitution progressive d’actionnaires anonymes au patron réel et haï, ne cesse de confirmer le caractère fatal du salariat. Au loin, épars, intangibles, vagues, les uns presque pauvres peut-être, les autres étrangers, tous ignorants des supplices que leur capital inflige, les actionnaires sont devenus une entité que le prolétariat se définit mal. Ennemie nébuleuse, incorporelle, insaisissable, en tout cas phénomène subtil et dangereux comme le choléra. Car si les meneurs de syndicats s’assimilent à demi les thèses du collectivisme, l’énorme masse de leurs commettants n’y comprend goutte. Elle crie «Vive la Sociale!» comme les gens de 1830 criaient «Vive la Charte!», ceux de 1790 «Vive la Liberté!» et ceux d’autrefois «Vive Notre-Dame!», par besoin spontané de lutte contre les Huguenots, la dynastie franque et les Bourgeois, causes personnifiées du malaise général. Aujourd’hui l’amorphisme de la tyrannie capitaliste la rend quasi divine. Et l’effroi, comme la haine qu’elle inspire maintenant, acquièrent des apparences religieuses.

C’est l’empire de cette terrible force sur l’individu que M. Morel exprime dans les contes réunis en ce volume. De page en page, se convulsent la douleur, l’ivresse et la bêtise des troupeaux humains réduits à l’état indécis d’éléments. Rien dans les littératures antérieures ne put être suggéré par des observations semblables; seuls les tragiques grecs imputèrent à l’ανάγκη une pareille influence sur les crimes et les guerres. La mentalité de la foule industrielle, de l’homme-outil, est une chose particulière à ce temps. Jadis l’artisan faisait à lui seul, un objet total. Qu’il abattit un arbre dans la forêt, qu’il forgea une dague ou qu’il construisit une huche, il possédait le sens tonique de créer. Il pouvait se satisfaire devant un ensemble sorti de ses mains ingénieuses. Rares étaient ceux qui remplissaient les tâches purement mécaniques de l’ouvrier contemporain. Et ces tâches semblaient si pénibles qu’on les réservait aux criminels, ou condamnés aux mines. Lisez le très beau conte qui a pour titreMultitude-Solitudeet que l’art vigoureux de M. Morel semble avoir choyé; apprenez le labeur monotone et indéfini des trieuses dans un puits du Nord; quelle impression funèbre on éprouve, à s’imaginer la pente lente de la personnalité, saisie dans la continuité du mouvement producteur, celui qui commence au coup de pioche détachant la boule dans la galerie souterraine, et qui s’achève avec le geste de la fillette remplissant la corbeille. Ce mouvement général semble l’Êtreunique dont ce hercheur et la trieuse, aux deux extrémités de son élan, paraissent les organes analogues aux mécanismes charriant les bennes, hissant les cages, ventilant la mine, versant le charbon, l’emportant sur les trucks des trains en partance pour mille usines différentes qu’il alimentera.

M. Morel a parfaitement suggéré cette absorption de l’ouvrier par l’usine, qui le dévore, le savoure, le digère, puis l’excrète sous forme d’invalide ou de cadavre. Cela, le singulier talent de l’auteur nous a permis de le concevoir, en objectivant à nos yeux les heures pathétiques des existences ainsi consommées.

Amour angoissé puis mortel de La Marie pour le mineur qui l’a prise, entre tant d’autres, et qui la chasse à coups de pierres quand elle le découvre par mégarde aux bras d’une rivale. Stupidité touchante et avilie de Bécu, qui paie sa boisson avec l’argent destiné au cercueil de son enfant. Ignorances, souffrances, brutalités de tout ce peuple houiller, grouillant à la surface de la plaine flamande, sous les longues pluies froides, dans les cases des corons, à la lueur des astres électriques qui bleuissent les vitrages des ateliers, les courbes des rails, les fils du télégraphe, les flaques d’eau semées dans la sombre étendue de mâchefer et de boue. Toutes ces peines vivantes accomplissent le drame de leur effacement au bénéfice de la Force immatérielle, accroupie, là, parmi les bâtisses lugubres et retentissantes, dans le paysage de désolation . . .

Quel décor plus tragique: cités de briques noirâtres frangées de maigres potagers, chemins d’escarbilles entre les terrains chauves, groupes de passants aux hardes flasques, déteintes, et qui se frôlent en affectant le verbe le plus canaille, le ton le plus abject. Cabarets aux salles basses empuanties d’odeur aigre, de pétrole et de sueur. Immondes injures proférées par les bouches d’enfants malingres et hâves qui cruellement se bousculent. Et ce ciel fumeux qui pleure sur l’infortune de la multitude hargneuse ou saoule. Telles sont les lignes, les couleurs, les cortèges et les voix de l’un de ces lieux où se recrutent les milices de la prochaine révolution sociale, celle qui changera les institutions humaines.

M. Morel façonne magistralement les statues littéraires des individus que forment ce climat, ces parentages et ces mœurs. Frère de l’art qui valut à Constantin Meunier tant de noblesse, celui-ci appartient en toute originalité au nouveau conteur. Depuis l’époque où Zola composait Germinal, deux générations surgirent dans le bassin minier du Nord. Elles présentent à l’observateur des caractères très différents de ceux que nota le romantisme lyrique du maître défunt. Tout a pris là-bas un autre aspect. La magie de la science a modifié l’usine et son outillage. Les personnalités se sont mieux diluées dans la masse. Les rancœurs d’une population athée, rebelle, ironique, graveleuse et complètement adaptée à ses tâches, ont marqué plus profondément de leur empreinte les descendances: ce qui s’avère dans ce livre.

Il m’étonnerait fort qu’on ménageât la faveur à cet ouvrage d’un Gorki français qui vient d’ajouter plusieurs pages insignes à l’étude contemporaine du peuple, essayée par les auteurs deJacquou le Croquant, deLa Vie d’un simple, deLa Maternelle.

Pour épris que nous soyons de tentatives étrangères, il sied que nous aimions les nôtres aussi, lorsqu’elles offrent à l’esprit tant de chances pour s’instruire et s’accroître, en apprenant plus de douleurs et plus de joies, en participant à plus de vies. Savoir rassembler et serrer autour d’un personnage les forces de l’univers est l’intuition philosophique seule capable de justifier l’usage des belles lettres.

A Courrières, des héros se sont révélés au printemps de 1906.

Cet admirable Pruvost qui sut vingt jours, dans la mine délétère, faire survivre les courages de ses compagnons, qui les mena vers le salut, en dépit des âmes ébranlées par les horreurs du réel et par les terreurs de l’imaginaire. Quelle relation d’un siège, quel récit d’une bataille comprirent jamais des péripéties plus atroces que celle de cette longue angoisse? La viande arrachée au cadavre d’un cheval pourrissant, l’avoine, les échardes, l’urine humaine, l’eau sale qui composèrent la nourriture et la boisson de ces malheureux n’étaient pas pour les nantir d’énergie. Celui qui les réconforta par l’aliment sublime de sa parole rude et bonne, de son exemple, celui-là mérita plus que tout autre d’être enrôlé dans notre Légion d’honneur. Élève d’une École des Mines, Nény a montré ce que l’instruction et l’intelligence apportent de force aux caractères qu’elles façonnent.

Et voici maintenant un livre qui marque de quelles peines naissent ces courages.

Certains aiment répéter qu’il n’est plus en France, de cœurs valeureux. Pruvost dément cette opinion. Il offrit la preuve manifeste qu’au milieu de notre peuple se préservent et se perpétuent les qualités du chef. Car grouper des compagnons à l’heure du péril, les guider dans les chemins de douleur, les contraindre à subsister, à marcher, à espérer et à vaincre, c’est là l’œuvre propre du chef. Pruvost témoigna que, parmi nous, se conservent latentes, les vertus des humbles officiers légendaires encadrant les soldats de la Révolution et de l’Empire, les maintenant, décimés, sur le plateau de Praszen, malgré la victoire momentanée des masses ennemies, les conduisant à l’assaut d’une Saragosse fumeuse et meurtrière, les ramenant à reculons et face aux cosaques, depuis Smolensk jusqu’à la Bérésina.

En ce Pruvost s’éternise le type du héros français. Pendant la bataille contre la nature inclémente, contre la terre avare, contre les gaz assassins, ils parurent tels que les aïeux dans la guerre contre les tyrans d’autrefois. J’eusse voulu que M. Fallières allât lui-même sur le carreau de la fosse attacher la croix contre ces poitrines amaigries. J’eusse voulu que, représentée par sa jeunesse en armes, ses plus somptueux régiments de cavalerie et d’infanterie en lignes sous les drapeaux déployés, la France acclamât de ses fanfares, les héros du travail.

Rien n’eût été trop magnifique pour attester l’hommage de la nation à ceux qui la servent en multipliant leur vigueur morale, leur esprit de solidarité. Décorant ces mineurs, elle vénère en leurs personnes les mille victimes du devoir social englouties dans les souterrains de la houille, sous les éboulements. Elle enseigne au monde ceci: l’ouvrier atteint en besognant pour produire l’aise humaine, mérite autant que le soldat blessé en combattant pour détruire les adversaires de nos idées essentielles, de nos idées libératrices.

Pruvost, c’est le peuple qui, par son labeur opiniâtre, constitue la richesse de la patrie, donc la puissance de ses concitoyens à l’époque où l’argent commande et même dote d’efficacité les courages militaires en mettant les inventions de la science dans les mains des états-majors. Aujourd’hui, les grands États achètent la paix au prix d’un énorme appareil de guerre. L’ouvrier d’industrie fournit le principal de ce prix. Aux mineurs, aux verriers, aux forgerons, aux tisserands, à tous ceux qui manient le fer et le feu dans les enfers des usines, nous devons cet or sacré, garantie contre les massacres et les ruines du pire fléau. Si les Germains hésitent à nous attaquer, c’est que les Russes, débiteurs loyaux et reconnaissants, annoncèrent l’union avec la nôtre de leur force que les dépêches anglaises et les révolutionnaires européens décrient faussement, puisque cette simple déclaration de Pétersbourg suffit pour amener la conciliation entre les diplomates d’Algésiras.

A l’ouvrier, nous devons les motifs de notre quiétude relative. La richesse qu’engendre l’effort assidu de ses muscles assure la vie de nos principes, de nos mœurs et de nos traditions. Il est le citoyen tutélaire, le palladium de toutes les patries. Sans lui, le soldat se trouverait, à l’heure dangereuse désarmé. Nos arts latins, notre pensée romaine, notre République législative, notre indépendance spirituelle et civique dépendent de son obstination à produire, en échange d’un salaire médiocre, les objets de nos négoces, les causes de nos millions. Afin que nous jouissions tous de cette sécurité, il livre, par morceaux, son existence aux catastrophes, aux accidents, aux maladies professionnelles. Il ignore, presque toujours, la longévité. L’excès de labeur, l’excès d’alcool le tuent avant la vieillesse. Sans l’excitation du vin, pourrait-il réaliser un effort aussi considérable! Et chaque année, cent cinquante mille tuberculeux expient, en mourant, le péché d’alcoolisme héréditaire.

L’agriculteur fournit le pain quotidien des français. Il ne crée pas la fortune indispensable à leur défense. Peu s’exporte de ce qu’il cultive, de ce qu’il transforme dans les champs. Il oblige les parlementaires au protectionnisme le plus néfaste. Au contraire, l’ouvrier livre tout de lui-même. Chacune de nos excellences est pétrie de sa chair, de son sang, de ses larmes. La table sur laquelle nous écrivons le verre que nous vidons, l’habit que nous portons, le mur que nous regardons: tout naît de sa peine. Notre vie est faite en ses minuties, par les soins douloureux du travailleur manuel.

Or, il a livré pour nous, à la nature souterraine, un épouvantable combat. Mille de ses frères ont péri; et nous savons aujourd’hui, dans quelles tortures. Si mille soldats avaient péri de même sous les décombres d’une citadelle assiégée, nous ne saurions qu’imaginer à la gloire de ces héros. Il sied que notre dévotion s’affirme pareillement à l’égard des travailleurs morts pour la puissance de la patrie. Sur le sol de Courrières, un édifice ne doit-il pas s’ériger, consacrant, grâce à l’art d’un illustre sculpteur, la religion du sacrifice consenti par l’individu afin que la société progresse. Depuis longtemps M. Rodin parfait la maquette d’un monument au Travail. L’heure ne sonne-t-elle pas de dresser ce symbole du génie laborieux sur le tombeau des Mille?

A la gloire de l’ouvrier, la nation reconnaissante dédierait l’œuvre de son plus beau talent.

Nul hommage qui puisse dépasser la mesure du sacrifice. Si les lois de l’évolution économique s’opposent encore aux désirs légitimes du prolétariat, si l’on ne peut lui tailler sa juste part dans les bénéfices sans détruire l’industrie même qui le nourrit, si, par l’iniquité des choses fatales, l’ouvrier reste, comme l’employé, contraint de subir ces influences de la vie générale, il a du moins conquis le respect des penseurs, des élites intelligentes, jadis insoucieuses de sa dignité. C’est ce sentiment de respect, de gratitude et d’amour fraternel qu’il nous appartient de manifester le plus généreusement autour du sépulcre noir.

Et je suis extrêmement heureux d’écrire ces lignes au seuil d’une œuvre d’un écrivain du Nord, un qui connaît les âmes des corons et les humbles intelligences engainées dans la blouse du mineur. M. Morel, le premier, élève ce monument littéraire en l’honneur de nos héros, monument de sincérité, de pitié, de vérité. Il convient de le louer pour avoir uni son rare talent au service d’une si noble cause.

Paul ADAM.

La Paye

E

lles sont là une vingtaine qui piétinent dans la neige, devant la grosse grille fermée, attendant leurs hommes.

 

Là-bas, au fond de l’immense cour, où la neige est devenue une boue noirâtre, comme si la houille suintait du sol, le grand bâtiment de fer se profile, pesant et sombre, sur le ciel uniformément gris.

Tous les regards scrutent au flanc de cette bâtisse rigide et farouche, une sorte de brèche, à laquelle on accède par la montée d’une rampe de terre qui se cabre sur des arches de brique. Car, c’est par ce vomitoire, que s’écoulera le flot humain jailli des sources profondes.

Et c’est chose poignante que l’attente transie de ces quelques malheureuses, qui sont venues épier la «remonte» du jour de paie, pour disputer à l’alcool, leur pain et celui des petits. Combien hélas, de celles qui tranquillement au coron s’invitent autour des cafetières, viendront aussi un jour, se joindre au groupe lamentable?

Il en est, qui ont amené un enfant, l’aîné, ou bien encore le tout petit: celui enfin que leur homme préfère, afin de l’attendrir et de l’entraîner. Car l’ennemi est derrière elles: une rangée d’estaminets, placés devant la sortie, comme des pièges et qui, eux aussi, guettent la remonte de quinzaine.

C’est là que l’homme va rapidement prendre courage pour son vice. Il est lâche, il hésite, avant d’en avoir franchi le seuil, mais lorsqu’il en sort, il a le regard mauvais déjà et l’argent enfermé dans le poing. Il est devenu insensible aux larmes et aux supplications éperdues de celle qui l’attend encore. Et, sans attendrissement pour l’enfant effaré qui pleure, il s’en va menaçant.

Alors, vaincue, la femme s’en retourne en sanglotant à la maison, où, peu à peu, entrent la misère et la faim.

Or, si leur attente vous angoisse le cœur, c’est qu’elle évoque tous ces drames et toutes ces souffrances.

Voici que l’on ouvre la lourde grille, la défense hérissée, derrière laquelle aux heures hallucinées, les soldats veillent.

Les femmes s’approchent, et leur groupe, calme jusqu’ici, maintenant s’agite. Celle-ci gifle l’enfant qui s’obstine à grimper aux barreaux, cette autre se courbe, et d’un geste cru, se mouche entre les doigts, sur la neige; il en est une, qui berce avec un air de rudesse et d’alarme, le nourrisson qui se réveille. Et ce sont là, les frémissements grossiers de leur impatience et de leur inquiétude.

Un homme, frileusement enveloppé dans une houppelande, comme celles que portent les bergers, est venu s’asseoir à l’entrée, sur l’une des bornes de fer. C’est un mineur, qu’un éboulement a tordu comme une vrille. Les secours de la compagnie ne lui suffisant pas à nourrir sa famille, il vient tendre la main aux camarades.

Les estaminets s’agitent aussi. Une servante à la tignasse d’un blond de lin, balaie le seuil du «Grand Saint-Éloi». Plus loin, «Au rendez-vous des Coqueleux» fluent, par la porte entrouverte, les sons aigrelets d’une boîte à musique.

Brusquement, là-bas, les hommes noirs sont apparus, tenant en main leurs lampes encore allumées. Et celles-ci ont au jour, un aspect funéraire, un éclat blafard, rappelant celui des lampadaires, qui éclairent en plein midi, à travers un crêpe.