Les héritiers de la ruine - Marc Chauvin - E-Book

Les héritiers de la ruine E-Book

Marc Chauvin

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Beschreibung

Dans un futur où l’immortalité est devenue la norme, une caste d’êtres supérieurs, autrefois créés pour sauver l’humanité, s’est muée en oppresseurs, abandonnant la Terre à son déclin. Tandis que Selena et ses semblables évoluent dans des cités suspendues, coupés d’un monde qu’ils ont façonné puis délaissé, un vide grandit en eux. Lorsque certains osent redescendre sur la planète dévastée, ils découvrent une résistance menée par Élie, porteur d’un espoir oublié. Mais la chute des Immortels suffira-t-elle à reconstruire une société fondée sur des valeurs humaines ? Et si la véritable immortalité ne résidait pas là où ils l’avaient toujours cru ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Marc Chauvin tient un carnet de ses lectures depuis août 1981. Après des études de droit, il s’est orienté vers le secteur du commerce. Son désir d’écrire, mûri pendant plus de trente ans, s’affirme aujourd’hui comme une nécessité et un véritable équilibre de vie. Il se consacre désormais au partage de son univers, axé sur la littérature de genre.

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Seitenzahl: 388

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Marc Chauvin

Les héritiers de la ruine

Roman

© Lys Bleu Éditions – Marc Chauvin

ISBN : 979-10-422-6447-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Première partie

Le crépuscule de la vie humaine

Chapitre 1

Un monde éternel

La lumière douce d’un coucher de soleil artificiel baignait la cité suspendue, reflet d’une perfection maîtrisée depuis des siècles. Dans ce monde, les concepts de vieillesse et de mort étaient devenus des reliques d’un passé révolu, inconnus des générations les plus récentes. Depuis plus de deux cents ans, Selena évoluait parmi ces cieux irréels, dans un monde qui s’était affranchi des limites biologiques.

Assise au sommet d’une tour de verre scintillante, Selena observait l’horizon avec une sorte de détachement. Les nuages roses flottaient autour d’elle, et le paysage en dessous n’était plus qu’un tableau lointain, un décor abstrait. En vérité, elle ne se souvenait même plus de la dernière fois où elle avait mis les pieds sur le sol terrestre. Pourquoi s’y rendre quand tout ce qu’elle désirait se trouvait ici, dans ces mondes créés sur mesure pour les Immortels ?

Un homme aux cheveux argentés, dont l’allure trahissait également un âge considérable malgré son apparence juvénile, s’approcha d’elle. Il portait un manteau bleu marine aux bordures dorées, une tenue à la fois simple et raffinée, appropriée à son statut.

— Tu es encore ici à contempler ce paysage ? demanda-t-il d’une voix calme, mais légèrement moqueuse.

Selena ne bougea pas, ses yeux fixés sur l’horizon.

— C’est l’un de mes mondes préférés, répondit-elle doucement. Il a quelque chose de… tranquille. Purement esthétique.

L’homme, Aaron, l’un des rares Immortels avec qui elle échangeait encore régulièrement, s’assit à ses côtés et laissa échapper un léger soupir.

— Esthétique, oui. Mais n’as-tu pas l’impression que tout cela commence à te peser, Selena ? Nous créons ces mondes, nous les façonnons à notre image, et pourtant, il n’y a plus rien qui me surprend ici.

Selena tourna finalement la tête vers lui, l’observant avec ses yeux d’un bleu presque surnaturel, des yeux qui ne montraient plus vraiment d’émotion humaine.

— Tu parles comme si tu cherchais quelque chose de plus, dit-elle avec une certaine distance dans la voix. Mais nous avons tout, Aaron, nous sommes éternels. Nous ne manquons de rien. Le monde physique est devenu obsolète pour nous.

Aaron esquissa un sourire amer, se redressant légèrement.

— Peut-être que c’est justement là le problème, murmura-t-il en regardant lui aussi le coucher de soleil artificiel. Nous sommes devenus des dieux dans nos propres créations, et pourtant… je commence à me demander ce que cela signifie réellement.

Selena le dévisagea longuement, cherchant à comprendre ses paroles. Elle savait qu’il n’était pas le seul à ressentir ce sentiment de vide. Au fil des siècles, plusieurs Immortels avaient montré des signes de lassitude. Mais dans son esprit, ce n’était qu’une phase, un passage naturel dans leur existence éternelle.

— Tu t’ennuies, c’est tout, déclara-t-elle finalement avec une pointe de désinvolture. Tu devrais peut-être rejoindre l’une des nouvelles simulations. Elles sont plus immersives que jamais. J’ai entendu dire qu’une nouvelle ère mythologique est en développement. Tu pourrais y régner en tant que dieu.

Aaron secoua lentement la tête.

— Cela ne m’intéresse plus vraiment, Selena. Sa voix s’était faite plus grave, marquée par une lassitude qui contrastait avec leur apparence figée dans le temps. Ne ressens-tu pas, toi aussi, ce détachement croissant ? Ce vide qui s’installe dans nos existences ? Nous ne sommes plus connectés à rien de réel.

Selena détourna les yeux, agacée.

— La réalité est un concept dépassé, Aaron. Nous avons transcendé cette condition. Tu parles comme un Terrien, comme un de ces oubliés qui s’accrochent encore à l’idée de vivre ou de mourir selon les lois de la nature. Nous sommes bien au-delà de cela.

Il y eut un moment de silence pesant entre eux. Aaron se leva finalement, se tenant sur le bord de la tour, dominant le paysage digital qui s’étendait devant eux.

— C’est là où tu te trompes, Selena, dit-il doucement, mais fermement. Nous avons peut-être quitté le monde physique, mais il continue d’exister, même sans nous. Et je me demande si nous n’avons pas laissé quelque chose derrière nous.

Selena le regarda se retirer sans dire un mot, perplexe. Ses paroles la laissaient indifférente, ou du moins, c’est ce qu’elle voulait croire. Aaron n’était pas le premier à exprimer ces doutes, et elle savait qu’il ne serait pas le dernier.

Plus tard, dans un autre monde virtuel, Selena se retrouva parmi les siens. La salle était gigantesque, dorée, remplie de créatures fantastiques et d’Immortels vêtus de tenues flamboyantes. Les rires et les discussions semblaient lointains, comme si elle n’était plus tout à fait présente. Un homme approcha d’elle, son visage rayonnant de satisfaction.

— Selena ! Notre très chère Présidente. Cela faisait longtemps que je ne t’avais pas vue dans cette simulation, dit-il en lui tendant une coupe de nectar, un breuvage imaginaire, mais délicieux. As-tu entendu parler de la nouvelle cité que nous avons créée ? Elle surpasse tout ce que nous avons fait jusqu’à présent.

Selena accepta la coupe sans grand enthousiasme, sirotant distraitement le nectar.

— Encore une nouvelle cité, murmura-t-elle. Combien de fois allons-nous répéter ce cycle ? Construire, détruire, recommencer. À quoi bon ?

L’homme rit, ne prenant pas ses paroles au sérieux.

— Mais c’est là tout l’intérêt, non ? Nous pouvons créer et recréer sans fin. Le monde est à notre image, changeant selon nos désirs.

Selena se força à sourire, mais au fond d’elle quelque chose s’était éveillé après la conversation avec Aaron. Ses pensées la ramenaient encore et encore à cette question : Que signifiait vraiment leur existence dans ces mondes artificiels ? Avait-elle perdu quelque chose en quittant le monde réel ?

Elle tourna lentement la tête vers une grande fenêtre dominant sur l’extérieur de la simulation, où elle pouvait entrevoir une portion de la Terre. En contrebas, la planète semblait sombre, terne et minuscule. Une boule de roche et de poussière, habitée par des êtres qu’elle n’avait pas croisés depuis des siècles.

— Nous sommes des dieux ici, se dit-elle à elle-même. Mais qu’est-ce qu’un dieu sans un monde réel où régner ?

Ses paroles furent interrompues par l’apparition d’une créature gigantesque, invoquée par un autre Immortel dans la salle. Elle rugit avec force, projetant des éclairs et attirant des applaudissements enthousiastes. La fête battait son plein, mais Selena, elle, se sentait plus distante que jamais.

Dans ce monde éternel, les doutes, eux aussi, pouvaient durer éternellement. Selena se détacha du tumulte festif, ses pas les menant instinctivement vers un balcon donnant sur un monde virtuel parsemé d’étoiles. Le vent artificiel caressait doucement son visage, mais elle n’y trouvait aucun réconfort. Elle se rappelait encore les sensations du monde physique, de la manière dont le vent soufflait réellement sur les montagnes qu’elle avait gravies autrefois, ou du bruit des vagues s’écrasant sur les falaises abruptes.

Ses pensées s’égarèrent vers une époque lointaine, avant qu’elle n’embrasse pleinement l’immortalité. Elle se souvenait de la sensation d’urgence, de l’angoisse face au temps qui s’écoulait inéluctablement. Mais avec le temps, cette angoisse s’était dissoute, remplacée par une apathie insidieuse.

Elle fut tirée de ses rêveries par une voix familière.

— Tu es vraiment ailleurs, ce soir.

Selena se tourna et vit Lyra, une autre Immortelle, s’approcher d’elle. Vêtue d’une robe argentée étincelante, Lyra dégageait une aura de vitalité qui contrastait avec l’air morose de Selena.

— Peut-être, répondit Selena avec un sourire léger. J’étais juste… perdue dans mes pensées.

Lyra haussa un sourcil, un éclat de curiosité dans les yeux.

— Aaron a encore semé ses idées noires, n’est-ce pas ? demanda-t-elle en s’appuyant contre la rambarde du balcon. Il n’est pas le seul à se poser des questions ces derniers temps. J’imagine que notre Présidente l’a remarqué ?

Selena hocha la tête.

— Oui, mais je ne comprends pas vraiment pourquoi. Tout ce que nous voulons, nous l’avons. Pourtant, certains semblent… insatisfaits.

Lyra la regarda longuement, ses yeux cherchant quelque chose dans le regard de son amie.

— Peut-être qu’ils cherchent quelque chose que nous avons perdu, murmura-t-elle. Ce contact avec le monde réel, ce lien que nous avions autrefois. Nous avons tout, oui, mais peut-être que ce « tout » n’est pas suffisant.

Selena se redressa légèrement, surprise par les paroles de Lyra. Elle était l’une des plus ferventes défenseures de leur mode de vie. L’entendre douter lui paraissait presque inconcevable.

— Toi aussi, tu y penses ? demande Selena, une pointe d’inquiétude dans voix.

Lyra soupira, un sourire triste, étirant ses lèvres.

— Je n’y pensais pas jusqu’à récemment. Mais… la lassitude se fait sentir, Selena. L’éternité est longue, même pour des êtres comme nous. Et je vois des changements autour de moi. Les Immortels se retirent, ils se perdent dans des mondes virtuels de plus en plus complexes. Certains ne reviennent même plus à la réalité partagée. C’est comme s’ils se dissipaient, comme s’ils perdaient leur essence.

Selena baissa les yeux, troublée par cette observation. Elle savait que Lyra avait raison. Depuis quelque temps, certains Immortels s’étaient complètement isolés dans des mondes privés, ne réapparaissant que rarement, pour de brèves périodes, avant de disparaître à nouveau. Comme si même leur éternité devenait insupportable.

— Mais que pouvons-nous faire ? demanda Selena, presque pour elle-même. Retourner à ce que nous étions ? Descendre sur Terre et redevenir mortels ?

Lyra secoua la tête, son sourire s’élargissant un peu, teinté d’amusement.

— Nous sommes bien trop orgueilleux pour cela, tu le sais. Et ce serait une trahison de tout ce pour quoi nous avons lutté. Mais peut-être que nous devrions trouver une nouvelle raison d’exister. Quelque chose qui nous connecte à nouveau à cette réalité que nous avons laissée derrière nous.

Selena la regarda longuement, son esprit tourbillonnant d’interrogations et de doutes. Que voulait-elle vraiment ? Pourquoi cette insatisfaction grandissait-elle en elle, alors qu’elle avait tout ce qu’elle avait désiré pendant des siècles ?

— Et toi, que vas-tu faire ? finit-elle par demander.

Lyra se tourna vers le ciel étoilé, ses yeux brillants de détermination.

— Je vais retourner sur Terre, dit-elle simplement. Juste pour voir. Pour sentir à nouveau ce qu’est la réalité. Je ne suis pas la seule. Un petit groupe d’entre nous se prépare à redescendre, à observer ce monde que nous avons quitté depuis si longtemps.

Selena écarquilla les yeux, surprise.

— Tu es sérieuse ? Mais… pourquoi ? Qu’espérez-vous trouver là-bas ?
— Je ne sais pas, répondit Lyra avec un sourire énigmatique. Peut-être rien. Peut-être tout. Mais je dois essayer. Ces mondes virtuels sont merveilleux, mais ils ne sont pas tout ce que je suis. Je veux redécouvrir ce que signifie vraiment exister.

Selena la fixa, une multitude d’émotions se bousculant en elle. Elle ne pouvait pas imaginer retourner sur Terre, ce monde poussiéreux et dévasté qu’elle avait délaissé depuis si longtemps. Mais en même temps, quelque chose dans les paroles de Lyra résonnait en elle, une petite voix qu’elle n’avait jamais vraiment écoutée.

— Et toi, Selena ? demanda Lyra, brisant le silence. Ne voudrais-tu pas voir ce qu’il en est ? Juste une fois, pour comprendre ce que nous avons perdu ?

Selena hésita, les mots lui échappant. Une partie d’elle voulait dire non, rester ici, dans ce confort éternel et familier. Mais une autre partie, celle qu’elle ne reconnaissait plus vraiment, était tentée. Tentée de découvrir ce qui se cachait derrière ce voile de perfection qu’ils avaient tissé autour d’eux.

— Je ne sais pas, murmura-t-elle finalement. Je ne suis pas sûre d’être prête.

Lyra hocha la tête avec compréhension.

— Personne ne l’est vraiment, dit-elle avec douceur. Mais parfois, il faut simplement sauter dans l’inconnu.

Selena la regarda s’éloigner, se demandant si elle aurait le courage de suivre son amie. Elle se détourna du balcon et retourna dans la salle de fête, mais le bruit et l’agitation lui semblaient maintenant encore plus dénués de sens. Les Immortels riaient, dansaient et jouaient à être des dieux, mais quelque chose manquait.

Peut-être que Lyra avait raison. Peut-être qu’il était temps de chercher autre chose, quelque chose de plus vrai.

Pour la première fois depuis des décennies, Selena sentit un frisson d’excitation, de peur et d’espoir se mêler en elle. Elle ne savait pas encore ce qu’elle ferait, mais une chose était sûre : elle ne pourrait plus ignorer cette voix intérieure.

Et quelque part, dans l’immensité de l’éternité, une décision se préparait.

Selena erra dans la salle de fête, son esprit toujours hanté par les paroles de Lyra. Autour d’elle, les Immortels savouraient leur éternité, s’adonnant à des divertissements extravagants ou explorant des simulations complexes. Mais ces jeux qui l’avaient autrefois captivée lui paraissaient soudain fades, presque absurdes. Ses pensées la ramenaient sans cesse à cette idée insensée : retourner sur Terre.

Alors qu’elle s’apprêtait à quitter la pièce, un groupe d’Immortels attira son attention. Ils discutaient avec animation, projetant des images holographiques de paysages terrestres : des villes en ruines, des forêts sauvages, des déserts sans fin. Selena s’approcha, intriguée.

— Vous parlez de quoi ? demanda-t-elle, essayant de masquer son intérêt derrière un ton détaché.

Un homme grand et élancé, avec des yeux perçants et une barbe soignée, se tourna vers elle. C’était Dorian, un des créateurs les plus talentueux parmi les Immortels, connu pour ses mondes virtuels d’une complexité sans pareille.

— Ah, Selena, quelle surprise ! Nous parlons de notre prochain projet, dit-il avec un sourire énigmatique. Nous allons recréer la Terre, mais pas comme elle est maintenant. Comme elle était avant, avec ses splendeurs et ses tragédies. Un monde où nous pourrons revivre ce que nous avons perdu.

Selena arqua un sourcil, perplexe.

— Recréer la Terre ? Vous voulez en faire un jeu ? Un musée ?

Dorian secoua la tête, ses yeux brillant d’un enthousiasme fiévreux.

— Non, pas un jeu. Une expérience immersive. Imagine un monde où nous pourrions ressentir à nouveau la peur, le danger, l’incertitude. Où nous pourrions affronter nos limites, sans les protections de nos existences éternelles. Ce serait presque… réel.

Selena sentit son cœur se serrer. L’idée de Dorian ressemblait à une tentative désespérée de recréer ce qu’ils avaient perdu, sans vraiment y parvenir. Une imitation de la vie, encore une fois.

— Mais pourquoi recréer la Terre quand elle est encore là, en bas, à attendre ? répliqua-t-elle d’un ton plus acerbe qu’elle ne l’aurait voulu.

Dorian l’observa avec un mélange de curiosité et de surprise.

— Parce qu’il est trop tard pour revenir en arrière, Selena. La Terre actuelle n’est plus la nôtre. Elle est trop… dégradée, trop imprévisible. Tu veux vraiment risquer ta vie, descendre là-bas, parmi les survivants ? Qu’espères-tu y trouver ?

Les paroles de Dorian étaient sensées, mais elles éveillèrent en Selena un sentiment de défi. Que savait-il vraiment de la Terre ? Ils l’avaient quittée il y a des siècles, la laissant se déliter sous le poids des catastrophes climatiques, des guerres et de l’abandon. Mais malgré tout, elle continuait d’exister, d’abriter une vie dont ils s’étaient détournés.

— Peut-être que je veux simplement savoir ce qui est réel, murmura-t-elle.

Le groupe s’était tu, les regardant échanger avec une attention nouvelle. Dorian haussa les épaules, l’air amusé.

— Eh bien, si c’est ce que tu cherches, tu pourrais rejoindre Lyra et son petit groupe d’aventuriers. Ils parlent de retourner en bas, tu sais. Personnellement, je pense que c’est de la folie.

Selena croisa les bras, fixant Dorian avec intensité.

— Et si ce n’était pas de la folie, mais du courage ? rétorqua-t-elle.

Dorian éclata de rire, un rire léger et insouciant.

— Peut-être. Mais pourquoi affronter le chaos et l’incertitude alors que nous pouvons créer la perfection ici ? Nous avons tout ce dont nous avons besoin, Selena. Pourquoi se compliquer la vie ?

Selena ouvrit la bouche pour répondre, mais se ravisa. Elle réalisa qu’elle n’avait pas encore toutes les réponses. Tout ce qu’elle savait, c’était que quelque chose manquait, un vide que leurs créations artificielles ne pouvaient plus combler.

— Je crois que je vais en parler à Lyra, dit-elle simplement avant de tourner les talons, laissant Dorian et son groupe derrière elle.

Elle trouva Lyra dans une salle plus calme, entourée d’une petite dizaine d’Immortels. Ils étaient assis en cercle, discutant à voix basse. En entrant, Selena sentit une tension palpable dans l’air, une détermination fébrile qui la fit frissonner.

Lyra leva les yeux et lui sourit en la voyant.

— Selena ! Je suis contente que tu sois venue. Nous étions justement en train de discuter des préparatifs pour notre départ.

Selena prit une profonde inspiration avant de répondre.

— Je veux en savoir plus. Si vous descendez, qu’est-ce que vous comptez faire exactement ?

Un homme aux cheveux noirs et aux traits sévères, que Selena reconnut vaguement comme étant Yannis, un ancien explorateur de mondes virtuels, prit la parole.

— Nous voulons observer, explorer ce qui reste de la civilisation terrestre. Rencontrer ceux qui vivent encore là-bas. Peut-être même, essayer de comprendre pourquoi nous sommes partis, et ce que nous avons abandonné en chemin.
— Il y a des rumeurs, ajouta une femme plus âgée, aux cheveux coupés courts. Certaines colonies ont survécu et ont commencé à se reconstruire. Elles n’ont plus les mêmes technologies que nous, mais elles ont quelque chose de plus précieux : une connexion à la réalité que nous avons perdue.

Selena se laissa tomber sur un siège libre, l’esprit en ébullition.

— Vous êtes vraiment prêts à abandonner tout ça pour un monde en ruines ? demanda-t-elle, hésitante.

Lyra hocha la tête.

— Nous ne voulons pas abandonner notre immortalité, Selena. Nous voulons la confronter à quelque chose de vrai. Voir si nous sommes encore capables de ressentir, de comprendre. Peut-être même d’aider, si nous le pouvons.

Un silence accueillit ses paroles. Selena regarda autour d’elle, scrutant les visages déterminés de ceux qui avaient décidé de se lancer dans cette aventure insensée. Elle savait qu’elle ne pouvait pas prendre cette décision à la légère. Tout ce qu’elle avait construit, tout ce qu’elle connaissait, était ici, dans ces mondes parfaits.

Mais en même temps, elle sentait que quelque chose en elle se réveillait, un désir qu’elle n’avait pas ressenti depuis des siècles. L’envie de se confronter à l’inconnu, de retrouver ce qui la rendait véritablement humaine.

— Je viens avec vous, déclara-t-elle finalement, sa voix ferme et résolue. Je dois voir ce qu’il en est, moi aussi.

Lyra lui sourit, un sourire plein de gratitude et d’espoir.

— Alors, prépare-toi. Nous partons bientôt. Et une fois en bas, il n’y aura plus de retour en arrière.

Selena hocha la tête, consciente de l’ampleur de la décision. Le voyage qu’ils allaient entreprendre n’était pas seulement un retour sur Terre. C’était un retour vers ce qu’ils étaient autrefois, avant l’immortalité, avant les mondes parfaits. Un voyage vers la redécouverte de leur humanité.

Les jours suivants, Selena se prépara avec minutie, une appréhension nouvelle accompagnant chacun de ses gestes. Elle se demandait souvent si elle ne commettait pas une erreur monumentale, si ce désir irrationnel de retourner sur Terre n’était pas simplement une illusion, une tentative futile de se raccrocher à quelque chose d’irréversible. Pourtant, à chaque fois qu’elle croisait le regard déterminé de Lyra ou qu’elle entendait les discussions passionnées des autres Immortels préparant leur descente, ses doutes s’atténuaient.

Ils se réunirent dans une vaste salle aux parois transparentes, offrant une vue imprenable sur le ciel étoilé factice de leur cité flottante. Au centre, un dispositif de transfert brillait d’une lueur douce, prêt à les téléporter dans l’enceinte sécurisée qui les attendait en bas, sur Terre. Ils étaient une quinzaine, chacun avec ses propres raisons, ses propres doutes, mais tous unis par cette même envie d’affronter l’inconnu.

Lyra prit la parole, sa voix résonnant dans le silence de la pièce.

— Nous avons tous fait ce choix pour différentes raisons. Certains pour découvrir, d’autres pour ressentir à nouveau. Ce voyage ne sera pas facile, et il n’y aura aucune garantie que nous trouvions ce que nous cherchons. Mais nous devons essayer.

Elle fit une pause, observant chacun des visages autour d’elle.

— Nous avons laissé derrière nous un monde qui se délite. Peut-être que nous pouvons trouver un moyen de le reconnecter à notre réalité, peut-être même de l’aider. Ou peut-être simplement comprendre pourquoi nous l’avons quitté. Quoi qu’il en soit, ce que nous allons faire est plus qu’un simple retour. C’est une exploration de ce que nous sommes, au-delà de cette immortalité.

Selena sentit un frisson parcourir l’assemblée. Lyra avait le don de traduire en mots ce que chacun ressentait confusément. Un sentiment d’excitation, mêlé de crainte, vibrait dans l’air.

— Nous partirons par petits groupes, continua Lyra. Notre arrivée doit passer inaperçue. Nous nous installerons d’abord dans l’abri prévu, avant de nous aventurer plus loin. Soyons prudents. Nous ne savons pas à quoi nous attendre en bas.

Dorian, qui avait rejoint le groupe au dernier moment, se racla la gorge, attirant les regards vers lui.

— Je sais que certains pensent que ce que nous faisons est insensé, dit-il, son ton plus sérieux que d’habitude. Et peut-être qu’ils ont raison. Mais parfois, la folie est le seul chemin vers la vérité. Je suis prêt à voir ce que cette folie nous révèle. Tout a été calculé, préparé, nous ne risquerons absolument rien.

Selena esquissa un sourire malgré elle. Dorian, avec son scepticisme habituel, admettait enfin qu’il pouvait y avoir une part de sens dans leur quête.

Un par un, les Immortels s’approchèrent du dispositif de transfert. Selena sentit son cœur battre plus fort quand ce fut son tour. Elle échangea un regard avec Lyra, un mélange de peur et d’excitation passant entre elles.

— Tu es prête ? demanda Lyra.

Selena prit une profonde inspiration et hocha la tête.

— Autant que possible.

Elle ferma les yeux alors que le faisceau lumineux l’enveloppait. Une sensation de vertige la submergea, suivie d’un sentiment de chute libre, avant que ses pieds ne touchent à nouveau le sol. Elle ouvrit les yeux et découvrit un environnement totalement différent.

Ils se trouvaient dans une grande salle souterraine, faiblement éclairée par des néons vacillants. Les murs étaient recouverts de mousse et de traces d’humidité. Une odeur de terre et de métal flottait dans l’air, bien loin des parfums aseptisés de la cité céleste.

Lyra et les autres apparurent autour d’elle, encore légèrement éblouis par le transfert. Ils étaient dans un ancien abri souterrain, une base de l’ancien monde, laissée en état de fonctionnement pour les rares descentes des Immortels. Des caisses de provisions, des équipements et des lits de camp avaient été préparés.

— Nous y voilà, murmura Yannis, sa voix résonnant dans le silence de la salle.

Selena prit une grande inspiration. L’air était lourd, chargé de l’odeur de l’humidité et du béton. Ce n’était pas la première fois qu’elle descendait, mais quelque chose était différent cette fois. Tout semblait plus réel, plus intense. Chaque sensation, chaque son.

Ils se mirent en mouvement, déballant les caisses, vérifiant les équipements, s’appropriant cet espace qu’ils allaient habiter. Un silence solennel régnait parmi eux, chacun étant plongé dans ses propres pensées, ses propres appréhensions.

Après quelques heures de préparation, Lyra rassembla tout le monde autour d’elle.

— Demain, nous sortirons de cet abri et nous explorerons les environs. Nous avons cartographié une zone sûre, mais nous devons rester vigilants. La Terre n’est plus ce qu’elle était. Nous ne savons pas ce qui nous attend dehors.

Selena acquiesça, le regard fixé sur l’ombre des couloirs qui s’étiraient autour d’eux. Elle se sentait comme une étrangère dans ce monde, mais un frisson d’anticipation parcourait son corps. Elle allait enfin voir, enfin comprendre.

Cette nuit-là, ils se dispersèrent dans l’abri, essayant de se reposer avant le grand saut. Selena s’installa dans un coin, allongée sur un lit de camp rudimentaire. Les bruits de la Terre, plus sourds, plus rugueux, parvenaient faiblement à travers les épais murs de béton. Elle se tourna et se retourna, incapable de trouver le sommeil, son esprit plein d’images de ce qui les attendait à l’extérieur.

Elle repensa à la dernière conversation qu’elle avait eue avec Dorian avant leur départ. Il lui avait parlé de ses propres doutes, de sa peur de ne plus se reconnaître dans ce monde qu’il avait autrefois connu. Mais il y avait aussi cette lueur d’excitation dans ses yeux, cette envie de redécouvrir la vie, même si c’était sous une forme altérée.

Finalement, à l’aube, Lyra fit le tour de l’abri, réveillant doucement chacun des membres du groupe. L’atmosphère était tendue, chargée de cette nervosité particulière que l’on ressent avant de se lancer dans l’inconnu.

Ils s’équipèrent en silence, vérifiant les combinaisons de protection, ajustant les masques respiratoires et les capteurs de leur drone d’exploration. Un dernier regard circula entre eux, une promesse muette de soutien et de solidarité.

Puis, Lyra se tourna vers la grande porte d’acier qui menait à l’extérieur. Elle posa une main sur la console de commande, prenant une profonde inspiration avant de presser le bouton d’ouverture.

Un grincement sourd résonna dans tout l’abri alors que la porte se déverrouillait lentement. Un filet de lumière froide pénétra dans la salle, révélant le monde extérieur.

Ils avancèrent prudemment, Lyra en tête. La lumière naturelle, même faible, semblait presque aveuglante après les néons de l’abri. Devant eux s’étendait un paysage dévasté, un désert de béton, de métal, entrecoupé de quelques arbres malingres. Les ruines d’anciennes structures se dressaient çà et là, fantomatiques sous le ciel gris.

Selena sentit son cœur se serrer. Ce monde, si différent de celui qu’elle avait connu autrefois, lui apparaissait à la fois étranger et familier. C’était une terre blessée, marquée par des siècles de négligence et de souffrance, mais c’était aussi un monde qui persistait, qui refusait de disparaître.

Elle jeta un coup d’œil autour d’elle. Lyra, Yannis, Dorian et les autres semblaient tous captivés par cette vision, absorbés par ce premier contact avec la réalité terrestre.

— Bienvenue sur Terre, murmura Lyra, sa voix à peine audible dans le silence oppressant.

Selena hocha la tête, incapable de détourner les yeux du spectacle devant elle. Pour la première fois depuis des siècles, elle ressentait quelque chose de véritablement intense. Elle ne savait pas encore où ce voyage les mènerait ni ce qu’ils allaient découvrir. Mais elle savait une chose : il n’y avait plus de retour en arrière possible. Les premiers Immortels avaient décrété qu’il était interdit de revenir dans le monde réel, de passer par la porte de séparation de leurs deux mondes, sous peine de déchéance de son immortalité.

Ils étaient parvenus sur Terre, et rien ne serait plus jamais pareil. L’expérimentation de cette nouvelle simulation pouvait commencer !

Chapitre 2

Les oubliés de la Terre

Dans les décombres de ce qui avait été autrefois une métropole prospère, une silhouette se faufilait parmi les ruines. Le ciel était d’un gris métallique, oppressant, et l’air lourd de particules toxiques. Elie avançait avec précaution, le regard attentif, surveillant les ombres mouvantes autour de lui. Il savait qu’en ces temps incertains, chaque recoin pouvait abriter un danger mortel, qu’il soit humain ou non.

Arrivé à ce qui semblait être un ancien centre commercial, il s’accroupit derrière un amas de débris, inspectant les environs. Son cœur battait fort dans sa poitrine. C’était son endroit préféré pour trouver des ressources, mais il n’était pas le seul à connaître cet endroit. Les gangs rôdaient souvent dans les parages, et une rencontre avec eux se soldait rarement sans violence.

Il attendit quelques minutes, scrutant le silence, puis se décida à avancer. Ses pas résonnaient faiblement sur le sol de béton craquelé alors qu’il pénétrait dans le bâtiment en ruines. L’intérieur était plongé dans la pénombre, éclairé par des rayons de lumière qui filtraient à travers les trous béants du toit. Elie se dirigea vers les étagères effondrées, cherchant des boîtes de conserve ou tout autre aliment non périssable.

Soudain, un bruit de pas retentit derrière lui. Il se retourna, le souffle coupé, les muscles tendus. Une silhouette émergea de l’obscurité.

— Elie ? C’est toi ? murmura une voix féminine.

Elie relâcha un peu la tension en reconnaissant la jeune femme qui se tenait devant lui. C’était Léa, une survivante comme lui, avec qui il avait déjà échangé quelques rares provisions.

— Léa, tu m’as fait peur… souffla-t-il en se redressant. Qu’est-ce que tu fais ici ?

Léa haussa les épaules, un sourire nerveux sur les lèvres.

— La même chose que toi, je suppose. Je cherchais quelque chose à manger. Mais je crois que cet endroit a déjà été fouillé. Il ne reste plus grand-chose.

Elie regarda autour de lui, son regard scrutant les étagères dévastées. Il savait qu’elle avait raison, mais il ne pouvait pas partir les mains vides. Pas après tout le chemin qu’il avait parcouru.

— Il doit bien rester quelque chose, dit-il, une pointe de désespoir dans la voix. On ne peut pas rentrer sans rien.

Léa s’approcha, posant une main légère sur son bras.

— Elie, on ne pas risquer nos vies pour une boîte de haricots. Si les gangs reviennent, on est mort.

Elie serra les dents. Il savait qu’elle avait raison, mais l’idée de retourner au camp les mains vides, de voir les visages déçus des enfants le rendait malade. Il poussa un soupir de frustration, se passant une main dans les cheveux.

— D’accord, murmura-t-il. Mais on va au moins vérifier le sous-sol. Il y avait des rumeurs comme quoi des gens avaient trouvé un stock d’anciennes conserves là-bas.

Léa le regarda avec inquiétude, mais hocha finalement la tête.

— Très bien, mais on fait vite. Je n’ai pas envie de finir en morceaux.

Ils descendirent prudemment les escaliers effondrés, leurs pas résonnant dans le silence oppressant. L’air se faisait plus lourd, plus étouffant à mesure qu’ils s’enfonçaient dans les entrailles du bâtiment. Le sous-sol était plongé dans une obscurité presque totale, seulement troublée par les faisceaux lumineux de leurs lampes torches.

Ils fouillèrent pendant plusieurs minutes, le cœur battant à chaque bruit suspect, à chaque ombre mouvante. Enfin, Elie tomba sur une vieille porte métallique, à moitié cachée par des débris. Il tira dessus de toutes ses forces, grognant sous l’effort, et finit par l’ouvrir dans un grincement sinistre.

— Aide-moi à chercher, souffla-t-il à Léa, pointant sa lampe vers l’intérieur de la pièce.

Ils pénétrèrent dans ce qui semblait être une ancienne réserve. Des étagères vides se dressaient contre les murs, mais au fond, Elie aperçut quelque chose qui fit bondir son cœur : une rangée de boîtes de conserve, recouvertes de poussière, mais intactes.

— On a trouvé, murmura-t-il, sa voix vibrante d’excitation.

Léa s’approcha, les yeux écarquillés.

— Par les cieux… On va pouvoir nourrir le camp avec ça.

Ils commencèrent à remplir leurs sacs avec précaution, le cœur léger pour la première fois depuis des jours. Mais alors qu’ils s’apprêtaient à partir, un bruit de pas précipités retentit dans le couloir. Elie et Léa se figèrent, leurs regards se croisant dans la panique.

— Qui va là ? lança une voix rauque depuis l’obscurité.

Elie éteignit sa lampe d’un geste tremblant, tirant Léa derrière une étagère. Leurs cœurs battaient à tout rompre alors qu’ils se tassaient contre le mur, retenant leur souffle. La voix se rapprochait, accompagnée de plusieurs autres.

— Je t’ai dit que j’avais entendu quelque chose, grogna un homme.
— Ta gueule, répliqua un autre. Si c’est encore des rats, je te fais bouffer ta machette.

Elie sentit la sueur perler sur son front. Il connaissait cette voix. C’était celle de Marco, le chef d’un des gangs les plus redoutés de la région. S’ils se faisaient prendre, ils ne sortiraient jamais d’ici vivants.

Les hommes pénétrèrent dans la pièce, leur lumière scrutant les recoins. Elie sentait son cœur tambouriner dans sa poitrine. Léa tremblait à côté de lui, ses doigts crispés sur son bras.

— Il n’y a rien ici, grogna Marco. Allez, on se casse. On a perdu assez de temps.

Les hommes hésitèrent, échangeant des regards méfiants, mais finirent par se retirer, leurs pas résonnant dans le couloir. Elie attendit quelques minutes, les muscles tendus, avant de se risquer à chuchoter à l’oreille de Léa.

— Ils sont partis, On doit partir nous aussi, maintenant.

Léa hocha la tête, ses yeux brillants de peur. Ils se levèrent lentement, essayant de faire le moins de bruit possible, et remontèrent les escaliers. Lorsqu’ils atteignirent enfin l’extérieur, Elie poussa un soupir de soulagement.

Le vent glacial fouettait leur visage alors qu’ils s’éloignaient du bâtiment, leurs sacs lourdement chargés de provisions. Ils se mirent à courir, leurs pas résonnant sur le bitume craquelé. Elie ne s’arrêta qu’une fois qu’ils eurent mis une distance suffisante entre eux et les ruines.

— On l’a fait, murmura-t-il, haletant.

Léa acquiesça, un sourire tremblant sur les lèvres.

— Oui, mais c’était moins une. La prochaine fois, essayons de ne pas risquer nos vies pour des conserves, d’accord ?

Elie rit faiblement, secouant la tête.

— Promis.

Ils reprirent leur route, le cœur un peu plus léger, se dirigeant vers leur campement. Le paysage autour d’eux était morne et désolé, les vestiges d’une civilisation autrefois glorieuse éparpillés comme des ossements dans la poussière.

Après une longue marche, ils atteignirent enfin leur camp, une série de tentes et de cabanes de fortune érigées à l’abri d’un ancien pont autoroutier. En voyant Elie et Léa arriver, chargés de provisions, un murmure d’excitation parcourut les habitants du camp.

— Ils sont revenus ! cria un enfant en courant vers eux.

Elie s’accroupit, tendant une boîte de conserve au garçonnet, qui le regarda avec des yeux écarquillés.

— On va manger ce soir, murmura-t-il avec un sourire.

Les habitants du camp s’approchèrent, entourant Elie et Léa, des sourires de gratitude sur leurs visages émaciés. Elie sentit un poids quitter ses épaules. Pour une nuit, ils n’auraient pas à se battre contre la faim.

Alors qu’il distribuait les provisions, il leva les yeux vers le ciel sombre. Quelque part là-haut, les Immortels vivaient dans leurs cités dorées, loin des souffrances et des privations.

Elie pensa à ces Immortels, ces êtres qui avaient fui la réalité terrestre pour s’enfermer dans leurs mondes virtuels. Ils avaient abandonné la Terre, laissant derrière eux les oubliés comme lui, condamnés à survivre dans ce qui restait de leur ancienne gloire. Comment pouvaient-ils ignorer à ce point la souffrance des autres ?

Il fut tiré de ses pensées par la voix de Léa.

— Elie, viens t’asseoir. Tu as fait un travail incroyable aujourd’hui.

Elle lui désigna une vieille caisse de bois près du feu de camp où plusieurs personnes s’étaient rassemblées. Il hocha la tête et alla s’asseoir à côté d’elle, fatigué, mais soulagé d’avoir accompli ce qu’il s’était promis.

Autour du feu, les murmures étaient pleins de reconnaissance. Les enfants riaient, leurs visages éclairés par les flammes vacillantes. C’était un instant de répit, une parenthèse fragile dans un quotidien fait de privations.

— Tu crois qu’un jour tout ça va changer ? demanda soudain Léa en regardant les flammes. Que les Immortels nous laisseront revenir dans leurs villes, nous offriront une chance de vivre normalement ?

Elie la fixa un instant, incertain de quoi répondre. Il connaissait cette question, ce rêve d’un retour à une vie plus juste, mais il avait aussi vu la réalité de trop près pour s’y accrocher encore.

— Je ne sais pas, dit-il enfin, sa voix pleine de résignation. J’ai du mal à croire qu’ils se soucient de nous. Pour eux, on est juste… des reliques, un fardeau qu’ils préfèrent ignorer.

Léa baissa les yeux, visiblement déçue par sa réponse. Elle ramena ses genoux contre sa poitrine, cherchant du réconfort dans la chaleur du feu.

— Peut-être qu’on devrait essayer de leur parler. Leur montrer qu’on existe encore, qu’on est des humains comme eux, et qu’on mérite une chance.
— Léa… soupira Elie, sentant une pointe de tristesse monter en lui. Tu te souviens de ce qui est arrivé à ceux qui ont essayé de s’approcher de leurs cités ? Ils n’ont jamais été revus. Peut-être qu’ils sont encore là, enfermés dans des camps, ou peut-être qu’ils ont été tués. On ne sait rien de ce qui se passe derrière ces murs.

Elle hocha la tête, les yeux brillants de larmes.

— Oui, je sais. Mais vivre comme ça… dans cette misère, cette peur constante…
— Je comprends, murmura-t-il en posant une main sur son épaule. Mais tout ce que nous avons, c’est notre survie, notre solidarité. Ce monde est impitoyable, et les Immortels ne sont pas des dieux, même s’ils aiment à le croire.

Ils restèrent silencieux un moment, écoutant le crépitement des flammes et les rires étouffés des enfants. La nuit était froide, mais pour un instant, la chaleur humaine compensait la rudesse de la réalité.

— Peut-être que tu as raison, dit enfin Léa, la voix plus posée. Peut-être qu’on ne peut pas compter sur eux. Mais il doit bien y avoir un moyen de changer les choses, non ? On ne peut pas juste continuer à survivre comme ça pour toujours.

Elie la regarda, touché par sa détermination. Il y avait dans ses yeux une lueur d’espoir qui contrastait avec la résignation de la plupart des survivants qu’il connaissait. Peut-être que cet espoir, aussi ténu soit-il, était leur seule chance.

— Il y a des rumeurs, murmura-t-il en se penchant vers elle. Des rumeurs sur un endroit, quelque part dans les montagnes, où les technologies des immortels auraient été préservées. Un lieu où les survivants comme nous pourraient trouver refuge, loin de la misère et des gangs.

Léa le fixa, soudainement captivée par ses paroles.

— Tu crois que cet endroit existe vraiment ?

Elie haussa les épaules.

— Je ne sais pas. Mais il y a des gens qui y croient. Certains sont partis pour le trouver. Peut-être que c’est juste un mythe, mais… peut-être que c’est notre seule chance.

Léa se redressa, une étincelle de détermination dans le regard.

— Alors, il faut qu’on essaye, non ? On ne peut pas rester ici indéfiniment, à attendre de mourir de faim ou de tomber sur un gang. Si cet endroit existe, on doit le trouver.

Elie sentit son cœur se serrer. L’idée de quitter ce qui restait de sa vie, de se lancer dans une quête incertaine, le terrifiait. Mais il savait qu’elle avait raison. Ils ne pouvaient pas continuer ainsi.

— D’accord, dit-il enfin, résolu. Mais on ne peut pas partir seuls. On doit trouver d’autres personnes prêtes à nous suivre. Des gens en qui on peut avoir confiance.

Léa hocha la tête.

— On va les trouver. Et on va partir. On n’a plus rien à perdre.

Ils se turent, contemplant les flammes qui dansaient devant eux. Autour du feu, les visages fatigués, mais souriants des survivants brillaient d’une lueur nouvelle. Peut-être qu’il y avait encore un espoir, quelque part, au-delà des ruines.

Le lendemain matin, Elie se réveilla tôt, la lumière grise de l’aube filtrant à travers les débris qui servaient de toit à sa tente de fortune. Léa dormait encore, enroulée dans une couverture rapiécée, son visage paisible malgré la dureté de leur existence. Il la regarda un instant, se demandant comment elle pouvait encore croire en un avenir meilleur dans un monde aussi brisé.

Il se leva silencieusement, ramassa son sac et sortit de la tente. Dehors, le campement s’éveillait lentement. Des silhouettes fatiguées s’activaient autour des feux, essayant de réchauffer de maigres restes de nourriture. Un groupe d’enfants jouaient avec une vieille balle dégonflée, leurs rires s’élevant dans l’air froid du matin, contrastant avec la morosité ambiante.

Elie salua quelques visages familiers en passant, s’arrêtant pour discuter brièvement avec ceux qu’il connaissait bien. Il devait être prudent, ne pas attirer trop l’attention sur ses projets. Trouver des alliés était une chose, mais il fallait s’assurer que personne d’autre ne soit au courant. S’il y avait la moindre fuite, les gangs seraient vite informés, et leurs chances de survie diminueraient drastiquement.

Il se dirigea vers une vieille cabane construite à partir de morceaux de tôle et de bois récupérés. Devant, un homme d’âge mûr était assis sur une caisse, aiguisant une lame de couteau. Il leva les yeux en voyant Elie approcher.

— Elie, ça fait un moment. Comment ça va ? demanda-t-il d’une voix rauque.
— Ça pourrait aller mieux, répondit Elie avec un sourire fatigué. Je voulais te parler, Pierre. En privé.

Pierre fronça les sourcils, puis hocha la tête. Il rangea son couteau dans sa ceinture et fit signe à Elie de le suivre à l’intérieur. La cabane était sombre, seulement éclairée par un mince rayon de soleil levant qui filtrait à travers une fissure dans le toit. Pierre s’assit sur un vieux fauteuil déchiré et invita Elie à prendre place sur une caisse en bois.

— Alors, qu’est-ce qui t’amène ici si tôt ?

Elie hésita un instant, cherchant ses mots. Pierre était un ancien militaire, un homme pragmatique et respecté dans le camp. S’il pouvait convaincre quelqu’un de l’aider, c’était bien lui.

— Il y a des rumeurs qui courent, commença Elie, parlant à voix basse. Sur un endroit, quelque part dans les montagnes, où les technologies des Immortels seraient encore en état de marche. Un refuge, loin d’ici.

Pierre le fixa, ses yeux perçants étudiant chaque détail du visage d’Elie.

— Tu crois vraiment à ces histoires ? On entend ce genre de rumeur depuis des années. Des gens qui ont tenté leur chance, aucun n’est revenu.
— Peut-être, admit Elie. Mais rester ici, c’est mourir à petit feu. Tu le sais aussi bien que moi. Les ressources s’épuisent, les gangs deviennent plus violents. On ne pourra pas tenir éternellement.

Pierre se pencha en avant, les mains croisées devant lui.

— Tu es en train de me dire que tu veux partir à la recherche de ce « refuge » ?
— Pas seul. Elie prit une inspiration. Je veux emmener Léa, et d’autres personnes qui seraient prêtes à tenter le coup. Des gens de confiance. On ne peut pas faire ça à la légère.

Pierre resta silencieux un long moment, réfléchissant. Enfin, il soupira et se redressa.

— Tu es fou, tu le sais ça ? Il secoua la tête avec un petit sourire. Mais je comprends. Tu veux une chance, même si elle est infime.

Elie hocha la tête, espérant de tout cœur que Pierre dirait oui.

— Si on reste ici, on va tous mourir, Pierre. Peut-être pas aujourd’hui, ni demain, mais bientôt. Si ce refuge existe, il pourrait nous donner une nouvelle chance.

Pierre se leva, s’approcha d’un petit coffre en bois dans un coin de la pièce et en sortit une carte usée et tachée. Il la déplia sur une table, pointant un endroit dans les montagnes.

— J’ai entendu parler de ce lieu. Certains disent qu’il y aurait un ancien complexe scientifique, là-haut. Mais c’est loin, et le chemin est dangereux.

Il leva les yeux vers Elie.

— Si tu veux tenter ta chance, je ne t’en empêcherai pas. Mais tu dois savoir que ce sera risqué, et tu devras convaincre les bonnes personnes.

Elie sentit une vague de soulagement le submerger.

— Merci, Pierre.
— Ne me remercie pas encore, répondit Pierre d’une voix grave. Il y a beaucoup de choses à régler avant de partir. Et il faudra que tu parles à Jonas. S’il te soutient, tu auras plus de chances de convaincre les autres.

Elie acquiesça. Jonas était l’un des leaders du camp, un homme respecté pour sa sagesse et son calme. Il serait essentiel de l’avoir de leur côté.

— Je vais lui parler.
— Bonne chance, dit Pierre en repliant la carte et en la tendant à Elie. Et fais attention. Tout le monde ne verra pas cette idée d’un bon œil.

Elie prit la carte, le remerciant d’un signe de tête, et quitta la cabane. Dehors, le soleil continuait de percer à travers les nuages, inondant le campement d’une lumière froide. Il jeta un coup d’œil vers le coin où Jonas avait l’habitude de passer ses matinées. Le vieil homme était assis, entouré de quelques survivants, écoutant leurs préoccupations avec une patience infinie.

Elie s’avança, son cœur battant plus fort. Convaincre Jonas ne serait pas chose facile. Le vieil homme était un pacifiste, un homme de principes, qui avait toujours prôné la solidarité et la résistance passive face aux gangs. Si quelque chose n’était pas fait bientôt, ils seraient tous condamnés.

— Jonas, l’appela-t-il doucement en s’approchant. Je peux te parler en privé ?

Le vieil homme leva les yeux, ses traits marqués par les années et les épreuves. Il hocha la tête, s’excusant auprès des autres, puis se leva pour rejoindre Elie à l’écart.

— Que se passe-t-il, mon garçon ? demanda-t-il d’une voix douce.

Elie lui expliqua tout, les rumeurs sur le refuge, son désir de partir, de trouver un endroit sûr pour eux tous. Jonas l’écouta attentivement, sans l’interrompre, ses yeux perçants semblant voir au-delà des mots.

— Elie, je comprends ton désir de fuir, dit-il enfin. Mais ce que tu proposes est dangereux. Tu risques de perdre plus que ta vie dans cette quête.
— Si nous restons ici, nous sommes déjà perdus, répondit Elie, son ton empreint de désespoir. Nous devons essayer. Pour Léa, pour les enfants… pour nous tous.

Jonas soupira, passant une main tremblante dans sa barbe blanche.

— C’est un pari insensé, mais je vois que ton cœur est déterminé.

Il se pencha vers Elie, posant une main sur son épaule.

— Je te soutiendrai, mais à une condition.
— Tout ce que tu veux, répondit Elie, reconnaissant.
— Si jamais tu trouves ce refuge, et que tu arrives à y mener les nôtres, tu devras revenir chercher ceux qui resteront ici. Ne nous oublie pas, Elie. Nous sommes tous une famille, même si parfois nous devons nous séparer.

Elie hocha la tête, les yeux brillants de gratitude.

— Je te le promets, Jonas. Si ce lieu existe, je reviendrai pour tous ceux qui voudront nous rejoindre.

Le vieil homme lui fit un léger sourire, puis le serra dans ses bras.

— Alors, va, et que la chance soit avec toi.