Les histoires qui guérissent - Philippe Deparis - E-Book

Les histoires qui guérissent E-Book

Philippe Deparis

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Beschreibung

"Les histoires qui guérissent" retrace le parcours de Fabien, un ancien pompier de Paris devenu praticien en hypnose. Sa rencontre avec Léa, une petite fille atteinte d’un cancer en phase terminale, bouleverse sa vie. Malgré lui, Fabien doit l’aider par son art, tout en affrontant le douloureux souvenir de son propre enfant décédé.


À PROPOS DE L'AUTEUR

En plus de ses romans policiers, Philippe Deparis élargit son horizon littéraire. Il rejoint le domaine psychologique avec "Les histoires qui guérissent".

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Seitenzahl: 233

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Couverture

Page de titre

Philippe Deparis

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les histoires qui guérissent

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Philippe Deparis

ISBN : 979-10-422-1786-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

I

 

 

 

— Maintenant, imaginez-vous sortir de votre corps, tout doucement comme si vous étiez complètement dissocié, prenez le temps de vous détacher, de vous regarder quelques instants.

Fabien laisse passer quelques secondes tout en observant sa cliente qui présente déjà beaucoup de signes hypnotiques, signes qu’il avait plusieurs fois ratifiés1 en début de séance pour l’aider à partir dans cet état de transe lui permettant de parvenir dans sa zone de travail.

— Regardez-vous, et commencez à vous balader dans la pièce en flottant dans les airs. Évoluez partout puis dirigez-vous vers la fenêtre entrouverte et sentez une brise légère qui vous emporte doucement. Attardez-vous sur les rues du quartier, les enseignes, les passants. Continuez votre ascension et plus vous montez, plus vous sentez cette légèreté qui vous permet d’évoluer dans les airs ; vous pouvez voir maintenant la ville dans son ensemble, en distinguer les monuments, les contours. Prenez le temps d’admirer tout ce que vous apercevez, dirigez-vous vers les nuages, et traversez-les. Je me demande quelle sensation cela procure de traverser les nuages, est-ce plutôt humide ? cotonneux ? Prenez le temps de le découvrir avant de poursuivre votre voyage.

Fabien regarde sa cliente, une femme d’une trentaine d’années qui a tout pour elle visiblement. À aucun moment, on ne pourrait penser qu’au fond d’elle-même la noirceur s’est installée depuis des années. Belle, élégante, apprêtée, cette avocate a de la prestance et dégage une image forte, positive. On l’imagine plaider brillamment devant la Cour pour défendre ses clients. Mais à l’intérieur, il en est autrement.

— Au-dessus des nuages, il y a quelque chose de magnifique que l’on retrouve systématiquement, le soleil.
— Prenez le temps de sentir la chaleur de ses rayons vous caresser le visage et continuez votre montée.

Son visage s’illumine, assise dans le fauteuil en cuir du cabinet de Fabien, Sophie se sent partir de plus en plus profondément, elle sent les dernières résistances en elles s’effacer une à une, comme les obstacles qu’elle saute à cheval.

— Plus vous montez et plus vous commencez à voir les étoiles se dessiner jusqu’à arriver à la limite du ciel et de l’espace pour passer en… apesanteur.
— Cette sensation différente de votre balade qui vous permet de vous mouvoir doucement sans l’aide du vent.
— Prenez le temps de vous imprégner de cette sensation tellement particulière, tellement merveilleuse.
— Avant de repartir pour effectuer le chemin inverse.

La séance poursuit son cours, Fabien qui se trouve à proximité de sa cliente est parfaitement synchronisé avec elle. À l’écoute des moindres mouvements de son corps, indices de sa progression dans la transe vers son inconscient. Cette séance est importante, comme toutes les autres bien sûr, mais aujourd’hui, il travaille sur la phase finale pour atteindre l’objectif de Sophie. Un deuil sentimental qui l’a brisée il y a maintenant trois ans, une relation de quinze ans, terminée, émiettée par et pour une autre. Au-delà de la tromperie, il l’avait quittée pour se marier quelques mois plus tard et fonder une famille dans la continuité. Tout ce qu’il lui avait refusé depuis des années. Elle avait ressenti cette perfidie également comme une forme d’insulte à son intelligence ; il l’avait ouvertement prise pour une idiote, la renvoyant à son enfance lorsque son père la dévalorisait au bénéfice de son frère, elle qui était pourtant si brillante.

Sophie n’avait pas réussi à passer outre et se reconstruire ; ce jour-là, mardi 14 juin 2016, le sol s’était ouvert sous ses pieds. Elle en était tombée en découvrant par hasard le pot aux roses. Des messages et des photos plus qu’osées postés sur son téléphone. Depuis un certain temps, elle était devenue suspicieuse face au comportement étrange de son partenaire, qui de son côté l’accusait de devenir paranoïaque à dessein. Elle devait arrêter de le comparer à ses clients, lui lançait-il régulièrement. Mais les photos parlaient d’elles-mêmes. La suite est classique. Mais au bout de tant d’années, elle n’avait jamais pu refaire sa vie.

Elle, brillante avocate de bonne famille, constamment sollicitée par la gent masculine, et même féminine, n’arrivait pas à passer le cap.

Sa rencontre avec Fabien tenait du hasard, comme pour beaucoup de ses clients d’ailleurs ; une consœur qui vivait un deuil familial difficile lui avait dûment recommandé d’aller voir un praticien en Hypnose. Fabien avait changé sa vie. Du moins, il l’avait aidée à le faire ; le praticien n’est qu’un guide, il ne prend et n’insuffle aucune décision.

Cependant, l’émergence des ressentis lors des séances génère des prises de conscience à l’origine d’actions, parfois importantes, amenant dans leur sillage un changement de sa vie.

Lorsque Fabien la « ramène » dans un état de conscience, elle ouvre lentement les yeux encore embués de larmes. Elle regarde droit devant elle le mur blanc et les plantes disposées dans le cabinet épuré où se mélangent les styles habilement associés. La séance a été difficile pour Sophie ;cette étape cruciale pour sa vie l’a éprouvée émotionnellement. Le flot de larmes qui l’ont accompagnée une grande partie de la séance a laissé place à un visage plus fort, plus… dur. Un léger rictus débutait sur ses lèvres. Elle était enfin prête à tourner la page pour se consacrer pleinement à son existence.

Comme pour en apprécier la texture, elle agite doucement les doigts sur les accoudoirs du magnifique fauteuil en cuir patiné par les ans ; tout bonnement splendide et confortable.

Fabien demeure silencieux, respectant son lent retour à la réalité… à sa réalité. Elle est vraiment encore plus belle quand elle pleure.

Sophie essuie délicatement les larmes de son visage puis le regarde droit dans les yeux.

— Merci ! Mille fois merci.

Elle prend une profonde inspiration, expire doucement, puis éclate de rire, une main dissimulant sa bouche, comme pour masquer cette émotion qui la submerge.

— Je n’ai plus de poids sur mon ventre, plus rien. Vous me l’avez enlevé, dit-elle en recommençant à pleurer.
— Vous savez, nous en avons déjà parlé. Tout ce qui se passe actuellement en vous n’est autre que le fruit de votre travail, de vos décisions. Je me suis contenté de vous guider Sophie. Ce travail et ces résultats sont les vôtres.
— Oui, vous me l’aviez dit.

Elle le fixe longuement, avant d’essayer, semble-t-il, de lui dire quelque chose, mais se ravise finalement. Un bref silence s’installe dans le cabinet ; Sophie va pouvoir partir sur de nouvelles bases tandis que Fabien gardera la satisfaction d’avoir pu l’aider à changer sa vie. Le résultat, quel qu’en soit le degré, est parfois long à obtenir.

Fabien se lève tranquillement pour la raccompagner à la porte. Sophie le précède pour sortir, elle porte un tailleur noir qui épouse parfaitement ses courbes et se déplace d’une démarche légère et élégante. Ses talons hauts d’une dizaine de centimètres à semelle rouge vif finissent de la rendre encore plus… soyons honnête… désirable. Fabien est toujours resté dans son champ thérapeutique et n’a jamais cédé à la tentation avec ses clientes, par éthique et professionnalisme. Il faut des années pour établir une solide réputation et quelques instants pour la détruire.

Elle se retourne une dernière fois pour lui faire face, ses magnifiques yeux bleus ne présentent plus que quelques traces de rimmel étalé, stigmates de sa peine.

— Je vais tous les matins, seule, dans un café à côté de mon cabinet, le Zimmer. Si jamais l’envie de me revoir vous venait, n’hésitez surtout pas. Je pars quelque temps à l’étranger pour raisons professionnelles, vous verrez mon retour sur le Facebook de mon cabinet.
— Je…
— Vous n’êtes pas obligé de me répondre, mais vous savez où me trouver, au revoir.

Il la regarde une dernière fois en se disant qu’il pourrait se laisser tenter, mais il sait qu’il n’ira jamais la rejoindre. Jamais il ne mélange travail et vie privée.

Comme souvent, Fabien finit son travail en début de soirée ; il est 21 heures, une journée riche en émotions pour ses clients, une journée pleine de prises de conscience, de changements.

Il prend le temps d’éteindre l’ordinateur et de remettre en ordre cette pièce dans laquelle il travaille depuis cinq ans. Située au calme, en rez-de-chaussée d’une courette intérieure, en plein secteur de « Bastille2 ». La situation géographique est parfaite, son domicile est à quelques encablures près de la porte de Vincennes. En quittant le cabinet, il prend quelques inspirations profondes suivies de lentes expirations par la bouche. C’est son rituel… il lui permet de faire le vide de toutes les émotions de la journée qui s’achève. Ce qui se passe dans le cabinet reste dans le cabinet.

Fabien déambule dans les rues animées du secteur pour rejoindre un des points de stationnement de « velibes3 », son moyen de transport favori lorsqu’il n’a pas envie de prendre les transports en commun pour effacer les quelques kilomètres qui le séparent de son domicile. Finalement, il ne prend que rarement le métro, essentiellement par temps de pluie. Fabien ne peut s’empêcher de penser à elle, à leurs séances. Depuis le premier jour où elle s’était présentée à son cabinet, il avait su, ils avaient su que quelque chose se passait.

Mais son métier devait être associé à une éthique qu’il avait du mal à outrepasser. Sandra, une de ses copines, lui disait que de toute façon elle ne voyait pas le mal à cela du moment qu’il respectait ses clients et bien sûr le secret professionnel. Il arrive parfois que des professionnels de santé aient une relation avec une ancienne patiente… Non ? Tout est faisable bien sûr, mais dans quelle mesure ! Finalement, la question ne se posait pas, mais pour la première fois en cinq ans, il avait eu envie de déroger à cette ligne de conduite.

Plutôt élégant, Fabien prend plaisir à s’apprêter pour recevoir ses clients ou pour sortir. Célibataire depuis des années, il n’a pas de problème pour faire des rencontres ; entre les sites et les « vraies rencontres », ses opportunités sont multiples. Il papillonne depuis longtemps maintenant. À plusieurs reprises, il aurait pu entrevoir une relation stable, mais il n’en éprouvait pas spécialement le désir. Toujours réglo avec ses partenaires, il ne cherchait pas l’âme sœur. Cependant, au fil des années, il commençait à espérer faire la rencontre qui chamboulerait sa vie, trouver la stabilité qui lui fait tellement défaut.

Avant d’être à son compte, il avait eu une autre vie, celle de pompier de Paris, un métier qu’il avait embrassé après son Bac, par vocation, le feu le fascinait depuis qu’il était gamin. Cette passion qui allait finalement s’éteindre par une belle soirée d’été. La page avait été tournée après dix-sept fantastiques années d’une carrière irréprochable. Un choix personnel que beaucoup avaient compris, continuer pour continuer n’avait aucun sens.

Au fil des années, la nostalgie s’estompe, mais il ne peut s’empêcher de frissonner quand il entend la sirène d’un camion qui monte au feu.

Il avait découvert la Sophrologie pour la préparation mentale il y a une dizaine d’années lorsqu’il concourait en triathlon. Au fil du temps, il s’était passionné pour ce métier qui, comme le sien, était axé sur la personne. L’hypnose était arrivée dans sa vie par une de ses amies et ne l’avait plus jamais quitté. Après avoir beaucoup travaillé sur lui-même, en auto-hypnose, il en avait fait bénéficier ses collègues qui étaient demandeurs. Fabien aurait rêvé d’accéder à la formation d’hypnose médicale, mais elle était essentiellement réservée aux personnels hospitaliers.

Dès qu’il enfourche son « vélib’ », il pédale en toute sérénité, empli du plaisir de se retrouver bientôt chez lui. L’air frais balaie son visage au rythme des coups de pédales.

Beaucoup de monde profite de cette belle soirée. Les terrasses des cafés sont pleines à craquer ; les gens font même la queue devant certains établissements « tendance ». La circulation est toujours aussi compliquée à vélo dans cette zone prisée par les autochtones qui se mélangent à la masse des touristes plus concentrés sur l’environnement que sur la route. Paris est vraiment une ville fantastique ; toujours animée, il est quasiment impossible de ne pas y trouver son bonheur. Son cabinet est sur une zone plutôt stratégique lui permettant d’avoir un carnet de rendez-vous bien rempli. En prenant le temps de flâner tout en pédalant, il lui faudra une petite demi-heure pour rejoindre son domicile.

 

 

 

 

 

II

 

 

 

Le soleil s’est déjà levé depuis longtemps quand Fabien saute du lit, s’étire tout en se dirigeant vers la salle de bain et se brosse tranquillement les dents. Il a le temps ; son premier rendez-vous est à midi. D’une manière générale, il a peu de rendez-vous le matin. Les « actifs » préfèrent la pause déjeuner ou la fin d’après-midi. Fabien en profite donc pour aller courir une quarantaine de minutes, à jeun, dans le bois de Vincennes à une dizaine de minutes de chez lui. Le matin, il y fait toujours bon, la rosée perle encore sur le feuillage et en cette fin d’été, c’est certainement la période de la journée la plus propice à l’exercice physique. Il croise régulièrement de très jolies mamans qui font leur footing, ce qui ne manque pas non plus d’accroître sa motivation à se lever plus tôt.

Ce matin, il va retrouver son amie Sandrine, une prof de méditation qui enseigne également le Yoga ; coach sportive, elle amène régulièrement des groupes dans le bois pour pratiquer en milieu naturel. C’est pour Fabien l’opportunité de retrouver son amie et de profiter d’un de ses cours de méditation tout en liant connaissance avec des clients potentiels. Il croise souvent avec plaisir d’anciennes clientes qu’il a orientées vers les cours de Sandrine. Dès que possible, Fabien fait de la pub pour ses amis dont il connaît les compétences dans des domaines différents du sien, mais fort complémentaires. Quand il pense ne pas pouvoir travailler efficacement avec certains patients, il n’hésite pas à les confier à son mentor, Alexandre qui lui rend la pareille plus par sympathie que par réelle nécessité puisqu’il maîtrise parfaitement tous les champs de la spécialité, ce qui n’est pas encore le cas de Fabien. Quand les motifs d’une demande « résonnent » trop pour le praticien, il est en effet plus judicieux de ne pas prendre en charge l’accompagnement pour le bien-être du client et la préservation du thérapeute.

Au bois, le temps passe si vite… il doit allonger la foulée pour ne pas être en retard ; il efface facilement les deux cents derniers mètres qui l’amènent à son point de rendez-vous. Les pompiers de Paris ont toujours été réputés pour leurs qualités physiques exceptionnelles.

Quand il atteint la petite clairière, il aperçoit le groupe de Sandrine qui commence à s’installer sur l’herbe encore humide. La plupart des habituées apportent une serviette ou un tapis de sol, permettant de reconnaître les novices qui se retrouvent généralement à même le sol ou sur leur veste !

— Comment vas-tu, ma belle ? dit-il en embrassant Sandrine sur la joue.
— Toujours un plaisir de voir un beau et jeune garçon rejoindre mon groupe.
— Tu me flattes, lance-t-il en rigolant.
— Beau oui, mais jeune ! J’approche de mes 42 ans rapidement.
— Et toujours célibataire ! lui répond-elle, haussant la voix, sans crier, mais suffisamment fort pour que tout son groupe l’entende.
— Bon ! merci pour cette annonce discrète… Maintenant, toutes les femmes du bois de Vincennes connaissent ma situation sentimentale… sourit-il gentiment.

Sandrine est vraiment top, d’une forme olympique pour ses soixante-trois ans ; cette ancienne professeur de sport des écoles, retraitée depuis quelques années a toujours su rester dynamique, en gardant une motivation sans faille. Comme à son habitude, il se met derrière le groupe pour ne pas interférer dans le cours de son amie.

Au bout d’une demi-heure d’étirements intensifs, Sandrine invite le groupe à s’hydrater avant de repartir en footing léger. C’est à ce moment-là que Fabien s’éclipse généralement. Il salue de loin son amie et repart tranquillement.

— Fabien attend, s’il te plaît.

Il revient en trottinant vers elle. Sandrine se tient à l’écart du groupe avec une dame d’une trentaine d’années, peut-être 35 ans, mais pas plus ; en s’approchant, il remarque son visage cerné, même marqué. Une personne qui doit avoir besoin de ses services.

— Je te présente Julie, lui dit-elle en posant sa main sur le bras de cette femme qui est maintenant debout devant lui. Julie a les bras croisés, position qu’il entrevoit comme étant plutôt fermée. Son amie Sandrine est dans une posture plutôt bienveillante vis-à-vis d’elle.
— Enchanté, Fabien.
— De même, Julie.
— Julie suit mes cours depuis un an, tu as déjà dû la croiser ici peut-être.
— Certainement, répond Fabien ; néanmoins, son visage ne lui parle absolument pas.
— Nous nous sommes déjà croisés deux fois, répondit-elle.

Merde, se dit-il, je vais passer pour un mufle… il vient ici pour se détendre et non pour regarder les clientes de son amie. Julie est vraiment jolie, 1 m 75, fine et sportive ; il se demande comment il n’a pu la remarquer. Fabien s’attarde sur elle plus globalement. Elle dégage un mal-être flagrant et tellement de souffrance qu’il a tout de suite envie de l’aider par empathie. Les personnes en difficulté sont son lot quotidien.

Les « poches » sous ses yeux rougeoyant annoncent une dette de sommeil importante, et son regard fuyant témoigne une certaine forme de froideur ou si, comme ayant tellement pleuré, toute forme d’émotion l’avait quittée, abandonnée.

— Ceci dit, j’avais les cheveux plus longs les dernières fois, dit-elle certainement par politesse pour ne pas le mettre plus mal à l’aise.
— Julie, à… je vais vous laisser discuter, elle connaît ta profession et je lui ai longuement parlé de ta pratique et de tes compétences de praticien.

Sandrine s’éloigne, le laissant face à cette femme qui transpire le désarroi ; bienveillant, il essaie de la mettre en confiance en se présentant rapidement.

— Donc Julie, je m’appelle Fabien Morau, je suis sophrologue et praticien en hypnose, mes références sont sur ma page web que je vous invite à consulter, voici ma carte.

Elle prend la carte de visite alors que le groupe de Sandrine est déjà sur le départ. Il ne dispose que de peu de temps pour la renseigner ; d’ailleurs, elle porte son regard en direction de Sandrine pour jauger le temps dont elle dispose afin de ne pas retarder son groupe.

— Je voudrais venir à votre cabinet pour un accompagnement, un cancer qui a été diagnostiqué il y a déjà un certain temps.
— Pouvez-vous m’aider ?
— Oui, madame, je ferai de mon mieux pour vous accompagner.
— Écoutez, je dois y aller, les filles doivent m’attendre, Sandrine m’a dit que vous étiez sur Doctolib4, je prendrai rendez-vous et nous viendrons vous voir.
— D’accord, à bientôt.

Elle rejoint le groupe qui, dès son arrivée, repart en trottinant. Fabien les regarde s’éloigner. L’entretien fut bref, mais la « souffrance » qui émanait de sa personne avait immédiatement attiré son attention ; il avait d’ailleurs été surpris qu’elle lui annonce tout de go vouloir « venir pour un cancer ».

Dans son exercice, il se trouve confronté à des problèmes très divers qu’il s’agisse de bégaiement, de stress, de troubles du sommeil, de gestion de la colère et la liste n’est pas exhaustive. Finalement, ce domaine d’activité véhiculait sa part d’inconnu comme celui de sapeur-pompier qu’il exerçait auparavant.

Même si les maux pouvaient se ressembler, les clients étaient tous différents. Lors du premier rendez-vous, notamment s’il était pris en ligne via la plateforme de réservation, Fabien ne savait jamais quel allait être le « challenge ».

À ses débuts, il gérait lui-même les appels téléphoniques, ce qui lui permettait d’avoir une idée de la motivation du client qui l’énonçait généralement au cours de la communication. Mais sa clientèle augmentant considérablement, il avait dû rapidement s’orienter vers un service de rendez-vous « en ligne ».

Le bouche-à-oreille avait rapidement profité à son cabinet. Il s’était également diversifié en proposant un service par visio-entretien pour les personnes ne pouvant se déplacer. Il effectuait parfois des séances à domicile et, durant le week-end, encadrait régulièrement des séances dans des structures sportives accroissant ainsi sa visibilité professionnelle.

Julie lui avait dit être atteinte d’un cancer, mais il savait que bien souvent le travail ne peut se limiter au strict domaine annoncé par le client ; il s’agit en effet d’aider un individu dans sa globalité et non de se focaliser sur la prise en charge d’une maladie, ce qui sortait de son champ de compétences. Bien sûr, il ne peut être assujetti à une obligation de résultat et n’étant pas maître des paramètres de vie des gens, il ne pouvait faire le travail à leur place. Car oui, il y a un travail personnel que les clients doivent accepter, au moins prendre en compte en venant le consulter… Une prise de conscience indispensable pour commencer à changer. Le fait d’entreprendre la démarche constituait déjà un bon début.

Fabien adorait toutes les facettes de son métier et se lançait dans tous les accompagnements, surtout ceux difficiles, comme pourrait l’être celui de Julie.

Néanmoins, il évitait de prendre en charge les enfants, probablement en raison d’un passé difficile dont il n’avait pas fait le deuil comme l’évoquait fréquemment son ami et mentor, qui avait essayé de travailler avec lui maintes fois sur le sujet pour l’accompagner. Fabien n’avait jamais souhaité poursuivre. Peut-être n’était-il pas prêt : un paradoxe pour quelqu’un qui choisit d’aider les autres, mais refuse de l’être ?

Alexandre avait été son formateur ; les deux hommes avaient directement « accroché » alors que rien ne paraissait les y prédisposer ! Auparavant, professeur de français, Alexandre avait tout lâché pour sa passion qu’il pratiquait depuis vingt ans. Fabien avait adoré son approche pédagogique ; fort de ses années d’enseignements, il avait une prestance, une telle facilité à communiquer, à se synchroniser avec les gens, qu’il captivait tout son auditoire.

Tout était simple avec lui, ses capacités à manier la langue française acquises tout au long de sa carrière d’enseignant faisaient de lui un virtuose des inductions, un conteur d’histoires hors pair. Sa voix, son « terpnos logos » comme le diraient les sophrologues (mais qui pour le coup n’avait rien à voir avec celui de l’hypnose, plus vivant, plus dynamique), couplé à chaque mot qu’il employait de façon précise, amenait ses patients aux effets désirés pour qu’ils puissent travailler dans la transe la plus efficace possible. Il maîtrisait parfaitement les facettes de sa profession, de cette passion qui l’animait depuis si longtemps et dont il avait fait un style de vie. L’Éducation Nationale avait grincé des dents aux débuts lorsqu’il avait fait quelques démonstrations à ses élèves. Mais il avait su démontrer l’efficacité de son panel technique auprès d’élèves en difficultés comportementales. Sa femme l’avait persuadé de franchir le cap d’une disponibilité après tant d’années dans la fonction publique pour donner un autre sens à sa vie, celui pour lequel il était fait.

Alexandre avait poussé Fabien à s’orienter vers l’accompagnement personnel à l’issue de sa carrière chez les pompiers de Paris. Le potentiel important de son élève avait rapidement éveillé son intérêt. Ce dernier avait toutes les qualités requises pour être un bon praticien. Il faisait partie de ces personnes qui avaient pour vocation d’aider leur prochain ; son cursus professionnel chez les pompiers en était la preuve, même si aller au feu avait toujours été la partie préférée de son métier. Lui qui ne jurait que par cela pendant quasiment toute sa carrière avait un jour changé d’avis, passé un cap qui avait bouleversé son existence à jamais. Un souvenir amer, une blessure visible qui en évoquait une plus profonde, mais invisible, marquait depuis quelques années, le poignet de sa main gauche.

 

C’est en passant machinalement sa main droite sur son autre poignet qu’il reprit son footing en direction du bois, Fabien voulait profiter de sa fin de matinée pour faire quelques courses avant de partir à son cabinet. Son planning affichait six clients aujourd’hui, une moyenne pour son activité qui tournait plutôt bien.

Sur le trajet de retour vers son domicile, Fabien marque soudain un temps d’arrêt en repensant à la réponse de Julie : « nous viendrons vous voir »… puis il accélère, allongeant progressivement sa foulée, prenant toujours autant de plaisir à parcourir les bois pour s’évader, se défouler.

À défaut d’être addictive, la course deviendrait-elle curative ? Lui qui avait combattu la souffrance toute sa vie en aidant son prochain, y trouverait-il le moyen de soigner la sienne ? Les blessures du cœur sont parfois bien plus douloureuses que celle du corps !

Son ami Alexandre avait été clair depuis le début ; bien que continuant à aider ses patients au cabinet, il ne pourrait s’aider lui-même tant qu’il ne l’aurait pas décidé. On ne peut en effet aider une personne qui ne le désire pas !

Au fur et à mesure qu’il allonge sa foulée, des sensations positives l’envahissent ; il n’y a plus que lui et la nature… le vide intérieur est total… du moins pour l’instant, car tôt ou tard, il faudra bien s’arrêter !

 

 

 

 

 

III

 

 

 

Comme la plupart d’entre elles, la journée de Fabien défile rapidement ; il accompagne deux nouveaux clients venus pour des protocoles différant de son quotidien habituel, une préparation mentale pour le sport et un comédien qui souhaite gérer son appréhension de la scène.

Il a toujours aimé travailler dans l’inconnu ; un job dans lequel rien n’est figé comme c’était le cas de son ancien métier dans lequel il s’était épanoui pendant des années.

Fabien partage son cabinet avec Annie, une kiné qu’il a rencontrée par l’intermédiaire de son mari Pierre, ostéopathe avec qui il participait à divers triathlons. À l’époque, il cherchait un cabinet pour s’installer et Annie avait une grande pièce disponible qu’elle souhaitait louer pour partager les frais.

Ils s’étaient entendus immédiatement et leur amitié perdurait depuis des années au-delà de leur métier. Pierre continuait à le suivre sur les compétitions, mais en tant que binôme. Ils aimaient se retrouver pour partager des soirées apéros tous ensemble dans les bars branchés de la rue de la roquette à deux pas du cabinet.

Pour une fois, sa journée se termine plus tôt ; il est à peine plus de 18 h quand son dernier client part. Les jours raccourcissent, l’automne approche, mais il fait encore beau. Les gens s’affairent en ce dernier jour de vacances scolaires ; demain, c’est le grand jour pour des milliers d’élèves… La rentrée scolaire après deux mois de grandes vacances ! Cette année, elle aurait dû rentrer en 5e… mais la vie en avait décidé autrement.