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N’avez-vous jamais vécu l’expérience troublante de croiser un regard et de ressentir une connivence inexplicable s’installer sans que le moindre mot ne soit échangé ? Un lien étrange, mais indissoluble, irrationnel, mais inébranlable, susceptible de vous entraîner vers des horizons inimaginables, peut-être même jusqu’au Texas. Découvrons, dans ce roman fascinant, l’univers de trois personnages bien différents : une chasseuse d’orage, un rêveur impulsif et un individu au tempérament plus fougueux. Ils se lancent dans une quête où la recherche d’une vérité absolue l’emporte sur tout le reste. Suivons-les dans cette aventure où l’incertitude se révèle être la plus grande certitude de toutes.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Swann Moreau tire les prémices de ce roman au coin d’un feu rouge en région parisienne. À la faveur de ses multiples voyages, l’auteur a su trouver l’inspiration adéquate pour nous faire vivre une aventure littéraire des plus délicieuses.
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Seitenzahl: 252
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Swann Moreau
Les lois de la connivence
Roman
© Lys Bleu Éditions – Swann Moreau
ISBN : 979-10-422-1536-1
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Je dormais nu, face à Dieu. Je me réveillai dans les premières heures du matin. À mes côtés, Nina dormait profondément. J’aimais la voir ainsi paisible, dans ses rêveries. À quoi pouvait-elle rêver ? Y tenais-je un rôle ? Devant me supporter toute la journée, elle s’octroyait sûrement un peu de répit. Mince, je n’étais vraiment pas jaloux, mais elle partageait sans doute sa nuit avec un bel hidalgo ! À coup sûr, Javier Barden, et sa belle gueule cassée, venait l’enlever pour l’emmener voir le coucher de soleil sur les hauteurs de Los Angeles. Éclairage nuit américaine, joliment bleuté, qui faisait la part belle aux ombres enchanteresses. Il arrivait dans une superbe décapotable pour profiter pleinement de la douceur de cette soirée. Nina sortait, vêtue d’une robe légère flottant au vent et découvrant ses jambes exquises. La robe devait être jaune, couleur de la trahison. Elle souriait de la soirée qui l’attendait et prenait place au côté de Javier, s’amusant d’une remarque subtile que l’acteur venait assurément de placer. Ils étaient beaux ces deux-là. La voiture démarrait lentement, Javier ne devait pas être du genre frimeur au volant – pas besoin de ça. Leurs deux crinières prenaient le vent, les Beach Boys amenaient leur coolitude à la scène. Vraiment le beau couple. Mais Javier tourna à gauche pour s’engouffrer sur l’autoroute et sortir de la ville. Ah l’erreur ! L’hidalgo n’avait pas dû lire Moins que Zéro et son célèbre incipit. Ou alors si, mais, en homme trop sûr de lui, il n’avait pas voulu y prêter attention. Et pourtant : « Les gens ont peur de se perdre sur les autoroutes de Los Angeles. ». Les gens ont peur et ils ont bien raison. Ils allaient se retrouver coincés dans les enfers des bouchons de fin de journée. Ah ! ah, les cons !
Je sortis du lit me préparer un premier café, le sourire aux lèvres.
Cela faisait deux semaines qu’on était au Texas. Nina devait y rejoindre un groupe d’étude sur les orages. Elle connaissait bien ses collègues, un groupe de mâles bouillonnants que je détestais sans les avoir jamais rencontrés. La petite troupe profiterait de la saison des orages, dantesques en ces lieux, pour réaliser de beaux clichés zébrés, récolter une multitude de données climatologiques et pondre quelques articles pour des revues spécialisées.
On avait avisé la veille ce petit motel, seul au milieu de l’immensité du Sud. Une longue route droite à l’infini et un motel, le paysage classique dans ce coin des États-Unis. Le gérant nous avait dévisagés, il n’avait pas l’habitude de voir débarquer un jeune couple aux allures citadines. Dans le coin, c’étaient plutôt des routiers en transit ou des ouvriers de passage, venus travailler pour la saison. La région ne filait pas dans le cliché romantique, mais ce genre de coin reculé pousse au mutisme et il n’avait pas posé de question. Il nous avait donné la clef de la chambre, attachée à un vieux fer à cheval. Dans un hôtel à tourtereaux, le fer à cheval aurait aussi pu trouver sa place, mais il n’aurait pas été rouillé. J’étais heureux de cet arrêt après la route interminable que l’on venait d’avaler. Hôtel de charme, vieux rade décrépi, ou motel inquiétant façon Psychose, une seule chose m’importait, disposer d’eau chaude. Je rêvais de cette douche depuis cinq bonnes heures pour me débarrasser de toute ma crasse. Durant la dernière centaine de bornes, elle avait occupé tout mon esprit, laissant au second plan les gargarismes du vieux chanteur folk que la radio locale promouvait. Arrivé dans la chambre, je laissais toutefois la primeur de la douche à Nina qui saurait me récompenser de ma galanterie plus tard, du moins l’espérais-je. Je fumais une cigarette en écoutant le bruit de l’eau de l’autre côté de la fine cloison. Nina reprenait Billie Holliday. Son joli brin de voix me faisait patienter presque avec plaisir.
Ce matin donc, j’attendais que Nina se réveille. Je décidai d’aller laver ma bonne vieille Mustang. Je l’avais récupérée chez un vieux concessionnaire en arrivant sur le sol américain. Le type m’avait présenté une dizaine de modèles, mais j’avais flashé sur cette tranche d’histoire américaine. Elle avait de la gueule et je l’avais aussitôt adoptée. Au bout de deux jours, c’était déjà ma « bonne vieille Mustang », fidèle destrier de mes chevauchées à travers le pays. Depuis mon enfance, j’éprouvais une ambiguïté envers les bagnoles. Je méprisais ces pauvres bougres prêts à tout pour enjoliver leur voiture. Des gars pouvaient se ruiner et ne manger que des pâtes des semaines durant pour installer le dernier système audio. J’en entendais certains balancer des inepties du genre : « tu peux t’en prendre à la nana d’un mec, tu peux insulter sa famille, ses potes ou lui-même, mais putain, tu ne rayes pas la carrosserie de sa voiture : c’est sacré la bagnole d’un homme ». Bref, le genre d’individus à jeter sous les trains. Pour autant, j’avais une forme de fascination pour les Mustangs. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être les images d’Épinal qu’elles véhiculaient. Un vent de liberté que, concrètement, n’importe quel autre modèle pouvait offrir. Mais là résidait la puissance de la publicité et du cinéma. J’avais cette voiture et je la chérissais.
Tout en briquant, je vis Nina émerger en contre-jour dans l’embrasure de la fenêtre de notre chambre. J’oubliai la Mustang et allai la rejoindre. J’étais sot, mais j’avais mes limites.
On passa tout l’après-midi dans la moiteur de la chambre. Nina était assise à la petite table en formica posée dans le coin. Elle portait une tenue légère qui ne me laissait pas indifférent. Ses cheveux détachés me faisaient de l’œil eux aussi. Fumant quelques cigarettes, machinalement, Nina écoutait les bulletins radiologiques spécialisés. Ils indiquaient une violente turbulence qui devait se déclencher incessamment. Elle ne devait retrouver ses collègues que le lendemain, mais elle pressentait une fenêtre orageuse dans la journée et n’aurait, pour rien au monde, manqué cette occasion de glaner quelques clichés d’exception. Dussent-ils amener la frustration de son amant à un point indécent.
Moi aussi donc, j’écoutais les bulletins, mais je n’y prêtais qu’une attention relative. Plusieurs fois dans la journée, j’avais proposé de faire couler le temps avec une bière fraîche ou un cocktail. Mais elle tenait à son état d’alerte optimal si bien que je finis par m’enquiller seul un pack de six. Pendant ce temps, Nina ne bougea pas de sa chaise. Je lui lançais des coups d’œil aguicheurs ou bien racontais une de ces anecdotes drôles et bien senties que j’avais en quantité inépuisable.
Pour moi, elle n’avait pas la moindre idée de ce que je venais de lui dire. Mais pas de problème, avec le temps, on prend plaisir à se parler à soi-même. Les bières fraîches aidaient aussi à cela, reconnaissons-le.
Vers 17 heures, je commençai sérieusement à avoir envie de me dégourdir les jambes. Mais du fait du pack de six, je préférais éviter de conduire et Nina tenait à rester scotchée aux nouvelles célestes. Je proposai alors d’attendre un signe du ciel dans le satin du lit, mais là encore, elle montra un inflexible sens professionnel.
Je me décidai à sortir griller un cigarillo. Ils se consument plus lentement qu’une cigarette classique et j’aimais la densité de leur fumée. Elle se prêtait mieux aux petites sculptures de vapeur que je m’amusais à faire. Accoudé au balcon du motel, j’observais le mauve des sommets lointains se perdre dans un ciel de plus en plus obscur.
Un vent annonciateur du pire se laissait percevoir dans les ondulations des graminées tapissant les alentours. Il apportait une forte odeur de pluie. Il faisait également voltiger, en grosses nuées grises, des milliers de moustiques au-dessus des herbes folles. C’est vrai que c’était beau. Et terriblement impressionnant aussi. Je partageais alors un peu de l’enthousiasme de Nina pour les tumultes des cieux. J’y voyais des allures de batailles d’antan, lorsque deux armées remplissaient de rouge une plaine jusqu’alors sage et tranquille.
Au loin, on commençait à distinguer l’enclume de l’orage, toute menaçante et sombre. Des ombres floues et mouvantes laissaient deviner de lourdes rigoles de pluies sur les contreforts du Pic Guadalupe, le point culminant du Texas.
Soudain, Nina :
Me dépêcher… Vu mon état léthargique, elle en avait de bonnes. Je fis aussi vite que je pus, mais ses cris d’agacement me firent deviner que ce n’était pas encore assez rapide. Elle finit par empaqueter elle-même mes dernières affaires qui traînaient çà et là dans la chambre de l’hôtel et jeta nos sacs dans le coffre de la Mustang. En dix minutes, nous étions sur la route. Et tant pis pour les chaussettes qui devaient traîner derrière la commode.
Nous roulâmes droit devant nous, fonçant vers le noir du ciel, direction plein ouest. La vieille radio crachait Wild Horses des Rolling Stones. La chanson se mariait particulièrement bien avec l’instant. Je ne comprenais que la moitié des paroles, mais je parvenais à m’imaginer une horde de chevaux sauvages galopant sur une grande plaine, fuyant la pluie et le bruit infernal de l’orage dans un vacarme de sabot tout aussi impressionnant. Autour de nous, le paysage ne variait pas tellement : quelques rares cactus piquetaient une morne plaine ocre ; quelques bêtes cailloux aussi. Vraiment, le spectacle était en l’air.
Nina ne parlait pas, elle se réservait pour plus tard, pour quand le moment en vaudrait le coup. J’étais finalement au volant, malgré mes bières de l’après-midi. Nina n’aimait pas particulièrement conduire et puis la route filait relativement droit. Je sentais que les limitations de vitesse n’étaient que des indications subsidiaires dans la tête de ma tendre et chère. Aussi filions-nous à une allure indécente le long de cette longue langue de bitume qui transperçait le désert. J’étais heureux pour ma Mustang qui allait enfin pouvoir s’exprimer pleinement. Il est vrai que j’avais une forte tendance à l’anthropomorphisme, je transférais volontiers mes impressions sur les pistons de ma voiture.
Parfois, je mimais un pas de danse lors des solos de guitare, mais mes désinhibitions semblaient n’amuser que moi. Aussi ne m’enfermais-je que rarement dans mes déhanchés chaloupés. Nina prenait son boulot à cœur, et rien ni personne n’aurait pu l’en écarter. Pas même son tendre amoureux un peu simplet.
Je laissai Nina à ses pensées pour me perdre dans les miennes. Elles étaient plus légères, il faut dire que je les choyais depuis des années. Le long de la route couraient des fils électriques. Était-ce des conducteurs de courant ou de messages ? Je n’avais pas l’expertise nécessaire et m’en moquais bien. Ils étaient cinq à se balancer entre des poteaux régulièrement espacés. Leur ondulation était cyclique et apaisante. J’eus une pensée pour l’endurance des cavaliers des grands espaces, notamment ceux du Poney express, les facteurs de l’époque. Cela avait dû être terriblement humiliant pour eux de se voir ainsi remplacer par ce bête fil. Il réalisait en silence leur travail, ne se plaignant que rarement tout en étant incroyablement plus efficace. Les semaines de chevauchées effrénées d’antan résumées aujourd’hui à quelques secondes. La physique a des aspects agaçants. Côté chevaux, on avait dû cependant apprécier cette bénédiction du progrès. Ils ne mourraient plus littéralement de fatigue après 20 heures de cavale au travers des plaines arides. Cela dit, les hommes auront toujours suffisamment de ressource et d’imagination pour leur trouver un nouveau travail éreintant et cruel.
Sur les fils s’étaient posés quelques passereaux. Ils étaient là à contempler le vide et semblaient s’y plaire. Ils étaient comme de petites notes noires disposées aléatoirement sur cette partition de la modernité. Ayant quelques notions de solfège, je m’amusais à me chanter intérieurement les mélodies que le hasard avait placées sur les fils électriques. Certaines étaient inaudibles, une cacophonie que même Pierre Boulez et ses comparses contemporains n’auraient pas osée. Cependant, certaines étaient légères et innocentes. On aurait pu en tirer quelque chose en ne les retravaillant que très légèrement. Je m’imaginais créant un nouveau courant musical, basé sur les aléas de la nature. J’y pensais, puis passais à autre chose. Le monde de la musique saura m’en excuser. Retour à la route et, comme elle était savamment rectiligne, retour au profil de Nina qui se dégageait en contre-jour.
Si je devais décrire Nina, je dirais qu’à mes yeux, elle est incroyable et sûrement la plus belle de toutes. Maintenant, si je devais la décrire à quelqu’un devant la reconnaître sur le quai d’une gare ou dans une soirée, je serais obligé d’être un tout petit peu plus objectif. Encore que, avec ma description, la personne n’aurait qu’à se pointer et attendre d’être subjuguée.
Nina a de l’allure. Elle a le maintien droit et, malgré sa taille moyenne, paraît très élancée. C’est peut-être sa fierté qui s’exprime ainsi. D’ailleurs, elle doit en avoir à revendre, car elle se faufile également par les pores de sa peau. Cela se traduit par un teint rayonnant et une odeur envoûtante. Elle porte ses yeux en amande, mais ils ne sont pas trop effilés. Elle les a noirs et profonds, à l’image de sa chevelure qui se perd en une multitude de bouclettes. Sa peau a la couleur caramel beurre salé et vraiment, j’insiste sur ce point, elle dégage un parfum incroyable.
Quelques pattes d’oie lorsqu’elle sourit. Elles ne les aiment pas, je les vénère. Quant à sa bouche, que dire, cela frôle le divin ! Le sombre de ses lèvres rehausse la blancheur de ses dents à qui elle impose un garde à vous inflexible.
Sa silhouette oscille entre le voluptueux et la tonicité. Jolies hanches, jolie poitrine, très jolies fesses. Lorsque je le lui dis, elle sourit, faisant apparaître les fameuses pattes d’oie et rendant le tableau encore plus exquis.
Certains hommes affirment n’avoir qu’un type de femme. Si elles ne sont pas blondes, ce n’est pas la peine. Une noire, quelle idée ? C’est assez réducteur et ils devraient se mordre les doigts de passer à côté de toutes les merveilleuses rousses. Mais s’ils sont aussi absurdes et bornés d’esprit, ce n’est au fond que justice. Ils devraient même s’estimer heureux qu’une blonde s’intéresse à leur étroitesse.
D’autres poussent l’idiotie à rayer de leur champ de vision les Capricornes et les Sagittaires. Là vraiment, devant tant d’ineptie, je baisse les armes. D’autant plus que j’avais entendu une histoire autour du décalage astrologique. Ainsi, les signes astrologiques sont des constellations se trouvant sur le zodiaque, une zone couvrant une partie de la sphère céleste. Vous êtes Taureau si, au moment de votre naissance, le soleil se trouve devant la constellation du Taureau. Mais la Terre est capricieuse et ne tourne pas complètement rond. Son axe vertical de rotation n’est pas fixe et elle subit un mouvement de précession. Ce mouvement a induit au fil du temps un décalage et la triplette Soleil, Terre, Zodiaque n’est plus la même qu’au moment où les signes ont été établis. Autrement dit, si vous naissez un 7 mai, vous n’êtes pas Taureau, mais Bélier, car le Soleil, à cette époque de l’année, se trouve en réalité devant la constellation du Bélier.
Pour ma part, je n’avais donc pas de type de femme, j’avais Nina et c’était chouette.
Les premières gouttes de pluie commencèrent à s’écraser sur le pare-brise, lourdes et grasses. Elles formaient de longues traînées dont le vent décidait de la direction. Bientôt, elles disparurent, la vitre finissant par être inondée par leur trop grand nombre. Nina prépara ses appareils photo. Je ne saurais dire ni les marques ni les modèles, mais ils paraissaient imposants, performants et assurément à la pointe de la technologie. Elle me donnait des instructions courtes et précises, telles que je les imaginais provenant d’un chef corsaire au milieu d’une tempête ou à l’amont de l’attaque d’un pavillon ennemi. Les ordres, pour le moment, étaient simples : continuer droit devant et à une allure démente pour nous retrouver au plus vite au cœur de l’orage. Il lui fallait des photos spectaculaires pour accompagner ses récits. À vrai dire, les trois quarts de son boulot dépendaient de ses clichés. Ils étaient la vitrine de son travail et de l’article fourmillant d’informations qui les accompagnerait. Les revues susceptibles d’éditer son reportage ne se laisseraient séduire que par ses photos. C’était triste, mais c’était ainsi. Nina pouvait beau se targuer d’être une des pointures dans son domaine, son nom, dans ce secteur de niche, ne suffisait pas. Il fallait impressionner un public encore trop peu spécialisé.
Le problème avec les longues routes américaines qui traversent les étendues désertiques, c’est qu’elles filent souvent droit devant elles. Aussi, si l’envie vous prend d’aller voir ce qui se passe sur la droite du paysage, vous n’avez généralement pas d’autre choix que de l’imaginer. Cela, c’est pour le commun des automobilistes pour qui, finalement, voir ce qui se passe à droite relève souvent du petit caprice. Avec Nina cependant, la partition est tout autre. Elle ne se questionnait pas sur ce qui pourrait se tramer sur la droite, elle savait que c’était à droite que tout se jouait. Le cœur de l’orage s’y décalait et si on ne prenait pas la direction immédiatement, autant repartir d’où l’on venait et se mettre au lit.
Je commençais à avoir l’habitude de voyager avec elle, aussi ne me lançai-je pas dans un énième débat et, d’un coup de volant précis, fis sortir ma Mustang de sa voie royale.
Sous les roues, les gravillons et les petits cailloux crissaient. Tout l’habitacle était violemment secoué et je dus ralentir un peu l’allure sous peine de retomber trop lourdement sur une pierre un peu plus grosse que les autres. La terre commençait à se transformer en une boue rouge qui ne facilitait pas notre avancée. Je devais en permanence braquer puis contrebraquer pour essayer de maintenir un cap à peu près acceptable. Nina, elle, s’en foutait. Elle regardait le ciel se noircir et son excitation commençait à être palpable. Elle trépignait, me disait d’accélérer, ce à quoi je ne répondais pas. Elle me livra tout à coup un cours sur la manière dont se forment les orages et pourquoi celui-ci était un spécimen incroyable.
L’énorme nuage vers lequel nous nous dirigions tête baissée était un cumulonimbus. Il était incroyablement impressionnant et Nina m’indiqua qu’il s’élevait sûrement à treize kilomètres de hauteur, soit à la limite de la troposphère.
La condensation de la vapeur d’eau autour de très fines particules de poussières appelées noyaux de condensation permet la formation de gouttelettes faisant apparaître le nuage. Mais d’autres poussières existent également, on les appelle des noyaux de cristallisation autour desquels les gouttelettes vont former des petits cristaux de glace. Pour cela, il faut évidemment que la température soit négative, on est alors aux alentours des 5000 mètres. Au-dessus des 6000 mètres, lorsque la température avoisine les -40 degrés, plus besoin de poussière pour permettre à la vapeur d’eau de se condenser, les nuages sont alors un amas de cristaux de glace pure. Les cirrus étaient ainsi mes nuages préférés, car j’y voyais l’essence de la simplicité : un peu d’eau, un peu de vent, circulez.
Pour arriver aux cumulonimbus, la recette est de partir d’un cumulus et de bien doser la cuisson. Si les conditions sont réunies, avec le bon courant d’air chaud ascendant dans un milieu froid, le cumulus grossit et s’élève. À l’intérieur du nuage, les vents peuvent atteindre 150 kilomètres. Les petits cristaux grimpent alors à toute vitesse et se mélangent avec les gouttelettes d’eau. Les deux fusionnent alors pour former des grains de grésil. Les grains de grésils au contact d’autres cristaux et d’autres gouttelettes prennent du volume en étant toujours entraînés par le courant chaud ascendant. Lorsque le poids du grain de grésille est plus fort que le courant d’air, le grêlon retombe. En chutant, il percute violemment d’autres grains de grésils, mais aussi de simples cristaux. Dans le choc, des électrons sont arrachés aux cristaux par les grains de grésils. Ceux-ci se retrouvent donc chargés négativement et, en continuant de tomber, vont se concentrer vers le bas du nuage. Les cristaux deviennent, eux, positifs et, toujours entraînés par le courant chaud, grimpent jusqu’à la tête de l’enclume.
Un côté chargé positivement, un autre négativement, le nuage n’est devenu rien moins qu’une gigantesque pile. L’éclair n’est plus très loin. Mais, pour le moment, l’air, qui est un très mauvais conducteur, empêche le courant de passer. Toutefois, lorsque la tension dépasse les 100 000 volts, l’air ne peut plus lutter et il se fait alors passeur d’électricité. L’éclair est là, déchargeant en une fraction de seconde toute la tension accumulée par le nuage. L’onde de choc produit par l’énergie dégagée s’entendra à des kilomètres à la ronde. Des agriculteurs craindront pour leurs récoltes, des hommes sursauteront dans leur lit, d’autres se rueront au-dehors afin d’admirer le spectacle. Des enfants pleureront, d’autres se verront naître une vocation.
La plupart du temps, les grêlons, en tombant de leur nuage, seront réchauffés par l’air ambiant et fondront avant de toucher le sol. Mais il peut arriver qu’ils soient tellement gros qu’ils n’aient pas le temps de fondre entièrement et qu’ils saccagent tout. Sauterelles célestes. Un quart d’heure peut alors anéantir la moisson d’une saison. Le plus gros grêlon répertorié avait tout de même la taille d’un pamplemousse !
On était enfin en plein cœur de la tempête. Les premiers éclairs avaient éclaté et la pluie se déversait à torrent. La terre n’arrivait plus à absorber toute cette eau et, déjà, une couche d’ocre liquide restait en surface. Je coupai le moteur en espérant ne pas rester enlisé sur place au moment de repartir. Nina s’activait à monter son abri de fortune. Trois piquets maintenant une bâche minuscule sous laquelle elle tiendrait seule. Je restai au sec dans l’habitacle, me demandant si, à moi aussi, il me viendrait une passion qui me pousserait à de tels sacrifices de confort. Finalement je me dis que oui, qu’elle existait déjà et qu’elle se prénommait Nina.
Elle finit d’installer son trépied et commença à déclencher sans relâche. Elle avait un autre dispositif qui prenait automatiquement une photo dès que la lumière d’un éclair était en vue. Mais, de ce que j’avais compris, elle aimait se fier à son instinct. Je regrettai de ne pas avoir préparé un thermos de café. Enfin, décidant de ne pas me laisser abattre, je sortis le réchaud, fis jouer l’arrivée de gaz et formai une jolie couronne de flammes sur laquelle j’assis une casserole d’eau de pluie. Ce serait de l’instantané, mais ça ferait l’affaire. Je déposai une tasse sur les genoux de Nina tout en sachant qu’elle n’en prendrait pas une goutte, trop absorbée par son ciel.
Pour ma part, j’inclinai le siège au maximum et dégustai mon café en tentant de regarder l’orage au travers du parebrise détrempé. Les langues d’eau s’illuminaient sous les éclairs, puis tout redevenait très sombre. Je savais que la batterie de ma Mustang était capricieuse et qu’il valait mieux ne pas trop jouer avec, mais le moment était trop magique pour le vivre sans bande-son. Je remis le contact pour n’allumer que la radio. J’espérai les Doors, ils passèrent un vieux titre soûl de la Stax. Je décidai que ça collait aussi.
Les titres s’enchaînèrent, mes yeux se fermèrent de plus en plus régulièrement. Je ne sais pas combien de temps Nina resta à mitrailler l’infini, mais elle rangea très précautionneusement ses affaires dans le but de ne pas me sortir de ma somnolence. Elle me réveilla par quelques caresses sur l’avant-bras, je me retournai, elle avait l’air réjouie et épanouie.
L’orage était passé. Le sol n’était qu’une mare de boue et mes trois premiers essais pour repartir restèrent infructueux. Les roues patinaient sur place et le moteur chauffait en vain. Je coupai et la regardai. Sans rien dire, nous tombâmes d’accord qu’il valait mieux attendre et que passer le temps dans les bras de l’autre serait la solution.
La nuit suivant notre chasse à l’orage fut incroyable. À croire que Nina, libérée du poids de récolter les photos pour son article, pouvait enfin laisser respirer son corps. Avant de m’endormir, je me rendis compte, dans une joie intense, que je vivais encore avec elle des moments qui supplantaient nos souvenirs passés. Ce sentiment est à chérir plus que tout autre.
Au petit matin, lorsque la femme de ménage frappa à la porte pour que nous laissions place nette, nous étions encore au creux de notre lit d’amour. Ça avait un peu valdingué partout durant la nuit, si bien que la chambre ne ressemblait plus à rien de concret. On avait passé la nuit avec un seul oreiller, le second ayant été envoyé à l’autre bout de la pièce par un de nous deux. Il y avait eu quelques taquineries afin de savoir qui allait s’approprier le seul oreiller restant. On était bon dans ce genre de chamaillerie. Et, comme de coutume, le ton avait viré. Vers la fin, je n’aurais trop su dire si on continuait sous le joug de la plaisanterie ou si cet oreiller était réellement devenu une prise de guerre à posséder absolument. Comme j’étais vraiment crevé et que je devinai que cela ne cesserait jamais, j’abandonnai la partie et lui laissai le polochon. Je ne perdais pas au change. J’avais lové la tête juste sous le renflement de ses seins. Elle n’aimait pas trop cela, car ça lui pesait un peu sur la vessie, mais, encore une fois, nous étions claqués et nous nous endormîmes ainsi.
J’avais honte vis-à-vis de la femme de chambre de laisser notre piaule dans un tel état. On avait pas mal picolé la veille et des bouteilles jonchaient encore la moquette du sol. Je n’en apercevais pas de mon lit, mais j’étais certain de quelques tâches ici et là. Le lit était sens dessus dessous et je ne voyais d’ailleurs aucune trace du couvre-lit. Mon mal de crâne m’empêchait un nettoyage succinct de la pièce. De ma bouche pâteuse, je demandai à la femme de chambre s’il était possible qu’elle repasse plus tard. Un délai d’une vingtaine de minutes nous fut accordé, elle ne pouvait pas faire plus.
Je secouai mollement Nina qui me répondit par un grognement. J’insistai un peu plus, mais le grognement suivant commença à me faire un peu peur et je décidais d’entamer seul le ramassage de nos affaires. Avant cela, je m’octroyai une cigarette dont je ne parvins à fumer que la moitié. Je ne trouvais pas de remède précis à mon mal. Je la jetai dans un fond de tasse et m’activai enfin à la tâche.
Je commençai par le gros œuvre en rapatriant dans un coin toutes nos affaires. Dans le coin opposé, je disposai ce qui appartenait au motel : serviettes, taies d’oreiller, pantoufles ainsi que le couvre-lit, que je trouvais inexplicablement en haut de l’armoire, formaient un joli tas blanc dans lequel je rêvais un instant de m’enfoncer.
Nina émergea enfin pour filer dégueulasser un peu plus la salle de bain.
Je lui en envoyai une dans ses bras grands ouverts avec une précision qui, puérilement, me réjouit.
À 10 h 30, nous ouvrions la porte et quittions notre chambre. Elle était à peu près en ordre et, à part encore quelques paires de chaussettes, nous devions avoir avec nous la quasi-totalité de nos affaires. En passant dans le couloir, je saluai la femme de chambre qui s’attendait sûrement à un désastre et qui me remercierait plus tard en son for intérieur.
On resta une bonne heure à déjeuner. Œuf au plat, bacon et café, je n’avais besoin de rien de plus sinon d’une aspirine. Le café était à volonté et j’en redemandai quatre fois.
Je levai vers elle des yeux las, malgré toute la malice qu’elle essayait de faire passer au travers des siens. Je me servis un verre de jus d’orange, histoire de me donner une contenance et de ne pas sombrer dans son jeu…