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Un récit dramatique avec en toile de fond l'univers de la musique classique.
Dès son arrivée en première année à la Faculté Européenne de Musique de Liège, le jeune et talentueux pianiste Guillaume du Beleck est confronté à un phénomène étrange en début de nuit. Il est attiré hors de sa chambre et se retrouve projeté dans le passé, à Paris, en compagnie des plus célèbres compositeurs tels que Claude Debussy et Maurice Ravel.
Quelque temps après, il comprend la raison de son voyage dans le temps : il doit aider la fille du doyen de la Faculté à sortir du coma.
Mais qui est vraiment cette jeune femme ?
Et comment Guillaume peut-il l’aider sans mettre sa propre vie en danger ?
À PROPOS DE L'AUTEURE
Vinciane Goffin, Liégeoise, est musicienne professionnelle, pianiste, pianiste accompagnatrice et chanteuse.
Riche de nombreuses expériences de chœurs et de musique de chambre, elle enseigne d’abord la formation musicale et le piano pendant une dizaine d’années à l’Académie de musique de Welkenraedt, avant de rejoindre, en 2004, l’équipe pédagogique du Conservatoire Royal de Liège, École Supérieure des Arts.
Curieuse et passionnée, transmettre est, en filigrane, ce qui l’anime. C’est avec cette motivation qu’en tant que professeure de formation musicale générale et spécifique, Vinciane guide avec rigueur et bienveillance les jeunes musiciens venus du monde entier qui parviennent à intégrer ce cursus très exigeant.
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Seitenzahl: 442
Veröffentlichungsjahr: 2023
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LES MAINS FLOUES
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Épilogue
Postface
♫ Liste des œuvres citées dansLes Mains floues♫
Toute reproduction, adaptation et traduction, intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Ces représentations ou reproductions, par quelque procédé que ce soit, constitueraient donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Tous droits réservés.
© Les Éditions Panthère 2023 – CC asbl – Liège/Belgique
www.editions-panthere.com
ISBN : 978-2-931212-06-6
Couverture : Philippe Sombreval
VincianeGOFFIN
ROMAN
Éditions Panthère
ÀGuillaume et Antoine,mes soleils
ÀPaul, pourson amouret son soutien,indéfectibles
À mes parents,
qui m’ont toujours laissée faire mes propres choix
Si vousle voulez,
ce n’estpas unrêve.
TheodorHERZL
– Flippant, non ?
Guillaume dévisagea celui qui venait de lui chuchoter ces mots à l’oreille : un visage poupin, parsemé de taches de rousseur, encadré d’une cascade de cheveux blonds et bouclés,desyeuxvertspailletésd’or,deslèvresmincesétiréesenunsourirelumineux, etuneseulefossette,ducôtédroit,quiaccentuaitencorel’aspectenfantindesoninterlocuteur.
Vuedescoulisses,lascèneétaitinondéedelumière.Lasalle,tristementvide. Les épreuves se déroulaient à huis clos.
EntreràlaFacultéEuropéennedeMusiqueétaitunprivilègeetdesdizaines d’aspirants venus des quatre coins de l’Europe rêvaient de pouvoir y étudier.
Cinqauditeursderenomécoutaientlesnombreux candidats.
UnejeunefillesedébattaitavecuneÉtudedeChopin,aprèsavoirenchaînésanstrop de problèmes le Prélude et la Fugue en fa mineur de Jean-Sébastien Bach, extraits du second cahier du Clavier bien tempéré.
– Unpeu,oui,répondit-il.
Il se sentait pourtant assez serein, ayant eu pas mal d’occasions de jouer, ces derniers temps: dansdes petitessalles,des égliseset au profit d’associations. Bien sûr, le public luiétaitacquisetiln’avaitpasvraimentressentidepressionmais,grâceàcela,sonprogramme était bien rodé.
– Commenttut’appelles?questionna-t-ilàvoix basse.
– Antoine,AntoineDuval.Ettoi ?
– GuillaumeduBeleck.Ravide fairetaconnaissance,Antoine !Tupassesquand ?
– Justeaprès,réponditAntoine,legratifiantd’unemoueterrifiée,puisd’unsourire nerveux.
Ilsécoutèrentensilencelerestedelaprestationdelajeunefille,quisortitdescèneles joues en feu.
– Monsieur Antoine Duval ! appela Barthélemy Lempereur, de sa voix de stentor.
BarthélemyLempereurétaitledoyendelafaculté.C’étaitunhommed’unecinquantaine d’années, de taille moyenne et d’une corpulence qui faisait honneur à sa réputationd’ascète.Ilportaitdepetiteslunettescercléesd’uneélégantemonturedorée, qui soulignaient son teint hâlé et son visage taillé en lame de couteau. Ses cheveux parsemés de fils d’argent laissaient apparaître un début de calvitie de part et d’autre du front et sur le haut du crâne.
Pianiste, compositeur, chef d’orchestre, musicologue et pédagogue, il avait écrit de nombreux ouvrages théoriques et didactiques, et joué ou dirigé dans les plus grandes salles du monde. Liégeois de souche, de parents et de grands-parents originaires de la Citéardente,ilavaitégalementsusemontrersuffisammentinfluentsurleplanpolitique pour que la faculté voie le jour à Liège, alors que Bruxelles, capitale européenne, bien plus prestigieuse, avait été au début bien plus plébiscitée par les investisseurs.
L’école était dès lors devenue son bébé, et le poste de doyen lui était revenu sans que quiconqueytrouveàredire.Sontalent,soncharismeetsonexpérienceétaientinternationalement reconnus.
Tousceuxquiavaienteul’occasiondelecôtoyerl’admiraientautantqu’ilslecraignaient.
Antoine inspira profondément et entra sur scène. Sa démarche était un peu raide. Il salua le jury, régla la hauteur du siège, prit quelques secondes pour se concentrer etcommençaàjouer.IlenchaînadeuxÉtudes.L’unedeFrédéricChopin,l’autred’IgorStravinsky. Ses doigts semblaient survoler le clavier et aucune maladresse ne vint entacher ledébutdesaprestation.IlcontinuaenjouantavecuneétonnantepoésielePréludeetFugue en fa dièse mineur de Jean-Sébastien Bach.
Vinrent ensuite les Jeux d’eau de Maurice Ravel, véritables feux d’artifice aquatiques ! Il termina avec la pièce imposée : Ouvrez les guillemets, de Barthélemy Lempereur, avec laquelle il était moins à l’aise. On le sentait très concentré, sans doute pour assurerlamémoire,carlescandidatsn’enavaienteuconnaissancequetroissemainesauparavant. Même si techniquement c’étaittrès abordable, les limites de chacun seraient perceptibles par les oreilles intransigeantes du prestigieux jury.
Ensortantdescène,ilfitunclind’œilencourageantàGuillaume etluimitsouslenez son index et son majeur entrecroisés pour lui porter chance.
Àl’appeldesonnom,Guillaumemarchajusqu’aupiano,fitlemêmerituelqu’Antoine avant lui, posa ses doigts sur le clavier et s’immergea au cœur de l’univers qu’il aimait tant partager.
Assezdifférentd’Antoinephysiquement,ilavaitàpeuprèslamêmecorpulence,mais desyeuxnoisette etdescheveuxbrunsplutôtcourts,qu’ilébouriffaitsavammentavec un peu de gel.
Ilavaitprisl’habitudedejouersonprogrammechronologiquement,demanièreàce quel’auditoire,quelqu’ilsoit,puissesaisir,sentir dumoins,l’évolutiondesdifférents langages à travers le temps. Il commença donc par jouer le Prélude et la Fugue en sol mineur de Jean-Sébastien Bach.
Après la solennité du Prélude, le sujet de la Fugue, avec ses notes répétées, sonnait comme un grand éclat de rire, à n’en pas douter celui du maître lui-même ! Il continua avecdeuxÉtudesdeFranzLiszt :SospiroetlaRondedeslutins,parfaitementbienmaîtrisées. L’Allegro barbaro, de Béla Bartók, fut le point culminant de sa performance. Guillaume aimait tout particulièrement cette musique. Il se sentait comme un sculpteur devant un bloc de granit. Il savait devoir faire preuve tout à la fois de retenue et d’audace, de sang-froid et d’impétuosité !
CommeAntoine,ilclôturasaprestationaveclapiècedeLempereur,osantsurprendre par son aplomb.
Ilseleva,souriantetheureux. Mais aucun applaudissement. Seul le bruit de son pas résonnaitcontrelesparoisde la sallevide, suivi par le grondementdela voix de Barthélemy Lempereur appelant le candidat suivant…
Flippant,en effet,se dit Guillaume.
Trois jours plus tard dans la même salle, prêtée pour l’occasion par l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège et comble cette fois, furent proclamés les résultats des auditions. Journalistesetphotographes,belgesetétrangers,sebousculaientpour prendre lameilleure photo. Tous espéraient pouvoir annoncer à leurs compatriotes qu’on avait choisi l’un des leurs pour représenter le degré d’excellence au sein de la faculté.
C’estBarthélemyLempereurenpersonnequipritlaparole.Lesflashescrépitèrent.
– Mesdames,Mesdemoiselles,Messieurs,jetiensd’abordàfélicitertouslesconcurrents. Je salue ici le mérite de chacun et de chacune, car je sais combien il est difficile de monter sur une scène, de mesurer son talent à celui des autres, d’essayer de convaincre un jurydeprofessionnelset,parfois,d’êtremisfaceàsespropreslimites.Jesaisaussicombien il est difficile de voir sa candidature rejetée. Néanmoins, je puis vous affirmer que, comme chaque année depuis la création de la faculté, nos choix se sont portés sur les plusprometteursd’entrevous,etàl’unanimitédesvoix.J’encouragelesautresàcontinueràtravaillerd’arrache-piedpourqueleurrêvesoitpeut-être,l’anprochain,àportée de main. Je vous remercie de l’intérêt que vous portez à cette faculté, et me réjouis de vous y retrouver lors des nombreux concerts qui y seront donnés durant cette année académique ! Je m’adresse maintenant aux étudiants admis en première année. Une visite guidée de l’établissement est prévue après le verre de l’amitié qui vous sera offert à l’issue de cette séance. Un minibus vous attend et vous prendra en charge jusqu’au domaine.Enfin,etcommevouslesavez,votrescolaritéàlafacultés’effectueraeninternat. Vous serez autorisés à rentrer chez vous une fois par mois et pendant les vacances scolaires. Plus de détails concernant l’organisation des cours vous seront donnés tout à l’heure !
Le doyen se chargea ensuite d’énumérer les noms des douze chanceux qui allaient pouvoir étudier à la prestigieuse faculté. Tous retinrent leur souffle. La lecture ne dura que quelques minutes et ceux dont le nom n’avait pas été cité affichaient des mines déconfites. Les larmes coulaient même sur le visage de certains candidats malheureux. En effet,onnepouvaitseprésenterauxauditionsquedeuxfois.Siàladeuxièmetentative on était à nouveau refusé, il était impossible de retenter sa chance. Tout espoir d’accéder à la faculté s’envolait définitivement ! Bien sûr d’autres filières existaient, mais c’était un atout considérable de pouvoir inscrire sur son C.V. que l’on avait étudié à la F.E.M. avec les plus grands maîtres.
PourGuillaumeduBelecketAntoineDuval,c’étaitl’euphorie !Ilsétaientadmis! Ils se retrouvèrent à l’extérieur, où ils explosèrent de joie !
– Tu te rends compte, Guillaume ? Je crois que c’est le plus beau jour de ma vie ! Je n’arrivepasàcalmerlesbattementsdemoncœur !J’ail’impressiond’avoirunjoueurde tam-tam dans la poitrine !
Guillaumeritdel’enthousiasmedébridédesonnouvelami.Luiaussiétaitterriblement excité à l’idée de ce qui l’attendait. C’était une nouvelle vie qui commençait. Le début, peut-être, d’une véritable reconnaissance professionnelle !
Maisils’obligeaànepaspenseràça,cartoutrestaitàfaire!Lafacultéétaitl’unedes écoleslesplusillustres,maisilfaudraitsedonnersanscompterpoursatisfaireauxexigences des professeurs. Chaque cours y était important : les cours d’instrumentsbien sûr, mais aussi tous les cours convergents.
– Eh,oh, mon vieux! Tu m’écoutes? Revienssurterre !
C’étaitAntoinequigesticulaitdevantlui.
– Je vais téléphoner à mes parents. Ils doivent être morts d’inquiétude à l’heure qu’il est.Jeleuravaisditquejelespréviendraisdèsquejeconnaîtraislesrésultats,ditGuillaume.
– Tuasraison!Moiaussi, jevaisprévenirmamère !
Armésdeleurtéléphoneportable,ilss’éloignèrentchacundeleur côté.
Filsunique,Guillaumeavaitcommencélepianoàl’âgedesixans,enmêmetempsqu’il apprenait à nager.
Maisils’étaitavérébienplusdouépourlamusiquequepourlabrasse!Avoirlatête sousl’eauleterrifiait,alorsquel’apprentissagedusolfègeletransportaitdansununivers enchanté qu’il découvrait un peu plus chaque jour.
Ilavaitaffirméversl’âgededixansqu’ilseraitpianisteetsesparentsl’avaienttoujours soutenu. C’est par conséquent le cœur rempli d’une incroyable fierté qu’ils accueillirent la nouvelle de son admission à la F.E.M.
Filsunique,luiaussi,Antoinevivaitseulavecsamère,Charlène. Sonpèreétaitdécédéquandil avaitseptans,dansun accidentde voiture.
Arthur Duval était allé fêter, un soir, l’anniversaire d’un collègue et n’était jamais rentré. La police était venue sonner à la porte au beau milieu de la nuit. Réveillé par les cris et les sanglots de sa mère, Antoine était resté tétanisé en haut de l’escalier. Un des policiers l’avait vu et s’était occupé de lui jusqu’à ce que Charlène se calme un peu. Malgré cette terrible épreuve, il avait mené de front l’école et la musique, sans jamais se plaindre, et toujours avec succès ! Dès qu’il rentrait, il se dépêchait de faire ses devoirs etd’étudierpourpouvoirs’asseoiraupiano.Samèrel’avaitsouvententendudéchiffrer, puisrecommencerinlassablementlesmêmestraits,jusqu’àcequ’illesmaîtrise.Parfois, il l’appelait pour qu’elle écoute. Elle voyait alors les mains de son fils virevolter sur le clavier. Même si ellen’y connaissait rien,elleappréciait ces moments de partage. Quand le professeur d’Antoine, à l’Académie, lui avait expliqué que c’était l’élève le plus doué qu’il ait jamais eu et qu’il devrait essayer d’entrer à la Faculté Européenne de Musique, elle n’en avait pas cru ses oreilles !
Antoinedutlaissersonnerplusieursfoisavantque sa mèredécroche.
– Allô?
– Maman? J’aiune mauvaisenouvelle pourtoi…
– …
– Tuvas devoirpayerle minerval exorbitantde la F.E.M. !
– Oh,Antoine !Tune changerasjamais!J’aibiencru quetut’étaisfaitrecaler!
Antoineritàgorgedéployée.Ilaimaitfairecegenredefarceàsamère.Depuisle temps, elle aurait dû y être habituée. Pourtant elle se laissait toujours avoir !
C’était bien son Antoine, ça ! Bientôt dix-huit ans et toujours un gamin ! Elle était un peu inquiète pour le minerval, mais sans doute obtiendrait-elle une bourse ou l’autre, comptetenudelabrillantescolaritédesonfilsetdufaitqu’ellel’élevaitseuledepuisla mort d’Arthur.
Elleraccrochaet,heureusepoursonfils,ouvritunebouteilledePinotnoirpourfêterla nouvelle.
Guillaume et Antoine, encore tout à leur joie, s’étaient rendus ensemble au verre de l’amitié et commençaient seulement à faire la connaissance des autres étudiants de première année,quandledoyenleurprésentaleprofesseurLebreton,bibliothécaireetprofesseur d’histoire de la musique, qui allait être leur guide pour une visite des bâtiments et du domaine de la F.E.M.
AntoineetGuillaumeprirentplacecôteàcôtedansleminibus.Deuxgarçonsprodigieusement identiques s’installèrent face à eux.
– NoussommeslesfrèresTrommer.Moi,c’estEgon!Notremèreestféruedupeintre autrichien Egon Schiele.
– Etmoi,c’estErwin !Notrepère estfanadu verrierallemandErwin Eisch.
– Moic’estGuillaume,etvoiciAntoine.Noussommestouslesdeuxpianistes.Dequel instrument jouez-vous ?
– Du violon, répondit Egon.
– Moi aussi!renchérit Erwin.
– Etvousavezétéchoisistouslesdeux!C’estdingue!Deuxpersonnesdelamêmefamille…, dit Guillaume. Vous faites toujours tout ensemble ?
– Non,pastout!s’exclamèrentlesjumeauxàl’unisson.
Guillaume et Antoine rirent de bon cœur.
Vingtminutesdetrajetplustard,lebuss’arrêtasurunpetitparkingàl’arrièredu domaine.
Le professeur Ernest Lebreton était un petit homme d’une cinquantaine d’années. Les traits de son visage étaient plutôt harmonieux, mais une moustache et une barbichette parfaitement taillées lui donnaient l’air d’un personnage sorti tout droit des livres d’histoire dont il raffolait. Il déambulait comme un canard et sa voix nasillarde laissait penserqu’ilavaitdûenêtreundansuneautrevie!Onenauraitri,s’iln’avaiteularéputation d’être un véritable puits de science, incollable sur l’histoire en général, etl’histoire de la musique en particulier.
Ils’exprimaitenallongeantlessyllabesdecertainsmots,cequidonnaitàsondébit quelque chose de tout à fait exclusif.
– Meeeesdemoiselles et Meeeessieurs, veuillez me suivre ! Je vous signale qu’il est striiiictementinterditdefumerdansl’enceintedelafaculté.Nousallonstoutd’abord nous rendre à la veeeerrière.
La verrière était une immense véranda très lumineuse qui faisait office de petite salle de concert. Ils y entrèrent par l’une des portes latérales. Lebreton les informa qu’elle pouvaitcontenirdeuxcentcinquanteauditeurs,etquelemagnifique trois-quarts-de-queue qu’elle abritait avait été acquis grâce à des mécènes belges. L’arrière de la salle donnait sur le parc. La vue y était imprenable : un véritable écrin de verdure. Travailler sous la verrière était un moyen de profiter de la nature quelle que soit la météo, souvent capricieuse en Belgique ! Elle était située à l’arrière du bâtiment principal.
Celui-ci,flambantneuf,avaitétédessinéparunjeunearchitectetrèsenvogue, digne héritier de Charles-Édouard Jeanneret-Gris dit Le Corbusier.
Toutedeverreetdemétal,lafacultéétaitimplantéedansledomaineuniversitairedu Sart-Tilman, sur les hauteurs de Liège.
Danslehalls’affichaitenlettresd’orunephrasedeBenjaminFranklin:"Tumedis, j’oublie ; tu m’enseignes, je me souviens ; tu m’impliques, j’apprends."
L’édificese composait d’unetrentainedeclasses:cinq,trèsspacieuses,aurez-de-chaussée,réservéesauxcourscollectifs,dixaupremierétage,dedimensionsmoyennes, pour les cours d’instrument et une quinzaine au deuxième étage, plus petites, pour les cours théoriques individuels. Les classes du bas et du premier étage étaient dotées chacuned’unpianoquart-de-queue, deuxd’entreellesenpossédaientmêmedeux, etdeux autres étaient remplies d’une kyrielle d’instruments à percussion ; celles du deuxième étage contenaient des pianos droits,tousd’excellentefacture.Chaqueclasseétaitégalementéquipéedeplusieurspupitres et de matériel hi-fi dernier cri. Les sièges réservés aux étudiants étaient ergonomiques, et les systèmes d’isolation et de chauffage permettaient de maintenir une température constante de vingt degrés hiver comme été.
Le troisième étage était un espace bibliothèque et médiathèque.
Lebreton en vanta l’aspect exceptionnel. Des milliers de partitions, d’ouvrages, de CD et DVD y étaient conservés et cette collection se trouvait enrichie chaque année de dizaines d’exemplairesde toute nature. Tout était mis à la disposition des étudiants gratuitement durant leur scolarité à la faculté. Les professeurs en disposaient également à leur guise. Seuls les anciens étudiants qui souhaitaient continuer à en profiter devaient s’acquitter d’une cautionendébutd’année académique,celle-cileurétantrembourséeenfindecyclesicequi avait été prêté était bien revenu en état, en temps et en heure !
Destablesdetravailtrônaientaucentredelapièce,muniesd’ordinateursdedernière génération.
– Comme vous le savez peut-être, les téléphones portables ne sont paaaas autorisés pendantlasemaine.Parcontre,vouspourrezcommuniqueravecvosfamillesparmail. Suiiiivez-moi ! Je vais maintenant vous faire visiter l’internat !
On y accédait par un tunnel de verre de dix mètres de large, trois de haut et cinquante-six de long. Il étaitdécorédesculpturesmodernes,poséesdepartetd’autre, etdeplantesvertes géantes.
Chacundesdouzepromusn’avaitpasassezd’unepaired’yeuxpourtoutassimilertant l’endroit, tout en restant sobre, était d’une beauté à couper le souffle. Le moindre changement de luminosité au-dehors donnait au tunnel des airs de galerie d’art en perpétuelle évolution. Le soleil venait de pointer le bout de son nez et la lumière captée par lesparoistransparentessereflétaitsurlessculptures,leurdonnantl’airdepersonnages animés.
La tour quitenait lieu d’internat,construitedansle prolongement du tunnel, était d’une allure plus modeste. Elle avait été bâtie exclusivement en pierre du pays, pour donner un aspect plus cosy que le verre qui dominait très largement dans la construction des autres bâtiments. Le rez-de-chaussée ressemblait à une salle de détente comme les autres : fauteuils, distributeurs de boissons et de snacks, baby-foot et billard. Des affiches de concerts passés et à venir égayaient les murs. L’endroit aurait semblé normal s’iln’yavaiteuuneexceptiondetaille:unehorlogedémesurée,ceinted’argent,s’étalant sur toute la surface du plafond.
Sûrementuneidéed’architecte,pensaGuillaume,amusépar l’aspectnonfonctionnelde l’objet surdimensionné.
Au fond de la salle, un ascenseur permettait d’accéder aux étages et au sous-sol. Cinqdessixétagesétaientréservésauxchambres.Lepremierpourlesétudiantsde première année, le deuxième pour ceux de deuxième, et ainsi de suite jusqu’au cinquième.
Chaque chambre, individuelle, était identique : un petit coin salle de bains (douche, évier et WC), un lit et une table de nuit, une penderie, un petit bureau, deux chaises, des étagèresmurales,unpupitreetunpianodroit.Unpanneau"sortiedesecours"indiquait la présence d’un escalier extérieur, pour le cas où un incendie se déclarerait.
Lebreton précisa que, compte tenu de l’exiguïté des chambres, les percussionnistes devraient travailler dans une des salles de classe prévues à cet effet, dans le bâtiment principal. Il signala aux autres que les chambres étaient parfaitement insonorisées et qu’ilétaitdèslorspossibledetravaillersoninstrumentjusqu’àl’heureducouvre-feu, fixéà vingt-trois heures,etdontchaqueprofesseur,àtourderôle,étaitchargédevérifier l’application.
Aprèsquoi, ilpointal’indexverslafenêtred’unedeschambrespourleurfairedécouvrirunesecondetour,jumelledecelledanslaquelleilssetrouvaient,quiabritaitles petits appartements des professeurs.
Lacantineoccupaittoutelasurfacedudernierétage.IlsfurentaccueillisparMaggy,la cuisinière.
Tout y était réglé comme du papier à musique : petit déjeuner entre sept heures trente et neuf heures trente, dîneràpartirdemidijusqu’à quatorze heures,souperentre dix-huitet dix-neuf heures trente.Lesétudiants qui souhaitaient bénéficier d’un régime particulier furent priés de le signaler au plus vite. Le coût des repas était pris en charge parla faculté. Le restedu temps,boissons et collationsétaientdisponiblesaux distributeurs dans le hall d’entrée, mais il faudrait y aller de ses propres deniers !
Maggyparlaitd’unevoixchantante.Sympathiqueetrondouillarde,elleétaittalonnée par un petit chat au pelage immaculé, prénommé Yaourt.
Ilsprirentcongéets’engouffrèrentdansl’ascenseurpourse rendreausous-sol,oùils découvrirent, contre toute attente, une petite salle de sport !
– «Menssanaincoooorporesano»,conclutleprofesseurLebreton,desavoixsingulière.
L’imagination portebien plusloin
quela vue.
BaltasarGRACÍAN YMORALES
Quand Guillaume s’éveilla pour la première fois dans sa chambre de l’internat facultaire,ilnesesouvintpastoutdesuiteoùilétait.Lorsqu’ilse le rappela,soncœurbondit dans sa poitrine et il se leva avec enthousiasme. Il prit une douche, s’habilla rapidement et jeta un œil par la fenêtre. On était le 17 septembre et il faisait anormalement chaud pour la saison. C’était la fin de l’été et, sans doute, les dernières belles journées. Après avoir pris, seul, un copieux petit déjeuner à la cantine, il se rendit à son premier cours d’interprétation.
LeprofesseurBlauweblomel’accueillit,toutsourire.
– MonsieurduBeleck!JesuisIngridBlauweblome.Raviedefairevotreconnaissance! Dix heures précises ! Vous êtes ponctuel et, comme vous le voyez, je le suis également. Qu’allez-vousm’interpréter,cematin? demanda-t-elle en luitendant la main.
Guillaume fut enchanté et un peu troublé. Elle était toute menue et entièrement vêtue de noir. Elle avait la taille fine et d’agréables courbes mettaient en valeur son corps bien proportionné.Ellesedéplaçaitavecunetellelégèretéqu’onauraitpucroirequ’elleétait une ancienne danseuse étoile. Son visage, à peine marqué par les années, était illuminé par des yeux d’un bleu presque transparent. Seuls ses cheveux grisonnants trahissaient un âge plus avancé.
– Enchanté moiaussi,Professeur!ditGuillaume,seressaisissantetluiserrant la main cordialement. Je vous ai amené les Papillons de Robert Schumann et les Jardins sous la pluie de Claude Debussy.
– Toutunprogramme!commenta-t-elle.Trèsbien!Allons-y !
Ilcommençaàjouer,maisBlauweblomegrinçadesdentsetl’arrêtaaprèsledébutdela troisième pièce.
– Monsieur du Beleck… Comment vous dire ? Les Papillons sont… des instantanés, des arrêtssurimage…unehumeur…uneodeur…unesaveur…dessouvenirs, parfoisaussi éphémères qu’un battement de cils, que l’on conserve précieusement comme des trésors, dans un petit coin de sa tête, et qui vous marquent à jamais. Comprenez-vous ce que je vous explique ? Fermez les yeux… Que cela vous évoque-t-il ?
Guillaume s’exécuta.
– Lespremiersflocons…lematindeNoël…leparfumdemamèrelorsqu’ellevenait déposer un baiser sur mon front alors qu’elle me croyait endormi…
– C’estça… Neditesplusrien,maintenant! Jouez! Jou-ez !
Ilremitsesmainssurleclavieret,latêteremplied’images,joualesdouzepiècessans que Blauweblome ne l’interrompe.
Elle souriait.
– L’imagination, Monsieur du Beleck ! Voilà la plus belle qualité d’un interprète ! N’oubliezjamaisça!Ramenez-moicettepièceauprochaincours, jeveuxlaredécouvrir chaque semaine !
Àl’extérieur,leciels’étaitsubitementcouvert,promettantunoragedechaleur comme il y en a souvent en Belgique lorsqu’il fait trop chaud.
Ingrid Blauweblomejaillitdesonsiègecommeundiablesortdesaboîte,pritGuillaumepar le bras et l’entraîna dehors. D’abord surpris, il lui emboîta le pas, curieux.
Unecoupoledenuagesgrissombres’étaitforméeau-dessusdeleurstêtes. L’air était lourd.
Unechaleurmoitelesenveloppait.Lesvêtementscollaientàlapeau. Les oiseaux volaient en rasant la cime des arbres.
Leventselevasubitement.Onentenditdesgrondementsdanslelointain, deséclairs déchirèrent le ciel.
Enfin,lavoûtecélestecreva.Depetitesperless’écrasèrentsur leursjoues.Blauweblome ferma les yeux.
– Écoutez le vent dans les feuilles et regardez autour de vous Guillaume ! Observez commentlanatureaccueillelespremièresgouttes, lesanimauxquifuientl’orageet ceux qui sortent de leur cachette !
Ellesepenchaenavant,sifort queGuillaumeeutpeurdelavoirtomber.Maisiln’en fut rien et elle continua à soliloquer.
– Humezl’odeurdelaterre!Savez-vousquecertainesfleursn’embaumentquequand il pleut ?
Elleseredressa,écartalesbrasetsemitàtournersurelle-même,accueillantl’eau avec délice.
– Fermezlesyeux,Guillaume!Soyezunebranche,uninsecte,unbrind’herbe!Recevez la pluie comme un cadeau !
Guillaumel’imita.L’eauruisselaitmaintenantdansleurscheveuxetsurleurcou. Ils restèrent là un long moment, plantés à l’orée du parc.
Puislapluiesecalmaetlecielsedégageaaussivitequ’ils’étaitplombé.
Le soleil fit bientôt à nouveau son apparition. L’airavaitunpeufraîchi.Unelégèrevapeurs’échappaitdusol,déjàentraindesécher. C’était fini. Le charme était rompu.
Trempésjusqu’aux os,maisexaltés,ilsrentrèrenten classe.
– Jouez maintenant,Guillaume! SOYEZlesJardinssouslapluie !
Ils durent revoir ensemble certains passages. Guillaume mit des mots sur ce qu’il venait de vivre. Il partagea ses sensations, les émotions que l’averse avait fait naître enlui.Ilvenaitdesaisirl’aspectthéâtralquerevêtlamusique, desedétacherducôté "carte postale" de ses interprétations pour leur donner plus de mouvement, de caractère, de relief.
– Bien,allezvous sécher! Jevais fairedemême !À lasemaineprochaine,Guillaume !
– Oui!Merci,Professeur!
Cepremiercoursavaitétésiinattendu, siinsolite!
Il était midi seulement et ces quelquesheurespasséesàlafacultélui donnaient déjàlesentimentd’êtredifférent…
LorsqueGuillaumearrivaàlacantine,ilvitqu’Antoineétaitdéjàlà,accompagné des frères Trommer, Egon et Erwin, et de deux autres étudiantes qu’il avait aperçues la veille dans le minibus. Il alla se servir – au menu : potée liégeoise – et se joignit à eux.
C’est ainsi qu’il fit la connaissance d’Amy, harpiste originaire de Bath, ville située à cent quatre-vingts kilomètres deLondres,enAngleterre,etdeMarieke,flûtiste venuedeHengelo–levillage, pas la ville –, dans la province de la Gueldre, à l’est des Pays-Bas.
– TuavaiscoursavecleprofesseurBlauweblome,cematin?luidemandaMarieke,dans un français quasi impeccable. C’était comment ?
– Mmm…Rafraîchissant!déclara-t-il.
– Ilparaîtqu’elleestbarge,raillaAntoine.
Guillaume haussa les épaules.
– Ilvautmieuxquevousenjugiezparvous-mêmes,conclut-il.Moi,j’aiaimé.
Et après un temps :
– Beaucoupaimé.Etvous?Quelscoursavez-vouseus,cematin ?
Ce fut d’abord Egon qui répondit :
– Pasdecourscematin!Congé!Onenaprofitépourfaireunpetittouràlasallede sport.
EtErwind’imiterlavoixnasillardeduprofesseurLebreton:
– «Menssanaincoooorporesano!»
Tous pouffèrent !
– Ehbienmoi,ditAmy,j’aieumonpremiercoursavecleprofesseur Delbio. Paulo Delbio, considéré comme le pape de la réécriture.
Elleavaitunaccentanglaistrèsprononcéetparaissaitfaireuneffort : d’unepart,pour faire correspondre ses idées avec les mots en français, d’autre part, pour vaincre une timidité manifeste. Elle continua en choisissant soigneusement ses mots.
– Soncoursestbasésurlaanalysisdescharacteristicsdulangageutiliséparuncompositeur ou celles propres à une époque de l’histoire de la music. On reprend ensuite ces différentes characteristics pour écrire une piece qui les mettra en valeur. On apprend ainsi à écrire "à la manière de". Amazing, really!
Antoineavait,quantàlui,assistéaucoursduprofesseurNekrops :Approche,parla pratique instrumentale, des langages contemporains.
C’est Henri Cowell, compositeur américain, qui avait été mis à l’honneur ce matin-là.Le professeur lui avait joué quelques-unes de ses pièces pour piano. Tout d’abord : Aeolianharp.LaharpeéolienneétaitprésenteenEuropesurtoutfinXVIIIe, débutXIXe siècle. Souvent monumentale, elle était placée en haut d’un château ou au sommet d’une colline, et ses cordes, caressées ou secouées par le vent, produisaient alors des sons irréels… Cowell, en faisant jouer l’interprète à l’intérieur du piano, sur les cordes, avait voulu imiter cessonsétrangesquifaisaientrêver.Ensuite, The tides of Manaunaun. Manaunaunétaitle dieu des vagues de la mer dans la mythologie irlandaise. Dans cette pièce, Cowell utilisait des clusters à la main gauche, donnant à l’auditeur l’impression que la marée montait, puis se retirait… Enfin, The banshee ; une fois encore inspiré par la mythologie irlandaise, Cowell faisait découvrir un personnage effrayant : une femme qui apparaissait lorsque la mort allait frapper. Elle poussait alors des cris inhumains qu’il tentait de reproduire, en faisant à nouveau jouer l’interprète directement sur les cordes du piano.
Antoineparlaitavecanimation.Ilavaitmanifestementétéséduit.
– Etdemain,j’aimonpremiercoursavec le professeur Blauweblome!ajouta-t-il.Franchement,après l’intrigant silence de Guillaume, je suis impatient de la découvrir !
Ilpritunair entendu.
– Que vas-tu travailler?demanda Guillaume.
– LapartieaiguëduBœufsurletoitdeDariusMilhaud,danslaversionpourpianoà quatre mains.
Guillaumeéclatade rire.
– Tumeraconteras!conclut-il.
Jen’enseignepas,jeraconte.
Michel de MONTAIGNE
LamatinéedulendemainfutconsacréeaucourscollectifduprofesseurGréfin: Exploration de la notation musicale et exercices pratiques liés à celle-ci.
Ils’agissaitd’uncourstrèsdiversifié.Lavoixytenaituneplaceimportante,maisétait mise en constante relation avec la pratique instrumentale.
Toutdevenaitmatièreàexploiter:lieder,formationsinstrumentalesdiverses,partitions d’orchestre…
VictoireGréfinavait une passion pour son cours etentendaitbienla faire partager à ses étudiants.
Elleparlatoutd’aborddecequ’elleappelaitlegestevocaletd’unedesclésquipermettait de bien le réaliser : la respiration.
– Bien sûr, je sais que vous n’êtes pas tous doués pour l’interprétation vocale, argua-t-elle. Je n’ai d’ailleurs absolumentpasl’ambitiondefairedevousdeschanteurs, maisjeveuxquechacun puisse sentir la conduite d’une phrase de l’intérieur ; qu’il soit capable d’écouter sa propre voix au cœur d’un ensemble, et y percevoir celle des autres. Platon disait : "Chanter, c’est mettre à l’unisson l’air environnant avec l’air intérieur." Sachez encore que j’aime toutes les voix : les voix claires, cristallines, les voix cassées, les voix malades, les voix chaleureuses, sensuelles, les voix de canard et même les vilaines voix !
Pour chaque adjectif qualifiant les différents types de voix, le professeur Gréfin avait modifiélasienne,théâtralisantchaqueépithète,cequiavaitarrachéunsourireauxplus timides.
Ainsi, ils expérimentèrent tous les exercices liés au fonctionnement respiratoire. Ilspoursuivirentavecunéchauffementrythmiqueetvocalquiconsistaitàmémoriseret reproduire individuellement de courtes séquences, qu’ils furent ensuite amenés à superposer pour obtenir polyrythmies et polyphonies.
Ensuite,leprofesseurrepritcertainesdecesséquencesetilfallutlesécrire. Quelques étudiants peinèrent sur cet exercice.
Ils reçurent la partition du Tango, extrait de l’Histoire du soldat de Stravinsky. Les séquencesqu’ilsvenaientdemanipulerenétaientinspirées,etc’estsanstropdemalqu’ils parvinrent à déchiffrer et chanter à deux voix la première partie de l’extrait abordé.
Victoire Gréfin leur parla du vieux conte russe qui avait inspiré Stravinsky : un pauvre soldat qui avaitvendusonâme – symboliséeparleviolon –audiable contreunlivrequiprédisait l’avenir.
IlsécoutèrentensuitedesextraitsdesTableauxd’uneexpositiondeMoussorgski,orchestrés par Ravel : Bydło et La hutte aux pattes de poule (sous-titré Baba-Yaga), au travers desquels ils abordèrent la problématique des instruments transpositeurs.
Madame GréfinleurexpliquaqueMoussorgskiavaitétéinspirépardestableauxpeintsparl’un de ses amis, Victor Hartmann.
LesdifférentespiècesétaiententrecoupéesdePromenades,symbolisantlevisiteurqui déambulait entre les tableaux. Bydłosignifiebétailenpolonais.Lamusiqueillustraitlaforcedecesanimauxquitiraient un chariot.
Le tableau de Hartmann, appelé La hutte aux pattes de poule, était très étrange : la hutte était enfait unehorloge, avec des petitespattesdepoulet attachées àsabase. Le sous-titre, Baba Yaga, évoquait une sorcière issue des contes de fées russes, vivant dans la hutte et dévorant les enfants perdus dans la forêt.
Ilschantèrentlamélodie,puislesbasses,passantd’unecléàl’autreetécoutantles couleurs des différentes familles d’instruments.
Toussortirententhousiasmésparcecoursqu’ilscraignaienttantenarrivant. Guillaume s’était même amusé.
Aprèsle dîner,ilserenditàlabibliothèquepourfairequelquesrechercheshistoriques supplémentaires sur le Net.
Autravaildepuisunevingtainedeminutes,ilsentittoutàcoupsurluiunregardinsistant.Il leva les yeux et vit quela jolie Anka, installéeà une des tables de travail, avait les siens posés sur lui. Elle lui lançait des regards furtifs, puis semblait griffonner sur la feuille devant elle.
Ils ne s’étaient encore jamais vraiment adressé la parole. Aussi choisit-il de l’ignorer et de retourner sur la Toile. Mais il sentait de plus en plus distinctement le regard d’Anka et cela finitpardéfinitivementleperturber.Ildétournaànouveaulesyeuxdel’écran.Cettefois, Anka lui sourit. Troublé, il se leva et alla la rejoindre.
– Salut!lança-t-il.Qu’est-cequetufais?
– Oh…Excuse-moi…Jenevoulaispast’embêter…Tuavaisl’airsiabsorbé…Tonvisage était très expressif et… je t’ai croqué ! avoua-t-elle.
– Pardon?
Elleluitenditsafeuille.Illapritetdécouvritavecsurprisesonvisage,reproduiten quelques coups de crayon.
– Cen’estqu’uneébauche,s’excusa Anka.
– Disdonc,tu esvachement douée!
Ankafuttouchéeparlecompliment.ElleconfiaàGuillaumequepourelle,dessiner, c’était comme la musique : indispensable.
Ilsparlèrentlonguement.Elle n’hésitapasàse livrer.
Elleavaitpassélesquatrepremièresannées de sa vie àCracovie.Safamilleétaitpauvre.LaPologne était un pays où améliorer sa condition sociale était très difficile. Son père avait finalement décidé d’embarquer dans le premier train à destination de l’étranger, avec sa femme et ses deux filles : Cracovie-Berlin puis Berlin-Paris, dans l’espoir d’une vie meilleure. Sans la moindre qualification, mais pourvu d’un courage à toute épreuve, il avait trouvé du boulot à l’usine de construction automobile d’Aulnay-sous-Bois.
– Çaressembleàunemauvaisecaricature,maisc’estlavérité! plaisanta-t-elle.
Unjour,toutelafamilled’Ankaavaitrenduvisiteàuncollèguedesonpère,enconvalescence à la suite d’un accident de travail.
C’était là qu’elle avait pour la toute première fois effleuré le clavier d’un piano. L’épouseduditcollègue,Barbara,musiciennepar plaisir,avaitalorsconstatésonintérêt pour l’instrument et proposé de lui donner gratuitement quelques cours.
Lesyeuxd’Ankas’étaientmisàbrillersifortquesonpèreavaitaccepté.
Fascinéeparlesfacilitésdéconcertantesd’Anka,Barbaral’avaitrapidementconfiéeà un vrai professeur, l’excellente Patricia Delmonte, retraitée du Conservatoire National Supérieur de Paris.
C’étaitellequiavaitassurésaformationetl’avaitinscriteauxauditionsdelafaculté en septembre dernier.
Anka plutinstantanément à Guillaume. Ses yeux céruléens,ses cheveux blonds comme lesblés,sonteintpâle etsonrirecristallin révélaientunepersonnalitégénéreuseetspontanée, drapée d’une touchante timidité. Il aimait ce paradoxe. Anka, qui jusque-là lui avait paru si réservée, respirait en fait la joie de vivre.
Lorsqu’illaquitta,ramenéàlaréalitéparlejourquicommençaitàdécliner,cefutla tête remplie d’étoiles et le cœur plein de papillons…
Lesjournéescontinuèrentdelasorte,sesuivantsansjamaisvraimentseressembler, tant la vie à la faculté était riche en apprentissages et découvertes de toutes sortes.
Guillaume échangeait de longs mails avec sa mère, mais il n’était pas encore rentré chez lui, sur le plateau de Herve, à une trentaine de kilomètres du Sart-Tilman, de peur decassercerythmequiluiréussissaitsibien:courslematinetaprès-midiréservéeau travail personnel.
Il partageait ses pauses avec Antoine, parfois Erwin et Egon, et très souvent Anka. Trois fois par semaine, il se levait tôt pour aller courir, seul – les autres préféraient la salle de sport – dans les allées du parc alentour. Il appréciait tout particulièrement ces momentsdesolitude,quiluipermettaientdeseviderlatêteetluidonnaientdel’énergie pour toute la journée.
Onapprochaitdelami-octobreet,malgrécela,lesoleilpersistaitetlemercureflirtait chaque jour avec les vingt degrés.
Au soir d’une de ces belles journées, éreinté par une après-midi de travail acharné et intensif,Guillaumeallasecoucheretsombrapresqueimmédiatementdansunsommeil réparateur.
Ilétaitenvirondeuxheuresdumatinlorsqu’ilfutréveillépardesbruitsinhabituels.Il ouvrit les yeux et se redressa, tendant l’oreille pour essayer d’en identifier la provenance. Il crut d’abord à des miaulements – peut-être Yaourt, le chat de Maggy, la cuisinière –, mais cela s’avéra beaucoup plus ténu.
Ilseleva,s’approchadelafenêtrerestéeentrouverte,saisitlapoignéeetl’ouvritcomplètement.
Unejeunefillesetenaitsurleperron,vêtued’uneroberougecerise. Elle avait les pieds nus.
Sescheveuxétaientnoirs,enbataille,coupésàlagarçonne. Ses paupières étaient closes et son teint semblait livide…
Desabouchesourdaituneplaintecontinue,monocorde,etàglacerlesang. Guillaume l’interpella plusieurs fois, sans que rien ne se passât.
Uneporteclaquadanslebâtiment.Iltournalatêteversl’intérieuret quandilregardaànouveaudehors,leperronétaitvide : plus aucunetracedela jeune fille aux pieds nus.
Perturbé,il fermala fenêtre.
Ilneserappelaitpass’êtreremisaulit,maislelendemainmatin,lorsqueleréveilsonna, il constata que la fenêtre était grande ouverte. Se souvenant parfaitement de l’avoir fermée,ilselevaprécipitammentetregardaversleperron.Toutétaitcommed’habitudeà cette heure matinale : désert.
Bienquesaisid’unétrangemalaise,Guillaumepensaqu’ilavaitdûrêver.Certains songes peuvent paraître si réels…
Les nuits qui suivirent furent pareilles à la précédente : Guillaume entendait la plainte ininterrompue,selevait,ouvraitlafenêtre etvoyaitlajeunefilleàlaroberougeetauxpieds nus sur le perron de l’internat. Il l’interpellait à plusieurs reprises, sans que jamais elle ne réagisse ; au bout de quelques minutes, elle finissait toujours par disparaître, de manière évanescente, laissant derrière elle un faible halo qui s’évanouissait à son tour. Chaquematin,ilretrouvaitlafenêtredesachambrebéante,alorsqu’ilserappelaittrès clairement l’avoir fermée pendant la nuit.
Angoissé,ilsedemandaàquiparlerdecephénomèneétrange,etdécida finalement deseconfierà Antoine.
Aprèsl’avoirécouté,Antoine,d’ordinairesienjoué,avaitl’airdésemparé.
– Tu ne me crois pas, hein, c’est ça ? Tu crois que je suis dingue ? s’emporta Guillaume.
Antoinepritun momentpourrépondre.Ilchoisitsesmotsavecsoin pournepas blesser son ami qui semblait déjà avoir les nerfs à fleur de peau.
– Écoute,mon vieux,je te crois… Seulement…
– Seulement?
– Ehbien,reconnaisque c’estunehistoire…disons…unpeu… abracadabrantesque…
– Abracada-quoi?
– A-bra-ca-da-bran-tes-que1!C’estunnéologismed’ArthurRimbaud,dit-ild’untonprofessoral. Je m’étais promis de le replacer ! ajouta-t-il, pensant détendre l’atmosphère.
MaisGuillaumen’avaitpaslecœuràplaisanteretlefoudroyaduregard.AlorsAntoine reprit son sérieux.
– Extravagante,situpréfères…Irréelle…
Guillaumes’enflammadenouveau:
– Irréelle?Malheureusement,paspourmoi!Quandjevoiscettefille,jepourraislatoucher !
Antoinelui mitla mainsurle bras :
– Etsijevenaisdanstachambrecesoir?Justeaprèslecouvre-feu…C’estunehistoire de ouf, mais… si cette fille existe, moi aussi je la verrai… et on essayera de lui parler. Ça te va ?
Guillaume soupira.
– Ok!C’estd’accord!
L’après-midileurparutinterminableàtouslesdeux.
Guillaumeneparvenaitpasàseconcentrersursontravail.Sonespritvagabondait pour sans cesse revenir à la jeune fille aux pieds nus.
Ilessayadelire, sansplusde succès.
IlretrouvaAntoineàlacantinepoursouper.Contrairementàleurhabitude,ilsnese joignirent pas aux autres et prirent leur repas rapidement.
Ilsmangèrentsanséchangerunmot.
LorsqueGuillaumeretournaàsachambre,lesaiguillescolossalesdel’horlogedurez-de-chaussée indiquaient dix-huit heures vingt-cinq.
Ilpritunelonguedouche.L’eaubrûlanteluifitdubien.Ilensortitlégèrementdétendu, etdécidad’allersepromenerunmoment.Lesoleiln’étaitpasencorecouchéetleparcoffrait un spectacle magnifique. Le ciel, paré d’orange et de mauve, formait un capuchon mouvantau-dessusdesarbres,quiaffichaientlespremiersstigmatesdel’automne.L’airétait plus frais ces derniers jours, même si la température dépassait encore allègrement les normales saisonnières. Il s’assit au pied d’un chêne centenaire, s’adossa à son tronc et continua à observer le déclin du soleil, qui finit par disparaître derrière les nuages, faisant place à un ultime liseré lumineux, puis à des nuances de bleu de plus en plus sombres. Il se souvint que l’on appelait ce moment de la journée entre chien et loup et se dit que cela correspondait bien à l’ambiance un peu confuse qui s’emparait alors de la forêt : tout ce qui était diurne cherchait à rejoindre un abri et tout ce qui était nocturne n’osait pas encore sortir du sien. Comme si le temps était suspendu…
C’estunpeuapaiséqu’ilregagnasachambre. Vint enfin l’heure du couvre-feu.
Dixminutesplustard,Antoinegrattaitàsaporte.
Ils convinrent que Guillaume se coucherait à la même heure que d’habitude et qu’Antoineresteraitéveilléjusqu’àl’heuresupposéefatidique.Pournepasrisquerde s’assoupir,ilavaitemportéplusieursbouteillesdesodaàlacaféineetuneconsolede jeux portable, munie d’écouteurs.
Il s’installa au petit bureau, identique à celui de sa propre chambre. Guillaume avait un truc pour réussir à s’endormir facilement : il passait en revue les lettres de l’alphabet, en cherchant pour chacune d’elles le nom de trois compositeurs, qu’il classait chronologiquement. Lorsque le sommeil tardait, des variantes étaient possibles : choisir une époque, un pays d’origine, ou un instrument de prédilection ; mais celanes’avérapasnécessaire.IlenétaitàPuccini…Prokofiev…Poulenc,quandilsentit son esprit s’engourdir.
Antoineentenditquelarespirationdesonamiétaitdevenuerégulièreetconstataque celui-ci dormait profondément.
Commechaquenuit,depuisplusdequinzejours,Guillaumefuttirédesonsommeil vers deux heures du matin par une plainte légère, continue et déchirante…
Ilseleva,serappelantqu’Antoineavaitveillépourassisterauphénomène.Illechercha des yeux, l’appela, mais Antoine s’était volatilisé.
Unsilencefigérégnaitdanslachambre. La plainte s’était subitement arrêtée.
Guillaumese précipitaàla fenêtre.Lajeune filleétaitlà, immobile et muette. Illahéla,maiselletournalestalonsetsedirigealentementversleparc,sasilhouette arachnéenne semblant flotter à quelques centimètres du sol.
Ilsepressa dansl’escalier,qu’ildévalaentrombe,ouvritlalourdeportede l’internat et se retrouva sur le perron.
La jeune fille s’était éloignée mais, à son grand soulagement, elle n’avait pas disparu.Illasuivitàbonnedistance,depeurdelafairefuir.Ellecontinuaàmarcher,imperturbable.Ilss’enfoncèrentdansl’obscurité.Guillaumeparvenaitàlasuivresansproblème car il irradiait de son corps un halo de lumière pourpre.
Soudain,ellese figea, exactementàl’endroitduparcoùGuillaumes’étaitarrêtéquelquesheuresplustôt.
Ellerestadedos,maisillavitpointerl’indexversl’arbreauquelils’étaitlonguement adossé…
Subitement,lalumières’estompaetlehalos’effaça.
Letempsd’arriveràsahauteur,iln’yavaitplusrien…Elles’était,unefoisdeplus,dématérialisée.
Tétanisé,Guillaumemitquelquessecondesavantdereprendresesesprits.
Ilrevintsursespas,pestantmentalementcontreAntoine quiluiavaitfaussécompagnie.
Lasonnerieduréveillefitsursauter.Ilsedressapéniblement,encoregroggyparles événements de la nuit. Il se retrouva nez à nez avec Antoine et vociféra :
– Qu’est-ce que tu as foutu, bon sang ? Je croyais que tu étais censé rester avec moi cette nuit.Oùétais-tu?Ils’estpasséquelquechose…Je…Jel’aisuivie…Dehors…dansleparc. On aurait dit qu’elle voulait me montrer quelque chose.
Antoineétaitabasourdi.Guillaumepoursuivit:
– Arrêtedemeregardercommeça!Qu’est-cequetuas,àlafin ?
Antoine prit enfin la parole :
– Je suis resté ici toute la nuit, Guillaume. Et toi, tu n’as pas bougé de ton lit…
Latraced’unrêve n’estpasmoins
réelle quecelled’unpas.
GeorgesDUBY
Délire?Hallucinations?
Mettredesmotssurcequisepassait, peut-êtreserait-cedéjàthérapeutique. Guillaume essayait de comprendre. En vain.
Ilavaitdécidédeselaisserlamatinéepourréfléchir,etprétextéunegrossemigraine.
Audébutdel’après-midi,Ankaétaitvenueluirendrevisite,poursavoirs’ilallait mieux.
Il s’était montré désagréable, presque brutal. Elle était repartie après quelques minutes. Regrettantpresquetoutdesuitedes’êtreconduitdelasorte,ils’étaitjetéàcorpsperdudansledéchiffragede PréludesetFuguesde Bach. Aprèsquatreheuresd’acharnement aupiano,ilse sentit mieux.
Ilrejoignitlesautrespourlesouper.Ankasetenaitunpeuenretrait,encoresonnéepar l’accueil glacial que Guillaume lui avait réservé cette après-midi.
Lorsqu’ellese leva,il la rattrapaet la pritparla main.
– Viens,murmura-t-il.
Ill’emmena marcherdansle parc.
Ilsrestèrentlonguementsilencieux,simplementheureuxdesentirlecontactdela main de l’autre.
Elles’assitdansl’herbe,déjàjonchéedefeuillesroussesetmordorées.
Unelégèrebrisecaressaitleursvisages.Cettefois,l’automneétaitbeletbienlà.Un avisdetempêteétaitlancésurlaBelgiquepourtoutelanuit.Rafalesdeventetpluie battante étaient attendues.
Elle frissonna.
Guillaumes’agenouilladerrièreelleetl’enlaça.Ilrespiral’odeurdesescheveux,desa nuque.
– Excuse-moipourtoutàl’heure,dit-ilenfin.Jenevoulaispasteblesser…Jesuisun peu à cran… Je suis désolé…
Sa voix tremblait.
Ankaselevapourluifaireface.
Sursesjouesperlèrentdeuxlarmesargentées. Il l’embrassa. Furtivement, maladroitement.
Elle sourit.
Ill’embrassaà nouveau. Pluslonguement.
Seslèvresétaientdouces,tièdes,etsalées par leslarmesquiavaientrouléjusqu’à leur commissure.
Elleglissalamaindanssescheveux,luirenditsonbaiseretleretintinterminablement contre elle.
Cesoir-là,Guillaumes’endormitcomplètementapaisé. Malheureusement, ce répit fut de courte durée.
Deuxheures.
Ilouvrelesyeux.Toutsembleréel,maiscettefois ilestconscientderêver. Pas un bruit.
Ilselève,ouvrelafenêtre.Elleestlà. Elle l’attend. Il le sait.
Ildescend. La suit sur leperron.Puisdans le parc.
Il a réduit la distance par rapport à hier et se retrouve à quelques mètres d’elle. Ellesefige.Ellepointeledoigtverslechêne.Ilcroitdistinguerquelquechose. Elle se retourne.
Sespaupièress’ouvrentsurdeuxirislactés. Elle est aveugle.
Guillaumeestpétrifié.Ilal’impressionqu’ilneseraplusjamaiscapablederespirer. Il se ressaisit, recule, trébuche, tombe.
Sacagethoraciqueestdansunétau.Il sent sonsangbattredanssestempes. Il ferme les yeux, parvient à happer une goulée d’air.
Illesrouvre,seremetdebout. Elle s’est évaporée.
Quatreheures.
Lafenêtreclaqua.Guillaumes’éveilla,glacéparleventfroidquipénétraitparlafenêtre ouverte.
Ilseleva. Le parc. Le chêne centenaire.
Ildévalal’escalierjusqu’aurez-de-chaussée.
Ilsortit,laissantbéantelalourdeported’entréedel’internat. La pluie lui fouettait le visage.
Il se mit à courir.
Deviolentesrafalesdevent le freinaientdanssa course.
Essoufflé,ilatteignitlechênecentenaire, lecontourna : letroncdel’arbreétaitcreux. Il glissa la main à l’intérieur. Il ignorait ce qu’il cherchait. Sa main rencontra un obstacle, unobjetrectangulaire.Ils’enempara,lesortitdesacachette.C’étaituncoffreten bois, de la taille d’une boîte à chaussures.
Ille serracontrelui et sedépêchade revenirsurses pas.
Leparcétaitdevenuunenfer.Leventsoufflaitdangereusement.Chaquearbreétaitun tueur potentiel.
Enfin,leperron.Laporte.Ilavaitoubliédelafermer.Ilentradanslehall, puis dans la salle de repos.
Ilclaquaitdesdents.
Il y avait de l’agitationdehors.
Ileut juste le tempsde dissimulerle coffret sousun fauteuil.
BarthélemyLempereursetenaitdevantlui,lesmainssurleshanches,courroucé.
– Jecrois,MonsieurduBeleck,quevousmedevezquelquesexplications,assena-t-il.
Chaque syllabe claqua comme un coup de fouet.
– Jevousattendsàlapremièreheuredansmonbureau.Retournezvouscoucheret,de grâce, séchez-vous ! Vous allez prendre froid !
– Oui,Monsieur.Bien,Monsieur!bredouillaGuillaumeengrelottant.
***
– Vousêtesdevenufou,duBeleck?Allervouspromenerdans leparcenpleinenuit, malgré un avis de tempête. Vous voulez mourir, ou quoi ?
Enremontantdanssachambre,Guillaumeavaitcroiséplusieursétudiantsqui,réveillés par le bruit, essayaient de savoir ce qui s’était produit. Il les avait ignorés. Il avait passé le reste de la nuit à réfléchir à la meilleure stratégie à adopter face au doyenet,depuisqu’ilétaitentrédanssonbureau,ilétaitrestétêtebaisséeetfixaitobstinément ses chaussures.
– Jevousprésentemesexcuses,dit-ilsimplement.Celanesereproduiraplus.
– Maisj’espèrebien,duBeleck!Siçadevaitsereproduire,vousseriezRENVOYÉ,vous entendez ?
– Oui,Monsieur.Je comprendsparfaitement.
– Notreentretienest terminé. Vouspouvezdisposer.
Guillaumeselevaeteutsoudainleregardattiréparuncadreposésurl’appuide fenêtre derrière le bureau du directeur.
Ileutun haut-le-corps.Sesjambesflageolèrent.
– Vousnevoussentezpasbien,duBeleck ?
– Laphoto…derrière vous… Qui est-ce ? parvint-il à articuler.
LesyeuxdeLempereursevoilèrent.Ildétournalatête.Lorsqu’ilrepritlaparole,il avait retrouvé le contrôle de lui-même.
– Ma fille…