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Édouard tente par tous les moyens de lutter contre cette voix qui le pousse à tuer. Mais rien n'y fait. John, chargé de l'enquête, va être amené à découvrir un secret qui va chambouler sa vie...
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Seitenzahl: 137
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Chapitre 1 : Shirva
Chapitre 2 : Anna
Chapitre 3 : Odile
Chapitre 4 : Les autres
Chapitre 5 : Les retrouvailles
Chapitre 6 : Une trace d’ADN
Chapitre 7 : Les kidnappings
Chapitre 8 : Le basculement
Chapitre 9 : Elizabeth
Chapitre 10 : Le journal intime
Chapitre 11 : Ernest
Chapitre 12 : Le secret de famille
Chapitre 13 : Le procès
Chapitre 14 : La reconstruction
Remerciements
HIVER 2000
C’était le mois de décembre. Paris étincelait de ses mille et une lumières. La nuit venait d’engloutir les monuments, faisait de la capitale l’une des plus belles villes du monde mais rendait aussi les rues plus inquiétantes.
Un passant fit un détour par Montmartre afin d’admirer encore une fois ce quartier. Emmitouflé dans un duffle-coat beige, ses yeux enroulés dans une écharpe noire ne se lassaient pas de cet endroit. Bien qu’au cœur de Paris, ce lieu ressemblait étrangement à sa ville natale de province. Ces rues étroites, pavées, ces devantures de magasin sans chichi, lui rappelaient toujours son quartier d’enfance. Il aimait, lorsqu’il flânait, passer devant l’église du Sacré Cœur. C’est là qu’il la vit.
***
Elle pendait nue, suspendue dans le vide, une jambe arrachée, le visage tourné vers le ciel sombre et nuageux de l’hiver. Un filet de sang s’échappait encore de sa bouche entrouverte, crispée sans doute par la douleur. Ses yeux révulsés exprimaient une souffrance encore palpable, induisant un regard rempli de frayeur… Ce regard… Le dernier sans doute adressé à son agresseur. C’était la cinquième victime de ce fameux tueur en série, dont tout Paris parlait.
John, comme tous les matins, prenait son petit-déjeuner en compagnie de sa femme Suzanne et de sa fille Irina. C’était un homme grand et sec, que certains de ses collègues s’amusaient à surnommer « Clint Eastwood ». Sans doute à cause du chapeau dont il ne se séparait jamais, de son loisir à fumer le cigare et de son regard perçant. L’odeur des toasts et du café que lui préparait sa femme lui faisait oublier un instant la folie et le sadisme des hommes. Chaque matin, il se rendait au commissariat, depuis dix ans. Maintenant, il connaissait bien la maison.
Il travaillait dans la police depuis l’âge de vingt-trois ans, après avoir décroché une licence en droit puis le concours d’inspecteur qu’il avait obtenu assez facilement.
Pourtant, malgré toutes ces années, il n’arrivait toujours pas à s’habituer à l’horreur que, maintes fois, son métier lui inspirait. Les meurtres de sang-froid, mais surtout ceux des tueurs en série, ne le laissaient jamais indifférent. Il y avait chez eux une volonté particulière de toucher l’autre. Ils ne se contentaient pas de tuer, d’assouvir leur pulsion ou de céder à leur folie. Ils montraient aussi une certaine fierté de leur geste, délivraient un message en exposant parfois les corps de manière théâtrale et indécente. Quelquefois, un objet laissé volontairement sur les lieux signait leur crime. Ce lieu était comparable à une scène de théâtre, sortie tout droit d’un scénario dont seul le criminel connaissait l’histoire. Au départ, le fait d’assembler un puzzle à partir d’indices le tenait en haleine. Mais depuis quelque temps, la souffrance qu’engendraient ces meurtres lui pesait. Chaque fois, John prenait ça en pleine face, pensant toujours alors à sa femme et à sa fille. « Si cela leur arrivait, mon Dieu ! »
John était particulièrement ébranlé par le psychopathe qui sévissait depuis quatre mois à Montmartre. Une victime par mois, semblable à un rituel. Puisque le mois de décembre débutait, il s’attendait à devoir être confronté à un autre crime. Quand ? Il ne le savait pas. Tout ce qu’il savait, c’est que cela aurait lieu avant que ce mois ne se termine.
— Pourquoi as-tu fait ça ! Pourquoi as-tu fait ça !
Des coups de fouet entrecoupés de cris étouffés exprimaient une souffrance entremêlée à l’eau folle, brûlante et jaillissante de la douche, qui glissait sur ses blessures encore ouvertes et en accentuait la douleur. Il tentait d’expier son péché, se lavant avec une brosse en fer, censée le rendre plus propre, alors qu’elle lui arrachait des bouts de peau.
Après chacun de ses meurtres, c’était toujours le même rituel, le même remord, le même châtiment. Cela pouvait durer des heures entières. Il mettait une couronne d’épines, s’allongeait sur son lit les bras en croix et priait le Seigneur de bien vouloir lui pardonner. Puis, il lisait la bible jusqu’à l’épuisement, s’interdisant de boire, manger ou dormir. Seul son état intense de déshydratation et de fatigue avait raison de ce scénario morbide. Il lui arrivait alors de dormir une journée entière à même le sol puis il reprenait le cours de sa vie, chaque fois avec la même détermination : celle de ne plus jamais recommencer.
Il avait élaboré des stratégies aussi saugrenues les unes que les autres. Il se barricadait chez lui le soir ou demandait à un voisin de l’enfermer la nuit et de ne lui ouvrir qu’au petit matin. Ce dernier, trouvant cela bizarre, refusait.
Édouard était donc libre, libre d’être cruel, libre de tuer à nouveau. Libre…
Quand il se réveillait, et avant de se rendre à son travail, qu’il pouvait quitter à sa guise, il allait à l’église, faisait couler de l’eau bénite sur son front, lavant, pardonnant tous ses péchés puis priait, priait. Cela lui laissait du répit. La petite voix le laissait alors tranquille, celle qui le commandait, le ridiculisait, l’humiliait. Quinze jours en général se passaient ainsi. Il se rendait à son travail puis à l’église et retournait dans sa tanière, la guettant avec inquiétude.
Il avait tout essayé mais elle revenait quand même et gagnait toujours ! La troisième semaine, il le savait, correspondait à son retour. Il l’attendait de pied ferme, décidé à ne pas cette fois-ci se laisser faire !
John le sentit et devina à la tête de ses collègues qu’un nouveau crime avait eu lieu. L’avantage est que, lorsqu’on travaille avec des coéquipiers depuis des années, on apprend à lire leurs pensées et leurs émotions, en observant l’expression de leur visage, de même qu’un vieux couple le ferait. L’un devenait plus sombre ; l’autre, le débutant, rayonnait, ravi de pouvoir faire ses preuves sans doute. Et son bras droit, lui, prenait toujours un air neutre « d’homme des pompes funèbres ». Il n’avait même pas besoin de l’entendre, il le savait :
— Il a récidivé, John. On a un cadavre à Montmartre ; un badaud a appelé !
— Ok, on y va ! lança John.
— C’est un fou, ce mec. Il faut qu’on l’attrape avant que les médias ne se déchaînent ! Le patron devient nerveux. Le préfet l’a appelé ; il veut des résultats !
— Des résultats, des résultats, comment ? On trouve jamais rien. Un pro, ce psychopathe ! maugréa John. Mais il finira par faire une erreur. T’inquiète pas ! Et le patron, je m’en charge !
À peine avait-il fini sa phrase qu’ils étaient sur les lieux du crime. Le médecin légiste l’examinait.
— Toujours pareil les gars. Il lui a tranché la jambe gauche. Mort par strangulation. L’analyse toxicologique nous dira si elle a été, elle aussi, droguée… Et bingo, le crime est signé : le soldat de plomb est à côté de la victime avec une jambe en moins !
Il montra l’objet fabriqué par le meurtrier auquel correspondait toujours l’organe manquant de la victime.
— Qui est la victime ?
— Elle s’appelle Sherva, elle a vingt-quatre ans, elle habitait le coin. Son sac et ses papiers sont là. On va faire des recherches pour trouver le domicile des parents.
John s’approcha de la victime et fut ébloui par la chevelure rousse qui contrastait avec cette atmosphère sombre et macabre. Il évita de la regarder dans les yeux, soucieux de mieux dormir la nuit.
Il devait prendre de la distance, se créer un périmètre de survie nécessaire pour exercer ce boulot à tel point qu’il ne se sentait plus humain. Mais il y était obligé.
— Ok, dit John, et l’heure de la mort ?
— Pareillement à son habitude, entre 22 heures 30 et minuit.
— Bon, j’attends ton rapport sur mon bureau. J’espère que, cette fois, il y aura des indices ! Je vais interroger l’entourage, les bars du coin afin de savoir s’ils ne l’ont pas vue avec quelqu’un.
— Yves, tu vas chez la victime voir si tu trouves quelque chose. Moi, je vais avertir ses parents.
John devait faire son devoir, celui qu’il détestait le plus : avertir les parents de la mort de leur enfant. Il ne s’habituait pas à la souffrance qu’il allait apporter dans cette famille et savait qu’aucun mot de sa part ne pourrait calmer le tsunami qu’il allait provoquer. Non, aucun mot. Alors, il acceptait les coups de poing, mainte fois mêlés d’insultes ; on lui demandait de sortir, on le traitait de menteur. Tout cela était, il le savait, de la colère non dirigée contre lui mais une réaction normale à ce qu’il venait annoncer. Il était en quelque sorte le messager du tueur, la faucheuse qui tapait à la porte pour annoncer l’indicible, l’impensable, l’innommable. L’homme qui, en une seule phrase, détruisait leur vie.
Pour John, le tueur continuait ainsi d’atteindre l’autre, celui qui n’avait rien demandé. Car une mort est un poison qui va d’organe en organe et John était celui qui actionnait la pompe. Il était celui qui prononçait les mots fatidiques, irréversibles, cruels : votre fille est morte !
John sonna à la porte. C’était une belle maison entretenue, gaie, avec une multitude de fleurs qui accompagnait le visiteur jusqu’à l’entrée. Une femme rousse lui ouvrit avec un large sourire et un regard interrogateur, lumineux, d’un bleu intense.
— Oui ?
Il ôta son chapeau qu’il agrippa nerveusement.
— Vous êtes bien la mère de Sherva Dupont ?
— Oui, que puis-je pour vous ?
— Hum… John hésita toujours puis se concentra afin que ce qu’il avait à dire soit le plus court et le moins brutal possible, même s’il savait que cela le serait. Il ne tourna pas autour du pot.
— Je suis inspecteur de police. J’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer concernant votre fille, Madame. Elle a été retrouvée morte ce matin.
La femme s’écroula sur le sol dans un état de stupeur, respirant à peine, ses yeux devenus d’un bleu transparent, vide, sans plus aucune lumière.
Après de longues minutes, elle réussit à reprendre ses esprits.
— Mais comment cela est arrivé ? Quand ? Où ? Je veux la voir tout de suite.
— C’est le tueur de Paris qui a sévi, Madame.
John vit une lueur indescriptible traverser son regard, tordre son ventre, crisper sa bouche ainsi que tous les muscles de son corps. Elle finit par vomir, secouée par des tremblements. John l’aida à se relever.
Il voyait toujours la dévastation qu’il amenait transformer les visages apaisés qui lui ouvraient la porte en regard vide, sans vie. Ce poison enlevait un bout de leur chair et de leur âme. Bout d’âme qui ne reviendrait jamais. Il le savait. Le tueur ne faisait pas qu’une victime.
— Mon mari n’est pas là, réussit-elle à balbutier.
— Madame, je sais que le moment est mal choisi, mais je dois vous poser quelques questions pour l’enquête.
Elle acquiesça du regard et l’invita à la suivre. Ils traversèrent un sombre couloir le long duquel il put voir de nombreuses photos de famille accrochées au mur. Il rentra dans une vaste pièce arrangée avec goût. Les fleurs du jardin disposées dans de longs vases illuminaient le salon. Une odeur de cire se mêlait au parfum qu’elles dégageaient. John s’assit sur le canapé en cuir qu’elle lui présenta. Il dut se faire violence pour continuer l’interrogatoire.
— Hum, votre fille voyait-elle quelqu’un ? Avait-elle un petit ami ?
— Non justement, je l’incitais à sortir pour qu’elle sympathise avec des jeunes de son âge. Vous savez, elle était très solitaire ! Elle avait envie de rencontrer quelqu’un… Mais elle était très sauvage… Maintenant elle ne connaîtra plus jamais personne… Oh mon dieu, ma petite fille ! Non !
Ses sanglots étaient entrecoupés de spasmes.
— Bien, je vous conseille de ne pas rester toute seule. Pouvez-vous prévenir votre mari ?
— Oui, il travaille ; oui, sans doute…
— Alors appelez-le et dites-lui de venir. Je vais l’attendre avec vous.
Elle tituba jusqu’au téléphone. Elle prit le ton le plus neutre possible, tentant de cacher difficilement l’émotion qui la submergeait. Elle demanda à son mari de la rejoindre. Elle ne voulait pas le lui annoncer au téléphone, craignant un accident de voiture. Puis elle raccrocha tel un automate, le regard dans le vide.
Son mari arriva rapidement, pressentant qu’il y avait quelque chose de grave car sa femme ne l’appelait jamais au travail. John entendit les pneus crisser, depuis le salon où ils l’attendaient.
Il entra. À l’annonce du drame, il prit une chaise et la fracassa contre une belle vitrine de laquelle des tas de livres bien rangés, ordonnés, alignés s’affalèrent à terre, pêle-mêle, au milieu des morceaux de verre. Puis il se précipita vers sa femme. Ils se serrèrent fort afin de se donner tout le courage et toute la force vitale qu’ils savaient que cette épreuve allait leur demander. Après la rage venaient l’anéantissement et la perte de toute vie intérieure, la torpeur. John, messager du tueur, venait de dévaster deux personnes.
Il rentra au commissariat. C’était la pause déjeuner. Il alla Au bistrot d’en face. Aujourd’hui, il ne rentrait pas chez lui, refusant d’amener sous son toit l’aura de cette terrible histoire. Le bar « d’en face » était un petit bistrot qui avoisinait le commissariat. John connaissait bien le patron avec qui, occasionnellement, il se confiait, bien sûr, sans jamais trahir le secret de l’enquête. Cela lui faisait du bien de parler. Le patron, voyant sa tête, savait que sa matinée avait été dure.
C’était un homme robuste, de la taille d’un bûcheron, avec un visage jovial qui inspirait tout de suite de la sympathie. Il avait repris ce bar depuis seulement deux ans et on connaissait peu de choses de sa vie d’avant. Mais peu importe, John appréciait cet endroit et cet homme.
— Dure matinée, John ?
— Oui, le cinglé a encore frappé.
— Dans quel monde on vit ! Tu finiras par l’avoir, John ; tu les as tous !
— J’espère !
— Bon, je te sers comme d’habitude ?
John avait coutume de prendre le plat du jour. L’ambiance du bar le sortait de toute cette horreur et lui permettait d’évacuer. Le brouhaha, le bruit des couverts, la musique irlandaise, les blagues de comptoir, tout cela le calmait.
Il se restaura rapidement et retourna au commissariat.
À peine était-il dans le hall que son patron lui demanda d’un geste brusque de le suivre dans son bureau. John se doutait de la tournure qu’allait prendre cet entretien.
— Bon, il faut que ça avance ! J’ai le préfet et le proc sur le dos et ils veulent DES RÉSULTATS ! Je sais que tu fais tout ce que tu peux, John. T’es un des meilleurs et c’est pour cela que je t’ai mis sur le coup, mais il faut coincer ce tordu, et vite ! Sinon, on va être la risée de tous ! Je vois déjà les gros titres des journaux !
La risée de tout Paris, la risée, pensa John. Mais ce n’était pas la peur d’être ridicule qui le motivait sur cette enquête. Non, c’était de pouvoir arrêter un tueur de femmes, un distillateur de poison, de vies brisées, de vies vides !
Il lui répondit, machinalement :
— Je fais le maximum patron !
Il tourna les talons, aussi sec, de peur d’être davantage questionné sur l’enquête et d’avouer qu’ils n’avaient rien, RIEN… Ou ce type a beaucoup de chance ou il connaît bien les techniques de la police scientifique. En même temps, les filles étaient droguées ; donc il leur était impossible de se défendre et donc de laisser des traces. Pour que ces femmes boivent à leur insu une substance nocive, c’est qu’elles devaient être en confiance. Elles le connaissaient peut-être toutes. Pourtant, elles n’avaient pas le même âge. Elles avaient cependant toutes un point commun : elles étaient célibataires. Le tueur ne tue pas que des brunes, des blondes ou des rousses ; non, il tue des femmes seules. John sentait que cet unique trait commun n’était pas que le fruit du hasard et le mènerait à la solution.