Les Ornements de la femme - Octave Uzanne - E-Book

Les Ornements de la femme E-Book

Octave Uzanne

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Extrait : "Où trouver la meilleure paraphrase du mot Eventail ? Messieurs de l'Académie le définissent par petit meuble qui sert à éventer, Richelet et Furetière optent pour instrument qui fait du vent et ne donnent à ce terme aucun sexe approprié, soutenant que les meilleurs auteurs peuvent écrire sans faillir : un bel éventail ou une jolie éventail. Littré, plus concis, proclame le masculin et fournit peut-être la plus exacte définition dans le vague de cette périphrase..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Argument en faveur de cette édition collective

Le succès n’a jamais tort.

OUIDA.

C’est pourquoi je viens en appel.

O.U.

La Renommée des œuvres aussi bien que celle des hommes arrive le plus souvent par des chemins détournés ; le mérite et la vocation n’y ont souvent influence que comme appoints favorables, et il est curieux de remarquer que ce sont presque toujours, surtout en France, les travaux les plus superficiels d’apparence, les plus frivoles et les plus mondains qui réussissent le mieux à fixer le succès, et même parfois à asseoir la réputation. – Tel auteur que vingt ouvrages de solide érudition ou de diserte philosophie n’avaient pu mettre en relief dans l’esprit public se voit tout à coup acclamé et poussé vers une séduisante notoriété pour quelque petite bluette aimable, mais secondaire, sur laquelle il n’avait embarqué aucune espérance. – Ainsi va la vie, et point ne devons nous en émouvoir ; la facture d’un médiocre vaudeville tissé de pitreries hilarantes consacrera la gloire de quelque vulgaire Grimaud de lettres, alors que d’autre part un écrivain de vague génie ne parviendra point à conquérir la lumière de la publicité ou à trouer le silence de l’éclat de son nom, à l’aide de publications estimables ou de livres nobles, sérieux, téméraires et élevés.

C’est un peu à ce destin ironique et cruel que je dois le succès de cette série de petits opuscules qui parurent successivement, il y a onze et douze ans, sous ces titres de L’ÉVENTAIL, L’OMBRELLE, LE GANT, LE MANCHON.

Je sais bien que ces livres venaient au monde de la librairie avec un luxe inaccoutumé ; ilssortaient des presses avec des grâces nouvelles, des illustrations inédites, des enjolivements merveilleux. – Paul Avril, leur décorateur, s’était, sous ma direction, livré à des débauches d’art mignon, à des orgies de coquetteries picturales et ornemanesques d’un goût à la fois maniéré et exquis ; je n’ignore pas non plus que les femmes auxquelles s’adressaient ces livres albums vêtus de soie et enguirlandés de faveurs devaient, mieux que quiconque d’autre sexe, en apprécier l’élégance et le raffinement, et par là même en assurer le débit. Je pensais toutefois que la gloire de ces keepsakes décoratifs atteindrait principalement l’éditeur innovateur, assez inventif et audacieux pour avoir permis ces mariages de typographie et détaille douce polychrome rompant avec toutes les traditions ordinaires des ouvrages de luxe ; mais je ne me serais jamais imaginé, je l’avoue, que ces petites monographies féminines attireraient sur mon nom une soudaine notoriété aussi grande, et que je deviendrais, par ce temps d’humeur catalogueuse qui pousse à étiqueter tout homme : l’Auteur de l’Éventail.

Cependant, ce fut ainsi que, durant delongs jours, je me sentis immatriculé par l’opinion oiseuse et inconsciente ; ce fut sous ce qualificatif que ma réputation vagabonde s’enregistra pour l’Étranger, et cette féroce estampille, cette épithète de Nessus, je ne suis pas encore bien convaincu de pouvoir absolument m’en faire, comme je le voudrais, de sitôt la complète ablation.

C’est en vain, depuis lors, que j’ai élevé périodiquement près de trente volumes successifs de diverses revues de littérature, d’art et d’encyclopédie, en vain que je me suis essayé à faire revivre l’esprit galant des conteurs d’autrefois, toujours en vain que j’ai produit des études démesurément personnelles et des livres de psychologie féminine ou plutôt de« féminité psychologique » ; quinze publications critiques, esthétiques, historiques n’y ont point suffi, et je me vois souvent encore classé, lorsque je ne m’entends pas verbalement appeler, sous cette étonnante, tenace, inexorable, imbécile dénomination de : l’Auteur de l’Éventail.

Or donc, je l’ai relu tout dernièrement cet Éventail baptismal, j’ai relu également l’Ombrelle, le Gant, le Manchon : les ai consultéspour eux-mêmes, à longue échéance, d’esprit rassis avec une vision critique absolue et nette ; la plume en main, il m’est venu la pensée de les châtier, de les polir un brin, de les distraire de leur cadre enjoliveur, ces livres si fêtés, et, à l’occasion d’une Exposition des Arts de la femme qui vient de s’ouvrir, j’ai pensé, avec une certaine malice subtile, qu’il serait amusant et curieux de les jeter de nouveau à la tête de leur bon public idolâtre.

Seulement, cette fois-ci, ce n’est plus aux iconophiles que je m’adresse, mais à ces lettrés qui prétendent lire, apprendre et connaître. J’ai tenu à accoupler en un seul petit volume portatif ces deux majestueux in-octavo, dont les exemplaires d’édition originale, aujourd’hui rares, recherchés et payés au poids de la vanité ou de la passion bibliophilesque, sont presque tous aux mains d’amateurs qui les ont fait couvrir avec magnificence par les maîtres de la bibliopégie moderne avant de les enfouir, sans doute vierges et inlus, dans la nécropole de leurs vitrines.

Ils apparaissent aujourd’hui, ces livres à succès, sans pompes ni apparat, nus, sobres, humbles, presque Jansénistes, à peine égayés par de légères vignettes, de telle manière qu’ils puissent affronter la lecture, en raison de leur menue science et de leur érudition sautillante et sans apprêt : c’est selon moi un devoir de contrition, d’humilité, de repos de conscience, que de ramener dans la norme du Livre ces fantaisistes chapitres naguère conduits en gala de procession dans un cortège fastueux de gravures polychromes.

En mettant sous les yeux du public, trop souvent ami des impostures de l’opinion, ces divers ouvrages de monographies féminines, dépourvus des somptuosités d’antan qui surent les enorgueillir, il me plaît de lui dire, ainsi que le La Grange des Précieuses de Molière, après qu’il eut ordonné de dépouiller Jodelet et Mascarille de leurs hardes usurpées : « Maintenant, en tel état qu’ils sont, vous pouvez continuer vos amours avec eux tant qu’il vous plaira ; je vous laisse toute sorte de liberté pour cela, et j’espère même que vous daignerez y prendre plaisir. »

Mais ici ni Jodelet ni Mascarille ne sauraient être confondus. Ces livres d’éruditionmadrigalesque et de science galante se complaisent en leur humble tenue d’office ; ils n’ont plus rubans, ni « petite oie », élégances suprêmes ni ajustements du dernier goût ; ils se redressent toutefois avec hauteur dans la fierté de leur simplicité, soucieux de séduire encore par la propre aisance de leurs propos et par l’allure ingénieuse de leur personnalité.

Allons, Cathos !… – Allons, Madelon !… Précieuses maniérées des Bureaux de Réputation, veuillez vous montrer favorables à ces œuvres désillustrées ; si vos yeux n’y ont plus l’espiègle joie des vignettes entrevues à chaque page, votre esprit du moins trouvera dans ces successifs chapitres la quintessence historique de vos ornements préférés. – Moins distraites par les bagatelles hors texte et les commentaires du dessin, vous vous hausserez, croyez-le, au rang des Femmes savantes, et bientôt vous serez abondamment renseignées jusqu’au tréfonds de l’esprit sur ces accessoires de votre beauté délicate, l’Éventail, l’Ombrelle, le Gant, le Manchon.

O.U.

Épître dédicatoire

À MADAME LOUISE ***

… La pomme fut décernée à Cypris. Offrant cet Éventail je dis comme Paris : Il est pour la plus belle.

MILON.

L’Épître dédicatoire s’en va grand erre, Madame, depuis que les auteurs amarivaudés, les gentils poètes de l’art d’aimer, les abbés coquets, les espiègles marquises qui tenaient« petit lever », et surtout les puissantes Altesses sérénissimes, ont rejoint sous l’avalanche des neiges d’antan les douces et frisques souveraines d’autrefois et tous les preux chevaliers des immortelles ballades de maistre Villon. Cette pauvre épître dédicatoire, qui fut, – sinon une basse flatterie salariée, – du moins la plus exquise politesse de l’écrivain d’honneur et son salut le plus courtois, cette épître expressive quiavait tant de grâce et de si jolies manières de style a déjà rejoint les usages surannés de la veille et prend chaque jour une allure plus rococo et plus vieillotte qui la fera bientôt définitivement sombrer dans l’évolution si piteusement progressiste des positivistes de ce temps.

Souffrez cependant, Madame, qu’il me soit permis, en dépit des souris équivoques et, quoi qu’on die, de professer précieusement aujourd’hui en votre faveur le culte des galanteries d’un autre âge et de vous faire ici hommage de ce mignon volume plus littéraire que savant, historié plutôt qu’historique, dans le sens académique du mot, mais écrit avec la sensation d’aisance et tout l’agrément que procure un thème agréable sur lequel la fantaisie trouve encore à semer broderies et arabesques.

Si j’avais écouté les conseilsd’une imagination fantasieuse, j’eusse voulu, afin de vous offrir plus galamment cet ouvrage, m’équiper en coureur de bonnes fortunes, à la manière des amoureux de Watteau et des tendres soupirants de Lancret ou de Pater. C’eût été, vêtu en roué de la régence, sous la dentelle et le velours, heureux de pirouetter sur un talon rouge et de secouer la poudre d’Ambrette ou de Chypre d’uneperruque blonde, qu’il m’aurait convenu de vous surprendre, dans une rêverie vague, sous quelque bosquet plus mystérieux que les anciens berceaux de Sylvie, afin d’accentuer mon cérémonial et de vous réciter quelque joli madrigal de circonstance qui vous eût fait adorablement rougir et surtout agiter votre Éventail avec une grâce de merveilleuse qui se pâme.

Est-il bijou plus coquet que cet Éventail, hochet plus charmant, ornement plus expressif, dans les mains d’une reine de l’esprit telle que vous ? Lorsque vous maniez le vôtre dans les coquetteries des réceptions intimes, il devient tour à tour l’interprète de vos sentiments cachés, la baguette magique des surprises féeriques, l’arme défensive des entreprises amoureuses, le paravent des pudeurs soudaines, le sceptre, en un mot, de votre troublante beauté. Soit qu’il voltige doucement sur les rondeurs émues et satinées du corsage, semblable à un papillon géant butinant sur des fleurs, soit qu’il ponctue l’ironie d’une épigramme ou qu’il accentue le gazouillement rieur des minauderies friponnes, soit encore qu’il masque à demi l’insolence d’un bâillement que provoque la fadeur d’un discours, ou qu’il voile discrètement les roses incendiesqu’allument au visage les brusques aveux d’amour, l’Éventail demeure auprès de vous le plus adorable ornement de la femme, celui qui met le plus spirituellement en relief ses fines manières, son élégance native, son esprit et ses grâces enchanteresses.

Que vous soyez inconstante ou médisante, capricieuse ou curieuse, nerveuse ou voluptueuse, hautaine ou puritaine, câline ou chagrine, l’Éventail prendra toujours l’allure et l’expression de votre état moral : inquiète, vous le fixerez longuement ; indécise, vous le ploierez fébrilement ; jalouse, vous irez jusqu’à le marquer de vos jolies dents d’ivoire ; trahie, vous le laisserez tomber avec accablement ; colère, vous le lacérerez et le jetterez au vent. En toute solitude, en toute désespérance, il restera votre confident, et c’est encore à lui, à votre Éventail, Madame, que je dois aujourd’hui le bonheur de vous dédier ce livre.

C’est à ce bijou léger que je dois d’avoir écrit cette esquisse littéraire ; d’autres l’ont chanté en alexandrins, invoquant les Muses inspiratrices, les Parnassides favorables et ces doctes sœurs qui font si maigrement l’aumône aux pauvres poètes marmiteux. Je n’ai appelé ici que votresouvenir, soleil d’or qui traverse les nuages gris de ma mémoire et qui a fait fuir dans le rayonnement de son sourire la pédanterie, cette vieille fille à lunettes, et la lourdaude érudition dont les amants ne sont qu’impotents bureaucrates aux greffes des littératures anciennes.

Acceptez donc ce volume, Madame, accueillez-le en favori et conservez-le en fidèle : il porte l’ex dono d’un de vos admirateurs qui est aussi un fervent chevalier de l’espérance. Si j’exprime ici des sentiments frileux, c’est que j’ai apprisà mes dépens à ne plus sonner trop haut la fanfare des ambitions du cœur, sachant que les femmes aiment le mystère et que les amours, pour jouer à la main chaude, ne demandent quelquefois que le nid douillet d’un manchon où s’est glissé, en tapinois, un doux billet bien tendre, qui réclame peu, mais qui espère beaucoup, à l’envers du pauvre amant de la Sophronie du Tasse.

L’éventail

Où trouver la meilleure paraphrase du mot Éventail ? Messieurs de l’Académie le définissent par petit meuble qui sert à éventer, Richelet et Furetière optent pour instrument qui fait du vent et ne donnent à ce terme aucun sexe approprié, soutenant que les meilleurs auteurs peuvent écrire sans faillir : un bel éventail ou une jolie éventail. Littré, plus concis, proclame le masculin et fournit peut-être la plus exacte définition dans le vague de cette périphrase : Sorte d’écran portatif avec lequel les dames s’éventent. Sur ce simple mot, il y aurait déjà matière à controverse et tous les Ménage et les Balzac de ce siècle pourraient argumenter pendant de longues dissertations sans parvenir à trancher définitivement la question du petit meuble ou du petit instrument.

L’origine de l’éventail est restée jusqu’à ce jour le plus impénétrable mystère archéologique ; c’est en vain que toutes les plumes ont sondé cette grosse bouteille à l’encre et ont écrit d’ingénieuses compilations très curieusement étayées de documents précieux ou de citations en toutes langues ; le point d’interrogation reste toujours debout comme un diabolique signe hiéroglyphique sur lequel s’escrime l’érudition des archéologues.

L’invention de l’éventail a fait écrire plus de chapitres et de réfutations qu’on ne pourrait croire : Nougaret, sous ce titre qui fut si souvent pris au XVIIIe siècle, l’Origine de l’Éventail, a fait un conte dans le Fond du sac, où il s’écrie ironiquement :

Moi, rimeur ! Comment parler net
De l’Éventail ? Son inventeur, son père,
Quel est-il ? Répondez, confident de Clio :
Instruisez-moi, je crois en vous ; j’espère
Tirer parti de vos in-folio,
Répertoires maudits ! Aucun ne m’endoctrine.
L’un me fait voyager de l’Espagne à la Chine
Et me montre, en cent lieux, ce meuble-là tout fait.
Mais par qui ? Dans quel temps ? Voilà le point. Devine.
D’un feuillage à longs plis l’autre, m’offrant l’effet,
À l’ombre d’un palmier m’endort en Palestine.
Sur l’encyclopédie à huis clos je rumine :
Pour mes cinq cents écus, je n’ai qu’un long feuillet
Qui ne m’en dit pas plus que mon vieux Richelet.
Tenté de m’enrichir, je fouille en vain la mine :
S’il s’y trouve un filon, c’est pour l’abbé Trublet.
Que faire en pareil cas ? que faire ? On imagine.
Allons, soit ; viens, Amour, viens ! Ma muse badine
Sans toi renoncerait à traiter son sujet.

Nougaret fait une fable charmante, semblable par l’imagination à ces légendes qui prêtent à l’Éventail une origine curieuse dans quelques sérails d’Orient où la sultane jalouse donne à sa rivale qui l’insulte, sous les yeux de son maître, un furieux coup de ce serviteur des zéphirs, tandis que, sombre drame, l’eunuque s’approche, se saisit de la belle esclave insoumise et lui trancherait par ordre son col d’albâtre, si l’amour n’arrêtait le cruel au pathétique moment où la décollation s’apprête. Toutes ces gracieuses affabulations que nous retrouverons quelquefois sur notre route ne méritent nulle croyance ; telle cette historiette qui fait naître l’Éventail en Chine bien avant l’ère chrétienne et au cours de laquelle on nous montre la toute belle Lam-Si, fille d’un très puissant et vénérable mandarin, suffoquée par la chaleur dans une fête publique ; s’oubliant jusqu’à retirer le masque qui voilait au peuple ses traits délicats, et se prenant à l’agiter si joliment pour se donner de l’air, que la foule charmée, imitant l’éclatante fille du Ciel, inventa et confectionna aussitôt l’Éventail pour son usage journalier.

Une autre tradition nous apprend que, vers l’an 670, sous l’empereur Tenji, un indigène de Tamba, voyant des chauves-souris ployer et déployer leurs ailes, eut l’idée de faire des éventails à feuilles qui portèrent à cette époque le nom de Kuwahori (chauves-souris). Ce qui nous importe, ou plutôt ce qui importe aux savants flabelliographes ou éventaillographes, ce sont les deux phases distinctes de l’histoire de l’Éventail ; son invention au fond de l’Orient sous forme d’écran rigide, plus tard perfectionné en écran plissé, ayant la cocarde pour transition, et son introduction en Europe si fort discutée, d’après des attributions variées qui donnent l’initiative de cette importation à plus de dix peuples différents.

Dans l’Inde antique, écrit M. S. Blondel dans son Histoire des Éventails chez tous les peuples et à toutes les époques, dans cette contrée que l’on considère avec raison comme le berceau de la race humaine, l’Éventail, fait d’abord de feuilles de lotus ou de palmier, de bananier ou de jonc, était un instrument d’utilité autant qu’un objet de parure. Son nom indoustan est pânk’ha. Les poètes sanscrits en parlent dans leurs descriptions et la statuaire hindoue nous a conservé les formes particulières qu’on lui donnait. « Cette riche litière sur laquelle était couché le monarque Pandore fut ensuite ornée d’un Éventail, d’un chasse-mouche et d’une ombrelle », dit Krishna-Dwapayana, auteur du poème Muhâ Chârata, lequel raconte dans un autre endroit que le roi Nîla avait une jeune fille douée d’une extrême beauté. Cette princesse servait constamment le feu sacré, dans le but d’accroître la prospérité de son père. « Mais, y est-il raconté, la jeune fille avait beau l’exciter avec son Éventail, il ne flambait pas tant qu’elle ne l’avait point ému avec le souffle sorti de ses lèvres charmantes. Le céleste feu s’était épris d’amour pour cette jeune fille admirable à voir. »

Dans toutes les légendes qui tiennent une si grande place dans la littérature de l’Inde, dans tous les récits que les bouddhistes ont empruntés aux écrits brahmaniques, il est question de l’Éventail, et l’on voit de jolies princesses, qui répondent à de doux noms tels que Fleur de Lotus ou Goutte de Rosée, agiter le tchamara ou quelquefois le chasse-mouches (tchaoùnry) avec une grâce parfaite, soit au sortir d’un bain à l’essence de rose, soit dans la voluptueuse attitude du repos sur des carreaux de soie pendant les matinées du mois de Vesâtha.

Le tchamara était un Éventail en mosaïque de plume dont la poignée était de jade, enrichie de pierres précieuses, et qui était assujetti à un long manche lorsqu’il devait être porté dans les cérémonies, comme ces grandes fêtes annuelles de Djaguernauth pendant lesquelles on sortait la statue de Siva, cette troisième personne de la trinité indienne, ce dieu de la destinée et de la mort qui tue pour renouveler, promené solennellement sur un char immense traîné par un éléphant et sous les roues duquel des fanatiques se tapissaient pour être écrasés et broyés avec une étrange résignation à la loi inflexible de la transmigration selon toutes les règles et préceptes du Pratimôkha.

Sur la côte de Malabar, lorsque l’idole principale sort en public, portée sur le dos d’un éléphant magnifiquement orné, elle est accompagnée de plusieurs naïres ou nobles du pays, dont l’emploi est d’éloigner les mouches de l’idole avec des éventails qu’ils portent au bout de cannes fort longues.

Des miniatures indoues, conservées au Cabinet des estampes ou au musée du Louvre, représentent différentes formes d’éventails en plumes de paon ; des chasse-mouches dont les panaches, blancs comme la neige, sont fournis par des queues de buffles du Thibet et des écrans de jonc tressé de diverses couleurs. L’orientaliste Langlès, dans ses Monuments anciens et modernes de l’Indoustan, décrit un bas-relief de la pagode d’Éléphanta, où, derrière la représentation de Brâhma et Indra, un esclave agite de chaque main deux longs chasse-mouches, attribut de la royauté, comme le sont encore l’Éventail et le parasol à sept étages dans le royaume de Siam.

C’est bien dans l’Inde, dans ce pays des Mille et une Nuits, dans cet Orient ensoleillé où tout parle à l’imagination, depuis les trente-six mille incarnations de Bouddha jusqu’aux bizarreries miroitantes d’une architecture unique dans sa richesse décorative, c’est bien dans cette contrée des légendes et des songes qu’il nous plaît de placer l’origine de l’Éventail. C’est là qu’il nous apparaît, manié par de langoureuses danseuses dans un décor splendide, où le soleil fait éclater ses rayons d’or comme un prisme multiple sur la blancheur des minarets de marbre ou sur les dômes de porcelaine émaillée, sur les faïences vernissées des façades, sur de féeriques cortèges où la soie des habits se marie au scintillement magique des armures, aux harnachements constellés de pierreries, aux dorures des palanquins sculptés et incrustés de nacre, d’ivoire ou de pierres précieuses.

Un des plus grands plaisirs réservés aux Indiens fidèles dans le Calaya, qui est un de leurs cinq paradis, est de rafraîchir Ixôra, dieu qui y préside, en agitant sans cesse devant lui de grands Éventails. Dans le chef-d’œuvre dramatique de Kalidâça, la belle et délicate Sakountala, pour laquelle le roi Douchmanta s’était féru d’amour, porte dans ses promenades à travers bois un Éventail de feuilles de lotus : « Chère Sakountala, lui disent deux compagnes occupées à l’éventer avec tendresse, ce vent de feuilles de lotus te fait-il plaisir ? – Mes amies, répond languissamment la fille de la nymphe Mênahâ, à quoi sert de m’éventer ? »

De toutes parts, en un mot, où se portent nos souvenirs littéraires, dans les Indes galantes que tant d’écrivains ont chantées avec l’émerveillement des beautés entrevues, nous retrouvons cet Éventail comme un symbole éternel et charmant de la femme et de la divinité.

Avant de quitter l’Inde, il nous faut cependant parler de ces grands cadres recouverts d’étoffe ou de mousseline, sortes de paravents mobiles, ventilateurs suspendus au plafond des demeures, et nommées pânk’hâs, que des pank’hâ-berdar, serviteurs spéciaux, agitent sans cesse pour rafraîchir l’air des appartements, pendant le sommeil ou la sieste des riches habitants, et leur procurent cette aération intense qui faisait écrire à Guez de Balzac, au XVIIe siècle, cette note curieuse qui nous indique que déjà sous Louis XIII ces éoliens étaient employées : « J’ai un Éventail qui fait un vent dans ma chambre qui ferait des naufrages en pleine mer. » Mais arrivons à la Chine et au Japon, cette patrie de l’Éventail, par un de ces coq-à-l’âne ethnologiques et ethnographiques auxquels nous condamne cette histoire hâtive du petit instrument chéri des dames. Selon M. Blondel, et d’après une pièce de vers du poète Lo-ki, l’invention des Éventails en Chine remonterait à l’empereur Wonwang, fondateur de la dynastie de Tchéou (1134 ans avant Jésus-Christ). Ces écrans primitifs, d’après un passage de Feï-ki-yu-lin, servaient à la guerre d’étendard ou de signe de ralliement, et le général Tchou-ko-liang commandait ses trois corps d’armée en tenant un éventail de plumes blanches. Les premiers furent d’abord faits, il est certain, en feuilles de bambou ou en plumes : on en fit ensuite de soie blanche unie et de tissus de soie brodés, car selon Hai-Tsée, cité par les missionnaires dans leur Mémoire sur la soie, après qu’on eut épuisé tout ce que le génie industriel pouvait imaginer, on arriva à introduire sur les écrans des plumes d’oiseau d’un coloris aussi brillant et aussi changeant que l’arc-en-ciel, et des perles assez fines et assez petites pour se prêter au tissu le plus délicat.

Les premiers écrans chinois eurent d’abord la forme carrée, puis ils prirent l’apparence de larges feuilles de nénuphar. Les Éventails en bambou remontent à l’empereur Houan-ti, de la dynastie des Han (147 à 167 de Jésus-Christ) ; un ou deux siècles après, on les retrouve sous les Tsin, et le Li-tchao-han-lin-tchi nous apprend que l’empereur donnait aux membres de l’Académie impériale, le cinquième jour du cinquième mois, un grand écran rond de bambou sculpté et peint en bleu.

Il nous faudrait des pages et une surabondance de détails technologiques pour aborder ici l’histoire spéciale de l’Éventail, en Chine et au Japon, depuis l’écran à feuilles planes et à feuilles non planes, l’Éventail plissé en cocarde, l’Éventail à gouttière, dont la feuille ne peut recevoir son complet développement, jusqu’à l’analyse des tissus, des plumages et des bois employés pour la confection de tous ces objets d’art. Ce seraient des dissertations infinies sur l’éventail primitif et l’écran plissé, sur les replis, par glissement, des lamelles de la feuille, sur le système indou, byzantin ou chinois proprement dit ; ce sont là études arides qui méritent l’intérêt des antiquaires, mais dont nous nous sauvons par respect pour la littérature, et par courtoisie envers nos aimables lectrices. Au Japon aussi bien qu’en Chine, l’Éventail fait partie intégrante du costume et semble servir à tous les usages ; on le manie familièrement en signe de salutation ; plié et étendu, il devient un signe de commandement. « Les élégants qui n’ont ni cannes ni cravaches, dit M. Achille Poussielgue dans la relation du Voyage en Chine de M. de Bourboulon, agitent leur Éventail avec prétention en se donnant des airs suffisants ; les évolutions que les jeunes filles font faire au leur forment un langage muet, mais significatif ; les mères s’en servent pour endormir leurs enfants au berceau ; les maîtres pour frapper les écoliers récalcitrants ; les promeneurs pour écarter les moustiques qui les poursuivent ; les ouvriers, qui portent le leur dans le collet de leur tunique, s’éventent d’une main et travaillent de l’autre ; les soldats manient l’Éventail sous le feu de l’ennemi avec une placidité inconcevable. Il y a des éventails de deux formes, ouverts ou pliants : les premiers sont formés de lames d’ivoire ou de papier ; ils servent d’albums autographes, et c’est sur un Éventail en papier blanc qu’un Chinois prie son ami de tracer une sentence, des caractères ou un dessin qui puissent lui rappeler son souvenir. Ces albums Éventails sur lesquels sont apposés les sceaux d’hommes illustres ou de grands personnages acquièrent une grande valeur. »

On ferait un curieux opuscule avec l’histoire analytique et pittoresque de l’Éventail en Chine et au Japon, en appelant à soi la poésie, les allégories mythologiques, les romans et comédies de caractère de la littérature asiatique, en mettant en relief des légendes comme celles qui placent l’Éventail dans la main de Tossito-ku, dieu de la prospérité au Japon, ou en reproduisant des petits poèmes comme le Chant d’Automne du poète Thou-fou, qui voit s’agiter dans ses rêves « des Éventails en plumes de faisan, pareils à de légers nuages ». Il y aurait là le comique, le poétique, le dramatique et même l’héroïque ; car le lourd Éventail de commandement en fer ciselé trouverait place dans quelque grande et belle épopée analogue à nos remarquables romans de chevalerie du Moyen Âge.

Dans cet opuscule, il serait question des galants présents semblables à celui que, dans la période Chun-hi des Soung (1174 à 1190), l’empereur fit à l’impératrice de Chine, sous la forme de quatre écrans de jade blanc, dont les manches étaient d’ambre odoriférant. Il serait question aussi de ces artistes merveilleux de l’ancienne Chine, au commencement de l’ère chrétienne, de ce Chi-ki-long, lequel avait acquis une brillante réputation dans la fabrication des écrans appelés Kin-po-mou-nan, et qui battait l’or en lames minces comme des ailes de cigale, les appliquait sur les deux faces de l’écran, les vernissait, y peignait des oiseaux extraordinaires et des animaux rares et collait sur le tout de délicates feuilles transparentes de mica.

On pourrait enfin s’étendre, dans cette histoire spéciale de l’Éventail en Chine et au Japon, sur les différents genres d’éventails plissés et d’écrans à la main, sur ceux faits de laque ou de plumes peintes, sur les Éventails brisés de filigrane d’argent, de santal, de nacre, d’ivoire, sur les écrans de queues de faisans argus, sur ceux de marceline brodée et sur toutes les merveilles de l’industrie asiatique moderne dont M. Natalis Rondot a été le savant et ingénieux analyste lors de notre Exposition de 1851.

Si nous revenons maintenant brusquement aux peuples de l’ancienne Égypte, nous retrouvons le pedum ou le flabellum ; mais nous convenons, avec un écrivain allemand, qu’un rabbin serait plus à même que nous de décider avec certitude, à l’aide de sa Mischna, si ce bouquet de papyrus (Cyperus papyrus) était réellement entre les mains de l’aimable fille de Pharaon, lorsque, se promenant sur les bords du Nil, elle trouva le petit Hébreu Moïse dans une corbeille de jonc.

Le regretté Mariette Bey avait trouvé à Abydos une stèle funéraire qui figure aujourd’hui au musée de Boulaq, laquelle représentait Osiris assis sur son trône, ayant derrière lui un flabellifère du roi nommé Tiou et sa femme Roy qui lui rend hommage prosternée à ses pieds.

La divine et voluptueuse Cléopâtre, cette fille des rois et des dieux, élevée par les prêtresses d’Isis et initiée aux mystères par les mages de Memnon et d’Osiris, cette maîtresse de Marcus Antonius, belle comme Diane, souple comme une Néréïde, plus embrasée du feu amour qu’une Thyade fougueuse, ne dédaignait pas, lorsqu’elle se ruait aux bras de quelque amant, soit le Nubien Pharam mis en scène par Jules de Saint-Félix, soit ce Méïamoun, fils de Mandonschopsch, si bien campé dans une Nouvelle célèbre de Gautier, Cléopâtre ne dédaignait pas, dans ces nuits d’orgie, de se faire éventer par des esclaves favorites munies d’écrans ou de plumes d’ibis imprégnées de senteur, pendant que sur les trépieds fumaient lentement le baume de Judée, l’iris en poudre odorante et l’encens de Mèdes, et que les urnes de vin de Syrie étaient prêtes pour les libations favorables aux amants.

Dans la cosmogonie égyptienne, raconte M. Blondel, l’Éventail était l’emblème du bonheur et du repos céleste ; on s’explique alors pour quelle raison, dans les triomphes, les chars ou palaquins sont représentés environnés d’Éventails ou de rameaux fleuris. Un grand nombre de monuments indiquent en quoi consistaient la forme et l’ornementation de ces flabella. Citons d’abord les peintures murales de Beni-Hassan, où une femme debout agite un Éventail carré derrière une harpiste. Les fresques du palais de Medinet-Abou à Thèbes montrent également le Pharaon Ramsès III, dit le Grand (1235 avant notre ère), dont l’entourage porte d’élégants écrans de forme demi-circulaire peints de couleurs brillantes, admirablement disposées, moins ornés cependant que ceux représentant le triomphe du roi Horus (1557 ans avant Jésus-Christ), où l’on voit deux porte-éventails qui rafraîchissent le roi avec deux flabella à long manche tors ou versicolore. Cet Éventail alors tenait lieu d’étendard et n’était porté que par des princes royaux ou des dignitaires d’une bravoure éprouvée qui avaient rang de généraux.

Dans le Roman de la Momie, Théophile Gautier, ce merveilleux évocateur de l’Égypte ancienne, représente le Pharaon sur son trône d’or entouré de ses oëris et de ses flabellifères dans une salle énorme, sur un fond de peintures représentant les hauts faits de ses aïeux et les siens. D’autre part, de belles esclaves nues, dont le corps svelte offre le gracieux passage de l’enfance à l’adolescence, les hanches cerclées d’une mince ceinture, une buire d’albâtre, à la main, s’empressent autour du même Pharaon, répandant l’huile de palme sur ses épaules, ses bras et son torse polis comme le jaspe, tandis que d’autres servantes agitent autour de sa tête de larges Éventails de plumes d’autruche peintes, ajustées à des manches d’ivoire ou de bois de santal qui, échauffé par leurs petites mains, dégagent une odeur délicieuse.

Nous voyons encore l’Éventail chez les Assyriens, les Mèdes et les Perses, où il affecte la forme carrée et quelquefois le demi-cercle ; mais c’est surtout à Rome, dans la Rome du siècle d’Auguste, que nous aimons à apercevoir l’Éventail sur la voie Appienne, en dehors de la porte Capène, dans le bruit des chars et des litières portées à dos de six ou huit lecticaires, près de l’équipage majestueux d’une matrone accompagnée de deux esclaves : l’une, la suivante, portant un parasol de toile tendue par de larges bâtons ; l’autre, la porteuse d’Éventail (flabellifera), tenant une espèce de palme ou plume de paon qu’elle agite devant la dame afin de lui procurer de la fraîcheur et d’écarter les mouches importunes, tandis que quatre coureurs noirs, indiens ou africains, précèdent la litière et que deux liburniens blancs marchent derrière la chaise, manière de valets de pied, prêts, au moindre signal de la matrone, à placer le marchepied qui l’aidera à descendre de son lit soyeux.

Il est constant que, si les dames romaines ne maniaient pas elles-mêmes l’Éventail, l’usage leur en était connu. Le poète Nomsus en fait mention fréquente ; c’était à des esclaves et aussi aux galants qu’incombait le devoir de rafraîchir les belles indolentes. Ovide, parlant des attentions que les jeunes gens doivent avoir pour séduire les femmes, recommande le maniement de l’Éventail ; on trouve, au surplus, des Éventails sur diverses pierres où ils font fonction soit d’écarter les insectes, soit de procurer la fraîcheur aux voluptueux étendus sur des lits de repos.

Ces dames de l’antiquité, environnées d’esclaves qui cherchaient à épargner toute espèce de mouvement à la noble main de leurs gracieuses maîtresses, faisaient porter à côté d’elles des Éventails, et se garantissaient ainsi de l’ardeur du soleil par le secours de filles esclaves spécialement destinées à ce ministère et auxquelles Plaute avait déjà donné le nom particulier de flabelliferæ cité plus haut. On avait même de petites corbeilles exprès, dans lesquelles les esclaves portaient, pour ainsi dire, ces Éventails en parade, tant qu’on n’en faisait pas usage.

Les Latins se servaient aussi de l’Éventail de plumes ou de l’écran pour entretenir ou activer le feu dans les sacrifices, et l’on retrouve sur plusieurs vases antiques des Vestales assises près de l’autel, un éventoir à la main, dans une pose alanguie et rêveuse qui évoque l’idée de flammes intérieures qu’attisent seules les flèches du petit dieu Cupidon, plutôt que les chastes ardeurs des mystères sacrés auxquelles étaient condamnées les gardiennes du Palladium.

Quelques poètes grecs ont comparé l’Éventail à Zéphyr ou à Éole, dieu des vents, lorsqu’ils montrent, sous les vertes ramures, des filles de Lesbos se baignant au crépuscule des jours chauds, puis, au sortir de l’onde, nues sur les rives, agitant près de leur sein une branche de feuillage de myrte avec la grâce d’une impudeur qui s’ignore. Athénée, Eubule, Hésychius, Ménandre, Lucien, tous les pornographes grecs, Barthélemy, dans le Voyage du jeune Anacharsis, et le savant Pauw, dans ses Recherches sur les Grecs, mentionnent l’Éventail qui était alors fait de plumes d’oiseau placées sur une longue tige de bois en forme de lotus et partant d’un centre commun autour duquel elles rayonnent.