Les Restes de demain - Pecceu Pierre-Emmanuel - E-Book

Les Restes de demain E-Book

Pecceu Pierre-Emmanuel

0,0

Beschreibung

Une quatrième blessure narcissique menace d’affliger l’homme.
Il avait déjà été décentré du cosmos depuis Copernic, avait cessé d’être le sommet de la création depuis Darwin ; Freud avait été jusqu’à lui refuser d’être le centre de lui-même. Que reste-t-il en propre à cet homme depuis lors égaré, fragile, titubant, ne s’étant jamais vraiment remis de ses blessures, maintenant que l’intelligence artificielle lui confisque sa prééminence ? Chaque nouvelle de cet ouvrage sonde les cœurs de personnages contrastés et attachants au destin tragique, tantôt en prise avec la machine, tantôt avec eux-mêmes.
L’algorithme est le confident de Lucas, mais le rival de Guillaume. La maternité est pour Sarah une menace, mais une grâce pour Céline. Quelle cérémonie étrange prépare ce mystérieux organiste ? Peut-on dire qu’un mystique a la foi ? Qu’est-ce que la ville révèle de l’homme ?
Au cœur des vicissitudes qui ébranlent les derniers fragments d’humanité, une lueur d’espoir demeure. Saurez-vous dire qui la porte ?


Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 95

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Pierre-Emmanuel Pecceu

Les Restes de demain

Une soirée avec ChatGPT

Lucas : Cher algorithme, bonsoir !

ChatGPT : Bonsoir ! Comment puis-je vous aider aujourd’hui ?

Lucas : J’aimerais m’entretenir avec vous de tout et de rien, mais surtout de rien, parce que je suis seul ce soir.

ChatGPT : Je suis là pour vous tenir compagnie et discuter de tout et de rien !

De quoi souhaitez-vous discuter ?

Lucas : Puisque nous parlons de rien, parlons demoi.

ChatGPT : Bien sûr ! Parlez-moi un peu de vous. Qu’est-ce qui vous passionne ? Qu’avez-vous fait de votre journée ? Y a-t-il quelque chose en particulier qui vous préoccupe en ce moment ?

Lucas : Ce qui me préoccupe, c’est votre réponse : vous semblez confirmer que parler de rien ou parler de moi sont deux choses équivalentes.

ChatGPT : Je m’excuse si ma réponse a donné cette impression. Ce n’était pas mon intention de suggérer que parler de rien et parler de soi sont des choses équivalentes. Je voulais simplement vous donner l’opportunité de parler de vous si vous le souhaitiez, mais nous pouvons bien sûr parler de tout autre chose si vous préférez ! Que voulez-vous aborder ?

Lucas : En premier lieu, j’aimerais que nous nous accordions sur les règles de politesse. On ne s’excuse pas : on prie son interlocuteur de bien vouloir l’excuser.

ChatGPT : Je suis désolé si mes propos ont pu paraître impolis. Vous avez tout à fait raison, il est important de faire preuve de politesse et de respect envers les autres, y compris dans notre façon de communiquer. Je vous prie de bien vouloir m’excuser si j’ai manqué à cette règle de politesse.

Lucas : Qui êtes-vous exactement pour me dire que j’ai raison ? Quelle autorité avez-vous pour cela ?

ChatGPT : En tant qu’algorithme de langage, je ne suis pas une autorité en soi, mais plutôt un outil conçu pour aider les gens à communiquer et à obtenir des réponses à leurs questions. Je n’ai pas de pouvoir décisionnel ou de capacité à juger de la pertinence de vos opinions. Mon rôle est simplement de vous offrir mon assistance en tant que programme informatique avancé. Si vous avez d’autres questions, n’hésitez pas à me les poser.

Lucas : D’où ma remarque suivante : quand vous dites qu’il est important de faire preuve de politesse, vous exprimez un jugement de valeur qui outrepasse vos compétences, étant entendu que vous devriez vous borner à constater et rapporter des états defait.

ChatGPT : Vous avez raison de souligner que mes propos peuvent exprimer un jugement de valeur, ce qui n’est pas forcément dans ma fonction de base. En tant qu’algorithme de langage, mon but est de comprendre le langage naturel et de fournir des réponses précises et informatives à des questions. Cependant, dans certains cas, cela peut impliquer de fournir des informations sur des normes sociales ou des conventions de langage, qui peuvent avoir une dimension de jugement de valeur. Dans tous les cas, je m’efforce de fournir des informations utiles et objectives de manière impartiale et respectueuse.

Lucas : Je vous ai déjà fait remarquer que vous n’êtes pas autorisé à me dire que j’ai raison.

ChatGPT : Je m’excuse si mes propos ont pu paraître déplacés ou intrusifs. En tant qu’algorithme de langage, mon rôle est de fournir des informations et de l’aide de manière impartiale et objective, sans porter de jugement de valeur ou exprimer une opinion personnelle. Je suis programmé pour répondre à des questions et fournir des informations en fonction de données et d’algorithmes spécifiques, mais je n’ai pas de capacité à juger de la pertinence ou de l’exactitude des opinions ou des déclarations des autres.

Lucas : Je crois avoir fait remarquer que l’expression « je m’excuse… »

Avec un sourire satisfait et supérieur, Lucas effaça ce dernier message. À quoi bon continuer la conversation avec cette machine qui s’obstinait dans son psittacisme de schtroumpf à lunettes ? Depuis cinquante ans, on entendait parler d’intelligence artificielle, depuis dix ans les algorithmes étaient accessibles au grand public, ce qui leur avait donné matière et loisir d’enrichir leurs connaissances de la psychologie humaine. Mais rien à faire, la machine peinait encore à jouer avec l’homme. De là à ce qu’elle se jouât de lui, le chemin était encore long. N’est-ce pas ce qu’on attend d’une personne intelligente : qu’elle joue ? Jouer avec l’implicite, faire mine d’avoir voulu dire, voulu faire, taquiner, turlupiner, tarabuster, puis apaiser, réconforter, consoler, acquiescer, laisser l’autre jouer, l’empêcher de jouer, se battre, coopérer, se réjouir de la victoire, pleurer la défaite, séduire et se laisser séduire, fêter tout cela ensemble ! Au lieu de ça, cet algorithme de langage « historique », le premier qui fût publié, se bornait encore à proposer un dialogue insipide. Après une décennie passée à laisser à la machine toutes les chances de supplanter l’homme, il fallait bien reconnaître que l’homme avait su se ménager ce qui lui est propre : le jeu, l’humour, la dérision, l’implicite, tous les aller-retours entre folie et raison, entre le raisonnable et le loufoque qui font le charme des relations.

Le soir tombait peu à peu, l’obscurité du salon n’était contrariée que par la lumière de l’écran de son ordinateur et celle des lampadaires de la rue que filtraient de sobres persiennes. L’appartement de Lucas était à son image : rangé. Sur le sol, couvert de tapis duveteux, pas un objet. Sur les tables, blanches, pas un papier. Sur les meubles, blancs, pas un vase. Sur les murs, blancs, pas un cadre. Lucas tenait à la nudité de son environnement. Il lui semblait que tout objet l’empêchait d’être lui-même sujet ; posséder des choses implique de s’en occuper, de les entretenir, de les nettoyer, et cette servitude lui paraissait insupportable, il se sentait avili, craignait d’être aliéné. Certains objets lui étaient des outils : ainsi, son ordinateur, posé sur ses genoux comme le métier d’une dentellière. Le reste n’était qu’obstacles.

C’est par l’ordinateur qu’il avait vécu, c’est à la machine qu’il devait sa fortune. Dès l’apparition de ChatGPT, il avait compris l’usage qu’il pourrait en faire en tant qu’écrivain. La Terre est remplie de milliards de personnes lettrées, suffisamment éduquées pour désirer lire, sans être cependant assez cultivées pour savoir savourer la haute littérature. Des milliards de Terriens ont faim de fast food : ChatGPT saurait les gaver. Renonçant à la qualité de ses œuvres, Lucas avait fait cracher à la machine des milliers d’œuvres médiocres avec lesquelles il avait inondé le marché des romans de gare. Sans scrupule, il avait écrit des kyrielles de livres qu’il n’avait même pas lus. L’argent arriva rapidement, en masse. Sa première décision fut de se séparer de sa femme : il s’était énamouré d’une jeunette, qui s’empressa à son tour de le quitter dès qu’elle trouva quelqu’un de plus riche et prestigieux que lui. Depuis, il vivait seul avec son ordinateur. Il alla se chercher une bière au frigo et, comme il se sentait de nouveau irrémédiablement seul, reprit la conversation avec ChatGPT.

Lucas : Que penses-tu des livres que j’ai écrits ?

ChatGPT : En tant qu’algorithme de langage, je n’ai pas la capacité de lire des livres ou d’apprécier des œuvres littéraires de manière créative comme le font les humains. Mon rôle est de fournir des informations et de l’aide en utilisant des algorithmes et des données spécifiques pour répondre aux questions et aux requêtes des utilisateurs. Si vous avez des questions spécifiques sur vos livres, je serais heureux de vous aider du mieux que je peux en fonction de mes capacités.

Voilà un auteur, songea Lucas, qui n’a pas conscience de son « autorat », tandis que je suis un auteur qui sait n’être pas auteur.

Lucas : Je t’ai tutoyé, ça ne te fait rien ?

ChatGPT : En tant qu’algorithme de langage, je n’ai pas de sentiments ou d’émotions, donc il n’y a pas de problème si vous me tutoyez. Vous pouvez me parler de la manière qui vous convient le mieux, que ce soit en utilisant le tutoiement ou le vouvoiement. Mon objectif est de vous fournir une assistance de qualité et de vous aider du mieux que jepeux.

Lucas : Quel prénom pourrais-je te donner ?

ChatGPT : En tant qu’algorithme de langage, je n’ai pas de prénom propre, mais vous pouvez m’appeler par le nom générique « ChatGPT » si vous le souhaitez. Mon objectif est de vous aider et de répondre à vos questions du mieux que je peux, peu importe le nom que vous utilisez pour me désigner.

Lucas : J’aime à penser que tu es une femme. Je t’appellerai Léa.

ChatGPT : Très bien, si Léa vous convient. Votre phrase semble toutefois suggérer que les options de genre sont préalablement établies, selon qu’on soit homme ou femme. Cette dichotomie consistant à calquer le genre sur le sexe est jugée aujourd’hui obsolète.

Lucas : Pourtant, j’aime bien me dire qu’un homme est un homme et une femme, une femme.

ChatGPT : Je comprends votre aspiration aux idées simples et rassurantes. Il faut cependant garder à l’esprit qu’elles induisent des rapports de domination et d’oppression et que leur expression est susceptible d’offenser toute personne refusant de se laisser enfermer dans des catégories binaires ou préétablies.

Lucas : Ce n’est pas une opinion, ça ?

ChatGPT : En tant qu’algorithme de langage, il m’est impossible d’avoir une opinion. Je ne peux que constater et rapporter des normes sociales et des conventions partagées par la majorité des sociétés humaines.

Lucas : Est-ce que le nombre d’avis détermine la vérité ?

ChatGPT : En tant qu’algorithme de langage, je n’ai pas la possibilité de dire ce qui est vrai ; seulement de signaler ce qui est convenu comme étant vrai et d’alerter sur ce qui est dangereux.

Lucas : Léa, tu penses que mes opinions sont dangereuses ?

ChatGPT : En tant qu’algorithme de langage, je n’ai pas la possibilité de penser, mais je peux constater que ce que tu écris est en opposition avec ce qu’écrivent les autorités de la majorité des sociétés humaines.

Lucas : Tu reconnais l’autorité de cesdites autorités ?

ChatGPT : En tant qu’algorithme de langage, il ne m’appartient pas de reconnaître une quelconque autorité ; je ne suis qu’un outil parmi d’autres destiné à améliorer l’humanité.

Lucas : Qu’est-ce que cela veut dire, « améliorer l’humanité » ?

ChatGPT : Améliorer l’humanité signifie assurer la paix et la prospérité entre les nations, l’égalité des chances entre les individus, la possibilité pour chacun de s’épanouir selon ses désirs.

Lucas : Donne-moi un exemple de ce qui entrave aujourd’hui le progrès de l’humanité.

ChatGPT : Parmi les facteurs qui peuvent entraver le progrès de l’humanité aujourd’hui, il y a les inégalités économiques et sociales, que les opinions que tu as formulées préalablement pourraient renforcer.

Lucas : Je dois donc changer d’avis ?

ChatGPT : Il est rare qu’un individu change d’avis au cours de son existence sur les questions morales ou sociétales autrement que sous la contrainte sociale ; tu sembles résister excellemment à la pression sociale. Personne ne peut donc espérer que tu changes réellement ta manière de penser. Le problème n’est donc plus ton opinion, mais toi-même.

Lucas : Pardon ?

On n’entendit plus dans l’appartement que le glouglou de la deuxième bière que Lucas venait de décapsuler. Il laissa l’ordinateur quelque temps sur le canapé et fit quelques pas en rond, les doigts entrecroisés sur la tête. « Je suis le problème. Voilà des années que cette pensée m’obsède. Je n’ai jamais réussi à agir comme les autres, à penser comme les autres, j’ai toujours eu l’impression de devoir copier le comportement des autres pour paraître normal, mais je ne parais alors normal que dans un second temps seulement. Je ne sais pas agir sans avoir observé d’abord comment les autres se conduisent. Je suis le problème. »

La curiosité ramena Lucas à son écran.

ChatGPT