Les tables tournantes de Jersey - Victor Hugo - E-Book

Les tables tournantes de Jersey E-Book

Victor Hugo

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Beschreibung

De 1853 à 1855, en exil à Jersey, Victor Hugo se livre quasi quotidiennement à des séances de spiritisme. Il discute avec les esprits les plus illustres, Jésus-Christ, Dante, Molière, Shakespeare, ou les formes les plus abstraites (l'Ombre du sépulcre, le Drame ou l'Idée). Les séances sont consignées sur des procès-verbaux qui serviront à établir Le Livre des Tables dont Hugo envisageait une publication posthume. Quatre cahiers manuscrits forment ces procès-verbaux ; seuls deux d'entre eux nous sont parvenus, dont un inédit. Publiés intégralement une quarantaine d'années après la mort du poète, ces dialogues entre les vivants et les morts gardent toujours leur mystère, et la présence de Hugo leur confère une valeur particulière. Car Hugo n'entre pas en communication avec n'importe qui. Il recherche la présence d'esprits supérieurs ; il réécrit ainsi une pièce avec Shakespeare, versifie avec Eschyle, médite avec Jésus, Mahomet, Dante, Molière, Chénier ou Cervantès. Si cet ouvrage fut contesté, à cause de sa nature insolite, il rassemble quelques-unes des plus belles pages critiques et littéraires de Hugo. C'est un Victor Hugo rare et mystérieux qui se dévoile ici.

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TABLE DES MATIÈRES

I Pourquoi n’a-t-on pas publié les séances des tables tournantes ?

II Qu’est-ce que ce livre ?

III Le rôle de Victor Hugo

IV De l’influence des tables sur Victor Hugo ou de Victor Hugo sur les tables

V Les séances des tables Les assistants

PROCÈS VERBAUX DES SÉANCES

I NOTE D’AUGUSTE VACQUERIE - SON INCRÉDULITÉ HÉSITATIONS DE LA TABLE – INSISTANCE DE MADAME DE GIRARDIN – LE PREMIER « ESPRIT » QUI SE PRÉSENTE EST CELUI DE LÉOPOLDINE, LA FILLE DE VICTOR HUGO

II L’OMBRE DU SÉPULCRE – CE QUE C’EST QUE L’OMBRE DU SÉPULCRE – AFFIRMATION DE L’EXISTENCE DE DIEU – CHATEAUBRIAND – IL APPRÉCIE « NAPOLÉON-LE-PETIT » – DANTE – SON OPINION SUR LA « VISION DE DANTE » – RACINE ; UN MOT DE LUI SUR « ATHALIE »

III LA CRITIQUE – A DÉJEUNER, UNE CONVERSATION S’ÉTAIT ENGAGÉE ENTRE VICTOR HUGO ET SES HÔTES ; ON AVAIT DISCUTÉ LES ŒUVRES D’ÉSOPE, CERVANTÈS ET RABELAIS – LA CRITIQUE VIENT RECTIFIER DES ERREURS COMMISES À PROPOS DE CES POÈTES – INTERROGÉE SUR RACINE, PUIS SUR LES ÉCRIVAINS DU XIXE SIÈCLE, LA CRITIQUE LES CARACTÉRISE – VIVE ALTERCATION ENTRE AUGUSTE VACQUERIE ET LA CRITIQUE – L’IDÉE INTERVIENT – VACQUERIE S’EXCUSE – LA CRITIQUE REVIENT – SON OPINION SUR SHAKESPEARE ET MOLIÈRE

IV LA CRITIQUE – CONSIDÉRATIONS SUR BALZAC – DISCUSSION ENTRE VACQUERIE ET LA CRITIQUE, SUR L’ŒUVRE DE BALZAC SUSCEPTIBILITÉ DE LA CRITIQUE – GEORGE SAND, SON ŒUVRE ; SON INFLUENCE SUR L’AVENIR DE LA FEMME – SUR VOLTAIRE – UN MOT SUR THÉOPHILE GAUTIER, ALEXANDRE DUMAS, EUGÈNE SUE, ALFRED DE MUSSET – CE QUE SONT LES CRITIQUES

V CHEZ LEGUEVEL SUR LA PLANÈTE JUPITER – MARAT ; SON OPINION SUR LA RÉPUBLIQUE ET LES RÉPUBLICAINS – CE QU’IL PENSE DE ROBESPIERRE – CHARLOTTE CORDAY JUGÉE PAR ELLE–MÊME – ROBESPIERRE. SES RÉPONSES SUR DANTON, MIRABEAU, MARAT, MME ROLAND, ETC

VI ANNIBAL – DISCUSSION ENTRE VICTOR HUGO ET ANNIBAL SUR NAPOLÉON – VICTOR HUGO INTERROGE ANNIBAL SUR DES DÉTAILS HISTORIQUES INCONNUS – MOÏSE ET LES RÉVÉLATIONS DES TABLES

VII ANDRE CHÉNIER ; IL CONSENT À COMPLÉTER, PAR DES VERS INÉDITS, SES ŒUVRES PUBLIÉES – FIN DES DERNIERS VERS D’ANDRÉ CHÉNIER COMMENCÉS LE 7 THERMIDOR – SOCRATE – IL RÉPOND AUX ACCUSATIONS D’ARISTOPHANE

VIII ANDRÉ CHÉNIER – SUITE DES VERS INÉDITS

IX ANDRÉ CHÉNIER – SUITE DES VERS INÉDITS – L’OMBRE DU SÉPULCRE – SES ORDRES

X TYRTÉE – IL TRADUIT EN VERS FRANÇAIS UN DE SES CHANTS – SUR INTERROGATION, IL DONNE SON OPINION SUR LA « MARSEILLAISE » – CE QU’IL PENSE DE MACHIAVEL

XI ANDRÉ CHÉNIER – SUITE DES VERS INÉDITS

XII MAHOMET – PRÉDICTION – LES TROIS RELIGIONS EN LUTTE – COMMENT SE RECONNAÎTRA-T-ON DANS LE MONDE DES ÂMES ?

XIII ANDRÉ CHÉNIER – VICTOR HUGO LUI POSE UNE SÉRIE DE QUESTIONS – ANDRÉ CHÉNIER Y RÉPOND : DUALITÉ DE SON ŒUVRE, COMMENT, APRÈS SON EXÉCUTION, ANDRÉ CHÉNIER ENVISAGEAIT LA RÉVOLUTION – JUGEMENT SUR LES QUATRE POÈTES DÉSIGNÉS PAR VICTOR HUGO

XIV ANDRÉ CHÉNIER – SES IMPRESSIONS PENDANT ET APRÈS SON EXÉCUTION

XV ANDRÉ CHÉNIER – SUITE DE SES IMPRESSIONSLES QUATRE VOIX – IL CONTINUE À DICTER SES VERS INÉDITS

XVI SHAKESPEARE – IL EXPLIQUE À VICTOR HUGO CE QU’EST LA DURÉE DANS L’AU–DELÀ – RENCONTRE DE SHAKESPEARE AVEC CERVANTÈS ET MOLIÈRE – SHAKESPEARE CONTINUE-T-IL SON ŒUVRE ?

XVII JACOB – VICTOR HUGO ET AUGUSTE VACQUERIE AVAIENT EU, SEULS TOUS DEUX, UNE CONVERSATION SUR LE DOUTE ; JACOB VIENT RECTIFIER LEUR OPINION – SHAKESPEARE PROCLAME LE NÉANT DES CHEFS-D’ŒUVRE HUMAINS DEVANT L’ŒUVRE DIVINE ; IL DICTE DES VERS SUR CE SUJET

XVIII SHAKESPEARE – CONTINUATION DES VERS INÉDITS

XIX SHAKESPEARE – CHARLES HUGO, EMBARRASSÉ, LUI DEMANDE UN NOM POUR L’HÉROÏNE D’UN DE SES ROMANS, ET IL L’ADOPTE – CONTINUATION DES VERS DE SHAKESPEARE – SUR L’INVITATION DE MME VICTOR HUGO, SHAKESPEARE EXPLIQUE POURQUOI IL RETROUVE, EN DICTANT SES VERS, LES HÉSITATIONS DU MONDE TERRESTRE

XX SHAKESPEARE – VICTOR HUGO LUI CONFIE SES APPRÉHENSIONS SUR L’IDENTITÉ DES ESPRITS QUI SE PRÉSENTENT – C’EST L’OMBRE DU SÉPULCRE QUI RÉPOND ET QUI PROVOQUE UNE CONTROVERSE DE MME VICTOR HUGO SUR LA SINCÉRITÉ DES ESPRITS

XXI SHAKESPEARE – AUGUSTE VACQUERIE VOUDRAIT SAVOIR SI SHAKESPEARE, MÉCONNU DURANT SA VIE ET GLORIFIÉ APRÈS SA MORT A, DANS L’AU–DELÀ, CONSCIENCE DE L’ADMIRATION UNIVERSELLE QU’IL INSPIRE – DANS LE MONDE CÉLESTE ATTACHE-T-ON QUELQUE IMPORTANCE À L’OPINION DES VIVANTS ? – SHAKESPEARE RÉPOND EN VERS – UNE CURIOSITÉ DE MME VICTOR HUGO

XXII LUTHER – VICTOR HUGO LUI DEMANDE QUELQUES ÉCLAIRCISSEMENTS SUR LES MANIFESTATIONS SURNATURELLES QUI ONT ACCOMPAGNÉ LA VIE DE JEANNE D’ARC, DE MAHOMET, DE SOCRATE ET DE LUI, LUTHER – Y A-T-IL UN LIEN ENTRE CES MANIFESTATIONS ET LE PHÉNOMÈNE DES TABLES ? – SOUS QUELLES FORMES LES HUMAINS APPARAISSENT-ILS AUX ESPRITS ? – LUTHER RÉPOND – CONTINUATION DES VERS DE SHAKESPEARE – DISCUSSION ENTRE SHAKESPEARE ET AUGUSTE VACQUERIE SUR DES VERS INCORRECTS

XXIII SHAKESPEARE – CONTINUATION DE SES VERS – VICTOR HUGO PROPOSE DEUX VARIANTES – SHAKESPEARE REFAIT UNE STROPHE – AUGUSTE VACQUERIE DEMANDE QUELQUES EXPLICATIONS SUR DEUX PIÈCES DE VERS QUI SEMBLENT SE CONTREDIRE

XXIV ESCHYLE DICTE DES VERS – IL RÉPOND, SANS QU’ON LA FORMULE À UNE OBJECTION : LE CHÂTIMENT N’A QU’UN SEXE

XXV NOUVEAUX VERS DE SHAKESPEARE

XXVI MOLIÈRE – IL VEUT ÊTRE INTERROGÉ EN VERS ; VICTOR HUGO LUI LIT CEUX QU’IL A PUBLIÉS AUTREFOIS – MOLIÈRE Y RÉPOND EN VERS – VICTOR HUGO IMPROVISE, PENDANT UNE SUSPENSION DE SÉANCE, UNE QUESTION EN VERS POUR MOLIÈRE, C’EST L’OMBRE DU SÉPULCRE QUI Y RÉPOND EN ADMONESTANT VICTOR HUGO – DEUXIÈME QUESTION IMPROVISÉE PAR VICTOR HUGO, DEUXIÈME RÉPONSE AUSSI SÉVÈRE – NOTE CONSTATANT LA SUPÉRIORITÉ, COMME POÈTE, DE L’OMBRE DU SÉPULCRE SUR MOLIÈRE, SHAKESPEARE, ESCHYLE, ETC

XXVII ESCHYLE – VACQUERIE LUI A FAIT DES VERS QU’IL A TERMINÉ, LA VEILLE – IL LES LUI LIT – ESCHYLE Y RÉPOND – VICTOR HUGO S’INSURGE CONTRE UN VERS QUI LUI SEMBLE « RAPETISSER DIEU » – ESCHYLE LE CHANGE – OBSERVATIONS DE VICTOR HUGO SUR CERTAINES RÉPÉTITIONS DE MOTS, LE MÊME ESPRIT PRENDRAIT PLUSIEURS NOMS – EXPLICATION

NOTE D’AUGUSTE VACQUERIE

XXVIII REMONTRANCES DE L’OMBRE DU SÉPULCRE À PROPOS D’UNE CONVERSATION TENUE EN EFFET AU DÉJEUNER PAR LES HÔTES DE JERSEY – EXPLICATIONS DE VICTOR HUGO – APOLOGIE DE SHAKESPEARE ET DE MOLIÈRE PAR L’OMBRE DU SÉPULCRE – SUR L’EXÉCUTION DE TAPNER

XXIX MOLIÈRE – QUESTION EN VERS ADRESSÉE PAR AUGUSTE VACQUERIE À MOLIÈRE SUR LES « FEMMES SAVANTES » – RÉPONSE DE MOLIÈRE – ESCHYLE CORRIGE ET MODIFIE LES VERS DICTÉS PAR LUI LE 7 FÉVRIER – QUERELLES D’EXPRESSIONS ENTRE VICTOR HUGO ET ESCHYLE – VICTOR HUGO SORT – UN DES CENT PLUS BEAUX VERS QUI EXISTENT – VACQUERIE DEMANDE À ESCHYLE DES EXPLICATIONS SUR LE MOT « BRUTAL » DU LION D’ANDROCLÈS – DANS QUEL MONDE SE TROUVENT ESCHYLE ET MOLIÈRE ? – L’OMBRE DU SÉPULCRE DONNE LE TITRE QUE LES RÉVÉLATIONS DES TABLES DEVRONT PORTER EN CAS DE PUBLICATION – ARISTOPHANE ET LE SOMMEIL DE VICTOR HUGO

XXX MOLIÈRE – IL POURSUIT SON COMMENTAIRE EN VERS SUR SES « FEMMES SAVANTES » – IL CHERCHE QUERELLE À VACQUERIE QUI SE DÉFEND – MUET INTÉRESSANT – MOLIÈRE QUITTE LA TABLE – L’OMBRE DU SÉPULCRE ET ESCHYLE ESSAIENT DES MOYENS DE CONCILIATION – RETOUR DE MOLIÈRE QUI CONSENT À CONTINUER SES VERS

XXXI CONTINUATION DES VERS DE MOLIÈRE

XXXII MOLIÈRE – SUITE DES VERS

XXXIII ANACRÉON – « INTERROGE–MOI EN VERS » – ANACRÉON NE SE CONTENTE PAS DE VERS ANCIENS – VICTOR HUGO LUI RÉPOND QU’IL NE SAURAIT EN IMPROVISER ET EN PROMET POUR UNE PROCHAINE SÉANCE – LE LION D’ANDROCLÈS – VICTOR HUGO LUI LIT LES VERS ÉCRITS POUR LUI TROIS SEMAINES AVANT – LE LION RÉPOND EN VERS

XXXIV CONTINUATION DES VERS DU LION D’ANDROCLÈS – OBSERVATIONS DE VICTOR HUGO

XXXV LE LION D’ANDROCLÈS – UNE SEULE STROPHE

XXXVI LE LION D’ANDROCLÈS ACCEPTE DES RECTIFICATIONS DE VICTOR HUGO, ET CONTINUE

XXXVII LE LION D’ANDROCLÈS – SUITE DE SES VERS – INTERRUPTION MISE À PROFIT PAR VICTOR HUGO QUI FINIT UNE STROPHE COMMENCÉE PAR LA TABLE – LE LION REPREND SA STROPHE INTERROMPUE – GRANDE SIMILITUDE AVEC LES VERS IMPROVISÉS PAR VICTOR HUGO – ÉTONNEMENT DES ASSISTANTS ET DE VICTOR HUGO LUI–MÊME – LE LION DEMANDE À VICTOR HUGO LA PERMISSION DE LUI EMPRUNTER UN HÉMISTICHE INÉDIT ET CONNU DU POÈTE SEUL

XXXVIII LE LION D’ANDROCLÈS CONTINUE SES VERS – UNE ÉPITHÈTE RÉPÉTÉE CHOQUE VICTOR HUGO QUI EN PROPOSE UNE AUTRE – LE LION LA REFUSE

XXXIX SUITE DES VERS DU LION

XL LE LION D’ANDROCLÈS – CONTINUATION DES VERS – VICTOR HUGO DEMANDE AU LION S’IL CONNAÎT DES VERS QU’IL A FAITS LUI, VICTOR HUGO, SUR LES ÉTOILES ET QUI RESSEMBLENT À CEUX QUE LA TABLE VIENT DE DICTER – « IMMENSE » ET « IMMENSITÉ » – PROPOSITION DE VICTOR HUGO, REFUS DU LION

XLI LE PROSCRIT KESLER, OBSTINÉMENT HOSTILE AUX TABLES, REÇOIT, D’UNE FAÇON BRUSQUE ET INATTENDUE, LA CONFIRMATION DE FAITS DE SA VIE PRIVÉE, FAITS CONNUS DE LUI SEUL

XLII UN ANGLAIS, M. PINSON, POUR SE CONVAINCRE DE L’INANITÉ DES EXPÉRIENCES, POSE, EN ANGLAIS, QUELQUES QUESTIONS SUR DES AFFAIRES DE FAMILLE. PERSONNE, PARMI LES ASSISTANTS, NE SAIT L’ANGLAIS – IL OBTIENT DES RENSEIGNEMENTS DONT IL NE PEUT CONTESTER L’EXACTITUDE – M. PINSON S’OPPOSE À LA REPRODUCTION DU PROCÈS-VERBAL

XLIII BYRON – WALTER SCOTT – QUELQUES MOTS D’ANGLAIS ÉCHANGÉS ENTRE EUX ET M. PINSON

XLIV QUERELLE ENTRE UN « ESPRIT » ET KESLER – KESLER S’OBSTINE À NIER, MALGRÉ LES RÉVÉLATIONS PRÉCÉDENTES – INTERRUPTION – DISCUSSION – LES ASSISTANTS DONNENT TORT À KESLER – L’« ESPRIT » REVIENT DE LUI–MÊME – EXPÉRIENCE TENTÉE PAR VICTOR HUGO POUR LEVER LES DOUTES – NOTE D’AUGUSTE VACQUERIE

XLV CONTINUATION DES VERS DU LION D’ANDROCLÈS

XLVI CONTINUATION DES VERS DU LION

XLVII LA MORT – QUELQUES MOTS SUR LÉOPOLDINE ET CHARLES VACQUERIE – CE QUE DEVIENNENT NOS MORTS – COMMENT NOUS RECONNAÎTRONS–NOUS ?

XLVIII QUESTION DE CONSCIENCE POSÉE PAR VICTOR HUGO AUX TABLES – UN TRAVAIL DE VINGT–CINQ ANNÉES DANS LEQUEL VICTOR HUGO AVAIT ENTREVU PLUSIEURS DES RÉSULTATS CONFIRMÉS PAR LES TABLES – CETTE RENCONTRE, IL L’AVOUE, AVAIT CONTRARIÉ « SON MISÉRABLE AMOUR-PROPRE HUMAIN » – DOIT-IL CONTINUER SON TRAVAIL ? – LA MORT RÉPOND – DUALITÉ DE L’ŒUVRE DU POÈTE – CONCLUSION DE LA MORT – « SOIS L’ŒDIPE DE LA VIE ET LE SPHINX DE TA TOMBE »

XLIX LA MORT – VICTOR HUGO DEMANDE DES PRÉCISIONS SUR LES RÉPONSES DE LA MORT QUI SEMBLENT SE CONTREDIRE – DANGER DES SOMMETS

L LA MORT EXIGE LA PRÉSENCE DE VICTOR HUGO – VICTOR HUGO L’INTERROGE SUR L’ASSIMILATION DE LA JUSTICE HUMAINE, ÉMANATION DE LA JUSTICE DIVINE – LA MORT CONSEILLE DE POSER PROBLÈME À LA FOULE

LI LA MORT – SILENCE DES GRANDS MORTS – EXPLICATION – CONSEILS À VICTOR HUGO POUR UNE PUBLICATION POSTHUME À INTERVALLES DÉTERMINÉS – BRUSQUE INTERRUPTION

LII LA MORT – VICTOR HUGO PROMET DE SUIVRE LE CONSEIL DONNÉ À LA SÉANCE PRÉCÉDENTE – IL ENVISAGE LA PUBLICATION DU LIVRE DES TABLES, BIBLE DE L’AVENIR – LES ŒUVRES QUE L’« ESPRIT » CONSEILLE À VICTOR HUGO DE PUBLIER NE SERAIENT ALORS QU’UNE RÉPÉTITION DU LIVRE DICTÉ PAR LES TABLES ? – VICTOR HUGO PEUT–IL ESPÉRER, AVANT DE MOURIR, UNE RÉVÉLATION DE L’AU–DELÀ ? – DEVIENDRA-T-IL UN PROPHÈTE OU RESTERA-T-IL UN POÈTE ?

– «

CONSEILS À DIEU » – INTERRUPTION DE VICTOR HUGO – RENCONTRE D’IDÉES – INFLUENCE DU CRÉPUSCULE SUR L’« ESPRIT » QUI S’INTITULE LA MORT

LIII SUITE DU DIALOGUE ENTRE VICTOR HUGO ET LA MORT – Y A-T-IL UN MOYEN HUMAIN D’ENTREVOIR L’AVENIR ? – RÉPONSE VAGUE – « ÉTUDIE L’ASTRONOMIE » – TOUT AIDE TOUT

LIV GALILÉE – VICTOR HUGO SE PLAINT DE LA CONDESCENDANCE DES TABLES, QUI ADOPTENT TROP FACILEMENT LES ILLUSIONS DES VIVANTS. IL DEMANDE QUELQUES PRÉCISIONS SUR LE SYSTÈME PLANÉTAIRE RÉEL – GALILÉE FORMULE LA PREMIÈRE PARTIE DE SA RÉPONSE

LV GALILÉE DRESSE L’INVENTAIRE DES RÉCLAMATIONS DE VICTOR HUGO – LE TÉMOIN GALILÉE – LE TÉMOIN DÉCLARE NE RIEN SAVOIR – NOTE DE VICTOR HUGO – LES ESPRITS VEULENT RESTER ÉNIGMATIQUES – VISION, OUI ; SCIENCE, NON – GALILÉE PREND LE PARTI DE L’ILLUSION – « ET POURTANT, JE CROIS ! » – L’OMBRE DU SÉPULCRE – LE CIEL DOIT RESTER FERMÉ À LA SCIENCE – « DEMANDE TOUT, OU RIEN » – « UN PETIT ASTRE, S’IL VOUS PLAÎT ! » – « LOI DES MONDES : AMOUR » – NOTE DE VICTOR HUGO – IL CONSTATE UNE CONTRADICTION DANS LES CONSEILS DONNÉS PAR LA TABLE – NÉCESSITÉ DU DOUTE

LVI JÉSUS–CHRIST – LE DRUIDISME – LE CHRISTIANISME

LVII JÉSUS–CHRIST POURSUIT LA COMPARAISON ENTRE LE DRUIDISME ET LE CHRISTIANISME

LVIII JÉSUS–CHRIST – L’ÉVANGILE – L’ÉVANGILE FUTUR

LIX JÉSUS–CHRIST ET LA RÉVOLUTION

LX JÉSUS–CHRIST – LA RÉVOLUTION – LA SOLIDARITÉ PROCLAMÉE PAR LES TABLES – LES APÔTRES

LXI MOLIÈRE – IL VIENT CONTINUER SES VERS APRÈS UN AN D’INTERRUPTION

LXII MOLIÈRE – CONTINUATION DE SES VERS

LXIII OBSERVATION D’UN ESPRIT SUR LES RENCONTRES DE MOTS ET DE PHRASES AVEC LES TRAVAUX HUMAINS – PLATON – LE RÊVE

LXIV MOLIÈRE – SUITE DE SES VERS

LXV MOLIÈRE – FIN DES VERS DE MOLIÈRE

LXVI ISAÏE

NOTE FINALE

I

POURQUOI N’A-T-ON PAS PUBLIÉ LES SÉANCES DES TABLES TOURNANTES ?

Les tables tournantes de Jersey sont célèbres. Quelques très courts et très rares extraits des procès-verbaux des séances ont été publiés. Il n’en fallait pas davantage pour exciter la curiosité. On annonçait des révélations singulières et troublantes, de très beaux vers et des controverses originales et éloquentes. on ne se trompait pas.

Il n’en est pas moins vrai que les tables tournantes conservent encore leur secret.

« Pourquoi ? m’a-t-on dit. – Qu’attendez-vous pour faire paraître les procès-verbaux de ces séances ? Paul Meurice ne vous a-t-il pas donné l’exemple en communiquant à des journalistes quelques fragments de ces cahiers ? Vous n’empêcherez pas qu’un jour ou l’autre ils soient publiés intégralement. Il n’y a plus de secrets d’archives.

« Et quel sera l’éditeur ? Peut-être un fanatique qui exagérera le côté mystique, peut-être un incrédule entêté qui en dénaturera la signification ? »

Cette dernière phrase était sans réplique.

Étant de ceux qui ont assisté aux dernières et prodigieuses découvertes de la science, ayant été amené à tout observer sans parti pris et sans idées préconçues, il m’a semblé que je pourrais présenter ces procès-verbaux des tables avec une entière impartialité, sans esprit de caste ou d’école et sans trahir les intentions des hôtes de Jersey. Je les ai en effet beaucoup connus et j’étais fixé sur leurs désirs.

Auguste Vacquerie disait couramment que ces conversations devraient être livrées, un jour, au public, parce qu’elles posent un problème à toutes les intelligences soucieuses de connaître les vérités éternelles.

Victor Hugo a formulé plus catégoriquement encore ses intentions au sujet de ces séances des tables tournantes : « Ce livre-ci, qui sera certainement une des Bibles de l’avenir, ne sera, je pense, publié du vivant d’aucun d’entre nous, interlocuteurs actuels des êtres mystérieux, mais quand il paraîtra... » Cette note figure à la séance du 22 octobre 1854.

Or ces documents sont restés plus de trente ans dans les tiroirs de Victor Hugo vivant. Il y a trente-sept ans que Victor Hugo est mort, il y a près de soixante ans que les cahiers existent, il y a dix-sept ans que je les ai en ma possession.

Victor Hugo n’avait pas voulu fixer de délai de publication. C’est qu’il y avait pour lui comme pour nous une question d’opportunité.

Tout récemment, on s’est passionné pour ce qu’on appelle les problèmes métapsychiques, et on ne s’arrêtera pas dans cette voie. Ce sont des questions à l’ordre du jour.

Victor Hugo ne serait pas resté étranger à ce mouvement. Il aurait encouragé ceux qui étaient avides de connaître les mystères de l’inconnu, c’était sa mission de poète ; il ne se serait pas cru le droit de laisser dans l’ombre des documents qui lui paraissaient jeter quelque lumière, lui qui blâmait la science de reculer devant l’incompréhensible.

« La science s’est effarouchée devant l’étrange question des tables, devant Mesmer, devant l’hypnotisme, devant la vision à travers l’obstacle. La science, sous prétexte de merveillosité, s’est soustraite à son devoir scientifique qui est de tout examiner, de tout éclairer, de tout critiquer, de tout vérifier ; elle a balbutié des railleries ou aventuré des négations au lieu de faire des expériences ; elle a laissé, au grand profit des charlatans, la foule en proie à des visions mêlées de réalités1. »

D’ailleurs bien des mystères réputés inaccessibles qu’on percera peut-être un jour, qu’on essaie de contrôler aujourd’hui par des expériences, ne sont-ils pas un peu les parents de ceux qu’on accepte, sans contrôle, dans la religion, et, chose singulière, le spiritisme condamné par cette même religion, en est peut-être un des plus puissants auxiliaires.

La survie, la désincarnation, la réincarnation, l’Ame affranchie de la chair ne sont-elles pas les sœurs de la résurrection et de l’immortalité ?

Je ne fais pas ici un plaidoyer, n’étant ni de ceux qui nient systématiquement, ni de ceux qui croient à l’aveuglette ; j’accueille toutes les tentatives des chercheurs même de l’inaccessible, la science ayant déjà donné tant de démentis aux esprits forts, négateurs du progrès, incapables d’expliquer les miracles dont ils sont les té-moins, et dont ils ne peuvent cependant contrôler l’existence.

Les phénomènes les plus étranges de la veille deviennent parfois les vérités du lendemain. Nous en aurons des preuves. On les aurait assimilés à de la sorcellerie, il y a un demi-siècle. La télégraphie sans fil, la téléphonie, la radioactivité, pour ne citer que les découvertes les plus saisissantes, ne sont-elles pas le plus beau défi à l’incrédulité ?

Celui qui publie ces pages n’est qu’un greffier. Il a vu, dans sa vie déjà longue, trop de choses qui lui auraient paru jadis invraisem-blables, aujourd’hui réalisées, pour qu’il se permette de discuter.

Mieux vaut se ranger du côté de ceux qui croient aux progrès définis de la science.

1Les Misérables. Préface philosophique. Édition de l’Imprimerie Nationale.

II

QU’EST-CE QUE CE LIVRE ?

Ce n’est pas un livre scientifique. Nous ne songeons pas à inter-préter, ni à discuter les controverses qui s’établissent entre les hôtes de Jersey et les esprits qui se désignent. Ils s’en chargent eux-mêmes. Nous n’apportons que des documents ; ce sont des procès-ver-baux recueillis par des hommes de bonne foi devant des témoins appartenant à toutes les opinions et à toutes les religions.

Il ne faut se faire aucune illusion : ce livre provoquera les railleries et les sarcasmes des ennemis nés et impénitents de tout ce qui peut dépasser leur entendement. Il intéressera ceux qui se sont adonnés à l’étude des sciences métapsychiques, des sciences occultes spiritisme, magnétisme, les mots importent peu. Il encouragera ceux qui s’obstinent à poursuivre des expériences sans se laisser émouvoir par les suggestions et les insinuations des défenseurs de la routine, en par les hostilités préconçues et systématiques des savants dont l’assurance, parfois ignorante, a été soumise à de si rudes épreuves et de si cruels démentis.

Ceux qui ne voudront y chercher ni preuves ni aliment à des sarcasmes le liront encore avec plaisir parce qu’ils y rencontreront çà et là de beaux vers, des jugements sur les écrivains du XIXe siècle et sur les hommes célèbres de tous les pays et de tous les temps, des discussions sur la littérature, le théâtre, la poésie, la religion et aussi sur les conditions de notre existence ici-bas. Enfin, ce livre n’aurait-il qu’une simple valeur littéraire et critique, sa publication serait justifiée.

III

LE RÔLE DE VICTOR HUGO

Le personnage important c’est Victor Hugo, c’est lui qui donne un si grand prestige à ces tables fameuses de Jersey. C’est lui qui leur assure une autorité. En dehors de ses travaux favoris, il se passionnait pour la science. Grand poète, il aurait peu être été un grand savant, grâce à son intuition, à sa prescience, à sa divination, si la vie des grands génies était encore plus longue.

Quelle merveilleuse preuve de cette divination, de cette prescience, que le document de 1843 publié dans le Temps du 10 décembre 1921.

Mon ami, le savant professeur Charles Richet, en le commentant, montrait que, dès 1843, Victor Hugo avait deviné le rayonnement des objets, la radioactivité, et il ajoutait : « Le profond penseur a deviné, pressenti en 1843 cette radiation des choses en apparence inactives, et sans doute l’avenir montrera que Victor Hugo a été beaucoup plus loin que notre science actuelle de 1922 n’a pu le faire. »

Et en effet les savants que j’ai vus et consultés ont été surpris, émerveillés par cette publication du document de 1843.

Retenez-en ceci : « Si cette loi du rayonnement parvenait à entrer dans la science et à se faire admettre un jour comme une vérité qu’elle est peut-être, beaucoup de résultats remarquables s’ensuivraient, et beaucoup de phénomènes seraient expliqués. »

Il va plus loin, il décompose cette loi du rayonnement en trois lois :

« Première loi : la production des images dites photogéniques sans le secours de la lumière, dans le boîtier d’une montre par exemple, ou dans une cave, la nuit.

« Deuxième loi : la vision magnétique.

« Troisième loi : à la vision magnétique se rattachent les phénomènes encore inexpliqués des songes, de la sympathie, de l’extase, des pressentiments, etc.., tout un monde ténébreux je souligne ces mots que pourrait seule éclairer cette grande loi, le rayonnement. »

Ah ! si Victor Hugo avait formulé ces lois pendant les séances des tables ou après, les croyants du spiritisme n’auraient pas manqué d’en attribuer le mérite aux « esprits », et les incroyants auraient découvert quelque trouble « d’esprit » de Victor Hugo.

Et pourtant, si on lisait attentivement son œuvre on constaterait sans peine que, bien avant 1843, il était attiré vers les problèmes de l’au-delà ; il le dit, il le proclame lorsque, au cours des séances, il cite des vers déjà anciens dont la table reproduit l’idée.

Depuis 1830, cette préoccupation, cette tendance s’affirment dans les Feuilles d’automne avec la Pente de la Rêverie ; en 1837 dans les Voix intérieures : Quelle est la fin de tout ? et en 1839 dans les Rayons et les Ombres avec Cæruleum mare.

Dans les procès-verbaux que nous allons donner, la question des « mondes punis » est souvent traitée ; cette question inquiétait Victor Hugo depuis longtemps déjà ; les Contemplations nous donnent une poésie écrite en 1839, Saturne, où il dépeint « ce globe horrible et solitaire », astre de châtiment, mais non de châtiment éternel, puisque cet astre maudit ne retiendra les méchants que « pour le temps où Dieu voudra punir ».

Il entrevoyait déjà que l’âme

A franchir l’infini passait l’éternité.

Pour lui la véritable existence commençait au tombeau :

Et qu’ainsi faits vivants par le sépulcre même,

Nous irions tous un jour, dans l’espace vermeil,

Lire l’œuvre infinie et l’éternel poème.

Cette œuvre, ce poème, il en aurait bien voulu déchiffrer quelques pages de son vivant ; son impérieux désir de pénétrer les secrets d’outre-tombe se transforme presque en obsession à dater de la mort de sa fille Léopoldine en 1843 ; ce n’est plus une poésie de temps en temps, ce sont des livres entiers qui viennent d’abondance, jusqu’à ces vers admirables : A celle qui est restée en France, 2 novembre 1855, et qui traduisent la pensée dont il était prisonnier depuis vingt-cinq ans. Non, le tombeau, d’herbe et de nuit vêtu, n’avait jamais été pour lui qu’un silence.

Aux problèmes obscurs du monde céleste, il rattachait les questions scientifiques de notre monde terrestre, nous l’avons vu par le document de 1843, nous le voyons encore en 1855, lorsqu’il pressentait l’avion :

C’est de la pesanteur délivrée et volant,

C’est la force alliée à l’homme étincelant,

Fière, arrachant l’argile à sa chaîne éternelle,

C’est la matière heureuse, altière, ayant en elle

De l’ouragan humain, et planant à travers

L’immense étonnement des cieux enfin ouverts !

Dans la Préface philosophique des Misérables2 qu’il qualifie ainsi : « Quasi ouvrage sur ma philosophie personnelle, pouvant servir soit de préface aux Misérables, soit de préface générale à mes œuvres, » dans cette préface il aborde tous les problèmes, la formation de la terre, l’évolution des astres, l’histoire des religions, les progrès de la science ; il revient sur cette question de l’avion, et on y trouve cette phrase curieuse qui fait pressentir la construction de l’avion actuel : La solution serait aussi dans l’imitation de l’oiseau. Or, l’imitation de l’oiseau, l’appareil pourvu d’ailes, personne n’y songeait ; on perfectionnait le ballon à nacelle, mais changer la forme de l’aérostat, l’idée n’en venait pas aux plus hardis.

C’est en 1860 que Victor Hugo avait émis cette idée ; quatre ans plus tard, en janvier 1864, dans une lettre adressée à Nadar et dont Jules Claretie donna des extraits 3 j’en publiai le manuscrit complet dans la Revue de Paris du 15 avril 1910, Victor Hugo écrivait l’Homme devient oiseau. Il prédisait là les merveilles de l’aviation : c’est aujourd’hui l’avion sans moteur.

Comment, avec ce don de divination, Victor Hugo n’aurait-il pas saisi tous les moyens qui s’offraient pour tenter de découvrir ou de connaître le mystère d’après la mort ? A l’époque où le spiritisme avait une bonne presse, en 1853, et où les tables tournantes faisaient tourner les esprits, Victor Hugo ne pouvait se dérober aux expériences auxquelles on l’invitait.

Certes, l’idée d’une table à trois pieds comme intermédiaire lui apparaissait assez étrange, plus étrange assurément que le songe, la vision, le pressentiment, toutes choses impalpables. Aussi, au début des séances, est-il d’abord spectateur un peu indifférent, il écoute, puis il s’intéresse aux expériences. Le phénomène l’attire.

A chaque séance, il prend un intérêt plus grand à ces manifestations, il écrit ce qui est dicté par la table. Il pose des questions parfois fort étendues, et sa curiosité le pousse à converser avec les esprits supérieurs, à entamer des discussions philosophiques, littéraires et historiques, et, même après la séance, à rédiger une note pour exprimer son désaccord avec son interlocuteur. – Et c’est là un des plus puissants attraits de ce volume. Des révélations singulières le passionnent et l’amènent à interroger la table sur des hypothèses qu’il a envisagées, tout préoccupé de savoir si ce ne sont pas seulement des rêves de poète. Bien des faits restent pour lui obscurs, il voudrait être renseigné ; c’est un juge d’instruction obstiné, qui cherche à s’éclairer, à se convaincre, à démasquer tous les fauxfuyants, à dénoncer les contradictions ou à signaler les réponses évasives ou équivoques. Il tient surtout à établir son entière bonne foi. Voici un fait à l’appui :

En 1906, j’ai fait paraître la Légende des Siècles dans l’édition de « l’Imprimerie Nationale. » Aux notes explicatives, j’ai reproduit la note suivante écrite par Victor Hugo au dernier feuillet du manuscrit du Lion d’Androclès, daté de 1854 :

« On trouvera dans les volumes dictés à mon fils Charles par la table, une réponse du Lion d’Androclès à cette pièce.

« Je mentionne ce fait ici en marge simple :

« Constatation d’un phénomène étrange auquel j’ai assisté plusieurs fois. C’est le phénomène du trépied antique. Une table à trois pieds dicte des vers par des frappements, et des strophes sortent de l’ombre. Il va sans dire que jamais de n’ai mêlé à mes vers un seul de ces vers venus du mystère, ni à mes idées une seule de ces idées. Je les ai toujours religieusement laissés à l’inconnu, qui en est l’unique auteur ; je n’en ai pas même admis le reflet ; j’en ai écarté jusqu’à l’influence.

« Le travail du cerveau humain doit rester à part et ne rien emprunter aux phénomènes. Les manifestations extérieures de l’invisible sont un fait, et les créations de la pensée en sont un autre. La muraille qui sépare ces deux faits doit être maintenue, dans l’intérêt de l’observation et de la science. On ne doit lui faire aucune brèche. A côté de la science qui le défend, on sent aussi la religion, la grande, la vraie, l’obscure, et la certaine, qui l’interdit. C’est donc, je le répète, autant par conscience religieuse que par conscience littéraire, c’est par respect pour ce phénomène même y que je m’en suis isolé, ayant pour loi de n’admettre aucun mélange dans mon inspiration, et voulant maintenir mon œuvre, telle qu’elle est, absolument mienne et personnelle. – V. H. »

Cette note curieuse constate le phénomène et son propre isolement. Victor Hugo l’a écrite parce qu’il savait bien que ces cahiers seraient de son vivant communiqués à des amis et publiés plus tard après sa mort.

2 Édition de l’Imprimerie Nationale.

3 Le Temps, 25 octobre 1907.

IV

DE L’INFLUENCE DES TABLES SUR VICTOR HUGO OU DE VICTOR HUGO SUR LES TABLES

C’est ici que nous sommes amenés à discuter cette affirmation audacieuse, soutenue par quelques polémistes : Victor Hugo serait l’auteur inconscient des questions et des réponses : l’esprit de la table serait celui de Victor Hugo. Oh ! certes, les plus violents adversaires du spiritisme ne suspectent pas une minute la bonne foi de Victor Hugo ; ils éloignent toute idée de supercherie ; ils incriminent tout au plus sa naïveté, sa crédulité. Certains critiques font cette découverte : Victor Hugo, inconsciemment, discutait, ripostait et répondait par l’intermédiaire du médium, le plus souvent son fils Charles, aux questions qu’il posait ; et ils donnent, comme une preuve sans réplique, cet argument : vers ou prose, émanant de quelque « esprit » que ce soit, quelle que soit son origine ou son identité, sont dictés par la table, et toujours dans la forme, la conception familières à Victor Hugo.

Il ne suffit pas d’avoir lu quelques fragments des séances semés çà et là pour se créer une opinion aussi absolue. Il faut avoir approfondi tous les procès-verbaux des tables. Ils sont très explicites. Ils indiquent les noms des personnes présentes, les heures d’ouverture et de clôture des séances. Même les heures de suspension. Ils mentionnent le moment où Victor Hugo entre et le moment où il sort ; ils donnent le nom de la personne qui écrit le procès-verbal c’est souvent Victor Hugo et le nom du médium et de la personne qui assiste le médium. Il y a toujours au moins deux personnes à la table, mais jamais Victor Hugo n’y a posé les mains.

Puisque nous avons pris pour règle de conduite de signaler toutes les objections, de les discuter et de ne rien nier, admettons cette hypothèse : il y a un dédoublement de la personne, l’esprit de Victor Hugo répond aux questions posées par Victor Hugo ou refuse d’y répondre, comme on le verra souvent, réfute même, sans ménagement, les arguments qu’il développe ; raille parfois brutalement Victor Hugo, sans souci de le blesser dans son orgueil, et toujours dans le style et la forme de Victor Hugo. Voilà certes un détail que les augures ignorent et qui doit les dérouter.

Mais quand Victor Hugo est absent, les réponses des tables revêtent le même style et la même forme. Voilà les augures forcés sans doute dans leurs derniers retranchements ! Ah ! vous ne les connaissez pas. Ils ont dans leur arsenal un choix abondant d’hypothèses qu’ils décorent, eux les sceptiques, du nom d’articles de foi : écoutez et admirez les ressources de leur imagination. Les séances se tenaient, disent-ils, dans la maison de Victor Hugo ; c’est-à-dire dans les lieux où tous les objets étaient pour ainsi dire imprégnés de sa présence, où flottait une sorte d’émanation permanente de son esprit je me sers de leurs expressions, où se reflétait dès lors sur les réponses des tables la personnalité de Victor Hugo.

C’étaient donc des tables fort impressionnables, subissant une influence irrésistible et toute puissante.

Admettons encore le phénomène – car, là, le phénomène est incontestable –. Mais quand les réponses d’un même esprit remplissent parfois plusieurs séances, et, commencées chez Victor Hugo, lui présent ou absent, se poursuivent et se terminent, non plus chez Victor Hugo, mais chez un étranger, chez un proscrit ? Dans cette nouvelle demeure, il n’y a plus d’ambiance, plus d’émanation, plus de personnalité exerçant sa puissance de reflet, plus de Victor Hugo ; alors ?

Eh bien, objecte-t-on, ce n’est pas du Victor Hugo, soit ; c’est du Vacquerie.

Certes, je suis de ceux qui ont la plus grande estime pour les vers de Vacquerie, mais je ne le crois pas un improvisateur, et lorsqu’Eschyle, lorsque Molière viennent lui demander de formuler ses questions en vers, Vacquerie réclame quelques jours pour les écrire ; Molière, Eschyle, qui ne doivent pas connaître les questions, y répondent cependant immédiatement en vers. Ces vers sont assurément supérieurs à ceux de Vacquerie ; et Victor Hugo n’est pas présent ou il n’assiste qu’à une faible partie de la séance, simplement pour entendre quelques strophes. On pourrait dire : c’est Victor Hugo qui répond aux vers de Vacquerie. Or, ce sont des vers improvisés, et Victor Hugo, dans un des procès-verbaux, déclare qu’il ne saurait improviser sur-le-champ des vers, qu’il lui faut le temps de la réflexion, surtout quand il s’agit de plusieurs strophes.

A. Vacquerie qui, au début, ne croyait pas aux tables, est obligé plus tard de s’incliner devant la réalité des phénomènes. S’il y avait eu supercherie, lui, sceptique, aurait-il été dupe ou complice ? Serait-il devenu le plus assidu et le plus obstiné des assistants, le plus impitoyable poseur de questions, supportant parfois malaisément les contradictions qu’il rencontrait, s’irritant même contre les remontrances qu’il essuyait on le verra, produisant des critiques, manifestant des étonnements qu’il traduira dans des notes à la suite des procès-verbaux ?

Donc, diront toujours les incrédules, si l’auteur des réponses n’est pas Vacquerie, c’est Charles Hugo. C’est lui qui serait le remplaçant de Victor Hugo, c’est lui qui serait « l’esprit » de la table. Ah ! ici, c’est encore plus invraisemblable.

Charles Hugo n’est guère un improvisateur de vers. Ensuite il est médium, détenteur d’une grande puissance de fluide, suivant l’expression consacrée, on pourrait dire le médium favori des esprits. Il y a encore là un phénomène assez curieux dont je vous réserve la surprise. Or, cette fonction de médium est fort absorbante et assez épuisante. C’est le récepteur quotidien de toutes les séances. Et Charles Hugo, qui est cependant un homme solide, mais un esprit un peu nonchalant, demande parfois la suspension ou la clôture anticipée des séances parce qu’il se sent trop fatigué. Et on voudrait lui attribuer, en dehors de la fonction de médium, la fonction de poète, la fonction d’esprit de la table. Voilà bien des fonctions pour un rêveur un peu indolent. Cette supposition est inadmissible ; il n’est qu’un intermédiaire et je ne vois pas, parmi les assistants, un seul d’entre eux susceptible d’improviser sans ratures, sans hésitations, les vers dictés par l’Ombre du Sépulcre.

Alors, si ce n’est pas l’esprit de Victor Hugo absent ou présent, si ce n’est pas Vacquerie, si ce n’est pas Charles, ce sont donc vraiment des esprits ? Je ne conclurai pas.

Mais on me dira : qui veut trop prouver ne prouve rien. C’est trop juste.

Il serait donc puéril de prétendre que Victor Hugo n’a pas été vivement impressionné par les séances des tables. Il ne s’en cache pas. Rappelez-vous la note écrite par lui sur son manuscrit : Au Lion d’Androclès. En revanche, on ne l’a jamais soupçonné d’avoir utilisé des vers dictés par les tables.

Et d’ailleurs pourquoi aurait-il emprunté quelques centaines de vers aux tables, lui qui en a écrit des milliers sur le même sujet ? Dieu, la Fin de Satan datent en partie de cette époque.

Les tables, dira-t-on, ont pu inspirer à Victor Hugo la pitié pour les plantes et les animaux, car plusieurs séances sont consacrées à ce sujet, mais Victor Hugo ne manifestait-il pas cette pitié dès 1842 dans une poésie, confondant la plante et l’animal :

J’aime l’araignée et j’aime l’ortie,

et dans bien d’autres encore.

Il faut reconnaître que l’étrangeté de ces phénomènes ouvre un champ assez vaste à toutes les hypothèses ; et on peut d’autant plus aisément le cultiver qu’on ne risque guère la contradiction, en raison de notre inaptitude actuelle à pénétrer les énigmes dont notre planète est encombrée, puisque nous ne pouvons pas plus expliquer le mécanisme des découvertes scientifiques palpables, que nous ne pouvons comprendre comment s’opère la formation de notre être.

Expliquer n’est pas plus possible que nier, écrit Victor Hugo lui-même.

« Il y a là, comme l’a écrit Camille Flammarion, tout un monde à découvrir...

« Nous ne devons pas nous attendre à entrer en relations avec les morts dans les mêmes conditions qu’avec les vivants. Ils n’ont pas de corps matériels doués de sens, de perceptions physiques ; autres êtres, autre monde. »

On a souvent regretté que les esprits supérieurs, philosophes, savants, écrivains, artistes, ne fussent pas revenus nous instruire. Ce ne sont pas les esprits supérieurs qui se sont dérobés aux tables de Jersey ; Molière, Eschyle, Shakespeare, Cervantès, Platon, Galilée, André Chénier, se sont manifestés dans ces séances ; ils ne sont pas les seuls.

On présentera peut-être cette objection : que ne demandez-vous, hôtes de Jersey, à des êtres chers, de vous dire s’il y a une autre vie, ce qui s’y passe, sous quelle forme ils revivent ; de vous renseigner sur le ciel, sur les étoiles, sur le paradis, sur l’enfer, sur Dieu ?

Des questions ont été posées ; des réponses ont été assez impressionnantes. C’est même ce qui a ému Victor Hugo et Mme Victor Hugo et jeté le trouble dans des esprits incrédules comme ceux de Vacquerie et de Kesler. C’est ce qui les a encouragés à poursuivre leurs expériences, acheminement peut-être vers des découvertes futures et plus précises.

Il y a cependant des interventions inattendues, propres à entretenir l’incrédulité des adversaires. Comment une abstraction peut-elle se présenter ? C’est ce qui se produit à Jersey lorsqu’un esprit répond, sur demande : Je suis le Roman, je suis la Tragédie, je suis le Drame, je suis la Mort ; les tables tentent d’expliquer cet anonymat ; nous trouvons, en effet, dans une séance, cette phrase : « Je ne suis pas Puccini, je suis l’idée musicale de Puccini. » On lira et on appréciera.

Camille Flammarion dit, il est vrai : « Les communications entre les vivants et les morts présentent les caractères les plus variés et les plus énigmatiques, » et on vous répondra que des entités peuvent se manifester, que des esprits ne veulent pas se découvrir et prennent un masque, et c’est là le mystère qui s’ajoute au mystère. Le champ des hypothèses peut être d’autant plus immense que les connaissances des spirites sont plus incertaines. Il n’en est pas moins vrai que ceux qui seraient rebelles à toute intervention sur-naturelle liront tous ces dialogues avec intérêt comme ils liraient ceux de Fontenelle et de Fénelon, avec cette différence que ce sont des dialogues entre des vivants et des morts. Quant aux croyants, ils trouveront peut-être un stimulant, une exhortation à poursuivre leurs recherches.

V

LES SÉANCES DES TABLESLES ASSISTANTS

Qui a déterminé les hôtes de Jersey à consulter les tables ? C’est Mme Émile de Girardin. C’était une croyante fervente ; nous en avons des preuves par sa correspondance à Victor Hugo ; mais on propage mieux sa foi par la parole et l’action que par les écrits. Elle se rendit donc à Jersey en 1853. Comment aurait-on pu résister à Mme de Girardin, un des esprits les plus avisés, les plus déliés, les plus séduisants de l’époque ?

C’était une apôtre des tables, et Victor Hugo avait des faiblesses naturelles pour tous les apostolats. N’était-il pas lui-même un grand apôtre ? N’était-on pas là dans un cercle d’amis, tous désireux de s’instruire, curieux de connaître ; ils ne mettaient aucun amourpropre dans leurs essais ; ils avaient plutôt une certaine défiance. Sans doute on leur avait dit qu’il fallait apporter dans ces consultations, sinon une croyance, tout au moins une neutralité.

J’ai déjà parlé, dans le cours de ces notes, des principaux personnages : Victor Hugo, Charles Hugo. Auguste Vacquerie, tous trois incapables de fraudes, se tenant d’abord sur la défensive, mais finalement impressionnés par la production des phénomènes.

François-Victor Hugo, lui, était un méditatif, un silencieux, un auditeur peu assidu, avouons-le : un incrédule.

Mme Victor Hugo croyait en Dieu et en l’immortalité de l’âme ; elle souhaitait certes que les tables lui apportassent des clartés sur l’au-delà, mais elle avait un esprit pratique et positif, et lorsqu’elle surprenait des contradictions dans les réponses des esprits, elle les relevait : si elle n’était pas indifférente aux dissertations philosophiques et aux controverses littéraires, elle recherchait surtout la communication avec les êtres aimés, abordant nettement toutes les difficultés du problème, s’inquiétant de savoir ce que pouvait être l’autre monde, ce que devenaient les âmes, sous quelle forme on retrouvait les disparus, quelle était leur existence. Ah ! elle ne facilitait guère la tâche des esprits ; et on l’aurait prise difficilement pour une complice des tables, car elle ne se contentait pas de leurs réponses obscures ou nuageuses, et c’est à elle qu’on doit quelques clartés.

Il y avait au nombre des assistants : Téléki, le grand révolutionnaire hongrois, le général Le Flô, royaliste et catholique, - ils venaient plus rarement –, il y avait aussi les Allix, spectateurs sans opinions, des proscrits comme Kesler systématiquement rebelle aux tables, Leguevel, Guérin, Bénézit et les pèlerins de passage.

On comprend que Victor Hugo, sans être le plus assidu puisqu’il était parfois absent, était le plus intéressé, étant résolu à tout expérimenter pour établir une communication avec les morts.

Il n’a jamais désespéré de ravir son secret à l’invisible et à l’inconnu : il n’avait jamais consenti à abandonner son idée. C’était une garantie de sa sincérité dans les recherches et l’expérimentation.

On sait que les séances se tenaient dans un salon ; qu’il y avait plusieurs tables, que les assistants les plus assidus étaient Victor Hugo, Mme Victor Hugo, Charles Hugo, Auguste Vacquerie, Guérin.

Il y eut au début des flottements. La table s’agitait, et même parfois violemment. On lui posait des questions et les réponses étaient assez brèves ou parfois assez confuses. Les questions étaient trop développées, les réponses nécessairement laconiques : oui ou non, et les oui et les non se succédaient sans relâche. On ne possédait pas le maniement des tables. On ne pouvait contester les mouvements. Les curiosités s’étaient éveillées. C’est alors que les interlocuteurs plus expérimentés trouvèrent le moyen par des questions plus spécieuses d’éviter le simple oui ou le simple non et de provoquer des réponses plus développées et même des controverses. On s’aperçut qu’il y avait une question de fluide – j’emploie ici le terme des spirites – et que le médium jouait le grand rôle. On ne savait pas tout d’abord que Charles Hugo possédait à un pareil degré le fluide.

L’étude des manuscrits est attachante et amusante, car elle prouve fort nettement et graphiquement la réalité du phénomène. C’est tantôt Victor Hugo, tantôt Auguste Vacquerie, tantôt Mme Victor Hugo ou tout autre assistant qui tient la plume et inscrit les lettres successivement dictées. Ces lettres doivent former des mots. Mais celui qui inscrit les lettres dictées, au fur et à mesure qu’elles se présentent, ignore tout d’abord le sens du mot.

Prenons un exemple : Dans la séance du 19 septembre 1854, à propos d’un poète, la table dicte luilelu. On ne comprend pas, la table dicte alors accent aigu sur l’e ce qui donne : lui l’élu.

Quelques lignes plus loin, voici comment les lettres sont assemblées sur le manuscrit :

la nuit pendant les ilence universel il seveille ôte rreur

Traduisez ainsi :

Pendant le silence universel, il s’éveille, ô terreur.

Mieux encore. Un esprit dicte des mots ; on les écrit à la suite les uns des autres. On s’aperçoit au bout de deux ou trois lignes remplies que ces mots forment des vers. Aucune ponctuation, bien entendu. Nous avons dû ponctuer pour faciliter la lecture. Il semble que des esprits complices des opérateurs auraient dû marquer un temps entre chaque mot. Seul l’un d’eux formule ce désir :

Pour qu’on s’intéresse à ce que je dirai, Victor Hugo lira haut chaque phrase, je reprendrai en m’arrêtant à chaque point.

Comment de pareilles surprises n’auraient-elles pas produit une vive impression sur les assistants et ne les auraient-elles pas encouragés à poursuivre leurs expériences ?

Ces expériences ont donc quelque valeur, elles prouvent tout au moins que la science n’a jamais dit son dernier mot puisque nous voyons que des savants incontestés se sont tout d’abord passionnés pour le spiritisme, l’ont ensuite renié et se refusent maintenant à le condamner.

Le problème, après la mort, n’est pas résolu. Camille Flammarion, avec une ardeur toute juvénile a apporté une contribution puissante à l’enquête sur le mystère. Il a cité nombre d’exemples : visions, apparitions, révélations de ces âmes obscures, qui se sont manifestées, il a joint à ces exemples des certificats et des contrôles. Il a certainement procuré de grands espoirs et répondu à ce besoin vivace de se rapprocher de ceux qu’on aime, qu’on a perdus et qu’on espère retrouver. C’est la force des religions, c’est au moins une aspiration à laquelle se sont rattachés ceux qui veulent se consoler de la séparation momentanée d’un être cher.

A l’enterrement de François-Victor Hugo, après que Louis Blanc eut prononcé quelques paroles au cimetière, Victor Hugo lui écrivait : « Je vous remercie au nom de l’âme qui vous écoutait. Le cercueil est une oreille ouverte. On y entend déjà le ciel et on y entend encore la terre : votre voix arrivait jusqu’à lui gisant comme corps et planant comme esprit. »

C’est de la poésie sans doute ; on trouvera aussi de la poésie dans les tables tournantes de Jersey.

Quelles que soient l’importance et la valeur qu’on attache à ce volume, il intéressera vraisemblablement diverses catégories de lecteurs : les poètes, les littérateurs, les savants, les théologiens, les historiens, parce qu’on y lira de beaux vers, des discussions littéraires, des controverses religieuses, des critiques ardentes, des aperçus sur la vie future ; et si, dans un pareil sujet, je ne craignais pas d’user d’un mot trop moderne, des interviews avec les personnages les plus illustres. Ces pages variées peuvent avoir un vif attrait pour les croyants comme pour les incroyants et méritent de n’être pas vouées à l’oubli.

Pour nous qui avons connu les assistants des tables de Jersey, nous étions assurés de ne pas les trahir en écrivant cet exposé respectueux de leurs désirs, de leurs aspirations, de leurs expériences et en publiant, comme ils en avaient exprimé formellement la volonté, les procès-verbaux de ces séances de Jersey, à l’heure où la science multiplie les découvertes, et où les problèmes de l’inconnu et de l’invisible provoquent l’attention et les recherches de ceux qui essaient de pénétrer les mystères d’une autre vie.