Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Une simple partie de jeu vidéo… et le quotidien de Brady Webber bascule. Aspiré dans un univers numérique où les pixels tuent et où chaque faux pas peut être le dernier, il se retrouve prisonnier d’un monde virtuel impitoyable. Un seul objectif : survivre. Traqué par des ennemis implacables, il doit affronter, avec l’aide d’un chat robotique sarcastique et une guerrière au passé trouble, un adversaire mystérieux dont les plans menacent l’équilibre de la Toile… et la vie tout entière. Et si l’ultime espoir de sauver la réalité reposait entre les mains d’un joueur piégé ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ancien cadre technique chez IBM France, Jean-Pierre Audebert a fondé et dirigé la société AMS Informatique jusqu’à sa retraite. Passionné de jeux vidéo, il signe avec "Les tribulations digitales de Brady Webber" un roman nourri par son expérience du numérique, inspiré des lenteurs de connexion et dysfonctionnements quotidiens, et proposant une immersion fictionnelle au cœur du monde digital.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 245
Veröffentlichungsjahr: 2025
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Jean-Pierre Audebert
Les tribulations digitales
de Brady Webber
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean-Pierre Audebert
ISBN : 979-10-422-7369-9
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Pour Mégane et Clarisse, à qui je demande
pardon de les avoir expédiées dans la Toile
sans leur consentement
Et
Pour Alexandra et Evan, qui l’ont échappé belle
en étant trop jeunes pour ça
Et
Michelle, aux États-Unis,
qui m’a inspiré le personnage de Tara Bust
Si on vous racontait que le réseau Internet est plein d’une vie à l’échelle de l’atome, où circulent virus et antivirus vivants, cookies malins en vadrouille, héros de jeux vidéo égarés, gangs en action, personnages et objets divers… tous éjectés des bulles binaires qui les transportaient.
LE CROIRIEZ-VOUS ? Non, bien sûr…
Comme vous, le jeune Brady Webber N’Y CROYAIT PAS NON PLUS.
Jusqu’au jour où le héros de son jeu vidéo disparaît soudain dans les profondeurs du WEB.
BRADY WEBBER, une saga qui ne manquera pas de vous faire surfer.
Assis confortablement derrière son bureau du quinzième étage, le Big Boss se balançait doucement dans un grand fauteuil recouvert de cuir rouge. Depuis son arrivée, une demi-heure plus tôt, il était de bonne humeur. Non seulement tout allait bien pour la Games And Games Company, dont il dirigeait les affaires, mais le grand concours de projet de jeu vidéo, lancé quelque temps auparavant sur Internet et d’autres supports, avait donné un résultat qui le comblait. Lors de l’examen des nombreux dossiers reçus, le personnel chargé du dépouillement s’était assez rapidement mis d’accord sur l’idée d’un certain Brady Webber, déclaré ensuite gagnant à l’unanimité.
Et aujourd’hui, le Big Boss attendait ce Brady Webber avec impatience. Il avait hâte de voir à quoi ressemblait ce jeune garçon d’à peine dix-sept ans, dont ses collaborateurs lui avaient tant vanté la créativité. Il était certain que le projet retenu, s’il était mené de façon correcte – ce dont il ne doutait pas – devait remporter l’adhésion d’un large public et ajouter un peu plus de cash et de notoriété à l’entreprise.
Après avoir ôté ses lunettes d’un geste tranquille, il laissa ses yeux vagabonder à travers la grande baie vitrée formant un arc de cercle, d’où l’on pouvait admirer une grande partie de la ville et de sa banlieue. Puis son regard balaya le ciel d’un bleu azur, où quelques rares nuages résistaient à un léger vent soufflant de la mer. Une sacrée idée qu’il avait eue de lancer ce concours. Et une sacrée idée qu’avait eue son lauréat, d’imaginer les circuits du réseau Internet comme un univers peuplé d’une vie microscopique à l’échelle de l’atome, dans lequel on enverrait un justicier tenter d’y mettre de l’ordre.
L’entrevue étant fixée à dix heures, il ne restait plus que deux minutes à attendre. Il fit basculer son fauteuil en arrière et se mit à tapoter sur les accoudoirs, tout en jetant de temps à autre un coup d’œil à la pendule.
Il commençait à s’impatienter, quand la sonnerie de l’interphone retentit. D’un coup sec, le Big Boss enfonça une touche.
— La réception, monsieur. Votre rendez-vous…
— Bien ! Amenez-le-moi.
Quand les portes de l’ascenseur privé s’ouvrirent, l’hôtesse annonça d’une voix respectueuse :
— Brady Webber…
— Je sais ! Entrez vite, jeune homme, on n’a pas de temps à perdre.
Tandis que les portes de l’ascenseur se refermaient sur l’hôtesse, Brady s’avança d’un pas décidé, bien résolu à ne pas se laisser intimider par un quelconque comportement se voulant supérieur. Mais une fois en face du personnage assis d’un air conquérant dans le fauteuil directorial, ses bonnes résolutions fondirent d’un coup.
— Bon… Bonjour, m’sieur, bafouilla-t-il, en lui tendant la main.
— Qu’est-ce qui vous prend, mon garçon ? s’étonna le Big Boss. Je vous fiche la trouille, ou quoi ? N’ayez pas peur, je ne vais pas vous manger.
— Pas du tout, je…
— J’aime mieux ça ! Tiens, asseyez-vous donc là-dedans.
Après un instant d’hésitation, en visant du mieux possible, Brady se laissa tomber dans un fauteuil style chaise longue recouvert de grosse toile, fabriqué de telle façon qu’un visiteur s’y trouve en nette position d’infériorité.
Sans plus attendre, le Big Boss enchaîna.
— Ainsi, c’est vous le gagnant de notre grand concours ? Le fameux Brady Webber, dont tout le monde ici vante l’esprit créatif ?
— Ben… on dirait.
— Bien, bien…
Puis, ajustant ses lunettes, il commença à feuilleter dans un classeur en déclarant :
— Comme la presque totalité de mes collaborateurs, je suis persuadé que le futur jeu vidéo développé à partir de votre projet rencontrera beaucoup de succès. Mais cette idée de donner vie aux circuits du réseau Internet, vrai, fallait y penser ! Pourtant, je dois vous avouer qu’au départ, pour différentes raisons, je n’étais pas vraiment d’accord avec eux. Les circuits de la Toile habités ! Quelle ineptie ! pensais-je. Et puis, peut-être à force d’en entendre vanter les perspectives par les uns et les autres, réveillé une nuit en sursaut après un cauchemar des plus fous, bourré d’acariens voraces qui cherchaient à me transformer en squelette en sortant en masse du matelas, j’ai eu tout à coup comme une révélation. Tout un monde souterrain microscopique à travers la planète ? Mais voyons, bien sûr que c’était une bonne trouvaille ! Un héros injecté dans cet univers fantastique pour lutter contre des gangs, des virus vivants, des monstres qui mutent, tous reconstitués à partir de bulles binaires ayant éclaté lors de leur déplacement à travers le dédale des conducteurs, une bagarre continuelle avec Baddy Bug, le terrible parrain d’une Mafia des réseaux, une aide appréciable de la part de Tara Bust, la sexy redresseuse de torts, la possibilité d’intervenir contre des pirates hackers se croyant bien à l’abri derrière leur écran… tout ça m’est apparu soudain génial. Mais l’événement suivant a particulièrement retenu mon attention : alors que le héros se bat comme un lion contre une bande de malfrats tout près de l’entrée d’une ligne menant à une box quelconque, un jeu en téléchargement l’entraîne à sa suite jusque dans l’écran d’un joueur, sans qu’il puisse s’y opposer. Quelques instants plus tard, contraint et forcé, il se retrouve en pleine action dans ce jeu, jusqu’à ce qu’il en soit éjecté au bout d’un moment pour retourner à son précédent combat. Et quel est ce jeu dans lequel le héros est aspiré malgré lui de temps à autre ? Un jeu de la GAG, bien évidemment. Tenez, rien que ça…
— Excusez-moi de vous couper, m’sieur, mais pour quelles raisons, au début, vous n’étiez pas d’accord sur le choix de mon projet par vos collaborateurs ? osa interroger Brady, mieux assuré et curieux d’en connaître un peu plus là-dessus, alors qu’il savait déjà tout ce que lui débitait le Big Boss sur son jeu, puisqu’il en était l’auteur.
— Oh, je ne vais pas toutes vous les énumérer maintenant, mais je crois que la principale était cette impossibilité d’imaginer un tas de fils électriques hébergeant une vie quelconque. Quant au courant qui circule là-dedans, n’en parlons même pas. Voyez-vous, dans le même style, on me présente tellement de projets plus ou moins farfelus tout au long de l’année, que j’en ai une indigestion. Et là, le coût de la vie à l’échelle de l’atome dans la Toile, c’était le pompon. Dans le genre loufoque, difficile de trouver mieux. Je me souviens même m’être écrié : encore un de ces trucs pas possibles ! Mais où diable vont-ils chercher toutes ces âneries ? Vous m’excuserez du terme, mais voilà ce que j’ai d’abord pensé de votre idée. Alors que le potentiel de ce jeu est énorme, je suis bien obligé maintenant de reconnaître que je m’étais trompé. Cette superbe fiction en vaut bien d’autres, que je ne citerai pas, mais qui font la une. Et honnêtement, je n’en avais absolument pas entrevu toutes les possibilités. C’est bien souvent comme ça, malheureusement. Ce sont les choses les plus flagrantes, dont on ne se rend pas compte tout de suite. C’est seulement plus tard qu’on se dit : mais oui, bien sûr, comment n’y ai-je pas pensé moi-même ? D’ailleurs, beaucoup de professionnels, murés dans leur train-train quotidien et leurs certitudes, ne semblent pas voir plus loin que le bout de leur nez. Combien de gens et de sociétés sont passés à côté d’un succès planétaire, en ratant bêtement une occasion en or à cause de leur myopie ? Je ne vous dis pas. Il y en a quelques-uns qui s’en sont bien mordu les doigts par la suite et qui se les mordent encore certainement à l’heure actuelle. Pour moi, il était temps ; encore un peu, et je faisais partie de la triste cohorte de ces miros.
— Vous l’avez échappé belle, m’sieur.
— De justesse, jeune homme, de justesse. Bien ! Je disais donc que… euh… qu’est-ce que je disais déjà ?
— Vous vouliez insister sur le fait de projeter le héros au hasard, en plein dans un autre jeu de votre société, je crois.
— Ah, oui ! Vous imaginez ça ? Vous êtes devant votre écran, la manette de jeu bien en mains. Vous êtes en train de poursuivre un ennemi dans la Toile, quand vous êtes inexorablement entraîné par un téléchargement qui vous surprend à l’instant même où vous arrivez à proximité d’une petite ligne menant à un ordinateur. Aussitôt, vous êtes aspiré dans un jeu de plate-forme, bondissant sur toutes sortes d’objets en évitant soigneusement les obstacles, tout en ramassant un maximum de points. Un peu plus tard, après avoir repris votre mission dans les circuits, à la suite d’un nouveau train de bulles binaires qui vous absorbe, vous vous surprenez à faire le coup de poing contre des malfrats dans les ruines d’une grande ville dévastée. Revenu dans la Toile, alors que vous vous colletez durement avec une bande de gros bras de Baddy Bug, ce malfrat que vous avez imaginé, vous êtes de nouveau embarqué dans un wargame, prêt à foncer en piqué sur un porte-avions à travers un feu d’enfer… et ainsi de suite. Vous saisissez le topo ?
En ce moment, il se voit à la place du héros, en pourfendeur des circuits toujours gagnant.
— Alors, hein ?
— Euh… pardon, m’sieur. Oui, je sais, c’est moi qui l’ai défini dans le dossier, et…
— Croyez pas que c’est génial, ça ?
— Si, bien sûr, mais…
— Oh, vous, je vous vois venir. Vous allez me demander quel intérêt il peut y avoir à ce que le héros soit aspiré de temps à autre vers un jeu en action dans un écran quelconque, non ?
— Non, je…
— Évident, mon cher Brady : non seulement ça met du piment dans le jeu de base, mais en plus, le joueur passe un moment dans un petit aperçu des autres jeux de la GAG. Je dis bien : un petit aperçu seulement, bien que conséquent tout de même, juste pour donner envie de les acheter. C’est de la pub gratuite pour nous, en quelque sorte. Alors ?
— Hum… En effet, fallait y penser.
— Je ne vous le fais pas dire ! Et ce que j’aime bien aussi dans ce projet, en plus de tout ce que je vous ai déjà énuméré, continua le Big Boss, de plus en plus enthousiaste, c’est ce petit clavier magique appelé KeyFlip, que le héros peut faire apparaître à tout instant, hors de sa manche, en lançant son bras comme s’il dégainait un revolver. Et cet engin peut être utilisé de toutes sortes de façons : non seulement il réagit à la voix, mais il peut générer n’importe quel objet, transformer ou modifier des personnages, des ustensiles… Et la possibilité pour le joueur de voir le visage du héros à son image, après transformation par le programme de sa photo prise par sa webcam, hein ? Se voir faisant le coup de poing ou le coup de feu sans risque sur son écran… Génial, je crois. Quant à cette paire de lunettes à décoder, qui permet au héros de lire en clair le contenu des bulles binaires circulant dans les conducteurs et de traduire ce que racontent certains personnages ne s’exprimant que par des zéros ou des un, je pense que vous avez aussi bien saisi l’intérêt de la chose ?
— Marrant, il me présente mon projet comme s’il l’avait inventé de toutes pièces. Maintenant, c’est le sien. C’est son jeu.
— Hein ? Euh… Oui, bien sûr. Surtout que je connais, c’est moi qui…
— Je vous l’affirme, jeune homme, tout ça est absolument remarquable. Mais dites-m’en encore un peu plus, que je maîtrise bien les choses.
Tout au long de l’entretien, qui dura encore un certain temps, Brady s’efforça de répondre de son mieux aux diverses questions du Big Boss.
— … Voilà, m’sieur ! C’est à peu près tout ce que je vois à vous dire.
— Très, très intéressant, tout ça. Heureusement qu’il y a des créateurs tels que vous pour assurer l’avenir de la profession. Vraiment une belle idée, ce jeu vidéo que vous nous avez concocté là. Vous pouvez m’en croire, les concurrents en resteront bouche bée à sa sortie. Les circuits de la Toile vus comme un monde souterrain en pleine effervescence, un héros justicier injecté à l’intérieur pour y faire un brin de ménage, des incursions dans quelques jeux de la GAG, des suites possibles à n’en plus finir… Il y a du travail en perspective, mais ça promet. Au fait, pendant que j’y pense, comment allons-nous l’appeler, ce terrible pourfendeur des circuits de notre jeu ? Vous avez une idée ?
— Euh… Oui… P’têt que Brady Webber, des fois…
— Hein ? Brady Webber ? Et quoi, encore ? Qu’il ait aussi votre tête ?
— Pourquoi pas ? Et puis, ça serait aussi le nom du jeu, que…
— Oui, bon…
— Je pense même que ça ferait un bon film, par la suite.
— Un quoi ?
— Un film ! Le jeu.
— Moui… Encore avec votre nom, évidemment.
— Mais oui ! Avec mon nom, ça sonnerait bien. Imaginez ça : « Brady Webber » étalé partout dans les cinémas, dans les journaux, sur Internet, dans les…
— Eh, là ! Faut pas vous emballer comme ça, jeune homme ! Faut lever le pied ! Debout sur la pédale de frein ! Vous vous voyez peut-être un peu loin, non ? Votre nom partout, vous vous imaginez déjà au firmament des étoiles ou quoi ?
— Vous savez, moi, je disais ça comme ça…
— Bien sûr ! Sauf qu’en attendant d’en décider, on l’appellera X, un point c’est tout.
— Et puis il y a les produits dérivés, continua Brady sur sa lancée, les yeux plongés dans l’avenir. Le KeyFlip, bien sûr, mais surtout la Pinbike et la Rowbike, qui se vendront par dizaines de millions…
— La Pinbike ? La Rowbike ? Vendues par dizaines de millions ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Je n’ai rien vu de tel dans le projet, s’étonna le Big Boss. Vous pouvez m’en dire un peu plus à ce sujet ? De quoi s’agit-il, exactement ?
— Euh… c’est-à-dire que… eh ben…
— Eh ben, quoi ? Accouchez, mon vieux !
— C’est-à-dire… que je préfère ne rien en dire, pour l’instant.
— Je ne comprends pas bien, là. Vous me cachez quelque chose ou quoi ?
— Non, c’est pas ça… Disons que c’est une idée qui m’est venue récemment, et… et ces deux choses ne sont peut-être pas encore tout à fait au point, dans ma tête.
— Dans ce cas, valait mieux pas en parler.
— Toutes mes excuses, m’sieur, je me suis laissé emporter.
— Mouais… Vous m’avez mis l’eau à la bouche et maintenant, hein ?
— Je vous promets que vous saurez bientôt de quoi il s’agit.
— Bon ! Si c’est ce que vous souhaitez, on attendra.
La conversation se prolongea encore un peu sur des banalités avant de prendre congé, jusqu’à ce que Brady manque de se trouver à nouveau en difficulté.
— Et quoi d’autre, pour finir… reprit le Big Boss. Voyons voir, voyons voir… Ah, oui ! Quelle est la monnaie utilisée par le monde de la Toile, déjà ? lança-t-il négligemment, afin de voir comment Brady réagirait, sachant pertinemment qu’il n’en était pas fait mention dans le scénario originel.
— La monnaie… ? Euh… oui, bonne question, ça… la monnaie… la monnaie… Le webuck, peut-être ? Ben oui, le webuck. Le Toilfric, quoi…
— Le webuck ! Eh, pas mal du tout. Et la langue ?
— La langue ? Hum… Voyons voir… ça pourrait être le… web… web… webbish ? Tiens, ça sonne bien, le webbish, non ? Les personnages s’exprimeraient dans leur langue maternelle, en binaire ou en webbish, suivant le cas.
— Le webuck, le webbish, encore génial ! Vous avez trouvé ça tout de suite ou bien vous aviez déjà une idée ?
— Tout de suite, mentit Brady.
— Alors là, chapeau, l’ado. Esprit très rapide, beaucoup d’imagination, c’est exactement ce qu’il nous fallait. Je vois que le choix était bon. Je ne vous cache pas que je compte énormément sur ce nouveau projet très innovant pour gonfler encore plus les caisses de la GAG. Il faut que ce jeu soit la réussite top de l’année de sa sortie et un succès mondial. Nous allons donc mettre ça en route, et si tout se passe bien – ce dont je ne doute pas –, vous en serez un des principaux bénéficiaires, cela va sans dire. Nous vous avons préparé un contrat, que vous ferez examiner par qui de droit avant signature. Avec l’aide de vos parents, bien entendu. Durant le développement, nous vous demanderons de tester le jeu de temps à autre en partenariat avec nos programmeurs, afin de nous signaler vos éventuelles remarques. Et si vous avez d’autres bonnes idées, surtout, n’hésitez pas à nous en faire part. D’accord ?
— D’accord !
— Bien ! Nous allons maintenant rejoindre la petite réception que j’ai fait préparer à votre intention. J’espère que vous êtes satisfait ?
— Beaucoup, m’sieur, beaucoup.
— Alors, allons-y.
Après un certain effort pour s’extirper de son fauteuil de plage, Brady suivit le Big Boss jusqu’à l’ascenseur, tout ébloui par ce qui venait de lui arriver. Un jeu de sa création développé par une des plus grosses entreprises de la planète, il n’osait y croire. Et pourtant, le fait était là, il n’y avait aucun doute. Il ne lui restait plus qu’à espérer voir son « Brady Webber » mené à bon terme.
Brady regardait les maisons défiler à travers la vitre du bus, qui le ramenait chez lui après une journée de cours chargée.
Il s’était passé un peu plus de six mois depuis qu’il avait été reçu par le Big Boss de la GAG. Pendant tout ce temps, comme prévu, on lui avait fait tester plusieurs fois des passages de son jeu, dont le développement suivait normalement son cours. Et aujourd’hui, à la veille de quelques jours de vacances, on lui avait encore demandé de le faire. Le chef de projet l’avait prévenu qu’il y aurait peut-être un peu plus de travail que d’habitude, mais cela ne le dérangeait pas. Pouvoir jouer au justicier de la Toile avant tout le monde lui procurait chaque fois une joie sans limite. Surtout qu’à sa grande satisfaction, le héros lui ressemblait comme deux gouttes d’eau. Avoir gagné ce concours n’avait pas du tout changé sa vie. Il continuait ses études, sans trop se soucier d’un avenir qu’il entrevoyait plutôt sereinement. D’ailleurs, il n’avait pas encore décidé de sa future vocation, jugeant qu’il avait bien le temps d’y penser. Il venait de fêter ses dix-sept ans et avait encore grandi. Le visage allongé, les cheveux châtain foncé, les yeux bleus, large d’épaules mais plutôt mince, il était maintenant pourvu d’une taille au-dessus de la moyenne, qui le faisait paraître un peu plus âgé qu’il ne l’était en réalité. D’un caractère plutôt tranquille, il s’accommodait facilement des petits ennuis quotidiens, bien qu’il ne faille quand même pas trop lui marcher sur les pieds.
Un léger coup de frein pour éviter un enfant courant après un ballon, et le bus reprit de la vitesse.
Brady se recroquevilla un peu plus sur lui-même.
Depuis le début de l’après-midi, il ressentait comme une lassitude. Quelque chose d’indéfinissable le tracassait, sans qu’il puisse savoir de quoi il s’agissait. Était-ce le temps, qui semblait tourner à l’orage ? Il croisa les bras et ferma les yeux, tout en les rouvrant de temps à autre pour surveiller la route.
Il faisait de plus en plus lourd. Le ciel se chargeait progressivement de gros nuages noirs, laissant présager une fin d’après-midi pluvieuse et agitée.
Arrivé à destination, il déplia ses longues jambes, se leva, s’approcha de la portière de sortie, salua d’un signe de main quelques copains, puis descendit. La chaleur soudaine du dehors le prit à la gorge, la température élevée tranchant net avec l’air conditionné du bus.
Après quelques pas sous le soleil, il était chez lui, accueilli joyeusement par Giga, son chat persan bleu aux yeux jaunes.
Sans trop s’attarder en effusions d’amitié avec l’animal, il fila directement au réfrigérateur, en extirpa une canette de soda dont il avala une bonne dose, puis se rendit dans sa chambre pour mettre son ordinateur en marche. Dès qu’il eut enclenché l’interrupteur d’un geste las, il se laissa tomber lourdement dans son confortable fauteuil en cuir.
Bien que l’envie de jouer tout de suite le tenaille, il se sentait trop fatigué pour commencer à le faire. Pendant la mise en route du logiciel, les yeux dans le vague, il regardait l’écran d’un air absent, quand sa main droite lâcha lentement la souris. Machinalement, ses bras se replièrent sur son ventre, sa tête s’inclina en arrière sur le dossier du fauteuil et, imité par Giga, juché d’un bond sur son cache-radiateur, il s’endormit presque aussitôt.
Dans un rêve nébuleux, il errait péniblement dans un sombre tunnel en se traînant comme un zombie. Il essayait de comprendre ce qu’il faisait là, mais tout se brouillait dans sa tête.
Il avait l’impression de marcher en flottant dans l’espace, ses pieds effleurant à peine le sol, tandis qu’une étrange impression de ne pas avancer du tout le forçait à vouloir toujours aller plus loin. Une sorte de grésillement continuel, parfois recouvert par des bruits plus intenses, lui emplissait désagréablement les oreilles. Des nuées de petits smileys, ricanant, pleurant ou grimaçant, virevoltaient autour de lui, puis s’évanouissaient comme par enchantement. Des sortes de bulles lumineuses de différentes couleurs passaient à plus ou moins grande vitesse en chuintant au-dessus de sa tête, sans qu’il puisse se rendre compte de quoi elles étaient faites. Par endroits, de petites galeries crachaient toutes sortes de personnages provenant de jeux vidéo auxquels il avait déjà joué.
Soudain, sans crier gare, deux petits avions de chasse au combat le frôlèrent dans un bruit infernal de réacteurs surdimensionnés. Au loin, un éclair illumina un instant le tunnel, suivi d’une terrible déflagration.
— Explosion, murmura-t-il dans son sommeil. Faire… attention.
Il continuait de se traîner péniblement, quand un individu qu’il reconnut immédiatement lui fit face. Le pire danger qu’il puisse imaginer lui barrait le chemin. Il essaya de lancer plusieurs fois son bras droit pour en extraire son clavier KeyFlip, mais n’y parvint pas. Il était comme paralysé. Un rictus méchant aux lèvres, l’individu sortit une espèce de petite kalachnikov de sous sa veste, visa tranquillement dans sa direction et fit feu.
Brady poussa un cri en se redressant brusquement dans son fauteuil. Dans son cauchemar, Baddy Bug venait de l’exécuter froidement, alors qu’il était hors d’état de se défendre.
À l’instant même où il se faisait descendre, un puissant coup de tonnerre l’avait tiré de son sommeil.
— Décidément, ce jeu vidéo me travaille à fond la cervelle, bougonna-t-il encore, tremblant, en se frottant les yeux.
La gorge sèche, agrippant du bout des doigts la canette qui traînait sur son bureau, sans réfléchir, il avala d’un trait le petit reste de soda qui stagnait au fond.
— Pouah ! Trop chaud.
Dégoûté, il balança rageusement la canette dans sa corbeille à papier, s’épongea le front trempé de sueur d’un revers de manche, puis décida d’aller prendre une douche et de mettre l’air conditionné en route.
Un peu plus tard, revigoré, un verre d’eau fraîche à la main, il se mit enfin sérieusement au travail.
Lunettes à décoder bien en place sur le front, adroitement piloté par Brady, X évoluait maintenant avec adresse sur l’écran de l’ordinateur.
Il avançait rapidement dans un large tunnel à demi éclairé, allongé à environ deux mètres au-dessus du sol, propulsé par son KeyFlip tenu à bout de bras.
De temps à autre, il faisait jaillir une multitude de projectiles qui allaient se perdre au loin ou s’écraser contre les murs dans un fracas assourdissant.
À ce moment de l’action, il était à la poursuite d’un engin volant qui se dérobait sans cesse en louvoyant adroitement devant lui.
Afin de bien contrôler le déroulement du jeu, Brady se mettait parfois en pause, notait une ou deux modifications à rectifier selon lui, et reprenait la poursuite infernale dans le tunnel, ponctuée de coups de feu et de voltiges en tous sens.
Penché vers l’écran, trop absorbé par son travail, il n’avait pas remarqué qu’au-dehors, le ciel s’était nettement assombri.
Soudain, pas très loin de la maison, un puissant éclair jaillit entre ciel et terre, provoquant un violent crépitement dans l’installation électrique.
Quelques secondes plus tard, un formidable coup de tonnerre retentit, faisant trembler furieusement les fenêtres de la maison.
Devenu bizarrement tout noir quand la foudre avait frappé, l’écran retrouvait progressivement sa luminosité.
Lorsqu’il parvint de nouveau à distinguer quelque chose, Brady fut stupéfait de constater que le tunnel dans lequel se situait l’action juste avant l’impact était toujours visible, mais que X n’y était plus. Le héros du jeu vidéo semblait s’être volatilisé.
Bien que la ligne Internet soit toujours active, à part quelques étincelles qui finissaient de retomber en s’éteignant lentement les unes après les autres, comme à la fin d’un feu d’artifice, plus rien ne bougeait dans le décor.
Il tritura nerveusement les boutons de sa manette de jeu, enfonça quelques touches du clavier en grommelant, déplaça la souris dans tous les sens pour essayer de réactiver le programme, mais sans succès.
« Sûrement un problème au niveau du serveur de la GAG, pensa-t-il. Il n’y a plus qu’à attendre que ça se remette en route. »
Puis, se tournant vers son chat.
— Et toi, Giga, ça te travaille la cervelle, ce jeu d’enfer ?
Bien installé sur son perchoir, pour toute réponse, le persan bleu aux yeux jaunes se contenta de changer de position en ronronnant de plus belle.
— Il est plutôt cool, celui-là. On voit qu’il n’a rien d’autre à faire que de roupiller grave. Si je pouvais prendre sa place…
Alors que Brady patientait depuis un bon moment en feuilletant une revue de jeux vidéo, quelque chose commença à apparaître du fin fond du tunnel.
Accompagnés d’une flopée de coups de feu amplifiés par l’environnement caverneux, des caractères d’imprimerie venaient vers lui en grossissant lentement.
Au bout de quelques secondes, en plein milieu de l’écran, s’afficha le texte suivant :
Apprenti justicier neutralisé.
— Eh, mais c’est quoi, ça ? bondit Brady… Apprenti justicier neutralisé ! Ça va pas, la tête… Oh, Giga ! T’as vu ça ? On dirait qu’un petit malin veut me faire foirer mes tests.
— Miaou ? miaula le persan en dressant enfin mollement une oreille, un œil à demi ouvert, un poil de moustache en point d’interrogation.
— Ah ! Quand même, tu réagis cette fois-ci. Mais t’en as rien à faire, si je comprends bien. Normal, remarque, c’est pas ton problème. Quant à moi…
Décontenancé, il se mit à réfléchir.
D’où pouvait bien venir un coup pareil ? À première vue, il ne pouvait s’agir que d’un canular concocté par des gens de la GAG. Une bonne blague pour le mettre en condition, peut-être. Il n’y avait qu’à attendre un peu pour que tout rentre dans l’ordre.
Mais le doute lui vint : comment s’y était-on pris pour que le héros du jeu disparaisse à l’instant même où la foudre avait frappé ? Pure coïncidence ou quoi ? Pure coïncidence, bien sûr…
Tout à coup, l’orage s’imposa dans toute sa fureur.
Illuminant l’espace de mille feux, des éclairs jaillissaient de toutes parts à travers les nuages, presque aussitôt suivis par d’énormes grondements, entrecoupés de courts silences menaçants.
La foudre dégringolait régulièrement à une vitesse vertigineuse, reliant le ciel à la terre en une éphémère et terrifiante union.